prologue - Je livre mon histoire.com
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PROLOGUE Croire, vivre, mourir, les trois grands axes de l'existence. Croire parce que nous nous bornons à avoir foi en des choses qui n'ont parfois pas de sens mais qui nous aveuglent. Je pense à la religion. Étant croyant, je ne dirai pas qu'elle est insignifiante, cependant. Il faut tout de même voir et croire que l'homme l'a créé pour quitter sa solitude et se laver de tout le mal qu'il fait. Mais en réalité, qu'est-ce que le mal ? Encore une notion à laquelle il faudrait croire – On ne juge pas. La vie parce que c'est ce qui nous permet d'exister, entre autre et surtout d'être conscient. Une notion plutôt large que je n'ai assez exploitée... Enfin, la mort parce que tous nous y passerons, d'une manière ou d'une autre. Ce sont, du moins, les axes de la mienne. Je suis construit sur ces bases et toutes je les ai traversées : la vie, la croyance et enfin la mort. Petite devinette, où suis-je ? Vous découvrirez par vous-même car mon histoire ne se résume pas en une ou deux lignes. Mais 1 commençons par le début (Comme c'est logique!), shall we ? Admettons que l'on devrait croire que le monde n'est pas ce qu'il paraît être. Que resterait-il de toutes vos croyances ? De tout ce que vous pensiez savoir ? À vrai dire, rien du tout. Vous croyez tous en ce que vous voyez et au plus, à une certaine forme de transcendance ? Pourquoi ne pas croire en ce que moi je suis si vous osez – sans hésiter – croire à quelque chose dont vous n'êtes même pas sûr de l'existence ? Le monde dans lequel nous vivons tous n'est qu'un fard, un tissu de mensonge qui voile la réalité et son contenu réel. Si vous ne parvenez pas à adhérer à ce que je vous raconte, alors tracez votre chemin et ne vous arrêtez surtout pas même si vous serez secoués de remords. Ne me lisez pas. Ce ne serait qu'une perte de temps. Ce qui est légendaire ou mythologique n’est pas plus illusoire que notre monde. Celui-ci fut peuplé par diverses créatures humanoïdes et animales qui se firent la guerre pour des territoires. Le seul survivant de ce conflit inter-espèce fut l'homme : un être vil gouverné par son amour propre. Idéologiquement, cet être vivant n'est pas au-dessus de tout. Au contraire, il est faible, méprisable et seulement capable de juger et d'agir par des lois qu’il a lui-même érigé. Ne serait-ce pas une marque de leur faiblesse pour contrôler les plus forts, les lois ? Il est lâche et a des armes par lesquelles il peut tout détruire sans l'ombre d'un doute. Il n’est plus qu’une vulgaire marionnette de la technologie. Par conséquent, il ne garde plus aucun lien avec la nature qui l'a pourtant engendré. Il la détruit peu à peu, chaque 2 jour un peu plus. Cette espèce ne vit plus que d’artifice. Pour ma part, je les déteste tout autant qu’ils sont, ces humains, et par tous leurs aspects. Qu'ils soient enfants ou adultes, ils sont pourris depuis la moelle épinière et depuis le fondement de leur âme. Ce ne sont que des bouts de chair qui ne sont pas capable d'être bon. Leur seule qualité, c'est d'être mauvais. Parlons d'une qualité. Ils brisent l'équilibre naturel et bientôt la Terre mourra avec eux, avec moi. Maintenant, à mon époque, tout a changé. La majorité des civilisations a oublié que les personnes comme moi avaient un jour existé. En effet, il ne semble plus exister d'autre créature que l'être humain. Ces parasites sont désormais des milliards sur Terre. Ils se reproduisent encore plus vite que des rats, et se retrouvent dans la misère parce qu'il y a même un déséquilibre dans leur espèce. D'autres sont gorgés de nourriture, d'argent, et d'autres ont à peine quelque chose à se mettre sous la dent. Je subis tous les jours, depuis que je suis enfant, diverses attaques d'ampleur toute différente. Une changea ma vie entière. Dites-vous qu'ils font cela sans connaître ma nature, alors qu'en sera-t-il si par malheur un jour ils l’apprenaient, hein ? La paix ne pourra jamais voir le jour. Les humains sont beaucoup trop têtus et lorsqu'ils voient, disons, un danger, ils se démènent pour l'exterminer, pour l'anéantir. Lisez leur histoire. Tous les génocides perpétués sur d'autres hommes qualifiés de « soushommes », juste parce qu'ils étaient d'après eux, différents, et qu'ils ne voulaient pas admettre qu'ils ne différaient pas moins d'eux. Ou bien le malheur, le fléau, qu’ils ont porté en 1492 lors de la soi-disant 3 Découverte du nouveau monde par Christophe Colomb – Il serait mieux de préciser que ce dernier n'a pas été la première personne à découvrir ce territoire. Les créatures surnaturelles s'y étaient installées bien avant. Toutes les maladies qu’ils ont emmenées avec eux, sur un territoire si sain et naturel. Le peuple qu’ils ont décimé volontairement. Mais le meilleur exemple pour illustrer l'homme et que je ne peux sans aucune façon oublier, c'est Adolf Hitler. Autrement dit, celui qui a détruit des vies entières. Il est le stéréotype même de l'homme. Je le répète encore, l'homme n'est pas bon, et encore moins perfectible, comme plusieurs d'entre eux pensent. Ils sont également vicieux. Ils ne vivent que pour le plaisir de la chair. Regardez tous ces violeurs qui prennent plaisir à faire souffrir les femmes avec leurs actes et leur sexe. Quel plaisir peut-il y avoir en blessant une femme, en lui faisant du mal ? Voyez tous ces couples qui divorcent pour cela. À part que je m'appelle Keween Hobbs et que je suis un sorcier, je ne sais pas qui je suis. J'avais quinze ans quand tout a commencé. Je n'aurais jamais cru, même si c'est ce que je désirais, que ma vie aurait été aussi prompte. Je suis tout de même hors du commun. Je n'aime pas le foot, comme les autres garçons, je n'aime pas sortir ou m'amuser. Je n'ai pas de père, comme les autres. Je suis vide, tout comme mon existence. Qu'est-ce que je fais sur Terre ? Je n'en ai réellement aucune idée. Qui je suis ? Je n'en sais rien non plus. Chaque jour, un désir emplit tout mon être et, disons, comble tout le vide à l'origine insatiable. Mais si seulement vous le connaissiez... Il me pousse à faire des choses pour 4 arriver à un seul but : la mort. Vous, lecteurs, je vous demande d’oublier, de réduire à néant votre condition humaine, et d’entrer dans mon monde, dans ce monde dont vous n’aviez, jusqu’à maintenant, pas conscience. Dîtes vous que vous n’êtes pas humains, que vous refusez de l’être, car aucun d’eux n’est le bienvenu. Oubliez tous ce que vous pensiez savoir dans votre vie d'humain. Vous comprendrez tout à l’heure… Qu'on soit clair, je n'ai pas eu d'hallucinations – et je n'en ai toujours pas. Les personnes qui auront croisé mon chemin vous le diront. Je ne suis pas fou. Poussons les limites établies jusqu'au-delà de leurs propre limites. 5 1 Keween — Pardon, vociférai-je en me frayant un chemin entre les corps en plein mouvement, rattrapé par la musique assourdissante. Pardon. Les ondes et les sons furent avalés lorsque je claquai la grosse porte en ferraille. Qu'est-ce qui m'avait pris pour faire une telle bêtise. Je lorgnai les alentours en quête d'une personne que je collerais pour faire la route jusqu'à chez moi – qui sait où est-ce que ça m'aurait emmené. Une vague de vent me fusilla et m'octroya une bonne chair de poule sur mes bras découverts. Bon, je ne la ressentis pas vraiment en raison des litres d'alcool que j'avais avalé la tête à l'envers sur le fût. Une bonne manière d'enterrer ma vie de collégien. On aurait quand même pu y songer plus tôt dans l'année et non pas à un jour de... Oh, je ne m’en rappelle même pas. Je serrai mes bras contre moi et m'entourai le torse lorsque le second frisson se fit ressentir, et je partis seul dans le noir. Plutôt effrayant, mais je ne comptais pas rester ici jusqu'au lendemain. Je regrettai inopinément les musiques électroniques qui n'avaient cessé de passer en boucle ce soir. Là encore je m'étonnais. Le froid se révélait davantage paralysant et avec mon tee-shirt, je 7 n'étais, sans l'ombre d'un doute, pas assez armé. Transi, je m'efforçai de marcher sur le trottoir et non pas dans la rue où les voitures fulguraient. Je n'étais pas très loin de mon domicile – les bâtiments ressemblaient à ceux qui entouraient mon quartier. Toc ! Toc ! Le raisonnement de mes pas explosaient dans mon crâne noyé et quasiment inactif, et ne faisaient que m'engendrer une super migraine. Les lumières guinchaient comme les personnes de la boîte de nuit autour de moi, et n'étaient plus que de petits points, puis d'énormes, lointains et très lumineux. Les réverbères, les arbres et les rues se déformaient et oscillaient comme des serpents. J'empruntai une autoroute pour finir le chemin, du moins le bord, en me faisant klaxonner par les voitures qui me rasaient beaucoup trop tôt. — Connard ! hurlais-je à chaque fois. En fait, j'avais une veste dans la main, mais je crois que j'avais oublié son utilité. Elle était mieux entre mes doigts, peu importe si je crevais de froid. Je commençai à reconnaître les environs avec ce champ jauni de manque d'attention et grouillant de criquets et de leurs chants affreux, qui jonchait l'extrémité de la rue de grand-mère. Je décidai de dévier par ici, moi et mon corps las. Un pas suffit à me faire m'enfoncer dans les hautes herbes qui, de suite, se mirent à se frotter à ma barbe précoce nouvellement rasée qui repoussait déjà. Je poursuivis mon chemin, les yeux presque clos, et un autre pas me fit buter contre un monticule de terre. Bien sûr, maladroit comme j'étais, je m'écroulai sur l'étendue d'herbe trop longue. 8 C'est bon. Je me jurai que je ne bougerai plus d'ici jusqu'à demain matin – et j'étais sincère. La musique résonnait encore dans ma tête et me permettait encore de croire que j'étais dans ce lieu branché dans lequel j'étais parvenu à entrer grâce à mon super-style-enivrant. D'ailleurs, j'avais totalement oublié que j'avais mis mes chaussures-à-os Jeremy Scott – le reste je ne m'en rappelais pas, et que je les avais probablement salies. Il n'y avait aucun doute, vue là où j'avais marché – sûrement de la crotte, et là où je m'étais amusé. Tant pis, j'en rachèterais d'autre. Je sentais enfin le souffle de la nuit tranquillement, et non plus brutalement comme tout à l'heure, et je fermai les yeux. Lorsque je les rouvris, je remarquai que le ciel avait troqué ses couleurs bleu-nuit et violette contre un bleu plutôt clair, virant presque au gris. Des nuages commençaient à le mordre de part et d'autre de ce que ma vision me permettait de voir. Cloué sur quelque chose de pas très confortable, je pivotai ma tête sur les côtés et me rendis compte que je n'étais pas dans mon lit, mais au milieu d'une forêt vierge ou de je ne sais quoi. Je roulai sur le côté et pris la peine de me relever aussi maladroitement qu'habituellement, en me rendant compte que j'utilisai les dernières forces présentes dans mes avant-bras, et rentrai à la maison en titubant un peu. Je tournai la poignée en ferraille du portillon noir, le refermai derrière moi sans faire de bruit – Grand-mère n'était pas au courant de cette excursion dont j'avais eu l'idée seulement quelques minutes avant de sortir, et courus, furibond, jusqu'à la porte d'entrée qui commençait à être éclairée par le soleil qui annonçait 9 son arrivée fulgurante. Ma vessie se contracta et menaça d'exploser. J'enfonçai les mains dans mes deux poches en sautillant sur mes deux pieds et en faisant quelques petits pas de danse pour oublier cette soudaine envie. Je tombai sur mes clefs et les plantai de suite dans la serrure avant de me perdre dans le trousseau. Malgré tous ces efforts, un liquide chaud dévala le long de ma cuisse. Trop tard. Je montai par deux les marches de l'escalier en bois, qui se mit à grincer et à hurler ma venue à grand-mère, trempé, gagnai ma chambre et me couchai sur mon lit avec un soupçon de regret. Je jetai un regard par-dessus mon épaule, et vis cette chose dont la silhouette était semblable à celle d'un humain. Le vent couvrait avec ses cheveux toute sa face. Elle était immobile et m'observait de loin. La désagréable sonnerie de mon réveil m'extirpa brutalement de ce songe. J'enlevai la couette de sur ma tête trempée de sueur en quête de fraîcheur, haletant, puis sur le reste de mon corps et découvris la tache encore humide et évasée sur mon pantalon beige. Je me recroquevillai et lançai mon regard dans tout le reste de la pièce. Tout d'abord, ma paire de chaussures éparpillées sur le carrelage blanc, puis mes manteaux par terre. Chier. C'était pas un rêve. C'était bien de la pisse qui séchait sur mon beau pantalon que j'avais dû payer au moins quarante balles. Je soufflai et me rendis compte que mon haleine empestait un parfum musqué et violent. Quelque chose de brûlant et d'insupportable remonta dans ma gorge. Il n'y avait que moi pour me mettre dans des situations pareilles. 10 Depuis quelques temps, je faisais le même rêve, et ce depuis que j'avais quitté la maison. Cette fille dont je distinguais seulement les cheveux mais pas les yeux ni la couleur de peau. Toujours la même position sans qu'il n'y ait de progression. Le réveil de ma sœur Sabrina sonnait à tue-tête et signait l’arrêt de mon sommeil que j’aurais très bien pu reprendre, tandis qu'elle se reposait sans vouloir entendre son casse-tête de téléphone. Je me résignai à descendre lourdement de mon lit superposé à un autre inoccupé et marchai en chassant mon caleçon et mon jean de mon postérieur. Mes yeux étaient encore plissés, ployant sous la lumière aveuglante qui pénétrait la fenêtre de la salle de bain qui était juste en face de la mienne. J'avais beau dire à grand-mère que cette pièce était trop claire et que, par conséquent, la lumière, lorsqu'elle y entrait, se révélait trop aveuglante, mais elle ne se résignait pas à acheter les sceaux de peinture nécessaires pour que je la peigne. Même les doublesrideaux bleus ne parvenaient pas à l'estomper. Un beau soleil régnait au dehors, ce qui était bon signe. Mais mon envie de gerber s'accentua. Je poussai la porte déjà entrouverte de la chambre de Sabrina et allumai la lumière en claquant mes doigts contre l'interrupteur. Un soubresaut la secoua mais ne la réveilla pas pour autant. C'était un jeu entre nous. Lorsque l'un de nous deux était réveillé avant l'autre, on se devait d'emmerder l'autre jusqu'à son réveil forcé. Je me dirigeai vers la fenêtre que j'ouvris brutalement pour que la poignée ronde en bois couine. Je pris ensuite l'espagnolette dans ma main gauche, pivoté vers elle en attendant qu'elle se réveille, et l'enlevai de l'arrêt en la 11 faisant grincer. Je poussai ensuite le volet qui s'écrasa contre la façade crépie au dehors. Bingo ! Elle ouvrit les paupières progressivement et les plissa au premier contact des rayons du beau soleil de dehors qui m'importunait également. — T'es qu'un salaud, me lança-t-elle d'une voix rauque et qui témoignait de sa fatigue. — Moi aussi je t'aime, dis-je en quittant la chambre. Un coussin s'écrasa entre mes omoplates. — On va voir, ris-je. L'ignorance est la meilleure manière de répondre aux idiotes. Elle m'imita en tordant son petit minois et en simulant des guillemets avec ses doigts fourchus pourvus d'ongles couverts de vernis rose fuchsia, et j'allai directement dans la salle de bain, m'étonnant que ma sœur n'ait pas vu cette abominable tache qui gisait sur la majeure partie de mon jean. Je tirai les rideaux jusqu'à ce qu'ils s'embrassent et je fermai, par la force de la pensée, la porte. C'était une des choses que j'aimais faire : ne pas toucher les objets mais les mouver par une autre force. Je la loquai ensuite et me fis couler un bon bain chaud. Je fouillai mes poches et découvris mon téléphone qui avait, miraculeusement, survécu à cette inondation cosmique. Je le déverrouillai et découvris un message de mon amie Cécilia qui me suggérait de l'attendre pour faire la route. Malheureusement, ce n'était pas dans mes plans alors je l'ignorai et revisitai les anciens, nostalgique du temps passé de l'Autre-côté. Lassé, je libérai un son qui sembla être un soupir et jetai mon portable sur le plan où il manqua de s'échapper dans les trous des lavabos. Je me fis couler un bain tiède pour ne pas suffoquer 12 avec en somme le climat fiévreux. En attendant, je m'assis sur le rebord et me résignai à reprendre mon téléphone pour ne rien faire. C'était un de mes nombreux tocs. J'aimais le garder, le sentir dans le creux de mes mains, mes doigts refermés sur lui-même lorsqu'il ne me servait pas. Ne pouvant plus supporter l'odeur, je quittai mes vêtements et m'enfonçai dans l'eau délicieuse. Ça n'allait plus du tout avec ma mère. Non, je ne pouvais plus rester vivre avec elle et ses merdeux de fils à me morfondre en me laissant frapper. Je devais partir. J'avais pensé à aller chez ma grand-mère, également à Goussainville, une banlieue de Paris, un moment, loin d'eux pour souffler et enfin connaître ce qu'était la liberté, le libre-arbitre. Si j'étais resté ici un moment de plus, j'aurais sans doute perdu le contrôle et commis l'irréparable. Alors autant m'éloigner d'eux une bonne fois pour toute et tirer une page, voire changer de livre. Je n'en pouvais plus d'entendre ma mère s'engueuler avec mes frères, de la voir ingurgiter une quantité astronomique d'alcool qui la mettait, par la suite, dans un état assez alarmant. Il lui était déjà arrivé de me poursuivre dans toute la maison avec un couteau de cuisine. Vous voyez le genre ? Si j'étais parti, ce n'était pas pour revenir de sitôt. Je connaissais les conséquences de mon geste, mais je ne pouvais pas faire autrement. C'était soit partir, soit me laisser battre jusqu'à arriver à la mort. Remarque, cela aurait pu être une bonne idée. Depuis, ils n'adressaient plus la parole à ma grand-mère. Je me rappelais du dernier jour que j'avais passé là-bas. Je courus dans ma chambre faire mes bagages en 13 essayant d'être le plus discret possible. Je voulais leur faire la surprise de mon départ, même si ça n'allait sans doute pas énormément les affecter. Je mis tous ce que je pus dans le sac que j'avais trouvé deux jours plus tôt. Mon frère aîné entra dans ma chambre et je savais que ce n'était pas pour mon bien, je l'avais senti. Son âme empestait la méchanceté et le vice. L'expression sur son visage était mesquine. « Qu'est-ce que tu fais, là ? s'enquit-il, l'air soucieux. — Je ne vois pas en quoi ça te concerne, répondisje, indifférent. — Je vais le dire. — Vas-y. De toute façon, c'est tout ce qu'il te reste à faire. Reste un chien pour elle. Peu m'importe. » Il fit un pas, voulant m'intimider en se pinçant les lèvres, et partit. J'en profitai pour boucler mes valises et commencer à partir. Il revint avec ma mère. Elle tenta de m'empêcher de fuir en m'arrachant mes paquets des mains et en me mettant des coups. Son corps et ses vêtements dégageaient l'odeur méphitique de l'alcool comme si ils avaient été lavés dedans. Elle arrêta et me regarda dans les yeux avec rage en voyant que je n'avais pas réagi aux coups qu'elle m'avait mis. « Combien de temps encore tu réprimeras ta vraie nature ? lui demandai-je, la fixant de mes yeux bruns. Tu ne te rends même pas compte que tu sers les humains, à commencer par tes fils. Ils ne perdront pas leur temps pour dévoiler à tout le monde ce que tu es réellement. — J'ai su dominer le démon qui était en moi parce que je le voulais. — C'est tout ce que j'ai, alors je le garderai jusqu'à la 14 fin. — Pas sous mon toit. » Je pris mon sac plein et je partis sans regret en embarquant ma jumelle, Sabrina, avec moi. De toute évidence, je n'étais rien sans elle, et vice versa. Nous marchâmes longtemps, jusqu'à atteindre le côté que nous n'avions pas droit de fréquenter. Je regardai tout autour de moi et me faufilai sous le grillage en rampant puis j'appelai ma grand-mère sur le chemin. Il fallait que je la prévienne et qu'elle nous inscrive au plus vite au lycée. Arrivé, je sonnai à sa porte. Elle nous ouvrit et nous accueillit chaleureusement. Elle connaissait déjà tout le problème. Comment ? Grâce à sa nature. La rentrée — J'entrais en seconde au lycée de proximité, Romain Rolland. Un établissement qui avait une très mauvaise réputation. D'ailleurs, il avait plus l'air d'une prison que d'un lycée. Les façades étaient d'un gris maussade, les portails, noirs, et les fenêtres presque toutes cassées. Quand l'eau refroidit, je quittai la baignoire et me séchai en me rappelant que j'avais oublié de prendre mes vêtements avec moi, dans la salle de bain. Je nouai une serviette autour de ma taille en prenant soin de vérifier qu'aucune forme ne se soulignait, déloquai le verrou et m'échappai doucement par la porte entrebâillée qui décida de gémir. Ma sœur sortit et se mit à rire en me voyant presque nu. — Tu rigoles devant ce corps d'Apollon ? l'interrogeai-je en faisant osciller mes pectoraux. — De quoi tu parles ? railla-t-elle. — Je parie que j'en ai plus que toi tu as de sein. 15 Son regard se fronça et s'assombrit. — Connard ! Tu ne perds rien pour attendre. Elle me poursuivit, les mains braquées à l'avant pour tirer ma serviette. Je dévalai les escaliers et atteignis le salon, qui ressemblait d'autant plus à une salle d'alchimie qu'à une pièce ordinaire. Il y avait des étagères surmontées de fiole remplie de liquide qui jonchaient les murs. Je courus autour de la table. Ma sœur bousculait les chaises pour me faire obstacle. Grand-mère apparut au seuil de la porte de la cuisine avec un tablier fleuri et une cuillère en bois. Elle portait une jupe bleue-violette et une chemise blanche. Ma mamie était une femme très élégante. La plus belle de toute, à l'exception d'une. Elle devait sa peau claire à son feu père métis. Elle avait passé toute son enfance en Martinique et sa mère, centenaire, y vivait encore. Ma grand-mère est venue en France assez jeune après ses études et elle a été embauchée comme gouvernante chez une femme blanche vers Bordeaux. C'est là qu'elle a rencontré mon grand-père. Il était policier et était aussi d'origine martiniquaise. Il était actuellement sur son île auprès de son frère malade, et n'avait pas refusé de nous héberger indéfiniment au risque de ne plus pouvoir adresser la parole à sa fille. — Keween ! cria-t-elle. Vas t'habiller, veux-tu ? J'ai préparé le petit déjeuner. Je hochai la tête et évitai Sabrina qui ne tarda pas à me tirer la langue lorsque je fus dans les escaliers. J'ouvris mon armoire et inspectai mes vêtements. J'optai pour un jean gris délavé, un pull en laine noir et voilà. Je décintrai ma veste en cuir que je disposai sur mon lit et redescendis. 16 Une assiette garnie de pain au lait et de croissant m'attendait sur la table. À côté, il y avait un énorme bol de lait chocolaté que je ne tardais à vider. Je pris ensuite un croissant que je déchirai et que je mis, morceau par morceau, dans mon énorme bouche. Sabrina, horrifiée, me regardait avec ses manières de bourge. Elle tenait du bout des doigts un croissant qu'elle mangeait par petite bouchée. Je posai mon regard sur elle. — Quoi ? lui demandai-je, la bouche pleine. — T'es dégueu, mec. Je ris comme un imbécile, laissant mes postillons s'envoler sur son visage. Elle prit d'abord un air psychorigide et se mit à rire aux éclats en essuyant les gros morceaux d'un revers de main. — Tu penses qu'aujourd'hui va bien se passer ? me demanda-t-elle. — On verra, dis-je, sentant mon anxiété affluer. Mon anxiété. Je crois que j'étais plus anxieux que quiconque, et elle avait réussi à m'amener à boire, la veille. À chaque nouvel événement, si je puis dire, je stressais au point de me ronger les doigts avec les ongles. Si chaque année vous étiez dans le même cas que moi, c'est-à-dire vous faire martyriser par les racailles du bahut à tout bout de champ, vous seriez dans le même état que moi. Mais bon, comme j'avais changé de ville, je pensais que les brutes épaisses, il n'y en aurait pas. Du moins, qu’ils ne me remarqueraient pas... pour le moment. Après une longue série d'heure à essayer toute sorte de thérapie, c'était l'heure de partir, de quitter ma douce demeure, qui pendant deux longs mois m'avait reposé. 17 Adieu, grâce matinée. Au revoir agréable soleil ! — Sabrina ! hurlai-je en descendant les escaliers deux par deux. On y va ! J'allai à l'entrée et l'attendis. J'en profitai pour étaler l'amas de crème que j'avais pris dans la salle de bain dans mes mains, et me badigeonnai le visage. — J’arrive, dit-elle après cinq minutes. Elle dévala les escaliers et me rejoignit. Je l'inspectai avant de la laisser franchir le seuil de cette porte. Je n'autoriserai aucun regard à se déposer sur la moindre fibre de sa peau. C'était ma jumelle et je ne tenais pas à ce qu'on me la vole. Elle avait mis sa veste à clou en cuir qui laissait percevoir son cou et le début de sa poitrine. En dessous, elle avait enfilé un pull léger en coton rose qui soulignait vaguement ses formes, portait un jean slim délavé vraiment près du corps et déchiré au niveau des genoux, ce qui l’affinait légèrement, et ses Doc Martens rose fuchsia. Sabrina et moi étions des mordus de mode. On ne perdait jamais de temps pour aller dévaliser les magasins de grand couturier lorsque grand-mère remplissait nos comptes bancaires. Chaque mois, c'est-à-dire. Et la somme se multipliait lors de notre anniversaire. À vrai dire, nous ne lui demandions rien du tout et il nous était déjà arrivé de refuser l'argent qu'elle nous avait offert le premier mois où nous vivions ici. Elle disait que comme elle n'allait pas en rajeunissant, elle tenait à nous rendre responsable en nous donnant cet argent. Tous passaient dans les vêtements et les livres, pour mon cas. En parlant du loup, elle surgit par la porte du rez-dechaussée qui était celle de sa chambre où je n'étais jamais encore entré. Elle se hâta dans notre direction et 18 pris ma tête entre ses deux mains. Mamie me regarda quelques instants avec un sourire coincé, me mettant dans une situation embarrassante parce que je ne savais pas comment réagir, et finit par glisser un baiser fruité sur mon front. Elle attrapa le crâne de ma sœur et refit le même geste. — Vous avez tout ce dont vous avez besoin pour aujourd'hui ? s'enquit-elle. — Oui, répondis-je avec Sabrina en chœur. — Bien. Elle fouilla dans son tablier et sortis son portemonnaie. Les yeux de Sabrina s'écarquillèrent et elle bava presque. — Mamie, c'est bon, lui suggérai-je en mettant une main sur la sienne en mouvement qui arrachait quelques billets du contenu. Il suffit d'un seul de ses regards noirs pour que je retire ma main à toute vitesse. Elle enfonça les papiers bleus froissés dans ma poche et dans celle de Sabrina, et nous chassa en disant « Oust ! ». — Attends, je n’ai pas pris mes clefs. — Je serai à la maison, dit-elle en continuant à pousser la porte. On pourrait croire qu'elle voulait se débarrasser de nous. Je sortis de sous le perron qui me plongeait dans l'ombre et m'engageai sur l'étendue de ciment qui esquissait un chemin jusqu'au portillon. La peinture commençait à s'écailler. Je tournai la poignée, sortis et humai l'air à long trait comme si il était différent au dehors du jardin. J'enfonçai mes écouteurs dans mes oreilles, mis Without you de David Guetta et Usher, et c'était parti pour une demi-journée d'école. J’avais 19 comme le sale pressentiment que ça allait très, très mal se passer parce que lorsque je suis dans les parages, il y a toujours une catastrophe qui risque de faire tout exploser ou je ne sais quoi. Je suis un de ces corbeaux par lesquels vous pouvez savoir si vous aurez du malheur ou pas. Je manquai de trébucher lorsque je descendis la marche du trottoir qui n’était pourtant pas très haute. Je ne manquais jamais une chance de me ridiculiser, de toute façon. C’était inévitable. Je m’octroyai le regard de tonnerre de Sabrina lorsqu’elle fut presque obligée de m’imiter. Généralement, c’était plutôt les sentiments que je ressentais qu’elle ressentait à son tour, mais lorsque cela avait un impact sur des gestes, nous n’étions plus qu’une seule et même personne. Mes théories me laissent croire que dans le ventre, vu que nous ne sommes pas des êtres normaux – appelez ça comme vous le voulez – nous n’étions qu’une seule et même personne, et c’est que tardivement que nous nous sommes séparés. Je sais, c’est ridicule, mais il me fallait bien quelque chose pour expliquer ce phénomène. Jamais encore dans l’histoire on a vu des faux-jumeaux liés à ce point, quoi. Surtout, que, justement, nous étions des faux-jumeaux et non pas des vrais. Alors, il fallait expliciter ça. — Keween ! rugit Sabrina lorsque mes pieds dérapèrent de sur le sol qui était pourtant trop sec. Arrête de stresser, t’es pas tout seul. — Désolé. Au même moment, je butai dans une planche de bois qui longeait le trottoir que j’avais précédemment descendu, et je fis un bond en avant qui cette fois-ci m’envoya embrasser le goudron. Sabrina fut éjectée sur 20 une barrière voisine. — Désolé, ricanai-je en me relevant. À mesure que l'on s'enfonçait dans ce côté de la ville, les racailles se faisaient davantage nombreuses. Je leur lançai des petits sourires pour éviter que ces jeunes croient que j'étais leur ennemi. Mais en retour, tous me toisèrent. C'est ça quand on est nouveau. On se met tout le monde à dos en un clin d’œil. C’est seulement ensuite, après réflexion, que je réalisai que mon geste avait été seulement ridicule et un petit peu trop… Je me hâtai de m’ôter cette vision de la tête, et poursuivis mon chemin d’un pas assez rapide pour ne pas qu’ils sachent où est-ce que nous allions. On longea un trottoir circulaire qui bordait un jardin fleuri au rez-de-chaussée d’un bâtiment, et de l’autre côté, un mur d’arbustes taillés en boule, jusqu’à arriver à la grande avenue. Le plus bel endroit de la ville toute entière. À une première extrémité, il y avait un énorme rondpoint dont une moitié était de gravier blanc comme la glace mais aussi poussiéreux que le sable, et dont l’autre moitié, étagée, était de végétaux. Parfois on écrivait, avec des fleurs de multiples couleurs, des trucs comme « la ville de Goussainville ». Derrière ces écritures, il y avait une petite forêt d’arbres épineux de vert sombre. Cette avenue était, elle aussi, divisée en deux parties : une première pour les allées, puis la seconde pour les retours. Ce qui les séparait était un trottoir où on ne pouvait pas marcher, et où on avait planté des pommiers et roulé des mètres de gazon. Du côté opposé à celui par lequel on arrivait, se dressait une boulangerie qui sentait bon la pâtisserie et le pain frais. Et bien sûr, c’était là où se trouvait mon futur lycée, 21 ensoleillé. Il était beaucoup plus beau qu’en image – oui, nous n’avions pas voulu aller le visiter à pied – même s’il gardait son aspect prisonnier. Peut-être que c’était l’effet rayon de soleil qui lui envoyait une touche de gaieté. De là où j’étais, je voyais des rectangles se chevaucher les uns sur les autres, des toits gris-bleu surmonter les structures. Une nuée de voix féminine héla le prénom de ma sœur qui sembla de suite les reconnaître puisqu’elle s’enfuit en courant dans la direction d’un groupe de fille. J’inspectai les alentours au cas où un garçon la regarderait beaucoup trop, puis m’attardai sur les formes parfaites de quelques-unes des amies de Sabrina, avant de continuer seul ma route jusqu’au lycée qui n’était plus trop loin – une cinquantaine de pas. Avec un peu de chance je n’emmêlerai pas mes pieds lorsque je voudrais tourner. Je traversai un passage piéton où je manquai de me faire rouler sur les pieds. En prime, on m'insulta et je souris bêtement sans le vouloir. Je courus sur le deuxième et me sentis en sécurité seulement une fois arrivé sur le trottoir. J’étais arrivé. Je pris la peine de regarder le monument de haut en bas car il jetait son ombre sur moi, et les nuages et le soleil qui bougeait, la faisait aller et venir, d’arrière en avant. J’avalai l’air à grande goulée et me rendis compte, en jetant un coup d’œil à ma montre, que j’étais beaucoup trop en avance et que c’était carrément la honte. On me prendra sans aucun doute pour un fayot. La honte, la honte. Bon, disons que je n’étais pas seul même si cette fille, qui était arrivée avant, était de toute évidence ce dont je redoutais qu’on m’appelle. Sa bouche béait devant mes chaussures ailées et je dus les secouer, risquant de 22 m’affaler sur le goudron rappant, pour que son regard dissimulé derrière des lunettes rondes rouges trop ringardes, aille reluquer autre chose. Les élèves, trop sûrs d’eux dans leurs nouveaux vêtements flambants neufs que leur maman leurs avaient achetés, arrivaient groupe par groupe, jusqu’à former une foule entière et bien purulente avec tous leurs boutons bien mûrs prêts à exploser. Après quelques minutes d'attente, les murailles rouillées et épaisses de mon établissement s'ouvrirent en un grincement assourdissant, et tout le monde entra d'un pas long et peu convaincant, à croire qu’on nous espionnait et qu’on attendait seulement que tout le monde arrive pour ouvrir les portes. Je restai sur le côté, quasiment bousculé par les troupeaux de bœufs qui commencèrent, instantanément, à se ruer à l’intérieur. Bref, on ne m’avait pas encore fait me rappeler que j’étais un nouveau dans le coin, et c’était tout ce que je désirais : ne pas me faire remarquer. Nous étions tous regroupés, les uns écrasés sur les autres. Je m'éloignai encore, me faufilant sous les aisselles nauséabondes des autres élèves. Je me sentais nain du haut de mon mètre soixante-douze. Une des raisons pour laquelle je ne supportais ma mère. Une dame nous attendait au milieu de la cour d'entrée. Elle était assez âgée, mais ce n'était pas ce qui lui avait ôté son charme. Elle n'était pas très grande. Elle avait un teint bronzé et la crinière courte et blonde tombant en cascade, raide. De petits yeux sombres ornés de longs cils qui lui donnaient un regard profond. Un petit nez court et de fines petites lèvres rosées et étirées dans un sourire charmeur ainsi que des pommettes saillantes. Elle était sur une petite estrade 23 couverte d'un tapis rouge, et elle était accompagnée de deux hommes. Elle prit la parole au micro, et nous tint un discours : — Bonjour jeunes lycéens. Je suis Mme. Bassan, la principale de ce lycée. Alors déjà, bienvenue, hein. J'espère que vos vacances se sont bien passées. De suite suivit un serment et les conditions de travail au lycée pour que tout se passe bien. Mais, elle s'arrêta soudainement, perturbée par cette fille qui ne l'écoutait pas et qui parlait avec son amie. La rage se forgea sur son visage à présent devenu sombre. — Les vacances sont finies jeunes filles. Ne gardez pas de mauvaises habitudes. Cela pourrait vous jouez des tours et des heures de colles. Et dès le début, ce n'est pas très charmant. Non ? Fini les gamineries. Vous êtes au lycée. Bien, je pense avoir fait le tour, alors je vais laisser la parole à mon collègue qui va annoncer les classes, et on se voit tout à l'heure à l’amphithéâtre. Elle quitta l'estrade, entra dans l'enceinte, et laissa la parole à un des deux hommes. Un homme assez élégant avec le crâne chauve, une silhouette fine et allongée dans un costume noir bien taillé. — Bien, alors, euh... bienvenue à tous. J'espère que vous vous êtes bien reposés pendant ces vacances. Je suis Mr. Brati. Je suis l'adjoint de la principale, que vous avez précédemment vue. Alors, je vais annoncer les classes. Commençons par la seconde une. Myriam Aariba... Myriam ? Elle répondait absente. Puis, il continua avec Belqechou Safa, jusqu'à arriver à Keween Hobbs. Un pénible silence s'installa. J'entendis du monde chuchoter, ce qui provoqua un brouhaha indistincts 24 puisque tout le monde murmurait aux oreilles des autres. — C'est lui le nouveau, murmura une fille à l'oreille d'une autre. Qu'est-ce qu'il est laid ! Tu as vu son nez ? J'ai entendu dire qu'il était gay. Je voulus hurler que tous ce qu'ils avançaient n'étaient qu'un tissu de mensonge, mais je me résignai à ne rien faire. Je portais juste mes Jeremy Scott ailées et une chaîne à mon pantalon, rien de plus. Et cette fille était jusqu'à aller chercher des mensonges pour soutenir son propos. Et leurs pensées n'étaient pas moins blessantes. Je restai un instant figé sur place, les yeux tous rivés sur moi. Je pris une grosse bouffée d'air. — Keween Hobbs ? répéta Mr Brati, tournant sa tête dans tous les sens pour me chercher. Je me détachai de la foule nauséabonde humaine et avançai maladroitement jusqu'au rang qu'avait formé la classe. Comment est-ce qu'il marche celui-là ? La divinité de la mocheté incarnée. Il est handicapé, c'est sûr. Quelle laideur ! Comment on peut mettre quelque chose comme ça au monde. Je regardai droit devant moi. Le silence n'avait pas cessé et déposait une atmosphère pesante. Tous les regards étaient posés sur moi, variant des plus méchants aux plus curieux. Je me dirigeai vers une plaque d'égout trempée en guise de raccourci. Mais lorsque je fis un pas sur la grille brune qui surmontait un gouffre dont je ne distinguai pas le fond, mon second pied achoppa contre celle-ci et je m'étalai comme une crêpe sur le sol goudronné. La scène me parut s'éterniser. Je sentis mon 25 corps basculer et aller s'écraser. Mes mains et mes vêtements se rappèrent contre le bitume, manquant de se déchirer. Je vis les visages des élèves se métamorphoser séquentiellement. Leurs yeux se plissèrent, leurs bouches se retroussèrent et enfin un son horrifique s'en échappa. Ils riaient à tue-tête, sans respect pour moi, le misérable jouvenceau, la risée de tous. J'étais humilié devant tous ces nouveaux visages qui grimaçaient. L'adjoint libéra un cri effroyable avant d'accourir à moi et de me relever en me demandant si tout allait bien. Comme toujours, j'acquiesçai de la tête. Pourtant je souffrais d'un mal de chien, mais je refusais que l'on s'attarde sur moi. Je ne suis rien. Laissez-moi tranquille, pensai-je sans que ma voix n'obtempère. Je chassai la poussière de mes vêtements et les feuilles mortes qui avaient cédées sous mon poids lors de ma chute, réajustai mon pull en laine noir que grandmère m'avait tricoté durant les vacances et emboîtai le pas d'une fille qui avait été appelée avant moi. Je m'empressai d'arriver jusqu'à ma classe, qui eux, étouffaient leur rire dans leur veste. Je me calai contre une vitre sale de trace de doigt et de terre et me camouflai. Cependant, les regards ne cessaient de se perdre sur moi. Il continua à faire les classes, et une petite dame menue arriva d'un pas gracieux et rebondi par les portes du hall. C'était ma professeure principale, Mme. Munier. Elle était petite comme un elfe. Son sourire ne voulut la quitter durant ce moment-là. Quel accueil. 26 Son regard brun badin était caché derrière des lunettes rondes, ses cheveux étaient courts, bouclés et grisonnants. Elle avait de beaux traits fins, et ne dépassait pas la cinquantaine. Un beau pantalon à la terminaison ample lui donnait un air assez drôle, mais je n'avais pas vraiment envie de rire, et un beau petit pull vert à la matière semblable à du papier crépon couvrait délicatement son torse et ses épaules. Elle nous ouvrit les portes qui nous menèrent au hall de forme rectangulaire et qui débouchait sur la grande et vaste récréation ombragée par quelques arbres semés inégalement dans chaque coin de cette dernière. Le sol était habillé d'un carrelage en grès noir et les murs étaient en pierre, couverts d'une peinture jaunâtre mal posée qui semblait encore couler. La majorité des façades comportaient des fenêtres qui ouvraient sur les deux cours, ce qui donnait un caractère lumineux et encore plus vaste à la pièce. Ensuite, nous traversâmes un deuxième hall pour atteindre les grands escaliers de pierre taillée. Entre ces deux séries de marches, il y avait une sorte de passage qui menait au premier étage. Nous continuâmes jusqu'en haut, c'est-à-dire, jusqu'au deuxième étage. Il semblait interminable ! Je levai une jambe après l'autre, m’essoufflant à mesure que j'avançais. Arrivés à bout de ce calvaire, nous traversâmes une passerelle bruyante qui menaçait de céder sous tous nos poids et attendîmes dans un couloir qui offrait une vue aérienne du rez-de-chaussée qui paraissait beaucoup plus beau que lorsque j'y étais. Mme. Munier tournait et essayait toutes les clés présentes sur son trousseau comme si elle enseignait ici pour la première fois. Lorsqu'elle l'eut trouvée – la clé, 27 elle libéra un souffle triomphant et la fourra dans la serrure. Elle poussa la porte et nous laissa entrer. Un vent frais se déchaînait dans la pièce, mouvait les rideaux bleus en lambeau et refroidissait les braises ardentes qu'étaient ces filles qui composaient la majorité de ma classe. En effet, nous n'étions que deux gars – l'autre s'appelait Samet Kuçuk et semblait aussi timide et réservé que moi – et ça ne leur plaisait pas du tout, à ce que j'entendais depuis en bas. Je m'assis près d'une fenêtre, tout au fond, et repris discrètement mon souffle en scrutant la classe qui semblait se diviser en deux parties distinctes : d'un côté il y avait les élèves d'un collège, je présumai, et de l'autre, d'un autre établissement. L'atmosphère était davantage pesante que tout à l'heure. Elles se toisaient. Mais au premier rang, deux filles attirèrent mon attention. C'était les plus monstrueuses, les plus mauvaises dans leur manière de regarder leurs camarades. La professeure fit l'appel. Tout le monde répondit présent sauf Myriam que je connaissais déjà. C'était une de mes amis d'enfance. Safa, une fille de mon ancien collège, était venue s'asseoir à côté de moi. Je la connaissais depuis la sixième. Ça m'étonnait qu'elle soit dans ce lycée là puisque nous ne dépendions pas de lui mais d'un autre qui correspondait davantage à la zone de Goussainville dans laquelle nous vivions. La zone de cette ville était dite à risque parce qu'il y avait souvent des blocus organisés devant les établissements (collèges, écoles primaires, lycées) et des manifestations qui prenaient souvent et facilement des tournures tragiques – flics et citoyens perdaient systématiquement la vie 28 dans ce genre de regroupement. Ce pourquoi il y avait une grande barrière sous contrôle en acier qui empêchait le passage et qui barrait tout contact visuel entre les deux côtés. Nous avions le droit de fréquenter les mêmes établissements et le même travail que ceux qui venaient de l'Autre-côté, mais aucun autre contact direct n'était autorisé de peur que les habitants de cette partie soient affectés par les folies de ce côté délinquant. Ma mère et mes frères habitaient de ce côté plongé dans l'insalubrité et la pauvreté. Ma grand-mère, dans l'autre. On aurait dit des pestes. La première s’appelait Mélina Gomes, une fille très charmante, et l'autre Jessica Monel qui avaient de longs cheveux noirs attachés en un chignon au sommet de sa tête. Ses yeux étaient tirés de chaque côté et reflétait la méchanceté, son nez n'étaient ni trop gros, ni trop petit, ses lèvres étaient épaisse, et sa peau d'ébène se mariait parfaitement avec tout le reste. Elle était un peu enrobée, mais ce n'était pas ce qui lui ôtait son charme. Malgré moi et ma minable fierté, je devais admettre qu'elle était belle. Le cauchemar allait commencer, je le sentais. Ce n'était pas non plus la mort. On frappa à la porte d'une manière enfantine. Le professeur vola jusqu'à cette dernière et ouvrit la porte d'une main lâche. Un homme aux traits épais, coincé dans un costume entra avec un sourire mystérieux. Des énormes rouflaquettes encadraient son visage et une frange droite ombragea une partie de son front sans ride. Il était assez jeune et devait sans aucun doute goûter aux joies de sa trentième année. Il se présenta 29 comme étant notre professeur de mathématique. Cet homme m’écœurait rien que pour la matière qu'il enseignait et il se permettait de nous faire la morale alors qu'on ne le connaissait pas, et ça me gavait. Les enseignants me gonflèrent à parler du projet « Mathéma » de cette année qui ne m'intéressait guère. Enfin, un surveillant vint nous délivrer. Nous devions aller à l’amphithéâtre pour la remise des carnets. Le seul problème, c'était que l'on devait descendre les escaliers. Dieu seul sait lorsque j'allais m'y habituer. Je profitai de mon don de télépathie pour fouiller les pensées de mes camarades. Je commençai par une brune. Diana qu'elle s'appelait. Elle pensait mais, c'était étrange. Je n'entendais rien. C'était une langue moldave, je pense. Nous descendîmes à l’amphithéâtre, et comme prévu, la principale était là. Elle était quand même effrayante, enfin pour ma part. Durant une bonne heure, elle nous parla du fonctionnement du lycée, reprenant unes à unes les règles de l'établissement. Nous fûmes libérés après qu'ils nous eûmes rendus nos carnets. J'embarquai toutes mes affaires rapidement, et partis tout seul. Je quittai le lycée et vérifiai mon téléphone. J'avais deux SMS. J’ouvris le premier qui était de Sabrina. Je suis rentrée. J'ai fini plus tôt, bouffon ╭∩╮(_-)╭∩╮ Tu ne perds rien pour attendre toi, lui répondis-je en riant seul dans la rue. J'arrive. D'un geste habile, j'ouvris le second qui était de Jayron, mon cousin, qui habitait à deux pas de la maison de grand-mère. C'était un métis, charmeur, toutes les 30 filles tombaient sous son charme et ses yeux verts. Bienvenue au lycée, Keweenou ☺ Lui aussi ne perdait rien pour attendre. Je composai son numéro et plantai le combiné à mon oreille. Je crus qu'il n'allait pas répondre lorsque j'entendis son téléphone sonner sans qu'on y réponde. La chaleur du soleil s'adoucissait, le ciel se peignait d'une couleur orangée, les nuages prenaient une couleur violette et s'effaçaient à mesure que le temps avançait. — Allô p'tit cousin. — Ta gueule, répondis-je spontanément. C'est bien la dernière fois que tu m'appelles encore comme ça. C'est compris ? Il s'éloigna du combiné et s'esclaffa. — Ton air sérieux ne fonctionne plus, p'tit cousin. — Je te ferai dire que je suis âgé de quelques mois de plus que toi, p'tit cousin, rectifiai-je. — Tu m'as eu c'est bon. Tout se passe bien pour toi ? — Ouais. Ça te dit de venir dormir à la maison ce soir ? — Pourquoi pas. — À tout à l'heure, alors. Je raccrochai et fourrai mon téléphone dans mes poches lorsque je vis un petit regroupement d'élève. Étrangement, leurs regards se perdirent dans ma direction et me suivirent. Je les reconnaissais. La plupart avait ri de moi dès l'entrée au lycée. Il y avait des filles et des garçons. Je voyais déjà leurs expressions machiavéliques. Je les dépassai en fixant un point loin devant moi pour éviter de croiser leurs regards encore moqueurs. 31 — Alors, Hobbs ? Ça va la jambe ? Je me retournai dans leur direction en plissant les paupières et hochai machinalement de la tête. — Et l'intégration ? Qu'est-ce que ça fait de venir de là-bas ? — C-comment êtes-vous au courant que je viens de là-bas ? — Les nouvelles vont très vite ici. Personne ne vit chez la vieille sorcière normalement. Toi aussi tu fais du vaudou ? lança une voix stridente. J'ouvris la bouche mais aucun son n'en sortit. Je m'humectai les lèvres, me les pinçai et secouai la tête. — Vous êtes des monstres. Je tournai les talons et fit volte-face à la Rachel Berry. Je ralentis le pas lorsque je les perdis de vue. Je passai une main dans mes cheveux et me frottai le cuir chevelu. Ça a déjà commencé. On se moque de toi alors que c'est que le début. Courage, t'es au-dessus de tout ça. Tu as des choses qu'ils n'ont pas et qu'ils ne connaissent même pas. Si ça continue, tu devras... non, ce n’est pas une bonne solution. J'arrivai devant le portail de la maison. La voiture n'était pas là. Grand-mère était sans doute allée faire des courses. Je toquai à la porte mais personne ne vint m'ouvrir. Je reculai et criai le nom de ma sœur. La fenêtre s'ouvrit mais personne n'en sortit. Un sceau entier et glacé me tomba sur la tête, me trempant jusqu'aux os. J'entendis le rire démoniaque de ma sœur. — Incandis tes ! criai-je. Une boule de feu s'écrasa contre la vitre et dévora rapidement les rideaux. Je martelai à la porte, en 32 panique et Sabrina vint m'ouvrir tout aussi affectée que moi. Je montai en vitesse. — Ara vos. En un souffle inaudible, les flammes qui grimpaient sur les étoffes affolées par le vent furent comme ravalées et disparurent en laissant derrière elles une fumée grise et des rideaux carbonisés. — T'as rien pour réparer ça ? me demanda ma sœur en se pinçant les lèvres. Je secouai la tête comme le ferait un chien trempé d'eau et elle se retrouva couverte d'eau. Triomphant et rayonnant, les dents dehors, je partis de sa chambre et allai me sécher les cheveux dans la salle de bain où je m'attardai sur mon apparence dans le miroir qui jonchait tout un mur. Je tâtai mon nez et le caressai du bout du doigt. J'eus l'impression que mon cœur se crispait à la vue de … de moi. Je ne m'étais jamais réellement regardé dans le miroir. C'était une épreuve beaucoup trop difficile pour un esprit aussi fébrile que le mien. C'est vrai que mon nez était gros et que... et que je n'étais pas très attirant. J'eus envie de pleurer comme un bébé, mais peu importe. Je poussai la porte de ma chambre doucement d'une main lasse. Qu'est-ce que vous auriez fait vous pour vous détendre après une pré-rentrée chaotique? Vous seriez sortis ? Vous auriez mangé ? Vous auriez écouté de la musique ? J'ouvris mon tiroir, et enlevai quelques bougies dissimulées dans la pagaille de celui-ci. Je tirai les rideaux rouges et opaques pour éviter que la lumière ne pénètre, et disposai les bougies un peu partout sur le 33 carrelage blanc de ma chambre. Je les allumai et je me posai sur le bord du lit d'en bas. J'abaissai mes paupières brutalement et me concentrai en joignant mes deux mains. — Déliverance, mo pöstaja tus, murmurai-je, sincère. Je ressentis une légère caresse froide et délicate effleurer ma joue. Ce ne pouvait être qu'elle. J'ouvris mes yeux et je la vis, encore plus belle qu'autrefois. Mes yeux pétillaient à sa vue et je sentis ma journée s'illuminer. C'était la seule personne à pouvoir me faire cet effet-là. Un corset fleuri mettait en valeur ses jolies formes, et lui donnait une taille toute fine. Sous celui-ci, elle avait une sorte de chemise en dentelle qui recouvrait à demi ses épaules carrées. Sa longue et volumineuse robe à crinoline en velours brodée lui allait à ravir. Sa belle peau métisse éclatante ferait rêver n'importe quelle fille de maintenant et ses beaux et longs cheveux bouclés étaient attachés par une coiffe ornée de rubis. C'était mon aïeul, Déliverance Hobbs. Oui, mon arrière, arrière... peu importe, elle faisait partie de ma famille. Vous avez sans doute déjà entendu parler d'elle dans vos manuels minables. Oui, sans doute. C'est une sorcière de Salem, comme Sabrina : la sorcière, et elle a été jugée en 1692 après avoir été accusée de sorcière. Les sorciers ont un total contrôle de l'autre côté. Ils peuvent intervenir à tout moment, plus précisément lorsque leurs descendants sont en danger ou vont mal. Lorsque j'étais petit, elle m'emmenait à l'école en me tenant la main et celle de mon meilleur ami Patrick. Bien évidemment, tout le monde pensais que j'étais fou, que je perdais la tête lorsque je parlais d'elle parce que 34 eux ne la voyaient pas. Mais pour moi, c'était tout à fait normal d'être sorcier. C'est seulement à la fin de mon cycle d'école élémentaire que j'ai compris que j'étais seul à être comme ça, malheureusement. Je compris alors la raison pour laquelle ces humains riaient tous de moi et c'est pourquoi je les déteste. Il n'y avait que Patrick qui croyait en son existence. — Bonjour mon chéri, dit-elle en laissant ensuite disparaître sa bonne humeur en un soupir, sans doute après s'être permis de lire mes pensées. Mais pourquoi font-ils cela ? Ont-ils des problèmes à leur domicile. J'ai du mal à les comprendre. — Oui. Et ce n'est que le premier jour. C'était un enfer ! — J'imagine. Et pour quelle raison ne te défends-tu pas ? Tu vas toujours dans le sens contraire de mes indications. — Mais je ne peux pas - faire du mal - comme ça, expliquai-je. Tu le sais très bien. Et puis je n'y pense jamais sur le fait, alors... — Tu ne veux pas y penser, me coupa-t-elle, nuance. Si tu le voulais, tu l'aurais déjà fait depuis des années. Je ne vois pas ce qui t'empêches de rendre les coups. Tu ne les aimes pas, il ne t'aime pas. Si c'était censé me rassuré, elle s'y était très mal pris pour cette fois-ci. — Mais ce n'est plus comme avant ! La sorcellerie a disparu. Ça n'existe plus pour eux. — Eh bien, montre leur qu'elle n'est pas éteinte. — Ce n'est pas aussi simple que tu peux le croire, dis-je en baissant la tête. Regarde, tu en as payé le prix toi à ton époque. 35 — Mouais... Il y eut un lourd silence. — Si tu veux que je change, aide-moi. — Aide-moi d'abord à passer les portes, dit-elle, d'un air victorieux, un grand sourire aux lèvres. Son sourire était magnifique, et ferait succomber n'importe qui. — Je t'ai déjà montré comment le faire, en plus. — Mais pourquoi faire ? m'enquis-je, désespéré. — Je dois faire des trucs ! s'écria-t-elle. — Je sais que tu me mens. Ça fait 320 ans que tu as disparu du monde des vivants. Tout a changé, et tu le sais pertinemment. D'autant plus qu’on n’est pas à Salem, et en plus de ça, je t'ai déjà dit que... — Les éléments du passé, continua-t-elle, ne doivent pas resurgir dans le présent. Tu me l’as répété... une bonne centaine de fois, je pense. — Et tu n'as toujours pas compris, on dirait. On croirait que c'est toi l'enfant ! ris-je. Allez, aide-moi à devenir comme toi. — D'accord. Ce soir, on ira dans les champs. C’est la pleine lune. — Pour faire quoi ? demandai-je. — Bonne question ! s'exclama-t-elle. — Réponds, je n’aime pas les surprises. — À tout à l'heure. C'est ce que je détestais. Elle aimait trop laisser des choses en suspens. Elle prit ma main entre les deux siennes et disparut en se désintégrant en une poussière grisâtre. Je détestais la voir partir en poussière comme ça, à chaque fois. J'avais l'impression qu'elle mourait de nouveau. 36 Je libérai ma chambre de l'obscurité morose en chassant de chaque côté mes rideaux et vis le paysage hétéroclite à travers les vitres luisantes que j'avais lustré quelques jours avant la rentrée. Curieux, j'ouvris ma fenêtre et appuyait mes coudes sur le rebord où la peinture s'écaillait. Le ciel orangé continuait son court en esquissant un bandeau rosé au-dessus des pâtés de maison qui semblait être des carrés marrons d'où je venais, des bâtiments et des grands arbres fruitiers de mon jardin qui bordaient les allées de thuyas et qui empêchaient les voisins curieux de voir. Les feuilles, brunies, achevaient leur cycle au bout fragile des branches et allaient en tournoyant comme des jupons s'étaler sur le gazon verdâtre. Ce bandeau rose balayait peu à peu la surface bleutée déjà quasiment effacée par le rideau orangejaune qui s'était installé depuis un bon moment. Le soleil n'était plus qu'un énorme globule rouge luminescent. Les nuages légers furent aussitôt à leur tour remplacés par d'épais amas de coton usagé traînant nonchalamment dans la surface décolorée. Volumineux et gris-bleus, on y voyait tout de même les filets rougeoyants infiltrés fendre les couleurs sombres unies et les écraser. Plus bas, plus loin, des amas de feuillage, une forêt vierge. Un incendie de lumière brûlante et couchante s'abattait sur cette nature laissée à l'abandon depuis une éternité, et s'emparait de leur vie pour cette nuit, la laissant plongée dans une obscurité criarde. Chaque soir, on venait lui arracher sa vertu : les garçons venaient faire ce que leurs parents leurs interdisaient de faire ici, avec leurs copines aveuglées par l'amour. Bien évidemment, elles rentraient ensuite seules, la culotte 37 dans la main, les fesses piquées d'orties. Mais nous ne dirons rien. Buissons léchés de flammes, le soir vous n'êtes plus. La lumière, la vie, la pureté, vous est dérobée. C'était donc le coucher de soleil, soit le moment censé être le plus gracieux de la journée toute entière. Cependant, parmi les frimas maussades, une mare de sang s'écoulait et circulait. Le ruban se décomposait peu à peu jusqu'à ce que sa couleur originelle s'échappe entièrement. Un voile d'autant plus sombre à mesure que les heures passaient, s'allongeait de ses bras sur la surface dégradée. Le ciel s'ouvrait derrière les frimas volumineux. Je frémis de crainte. Cela ne faisait que de raviver des souvenirs douloureux. Fausse alerte, ce n'était que les averses qui saignaient doucement. On me tapota légèrement l'épaule du bout des doigts et je vis à travers la vitre le reflet de mon cousin posté juste derrière moi. Malgré sa couleur très clair de peau, encore accoutumé par la lumière, je voyais seulement son pull rouge vif non adéquat à la saison et ses dents blanches resplendissantes. — Salut, lui dis-je en refermant ma fenêtre et en me déplaçant en boitant légèrement pour aller allumer la lumière. On n’y voyait plus rien. Le soleil s'effaçait davantage plus précocement à mesure que les jours se glissaient les uns après les autres. — T'es super accueillant, ironisa-t-il. (Ses lèvres se retroussèrent et semblèrent esquisser un sourire.) Qu'est-ce qui te rend comme ça ? Mauvaise journée ? Je soupirai et chancelai sur le lit. Je lui fis signe de m'imiter et il obtempéra. 38 J'opinai. — On va dire que je n'ai pas non plus eu l'accueil adéquat, disons. (Il plissa les yeux en quête de précisions.) Je suis tombé sur une plaque d'égout lorsqu'on m'a appelé pour la classe. Il pinça ses lèvres tremblantes et pouffa, pensant que je ne le remarquerai pas. — Connard va. On est plus de la même famille. C'est la guerre. Il rit ouvertement et me bourra dans l'épaule de son poing nerveux. Jayron avait tendance à ne pas mesurer sa force. Du coup, je la sentis se démolir et s'écraser sous son poing mais je simulai l'indifférence pour ne pas qu'il me prenne pour une chochotte. Je cillai et le toisai de mon regard ombragé par mes cils sombres plus long que ceux d'un garçon ordinaire. — C'est un pull de créateur, jeune homme. Alors respect pour les célébrités. Ses yeux s'ébahirent, son nez se fronça et sa lèvre supérieure remonta. — Excuse nous l'artiste, j'ai envie de dire. — Je ne t'en empêche pas, dis-je en me levant. Je ne t’oblige même à reconnaître que j'en suis un. Il força un rictus et me regarda de ses yeux verts que je jalousais tant. Maintes fois lorsque nous étions plus petits j'avais essayé de lui crever avec mon compas d'école bien crade. — En parlant de ça ! dis-je en me levant. Il faut absolument que je te montre quelque chose. C'est important. Je demande tout ton sérieux. Il opina. Je hochai machinalement la tête et me passai une 39 main dans les cheveux, faisant tomber les chutes sur le sol. Je me tapotai le crâne du bout des doigts des deux mains et les plaquai en avant comme si un mur invisible se dressait devant moi. Je me retournai vers mon bureau et me mis à fouiller mon tiroir en retirant tout ce qui m'importunait, jusqu'à ce que je trouve mon énorme calepin de dessin où je griffonnais de temps en temps lorsque l'ennui s'emparait de moi. Je revins à ma place et tournai les pages nerveusement, manquant de toutes les déchirer, jusqu'à arriver au dernier que j'avais fait. La page était légèrement cornée et salie de noir à cause de la paume de ma main qui avait dérapé sur des traits trop gras. J'insistai du bout de mon doigt sur les lignes du visage esquissé mais cachées, sur les cheveux de ce qui ressemblait à une fille. Sa silhouette me le prouvait. Ses cheveux étaient en broussaille et abondants. Moi-même, l'auteur, ne reconnaissait pas ce que j'avais dessiné. Émerveillé, mon cousin s'empara du calepin et l'approcha à ses yeux. — Tu vas te brûler la rétine. Donne-moi ça. Il obtempéra avec un soupçon de regret dans le soupir qu'il me lança. — Même comme ça elle est bandante. Et si elle existait réellement ? Je balayai son propos d'un revers de main qui fendit l'air. — Ce n'est pas possible. Ce n'est qu'un rêve. — Comment oses-tu dire que des choses sont impossibles quand toi tu es surnaturel ? — Je suis juste rationnel. Rien de plus. — C'est vrai que t'es rationnel quand tu t'achètes 40 des vêtements hors de prix, bafouilla-t-il après avoir baissé la tête pour regarder ses genoux carrés. — Hé, je t'ai entendu, lui fis-je remarqué et lui mettant un coup de calepin sur sa joue qui rougit instantanément. Il se la frotta et me menaça de son doigt pointu. — Tu devrais te couper les ongles, remarquai-je. Ses lèvres tremblèrent, ses yeux brillèrent et il s'esclaffa. Sabrina apparut au seuil de ma chambre avec un étrange regard dubitatif. — Qu'est-ce qu'il y a de drôle, cousin ? Un filet de bave coula de sa bouche ouverte à cause de son rire incessant. — Vous êtes jumeaux sur le plan dégueulasse, remarqua-t-elle en agitant la tête de haut en bas et une expression de dégoût. — Ton frère est tout simplement un clown. Je le regardai par-dessus l'épaule et fronçai les lèvres. Ma sœur se mit à son tour à rire lorsqu'elle vit mon visage se déformer. Le silence se rétablit et Sabrina vint se poser sur le tabouret orange qui siégeait devant mon bureau où mes affaires se jonchaient. — T'as prévu quoi pour ce soir ? m'interrogea-telle. — Ce soir, c'est la pleine lune et... j'en sais pas plus, annonçai-je en hochant péniblement la tête. — Pertinent, admit-elle avant d'applaudir. — Ta gueule, rageai-je. C'est Déliverance qui m'a parlé de ça et elle ne m'a rien dit de plus. Mon ancêtre réapparut devant ma fenêtre en un 41 nuage de poussière noire. — La lune est assez haute. On y va ? — Oh ! Te revoilà. Elle força un sourire et fléchit les genoux en guise de salutation. — Bref. On y va ? Jayron, t'es chaud ou quoi ? Je me pinçai les lèvres. — Si tu pouvais arrêter d'essayer juste un peu, mimai-je avec mes doigts, d'imiter la jeunesse de maintenant, ce serait parfait. Elle soupira et roula jusqu'au bord de mon bureau où elle posa ses fesses. — Keween, t'es vraiment psychorigide. — M'en fous, mentis-je. — Moi je viens, dit Jayron. C'est où ? — Au champ derrière. Let's go ! Ils quittèrent ma chambre en prenant tout leur temps histoire de voir si je changerai de décision. Je les regardai du coin de l’œil, vexé. J'attendis qu'il disparaisse dans l'obscurité du couloir pour les rejoindre. La nuit était entièrement tombée. Le ciel était parsemé d'étoile dont la taille variait en fonction de chacune d'elle. Cependant, la lune brillait plus que le reste et éclairait le sol noir où se confondaient et couraient étrangement fréquemment des chats noirs. Je pouvais percevoir sa puissance se répercuter contre mon corps. Nous arrivâmes derrière la maison, dans un champ qui permettait l'accès à une autoroute. À ma grande surprise, je trouvai des centaines de personnes éparpillées dans l'étendue de verdure. On pouvait facilement reconnaître les ancêtres venants d'autres 42 époques et les jeunes d'à peu près mon âge. Les herbes hautes regorgeaient de criquets qui ne cessaient de chanter. Jayron me poussa d'une paume entre les omoplates dans cette nature où je refusais de m'aventurer et où je m'enfonçai. Je n'y serai jamais entré de moi-même. Nous formâmes un cercle – Déliverance attrapa ma main dans la sienne, Jayron pris la mienne et celle de Sabrina qui attrapa celle de mon ancêtre. Cette dernière prit un grand souffle et son corps commença à onduler comme une vague de la mer Méditerranée mue par l’Étésien. — Terrae, Aquae, Aeris, Ignis. Ad te suspiramus. Le sol sembla se dérober sous mes pieds, sous nos pieds. Il vibrait inlassablement. En notre centre, quelque chose explosa et accrut la secousse. J'ouvris partiellement les paupières d'un seul œil et je fus directement aveuglé par une lumière éblouissante et bleutée. Je serrai plus fort que toutes les deux mains que j'avais entre les deux miennes, apeuré. Déliverance ne cessait de murmurer des paroles qui sifflaient dans ma tête et me perçait les tympans malgré le son très bas des mots qui jaillissaient de sa gorge. J'entrepris d'ouvrir mes yeux et de nouveau, je fus aveuglé. Je persistai en tenant ma tête à l'écart. Un feu tout bleu grimpait jusqu'aux cieux en direction de la lune. Mon ancêtre libéra un cri et d'autres personnes qui s'étaient liées autour de nous la rejoignirent. Cela prit la forme d'un chant aux terminaisons vibrantes. Déliverance estompa sa voix et ouvrit, à son tour, les paupières. Bientôt, un sourire béant se dessina sur ses lèvres et gravit jusqu'à ses yeux tirés de chaque côté 43 comme ceux d'un asiatique. Délicatement et gracieusement, elle se délivra de toute étreinte et avança sa main vers le rayon de lumière qui à présent était constant. Lors le premier contact fait, je sentis une décharge traverser mon corps tout entier et tous les trois nous y plantèrent nos mains pour ressentir de nouveau cette chose. Une vague de plaisir me submergea. La chaleur traversa le bout de mes doigts et je la sentis pénétrer peu à peu les pores de mon bras puis de mon corps tout entier. Mais mon attention s'attarda sur cette fille dont les cheveux blonds étaient embrasés par le rayon rouge planté devant elle. J'étais persuadé que je la connaissais. J'en étais sûr. Comme hypnotisé, je me détachai de ma famille et allai vers elle d'un pas lourd en faisant bruisser les herbes sous mes pas et lorsque je les fauchais. J'approchai d'elle et découvris son visage complexe. Ses sourcils aussi blonds que ses cheveux étaient froncés au-dessus de ses yeux de couleur bleu ciel colorés de rouge par le rayon chargé d’électricité. — Salut, dis-je, presque embarrassé. Elle m'adressa un sourire et continua à manier sa flamme avec ses deux mains. — On ne se connaîtrait pas par hasard ? — Tu es celui qui s'est ridiculisé devant tout le monde au lycée tout à l'heure, si. Je me refroidis. — Je voulais dire... nous sommes dans la même classe, je crois. Elle fronça les sourcils et opina avec un léger sourire. — Je te dérange, c'est ça ? lui demandai-je, embarrassé. 44 — Voilà. Humilié, je m'en allais carrément du champ où je laissai ma famille en pleine incantation et pressai le pas jusqu'à la maison. Grand-mère vint m'ouvrir et me conduisit, une main autour de mes épaules, dans la cuisine où elle finit par m'asseoir. Elle s'installa en face de moi et son visage bougea répétitivement sur la gauche et la droite comme si elle cherchait à décrypter quelque chose. — Qu'est-ce qui se passe mon chéri ? s'enquit-elle en posant une main sur la table, dos contre la table pour que j'y joigne la mienne. Je soupirai et glissai ma main au creux de la sienne. La chaleur de son épiderme électrisa le bout de mes doigts et me mit en confiance. Je décidai de me confier. — Mamie, tu me trouves repoussant ? Elle recula et fronça les sourcils. — Mais non, mon chéri. Qui est-ce qui t'a dit ça ? Je m'humectai les lèvres et tentai de me remémorer les faits dans les moindres détails pour éviter d'être approximatif comme dans mes habitudes. — Tout à l'heure, dis-je dans un souffle délicat, quand je suis arrivé au début de l'après-midi au lycée, les gens ont eu... une réaction étrange avec moi. — Étrange, répéta-t-elle en quête davantage de réponse. — Ils ont dit que j'étais moche et leurs pensées étaient juste atroces à entendre. Je ne peux jamais être tranquille sans que ce fichu don ne me gâche l'existence. Je ne peux juste pas vivre correctement avec ça. — Ne jure pas, s'il te plaît. Pourquoi sont-ils aussi méprisants avec toi ? 45 — Mamie, j'ai eu la même conversation avec Déliverance alors je ne préfère pas remuer le couteau dans la plaie. Tu sais ce qui s'est passé alors donne-moi des conseils. Elle s'adossa contre le siège de sa chaise qui grinça doucement et croisa les bras contre sa poitrine. — Ce n'est pas très censé ce que je vais te dire, mais... tu as des pouvoirs alors il serait temps de les utiliser. — Mais... — Tu ne les as pas en toi pour rien, dit-elle en haussant le ton pour surpasser ma voix. Chéri, (Elle reprit ma main.) tu dois arrêter d'être aussi gentil avec ces gens qui ne te veulent que du mal. Pourquoi ne veux-tu pas comprendre ? — Mais grand-mère, je ne peux pas. — Bien sûr que si, affirma-t-elle caressant le dos de ma main avec son pouce. S'ils avaient ce que tu as la chance de posséder en toi, ils ne t'auraient pas épargné. Même pas l'espace d'une seconde. Je me grattai la tête avec l'autre main. — Alors je dois agir par la magie ? Et s'ils découvrent ce que je suis ? — Ils le savent déjà, Keween. Tu vis sous mon toit et je ne me cache pas. Je ris mais ma mauvaise humeur me submergea de nouveau, mais d'une manière beaucoup moins intense. Mon cœur battait fort à l'idée que je pouvais enfin leur faire face. J'étais une arme prête à exploser à la moindre violence, à la moindre menace. — Merci, mamie. Je me levai, tournai autour de la table et glissai un 46 baiser sur son front privé de ride. — Tu ne manges pas ? Je réfléchis jusqu'à ce que mon estomac se plaigne. J'appuyai une main sur mon ventre. Trop tard. Grandmère riait déjà et avait sorti une poêle sous le meuble sous l'évier. — Je vais prendre une bonne douche avant. — Fais vite, dit-elle lorsque je grimpai les escaliers nonchalamment comme pendant les vacances. N'oublie pas que demain tu as école et je ne te lèverai pas. — Oui, mamie. Sans plus attendre, je me hâtai dans ma chambre où je m'emparai de mon pyjama – un pull rouge et un de ces survêtements noirs en coton agréable, et je courus dans la salle de bain. J'ôtai mes habits et les mis dans le bac à linge sale. Demain je fais tourner une machine. J'entrai dans la baignoire froide qui témoignait que personne ne s'était douché depuis un bon moment. Peut-être que j'avais été le dernier. Grand-mère avait sa salle de bain en bas, juste à côté de sa chambre. Je fis couler l'eau qui était encore froide et mis mon pied dessous. Très vite il devint rouge et j'en perdis presque l'utilité. Le savon était sec et écaillé dans une écuelle et le gel douche encore ouvert. L'eau chauffa brutalement et m'échauda le pied qui demeura rouge cette fois-ci de brûlure. Je gigotai dans tous les sens pour que la douleur s'estompe, en vain. La température se stabilisa et enfin je pus plonger sous les multiples jets que m'envoyait le pommeau. Je sortis du bain et veillai à bien me sécher derrière les oreilles parce que généralement ça coupait et c'était 47 insupportable. Grand-mère venait avec tous ses cotons et l'alcool à 90°, et m'échaudait le pli derrière l'oreille. J'enfilai mon pull qui se révéla doux sur ma peau encore fumante de cette douche pourtant assez rapide, mon pantalon et dévalai les escaliers pile à temps. La cote échine de porc venait tout juste d'être posée dans mon assiette avec une grosse cuillère de purée de pomme de terre faite maison. Je m'attablai en face de grand-mère après lui avoir descendu les mots fléchés que grandpère avait posé sur le frigo pour l'enquiquiner. Je déchirai un morceau de viande avec mes canines anormales et le mâchai jusqu'à le rendre aussi soluble que la purée. J'avalai une cuillerée de la mousseline qui se révéla être délicieuse. Je simulai le bonheur que produisait en bouche ce met et grand-mère gloussa. — Je ne connais pas meilleure cuisinière que toi, affirmai-je en m'essuyant la bouche. Merci. — Il n'y a pas de quoi, mon chéri. Tu veux un dessert, peut-être ? J'ai fait une tarte à la pomme tout à l'heure. — Non, merci. Tu en as déjà fait assez pour moi. — Si c'est ta raison. Elle se leva et ouvrit le frigo où elle y planta sa tête. Je ne connaissais pas plus têtu qu'elle, non plus. Jamais elle n'était fatiguée et ne voulait se reposer. C'était quelque chose qui me dérangeait parce que je voulais la préserver au maximum pour ne pas la perdre. Je me suis toujours demandé qu'est-ce que serait ma vie si elle était amenée à disparaître, et jamais je n'ai répondu à ces questions. Elle sortit sa fameuse tarte parfumée du réfrigérateur et la déposa sur la table. — J'en mange si tu en manges avec moi, chantai-je. 48 — Oh, tu sais. J'ai déjà mangé moi. — Ce n’est pas grave. Rien ne t'empêche de faire un excès, tu sais. Finalement, elle esquissa deux parts sur la tarte à la surface bosselée par les morceaux en quartier de pomme et les glissa dans des essuie-tout. Un pour moi, l'autre pour elle. Comme chacun de ses mets, c'était excellent. Le goût pétillait sous mon palet. — Je ne veux pas me répéter alors je ne dirai rien. Elle sourit, remonta ses lunettes tombées sur l'arête de son nez en face de ses yeux et se replongea dans ses mots fléchés en croquant de temps en temps dans sa part. Vint le moment où elle regarda l'heure sur le four électrique qu'elle avait fait remplacé il y avait quelques mois. L'ancien qui était une relique l'avait enfin lâché. — Doudou, il est minuit. Faut que tu ailles dormir un peu. — Oui. Je baisai sa joue. Elle passa sa main dans mes cheveux et me laissa partir. Je m'enfonçai sous mes draps et pris mon téléphone qui était resté dans mon lit tout le reste de la journée. Directement, je tweetai : journée merdique, ainsi que sur Facebook où de suite je vis des demandes d'ajout en ami. Je consultai : Ahmed Neuf Cinq et Floriane Praden. Aucun nom ne m'intéressait et surtout me disait quelque chose alors je quittai le réseau social et retournai sur Twitter où on avait réagi à ma remarque : « T'es pas celui qui s'est rétamé la gueule devant tout le monde tout à l'heure ? » Je décidai de ne rien répondre mais mon moral monté à son apogée régressait de nouveau. 49