Lula et le monde: image, parole et action
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Lula et le monde: image, parole et action
Lula et le monde: image, parole et action Ricardo SEITENFUS1 Introduction La conduite des affaires étrangères brésiliennes sous la présidence Lula (2003-2006) révèle importants et significatifs changements en comparaison aux administrations précédentes, notamment face au gouvernement Cardoso. Afin d’évaluer la nature, l’étendue et la profondeur de ces innovations, le présent article se propose, dans une première partie, identifier un des fondements de cette nouvelle diplomatie, à savoir la perception de l’image du Chef de l’État. En effet, il semble que l’actuelle diplomatie brésilienne est tributaire – comme cela n’a jamais été par le passé – d’une perception que les interlocuteurs du Brésil ont construit autour de la figure publique de Lula. Comme complément indispensable à l’étude de l’image, il faut appréhender également comment Lula utilise la parole lorsqu’il traite des questions internationales. Il est superflu insister sur l’importance de ces deux outils fondamentaux de la diplomatie car, dans certaines conditions, plus que des moyens d’exprimer une volonté ou une intention, ils peuvent devenir la politique étrangère elle-même. Par ailleurs, pour les États qui ne disposent que des moyens limités dans d’autres champs – militaire, économique, politique – 1 Docteur en Relations Internationales par l’Institut universitaire des hautes études internationales de l’Université de Genève, Professeur de Droit international public, Relations internationales et Organisations internationales à l’Université Fédérale de Santa Maria (Brésil) et Directeur de la Faculté de Droit de Santa Maria (FADISMA). Auteur de plusieurs travaux sur les questions internationales et sur la politique étrangère brésilienne. Fût envoyé spécial du gouvernement brésilien en Haïti en 2004. Le présent article est un résumé d’un livre sur la politique étrangère de Lula a paraître au Brésil. Ses travaux sont en libre accès au site www.seitenfus.com.br 1 l’instrument diplomatique acquière un relief tout particulier, de quasi exclusivité. C’est le cas du Brésil. Dans une deuxième partie, nous passerons de l’abstraction à l’action. En d’autres termes il s’agit de souligner les grandes lignes de l’activité diplomatique sous Lula, son caractère novateur, sa géographie diplomatique, le tissage des nouvelles alliances et les nouveaux sujets introduits par son action internationale. Lors des conclusions, il s’agira de se demander si cette diplomatie innovatrice pourra survivre à une éventuelle alternance au pouvoir lors des élections d’octobre 2006. Ou, au contraire, si l’inflexion imprimée par Lula n’a été possible que par sa présence physique et par ce qu’il signifie politiquement. 1. La naissance d’un mythe ? Le régime présidentiel aidant, la politique étrangère brésilienne est amplement attachée à l’intérêt que lui porte le Chef de l’État. Celui-ci n’a eût au long de l’histoire, sauf très rares exceptions, qu’un rôle figuratif. En fait c’est le ministre des Affaires étrangères secondé par les ministres en charge des porte-feuille militaires et par le ministre des Finances, à qui reviennent les principales décisions. La dernière administration de Cardoso a rompu avec cette tradition. Tout en étant issu de l’élite conservatrice – de plus sa famille appartenant à sa caste militaire – Cardoso a fait ses armes aux universités brésiliennes et étrangères. Il s’agit d’un intellectuel qui se veut penseur. Donc, il suppose que le monde ne lui cache aucun secret. Parlant plusieurs langues, Cardoso se meut avec aise lors des quatre vingt douze voyages accomplis à l’étranger pendant ses deux mandats. 2 Sous Cardoso la diplomatie est devenue l’affaire exclusive du Président2 et le ministre des Affaires étrangères n’a été qu’un simples exécutant.3 Malgré ce changement de forme, la diplomatie de Cardoso a été une longue suite de platitudes et d’un alignement sans faille avec Washington faisant en sorte « que pendant une décennie, le Brésil pratiquement n’a pas eût de politique étrangère ».4 L’absence d’ambition en politique étrangère est le résultat de la conformité de Cardoso avec le système international. A part les réunions privées et partisanes de la Troisième Voie – en compagnie, il fut le souligner, d’autres soi-disant « contestataires » de l’ordre mondial tels Clinton et Blair – le Brésil sous Cardoso a poursuivi l’application de sa traditionnelle doctrine qui consiste, d’une part, à imaginer que la mise en question de la réalité internationale est porteuse des dangers pour ses intérêts et, d’autre part, qu’il faut avoir des liens privilégiés – parfois exclusifs – avec les Puissances, notamment la troïka (États-Unis, Europe occidentale et Japon). Lorsque Lula arrive au pouvoir il trouve un Brésil satisfait non seulement avec son rôle dans le système international mais également avec la situation mondiale dans laquelle le Tiers Monde n’est qu’un strapontin. Il s’y attachera de changer cela. 2 La personnalisation dans la figure du Chef de l’État des affaires extérieures sous Cardoso a donné naissance au livre DANESE, Sérgio, A diplomacia presidencial, Topbooks, Rio de Janeiro, 1999, 516 p. Consulter également mon article paru sous le titre révélateur et prémonitoire « Le despote eclairé » publié à Folha de S. Paulo, 22/12/1994. 3 Soulignons l’absence constante du Parlement et des partis politiques dans les débats de politique étrangère sous la République. Au contraire de la période monarchique, pendant laquelle le contenu des décisions – plusieurs affaires touchant les délimitations frontalières – obligeaient la participation aux décisions, au vingtième siècle rares ont été les moments mobilisateurs. Donc, l’Exécutif jouit d’une large autonomie politique et constitutionnelle. 4 Malgré sa culture européenne, Cardoso a subit « un changement significatif pendant l’exil. Furent les Fondations des États-Unis qui ont permis le travail scientifique du CEBRAP [Centre Brésilien d’Analyse et Planning] lorsqu’il revient au Brésil. Une fois entré en politique il n’a pas caché le fait qu’il pensait que le Brésil avait besoin de quelque chose de semblable au Parti Démocrate, qu’il entrevoyait dans le MDB [Mouvement Démocratique Brésilien devenu PMDB] ». Conforme Perry ANDERSON, in Folha de S. Paulo, 3 a. La construction de l’image de Lula Nous n’essayons pas savoir qui est effectivement Lula, mais plutôt creuser l’idée construite autour de son personnage, car cette image exerce un pouvoir qui va au-delà du pouvoir de la présidence. Il a l’authenticité d’un homme du peuple qui n’oublie et ne renie pas ses origines. Plus que les interprétations sur la défaite de l’élite – démentie par l’exercice du pouvoir – ce qu’il faut retenir est l’image messianique de celui qui n’est pas seulement l’élu mais devient l’Élu. Lula s’évertue pour ne pas alimenter cette perception. Il s’efforce a être lui-même, a savoir, un homme simples issu du peuple qui s’oppose à la froideur et à liturgie de la fonction. Le peuple, au contraire, le perçoit comme quelqu’un qu’a travers son effort, son obstination et son travail a atteint un poste que leur est, te tout temps, interdit. Par sa trajectoire personnelle et politique, Lula5 est aux antipodes de Cardoso. Celui-ci est un pur produit de la culture occidentale et se croit un citoyen du monde. Lula, au contraire, est le typique représentant du caipira6 – symbole d’un Brésil arriéré et ignorant, renfermé sur soi-même et sans intérêt pour les affaires mondiales – des couches délaissées et marginalisées de la 10/11/2002. Cet impossible objectif a conduit Cardoso a créer une dissidence dans le MDB d’où naît l’actuel PSDB (Parti de la Social Démocratie Brésilienne). 5 Luiz Inácio da Silva – dit « Lula » – est d’origine ouvrière, issu d’une humble et nombreuse famille que migre du Nordeste appauvri vers la riche São Paulo. Sa mère, elle-même analphabète, s’en charge de son éducation. Porté par le mouvement syndical non-communiste, sous l’inspiration de la gauche catholique, il participe à la fondation du Parti des Travailleurs (PT) et devient son leader incontesté. Dans ce sens, il est bien plus un fils du monde du travail de l’ABC – berceau de l’industrialisation brésilienne – que d’un hypothétique et lointain sertão. Resté monolingue, il obtient son premier diplôme lorsqu’il accède au palais du Planalto à la fin 2002. 6 Dans sa signification anthropologique caipira désigne celui qui habite dans les campagnes sans accès aux biens culturels urbains. A l’origine il servait à désigner ces habitants de province de São Paulo. Aujourd’hui il s’agit d’une appellation péjorative qui s’est généralisée. Par ailleurs Cardoso affirme, dans une de ses nombreuses boutades dont il raffole sans toujours mesurer les conséquences, que le peuple brésilien « est un peuple de caipiras ». 4 politique nationale ainsi que d’une gauche multiforme dont les contradictions internes l’ont toujours cantonnée dans le rôle d’opposition. L’origine et la perception du rôle de la politique par Lula dans un Brésil où les affaires d’État sont accaparés, de tous temps, par une élite dont le caractère conservateur va de pair avec son désintéressement des affaires mondiales, certainement devrait conduire le nouveau mandataire à se cantonner aux affaires domestiques. Néanmoins, la question que se pose lorsqu’il accède au pouvoir est autre. Il s’agit de voir comment et avec quels appuis il ira gouverner. Minoritaire au Parlement national où le PT ne recueille que 18% des sièges et ayant perdu tous les postes de Gouverneur qui comptent, trois chemins se présentent à Lula. Le premier est l’option de Chavez lequel se jette dans un combat politique faisant appel à la pression des rues pour essayer de pallier l’inexistence d’une stable assise parlementaire. Le deuxième est le chemin « gaucho », a savoir l’ascension aux principaux postes de commande d’un groupe idéologiquement homogène et radical, issu exclusivement des rangs du PT, comme ce fût le cas lors de l’administration d’Olivio Dutra à Rio Grande do Sul.7 La troisième alternative est la plus compliquée : comme Lula recueille le double des votes historiquement donnés au PT, il est conscient que la victoire électorale est bien plus la sienne que celle de son Parti, il décide faire appel à une large coalition. Il s’agit, donc, du chemin démocratique dans lequel la figure de Lula prend une dimension presque mythique. Lula est, même s’il ne l’avoue pas toujours, l’héritier de Getulio Vargas. Non seulement parce que l’administration Cardoso a voulu effacer toute trace du caudillo gaucho, mais surtout en raison de son charisme paternaliste 7 Le résultat est peu probant puisque le gouvernement de Dutra est sanctionné par les électeurs et le PT perd son bastion de l’extrême Sud. 5 (Vargas se présentait comme étant « le père des pauvres »).8 Il exploite son origine sociale et son coté sentimental. Il va souvent aux larmes. Mais il ne le feint pas. Il avoue une envie d’être physiquement proche des gens : « si je pouvais, j’étreignais et j’embrasserais tout le monde ».9 Selon Boris Fausto – historien et analyste attentif de la politique brésilienne – Lula a réussit créer un lien d’affectivité avec les électeurs tissé plutôt avec des gestes qu’avec des mots. Ceci démontre les carences affectives des franges importantes de la société brésilienne. La victoire de Lula est perçue comme un événement inédit dans l’histoire du pays. Dès la connaissance du résultat, la plus importante chaîne de TV du pays fait une émission spéciale avec la présence de Lula et commence par la phrase suivante : « habitants des favelas, ouvriers, cireurs de chaussures : un des vôtres est devenu président du Brésil ». Lula est présenté comme un lutteur, charismatique, comme le Président des pauvres, « l’homme que promet rendre la joie au pays ». Un peuple rempli d’espoir regarde Lula « et est sa propre image qu’il voit ». Cardoso lui-même, déclare après connaître le résultats de l’élection, que le Brésil doit s’enorgueillir pour avoir conduit un « métallo » à la Présidence et dit sentir une « émotion » de transmettre la bannière présidentielle à un leader ouvrier. Pour lui, ce fait « peu commun » a une « signification spéciale ». Celle-ci, selon le sociologue Francisco de Oliveira, est la « ré 8 Lors de la mise en service d’une plate-forme d ‘extraction pétrolifère dans le Bassin de Campos (Rio de Janeiro, 21 avril 2006) dont la production fera en sorte que le Brésil devienne auto-suffisant, Lula refait le geste nationaliste de Getulio Vargas de 1952. Après avoir trempé les mains dans le pétrole Lula, arbore ce qui est devenu dans l’inconscient national le symbole de son indépendance énergétique. 9 Ceux qui l’ont accompagné pendant la campagne témoignent qu’il faut être présent pour mesurer l’intensité du contact avec les électeurs. A cet égard, une enquête sur les raisons du vote à Lula révèle que seulement 12,2% de ses électeurs ont voté pour lui par opposition à Cardoso, tandis que 13,7% parce qu’ils « apprécient Lula comme individu » et 34% parce que Lula « est sensible à leurs problèmes ». Conforme sondage faite par l’Institut Sensus entre le 1° et le 5 novembre 2002. 6 fondation du Brésil » puisque, selon lui, « pour la première fois les dominés sont entrain de faire l’histoire ». Tant les autorités officielles comme l’opinion publique saluent à l’étranger le parcours de Lula et soulignent la signification de sa victoire.10 D’autant qu’elle est annonciatrice d’une lame de fond qui va toucher l’ensemble de l’Amérique latine. Néanmoins cette perception, ainsi que celle de l’Europe, contrastent avec le scepticisme de la presse des États-Unis.11 A l’impact de la figure d’un « leader syndical » s’ajoute l’image de l’homme « pauvre ». Le titre d’un reportage sur Lula du journal argentin Clarín est révélateur : « un pauvre est Président d’un pays de pauvres ». Lula, premier civil sans formation universitaire a accéder au poste suprême, est le portrait de la grande majorité du peuple brésilien. L’image de Lula colle à son action diplomatique et conduit le « champion des pauvres »12 à un autre niveau. Dès lors Lula devient le « spokesman for poor countries » 13 et conduit le Brésil à un activisme sans précédant dans la scène internationale. Cette action diplomatique trouve dans la parole un instrument indispensable. Lula perçoit rapidement que l’exercice du pouvoir est, pour l’essentiel, dans les modernes démocraties de masses e dans les relations internationales contemporaines, un exercice de communication. 10 Dans la lettre adressée a Lula, Jacques Chirac souligne « que la France sait identifier les grands événements historiques du monde ». De son coté, Jacques Attali explique la victoire de Lula par le fait « que les personnes ne votent pas uniquement pour un programme, mais également en une personnalité ». Cf. Folha de S. Paulo, 09/11/2002. 11 Le journal The Washington Post considère que la victoire de Lula signale le « désenchantement après des décennies de réformes par le marché » et « son élection suggère des problèmes pour les réformes préconisées par les États-Unis – spécialement celles de la zone de libre commerce de l’hémisphère ». De son coté, The Miami Herald prévoit que « l’élection d’un senior de gauche comme président doit placer le Brésil en route de collision avec les États-Unis ». Finalement, The New York Times souligne que la victoire de Lula « doit provoquer un impact à l’étranger, donnant des forces à la gauche en Amérique latine et en rendant encore plus instables les marchés financiers ». 12 « Les ambitions internationales de Lula président ». Le Figaro, le 13 novembre 2003. 13 « Brazil’s foreign policy : a giant stirs’ », The Economist, le 11 juin 2004. 7 b. La force de la parole L’arrivée de Lula à la Présidence signifie la victoire d’une nouvelle perception du monde. Lors de son discours d’intronisation, Lula fait une déclaration révélatrice de cette situation : « ce moment est le jour des retrouvailles du Brésil avec lui-même ». Ces retrouvailles sont imprégnées de symbolismes. Elles dévoilent un temps nouveau. Avant son entré en fonction, deux Brésil cohabitaient sans se reconnaître. Un, développé, blanc par adhésion, moderne, adapté au monde de la globalisation, auto confiant et agnostique. L’autre, sous-développé, de couleur, attaché aux racines du passé et aux valeurs locales, sous-estimé et mystique. Avec le début du gouvernement Lula, ces deux Brésil se donnent la main. Néanmoins, il ne s’agit pas d’un « règlement de comptes », ou d’un «aller à la rencontre » ou encore d’un « choc contre ». Mais plutôt le « se reconnaître » d’une nation dans « laquelle le métissage et le syncrétisme s’imposent comme une contribution originale au monde [...] dans laquelle les Juifs et les Arabes parlent entre eux sans avoir peur ». Cette rencontre signifierait, également, la fin de la ligne qu’oppose le Brésil du Sud, riche, au Brésil du Nord, pauvre. L’élection de Lula est le symbole de la rupture définitive avec une vision du monde courante dans les pays et chez les peuples qui, au long de leur histoire, ont été victimes de la colonisation. Soumis avec intermittence et de façon inconsciente aux valeurs venus d’ailleurs, la dévaluation de la pensée nationale, la fascination par le goût européen et par la façon de vie aux ÉtatsUnis, le complexe d’infériorité et l’envie d’être l’autre, sont défiés par un discours qui s’oppose à ces formes d’oppression de la liberté, du savoir faire et du savoir être national. Pour Lula 8 « Le Brésil est capable de beaucoup donner à soi-même et au monde. Pour cela nous devons être exigeants avec nous mêmes. Nous devons exiger même davantage de que ce nous pensons possibles, car nous nous sommes pas encore totalement exprimés, parce que nous n’avons pas encore accompli la grande mission planétaire que nous attend. Le Brésil, dans cette nouvelle phase historique, sociale, culturelle et économique, devra compter, surtout, avec soi-même ; il devra réfléchir avec sa tête ; marcher avec ses jambes ; écouter ce que son cœur lui dit ». Lula invite la nation brésilienne a affirmer, face à l’étranger, « sa présence souveraine et créatrice ». Dans cet esprit, ses affaires extérieures doivent s’inspirer en l’humanisme et refléter «aspirations de changement qui se sont manifestés dans les rues ». Le marché observait de manière attentive les paroles du Président élu qui, selon Paul O’Neill – alors Secrétaire du Trésor des États-Unis – devrait donner des garanties « qu’il n’est pas un fou ». L’image de « l’ancien métallo de gauche »14 et son discours avec des relents de nationalisme, provoquait plus peur qu’espoir à certains milieux d’affaires et financiers. La crainte palpable serait celle de voir Lula devenir un leader populiste, nationaliste et autoritaire. Or ces crantes ont été infondés. Lors de son premier discours officiel en tant que Président élu, Lula soutien que son futur gouvernement ira respecter les contrats, maintenir la stabilité financière et faire preuve de responsabilité dans l’administrations des comptes de l’État. C’est de la musique pour le Fonds monétaire international (FMI) et les créanciers du pays. En fait, la grave crise des finances publiques provoquée par la gestion hasardeuse lors du deuxième mandat de Cardoso est attisée par les craintes suscitées par une éventuelle victoire de la gauche. La 14 Ainsi identifié par The Wall Street Journal. 9 délicate situation oblige tous les candidats a souscrire, pendant la campagne électorale, la « lettre d’intentions » adressée au FMI. Par conséquent, même avant sa victoire, Lula avait déjà indiqué de manière limpide qu’elle serait la politique économique à suivre. Certainement le succès de sa mise en œuvre a imprimée une constante régularité dans les rapports économiques extérieurs du Brésil, a permis dégager des surplus historiques dans les échanges commerciaux et a accordée une crédibilité internationale à l’administration Lula. En plus, la normalisation des relations avec le FMI et le récent remboursement de la totalité des emprunts consentis, inclus ceux de l’arrangement Brady, a permis s’attirer les capitaux et l’insertion responsable de l’économie brésilienne dans la mondialisation. Néanmoins, face à la crue réalité de l’exercice du pouvoir, Lula présente les limites de sa politique économique : « le marché doit savoir que les Brésiliens doivent manger trois fois par jour ». Ce commentaire, apparemment prosaïque, révèle un sujet central de ses discours, de son dialogue avec le marché e de son action politique internationale : le combat contre la faim. Pour lui, ce sera un « bon combat » car il s’agit de défendre « les exclus, les discriminés, les humiliés, les offensés ». Pour le faire il faudra construire une nouvel ordre économique international capable de « diminuer les injustices, les croissantes distances entre les pays riches et pauvres, ainsi que juguler l’instabilité financière international ». En fait, Lula veut changer le visage de la mondialisation pour qu’elle devienne « solidaire et humaniste », c’est-à-dire exactement le contraire de l’actuelle marquée par « l’injustice et l’exclusion ». Pour Attali, en élisant Lula le Brésil « signale au monde que la pauvreté est le principal ennemi de 10 l’humanité et que son combat doit être la priorité de tous les gouvernements du monde ».15 2. De l’abstraction à l’action L’action extérieure du Brésil sous Lula est marquée par une intense activité diplomatique déployée sur trois niveaux : la politique étrangère classique, la politique internationale et la politique mondiale. Ces activités sont complémentaires et peuvent être présentées par la figure suivante : La politique mondiale La politique internationale La politique étrangère 15 Cf. Folha de S. Paulo, 09/11/2002. 11 a) La politique étrangère La politique étrangère – avec ses sujets traditionnels et dont aucun État ne peut se passer – comprend les aspects suivants: le commerce bilatéral, les investissements, l’utilisation des mécanismes de solution de litiges au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les efforts pour maintenir des bonnes relations avec le voisinage, la reconnaissance des asymétries du pouvoir sur le plan international et les initiatives pour amoindrir ses effets, l’insistance sur le rôle du Droit et du multilatéral ainsi que le maintien d’une large palette de coopération cherchant à répondre aux défis politiques, économiques et technologiques de l’actuel moment du Brésil. Il s’agit d’une diplomatie qui trouve ses assises dans l’histoire de l’insertion internationale du pays. Elle est sans surprise et une preuve de la continuité de l’État. Cet aspect de la diplomatie de Lula s’explique par son pragmatisme et par les leçons des échecs de la gauche latino-américaine lorsqu’elle arrive au pouvoir. Le souvenir d’Allende au Chili est encore vivace et Lula sait que sa victoire électorale – événement unique dans la politique brésilienne – doit être évaluée également par la froideur des chiffres. Or, face à ses 53 millions de votes nous avons une masse de 54% d’électeurs dûment inscrits qui n’ont pas voté en lui, ce que représente 62,5 millions de votes (opposition, nuls, blancs et abstentions). Par conséquent, face à la légitimité du vote que le conduit au Planalto il y a également le vote qu’il n’a pas reçu. Les dissidences partisanes au sein du PT sont en partie expliquées par le choix de cette voie. D’autres chemins étaient possibles mais Lula n’a jamais entendu le chant de ces sirènes.16 La lutte pour le respect des principes du Droit international conduit le Brésil a condamner l’administration Bush – il fut le seul pays à le faire – 16 Consulter l’éditorial élogieux du Monde au modèle brésilien : « Lula ou Chavez », le 13 avril 2006. 12 lorsqu’elle a remis en cause des principes juridiques élémentaires, par sa nouvelle politique d’immigration et de concessions de visas pour les étrangers prétendant entrer sur le territoire des États Unis ; Brasília a aussitôt décidé de recourir à l’un des piliers du droit international, à savoir le principe de réciprocité, et a donc imposé des contrôles semblables à l’entrée des citoyens de nationalité étasunienne sur le territoire brésilien. La diplomatie du président Lula n’a cessé de participer aux efforts collectifs – dans les cadres de l’Organisation des États Américains (OEA), du Groupe du Rio ou encore du Mercosur – ou bilatéraux afin de résoudre les crises de gouvernance qui touchent, en plus du Venezuela, des États de la région (Pérou, Bolivie, Équateur, Paraguay). Le principe est toujours le même : offrir ses bons offices avec l’accord de toutes les parties concernées et s’efforcer de maintenir les institutions démocratiques et l’État de Droit. En fait, la région sud-américaine « est la priorité entre les priorités » du gouvernement Lula. Cette politique est faite de lumières et d’ombres. Parmi les premières il faut souligner la mise en marche de l’IIRSA (Iniciativa para a Integração da Infraestrutura Regional Sul-americana) afin de construire, récupérer ou moderniser les transports, le système d’énergie et de communications de l’ensemble de la région. Ce programme n’est pas nouveau puisque le gouvernement Lula l’a hérité de l’administration précédente.17 On assiste également aux prémisses d’une politique sud-américaine de l’énergie avec la possible mise sur pied de la Petrosud (société réunissant l’YPF argentine, la Petrobras brésilienne et la PDVSA vénézuélienne) et la construction d’un gazoduc entre le Vénezuela et l’Argentine. 17 Pour plus d’informations consulter le site http://www.iirsa.org 13 Pour faire face à la ZLEA sous l’inspiration de Washington, le Brésil présente la CASA (Communauté sud-américaine des nations) et Chavez, de son coté, propose l’ALBA (Alternative bolivarienne pour les Amériques). Même si aucun de ces deux modèles n’a recueillie l’appui sans faille de la région ils ont, néanmoins, mis en échec la proposition des États-Unis. Parmi les secondes il faut souligner que la proposition de la CASA porte préjudice au Mercosur. Celui-ci est, sans aucun doute, le grand perdant de la stratégie diplomatique de Lula. Bien que le Brésil juge nécessaire de réagir à toute tentative d’hégémonie unipolaire dans les Amériques, il ne reconnaît pas le rôle majeur dévolu au Mercosur. Au contraire, pour Brasília, le Mercosur n’acquiert qu’une dimension tactique et c’est à la CASA que doit incomber le choix stratégique. Le Brésil de Lula résiste – comme ont résisté toutes les administrations précédentes – à l’idée de consolider le Mercosur en tant qu’organisation d’intégration régionale. Il appuie la simple juste-position des propositions nationales clairement inconciliables. En effet, tandis que certains États (l’Uruguay et le Paraguay) veulent rendre plus profonde l’intégration a travers des politiques compensatoires et des institutions communes, le Brésil et, dans certains cas, également l’Argentine, préfèrent une intégration essentiellement commerciale. b) La politique internationale Il y a une politique de porté internationale lorsqu’un État, à partir d’une volonté politique et d’une capacité humaine et matérielle, est capable d’agir sur l’ensemble du système international. En fait, cette action cherche a sortir le pays de son d’une réduite aire régionale et ouvrir ses horizons. Dans le cas du Brésil sous Lula les deux grands axes de cette activité diplomatique sont, 14 d’une part, la lutte pour le renforcement du système multilatéral et d’autre part une politique tournée vers les pays du Sud. Le système politique multilatéral subit profonde crise après la césure provoquée par la crise irakienne. Le Brésil s’est opposé à la guerre de l’Irak et a fait valoir que si les États qui ont envahi ce pays l’ont fait sans le concours de l’ONU, pour en sortir ils devront compter avec le système des Nations Unies. Mais, il ne suffit pas condamner l’usage unilatéral de la force. Il faut participer aux efforts pour trouver des solutions pacifiques aux crises. Ceci explique le fait que le Brésil ait accepté – de manière inédite – le commandement des troupes des Nations Unies qui garantissent la stabilisation militaire et sécuritaire ainsi que la médiation politique en Haïti. Prenant conscience que les pays du Sud ont été le théâtre de la grande majorité des conflits après 1945 et qui, au même temps, ils ont fait démonstration de leur incapacité d’y apporter des solutions, le Brésil perçoit que l’affaire haïtienne doit également servir de laboratoire afin de construire un nouveau modèle de médiation des conflits capables de prendre en compte la réalité et les intérêts des pays du Sud. Parmi les caractéristiques esquissées par ce modèle il y a, d’abord, une nouvelle méthode d’intervention avec un bas niveau de violence et un effort constant de respect pour les Droits de l’homme et la protection de la population civile. Ensuite, il y a la perception des liens existants entre les affaires sécuritaires (militaire et les cas de Police), l’absence de dialogue politique entre les partis et groupes et la situation sociale (pauvre ou misérable). Donc, il s’agit de mener des opérations prenant en compte ces trois niveaux de problèmes y proposer des solutions globales. 15 Enfin, les moyens matériels et financiers dont disposent les États intervenants sont limités. Pour cette raison l’idée consiste a faire en sorte que les États riches de la communauté internationale contribuent à la solution de ces problèmes de nature sociale et économique. Au-delà de la participation aux missions de paix, il faut également refondre le système de prévention et solution des litiges dans le cadre du Conseil de sécurité (CS). Il lui faut accorder plus de légitimité travers son élargissement. Donc, le Brésil se propose à faire partie de manière permanente du CS des Nations Unies. Dans un premier temps, pour convaincre le plus grand nombre possible de pays à appuyer sa prétention, Brasília a déployé une tactique bilatérale. Afin de contourner l’obstacle argentin, car Buenos Aires s’oppose à l’entrée du Brésil au CS, puisqu’elle signifierait une rupture du fragile équilibre stratégique sud-américain, le Brésil de Lula décide former le Groupe des 4 (G4) composé, outre du Brésil, de l’Allemagne, de l’Inde et du Japon. L’impact positif de la démarche collective est amoindri lorsqu’on songe aux oppositions qu’elle fait naître. Ainsi, le Pakistan, l’Italie et surtout la Chine, émettent des sérieuses réserves. En plus, l’absence d’un candidat africain dans le groupe est également source de mésentente. Par conséquent, l’objectif brésilien devient une prétention encore plus difficile d’atteindre et augmente les possibilités de formation de coalitions anti-réforme18. L’envie de prendre une place plus grande dans les affaires du monde a également conduit le Brésil à postuler à la direction de plusieurs organisations internationales (OMC et BID). Chacune de ces candidatures a échoué. 18 Comme prévu, aucun signe de réforme du CS n’a pu être dégagé lors de la 60ème Assemblée Générale de l’ONU. Cette question, malgré les rassurantes déclarations diplomatiques brésiliennes a été, encore une fois, remise aux calendes grecques. Par ailleurs, il faut noter que l’Argentine a pris la tête d’un mouvement anti-G4 tandis que l’Afrique propose autre modèle de réforme. 16 Néanmoins elles ont le mérite de dévoiler la stratégie d’y être présent dans l’ensemble des organisations qui comptent afin d’imprimer sa vision du monde et défendre ses intérêts nationaux. On est bien loin de l’attitude nonchalante des administrations précédentes où l’inaction était un des principes-forces qui commandait alors la position internationale brésilienne. En plus de l’utilisation des rouages de l’OMC, le Brésil a réussi un pari tenu comme impossible. En effet, à la recherche d’ une « nouvelle géographie commerciale », Lula dessine une autre carte économique du monde. La grande manœuvre de cette diplomatie commerciale se déroule au Sommet de l’OMC a Cancun (septembre 2003). Elle a permis de rassembler les principaux pays émergents et en voie de développement pour créer un front commun pour faire face aux États-Unis et de l’Union Européenne. Cela s’est traduit par la création du Groupe des Vingt (G20) dont le Brésil prit la tête. Le G20 n’est pas, à la différence du Mouvement des États non Alignés (MENA) des années 1960/70, un mouvement idéologique contestant l’ordre international. Bien au contraire, il est de caractère pragmatique. Sa stratégie consiste à réunir suffisamment de forces pour supprimer ou réduire les barrières d’accès aux marchés des pays industrialisés. Le G20 cherche aussi à fonder des relations économiques, scientifiques et culturelles au sein d’une inédite coopération Sud/Sud. Brasilia est donc à la tête d’une entreprise osée qui contrarie le scepticisme de la plupart des experts quant à la formation des coalitions d’États dans l’enceinte des négociations commerciales multilatérales. Non seulement le G20 est né, mais il a vite constitué un nouveau pôle de pouvoir et s’est imposé, dans le cadre du cycle de Doha, comme un forum constructif et incontournable pour la suite des pourparlers. 17 Au cours de ces négociations commerciales, la diplomatie brésilienne a principalement œuvré pour une meilleure ouverture des marchés des pays riches aux produits agricoles provenant du reste du monde. Elle s’est également opposée à l’inclusion des services culturels et d’éducation – surtout l’enseignement universitaire – dans la catégorie des biens susceptibles d’une libéralisation des échanges. Au-delà des évaluations divergentes sur les raisons des avancés commerciaux brésiliens, la question qui se pose est la suivante : Lula est-il en passe de réussir son pari de créer « une nouvelle géographie commerciale » ? Répondre à cette question oblige à comparer les situations avant Lula et à la fin de sa troisième année de mandat. Même si les traditionnels partenaires commerciaux du Brésil continuent peser d’un poids très important, il noter la croissance des importations des États émergents ou en développement. Principaux importateurs du Brésil (en %) 2002/200519 Pays importateur États-Unis Pays Bas Allemagne Chine Mexique Argentine Japon Belgique Italie Royaume Uni France Chili Russie Espagne Corée du Sud Venézuela Canadá 19 2002 25,34 5,23 4,50 4,16 3,88 3,86 3,46 3,11 3,00 2,92 2,52 2,42 2,07 1,82 1,40 1,31 1,29 2005 18,63 4,38 4,21 5,64 3,36 8,24 2,90 1,90 2,70 2,15 2,13 3,75 2,41 2,52 1,56 1,90 1,62 Source: Brésil, Ministère des Finances, Receita Federal. 18 A l’exception du Canada et de l’Espagne, tous les pays industrialisés ont vu diminuer leur rôle d’importateurs dans la balance commerciale brésilienne. Dans un sens inverse, des pays du Sud augmentent leurs achats même si les pays membres de l’Union Européenne et les États-Unis demeurent les deux principales destinations des exportations brésiliennes. Alors que la Chine n’accueillait en 1990 que 1,2% des exportations brésiliennes, cette part s’est élevée à 5,64% en 2005. Encore dans le versant de son intérêt accru pour le Sud, la diplomatie brésilienne prenait une initiative originale : créer un instrument de coopération Sud/Sud avec l’Inde et l’Afrique du Sud, appelé Groupe IBAS ou G3. Autre initiative inédite : alors que depuis des années en Amérique du Sud, particulièrement au Brésil, les diplomaties ne s’intéressaient guère aux pays arabes20 (désintérêt que la diaspora d’origine arabe, nombreuse et influente dans la région, ne comprenait pas), Brasília a proposé, organisé et accueilli en mai 2005 le premier Sommet Amérique du Sud / Pays Arabes. L’appel des brésiliens à participer à ce Sommet a été entendu puisque pas moins 34 pays y ont pris part, la majorité d’entre eux étant représentés par leur Chef État. Un des aspects le plus révélateurs de la diplomatie de Lula consiste en une analyse de ses déplacements à l’étranger et sa comparaison avec ceux de Cardoso. Ils sont significatifs de leur vision du monde et des intérêts qu’ils croient être nationaux. Ainsi, sans prendre en considération les déplacements en Amérique du Sud, la figure ci-dessous démontre une nette préférence de Cardoso pour l’Occident développé, révélatrice d’un alignement sans faille. 20 Ainsi, aucun pays arabe n’a reçu la visite du président Cardoso au cours des 92 voyages officiels accomplis en huit années de mandat. 19 Déplacements deCardoso à l’étranger – 1995-2002 13 pays industrialisés pays en développement 39 Par ses voyages à l’étranger Lula, au contraire, pratique une diplomatie œcuménique, très différente de celle de Cardoso. Déplacements deLula à l’étranger – janvier 2003/mars 2006 34 30 pays industrialisés pays en développement Plus que leur nombre, ce qu’il faut souligner dans le cas de Lula est l’équilibre qu’il trouve, lors de ses déplacements, entre les deux mondes. Par conséquent, la diplomatie de Lula ne doit pas être considéré comme une diplomatie tiers-mondiste. Lorsqu’on prend en considération l’entour immédiat sud-américain, le déséquilibre du choix de Cardoso est encore plus frappant comme le démontre la figure ci-après. 20 Cardoso – 1995-2002 Amérique du Sud 13 40 pays industrialisés pays en développement 39 Par contre, les destinés des déplacements de Lula présentent un grand équilibre. Lula Janvier 2003-mars 2006 Amérique du Sud 34 35 pays industrialisés 30 pays en développement Cette figure est le reflet, d’abord, de l’intérêt suscité par l’Amérique du Sud. Ensuite, la place considérable des pays du Tiers Monde visités doit être comprise, d’une part, en raison du grand nombre d’invitations et de l’impact provoqué par la diplomatie de Lula et, d’autre part, par son effort afin de remplir un véritable vide diplomatique suite à une indifférence historique du Brésil vis-à-vis du Tiers Monde. Enfin, cette diplomatie ne méconnaît pas 21 l’importance des pays industrialisés. Par conséquent nous sommes face à un parfait équilibre entre ces trois aires géographiques. c) La politique mondiale S’il prend les rênes de État avec le vote de gauche, Lula fait une administration plutôt tournée vers le centre – voire le centre-gauche – sauf en ce qui concerne sa politique étrangère. Dans ce domaine il parcoure résolument un chemin insoupçonné car novateur et osé. L’extraordinaire dimension diplomatique – donnant même l’impression de faire feu de tout bois – n’est possible, comme nous l’avons déjà signalé, qu’avec le concours actif du Président. Sa présence, plus que physique et politique, prend une dimension symbolique. On pénètre alors, dans la politique mondiale. Plus qu’un Chef État soucieux de défendre ce qu’il croit être les intérêts nationaux ou encore inscrire des nouveaux sujets et élargir les horizons nationaux, Lula s’intéresse pour les problèmes de l’humanité toute entière. Donc, cette dimension de son action extérieure – soutenue par un raisonnement, philosophique, moral et éthique – s’adresse aux humains par-dessus les États. Lula devient un acteur individuel des relations internationales. Il peut le faire et avoir une audience en raison d’une légitimité amplement reconnue. Lula devient, à l’instar de certains Prix Nobel, un « prophète » et le porteparole de tous les humains, spécialement les pauvres et misérables. Les sujets qu’il évoque ont trait à sa quête pour rendre le monde moins injuste et inhumain: la guerre, les épidémies, l’accès aux médicaments, le sousdéveloppement, les injustices, les violations des droit de l’homme, etc. 22 Conclusion Le chemin emprunté par Lula n’est ni celui de Chavez ni celui de Kirchner et encore moins celui d’Evo Morales. Brasilia opte pour une rupture dans la continuité de la diplomatie de la présidence Lula. Ce choix est à l’image de son action intérieure, c’est-à-dire, réformiste. Elle décèle les imperfections du système mais n’aspire pas à le refondre : il est perçu comme étant perfectible et Lula s’évertue d’y contribuer. L’intérêt qu’éveille la diplomatie du Brésil de Lula découle du fait que le pays a une tradition bien ancrée. Marquée par un alignement inconditionnel aux États Unis (sauf à des rares épisodes), par un profil bas dans le système international, par une attitude très modérée – mue quelquefois en une opposition ouverte – face aux demandes des pays en développement et par une méfiance, teintée de scepticisme, avec tout ce que peut venir du monde hispano-américain. Le Brésil a toujours cru en la possibilité de sortir son épingle du jeu international par le biais de relations particulières avec certains pôles. Ainsi il a choisi, au fil de son histoire, quelques points de repère : le Chili en Amérique du Sud, les États-Unis dans le Nouveau Monde, l’Allemagne en Europe et le Japon en Asie. La fin de la Guerre Froide et le monde qui surgit des cendres des Tours Jumelles modifient en profondeur la donne. En plus, il est permis à la périphérie – lorsqu’elle se donne des règles démocratiques – d’avoir des processus électoraux dont les résultats débouchent sur des véritables alternances au pouvoir. Lula et sa diplomatie œcuménique résultent de ce mouvement. Nous n’assistons donc pas à « l’année zéro » de la diplomatie brésilienne comme veut le faire croire l’opposition. Il n’y a pas eu de « table 23 rase ». Il y a, simplement, la manifestation d’un président d’origine ouvrière qui a su transmettre au monde sa sensibilité sociale, avec des formules-chocs, un franc-parler débonnaire et simple. La sympathie suscité par Lula l’a conduit au rang des personnalités marquantes de l’actualité mondiale. Sa politique internationale y est pour beaucoup. Néanmoins, trois questions se posent. D’une part le Brésil saura-t-il donner suite et efficacité à une œuvre diplomatique que fait feu de tout bois ? Ou, au contraire, lorsque la même alternance qui a conduit Lula au pouvoir opèrera un nouveau changement, les promesses ne deviendront-elles des rêves avortés ? A cet égard, il semble que les politique internationale et mondiale actuelles sont tributaires de la figure présidentielle et de son équipe diplomatique. Quant à la stratégie brésilienne de contestation de l’ordre politique et sécuritaire actuel ne conduit-elle pas Lula à se tromper de combat ? Est-ce que ce sont les questions de la grande politique internationale qui doivent intéresser le pays et le monde en développement ou, au contraire, est-ce une plus grande efficacité dans la coopération socio-économique, scientifique et culturelle qui est le mieux à même de répondre à leurs aux véritables besoins ? Enfin quelles seront, pour la diplomatie du président Lula, les conséquences de la crise qui secoue, dès avril 2005, les institutions brésiliennes, son gouvernement et son parti ? Nous avons souligné qu’en affaires internationales les images et les paroles y sont pour beaucoup. Dans cette perspective il est a craindre que les outils diplomatiques dont dispose Lula tendent à se rétrécir. Néanmoins, il serait intéressant de voir – lors d’un deuxième mandat – quelles seraient les limites et les résultats de cette diplomatie osée conduite par 24 un acteur, certes marginal, mais décidé a renverser la perspective stratégique que fût celle de son pays dès l’aurore de l’indépendance. 25