deux jugements récents : la mauvaise foi et la
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deux jugements récents : la mauvaise foi et la
asken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. DEUX JUGEMENTS RÉCENTS : LA MAUVAISE FOI ET LA LEVÉE DU VOILE CORPORATIF Par Paul Mayer Deux décisions récentes de la Cour démontrent que le garant des obligations d’un locataire peut, si le celui-ci est en défaut, être tenu responsable de tous les dommages subis par un locateur si ce garant est de mauvaise foi et ce, même s’il a négocié certaines restrictions à l’égard de sa responsabilité aux termes du cautionnement. Ces décisions démontrent également qu’un tribunal peut lever le voile corporatif d’une compagnie lorsque son actionnaire est de mauvaise foi. Vancouver Calgary Toronto Montréal Québec New York Londres Johannesburg www.fasken.com La notion de bonne foi impose deux différents types d’obligations pour les parties à un bail commercial. Tout d’abord, le Code civil stipule que la bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation et qu’à celui de son exécution ou de son extinction1. Ce qui signifie que les parties à un bail doivent négocier de bonne foi avant la signature du bail, s’acquitter des obligations de la même manière et continuer d’agir en conséquence jusqu’au terme du bail. Également, le Code civil stipule que toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi2. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable3. Ce qui signifie que les parties à un bail ne peuvent abuser des droits dont elles bénéficient en vertu du bail. En outre, une personne ne peut se cacher derrière une corporation pour éviter d’engager sa responsabilité lorsqu’elle agit de mauvaise foi. Le Code civil stipule expressément que « la personnalité juridique d’une personne morale ne peut être invoquée à l’encontre d’une personne de bonne foi, dès lors qu’on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l’abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l’ordre public »4. L’objectif de cette conférence est d’examiner ces deux récentes décisions. Bombay Palace La première décision est celle de la Cour supérieure rendue dans l’affaire Placements Sergakis inc. c. Ekomkar Restaurant Corporation of Canada Ekomkar Restaurant Limited.5 Corporation (« Ekomkar ») exploitait depuis plus de 25 ans un restaurant, le Bombay Palace, situé au 2051, rue Ste-Catherine à Montréal, près de l’ancien Forum. Puisque cette zone de la ville subissait une transformation, le locateur, 3 1 2 Article 1375 C.c.Q. Article 6 C.c.Q. Article 7 C.c.Q. Article 317 C.c.Q. 5 J.E. 2005-1738 (C.S.) 4 Placements Sergakis inc., ne voulait pas, en 2001, renouveler le bail pour une longue période. Cette année-là, un renouvellement d’un an a été signé. L’année suivante, en avril 2002, le bail a été renouvelé pour une durée de deux ans. Préoccupé par la stabilité financière du locataire, le locateur a demandé à M. Iqbal Chhatwal de se porter garant des obligations du locataire. Nous pouvons constater que M. Chhatwal a convenu de le faire. Il a toutefois limité sa responsabilité à six mois de loyer : [TRADUCTION :] « Article 25. Il est convenu que la responsabilité de M. Iqbal Chhatwal à l’égard du bail; ses conditions et ses obligations, y compris les paiements du loyer, ne doivent pas être supérieurs à la somme totale équivalente à six (6) mois de loyer. (sic) » À l’insu du locateur, M. Chhatwal désirait trouver une solution à plus long terme pour son restaurant. Pendant qu’il négociait avec M. Sergakis, M. Chhatwal a visité un autre édifice, un coin de rue plus loin, situé au 2201, rue Ste-Catherine, et ce qu’il a vu lui a plu. Il a signé un bail de 15 ans dans cet édifice au nom de Bombay Palace Inc. (« Bombay »). Il a investi 350 000 $ dans le nouveau restaurant en vue de déménager l’ancien restaurant au nouvel emplacement. Le 1er mai, un mois seulement après avoir signé le renouvellement du bail, Ekomkar n’a pas payé le loyer et a omis de le faire à nouveau en juin et en juillet. En juillet, M. Chhatwal a remis deux chèques personnels pour le loyer. En septembre, le nouveau restaurant Bombay Palace a ouvert ses portes. Au cours des mois qui ont suivi, les clients étaient invités à se rendre au nouveau restaurant. M. Chhatwal a continué d’envoyer des chèques personnels afin de payer le loyer jusqu’en novembre 2002. Ce même mois, M. Chhatwal, ayant effectué le dernier paiement exigible en vertu de l’article 25 du bail, a remis les clés au locateur. À partir de ce moment-là, n’encaissant aucunes recettes provenant des lieux, Ekomkar était dans l’incapacité de payer son loyer ou de rembourser ses autres créanciers. Le locateur a intenté une poursuite en dommages-intérêts s’élevant à environ 150 000 $ pour loyers impayés. Il a déclaré qu’Ekomkar, Bombay et M. Chhatwal ne faisaient qu’un étant donné que M. Chhatwal prenait les décisions pour les deux entreprises et que leurs opérations financières se confondaient. Il a été allégué que M. Chhatwal était l’alter ego des entreprises et qu’il était entièrement responsable de leurs décisions. Responsabilité du garant M. Chhatwal a fait valoir que ses obligations contractuelles se limitaient au paiement de six mois de loyer. La Cour supérieure a décidé que l’article 25 du bail, qui limitait la responsabilité de M. Chhatwal à six mois de loyer, était valide. La Cour a reconnu que les obligations de M. Chhatwal, en tant que garant du bail, avaient été acquittées et qu’il n’avait plus d’autre obligation contractuelle à l’égard du locateur. La Cour a toutefois jugé que M. Chhatwal était de mauvaise foi lorsque lui et Ekomkar ont conclu le contrat de location. La Cour a jugé que M. Chhatwal avait trouvé un moyen de profiter des avantages d’un bail de deux ans tout en ne payant que six mois de loyer. La Cour a jugé que les manœuvres de M. Chhatwal avaient été planifiées avec soin et qu’il n’avait jamais eu l’intention de faire payer à Ekomkar un loyer aux termes du nouveau bail, ce qui constituait un abus de droit. La Cour a conclu que pareille mauvaise foi était inacceptable et qu’elle devrait être sanctionnée. Par conséquent, la Cour a estimé que M. Chhatwal devrait être tenu responsable de tous les dommages directs subis par le locateur. Levée du voile corporatif Le locateur a demandé à la Cour de lever le voile corporatif de Bombay et de considérer Ekomkar et Bombay comme une seule et même personne se conformant aux décisions de leur alter ego, M. Chhatwal. Il existe un principe juridique bien établi selon lequel les corporations possèdent une personnalité juridique distincte de celle de leurs actionnaires et de leurs dirigeants. Il s’agit du « voile corporatif ». Un tribunal lèvera le voile corporatif lorsqu’il existe une relation étroite entre deux entreprises ou lorsque la même personne est propriétaire d’une entreprise et qu’elle la dirige. Dans de telles circonstances, une entreprise est considérée comme l’alter ego de l’actionnaire. Dans des circonstances exceptionnelles, le Code civil permet expressément la levée du voile corporatif lorsqu’une entreprise agit par l’intermédiaire de son alter ego et que la personnalité juridique distincte de l’entreprise est invoquée à l’encontre d’une personne de bonne foi pour masquer la fraude, l’abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l’ordre public. Dans le cadre de cette affaire, la Cour a conclu que Bombay avait été expressément créée au printemps 2002 en vue de mener à bien le plan de M. Chhatwal. Lorsque Bombay a débuté l’exploitation du nouveau restaurant, elle devait bénéficier à elle seule des revenus auparavant générés par Ekomkar. On s’était servi de Bombay en vue d’aider Ekomkar à devenir insolvable, avec comme conséquence calculée de ne laisser au locateur aucun moyen possible de recouvrer le loyer exigible aux termes du bail. La Cour a décidé, dans les circonstances, de lever le voile corporatif de Bombay et de la rendre responsable, avec M. Chhatwal et Ekomkar, des dommages subis par le locateur. Cohoes La décision rendue par la Cour d’appel en septembre 2005 dans l’affaire 3458296 Canada Inc. et al. c. SIRR Desjardins Inc.6 et al. est un autre exemple où la mauvaise foi du garant d’un bail a été sanctionnée et où le voile corporatif a été levé. Dans le cadre de cette affaire, 3458296 Canada inc. (« 3458 »), représentée par M. Ami Kaminski, a loué des locaux, en 1998, dans Les Promenades Montarville à Boucherville pour une période de dix ans afin d’y établir un magasin de vente au détail de vêtements Cohoes. Selon le bail et une entente de modification au bail, Cohoes Fashion Inc. (« Cohoes ») se portait garante des obligations du locataire. La portée du cautionnement était toutefois limitée à la portion non amortie de la somme payée par le locateur (basée sur un amortissement linéaire de dix ans) à l’égard des améliorations locatives. Les coûts de ces améliorations s’élevaient à 247 000 $. Le bail contenait une clause qui stipulait que, dans le cas où le chiffre d’affaires brut du locataire au cours de la troisième année de la durée du bail ne dépassait pas 125 $ par pied carré, le locataire et le locateur avaient le choix de résilier le bail. Dans le cas où le locataire se prévalait de l’option de résiliation du bail, il devrait rembourser au locateur la fraction non amortie de l’allocation aux fins d’améliorations locatives. Dans le cas 6 J.E. 2005-1765 (C.A.) où le locateur se prévalait de l’option de résiliation du bail, il devait rembourser au locataire le coût de son installation dans les locaux. En juillet 2001, les deux parties ont reconnu que les ventes brutes du locataire provenant des locaux n’avaient pas atteint le niveau de 125 $ par pied carré. Au lieu d’exercer son droit d’annulation du bail, le locataire a simplement arrêté de payer le loyer. Le locateur a tenté de négocier avec le locataire afin de trouver une solution. Certaines solutions proposées comprenaient le déménagement du locataire dans un local plus petit ou la réduction de ses arrérages de loyer. Aucune solution proposée ne convenait au locataire, sauf une réduction majeure du loyer. Il a continué d’exploiter le local sans payer de loyer. Exaspéré, le locateur a pris des mesures afin de résilier le bail et de recouvrer environ 300 000 $ en loyer impayé ainsi qu’un montant de 170 000 $ en améliorations locatives non amorties. Au moment du procès, 3458 était insolvable. Le locateur a cherché à se faire rembourser à la fois par 3458 et par Cohoes. Cohoes, qui était solvable, a allégué que le locateur lui aurait fait de fausses représentations et, pour différentes autres raisons, qu’elle était justifiée de ne pas payer le loyer. Elle a également allégué que ses obligations étaient limitées par les termes du cautionnement. Au procès, la preuve a révélé que 3458 était une coquille vide. Toutes les décisions à l’égard de 3458 étaient prises par M. Kaminski des bureaux de Cohoes, le gérant du magasin dans les locaux était un employé de Cohoes et la comptabilité et la tenue des livres comptables étaient effectuées par le comptable de Cohoes. Même les vêtements qui se trouvaient dans les locaux étaient la propriété de Cohoes. Cour supérieure En juillet 2003, la Cour supérieure7 a conclu que les excuses fournies par 3458 pour ne pas avoir payé le loyer étaient futiles et dilatoires et que M. Kaminski n’était pas un témoin crédible. La Cour a estimé que M. Kaminski ne souhaitait pas être celui qui résiliait le bail parce qu’il ne voulait pas que Cohoes ait à rembourser les coûts non amortis de l’allocation d’améliorations locatives. Il croyait qu’en ne payant pas le loyer, il pourrait forcer le locateur à demander la résiliation du bail. La Cour a conclu que cette façon d’agir était de mauvaise foi et qu’elle constituait un abus de droit. La Cour a également statué que 3458 et Cohoes étaient des alter ego. Elle a soutenu que M. Kaminski et sa famille avaient mis sur pied une structure d’entreprise élaborée afin de protéger intentionnellement Cohoes contre ses créanciers. Elle a conclu que, tandis que Cohoes possédait la totalité des actifs, 3458 avait la totalité des dettes. 7 2003 IIJCAN 1001 (QC C.S.) À ce titre, la Cour a conclu que, malgré les restrictions négociées dans le cautionnement, Cohoes était solidairement responsable avec 3458 de rembourser la totalité des loyers impayés ainsi que la partie non amortie du coût des améliorations locatives. Cour d’appel Par la suite, Cohoes a déposé une requête en faillite. Le syndic de faillite a interjeté appel. Dans une décision rendue en septembre 2005, la Cour d’appel a confirmé la décision de la Cour supérieure. La Cour d’appel a soutenu que Cohoes et 3458 se confondaient à un point tel qu’elles ne formaient qu’une seule et même entité et qu’elle les tenait toutes deux responsables des dommages subis par le locateur en raison des éléments suivants : 1. les bénéfices de 3458 étaient considérés comme ceux de Cohoes. En effet, les ventes faites dans le local loué profitaient à Cohoes puisque les biens vendus lui appartenaient; 2. le dirigeant de 3458 et de Cohoes était la même personne, soit M. Kaminski; 3. Cohoes dirigeait pour 3458 tous les aspects de l’exploitation du commerce dans le local loué. La Cour a statué que ces éléments étaient suffisants pour conclure que Cohoes devrait être condamnée solidairement au paiement des loyers échus et du coût des améliorations locatives non amorties. Pour plus d’informations sur ce sujet, vous pouvez communiquer avec l’auteur : Paul Mayer 514 397 7630 [email protected] Ce texte a pour but de fournir des commentaires généraux sur le sujet mentionné en titre. Les commentaires reflètent le point de vue de l’auteur et ne constituent pas des opinions exprimées au nom de Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l. ou toute société membre. Ce texte n’a pas pour but de fournir des conseils juridiques. Les lecteurs ne devraient pas prendre des mesures sur la foi des renseignements sans prendre conseil à l’égard des questions spécifiques qui les concernent. Il nous fera plaisir de fournir, sur demande, des détails supplémentaires. © 2006 Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.