À propos du tricentenaire de la naissance de LINNÉ et de BUFFON

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À propos du tricentenaire de la naissance de LINNÉ et de BUFFON
POUR LA PETITE HISTOIRE
À propos du tricentenaire de la naissance de LINNÉ
et de BUFFON, l’anecdote du Buf(f)onia
Jean VALLADE
4 rue Gagnereaux - 21000 DIJON
La célébration du tricentenaire de la naissance de LINNÉ et de BUFFON a été l’occasion, tout au long de l’année 2007, de publications diverses sur la vie de ces deux
grands hommes. Parmi celles-ci, l’ouvrage de T. HOQUET (2007) qui s’intitule tout
simplement « BUFFON/LINNE » propose une analyse en parallèle des deux personnalités et de leurs œuvres en indiquant leurs points communs mais surtout en soulignant
leurs différences. Ce livre est aussi l’occasion d’évoquer l’anecdote à propos du nom
attribué à une petite plante nommée Buffonia puis Bufonia.
Outre leur année de naissance, LINNÉ et BUFFON ont en commun d’avoir été deux
savants naturalistes célèbres de leur temps. Tous deux étaient en effet bien insérés dans
les institutions de leurs pays et, comme l’indique HOQUET : « ils ont eu la charge de
jardins naturalistes et ont été à la tête d’importantes collections ; ils étaient par ailleurs
entourés de larges réseaux de correspondants, qui les pourvoyaient en spécimens, mais
aussi de nombreuses lettres riches en informations. » BUFFON a été membre de l’Académie
royale des Sciences de Paris en 1733 (il n’avait que 26 ans), LINNÉ deviendra membre correspondant de cette Académie en 1738. BUFFON sera promus dans cette institution au poste d’adjoint
botanique en 1739 puis sera nommé Intendant du Jardin du Roi en 1741.
François BUGNON
L’année 1707 a donc vu la naissance de Carl LINNAEUS le 23 mai à Rashult, petite
ville au sud de la Suède, et de Georges-Louis LECLERC, le 7 septembre à Montbard,
dans le royaume de France. LINNAEUS prendra le nom de LINNÉ en 1756 après avoir
été anobli comme Chevalier de l’Étoile polaire tandis que G.L. LECLERC prendra celui
de BUFFON en 1733 lorsqu’il devient propriétaire de la terre du même nom située près
de Montbard ; il ne sera fait comte qu’en 1771.
Bufonia paniculata.
En 1749 paraissent les trois premiers volumes de l’Histoire naturelle générale et particulière où
BUFFON ose des hypothèses philosophiques au moyen desquelles il explique l’origine de la terre ou
la forme des espèces. Quinze de ses propositions seront condamnées par la Faculté de Théologie de
Paris en 1751. À cette époque LINNÉ a déjà publié ses ouvrages fondamentaux : Systema naturae
(1735), Fundamenta botanica (1736) et Genera plantarum (1737) dans lesquels il formule les règles
qui doivent présider aux travaux de botanique, règles qui seront assez férocement critiquées par
BUFFON dans le premier volume de son Histoire naturelle. L’opposition entre les deux hommes
porte à la fois sur la manière de classer les vivants et la manière de les nommer. Dans Philosophia
botanica (1751) LINNÉ explique les bases de sa « classification sexuelle » des plantes qu’il partage
en 24 classes élaborées selon le nombre, les proportions relatives et la position des étamines et du
pistil. BUFFON s’oppose au choix arbitraire de tels caractères particuliers (la quantité ou la forme
d’un organe) et souhaite qu’on prenne en considération l’ensemble des caractères afin de mieux
respecter « la marche de la Nature qui se fait toujours par nuances ». À la nomenclature binomiale
de LINNÉ officialisée en botanique par le Species plantarum (1753) et généralisée au règne animal
en 1758, BUFFON préfère les noms vernaculaires et il s’en prend à LINNÉ qui juxtapose au cheval
(Equus cabalus) l’âne rebaptisé Equus asinus : un âne est un âne et non une espèce de cheval ! Les
critiques, parfois violentes, portées par BUFFON à l’encontre du système linnéeen ne trouveront toutefois aucun écho dans les textes de LINNÉ. Sauf, peut-être, dans l’attribution du genre Buffonia…
Le genre Buffonia, « une vengeance de LINNÉ » ?
HOQUET rapporte dans son livre l’existence d’une brève notice parue dans le Magasin pittoresque en 1854 et intitulée « Une vengeance de LINNÉ ». Cette notice décrit ainsi la plante
nommée Buffonia par LINNÉ : « L’aspect en était désagréable, elle ne se montrait que dans les
terrains arides et servait presque toujours d’asile aux crapauds. LINNÉ lui assigna sa place dans la
classification en lui donnant le nom de Buffonia. Ce fut la seule réponse qu’il fit jamais au naturaliste français. » Fiction ou réalité ? En faveur de cette interprétation, HOQUET raconte que « la
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Jean VALLADE
Rev. sci. Bourgogne-Nature 6-2007, 8-9
légende naturaliste expose souvent le cas fait à BROWALL, d’abord disciple de LINNÉ qui devint
son adversaire : jeune homme humble et modeste, il est récompensé de sa soumission par LINNÉ
qui lui dédie l’espèce Browallia demissa (abaissé vers la terre) ; puis BROWALL s’élève bien vite
dans la hiérarchie des clercs : il obtient une cure, puis un décanat, puis un évêché et LINNÉ crée
alors l’espèce Browallia elata (élevé), pour rappeler cet essor rapide. Enfin, BROWALL s’oppose
frontalement à LINNÉ et lui adresse de vives critiques. LINNÉ trouve alors une troisième espèce
de Browallia, aux formes bizarres et aux caractères ambigus : il la qualifie d’alienata. Il est tout à
fait possible que LINNÉ ait réservé le même type de réponse à BUFFON. » Mais on peut indiquer
a contrario qu’il a dédié le genre Adansonia (le Baobab, un des arbres les plus emblématiques de
notre planète) à ADANSON (1727-1806), qui fut pourtant l’un de ses plus résolus opposants.
Du reste, l’auteur du nom de genre Buffonia demeure incertain. Par ailleurs, ce nom a été
diversement orthographié avec redoublement ou non du f. La paternité du Buffonia reviendrait
à François Boissier de SAUVAGES (1706-1767), professeur à Montpellier et correspondant de
LINNÉ. Mais la première mention officielle de ce genre se trouve dans le tome premier des Amoenitates academicoe (1749), dans le texte d’une thèse soutenue en 1747 sous la présidence de
LINNÉ, avec la précision suivante : Bufonia, auctore Sauvages (M.A. FEE, 1857). D’autre part, en
1751, SAUVAGES publie les caractères génériques du Buffonia qu’il dédie à BUFFON mais laisse
imprimer Bufonia dans son texte alors que dans la table il met Buffonia auquel « il ajoute même
un L. (Linné) comme s’il rappelait le nom du fondateur » (M.A. FEE, 1857)… Les cartes sont alors
totalement brouillées. Les deux orthographes ont pourtant des significations fort différentes :
Bufonia nous ramène au crapaud (Bufo bufo) et pourrait se justifier par le fait souligné par M.A.
FEE que la petite Caryophyllaceae en question « ressemble étonnamment par le port au Juncus
bufonius de nos marécages, et LINNÉ aura pu supposer que le nom générique était destiné à
rappeler cette analogie extérieure, ignorant à quel naturaliste le genre était dédié. » À moins qu’il
ne s’agisse d’un choix silencieux mais vengeur de LINNÉ ! Le doute subsiste donc.
Toujours est-il que les deux orthographes ont été reproduites par la suite : ainsi LAMARCK en
1783, GAERTNER en 1787 et JUSSIEU en 1789 adopteront Bufonia se soumettant au texte de
SAUVAGES et à celui des Amoenitates. Par contre BONNIER, dans sa Grande Flore, de même que
FOURNIER dans les Quatre flores de la France écrivent Buffonia et précisent que ce genre est dédié à
BUFFON. Selon l’Index synonymique de la Flore de France (KERGUELEN, 1993), le genre Bufonia L.
(avec un seul f) comporte trois espèces françaises : B. paniculata F. Dubois, B. perennis Pourret et B.
tenuifolia L. ; seule la première de ces espèces est représentée en Bourgogne dans des pelouses et
champs calcaires rocailleux ou dans les rocailles des carrières ; c’est une espèce rare, en régression,
qui n’existe plus en Bourgogne que dans la Côte au sud de Dijon (BUGNON et al., 1993).
Bibliographie
FOURNIER, P. 1936. Les Quatre flores de la France. Éd. P. Lechevalier, Paris
(édition de 1961), 1105 p.
HOQUET, T. 2007. BUFFON/LINNÉ, éternels rivaux de la biologie ? Éd.
Dunod, Paris, 221 p.
KERGUELEN, M. 1993. Index synonymique de la Flore de France. M.N.H.N.,
Paris, 197 p.
Josiane ALABOUVETTE
BONNIER, G. & DOUIN, R. 1990. La Grande Flore de Gaston Bonnier. Éd.
Belin, Paris.
BUGNON, F., FELZINES, J.C., LOISEAU, J.E. & J.M. ROYER. 1993. Nouvelle
Flore de Bourgogne. Bull. Sci. Bourg., éd. hors-série.
FEE, M.A. 1857. Linné aurait-il, dans une intention mauvaise, altéré l’orthographe
du nom du genre Buffonia ? Bull. Soc. Bot. Fr. IV: 762-766.
Statue de LINNÉ et vaisselle décorée avec Linnaea borealis, Musée Linnée à Uppsala (Suède).
À propos du tricentenaire de la naissance de LINNÉ et de BUFFON, l’anecdote du Buf(f)onia
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