Lula et le monde: image, parole et action

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Lula et le monde: image, parole et action
Lula et le monde: image, parole et action
Ricardo SEITENFUS1
Introduction
La conduite des affaires étrangères brésiliennes sous la présidence Lula
(2003-2006) révèle importants et significatifs changements en comparaison
aux administrations précédentes, notamment face au gouvernement Cardoso.
Afin d’évaluer la nature, l’étendue et la profondeur de ces innovations, le
présent article se propose, dans une première partie, identifier un des
fondements de cette nouvelle diplomatie, à savoir la perception de l’image du
Chef de l’État. En effet, il semble que l’actuelle diplomatie brésilienne est
tributaire – comme cela n’a jamais été par le passé – d’une perception que les
interlocuteurs du Brésil ont construit autour de la figure publique de Lula.
Comme complément indispensable à l’étude de l’image, il faut
appréhender également comment Lula utilise la parole lorsqu’il traite des
questions internationales. Il est superflu insister sur l’importance de ces deux
outils fondamentaux de la diplomatie car, dans certaines conditions, plus que
des moyens d’exprimer une volonté ou une intention, ils peuvent devenir la
politique étrangère elle-même. Par ailleurs, pour les États qui ne disposent que
des moyens limités dans d’autres champs – militaire, économique, politique –
1
Docteur en Relations Internationales par l’Institut universitaire des hautes études internationales de
l’Université de Genève, Professeur de Droit international public, Relations internationales et Organisations
internationales à l’Université Fédérale de Santa Maria (Brésil) et Directeur de la Faculté de Droit de Santa
Maria (FADISMA). Auteur de plusieurs travaux sur les questions internationales et sur la politique étrangère
brésilienne. Fût envoyé spécial du gouvernement brésilien en Haïti en 2004. Le présent article est un résumé
d’un livre sur la politique étrangère de Lula a paraître au Brésil. Ses travaux sont en libre accès au site
www.seitenfus.com.br
1
l’instrument diplomatique acquière un relief tout particulier, de quasi
exclusivité. C’est le cas du Brésil.
Dans une deuxième partie, nous passerons de l’abstraction à l’action. En
d’autres termes il s’agit de souligner les grandes lignes de l’activité
diplomatique sous Lula, son caractère novateur, sa géographie diplomatique,
le tissage des nouvelles alliances et les nouveaux sujets introduits par son
action internationale.
Lors des conclusions, il s’agira de se demander si cette diplomatie
innovatrice pourra survivre à une éventuelle alternance au pouvoir lors des
élections d’octobre 2006. Ou, au contraire, si l’inflexion imprimée par Lula
n’a été possible que par sa présence physique et par ce qu’il signifie
politiquement.
1. La naissance d’un mythe ?
Le régime présidentiel aidant, la politique étrangère brésilienne est
amplement attachée à l’intérêt que lui porte le Chef de l’État. Celui-ci n’a eût
au long de l’histoire, sauf très rares exceptions, qu’un rôle figuratif. En fait
c’est le ministre des Affaires étrangères secondé par les ministres en charge
des porte-feuille militaires et par le ministre des Finances, à qui reviennent les
principales décisions.
La dernière administration de Cardoso a rompu avec cette tradition.
Tout en étant issu de l’élite conservatrice – de plus sa famille appartenant à sa
caste militaire – Cardoso a fait ses armes aux universités brésiliennes et
étrangères. Il s’agit d’un intellectuel qui se veut penseur. Donc, il suppose que
le monde ne lui cache aucun secret. Parlant plusieurs langues, Cardoso se
meut avec aise lors des quatre vingt douze voyages accomplis à l’étranger
pendant ses deux mandats.
2
Sous Cardoso la diplomatie est devenue l’affaire exclusive du Président2
et le ministre des Affaires étrangères n’a été qu’un simples exécutant.3 Malgré
ce changement de forme, la diplomatie de Cardoso a été une longue suite de
platitudes et d’un alignement sans faille avec Washington faisant en sorte
« que pendant une décennie, le Brésil pratiquement n’a pas eût de politique
étrangère ».4
L’absence d’ambition en politique étrangère est le résultat de la
conformité de Cardoso avec le système international. A part les réunions
privées et partisanes de la Troisième Voie – en compagnie, il fut le souligner,
d’autres soi-disant « contestataires » de l’ordre mondial tels Clinton et Blair –
le Brésil sous Cardoso a poursuivi l’application de sa traditionnelle doctrine
qui consiste, d’une part, à imaginer que la mise en question de la réalité
internationale est porteuse des dangers pour ses intérêts et, d’autre part, qu’il
faut avoir des liens privilégiés – parfois exclusifs – avec les Puissances,
notamment la troïka (États-Unis, Europe occidentale et Japon).
Lorsque Lula arrive au pouvoir il trouve un Brésil satisfait non
seulement avec son rôle dans le système international mais également avec la
situation mondiale dans laquelle le Tiers Monde n’est qu’un strapontin. Il s’y
attachera de changer cela.
2
La personnalisation dans la figure du Chef de l’État des affaires extérieures sous Cardoso a donné naissance
au livre DANESE, Sérgio, A diplomacia presidencial, Topbooks, Rio de Janeiro, 1999, 516 p. Consulter
également mon article paru sous le titre révélateur et prémonitoire « Le despote eclairé » publié à Folha de S.
Paulo, 22/12/1994.
3
Soulignons l’absence constante du Parlement et des partis politiques dans les débats de politique étrangère
sous la République. Au contraire de la période monarchique, pendant laquelle le contenu des décisions –
plusieurs affaires touchant les délimitations frontalières – obligeaient la participation aux décisions, au
vingtième siècle rares ont été les moments mobilisateurs. Donc, l’Exécutif jouit d’une large autonomie
politique et constitutionnelle.
4
Malgré sa culture européenne, Cardoso a subit « un changement significatif pendant l’exil. Furent les
Fondations des États-Unis qui ont permis le travail scientifique du CEBRAP [Centre Brésilien d’Analyse et
Planning] lorsqu’il revient au Brésil. Une fois entré en politique il n’a pas caché le fait qu’il pensait que le
Brésil avait besoin de quelque chose de semblable au Parti Démocrate, qu’il entrevoyait dans le MDB
[Mouvement Démocratique Brésilien devenu PMDB] ». Conforme Perry ANDERSON, in Folha de S. Paulo,
3
a. La construction de l’image de Lula
Nous n’essayons pas savoir qui est effectivement Lula, mais plutôt
creuser l’idée construite autour de son personnage, car cette image exerce un
pouvoir qui va au-delà du pouvoir de la présidence. Il a l’authenticité d’un
homme du peuple qui n’oublie et ne renie pas ses origines.
Plus que les interprétations sur la défaite de l’élite – démentie par
l’exercice du pouvoir – ce qu’il faut retenir est l’image messianique de celui
qui n’est pas seulement l’élu mais devient l’Élu. Lula s’évertue pour ne pas
alimenter cette perception. Il s’efforce a être lui-même, a savoir, un homme
simples issu du peuple qui s’oppose à la froideur et à liturgie de la fonction.
Le peuple, au contraire, le perçoit comme quelqu’un qu’a travers son effort,
son obstination et son travail a atteint un poste que leur est, te tout temps,
interdit.
Par sa trajectoire personnelle et politique, Lula5 est aux antipodes de
Cardoso. Celui-ci est un pur produit de la culture occidentale et se croit un
citoyen du monde. Lula, au contraire, est le typique représentant du caipira6 –
symbole d’un Brésil arriéré et ignorant, renfermé sur soi-même et sans intérêt
pour les affaires mondiales – des couches délaissées et marginalisées de la
10/11/2002. Cet impossible objectif a conduit Cardoso a créer une dissidence dans le MDB d’où naît l’actuel
PSDB (Parti de la Social Démocratie Brésilienne).
5 Luiz Inácio da Silva – dit « Lula » – est d’origine ouvrière, issu d’une humble et nombreuse famille que
migre du Nordeste appauvri vers la riche São Paulo. Sa mère, elle-même analphabète, s’en charge de son
éducation. Porté par le mouvement syndical non-communiste, sous l’inspiration de la gauche catholique, il
participe à la fondation du Parti des Travailleurs (PT) et devient son leader incontesté. Dans ce sens, il est
bien plus un fils du monde du travail de l’ABC – berceau de l’industrialisation brésilienne – que d’un
hypothétique et lointain sertão. Resté monolingue, il obtient son premier diplôme lorsqu’il accède au palais
du Planalto à la fin 2002.
6
Dans sa signification anthropologique caipira désigne celui qui habite dans les campagnes sans accès aux
biens culturels urbains. A l’origine il servait à désigner ces habitants de province de São Paulo. Aujourd’hui il
s’agit d’une appellation péjorative qui s’est généralisée. Par ailleurs Cardoso affirme, dans une de ses
nombreuses boutades dont il raffole sans toujours mesurer les conséquences, que le peuple brésilien « est un
peuple de caipiras ».
4
politique nationale ainsi que d’une gauche multiforme dont les contradictions
internes l’ont toujours cantonnée dans le rôle d’opposition.
L’origine et la perception du rôle de la politique par Lula dans un Brésil
où les affaires d’État sont accaparés, de tous temps, par une élite dont le
caractère conservateur va de pair avec son désintéressement des affaires
mondiales, certainement devrait conduire le nouveau mandataire à se
cantonner aux affaires domestiques. Néanmoins, la question que se pose
lorsqu’il accède au pouvoir est autre. Il s’agit de voir comment et avec quels
appuis il ira gouverner.
Minoritaire au Parlement national où le PT ne recueille que 18% des
sièges et ayant perdu tous les postes de Gouverneur qui comptent, trois
chemins se présentent à Lula. Le premier est l’option de Chavez lequel se jette
dans un combat politique faisant appel à la pression des rues pour essayer de
pallier l’inexistence d’une stable assise parlementaire. Le deuxième est le
chemin « gaucho », a savoir l’ascension aux principaux postes de commande
d’un groupe idéologiquement homogène et radical, issu exclusivement des
rangs du PT, comme ce fût le cas lors de l’administration d’Olivio Dutra à Rio
Grande do Sul.7 La troisième alternative est la plus compliquée : comme Lula
recueille le double des votes historiquement donnés au PT, il est conscient que
la victoire électorale est bien plus la sienne que celle de son Parti, il décide
faire appel à une large coalition. Il s’agit, donc, du chemin démocratique dans
lequel la figure de Lula prend une dimension presque mythique.
Lula est, même s’il ne l’avoue pas toujours, l’héritier de Getulio Vargas.
Non seulement parce que l’administration Cardoso a voulu effacer toute trace
du caudillo gaucho, mais surtout en raison de son charisme paternaliste
7
Le résultat est peu probant puisque le gouvernement de Dutra est sanctionné par les électeurs et le PT perd
son bastion de l’extrême Sud.
5
(Vargas se présentait comme étant « le père des pauvres »).8 Il exploite son
origine sociale et son coté sentimental. Il va souvent aux larmes. Mais il ne le
feint pas. Il avoue une envie d’être physiquement proche des gens : « si je
pouvais, j’étreignais et j’embrasserais tout le monde ».9 Selon Boris Fausto –
historien et analyste attentif de la politique brésilienne – Lula a réussit créer
un lien d’affectivité avec les électeurs tissé plutôt avec des gestes qu’avec des
mots. Ceci démontre les carences affectives des franges importantes de la
société brésilienne.
La victoire de Lula est perçue comme un événement inédit dans
l’histoire du pays. Dès la connaissance du résultat, la plus importante chaîne
de TV du pays fait une émission spéciale avec la présence de Lula et
commence par la phrase suivante : « habitants des favelas, ouvriers, cireurs de
chaussures : un des vôtres est devenu président du Brésil ». Lula est présenté
comme un lutteur, charismatique, comme le Président des pauvres, « l’homme
que promet rendre la joie au pays ». Un peuple rempli d’espoir regarde Lula
« et est sa propre image qu’il voit ».
Cardoso lui-même, déclare après connaître le résultats de l’élection, que
le Brésil doit s’enorgueillir pour avoir conduit un « métallo » à la Présidence
et dit sentir une « émotion » de transmettre la bannière présidentielle à un
leader ouvrier. Pour lui, ce fait « peu commun » a une « signification
spéciale ». Celle-ci, selon le sociologue Francisco de Oliveira, est la « ré
8
Lors de la mise en service d’une plate-forme d ‘extraction pétrolifère dans le Bassin de Campos (Rio de
Janeiro, 21 avril 2006) dont la production fera en sorte que le Brésil devienne auto-suffisant, Lula refait le
geste nationaliste de Getulio Vargas de 1952. Après avoir trempé les mains dans le pétrole Lula, arbore ce qui
est devenu dans l’inconscient national le symbole de son indépendance énergétique.
9
Ceux qui l’ont accompagné pendant la campagne témoignent qu’il faut être présent pour mesurer l’intensité
du contact avec les électeurs. A cet égard, une enquête sur les raisons du vote à Lula révèle que seulement
12,2% de ses électeurs ont voté pour lui par opposition à Cardoso, tandis que 13,7% parce qu’ils « apprécient
Lula comme individu » et 34% parce que Lula « est sensible à leurs problèmes ». Conforme sondage faite par
l’Institut Sensus entre le 1° et le 5 novembre 2002.
6
fondation du Brésil » puisque, selon lui, « pour la première fois les dominés
sont entrain de faire l’histoire ».
Tant les autorités officielles comme l’opinion publique saluent à
l’étranger le parcours de Lula et soulignent la signification de sa victoire.10
D’autant qu’elle est annonciatrice d’une lame de fond qui va toucher
l’ensemble de l’Amérique latine. Néanmoins cette perception, ainsi que celle
de l’Europe, contrastent avec le scepticisme de la presse des États-Unis.11
A l’impact de la figure d’un « leader syndical » s’ajoute l’image de
l’homme « pauvre ». Le titre d’un reportage sur Lula du journal argentin
Clarín est révélateur : « un pauvre est Président d’un pays de pauvres ». Lula,
premier civil sans formation universitaire a accéder au poste suprême, est le
portrait de la grande majorité du peuple brésilien.
L’image de Lula colle à son action diplomatique et conduit le
« champion des pauvres »12 à un autre niveau. Dès lors Lula devient le
« spokesman for poor countries » 13 et conduit le Brésil à un activisme sans
précédant dans la scène internationale. Cette action diplomatique trouve dans
la parole un instrument indispensable. Lula perçoit rapidement que l’exercice
du pouvoir est, pour l’essentiel, dans les modernes démocraties de masses e
dans
les
relations
internationales
contemporaines,
un
exercice
de
communication.
10
Dans la lettre adressée a Lula, Jacques Chirac souligne « que la France sait identifier les grands événements
historiques du monde ». De son coté, Jacques Attali explique la victoire de Lula par le fait « que les personnes
ne votent pas uniquement pour un programme, mais également en une personnalité ». Cf. Folha de S. Paulo,
09/11/2002.
11
Le journal The Washington Post considère que la victoire de Lula signale le « désenchantement après des
décennies de réformes par le marché » et « son élection suggère des problèmes pour les réformes préconisées
par les États-Unis – spécialement celles de la zone de libre commerce de l’hémisphère ». De son coté, The
Miami Herald prévoit que « l’élection d’un senior de gauche comme président doit placer le Brésil en route
de collision avec les États-Unis ». Finalement, The New York Times souligne que la victoire de Lula « doit
provoquer un impact à l’étranger, donnant des forces à la gauche en Amérique latine et en rendant encore plus
instables les marchés financiers ».
12
« Les ambitions internationales de Lula président ». Le Figaro, le 13 novembre 2003.
13
« Brazil’s foreign policy : a giant stirs’ », The Economist, le 11 juin 2004.
7
b. La force de la parole
L’arrivée de Lula à la Présidence signifie la victoire d’une nouvelle
perception du monde. Lors de son discours d’intronisation, Lula fait une
déclaration révélatrice de cette situation : « ce moment est le jour des
retrouvailles du Brésil avec lui-même ». Ces retrouvailles sont imprégnées de
symbolismes. Elles dévoilent un temps nouveau. Avant son entré en fonction,
deux Brésil cohabitaient sans se reconnaître. Un, développé, blanc par
adhésion, moderne, adapté au monde de la globalisation, auto confiant et
agnostique. L’autre, sous-développé, de couleur, attaché aux racines du passé
et aux valeurs locales, sous-estimé et mystique. Avec le début du
gouvernement Lula, ces deux Brésil se donnent la main. Néanmoins, il ne
s’agit pas d’un « règlement de comptes », ou d’un «aller à la rencontre » ou
encore d’un « choc contre ». Mais plutôt le « se reconnaître » d’une nation
dans « laquelle le métissage et le syncrétisme s’imposent comme une
contribution originale au monde [...] dans laquelle les Juifs et les Arabes
parlent entre eux sans avoir peur ». Cette rencontre signifierait, également, la
fin de la ligne qu’oppose le Brésil du Sud, riche, au Brésil du Nord, pauvre.
L’élection de Lula est le symbole de la rupture définitive avec une
vision du monde courante dans les pays et chez les peuples qui, au long de
leur histoire, ont été victimes de la colonisation. Soumis avec intermittence et
de façon inconsciente aux valeurs venus d’ailleurs, la dévaluation de la pensée
nationale, la fascination par le goût européen et par la façon de vie aux ÉtatsUnis, le complexe d’infériorité et l’envie d’être l’autre, sont défiés par un
discours qui s’oppose à ces formes d’oppression de la liberté, du savoir faire et
du savoir être national. Pour Lula
8
« Le Brésil est capable de beaucoup donner à soi-même et au monde. Pour
cela nous devons être exigeants avec nous mêmes. Nous devons exiger même
davantage de que ce nous pensons possibles, car nous nous sommes pas encore
totalement exprimés, parce que nous n’avons pas encore accompli la grande
mission planétaire que nous attend. Le Brésil, dans cette nouvelle phase historique,
sociale, culturelle et économique, devra compter, surtout, avec soi-même ; il devra
réfléchir avec sa tête ; marcher avec ses jambes ; écouter ce que son cœur lui dit ».
Lula invite la nation brésilienne a affirmer, face à l’étranger, « sa
présence souveraine et créatrice ». Dans cet esprit, ses affaires extérieures
doivent s’inspirer en l’humanisme et refléter «aspirations de changement qui
se sont manifestés dans les rues ».
Le marché observait de manière attentive les paroles du Président élu
qui, selon Paul O’Neill – alors Secrétaire du Trésor des États-Unis – devrait
donner des garanties « qu’il n’est pas un fou ». L’image de « l’ancien métallo
de gauche »14 et son discours avec des relents de nationalisme, provoquait plus
peur qu’espoir à certains milieux d’affaires et financiers. La crainte palpable
serait celle de voir Lula devenir un leader populiste, nationaliste et autoritaire.
Or ces crantes ont été infondés.
Lors de son premier discours officiel en tant que Président élu, Lula
soutien que son futur gouvernement ira respecter les contrats, maintenir la
stabilité financière et faire preuve de responsabilité dans l’administrations des
comptes de l’État. C’est de la musique pour le Fonds monétaire international
(FMI) et les créanciers du pays. En fait, la grave crise des finances publiques
provoquée par la gestion hasardeuse lors du deuxième mandat de Cardoso est
attisée par les craintes suscitées par une éventuelle victoire de la gauche. La
14
Ainsi identifié par The Wall Street Journal.
9
délicate situation oblige tous les candidats a souscrire, pendant la campagne
électorale, la « lettre d’intentions » adressée au FMI.
Par conséquent, même avant sa victoire, Lula avait déjà indiqué de
manière limpide qu’elle serait la politique économique à suivre. Certainement
le succès de sa mise en œuvre a imprimée une constante régularité dans les
rapports économiques extérieurs du Brésil, a permis dégager des surplus
historiques dans les échanges commerciaux et a accordée une crédibilité
internationale à l’administration Lula. En plus, la normalisation des relations
avec le FMI et le récent remboursement de la totalité des emprunts consentis,
inclus ceux de l’arrangement Brady, a permis s’attirer les capitaux et
l’insertion responsable de l’économie brésilienne dans la mondialisation.
Néanmoins, face à la crue réalité de l’exercice du pouvoir, Lula présente
les limites de sa politique économique : « le marché doit savoir que les
Brésiliens doivent manger trois fois par jour ». Ce commentaire, apparemment
prosaïque, révèle un sujet central de ses discours, de son dialogue avec le
marché e de son action politique internationale : le combat contre la faim.
Pour lui, ce sera un « bon combat » car il s’agit de défendre « les exclus, les
discriminés, les humiliés, les offensés ». Pour le faire il faudra construire une
nouvel ordre économique international capable de « diminuer les injustices,
les croissantes distances entre les pays riches et pauvres, ainsi que juguler
l’instabilité financière international ».
En fait, Lula veut changer le visage de la mondialisation pour qu’elle
devienne « solidaire et humaniste », c’est-à-dire exactement le contraire de
l’actuelle marquée par « l’injustice et l’exclusion ». Pour Attali, en élisant
Lula le Brésil « signale au monde que la pauvreté est le principal ennemi de
10
l’humanité et que son combat doit être la priorité de tous les gouvernements
du monde ».15
2. De l’abstraction à l’action
L’action extérieure du Brésil sous Lula est marquée par une intense
activité diplomatique déployée sur trois niveaux : la politique étrangère
classique, la politique internationale et la politique mondiale. Ces activités
sont complémentaires et peuvent être présentées par la figure suivante :
La politique mondiale
La politique internationale
La politique étrangère
15
Cf. Folha de S. Paulo, 09/11/2002.
11
a) La politique étrangère
La politique étrangère – avec ses sujets traditionnels et dont aucun État
ne peut se passer – comprend les aspects suivants: le commerce bilatéral, les
investissements, l’utilisation des mécanismes de solution de litiges au sein de
l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les efforts pour maintenir des
bonnes relations avec le voisinage, la reconnaissance des asymétries du
pouvoir sur le plan international et les initiatives pour amoindrir ses effets,
l’insistance sur le rôle du Droit et du multilatéral ainsi que le maintien d’une
large palette de coopération cherchant à répondre aux défis politiques,
économiques et technologiques de l’actuel moment du Brésil. Il s’agit d’une
diplomatie qui trouve ses assises dans l’histoire de l’insertion internationale du
pays. Elle est sans surprise et une preuve de la continuité de l’État.
Cet aspect de la diplomatie de Lula s’explique par son pragmatisme et
par les leçons des échecs de la gauche latino-américaine lorsqu’elle arrive au
pouvoir. Le souvenir d’Allende au Chili est encore vivace et Lula sait que sa
victoire électorale – événement unique dans la politique brésilienne – doit être
évaluée également par la froideur des chiffres. Or, face à ses 53 millions de
votes nous avons une masse de 54% d’électeurs dûment inscrits qui n’ont pas
voté en lui, ce que représente 62,5 millions de votes (opposition, nuls, blancs
et abstentions). Par conséquent, face à la légitimité du vote que le conduit au
Planalto il y a également le vote qu’il n’a pas reçu. Les dissidences partisanes
au sein du PT sont en partie expliquées par le choix de cette voie. D’autres
chemins étaient possibles mais Lula n’a jamais entendu le chant de ces
sirènes.16
La lutte pour le respect des principes du Droit international conduit le
Brésil a condamner l’administration Bush – il fut le seul pays à le faire –
16
Consulter l’éditorial élogieux du Monde au modèle brésilien : « Lula ou Chavez », le 13 avril 2006.
12
lorsqu’elle a remis en cause des principes juridiques élémentaires, par sa
nouvelle politique d’immigration et de concessions de visas pour les étrangers
prétendant entrer sur le territoire des États Unis ; Brasília a aussitôt décidé de
recourir à l’un des piliers du droit international, à savoir le principe de
réciprocité, et a donc imposé des contrôles semblables à l’entrée des citoyens
de nationalité étasunienne sur le territoire brésilien.
La diplomatie du président Lula n’a cessé de participer aux efforts
collectifs – dans les cadres de l’Organisation des États Américains (OEA), du
Groupe du Rio ou encore du Mercosur – ou bilatéraux afin de résoudre les
crises de gouvernance qui touchent, en plus du Venezuela, des États de la
région (Pérou, Bolivie, Équateur, Paraguay). Le principe est toujours le
même : offrir ses bons offices avec l’accord de toutes les parties concernées et
s’efforcer de maintenir les institutions démocratiques et l’État de Droit.
En fait, la région sud-américaine « est la priorité entre les priorités » du
gouvernement Lula. Cette politique est faite de lumières et d’ombres. Parmi
les premières il faut souligner la mise en marche de l’IIRSA (Iniciativa para a
Integração da Infraestrutura Regional Sul-americana) afin de construire,
récupérer ou moderniser les transports, le système d’énergie et de
communications de l’ensemble de la
région. Ce programme n’est pas
nouveau puisque le gouvernement Lula l’a hérité de l’administration
précédente.17
On assiste également aux prémisses d’une politique sud-américaine de
l’énergie avec la possible mise sur pied de la Petrosud (société réunissant
l’YPF argentine, la Petrobras brésilienne et la PDVSA vénézuélienne) et la
construction d’un gazoduc entre le Vénezuela et l’Argentine.
17
Pour plus d’informations consulter le site http://www.iirsa.org
13
Pour faire face à la ZLEA sous l’inspiration de Washington, le Brésil
présente la CASA (Communauté sud-américaine des nations) et Chavez, de
son coté, propose l’ALBA (Alternative bolivarienne pour les Amériques).
Même si aucun de ces deux modèles n’a recueillie l’appui sans faille de la
région ils ont, néanmoins, mis en échec la proposition des États-Unis.
Parmi les secondes il faut souligner que la proposition de la CASA
porte préjudice au Mercosur. Celui-ci est, sans aucun doute, le grand perdant
de la stratégie diplomatique de Lula. Bien que le Brésil juge nécessaire de
réagir à toute tentative d’hégémonie unipolaire dans les Amériques, il ne
reconnaît pas le rôle majeur dévolu au Mercosur. Au contraire, pour Brasília,
le Mercosur n’acquiert qu’une dimension tactique et c’est à la CASA que doit
incomber le choix stratégique.
Le Brésil de Lula résiste – comme ont résisté toutes les administrations
précédentes – à l’idée de consolider le Mercosur en tant qu’organisation
d’intégration régionale. Il appuie la simple juste-position des propositions
nationales clairement inconciliables. En effet, tandis que certains États
(l’Uruguay et le Paraguay) veulent rendre plus profonde l’intégration a travers
des politiques compensatoires et des institutions communes, le Brésil et, dans
certains cas, également l’Argentine, préfèrent une intégration essentiellement
commerciale.
b) La politique internationale
Il y a une politique de porté internationale lorsqu’un État, à partir d’une
volonté politique et d’une capacité humaine et matérielle, est capable d’agir
sur l’ensemble du système international. En fait, cette action cherche a sortir le
pays de son d’une réduite aire régionale et ouvrir ses horizons. Dans le cas du
Brésil sous Lula les deux grands axes de cette activité diplomatique sont,
14
d’une part, la lutte pour le renforcement du système multilatéral et d’autre part
une politique tournée vers les pays du Sud.
Le système politique multilatéral subit profonde crise après la césure
provoquée par la crise irakienne. Le Brésil s’est opposé à la guerre de l’Irak et
a fait valoir que si les États qui ont envahi ce pays l’ont fait sans le concours
de l’ONU, pour en sortir ils devront compter avec le système des Nations
Unies.
Mais, il ne suffit pas condamner l’usage unilatéral de la force. Il faut
participer aux efforts pour trouver des solutions pacifiques aux crises. Ceci
explique le fait que le Brésil ait accepté – de manière inédite – le
commandement des troupes des Nations Unies qui garantissent la stabilisation
militaire et sécuritaire ainsi que la médiation politique en Haïti.
Prenant conscience que les pays du Sud ont été le théâtre de la grande
majorité des conflits après 1945 et qui, au même temps, ils ont fait
démonstration de leur incapacité d’y apporter des solutions, le Brésil perçoit
que l’affaire haïtienne doit également servir de laboratoire afin de construire
un nouveau modèle de médiation des conflits capables de prendre en compte
la réalité et les intérêts des pays du Sud.
Parmi les caractéristiques esquissées par ce modèle il y a, d’abord, une
nouvelle méthode d’intervention avec un bas niveau de violence et un effort
constant de respect pour les Droits de l’homme et la protection de la
population civile. Ensuite, il y a la perception des liens existants entre les
affaires sécuritaires (militaire et les cas de Police), l’absence de dialogue
politique entre les partis et groupes et la situation sociale (pauvre ou
misérable). Donc, il s’agit de mener des opérations prenant en compte ces trois
niveaux de problèmes y proposer des solutions globales.
15
Enfin, les moyens matériels et financiers dont disposent les États
intervenants sont limités. Pour cette raison l’idée consiste a faire en sorte que
les États riches de la communauté internationale contribuent à la solution de
ces problèmes de nature sociale et économique.
Au-delà de la participation aux missions de paix, il faut également
refondre le système de prévention et solution des litiges dans le cadre du
Conseil de sécurité (CS). Il lui faut accorder plus de légitimité travers son
élargissement. Donc, le Brésil se propose à faire partie de manière permanente
du CS des Nations Unies. Dans un premier temps, pour convaincre le plus
grand nombre possible de pays à appuyer sa prétention, Brasília a déployé une
tactique bilatérale.
Afin de contourner l’obstacle argentin, car Buenos Aires s’oppose à
l’entrée du Brésil au CS, puisqu’elle signifierait une rupture du fragile
équilibre stratégique sud-américain, le Brésil de Lula décide former le Groupe
des 4 (G4) composé, outre du Brésil, de l’Allemagne, de l’Inde et du Japon.
L’impact positif de la démarche collective est amoindri lorsqu’on songe
aux oppositions qu’elle fait naître. Ainsi, le Pakistan, l’Italie et surtout la
Chine, émettent des sérieuses réserves. En plus, l’absence d’un candidat
africain dans le groupe est également source de mésentente. Par conséquent,
l’objectif brésilien devient une prétention encore plus difficile d’atteindre et
augmente les possibilités de formation de coalitions anti-réforme18.
L’envie de prendre une place plus grande dans les affaires du monde a
également conduit le Brésil à postuler à la direction de plusieurs organisations
internationales (OMC et BID). Chacune de ces candidatures a échoué.
18
Comme prévu, aucun signe de réforme du CS n’a pu être dégagé lors de la 60ème Assemblée Générale de l’ONU. Cette
question, malgré les rassurantes déclarations diplomatiques brésiliennes a été, encore une fois, remise aux calendes
grecques. Par ailleurs, il faut noter que l’Argentine a pris la tête d’un mouvement anti-G4 tandis que l’Afrique propose
autre modèle de réforme.
16
Néanmoins elles ont le mérite de dévoiler la stratégie d’y être présent dans
l’ensemble des organisations qui comptent afin d’imprimer sa vision du
monde et défendre ses intérêts nationaux. On est bien loin de l’attitude
nonchalante des administrations précédentes où l’inaction était un des
principes-forces qui commandait alors la position internationale brésilienne.
En plus de l’utilisation des rouages de l’OMC, le Brésil a réussi un pari
tenu comme impossible. En effet, à la recherche d’ une « nouvelle géographie
commerciale », Lula dessine une autre carte économique du monde. La grande
manœuvre de cette diplomatie commerciale se déroule au Sommet de l’OMC
a Cancun (septembre 2003). Elle a permis de rassembler les principaux pays
émergents et en voie de développement pour créer un front commun pour faire
face aux États-Unis et de l’Union Européenne. Cela s’est traduit par la
création du Groupe des Vingt (G20) dont le Brésil prit la tête. Le G20 n’est
pas, à la différence du Mouvement des États non Alignés (MENA) des années
1960/70, un mouvement idéologique contestant l’ordre international. Bien au
contraire, il est de caractère pragmatique. Sa stratégie consiste à réunir
suffisamment de forces pour supprimer ou réduire les barrières d’accès aux
marchés des pays industrialisés. Le G20 cherche aussi à fonder des relations
économiques, scientifiques et culturelles au sein d’une inédite coopération
Sud/Sud.
Brasilia est donc à la tête d’une entreprise osée qui contrarie le
scepticisme de la plupart des experts quant à la formation des coalitions
d’États dans l’enceinte des négociations commerciales multilatérales. Non
seulement le G20 est né, mais il a vite constitué un nouveau pôle de pouvoir et
s’est imposé, dans le cadre du cycle de Doha, comme un forum constructif et
incontournable pour la suite des pourparlers.
17
Au cours de ces négociations commerciales, la diplomatie brésilienne a
principalement œuvré pour une meilleure ouverture des marchés des pays
riches aux produits agricoles provenant du reste du monde. Elle s’est
également opposée à l’inclusion des services culturels et d’éducation – surtout
l’enseignement universitaire – dans la catégorie des biens susceptibles d’une
libéralisation des échanges.
Au-delà des évaluations divergentes sur les raisons des avancés
commerciaux brésiliens, la question qui se pose est la suivante : Lula est-il en
passe de réussir son pari de créer « une nouvelle géographie commerciale » ?
Répondre à cette question oblige à comparer les situations avant Lula et à la
fin de sa troisième année de mandat. Même si les traditionnels partenaires
commerciaux du Brésil continuent peser d’un poids très important, il noter la
croissance des importations des États émergents ou en développement.
Principaux importateurs du Brésil (en %) 2002/200519
Pays importateur
États-Unis
Pays Bas
Allemagne
Chine
Mexique
Argentine
Japon
Belgique
Italie
Royaume Uni
France
Chili
Russie
Espagne
Corée du Sud
Venézuela
Canadá
19
2002
25,34
5,23
4,50
4,16
3,88
3,86
3,46
3,11
3,00
2,92
2,52
2,42
2,07
1,82
1,40
1,31
1,29
2005
18,63
4,38
4,21
5,64
3,36
8,24
2,90
1,90
2,70
2,15
2,13
3,75
2,41
2,52
1,56
1,90
1,62
Source: Brésil, Ministère des Finances, Receita Federal.
18
A l’exception du Canada et de l’Espagne, tous les pays industrialisés
ont vu diminuer leur rôle d’importateurs dans la balance commerciale
brésilienne. Dans un sens inverse, des pays du Sud augmentent leurs achats
même si les pays membres de l’Union Européenne et les États-Unis
demeurent les deux principales destinations des exportations brésiliennes.
Alors que la Chine n’accueillait en 1990 que 1,2% des exportations
brésiliennes, cette part s’est élevée à 5,64% en 2005.
Encore dans le versant de son intérêt accru pour le Sud, la diplomatie
brésilienne prenait une initiative originale : créer un instrument de coopération
Sud/Sud avec l’Inde et l’Afrique du Sud, appelé Groupe IBAS ou G3.
Autre initiative inédite : alors que depuis des années en Amérique du
Sud, particulièrement au Brésil, les diplomaties ne s’intéressaient guère aux
pays arabes20 (désintérêt que la diaspora d’origine arabe, nombreuse et
influente dans la région, ne comprenait pas), Brasília a proposé, organisé et
accueilli en mai 2005 le premier Sommet Amérique du Sud / Pays Arabes.
L’appel des brésiliens à participer à ce Sommet a été entendu puisque pas
moins 34 pays y ont pris part, la majorité d’entre eux étant représentés par leur
Chef État.
Un des aspects le plus révélateurs de la diplomatie de Lula consiste en
une analyse de ses déplacements à l’étranger et sa comparaison avec ceux de
Cardoso. Ils sont significatifs de leur vision du monde et des intérêts qu’ils
croient être nationaux. Ainsi, sans prendre en considération les déplacements
en Amérique du Sud, la figure ci-dessous démontre une nette préférence de
Cardoso pour l’Occident développé, révélatrice d’un alignement sans faille.
20
Ainsi, aucun pays arabe n’a reçu la visite du président Cardoso au cours des 92 voyages officiels accomplis en huit
années de mandat.
19
Déplacements deCardoso à l’étranger – 1995-2002
13
pays
industrialisés
pays en
développement
39
Par ses voyages à l’étranger Lula, au contraire, pratique une diplomatie
œcuménique, très différente de celle de Cardoso.
Déplacements deLula à l’étranger – janvier 2003/mars 2006
34
30
pays
industrialisés
pays en
développement
Plus que leur nombre, ce qu’il faut souligner dans le cas de Lula est
l’équilibre qu’il trouve, lors de ses déplacements, entre les deux mondes. Par
conséquent, la diplomatie de Lula ne doit pas être considéré comme une
diplomatie tiers-mondiste.
Lorsqu’on prend en considération l’entour immédiat sud-américain, le
déséquilibre du choix de Cardoso est encore plus frappant comme le démontre
la figure ci-après.
20
Cardoso – 1995-2002
Amérique du Sud
13
40
pays
industrialisés
pays en
développement
39
Par contre, les destinés des déplacements de Lula présentent un grand
équilibre.
Lula Janvier 2003-mars 2006
Amérique du Sud
34
35
pays
industrialisés
30
pays en
développement
Cette figure est le reflet, d’abord, de l’intérêt suscité par l’Amérique du
Sud. Ensuite, la place considérable des pays du Tiers Monde visités doit être
comprise, d’une part, en raison du grand nombre d’invitations et de l’impact
provoqué par la diplomatie de Lula et, d’autre part, par son effort afin de
remplir un véritable vide diplomatique suite à une indifférence historique du
Brésil vis-à-vis du Tiers Monde. Enfin, cette diplomatie ne méconnaît pas
21
l’importance des pays industrialisés. Par conséquent nous sommes face à un
parfait équilibre entre ces trois aires géographiques.
c) La politique mondiale
S’il prend les rênes de État avec le vote de gauche, Lula fait une
administration plutôt tournée vers le centre – voire le centre-gauche – sauf en
ce qui concerne sa politique étrangère. Dans ce domaine il parcoure
résolument un chemin insoupçonné car novateur et osé. L’extraordinaire
dimension diplomatique – donnant même l’impression de faire feu de tout
bois – n’est possible, comme nous l’avons déjà signalé, qu’avec le concours
actif du Président. Sa présence, plus que physique et politique, prend une
dimension symbolique. On pénètre alors, dans la politique mondiale. Plus
qu’un Chef État soucieux de défendre ce qu’il croit être les intérêts nationaux
ou encore inscrire des nouveaux sujets et élargir les horizons nationaux, Lula
s’intéresse pour les problèmes de l’humanité toute entière.
Donc, cette
dimension de son action extérieure – soutenue par un raisonnement,
philosophique, moral et éthique – s’adresse aux humains par-dessus les États.
Lula devient un acteur individuel des relations internationales. Il peut le
faire et avoir une audience en raison d’une légitimité amplement reconnue.
Lula devient, à l’instar de certains Prix Nobel, un « prophète » et le porteparole de tous les humains, spécialement les pauvres et misérables. Les sujets
qu’il évoque ont trait à sa quête pour rendre le monde moins injuste et
inhumain: la guerre, les épidémies, l’accès aux médicaments, le sousdéveloppement, les injustices, les violations des droit de l’homme, etc.
22
Conclusion
Le chemin emprunté par Lula n’est ni celui de Chavez ni celui de
Kirchner et encore moins celui d’Evo Morales. Brasilia opte pour une rupture
dans la continuité de la diplomatie de la présidence Lula. Ce choix est à
l’image de son action intérieure, c’est-à-dire, réformiste. Elle décèle les
imperfections du système mais n’aspire pas à le refondre : il est perçu comme
étant perfectible et Lula s’évertue d’y contribuer.
L’intérêt qu’éveille la diplomatie du Brésil de Lula découle du fait que
le pays a une tradition bien ancrée. Marquée par un alignement inconditionnel
aux États Unis (sauf à des rares épisodes), par un profil bas dans le système
international, par une attitude très modérée – mue quelquefois en une
opposition ouverte – face aux demandes des pays en développement et par une
méfiance, teintée de scepticisme, avec tout ce que peut venir du monde
hispano-américain.
Le Brésil a toujours cru en la possibilité de sortir son épingle du jeu
international par le biais de relations particulières avec certains pôles. Ainsi il
a choisi, au fil de son histoire, quelques points de repère : le Chili en
Amérique du Sud, les États-Unis dans le Nouveau Monde, l’Allemagne en
Europe et le Japon en Asie.
La fin de la Guerre Froide et le monde qui surgit des cendres des Tours
Jumelles modifient en profondeur la donne. En plus, il est permis à la
périphérie – lorsqu’elle se donne des règles démocratiques – d’avoir des
processus électoraux dont les résultats débouchent sur des véritables
alternances au pouvoir. Lula et sa diplomatie œcuménique résultent de ce
mouvement.
Nous n’assistons donc pas à « l’année zéro » de la diplomatie
brésilienne comme veut le faire croire l’opposition. Il n’y a pas eu de « table
23
rase ». Il y a, simplement, la manifestation d’un président d’origine ouvrière
qui a su transmettre au monde sa sensibilité sociale, avec des formules-chocs,
un franc-parler débonnaire et simple. La sympathie suscité par Lula l’a
conduit au rang des personnalités marquantes de l’actualité mondiale. Sa
politique internationale y est pour beaucoup.
Néanmoins, trois questions se posent. D’une part le Brésil saura-t-il
donner suite et efficacité à une œuvre diplomatique que fait feu de tout bois ?
Ou, au contraire, lorsque la même alternance qui a conduit Lula au pouvoir
opèrera un nouveau changement, les promesses ne deviendront-elles des rêves
avortés ? A cet égard, il semble que les politique internationale et mondiale
actuelles sont tributaires de la figure présidentielle et de son équipe
diplomatique.
Quant à la stratégie brésilienne de contestation de l’ordre politique et
sécuritaire actuel ne conduit-elle pas Lula à se tromper de combat ? Est-ce que
ce sont les questions de la grande politique internationale qui doivent
intéresser le pays et le monde en développement ou, au contraire, est-ce une
plus grande efficacité dans la coopération socio-économique, scientifique et
culturelle qui est le mieux à même de répondre à leurs aux véritables besoins ?
Enfin quelles seront, pour la diplomatie du président Lula, les
conséquences de la crise qui secoue, dès avril 2005, les institutions
brésiliennes, son gouvernement et son parti ? Nous avons souligné qu’en
affaires internationales les images et les paroles y sont pour beaucoup. Dans
cette perspective il est a craindre que les outils diplomatiques dont dispose
Lula tendent à se rétrécir.
Néanmoins, il serait intéressant de voir – lors d’un deuxième mandat –
quelles seraient les limites et les résultats de cette diplomatie osée conduite par
24
un acteur, certes marginal, mais décidé a renverser la perspective stratégique
que fût celle de son pays dès l’aurore de l’indépendance.
25