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Race
Religion
5,95 $ also available in English
Directeur invité
Myer Siemiatycki,
Ryerson University
Sexe
Avec l’appui de la Direction
générale de l’intégration de
Citoyenneté et Immigration
Canada, du Programme du
multiculturalisme, Patrimoine
canadien, et du Secrétariat
national pour les sans-abri.
Spring / printemps 2005
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Invali
Françoise Armand
Robert Armstrong
Jason Azmier
Morton Beiser
Chedly Belkhodja
Laurence Boucheron
Paul A. Bramadat
Diane Dagenais
Colleen Dempsey
Douglas Durst
Rick Enns
Michael Farrell
Michel Fournier
J. S. Frideres
Grace-Edward Galabuzi
Sylvie Gravel
Feng Hou
Razia Jaffer
Jack Jedwab
Fran Klodawsky
Audrey Kobayashi
Jean Lock Kunz
Solange Lefebvre
Clarence Lochhead
Patrick MacKenzie
Joseph Mensah
Ann Marie Murnaghan
Linda Ogilvie
Jacqueline Oxman-Martinez
Louis Patry
Valerie Preston
Mythili Rajiva
Brian Ray
Myrta Reyes
Joanna Anneke Rummens
Kareem D. Sadiq
Grant Schellenberg
Barbara Schleifer
Myer Siemiatycki
Evangelia Tastsoglou
Hieu Van Ngo
Marika Willms
Tracy Wityk
Avec une série de textes
portant sur l’immigration
et le sans-abrisme
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L’immigration
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et les intersections
de la diversite
disponible jusqu’au 1er juin 2005
on display until June 1st, 2005
UNE CONFÉRENCE NATIONALE SUR L’HISTOIRE DU CANADA :
ENSEIGNEMENT, APPRENTISSAGE ET COMMUNICATION
Nouvelles frontières de notre histoire :
Les 100 ans de l’Alberta et de la Saskatchewan au sein de la confédération
Le passé, le présent et l’avenir
Hôtel et Centre de
conférences Westin
Edmonton (Alberta)
28-30 octobre 2005
Pour de plus amples renseignements : www.acs-aec.ca
Spring / printemps 2005
3 Introduction
Myer Siemiatycki
5 Entretien avec l’honorable Joe Volpe
8 Entretien avec l’honorable Raymond Chan
11 Entretien avec l’honorable Joe Fontana
ORIENTATION SEXUELLE ET IMMIGRATION
14 Établir le lien entre l’immigration, la sexualité et la
citoyenneté : comparaison entre le Canada et les États-Unis
Brian Ray et Audrey Kobayashi
18 Droit canadien de l’immigration et partenaires de même sexe
Marika Willms
ÂGE ET IMMIGRATION – ENFANCE ET JEUNESSE
22 La nouvelle étude sur les enfants et les jeunes Canadiens :
recherche visant à pallier un manque dans le Plan d’action
national pour les enfants
Morton Beiser, Robert Armstrong, Linda Ogilvie,
Jacqueline Oxman-Martinez, Joanna Anneke Rummens
27 Franchir le fossé des générations : explorer les différences
entre les parents immigrants et leurs enfants nés au Canada
Mythili Rajiva
32 Regard sur les enfants et les jeunes immigrants
Hieu Van Ngo et Barbara Schleifer
ÂGE ET IMMIGRATION – VIEILLISSEMENT
38 Encore plus de têtes grises : les immigrants âgés au Canada
Douglas Durst
81 L’hétérogénéité ethnoculturelle des Noirs dans nos
« ethniCités »
Joseph Mensah
RELIGION ET IMMIGRATION
88 Au-delà du cheval de Troie : religion, immigration et
discours public canadien
Paul A. Bramadat
92 La religion, le pluralisme et l’arbitrage confessionnel :
conséquences pour les Canadiennes de confession
musulmane
Razia Jaffer
97 La religion dans la sphère publique
Solange Lefebvre
SEXE ET IMMIGRATION
101 Les intersections du sexe et de la migration dans le
contexte canadien
Evangelia Tastsoglou, Brian Ray et Valerie Preston
104 Barrières d’accès à l’indemnisation pour les travailleurs
immigrants victimes de lésions professionnelles
Sylvie Gravel, Laurence Boucheron, Michel Fournier
et Louis Patry
LANGUES OFFICIELLES ET IMMIGRATION
110 Langues en contexte d’immigration : éveiller au langage et
à la diversité linguistique en milieu scolaire
Françoise Armand et Diane Dagenais
114 Intégrer les nouveaux arrivants au marché du travail canadien
Clarence Lochhead et Patrick MacKenzie
43 Les aînés et l’immigration : services et questions
Tracy Wityk et Myrta Reyes
46 La prise en compte de l’évolution de vie dans l’intégration
des immigrants
Jean Lock Kunz
50 Immigrants âgés au Canada : sources de revenus et
autosuffisance
Colleen Dempsey
STATUT SOCIOÉCONOMIQUE ET IMMIGRATION
55 Bien-être économique des nouveaux immigrants au Canada
Grant Schellenberg et Feng Hou
59 Facteurs influant sur la situation économique et sociale
des immigrants : le Canada en ce nouveau millénaire
Grace-Edward Galabuzi
ETHNICITÉ ET IMMIGRATION
65 Ethnogenèse : l’origine ethnique des immigrants et le
développement des clivages sociaux qui y sont associés
J. S. Frideres
69 Race, ethnicité et immigration en milieu de travail : expériences des personnes appartenant à une minorité visible
et initiatives en matière de diversité en milieu de travail
Kareem D. Sadiq
76 Immigration et racialisation au Canada : géographies
de l’exclusion ?
Valerie Preston et Ann Marie Murnaghan
LANGUES PATRIMONIALES ET IMMIGRATION
119 Les intersections de la dualité : la relation entre l’identité
ethnoculturelle et la langue minoritaire
Jack Jedwab
RÉGIONALISATION ET IMMIGRATION
124 Le défi de la régionalisation en matière d’immigration :
l’immigration francophone au Nouveau-Brunswick
Chedly Belkhodja
128 Tableau de l’immigration propre à l’Ouest canadien
Jason Azmier
EN VEDETTE : POLITIQUES EN MATIÈRE DE SANS-ABRISME
132 Lutte contre l’instabilité des nouveaux arrivants en matière
de logement
Michael Farrell
137 Panel sur le sans-abrisme : analyse des données secondaires
concernant les réponses données par les participants dont le
pays d’origine n’est pas le Canada
Fran Klodawsky, Tim Aubry, Behnam Behnia,
Carl Nicholson et Marta Young
142 Ménages immigrants et sans-abrisme
Rick Enns
147 73e Congrès de l’ACFAS
Thèmes canadiens est publié par
Canadian Issues is published by
Ce numéro de Thèmes canadiens
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PRÉSIDENT INTÉRIMAIRE / INTERIM PRESIDENT
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INTRODUCTION
Spring / printemps 2005
MYER SIEMIATYCKI
peut exercer une influence de taille sur l’expérience
d’établissement et d’intégration des immigrants au Canada.
De plus, les immigrants du Canada n’ont pas tous suivi
le même parcours jusqu’à la citoyenneté. Il y a plusieurs
niveaux d’attachement à la citoyenneté pour les immigrants
du Canada. Leur tendance à s’établir dans régions urbaines
précises donne à penser que les nouveaux arrivants sont très
attachés à nos grandes villes, en particulier à Toronto,
Vancouver et Montréal. Les immigrants du Canada
témoignent – par leur lieu d’établissement – d’une forme de
citoyenneté urbaine, ancrée dans le paysage local qu’ils jugent
le plus propice à la réalisation de leurs aspirations et au
maintien de leurs attaches.
Au-delà de l’échelle locale, certains immigrants
ressentent aussi de grandes affinités avec une région ou une
province. Les immigrants francophones, par exemple, sont
majoritairement attirés par le Québec. Le soutien financier
accordé par la province aux écoles des minorités religieuses a
aussi encouragé l’établissement d’immigrants non chrétiens
au Québec. À l’échelle nationale, la citoyenneté revêt
différentes significations pour différents Canadiens. Certains
mettent l’accent sur l’engagement actif du citoyen dans les
partis politiques et les associations, alors que d’autres
adoptent une approche plus passive, une approche de
consommateurs qui réclament certains biens liés à la citoyenneté. Enfin, à l’échelle mondiale, le transnationalisme
intervient de plus en plus dans l’identité et le comportement
des immigrants du Canada. Les multiples citoyennetés se
sont transformées en une panoplie de possessions,
d’identités, de droits et de responsabilités.
Comme le révèlent les articles de cette collection, la
reconnaissance des multiples intersections de la diversité
nuance et approfondit notre compréhension de l’immigration et de la citoyenneté. Certains articles ont comme
point de départ les dimensions importantes de la diversité
des immigrants (p. ex. lieu du cycle de vie, orientation sexuelle, race, religion ou région d’établissement au Canada).
D’autres sont axés sur des sphères particulières du vécu des
immigrants (p. ex. l’intégration au marché du travail, l’accès
au logement, les prestations de santé et de sécurité au travail)
aux fins de l’évaluation des incidences des divers marqueurs
d’identité des nouveaux arrivants.
Cela a pour résultat de nous rappeler à quel point le
sens du terme « citoyen-immigrant » peut varier au Canada.
Une poignée d’articles explorent les dynamiques de
l’immigration que sont l’âge et le cycle de vie. Jean Lock Kunz
argue qu’afin de pouvoir comprendre les besoins d’intégration, il faut les examiner selon l’optique d’un plan de vie. Elle
démontre qu’il est possible d’améliorer l’adaptation au
Canada du nouvel arrivant, en s’assurant que les programmes et les politiques soient plus attentifs aux différents
stades de l’intégration des immigrants. Dans leur rapport sur
l’étude pancanadienne effectuée auprès d’enfants immigrants
ou réfugiés de près de 20 pays différents, Morton Beiser et
coll. prouvent que l’état de santé des jeunes immigrants est
sous-étudié. Parmi les facteurs déterminants de la santé mentale des jeunes nouveaux arrivants, il faudrait compter l’âge
Directeur de programme
Maîtrise en études de l’immigration et de l’établissement
Ryerson University
L
es articles de ce recueil nous rappellent les nombreuses
significations et les nuances inhérentes aux termes
« immigrant » et « citoyenneté ». Tour à tour, ils
témoignent d’un riche programme de recherches et de
politiques ayant pour objectif de comprendre et de façonner
la migration internationale vers le Canada.
De toute évidence, ces deux termes sont fondés sur un
dénominateur commun. Les immigrants sont des résidents
permanents du Canada nés à l’étranger, et la citoyenneté
est le fait de devenir officiellement membre de la société
canadienne. Ces significations ont donné naissance à des
descriptions qui définissent « la condition canadienne ».
Nous nous percevons comme « une nation d’immigrants »,
unie par une même citoyenneté, qui confère à chacun
d’entre nous les mêmes droits et responsabilités.
Notre propre compréhension de qui nous sommes, en
tant que nation de « citoyens immigrants » (et de leurs
descendants), pourrait bien découler d’un désir de cerner les
points communs qui relient cette remarquable diversité
qu’est l’entité sociopolitique canadienne. Sous-tendant ceci,
le besoin s’est fait ressentir d’identifier ce qui unit les
Canadiens plutôt que ce qui les divise. Cet effort a
notamment lieu à deux résultats forts positifs : d’abord, une
nouvelle définition communautaire du Canada, en tant que
pays ouvert aux immigrants de toutes origines et, ensuite, à
une voie d’accès efficace, pour les immigrants, vers les droits
liés à la citoyenneté canadienne.
Toutefois, notre mise en relief, somme toute générale,
d’un « citoyen-immigrant » universel peut aussi engendrer
une perception uniformisée de l’expérience des immigrants
au Canada. Et rien ne peut être plus éloigné de la réalité. Il
y a autant de différences entre les immigrants du Canada
(souvent, au sein même d’une même communauté de
nouveaux arrivants !) qu’il y en a entre les immigrants et les
Canadiens de naissance.
Cela tient aux nombreuses circonstances et caractéristiques qui sont regroupées sous le seul terme « immigrant ».
Examinons les multiples intersections de la diversité qui
distinguent chacun des 5,4 millions d’immigrants qui se
trouvent aujourd’hui au Canada. Sont-ils entrés au Canada
comme travailleurs indépendants, membres de la famille ou
réfugiés ? D’où viennent-ils ? Où se sont-ils établis ? Quel âge
avaient-ils à leur arrivée ? Depuis combien de temps sont-ils
ici ? Quelle est leur langue maternelle ? À quel point sont-ils
à l’aise en français ou en anglais ? Quelle est leur religion ?
Quel est le niveau de leur scolarisation ? Ont-ils étudié au
Canada, à l’étranger, ou au Canada et à l’étranger ? Sont-ils
de sexe masculin ou féminin ? À quelle ethnie et à quelle race
appartiennent-ils ? Quelle est leur orientation sexuelle ? Ontils des déficiences ? À quelle classe sociale appartenaient-ils
avant leur arrivée au Canada ? À quelle classe appartiennentils maintenant ? La réponse à l’une ou l’autre de ces questions
3
Récemment, les preuves de la détérioration de la situation
économique des immigrants au Canada ont suscité d’énormes
préoccupations. Quatre articles sur cette situation révèlent des
préoccupations communes. Grant Schellenberg et Feng Hou
présentent les données sur la situation économique difficile des
immigrants actuels et passent en revue une gamme d’explications
à cet égard. J. S. Frideres discute des rôles que la discrimination
et l’inaction du gouvernement jouent dans cette situation.
Grace-Edward Galabuzzi situe les problèmes dans le contexte plus
vaste de la mondialisation, de l’évolution du marché du travail et
de la racialisation de la pauvreté au Canada. Kareem Sadiq
avance l’idée que les pratiques quotidiennes au travail créent des
obstacles à l’acceptation et à l’avancement des minorités visibles.
Un petit nombre d’articles portent sur les liens entre les
immigrants, le logement et le sans-abrisme. Michael Farrell
fournit des données instructives sur les conditions de logement
des immigrants au Canada. Il explore ensuite la façon dont la
diversité et la marginalisation des nouveaux arrivants exposent les
immigrants au sans abrisme. Rick Enns illustre comment
l’indigence croissante des immigrants et la discrimination dont
sont victimes les immigrants des minorités visibles font en sorte
que les besoins fondamentaux de logement ne sont pas satisfaits.
Il est à noter que Fran Klodawsky et coll. démontrent que les
chemins qui mènent au sans-abrisme ne sont absolument pas les
mêmes pour les immigrants et les non-immigrants. Dans ce
contexte, Klodawsky et ses collègues arguent que des solutions
différentes sont nécessaires pour assurer un logement aux
immigrants et pour assurer un logement aux non-immigrants.
Par ailleurs, tous les articles indiquent qu’une partie de la solution
au sans-abrisme réside dans le renouvellement de l’engagement
pris par le gouvernement en matière de logements sociaux. En
entrevue, l’honorable Joe Fontana, ministre du Travail et du
Logement, explique le contenu des initiatives renouvelées
en matière de recherches et de politiques pour s’attaquer au
sans-abrisme chez les nouveaux arrivants.
Peu de recherche universitaire a été consacrée aux
immigrants récents de la classe ouvrière. Les professionnels et les
entrepreneurs nés à l’étranger ont eu droit, pour leur part, à
beaucoup plus d’attention. S. Gravel et coll. présentent un contrepoids très apprécié avec leur article sur les travailleurs immigrants
victimes d’accidents du travail. Les auteurs démontrent, de façon
convaincante, que les travailleurs immigrants qui se blessent au travail s’en tirent beaucoup plus mal que les travailleurs non immigrants
dans la même situation. Ils demandent à tous les intervenants dans le
domaine de la santé et de la sécurité au travail d’être plus attentifs aux
besoins et aux points faibles particuliers des travailleurs immigrants.
L’ensemble des articles publiés démontre que les chercheurs
et les responsables de l’élaboration de politiques dans le domaine
de l’immigration obtiennent de bien meilleurs résultats lorsqu’ils
tiennent compte des intersections de l’identité et des différentes
façons – souvent inégales – dont les immigrants vivent leur
citoyenneté canadienne.
au moment de l’immigration, la situation de réfugié, la situation
de minorité visible et le revenu familial. À l’autre extrémité de la
courbe des âges, Douglas Durst nous prévient que les généralisations au sujet des immigrants et du vieillissement peuvent nous
guider vers une mauvaise piste. Ainsi, précise-t-il, l’hypothèse
selon laquelle les immigrants sont jeunes est erronée, et les
besoins des personnes âgées varient notamment en fonction de la
durée de résidence au Canada. Au moyen d’une étude de cas sur
l’approche adoptée par un organisme qui s’occupe d’immigrants
âgés, Tracy Wityk et Myrta Reyes illustrent l’importance de concevoir des services qui répondent aux besoins des immigrants
âgés, si l’on veut assurer l’efficacité des services en question.
Deux articles portent sur le traitement accordé aux
couples homosexuels dans le droit de l’immigration. Marika
Willms examine les changements apportés à la Loi canadienne
sur l’immigration. Ces changements ont d’abord permis
l’admission des gais et des lesbiennes au Canada et, ensuite,
ont permis l’ajout des couples homosexuels à la catégorie du
regroupement familial. Brian Ray démontre qu’au Canada, les
couples binationaux de gais et de lesbiennes ont davantage de
droits qu’aux États-Unis, en ce qui a trait au parrainage dans la
catégorie des époux. Willms et Ray affirment tous deux que les
politiques canadiennes d’immigration ont tenu compte de
considérations axées sur l’inclusion sociale et la réalité des
cellules familiales.
La contestation des hypothèses sur la question de la race au
Canada fait l’objet de deux articles. Joseph Mensah montre de
façon convaincante que la communauté noire du Canada est
extraordinairement diversifiée et qu’elle ne correspond pas à
l’image homogène prévalente. Mythili Rajiva nous prévient qu’il
est imprudent de considérer automatiquement les minorités
visibles comme des immigrants. Dans son étude du fossé
intergénérationnel qui sépare les parents immigrants de leurs
enfants nés au Canada, Rajiva met l’accent sur le statut distinct
des minorités visibles nées au Canada.
Deux articles portent sur l’accroissement de la diversité
religieuse au Canada. Paul Bramadat examine les interactions
de l’immigration, de l’etchnicité et de la pratique religieuse.
Il montre comment notre compréhension des systèmes de
croyances religieuses n’a pas suivi le rythme de l’évolution, sans
précédent au Canada, des tendances manifestes en matière de
pratique religieuse. Solange Lefebvre identifie les défis auxquels
sont confrontés les démocraties libérales, en ce qui concerne
la place accordée à la religion dans le domaine public.
L’établissement des limites de l’État et de la religion, illustre-t-elle,
dans certains secteurs comme le gouvernement, les tribunaux,
les écoles et les établissements de soins de santé, peut occasionner
des problèmes et des paradoxes.
Deux documents de cette collection examinent la situation
du point de vue des régions du Canada ayant accueilli peu
d’immigrants. Jason Azmier et Chedley Belkhodja arrivent à
des conclusions semblables en ce qui concerne, respectivement,
l’Ouest canadien et le Nouveau-Brunswick francophone. Ces
deux régions profiteraient de l’établissement d’un plus grand
nombre d’immigrants, et une partie de la solution réside dans
une acceptation accrue de la diversité des immigrants sur le
plan local. Azmier examine les empêchements à l’établissement
d’immigrants dans différentes villes de l’Ouest, et Belkhodja
montre que les communautés francophones de l’Ouest canadien ne perçoivent pas les immigrants de la même façon que
celles des provinces de l’Atlantique.
Note
Si les articles publiés ici touchent une gamme des intersections entre immigration
et identité, tous les aspects n’ont malheureusement été abordés. (In)capacité &
immigration et ethnicité & immigration sont des secteurs de grande importance.
Toutefois, les auteurs qui ont accepté de produire des articles sur ces sujets
n’ont pas été en mesure de le faire. Néanmoins, on peut consulter des analyses
documentaires sur ces sujets à cette adresse internet : http://canada.metropolis.net/
events/Diversity/litreview_Index_F.htm
4
ENTRETIEN AVEC
L’HONORABLE JOE VOLPE
Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration
Au cours des dernières années, les critiques du système canadien d’immigration ont
remis en question les deux raisons les plus souvent invoquées pour justifier la politique
d’immigration au Canada : premièrement, que l’immigration offre une solution au vieillissement de la population et, deuxièmement, que le fait d’avoir une population plus nombreuse
procure des avantages économiques accrus. Les critiques formulées à cet égard sont-elles
valides ? La croissance démographique et les avantages économiques sont-ils toujours les
principales raisons invoquées pour justifier l’immigration ? Quelles sont les autres raisons
justifiant l’engagement soutenu du Canada à l’égard de l’immigration à grande échelle à
long terme ?
Il est vrai que l’immigration ne changera pas la structure d’âge de la population canadienne,
mais elle est essentielle au maintien de la croissance de la main d’œuvre puisque les Canadiens
vieillissent. La croissance et la prospérité économiques du Canada reposent sur une main-d’œuvre
qualifiée. L’immigration contribue à combler les pénuries de main-d’œuvre et permet aux entreprises
canadiennes de prospérer. Les provinces plus petites se tournent vers l’immigration pour obtenir la
main-d’œuvre dont elles ont besoin, comme le démontrent l’intérêt à l’égard du Programme des
candidats des provinces et les nouvelles stratégies provinciales d’immigration, qui sont annoncées à
l’échelle du pays.
L’opinion publique continue d’appuyer l’immigration au Canada ainsi que les niveaux actuels.
Il est peut-être inexact de parler d’immigration à grande échelle au Canada. Au cours de la dernière
décennie, l’immigration au Canada a représenté en moyenne 0,6 à 0,7 % de la population, ce qui
constitue une baisse par rapport au 0,9 % que l’on a connu au début des années 1990. Bon nombre
de pays cherchent à accroître leurs niveaux d’immigration, notamment la composante des
travailleurs qualifiés. L’Australie, par exemple, a annoncé qu’elle avait atteint le niveau d’immigration
le plus élevé en plus de dix ans et qu’elle avait attiré les travailleurs les plus qualifiés de son histoire.
Le Canada n’est donc pas le seul à viser cet objectif.
Quels sont les facteurs dont le Canada tient compte pour déterminer le nombre
de nouveaux arrivants qu’il accepte chaque année ? Tient-on compte des questions
qui pourraient découler de la diversité au sein de la cohorte de nouveaux arrivants
ainsi que des ressources dont on pourrait avoir besoin pour résoudre ces questions,
comme l’amélioration des connaissances linguistiques ou les campagnes de sensibilisation publique pour s’assurer que la société « d’accueil » est prête à accepter les
nouveaux arrivants ?
Le Plan d’immigration annuel fait partie du rapport que doit déposer chaque année le ministre
de la Citoyenneté et de l’Immigration au Parlement, en vertu de la Loi sur l’immigration et la
protection des réfugiés (LIPR). Ce Plan fait état, par catégorie d’immigrant, du nombre de
nouvelles résidences permanentes que compte accepter le Canada au cours de l’année qui vient.
Une gamme de considérations intervient dans la détermination des niveaux d’immigration : les
besoins locaux et municipaux en main-d’œuvre, la réunification familiale, les principes humanitaires qui sous-tendent la protection des réfugiés. Les intérêts de nos partenaires provinciaux et territoriaux, ainsi que le besoin d’améliorer les conditions des immigrants par le biais d’investissements et
d’initiatives de collaboration en matière de formation linguistique et de reconnaissance des titres de
compétences acquis à l’étranger, par exemple, sont autant de priorités que nous prenons en compte
lorsque nous fixons les niveaux d’immigration.
Le Plan d’immigration annuel est approuvé chaque année par le Cabinet et est géré à l’intérieur
des balises établies et en fonction des ressources disponibles.
Il existe aujourd’hui un intérêt accru dans ce secteur et l’un des défis auxquels nous faisons face
est d’assurer que les provinces, les communautés, les villes, les employeurs et les autres intervenants
soient habiletés à jouer un plus grand rôle dans la planification à long terme de l’immigration.
Veiller à ce que ces nombreuses voix soient entendues peut vouloir signifier que nous devons créer
5
CIC travaille également en collaboration avec
d’autres ministères et organismes fédéraux dans le
cadre de l’initiative intitulée « Un Canada pour tous :
Plan d’action canadien contre le racisme ». Il s’agit
d’une initiative de collaboration visant à éliminer le
racisme au Canada. Ce plan d’action a été élaboré dans
le but de soutenir la mise en œuvre concertée des politiques, des programmes et des actions au sein des
ministères fédéraux et d’établir des plans pour l’avenir.
Plus précisément, CIC travaille en collaboration avec les
autres ministères fédéraux à l’élaboration de politiques
qui faciliteront l’intégration économique et sociale des
immigrants. Il collabore également avec des organisations
non gouver-nementales et des partenaires provinciaux en
vue d’aider à promouvoir des collectivités plus inclusives
et plus accueillantes.
Le Rapport ministériel sur le rendement de CIC
compare les réalisations du Ministère en fonction des
attentes et des engagements en matière de rendement
établis dans le Rapport sur les plans et priorités. En
2003-2004, CIC s’est associé à d’autres ministères et
intervenants dans le cadre de diverses initiatives visant à
améliorer les services d’établissement et d’intégration,
notamment le projet « Se rendre au Canada – Portail sur
l’immigration » du gouvernement du Canada, l’Initiative
des cours de langue de niveau avancé et l’initiative visant à
promouvoir l’immigration au sein des communautés de
langue officielle en situation minoritaire.
Pour de plus amples renseignements sur le Rapport
sur les plans et priorités 2005-2006 de CIC ainsi que sur le
Rapport ministériel sur le rendement de CIC pour l’exercice
2003-2004, consultez le site Web du Secrétariat du Conseil
du Trésor, à l’adresse www.tbs-sct.gc.ca.
de nouvelles occasions de collaboration autour des défis
inhérents à l’intégration sociale et économique.
Cela dit, le Canada jouit d’une solide réputation en
ce qui a trait à l’intégration. Le fait de percevoir l’intégration comme étant un processus bidirectionnel permet
aux nouveaux arrivants de s’établir, de s’adapter et de
s’intégrer à la société canadienne tout en reconnaissant
l’importance d’avoir des communautés qui soient
accueillantes, respectueuses de la diversité et ouvertes au
changement. Afin d’appuyer cette approche, nous avons
recours à un modèle composé de quatre éléments clés :
1) l’orientation à l’étranger par le Canada ;
2) l’accueil aux points d’entrée au Canada ;
3) une gamme de services et de programmes
d’établissement, dont la formation linguistique, un
programme d’accueil qui jumelle les nouveaux
arrivants et des hôtes canadiens en vue de soutenir
l’établissement et l’intégration, et le soutien à
l’établissement pour les réfugiés appuyés par le
gouvernement ; et
4) en bout de piste, la possibilité de faire une
demande de citoyenneté canadienne.
Reconnaissant que la politique de multiculturalisme
a affecté tous les éléments du gouvernement du
Canada, la Loi sur le multiculturalisme canadien oblige
le gouvernement du Canada à déposer au Parlement
un rapport annuel sur la façon dont les 52 ministères et
organismes gouvernementaux mettent en application
cette loi. Pourquoi n’existe-t-il pas de rapport similaire
sur les mesures que prennent ces mêmes ministères
et organismes en vue de faciliter l’établissement et
l’intégration des nouveaux arrivants au Canada ?
Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) tire son
mandat de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés
(LIPR) ainsi que de la Loi sur la citoyenneté. En ce qui
concerne la collaboration entre les partenaires, « l’interprétation et la mise en œuvre de la LIPR devraient avoir pour
effet de faciliter la coopération entre le gouvernement
fédéral, les gouvernements provinciaux, les États étrangers,
les organismes internationaux et les organismes non
gouvernementaux » [alinéa 3(3)c) de la LIPR]. Il n’existe
aucune exigence législative concernant le dépôt d’un rapport
annuel sur la collaboration interministérielle, comme
c’est le cas dans la Loi sur le multiculturalisme canadien.
Néanmoins, comme l’indique le Rapport sur les plans
et priorités 2005-2006 de CIC, le Ministère continuera
de collaborer étroitement avec ses partenaires fédéraux
et provinciaux, les municipalités, les secteurs privé et
bénévole et avec les autres intervenants afin de veiller
à ce que le Canada continue d’attirer et d’accueillir
des personnes en provenance de tous les coins du
globe. CIC travaille avec divers groupes de travail et
comités à l’élaboration de ses politiques et programmes,
notamment le Groupe de travail fédéral-provincialterritorial sur l’établissement et l’intégration, le Conseil
mixte des politiques et du programme en matière
d’établissement et d’intégration ainsi qu’un groupe
interministériel composé de 14 ministères et organismes
fédéraux travaillant à l’élaboration et à la mise en œuvre
d’une approche fédérale coordonnée.
Le dernier budget contient des sections répondant
explicitement aux préoccupations des aînés, des
Autochtones, des personnes handicapées et des
jeunes. Par contre, il traite des nouveaux arrivants dans
une catégorie « investissements ». Le fait d’inclure les
immigrants dans une autre catégorie laisse croire que
le gouvernement du Canada prend les besoins de cet
important groupe de Canadiens moins au sérieux que
ceux d’autres sous-ensembles de la population canadienne. Qu’avez-vous à répondre à ce sujet ?
CITC
Un gouvernement doit être jugé sur ses actes et non
pas sur ses belles paroles. Le budget de 2005 engage de
considérables nouvelles sommes pour des initiatives visant
à résoudre les questions liées à l’établissement et à l’intégration ainsi que pour apporter les améliorations nécessaires
à la prestation de services aux éventuels nouveaux arrivants
au Canada.
Cette aide financière de 398 millions de dollars versée
au programme prouve bien que le gouvernement répond
aux besoins des nouveaux Canadiens et de ceux
qui souhaitent faire du Canada leur chez soi. Les fonds
prévus dans ce budget permettront notamment de résoudre
des questions telles que la reconnaissance des titres de
compétences étrangers, l’amélioration du portail sur
l’immigration du projet « Se rendre au Canada », la
formation linguistique et l’amélioration des résultats sur le
plan professionnel.
6
Le budget de 2005 démontre clairement l’engagement
du gouvernement à investir dans les personnes, d’un point
de vue économique, social et culturel. L’un des principaux
objectifs consiste à maximiser la participation de ces
importants contributeurs à notre économie et à nos
collectivités. Le budget n’est qu’un moyen parmi tant
d’autres d’atteindre cet objectif.
J’ai demandé à mon ministère de s’occuper de la
question des travailleurs sans papiers. Nous devons également trouver un moyen d’améliorer les délais de traitement,
afin de rendre les services plus efficaces et plus rapides.
Nous nous engageons à éliminer l’arriéré actuel, à
réformer le programme des travailleurs temporaires et
à mieux intégrer les étudiants étrangers. Dans la foulée
des annonces faites dans le budget de 2005, nous continuerons de travailler sur la reconnaissance des titres
de compétences étrangers des travailleurs qualifiés et sur
l’accès aux cours de langue, afin d’aider les immigrants à
atteindre leur plein potentiel en tant que nouveaux
Canadiens. Ce ne sont là que certaines des initiatives que
nous entreprenons, en collaboration avec nos partenaires
et les intervenants, en vue d’améliorer les perspectives
d’avenir des nouveaux arrivants. Il s’agit certes d’un projet
ambitieux, mais qui démontre bien la valeur qu’accorde
le gouvernement aux contributions des immigrants qui
choisissent le Canada comme destination de choix.
La réunion des familles a toujours été un sujet
épineux sur le plan politique, mais l’est encore
davantage depuis quelque temps. La principale
préoccupation semble porter sur le fait que les
parents et les grands-parents ne font pratiquement
rien pour atténuer le vieillissement de la population
ou pour contribuer activement à l’économie. Les
recherches tendent-elles à prouver ou à réfuter
cette opinion largement partagée ? Le fait de
faire des aînés immigrants l’une des principales
préoccupations du secrétariat des aînés, nouvellement
créé, permettrait-il de mieux comprendre les
expériences des aînés nouvellement arrivés et ainsi
d’élaborer de meilleures politiques à cet égard ?
Peu de recherches se penchent sur la situation des
immigrants appartenant à la catégorie du regroupement
familial. Je serais favorable à ce que le secrétariat mène
des recherches sur les questions relatives à l’intégration
des parents et des grands-parents et fasse part des résultats
de ces recherches à CIC. Toutefois, la responsabilité liée à
l’élaboration de toute politique en matière d’immigration
devrait évidemment continuer d’incomber à CIC.
Un siècle du Canada, 1905-2005/A Century of Canada, 1905-2005
Colloque annuel de l’Association d’études canadiennes, Edmonton (Alberta) les 29 et 30 octobre 2005.
Organisé en collaboration avec la University of Alberta et le Canadian Century Research Infrastructure
APPEL AUX COMMUNICATIONS
En 1905, lorsque l’Alberta et la Saskatchewan sont entrées dans la
confédération, le Canada était un pays peu populé, majoritairement rural,
à la périphérie de la scène internationale. Aujourd’hui, le Canada est un pays
on ne peut plus urbanisé, fermement situé au devant de la scène internationale.
Comment ceci est-il arrivé ? Quels ont été les changements sociaux,
économiques, démographiques, culturels et politiques qui ont donné lieu
aux transformations profondes qu’a vécu le Canada au cours du 20e -siècle ?
Dans quelle mesure ces changements variaient-ils d’une région à l’autre, d’un
groupe à l’autre ? Enfin, de quelle façon ces changements se comparent-ils
et se rapportent-ils à l’évolution d’autres pays à travers le monde ?
Dans le cadre de ce colloque, on examinera ces questions afin de mieux
comprendre le Canada du 20e siècle, tout en favorisant la réflection sur les
enjeux qui se présenteront aua cours des prochaines décennies. Nous acceptons
les propositions de communications des universitaires, chercheurs, responsables
de l’élaboration des politiques et d’autres personnes intéressées au sujet,
dans l’ensemble des disciplines des sciences sociales et humaines.
La date limite pour les propositions est le 15 juin 2005. Veuillez
nous transmettre le nom des présentateurs et un bref résumé
de la communication ou de la session même. Le tout peut être envoyé à
James Ondrick à [email protected] ou télécopié à (514) 925-3095.
7
ENTRETIEN
AVEC L’HONORABLE
RAYMOND CHAN
Ministre d’État (Multiculturalisme)
La diversité multiculturelle au Canada est alimentée par le taux de naissance des minorités
nées au Canada et par une immigration continue à grande échelle. Pouvez-vous prévoir
quelle sera la composition religieuse, linguistique et la composition des minorités visibles
au sein de la population en 2017 ?
Le multiculturalisme est une valeur canadienne fondamentale. Le Canada a, dans une large
mesure, tiré profit de sa diversité démographique. La grande majorité des Canadiens appuient le
multiculturalisme qui a enrichi la vie sociale, culturelle, économique et politique de leur pays.
Le Canada continue d’être de plus en plus diversifié et le gouvernement doit s’assurer que
les politiques et les programmes répondent aux besoins d’un pays diversifié. Le Programme du
multiculturalisme a récemment établi un partenariat avec Statistique Canada dans le but d’élaborer
des projections démographiques de la population du Canada en 2017, année qui marquera les 150 ans
de la confédération. Les résultats sont publiés dans Projections de la population des groupes de minorités
visibles, Canada, provinces et régions – 2001-2017, une publication de Statistique Canada. L’étude
est fondée sur cinq scénarios qui présentent une échelle de taux de croissance au sein de la population.
Elle prévoit que d’ici 2017, les minorités visibles représenteront de 19 à 23 % de la population totale
au Canada. En chiffres réels, cela signifie qu’il y aura entre 7,0 et 9,3 millions de personnes issues de
groupes de minorités visibles qui résideront au Canada. Dans certaines villes, comme Toronto et
Vancouver, si les tendances actuelles se maintiennent, les minorités visibles deviendront probablement
la majorité.
Le Canada change également au chapitre des religions. En 2001, le pourcentage de personnes de
confession non chrétienne s’élevait à 6,3 %. Selon les projections de Statistique Canada, qui sont fondées
sur les tendances actuelles, le pourcentage de personnes de confession non chrétienne en 2017 se situera
entre 9,2 et 11,2 % de la population totale.
Tout cela pour dire que la diversité démographique est une réalité canadienne et que nous devons
maximiser sa valeur pour le bénéfice de l’ensemble de la population canadienne.
Dans la plupart des discours entendus dans les autres pays qui reçoivent des immigrants, le
pluralisme religieux en général, et l’accroissement rapide des populations musulmanes
en particulier, sont devenus l’un des aspects les plus discutés de la politique en matière
d’immigration à plus grande échelle. De quelle façon le Programme du multiculturalisme
aborde-t-il la diversité religieuse ?
CITC
L’un des principes sous-jacents du Programme du multiculturalisme est de s’assurer que les
Canadiens et Canadiennes de toutes les origines et de toutes les religions se sentent les bienvenus et qu’ils
ont une chance égale de participer à la société. Nous reconnaissons que certains groupes sont victimes
de discrimination, notamment les Musulmans, dont le nombre a augmenté de 129 % entre les
recensements de 1991 et de 2001, comparativement à une croissance de 5 % chez les catholiques, le
groupe religieux le plus important au Canada.
Nous travaillons en collaboration avec un certain nombre de partenaires gouvernementaux
et non gouvernementaux en vue de promouvoir le respect pour tous les Canadiens et Canadiennes,
sans égard à leur appartenance religieuse, et de mieux comprendre l’intolérance religieuse au Canada. En
effet, en 2005, nos partenaires de Metropolis publieront un numéro spécial de la Revue de l’intégration
et de la migration internationale qui portera sur la religion et la migration, et je suis impatient de la lire.
De plus, le gouvernement du Canada a mené des sondages d’opinion publique afin de mieux
comprendre les attitudes des Canadiens à l’égard de divers groupes minoritaires, notamment les
Musulmans. Les résultats de l’étude Projections de la population des groupes de minorités visibles, Canada,
provinces et régions – 2001-2017 projettent que, d’après les tendances actuelles, la population non
chrétienne du Canada passera de 6,3 % à un taux qui se situera entre 9,2 et 11,2 % en 2017.
8
racisme et la discrimination et soulignent l’importance
de nos efforts constants pour faciliter l’inclusion au
moyen d’initiatives comme Un Canada pour tous : Plan
d’action canadien contre le racisme qui propose des
mesures contre le racisme dans un certain nombre de
domaines et de secteurs clés de la société.
En ce qui concerne la collectivité musulmane, le
gouvernement du Canada s’inquiète des actes d’intolérance
religieuse et d’autres formes de discrimination à leur
endroit, tout comme nous le sommes à l’égard des actes
d’intolérance et d’autres formes de discrimination à
l’endroit de tous les autres groupes minoritaires religieux
ou ethnoculturels. L’Enquête sur la diversité ethnique,
qui a été menée en 2002, a démontré que 30 % des
Musulmans ont déclaré avoir été victimes de discrimination
ou d’un traitement injuste en raison de leurs caractéristiques ethnoculturelles, ce qui est inacceptable. Le
gouvernement continuera de lutter contre la discrimination
à l’endroit de tous les groupes identifiables, qu’ils soient
ethnoculturels, visibles ou religieux.
Beaucoup de travail a été accompli, aujourd’hui et
par le passé, à l’égard de la discrimination raciale
au Canada. Dans le dernier budget, un financement
a été annoncé pour Un Canada pour tous : Plan d’action contre le racisme et pour des initiatives commémoratives et éducatives visant à souligner
les contributions des groupes ethnoculturels à la
société canadienne. Pouvez-vous nous dire quels
sont les principaux éléments du Plan d’action et
quelles expériences des collectivités constitueront le
centre d’intérêt des campagnes commémoratives
et éducatives ?
L’appartenance ethnique est un marqueur d’identité
de plus en plus complexe et, jusqu’à la création de
l’Enquête sur la diversité ethnique (EDE), le recensement était le seul sondage à grande échelle mené au
Canada avec une taille d’échantillon suffisante pour
permettre l’analyse de chaque ethnie. De quelle
façon les données recueillies par l’EDE ont-elles été
utilisées afin d’améliorer notre compréhension de
l’appartenance ethnique ?
Merci beaucoup pour la question. Cela me donne
l’occasion de parler de deux annonces importantes du
Budget 2005 qui visent à lutter contre le racisme et à
favoriser la cohésion de notre société.
La première est l’annonce d’un financement de
56 millions de dollars sur cinq ans pour le plan d’action
Un Canada pour tous : Plan d’action contre le racisme, et la
seconde est l’annonce d’un financement de 25 millions de
dollars sur trois ans pour des initiatives commémoratives
et éducatives destinées aux collectivités touchées par les
mesures prises en temps de guerre et les restrictions
imposées en matière d’immigration.
J’aborderai d’abord le Plan d’action : Je suis fier de
dire qu’il s’agit du tout premier plan canadien visant à
combattre le racisme à l’échelle du gouvernement. Ce plan
met en évidence une série de nouvelles mesures et de
mesures permanentes que le gouvernement du Canada
s’est engagé à entreprendre afin de concrétiser cette vision
d’un Canada uni, un Canada dont la vision commune
consiste en une société inclusive et cohésive.
Le Plan d’action repose sur le travail réalisé par le
Programme du multiculturalisme à l’égard de la lutte
contre la discrimination raciale. Il permet d’aborder des
lacunes qui ont été repérées dans des secteurs prioritaires
essentiels. Ses objectifs sont les suivants :
• lutter contre le racisme et renforcer la cohésion
sociale à l’aide de mesures antiracistes et antidiscriminatoires ;
• améliorer la mise en œuvre du cadre des droits de
la personne prescrit par la loi canadienne afin de
prôner l’égalité véritable ; et
• à l’aide d’initiatives nationales, démontrer un sens
du leadership et de la coopération dans la lutte internationale contre le racisme.
Nous savons que nous disposons d’un cadre
juridique solide qui permet de confronter le problème du
racisme. Toutefois, ce n’est pas suffisant. C’est pourquoi le
Plan d’action met l’accent sur la création de partenariats
entre les gouvernements et la société civile. L’engagement
du gouvernement fédéral est clair : les ministères et les
organismes gouvernementaux doivent travailler conjointement à la mise en œuvre de politiques, de programmes
L’Enquête sur la diversité ethnique a été élaborée par
Statistique Canada en partenariat avec le ministère du
Patrimoine canadien. L’enquête en soi a été menée du
mois d’avril au mois d’août 2002. Statistique Canada a
publié officiellement les résultats en septembre 2003.
L’enquête a fourni au gouvernement du Canada des
renseignements qui lui ont permis de mieux comprendre
les antécédents ethniques et culturels des personnes
qui vivent au Canada et la façon dont ces antécédents
influent à leur vie actuelle au Canada.
Les résultats de l’enquête ont déjà été analysés afin
d’examiner le sentiment d’appartenance qu’éprouvent les
divers groupes ethnoculturels à l’égard de leur propre
groupe ethnique et à l’égard du Canada. Une conclusion
que nous avons retenue est qu’en général, les groupes
ethnoculturels qui éprouvent un sentiment d’appartenance
relativement profond à l’égard de leur groupe ethnique
tendent à éprouver un profond sentiment d’appartenance
à l’égard du pays. Par exemple, 67 % des Sud Asiatiques
qui résident au Canada ont déclaré éprouver un profond
sentiment d’appartenance à l’égard de leur groupe
ethnique ou culturel, alors que 88 % d’entre eux ont
déclaré éprouver un profond sentiment d’appartenance
pour le Canada. Je crois qu’une telle recherche démontre
que la préservation d’un patrimoine ethnique ne tend pas
à diminuer le sentiment d’attachement d’une personne
pour le Canada.
L’Enquête sur la diversité ethnique nous a également
permis de beaucoup mieux comprendre la discrimination
au Canada. Par exemple, nous savons que 36 % des
personnes issues de groupes de minorités visibles ont
déclaré avoir fait l’objet de discrimination ou de traitement
injuste au cours des cinq dernières années en raison de
leurs caractéristiques ethnoculturelles. Selon l’enquête,
50 % des Noirs au Canada ont été victimes de discrimination. Ces statistiques ont renforcé la nécessité pour le
gouvernement du Canada de poursuivre sa lutte contre le
9
et d’activité pour apporter des changements dans notre
société. De plus, le Plan d’action invite tous les Canadiens
et Canadiennes à travailler ensemble en mettant l’accent sur
les priorités suivantes :
• aider les victimes et les groupes vulnérables au
racisme et aux autres formes de discrimination ;
• élaborer des approches axées sur l’avenir pour
favoriser la diversité et lutter contre le racisme;
• accroître le rôle de la société civile ;
• accroître la coopération régionale et internationale ;
• sensibiliser les enfants et les jeunes à la lutte
contre le racisme et à la diversité ; et
• contrer les actes motivés par la haine et les
préjugés.
En adoptant ce Plan d’action, les Canadiens
et Canadiennes participent à la réalisation de la vision
partagée d’une société réellement inclusive : un Canada
pour tous. Le gouvernement du Canada s’engage à bâtir
une société où tous sont traités avec respect et dignité,
et où personne n’est mis à l’écart.
La seconde annonce du budget concerne le
développement et la mise en œuvre d’un programme qui
financera les initiatives commémoratives et éducatives.
Ces initiatives ont pour objectif de souligner la contribution à la société canadienne des groupes ethnoculturels
touchés par les mesures prises en temps de guerre et les
restrictions imposées en matière d’immigration.
Ce programme nous permettra de renforcer l’avenir.
Nous voulons que les Canadiens et Canadiennes tirent des
leçons des incidents historiques dont nous ne sommes pas
fiers et qu’ils comprennent la manière dont différentes
collectivités ont contribué à notre pays. En tant que
gouvernement, notre objectif consiste à favoriser la cohésion, à renforcer une identité partagée et à collaborer pour
faire en sorte que les Canadiens et Canadiennes, tout en
apprenant du passé, aillent de l’avant afin de bâtir un
meilleur avenir pour les personnes de toutes les origines
et pour les générations à venir.
valeur partagée au Canada, un élément essentiel de
notre citoyenneté. Le Programme du multiculturalisme
s’emploie à soutenir et à faire la promotion du multiculturalisme en favorisant les possibilités de soutien de
l’inclusion économique, sociale, politique et culturelle
dans le but d’aider les gens de toutes les origines qui
s’efforcent de participer et de contribuer pleinement à la
société canadienne.
Les responsables du Programme du multiculturalisme
travaillent en collaboration avec Citoyenneté et
Immigration Canada ainsi qu’avec d’autres ministères,
organismes et sociétés d’État afin de mettre en œuvre des
politiques et des programmes qui sont le reflet de
la société pluraliste qu’est le Canada. Les responsables
du Programme travaillent également en collaboration
avec divers organismes bénévoles et communautaires afin
de mettre en valeur et de renforcer la capacité des
collectivités ethnoculturelles et ethnoraciales et d’améliorer
la compréhension interculturelle. Cela constitue un
complément au travail effectué par CIC ainsi qu’une
composante essentielle du processus d’intégration qui se
poursuit au-delà du simple fait de devenir officiellement
un citoyen canadien.
Plus précisément, le Programme du multiculturalisme met l’accent sur les quatre priorités intimement
liées suivantes :
• favoriser la citoyenneté partagée ;
• promouvoir la compréhension interculturelle ;
• encourager toutes les institutions – aussi bien dans le
secteur public que privé – à refléter la diversité de notre
pays dans leurs services, leurs politiques et leurs
pratiques en matière de recrutement et de promotion ;
• lutter contre le racisme et la discrimination.
Le rapport annuel sur l’application de la Loi sur le
multiculturalisme canadien, que je dépose au Parlement
en tant que ministre d’État (Multiculturalisme), offre
l’occasion aux ministères, aux organismes et aux sociétés
d’État de mettre l’accent sur les politiques, les programmes, les services et les initiatives qui ont favorisé le
multiculturalisme au Canada.
Le Programme du multiculturalisme continuera à
travailler en collaboration avec tous les intervenants du
gouvernement et du secteur privé afin de soutenir les
efforts qui visent le renforcement des valeurs canadiennes
fondamentales, de concilier les différences et de faciliter
la participation de tous les Canadiens et Canadiennes
sur le plan économique, social, culturel et politique de la
société canadienne.
Le mandat du Programme du multiculturalisme de
Patrimoine canadien et de Citoyenneté et Immigration
(CIC) suscite la confusion chez les Canadiens et
Canadiennes. Plusieurs croient que le mandat de CIC
consiste à faciliter l’intégration des nouveaux arrivants
dans la société canadienne au cours de leurs trois
premières années et que par la suite Patrimoine
canadien et d’autres ministères et organismes
gouvernementaux prennent en charge leur inclusion
complète dans la société canadienne sur le plan social,
économique, politique et culturel. Cela constitue
vraisemblablement la double approche en matière
d’intégration au Canada qui fait l’objet de tant
d’éloges, une approche dans laquelle les nouveaux
arrivants ainsi que la société et les institutions canadiennes devraient évoluer, ce qui signifie que ces
deux dossiers doivent être abordés conjointement.
Pouvez-vous décrire la relation qui existe entre ces
deux mandats ?
CITC
Au cours des 33 années d’application de la politique
de multiculturalisme, le multiculturalisme est devenu une
10
ENTRETIEN AVEC
L’HONORABLE JOE FONTANA
Ministre du Travail et du Logement
Les nouveaux arrivants représentent la portion de la population de sans-abri qui connaît la
plus rapide croissance au Canada. Pouvez-vous décrire ce que fait l’Initiative nationale pour
les sans-abri afin de mieux comprendre ce phénomène et pour trouver des solution?
Nous sommes bien conscients du fait que les nouveaux arrivants, surtout ceux et celles qui sont
arrivés au cours des derniers dix ans, risquent de devenir sans-abri. Nos recherches montrent qu’un
immigrant sur trois au Canada a de la difficulté à se trouver un logement.
Nous suivons et étudions ces nouveaux arrivants et leurs besoins à travers le Programme
national de recherche (PNR) de l’Initiative nationale pour les sans-abri (INS). Environ 7 millions de
dollars ont été mis de côté sur une période de trois ans afin d’explorer les éléments de ce phénomène et d’y trouver une réponse efficace. Quatre projets en particulier ont été financés par le PNR
dans le but de mieux comprendre les problèmes de logement auxquels les immigrants et réfugiés
d’aujourd’hui font face.
Nous avons également créé des partenariats avec des organismes comme le Conseil de recherches
en sciences humaines du Canada, l’Association d’études ethniques au Canada, et le projet
Metropolis, afin d’accroître la compréhension des problèmes qui touchent les nouveaux arrivants et
sans-abri et d’encourager le partage des connaissances.
Récemment, nous avons terminé les consultations sur le plan national concernant le développement d’un nouveau cadre de référence canadien sur le logement. Plusieurs groupes et individus
ont assisté aux consultations et ont fourni des suggestions valables.
Nous croyons que le logement est un déterminant très important pour une meilleure santé et
des résultats équitables. Les projets, les partenariats et les résultats des consultations nous aideront à
développer des solutions efficaces locales et nationales qui garantiraient un continuum solide de
logement pour tous les Canadiens et Canadiennes, y compris les nouveaux arrivants.
Pour la première fois, la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) a
annoncé que l’immigration a été identifié comme domaine de recherche clé. Pouvez-vous
décrire ce qui résulte de ce nouveau sujet de recherche ?
Premièrement, permettez-moi de vous parler d’un rapport de recherche de la SCHL identifiant
les options de logement disponibles pour les gens réclamant le statut de réfugié dans la région de
Niagara, ainsi que leurs besoins d’informations concernant les logements et comment ces besoins
pourraient être satisfaits. La recherche indique que les individus qui revendiquent le statut de réfugié
arrivent généralement au Canada avec un minimum de planification, de ressources financières, de
contacts canadiens et de compétences. Ces gens font typiquement face à plus de difficultés que les
autres immigrants. Pendant qu’ils cherchent des logements abordables, leurs premiers logements
sont dans les refuges. On a d’ailleurs identifié un manque d’espace dans les abris pour réfugiés ainsi
qu’un manque de logements abordables.
Les sources d’information les plus importantes sur les logements pour les réfugiés sont leurs
conseillers d’établissement, les abris de réfugiés, les auberges, les centres multiculturels et les
conseillers d’établissement scolaire. La recherche propose des recommandations pour améliorer la
situation de logement des réfugiés et pour appuyer le système de soutien aux réfugiés. La SCHL a
présenté les résultats de ses recherches à la municipalité régionale de Niagara et tente de voir comment ces résultats pourraient améliorer la pertinence de l’information sur le logement qu’elle offre
présentement. Ceci englobe (consultez www.cmhc-schl.gc.ca) Le Guide du logement au Canada pour
le nouvel arrivant , qui fournit des conseils de base aux immigrants concernant le système de logement
canadien, et Votre guide pour la location d’un logement , qui contient un aperçu exhaustif des droits et des
responsabilités des locataires et des propriétaires, ainsi que des pratiques de location des provinces et
territoires. Ces deux guides sont aussi utiles pour les fournisseurs de services aux immigrants, pour les
conseillers et pour le personnel d’enseignement linguistique.
11
CITC
Canada afin de retrouver un appui mutuel, leur culture et
Deuxièmement, la SCHL évalue les conditions de
leur langue. En fait, de nombreux projets de logements
logement des immigrants en utilisant les données du
sociaux à but non lucratif et de coopératives appartiennent
recensement du Canada (voyez Le point de recherche de la
et sont gérés par des groupes ethniques, culturels et
SCHL, série socioéconomique 04-042, 2001, série sur
religieux desservant les nouveaux arrivants.
le logement selon les données du recensement de 2001 :
Les projets de logements sociaux plus anciens démonNuméro 7 – Ménages Immigrants ). Bien que les ménages
trent un plus grand nombre de populations marginalisées en
d’immigrants s’étant installés au Canada récemment aient
raison de leur grosseur et ils visent exclusivement les groupes à
rapporté, en moyenne, des taux de propriété plus bas et
faible revenu. Cependant, on a remarqué un changement vers
une plus grande incidence de besoin de logement de base
des revenus mixtes au sein des logements à but non lucratif et
que les non-immigrants, les conditions de logement des
des coopératives dans les années 1970, et une tendance à
immigrants et des non-immigrants deviennent de plus en
construire des projets de plus petite envergure lorsque les
plus similaires le plus longtemps les ménages d’immisubventions fédérales pour les nouveaux projets ont été réingrants résident au Canada. La SCHL considère qu’un
troduites au milieu des années 1980.
ménage est en manque de logement de
Les provinces sont les premières
base s’il ne demeure pas dans un logeLe Canada possède
responsables de la mise en place du prément acceptable ou ne peut y accéder,
une main-d’œuvre
sent programme fédéral-provincial de
c’est-à-dire un logement qui ne nécessite
logements abordables à frais partagés
pas des réparations majeures, qui n’est
variée de 16 millions
et, à plus petite échelle, des logements à
pas surpeuplé et qui ne coûte pas plus de
de travailleurs
revenus mixtes. Les provinces et les
30 % des revenus bruts du ménage.
municipalités décident aussi des politiques
Finalement, la SCHL appuie
disposant
relatives au zonage et à l’utilisation du
Metropolis, un forum international de
des habiletés
terrain, ce qui détermine l’emplacement
recherche comparative et de développedu développement des logements sociaux
ment de la politique publique touchant la
nécessaires pour
abordables, afin d’assurer une diversité
migration de populations, la diversité
faire progresser
dans les voisinages.
culturelle et les défis de l’intégration
d’immigrants. Au Canada, Metropolis
une économie
compte sur des centres de recherche qui se
De plus en plus de recherches révèproductive,
trouvent dans cinq universités canalent qu’une expérience de travail au
diennes. Les études de Metropolis (voyez
Canada est essentielle pour aider les
compétitive et
www.canada. metropolis.net) sur les logenouveaux arrivants à s’établir au
basée sur les
ments et sur le sans-abrisme ont surtout
Canada. Que fait le Programme du
connaissances.
porté sur les villes où la plupart des immitravail pour assurer que les nouveaux
grants s’établissent, c’est-à-dire Toronto,
arrivants puissent acquérir cette
En reconnaissant
Montréal et Vancouver.
première expérience cruciale ?
l’importance
En tant que ministre du Logement et
du Travail responsable de l’application de
Le choix résidentiel des nouveaux
des ressources
la Loi sur l’équité en matière d’emploi et du
arrivants est grandement influencé par
humaines, nous
Code canadien du travail, il est mon
l’accessibilité à des logements aborddevoir d’instaurer des milieux de travail
ables et des services importants à
devons aider les
équitables et sécuritaires à travers le
leurs yeux (tels l’accès aux transports
milieux de travail
Canada. Au 21e siècle, nous avons besoin
en commun, aux meilleures écoles, aux
que l’évolution de la main- d’œuvre du
lieux de prière, etc.). L’emplacement
à obtenir la partiCanada se reflète dans nos milieux de trades logements sociaux et leur proporcipation de tous
vail. Le Canada possède une main-d’œuvre
tion sont donc des facteurs très
variée de 16 millions de travailleurs
importants, à savoir où ces nouveaux
les Canadiens. Le
disposant des habiletés nécessaires pour
arrivants vivront, du moins au cours de
Canada ne peut
faire progresser une économie productive,
leurs premières années au pays, le
se permettre de
compétitive et basée sur les connaistemps qu’ils s’y familiarisent. Quelles
sances. En reconnaissant l’importance des
mesures le gouvernement du Canada
gaspiller ou de
ressources humaines, nous devons aider
prend-t-il pour s’assurer qu’il y ait du
sous-utiliser
les milieux de travail à obtenir la particilogement social dans une variété de
pation de tous les Canadiens. Le Canada
quartiers et non seulement dans des
sa population
ne peut se permettre de gaspiller ou de
quartiers peu recommandés ?
qualifiée.
sous-utiliser sa population qualifiée,
En effet, la localisation des projets de
surtout en ce qui concerne les nouveaux
logements sociaux démontre une concenarrivants qui peuvent nécessiter de l’aide pour débuter une
tration d’immigrants récemment arrivés et de minorités visicarrière et pour s’intégrer dans la communauté. Nous
bles dans certains projets de logements sociaux abordables.
devons nous assurer que les compétences et les qualificaCette concentration n’est pas nécessairement une situation
tions soient les principaux critères pour l’embauche, la
négative, car les immigrants nouvellement arrivés peuvent
rétention et la promotion dans nos milieux de travail.
choisir de vivre près les uns des autres lorsqu’ils arrivent au
12
qualifications étrangères. Ensemble, nous tentons d’assurer
une main-d’œuvre qui est adéquate et hautement qualifiée
pour le Canada du 21e siècle.
La Loi sur l’équité en matière d’emploi est un pilier
dans le modèle canadien de l’inclusion et de la participation des citoyens. La Loi s’applique aux employeurs du
secteur privé régis par le fédéral (incluant les corporations
de la Couronne) qui disposent de 100 employés ou plus,
ainsi qu’au service public fédéral et aux employeurs. Le
Programme de contrats fédéraux, auquel la Loi fait
référence, est une initiative séparée d’équité en matière
d’emploi qui concerne les employeurs régis par le
gouvernement provincial qui comptent 100 employés ou
plus et qui reçoivent des contrats fédéraux d’une valeur
de 200 000 $ ou plus. La Loi oblige les employeurs à appliquer un plan d’équité d’emploi ciblant la suppression des
barrières à l’emploi, et à accommoder les quatre groupes
désignés, c’est-à-dire les femmes, les peuples autochtones,
les personnes handicapées et les minorités visibles.
L’équité d’emploi ouvre la voie aux nouveaux Canadiens,
leur permettant d’atteindre leur plein potentiel, qui est
une condition essentielle à la dignité et au respect, à la fois
en milieu de travail, dans la communauté et à la maison.
Nous devons éliminer les obstacles à l’emploi et à l’avancement de carrière auxquels font face les Canadiens.
Le Code canadien du travail joue aussi un rôle
important dans la création des milieux de travail
modernes, flexibles et productifs dans les secteurs de
responsabilité du gouvernement fédéral. Ceci est atteint
par l’entremise d’un climat de relations industrielles
stables, par le respect des normes de sécurité et de santé de
travail ainsi que des normes du travail. Le Code et la Loi
sur l’équité en matière d’emploi font en sorte que le Canada
réussisse à créer un marché du travail inclusif et une
société où l’équité et l’égalité des chances sont à la mesure
de notre progrès.
Mon portfolio, Logement et Travail, est une composante du ministère des Ressources humaines et du
Développement des compétences Canada. Les autres
secteurs du ministère se concentrent sur le développement
des compétences, sur les questions du marché du travail,
l’intégration des immigrants et sur la reconnaissance des
Au cours des derniers mois, vous avez parlé de la
nécessité de mettre en place un plan national
compréhensif qui inclurait une gamme de logements.
Pouvez-vous décrire la manière dont celle-ci ferait en
sorte que les nouveaux arrivants soient capables
d’accéder aux logements appropriés et abordables
qui sont nécessaires pour leur intégration dans la
société canadienne ?
Dans le discours du Trône de 2004, ce gouvernement
a reconnu que l’habitation est la fondation sur laquelle
s’appuient les communautés saines et la dignité humaine.
Bien que la majorité des Canadiens soient bien logés, je
sais que 1,7 million de ménages sont en manque de
logement de base. Pour plusieurs, un logement et des
services appropriés sont nécessaires pour faciliter des
solutions de logement sécuritaires, abordables et
adéquates. Plusieurs nouveaux arrivants sont particulièrement vulnérables – le tiers de ceux-ci étant en
manque de logement de base.
Ma vision est la suivante : tous les ordres de
gouvernement et des secteurs privés ainsi que des
secteurs à but non lucratif et de bénévolat travailleraient
de concert pour s’assurer que les logements du Canada
répondent aux besoins de tous les individus et de toutes
les familles. Un des messages que j’ai entendu lors de mon
voyage à travers le pays en janvier et février est que les
Canadiens croient que le gouvernement fédéral a un rôle à
jouer dans l’adoption d’objectifs nationaux – où les logements sont perçus comme la voie vers l’intégration
sociale. C’est pourquoi j’élabore actuellement un cadre de
référence canadien sur le logement basé sur le partenariat,
dans le but de considérer tous les aspects de la question du
logement et du sans-abrisme auxquels font face les individus et les familles, et dans le but d’assurer qu’un appui
continu soit mis en place à travers le pays.
Religion and Ethnicity in Canada
Canadian Edition • © 2005 • ISBN: 0-321-24841-4
Paul Bramadat, University of Winnipeg
David Seljak, St. Jerome’s University at the University of Waterloo
Religion and Ethnicity in Canada brosse le portrait des six principales religions
du Canada : le judaïsme, l’hindouisme, le sikhisme, le boudhisme, l’islam, et les
religions chinoises. Ce livre aborde également la question de la place
qu’occupe la religion dans la société canadienne eu égard
à l’élaboration des politiques publiques, à l’immigration,
à l’économie, et aux lois et normes régissant l’éducation.
13
ÉTABLIR LE LIEN ENTRE
L’IMMIGRATION, LA SEXUALITÉ
ET LA CITOYENNETÉ
Comparaison entre le Canada et les États-Unis
RÉSUMÉ
Ce document énumère d’abord les principales différences stratégiques concernant l’immigration pour les gais
et les lesbiennes au Canada et aux États-Unis. L’accent est ensuite mis sur les conséquences de prises de
position aussi divergentes en ce qui a trait à la sexualité et à l’immigration pour ces deux pays voisins, qui ont
tous deux une longue tradition en matière d’établissement des immigrants et des réfugiés.
P
BRIAN RAY
Département de géographie
Université d’Ottawa
CITC
AUDREY KOBAYASHI
Département de géographie
Queen’s University
our de nombreux gais et lesbiennes américains, l’élection de George W. Bush pour un
deuxième mandat en novembre 2004 a mis en évidence les différences qui existent entre eux et
les membres de leur famille et leurs amis hétérosexuels, sur le plan des droits inhérents à la
citoyenneté. Pendant la campagne électorale, les gais et lesbiennes ont été témoins de la tentative du
Congrès des États-Unis de faire adopter une modification constitutionnelle pour interdire les
mariages gais, et de l’adoption d’une gamme de mesures par les administrations des États en vue de
ne pas reconnaître dans la sphère publique, et dans certains cas dans la sphère privée, les relations
entre partenaires de même sexe. Les différences concernant les droits liés à la citoyenneté entre les
gais et les hétérosexuels américains touchent de nombreux aspects de la vie quotidienne – des visites
dans les hôpitaux aux prestations de retraite –, mais sont tout particulièrement apparentes pour les
homosexuels américains qui forment un couple de même sexe n’ayant pas la même nationalité. Pour
ces personnes, le fait que le gouvernement fédéral ne reconnaisse pas la légitimité de ces relations
ainsi que leur incapacité à « légitimer » de telles relations grâce au mariage signifient que les homosexuels américains ne peuvent pas parrainer leur conjoint aux fins de résidence permanente aux
États-Unis. De nombreuses administrations locales et d’État ont adopté des lois qui interdisent de
nombreuses formes de discrimination contre les lesbiennes, les gais, les bisexuels et les transsexuels.
Cependant, ces lois ne peuvent pas régler les problèmes d’immigration auxquels sont confrontés les
couples de même sexe n’ayant pas la même nationalité, parce que la politique d’immigration relève
du gouvernement fédéral. La réunion des familles est un élément clé de la politique d’immigration
américaine contemporaine, mais le parrainage d’un conjoint de même sexe né à l’étranger n’est pas
un droit dont peuvent se prévaloir les gais et les lesbiennes puisque cette disposition fait référence à
la situation matrimoniale.
Après des décennies de politiques d’immigration et de protection des réfugiés passablement
similaires au Canada et aux États-Unis, la reconnaissance aux fins d’immigration, par le Canada, des
relations homosexuelles entre personnes n’ayant pas la même nationalité fait ressortir un des
nombreux clivages entre le Canada et les États-Unis en matière de politique sociale. Elle met
également en évidence une compréhension différente des droits rattachés à la citoyenneté et à la
capacité de l’ensemble des citoyens dans chacun des pays, non seulement les hétérosexuels, d’exercer
leurs droits en tant que citoyens, notamment en ce qui a trait au parrainage d’étrangers aux fins
d’immigration. Compte tenu des différences considérables qui prévalent maintenant entre les deux
pays en ce qui concerne les dispositions visant la réunion des familles et la plus large reconnaissance
des relations homosexuelles, il est raisonnable de se demander si de nombreux Américains ne
chercheront pas à unifier leur famille.
Ce court document énumère d’abord les principales différences stratégiques concernant
l’immigration pour les gais et les lesbiennes au Canada et aux États-Unis. L’accent est ensuite mis sur
les conséquences de prises de position aussi divergentes en ce qui a trait à la sexualité et à l’immigration
pour ces deux pays voisins, qui ont tous deux une longue tradition en matière d’établissement des
immigrants et des réfugiés. Les différences caractérisant les dispositions des politiques d’immigration
canadiennes et américaines révèlent d’importantes distinctions pour ce qui est de la compréhension
des droits liés à la famille et à la citoyenneté sociale, en plus de mettre en évidence la façon dont un
14
temporaire en statut de résident permanent en entreprenant un processus d’accréditation élaboré et onéreux.
Une autre option consiste à présenter une demande d’asile
fondée sur l’orientation sexuelle en faisant valoir que
Politique d’immigration et parrainage
l’intéressé a été victime de persécution ou craint, avec
d’un conjoint de même sexe
raison, d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de
Le point de vue du Canada en ce qui concerne les
son orientation sexuelle. Cette option est à la portée des
conjoints de même sexe et l’immigration ne peut être plus
gais et des lesbiennes depuis 1994, mais seul un petit
différent que celui des États-Unis en ce moment1. En avril
nombre de demandes du genre ont été acceptées et ces
2000, le gouvernement fédéral canadien a adopté le projet
motifs ne peuvent être admis que pour les demandeurs
de loi C-23 (Loi sur la modernisation de certains régimes
originaires d’un pays où les droits de la personne ne sont
d’avantages et d’obligations) accordant aux couples
pas respectés. Cette option est devenue de moins en moins
homosexuels les mêmes avantages sociaux et fiscaux que
envisageable en raison de l’échéance – les demandeurs
ceux dont jouissent les hétérosexuels en union de fait. Ce
doivent présenter leur demande d’asile
projet de loi a eu des répercussions sur
dans l’année qui suit leur arrivée aux
68 lois fédérales, y compris la législation
Aucun État
États-Unis. Essentiellement, cela signifie
et les dispositions réglementaires sur
n’a adopté une
que l’étranger doit rapidement savoir,
l’immigration pour ce qui est du
après son arrivée aux États-Unis, que le
parrainage des conjoints de fait aux fins
législation qui
gouvernement reconnaîtra sa demande
d’immigration. La capacité des gais et
reconnaît explicited’asile fondée sur son orientation
des lesbiennes du Canada de parrainer
sexuelle, ce que les gens ne savent
leur conjoint de même sexe a également
ment les mariages
pas vraiment. La dernière option, et de
été reconnue aux termes des disposientre personnes
loin la plus risquée et la plus difficile
tions sur la catégorie du regroupement
à long terme, est de se noyer dans
familial de la Loi sur l’immigration et la
de même sexe,
la population des « sans-papiers » et des
protection des réfugiés (projet de loi
et seuls des
« illégaux », qui est maintenant estimée
C-11) adoptée par le Parlement en 2002.
tribunaux du
à 10 millions2.
L’égalité des relations homosexuelles a
par la suite reçu un autre appui
Aux États-Unis, diverses politiques
Massachusetts
juridique en juin 2003, alors que la
antidiscriminatoires et questions sur le
ont interprété
Cour d’appel de l’Ontario a confirmé
mariage et le partenariat domestique
l’ordonnance d’un tribunal inférieur et a
sont considérées comme des questions
la constitution
reconnu les mariages entre personnes de
de droit des États. Bien que 25 États
de manière à
même sexe. Depuis, six autres provinces
et le district de Columbia offrent une
canadiennes et un territoire ont légalisé
certaine protection contre la discrimireconnaître et
les mariages entre personnes de même
nation fondée sur l’orientation sexuelle
à légitimer les
sexe après que les tribunaux ont statué
ou l’identité de genre, la plupart limitent
que le fait de restreindre la définition
cette protection aux employés du
mariages entre
du mariage, invoquant qu’il est réservé
secteur public. Seulement 14 États
personnes de
aux relations entre un homme et
et Washington (DC) accordent aux
une femme, est inconstitutionnel. Le
homosexuels, du secteur public et du
même sexe.
gouvernement fédéral a également
secteur privé, la protection contre la
déposé un projet de loi intitulé Loi sur le mariage civil qui,
discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Quatre
s’il est adopté, accordera aux conjoints de même sexe du
États offrent des garanties partielles ou totales liées aux
Canada le droit de se marier civilement.
droits maritaux des homosexuels. Aucun État n’a adopté
Par ailleurs, aux États-Unis, les citoyens américains
une législation qui reconnaît explicitement les mariages
entretenant une relation avec un conjoint de même sexe
entre personnes de même sexe, et seuls des tribunaux du
ne peuvent pas avoir recours aux dispositions sur la
Massachusetts ont interprété la constitution de manière à
réunion des familles de l’actuelle loi sur l’immigration
reconnaître et à légitimer les mariages entre personnes de
pour parrainer leur conjoint de même sexe né à l’étranger.
même sexe. Au Vermont, suite à une décision judiciaire
Telle qu’elle est interprétée, la loi stipule que tout étranger
accordant aux couples homosexuels les avantages et la
qui épouse ou prévoit épouser un citoyen des États-Unis
protection découlant du mariage en vertu du droit du
ou un résident permanent de plein droit du sexe opposé est
Vermont, un système parallèle d’union civile est entré en
admissible à la résidence légale selon le principe de base
vigueur le 1er juillet 2000. Cinq autres États et Washington
du mariage. Les citoyens américains ne peuvent, en aucun
(DC) ne disposent d’aucune législation sur la question du
cas, présenter une requête pour que leur conjoint de
mariage et de l’union civile, et tous les autres ont légiféré
même sexe puisse immigrer aux États-Unis en évoquant,
la définition du mariage comme l’union entre un homme
comme motif, leur relation. Par conséquent, les couples
et une femme, dans le même esprit que le Defense of
n’ayant pas la même nationalité ne peuvent légalement
Marriage Act (DOMA) adopté par le Congrès en 1996.
rester ensemble aux États-Unis que si le conjoint étranger
Si un citoyen américain et son conjoint né à
obtient un visa de travail ou d’études, qui est toujours
l’étranger se marient au Massachusetts ou s’unissent
d’une durée limitée, ou s’il tente de convertir son statut
civilement au Vermont, leur problème d’immigration n’en
État peut utiliser impunément la sexualité pour faire une
distinction entre des citoyens « égaux ».
15
interprétés comme une attaque ouverte aux droits des
gais. En effet, ces référendums cherchaient manifestement
à bannir le mariage entre personnes de même sexe dans
onze États5, grâce à une modification à leur constitution
respective, et tentaient, pour la plupart, d’inscrire dans la
constitution des États des lois semblables au DOMA qui
sont déjà en place et qui limitent déjà le droit au mariage
des couples hétérosexuels. Dans huit des onze États en
question, les mesures visaient également à interdire toute
forme de reconnaissance des relations entre personnes
de même sexe et, à ce titre, constituent une attaque
audacieuse à la citoyenneté sociale. Au-delà des caractéristiques du mariage, ces mesures tentaient
Droits sociaux rattachés à la
d’empêcher les couples homosexuels de
citoyenneté et migration
bénéficier des privilèges dont jouissent
vers le nord
Puisque les
les couples hétérosexuels, y compris les
L’incapacité des couples de
Américains ne
prestations de maladie et d’assurance,
personnes de même sexe n’ayant
l’héritage de propriété et les visites dans
pas la même nationalité d’avoir
souhaitent pas
les hôpitaux. Dans certains États, ces
recours à l’actuelle loi sur l’immiélargir la définition
mesures signifiaient également que les
gration aux fins de parrainage est
employeurs du secteur privé et associatif ne
un problème de longue date, quoi que
du mariage dans
pourraient pas accorder des avantages aux
peu reconnu, pour les homosexuels
la constitution des
employés entretenant une relation homodes États-Unis. Pendant la campagne
sexuelle. Les référendums ont été décisifs
électorale en vue des élections de
États, il est peu
dans tous les États, y compris l’Oregon
novembre 2004, des débats politiques
probable que le
(57 %), un État habituellement considéré
ont eu lieu dans un certain nombre
comme socialement libéral. Puisque les
d’États. Ces débats touchaient directegouvernement
Américains ne souhaitent pas élargir la
ment les droits rattachés à la citoyenfédéral prenne
définition du mariage dans la constitution
neté sociale et le bien-être matériel
des États, il est peu probable que le gouverde tous les homosexuels américains,
des mesures
nement fédéral prenne des mesures pour
et non seulement ceux qui ont des
pour éliminer
éliminer les inégalités entre les couples
problèmes avec le système d’immiles inégalités
hétérosexuels et les couples homosexuels
gration. Par conséquent, un flot
dans les domaines de compétence fédérale.
d’articles et de reportages sont parus
entre les couples
Les résultats des référendums ont
dans les médias canadiens et amérihétérosexuels
envoyé un important message au sujet de
cains, soulevant la possibilité que
l’interprétation que font les Américains
de nombreux Américains, mal à l’aise
et les couples
du mariage et des privilèges qui y sont
avec le plan d’action des Républicains,
homosexuels dans
rattachés – selon eux, il s’agit d’une
choisiraient de quitter les États-Unis
prérogative strictement réservée aux
pour s’établir au Canada ou dans
les domaines de
hétérosexuels. Les éléments dont il n’a
un autre pays. Par exemple, le
compétence
pas été question dans la plupart des
7 novembre, le New York Times a
discussions concernent les répercussions
rapporté que : [traduction] « Les
fédérale.
de ces décisions sur la vie quotidienne
analystes affirmaient que les élections
des gais et des lesbiennes. Comme une
étaient un référendum ne portant
lesbienne de l’Oregon l’a noté après la
pas plus sur l’Irak, le déficit, les soins
diffusion des résultats du vote : [traduction] « Personnaliser
de santé et l’emploi que sur Dieu, les armes et le mariage
la politique est la chose la plus bizarre. […] Il s’agit ici de
entre personnes de même sexe. Nombreux sont les
la possibilité que la moitié de l’État de l’Oregon pense que
partisans de Kerry […] qui se sentaient aliénés par ce
je ne mérite pas d’être traitée de la même manière que la
nouvel ordre dans le cadre duquel l’intervention divine
majorité des habitants de l’État. Et cela, je ne peux tout
a éclipsé les arguments rationnels. [...] L’envie de fuir
simplement pas le concevoir […]6 »
vers le Canada se faisait sentir ; on en discutait dans la cour
d’école, au bureau et au téléphone avec les amis4. » Si de
Compte tenu de la mesure dans laquelle les droits liés
à la citoyenneté sociale et économique ont été mêlés au
nombreux Américains étaient exaspérés par diverses
débat sur les définitions du mariage aux États-Unis, il est
dimensions de la politique étrangère et nationale de
peu surprenant que de nombreux gais et lesbiennes
leur gouvernement qui ont été abordées pendant la
envisagent sérieusement de déménager au Canada. En ce
campagne, les gais et les lesbiennes ont vécu les élections
qui concerne la décision de quitter les États-Unis ou d’y
comme un débat sur leurs propres droits en matière
rester afin de lutter pour l’égalité des gais et des lesbiennes,
de citoyenneté.
un lecteur a écrit ce qui suit dans la revue américaine The
Qui plus est, les référendums tenus en même temps
Advocate, une revue américaine à grand tirage qui traite
que les élections présidentielles ont largement été
CITC
sera pas pour autant réglé. La loi et la politique sur l’immigration relèvent du fédéral et le DOMA interdit la
reconnaissance, par le fédéral, des mariages entre
personnes de même sexe, même si de tels mariages
sont légalement reconnus par un État. Ce n’est qu’en
invalidant le DOMA ou en modifiant les dispositions
sur le parrainage de la loi actuelle sur l’immigration3
qu’il serait possible pour les couples homosexuels, qui
se sont mariés dans un État qui reconnaît les relations
entre personnes de même sexe, d’invoquer leur mariage
aux fins d’immigration.
16
des affaires touchant les gais et les lesbiennes :
[traduction] « Alors […] pourquoi ne pas déménager
au Canada ? […] Pourquoi ne pas aller vivre dans un
pays qui vous aide et qui honore ce que vous êtes ? Je ne
trouve aucune raison de ne pas le faire7. »
Il y a, évidemment, un nombre limité de gais et de
lesbiennes qui ont cette option. Pour les Américains qui
entretiennent une relation homosexuelle avec un citoyen
canadien, l’émigration est rendue possible grâce à la
capacité de leur conjoint canadien de les parrainer en
vertu des dispositions sur le regroupement familial de la
loi sur l’immigration. De plus, les personnes instruites,
qualifiées, âgées de moins de 40 ans et qui parlent le
français ou l’anglais ont de très bonnes chances d’obtenir
la résidence permanente au titre de la catégorie de l’immigration économique de la loi canadienne sur l’immigration.
Ce sont les personnes très instruites venant de régions
urbaines des États-Unis qui sont les plus susceptibles de
présenter une demande de résidence permanente et d’être
admises au Canada. Par ailleurs, leur admission au Canada
à titre d’immigrant ne sera pas fondée sur leurs droits
circonscrits rattachés à la citoyenneté sociale aux ÉtatsUnis ni sur leur identité sexuelle, mais plutôt sur le capital
humain qui leur permet d’obtenir suffisamment de
points pour être admissibles au titre de la catégorie de
l’immigration économique. Le parrainage et la catégorie
de l’immigration économique ne viennent pas en aide aux
gais et aux lesbiennes des États-Unis qui n’entretiennent
pas une relation avec une personne d’une autre nationalité
ou qui ne possèdent pas les compétences et la formation
requises pour acquérir le statut de résident permanent.
L’interprétation judiciaire des droits accordés en
vertu de la Charte canadienne des droits et libertés a mené
à l’élaboration d’une politique d’immigration qui tient
compte des couples homosexuels. Cette politique est à
l’opposé de celle qui est présentement en vigueur aux
États-Unis, et offre un nombre limité d’options aux gais et
lesbiennes qui souhaitent, ou doivent, quitter les ÉtatsUnis. L’émigration des Américains vers le Canada révèle
cependant un problème important concernant les limites
du sentiment d’appartenance et l’homophobie. Compte
tenu de l’existence de lois antidiscriminatoires dans
plusieurs États et municipalités, ainsi que de la décision
prise en 2003 par la Cour suprême dans l’affaire Lawrence
c. Texas qui a annulé les dernières lois sur la sodomie et
élargi le droit à la vie privée, il est facile de croire que
l’homophobie est une chose du passé aux États-Unis. Il est
également un peu plus facile d’alléguer que les gais et les
lesbiennes ne sont plus victimes de discrimination et, par
conséquent, que les efforts pour protéger les droits, y
compris le droit au mariage, ne sont qu’une attaque au
caractère normatif du mariage hétérosexuel ou une
tentative de créer des « droits spéciaux » pour une
minorité. Comme George Chauncey a déclaré : [traduction]
« Effacer la marginalisation politique des gais dans le passé
rend plus facile d’accuser faussement ces derniers de
constituer un groupe de pression puissant et dangereux
dont le combat pour la pleine égalité des droits, loin de
réaliser le rêve américain, représente plutôt une menace
pour celui-ci8. » La question des couples n’ayant pas la
même nationalité et du parrainage aux fins d’immigration
révèle cependant toutes les limites de l’égalité, ainsi que
l’enthousiasme des États à l’égard de la discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle. Associée aux récents
référendums sur le mariage et les droits des personnes
entretenant une relation homosexuelle, une politique
d’immigration liée à l’état matrimonial hétérosexuel met
à nu les réelles limites sociales et économiques de la
citoyenneté pour les homosexuels américains. Abstraction
faite des droits officiels rattachés à la citoyenneté, il y a le
droit à l’inclusion sociale et culturelle, et le besoin ou le
désir de jouir de droits ou de protections accordés par la
loi peut bien encourager de nombreux Américains,
homosexuels ou hétérosexuels, qui le peuvent, à migrer
vers le nord pour commencer une nouvelle vie.
Notes
17
1
Voir l’article intitulé « Droit canadien de l’immigration et partenaires de
même sexe » dans le présent numéro pour obtenir une description
détaillée de l’évolution de la politique fédérale d’immigration en ce qui
concerne la reconnaissance des relations homosexuelles.
2
PASSEL, J., R. CAPPS et M. FIX. Undocumented Immigrants: Facts and
Figures, Washington (DC), Urban Institute, 2004.
3
Le Permanent Partners Immigration Act (H.R. : 690) a été déposé lors du
108e Congrès et visait à modifier le Immigration and Nationality Act pour
accorder aux conjoints de même sexe de citoyens américains tous les
droits en matière d’immigration dont jouissent les époux légaux. Le
projet de loi n’a cependant pas reçu un appui suffisant à la Chambre des
représentants pour qu’un vote soit tenu.
4
« Anemona Hartocollis. Becoming The Land of the Flee? », New York
Times (Late Edition - East Coast), 7 novembre 2004, p. CY.1.
5
Arkansas, Georgia, Kentucky, Michigan, Mississippi, Montana, Dakota
du Nord, Ohio, Oklahoma, Utah et Oregon.
6
« Constitutional Bans on Same-Sex Marriage Gain Widespread Support
in 10 States », New York Times (Late Edition - East Coast), 3 novembre
2004, p. 9.
7
« Moving to Canada – Letters », The Advocate, 8 novembre 2004.
8
CHAUNCEY, George. Why Marriage? The history shaping today’s debate
over gay equality, New York, Basic Books, 2004, p. 12.
DROIT CANADIEN DE
L’IMMIGRATION ET PARTENAIRES
DE MÊME SEXE
RÉSUMÉ
L’équité sociale est au cœur des préoccupations de Citoyenneté et Immigration Canada ainsi que des
responsables de l’élaboration des politiques. Ceci est reflété dans l’évolution au fil des ans de la
définition des membres d’une famille dans le cadre de la classe familiale. Ce document brosse un portrait
de l’évolution des politiques dans ce domaine depuis les années 1990.
L
’un des principaux objectifs de l’immigration canadienne a toujours été de réunir les familles
au Canada. Au cours des années, bien que le droit et la politique du Canada en matière d’immigration aient subi une transformation considérable, cet engagement a été respecté. En vertu
des législations ancienne et actuelle, les citoyens et les résidents permanents du Canada ont par le
passé et peuvent toujours parrainer des membres de leur famille à des fins d’immigration au Canada.
Toutefois, la notion de membre de la famille et, par conséquent, de personne pouvant être parrainée
au titre de la catégorie du regroupement familial a changé, au même rythme que les réalités sociales.
La société canadienne est reconnue pour sa diversité, c’est-à-dire pour ses multiples identités,
liens et investissements culturels. Pour que la politique soit efficace, il faut non seulement reconnaître la
diversité de la population canadienne, mais aussi tenir compte de la pluralité et du recoupement des
identités. Il faut comprendre que les familles canadiennes et les familles immigrantes ne correspondent
pas toujours à un modèle particulier. Les décideurs dans le domaine de l’immigration doivent
forcément avoir recours à une approche progressive et tenir compte des changements dans la société
au moment de prendre des décisions. C’est l’approche qui a été adoptée pour la modernisation de la
politique canadienne en matière d’immigration en ce qui concerne la catégorie du regroupement
familial. Cette approche tient compte de considérations comme l’orientation sexuelle et la réalité
sociale actuelle (les couples homosexuels sont inclus dans les relations familiales).
Avant 1976, les homosexuels faisaient partie des personnes non admissibles au Canada, ce qui
reflète l’opinion publique courante de cette époque. Dans la nouvelle Loi sur l’immigration de 1977,
cette disposition a été révoquée, permettant ainsi aux lesbiennes et aux gais d’immigrer au Canada.
Bien qu’ils soient maintenant autorisés à immigrer au Canada, ils ne pouvaient demander l’admission
qu’à titre d’immigrants indépendants. Seuls les Canadiens hétérosexuels pouvaient parrainer un
conjoint dans la catégorie du regroupement familial puisque, en vertu de la législation, un conjoint
était, par rapport à une autre personne, « la personne de sexe opposé qui lui est jointe par les liens
du mariage ». Aucune disposition n’était prévue pour les partenaires de même sexe, tant dans la
définition de répondant que dans la définition de mariage.
L’entrée en vigueur en 1985 de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (disposition
relative aux droits à l’égalité) a eu une incidence de taille sur la réforme législative à cet égard.
L’article 15 a également joué un rôle fondamental, depuis le début des années 1990, dans l’élaboration
de la législation provinciale et fédérale en vue d’étendre les droits des couples hétérosexuels aux
couples homosexuels1.
Conscient que les couples homosexuels représentaient une réalité de plus en plus importante
au sein de la société canadienne, ainsi que des défis liés à la Charte et du fait que sa propre législation
pourrait donner lieu à des difficultés, l’ancien ministère de l’Emploi et de l’Immigration avait
commencé à traiter les demandes d’immigration présentées par les conjoints de fait et les conjoints
de même sexe. Au début, on pouvait avoir recours à la disposition réglementaire 2.1, qui autorisait
le ministre à accorder, pour des raisons d’ordre humanitaire, une dispense d’application d’un règlement
ou à faciliter l’admission au Canada de toute autre manière. Par la suite, en juin 1994, des mesures
concrètes ont été prises quant au processus de traitement des demandes présentées par les
partenaires de même sexe. Des directives faisant état de la nouvelle politique officielle ont été
CITC
MARIKA WILLMS
Marika Willms est étudiante en education coopérative à la Simon Fraser University.
Elle fait un stage Coop d’une durée de huit mois à Citoyenneté et Immigration Canada.
Évolution de la politique en matière d’immigration
18
publié en 1998 son propre rapport en réponse à celui du
transmises aux bureaux à l’étranger afin que les agents des
GCRL. De solides assises pour le 21e siècle faisait ressortir
visas facilitent le traitement de ces dossiers. À ce momentlà, bien que les unions de fait ou les unions homosexuelles
l’importance d’accorder un traitement équitable aux
ne constituaient pas en soi un obstacle à l’immigration, la
conjoints de fait et aux conjoints de même sexe et le fait
Loi ne comprenait aucune disposition visant à inclure les
que « le refus d’accorder la résidence permanente n’a
conjoints de fait ou de même sexe dans la catégorie du
pas pour seul effet d’empêcher un couple en union de
regroupement familial. Par conséquent, les agents
fait ou un couple homosexuel d’obtenir des avantages.
devaient traiter ces cas comme s’il s’agissait d’immigrants
Cela pourrait effectivement avoir pour résultat d’interdire
indépendants (catégorie « immigration économique »).
à des Canadiens de vivre avec leur partenaire de vie et de
Pour ce faire, ils devaient avoir recours à des dispositions
les empêcher de s’intégrer à la vie sociale et économique
législatives et réglementaires générales leur conférant le
et à participer à l’autonomie de celle-ci4 ». En 1999, la
pouvoir discrétionnaire nécessaires pour approuver des
ministre Lucienne Robillard est allée encore plus loin
demandes dont les points obtenus dans le cadre de la grille
dans cette démarche en annonçant publiquement que
de sélection n’étaient pas représentatifs
des modifications à la législation en
de la capacité de ces personnes à réussir
matière d’immigration étaient à l’étude
leur établissement. En outre, si le
et qu’elles viseraient à inclure les
demandeur ne répondait pas aux exiconjoints homosexuels.
La Loi sur la
gences de la catégorie des travailleurs
En 1999, la Cour suprême a entendu
modernisation de
qualifiés, les agents pouvaient le dispenser
l’affaire M c. H, le premier tribunal
de certains critères de sélection pour des
de grande instance à admettre une
certains régimes
raisons d’ordre humanitaire, pourvu
contestation de l’article 15 de la Charte
d’avantages et
qu’il s’agisse d’une relation authentique
concernant la définition de « conjoint »
et que le demandeur n’était pas par
(personne de sexe opposé). Cette affaire
d’obligations a
ailleurs interdit de territoire.
et d’autres contestations judiciaires à
également donné
Bien que la politique fût relativement
l’échelle fédérale et provinciale ont
efficace et que de nombreux couples en
poussé le Gouvernement du Canada à
lieu à une nouvelle
profitèrent, elle ne constituait pas une
négocier et à adopter en l’an 2000 la Loi
définition du terme
solution durable. Non seulement le
sur la modernisation de certains régimes
processus d’évaluation des considérations
d’avantages et d’obligations, qui visait à
« conjoint de fait »,
humanitaires était-il long et complexe,
faire en sorte que les conjoints de fait
définition reprise
mais la politique faisait également l’objet
(tant de même sexe que de sexe opposé)
de critiques de la part du public, des
soient traités de façon équitable en
par la suite par
médias et de groupes de défense. Selon
vertu de la loi fédérale. Bien qu’elle
Citoyenneté et
eux, la politique était trop subjective,
ne soit pas particulièrement détaillée
Immigration
manquait d’uniformité et présentait des
(mises à part les 68 lois touchées, la
lacunes sur le plan de la transparence.
Loi elle-même ne comprend qu’un seul
Canada dans sa
En 1997, le Groupe consultatif
paragraphe), la Loi sur la modernisation
législation.
sur la révision de la législation (GCRL)
de certains régimes d’avantages et
a présenté à Citoyenneté et Immigration
d’obligations indique clairement que le
Canada (CIC) un rapport intitulé Augouvernement ne peut pas limiter les
delà des chiffres : l’immigration de demain
avantages ou les obligations en faisant
au Canada. Parmi les points relevés, le GCRL avait fait
des distinctions injustes à l’encontre des conjoints de fait.
valoir l’importance d’apporter des modifications à la
La Loi sur la modernisation de certains régimes
catégorie du regroupement familial. Il proposait une
d’avantages et d’obligations a également donné lieu à une
nouvelle définition pour la notion de « conjoint », soit
nouvelle définition du terme « conjoint de fait », défini« une personne jointe par les liens d’un mariage contracté
tion reprise par la suite par CIC dans sa législation.
légalement dans l’État où il a eu lieu ; ou une personne
« Époux » est utilisé dans le cas de couples mariés
jointe par des rapports intimes et au moins un an de vie
uniquement et le nouveau terme « conjoint de fait » renvoie
commune »2. Selon le GCRL, cette définition tenait
aux unions de fait (partenaires de même sexe ou de sexe
opposé). La législation établit toutefois une distinction
compte de certaines réalités non prévues dans la
claire entre couples mariés et couples non mariés. La
législation actuelle, notamment le nombre croissant
définition de mariage, soit « l’union légitime d’un homme
d’unions de fait (partenaires de sexe opposé et de même
et d’une femme à l’exclusion de toute autre personne », est
sexe) comportant des éléments semblables aux unions
demeurée telle quelle.
matrimoniales, sauf en ce qui a trait à la reconnaisLa Loi sur l’immigration ne figurait pas au nombre
sance juridique des unions. De plus, le rapport faisait
des lois touchées puisque, comme la législation canaressortir un autre élément, soit le nombre croissant de
dienne en matière d’immigration n’avait à peu près pas été
Canadiens pour qui le fait de nier cette nouvelle donne
modifiée au cours des 25 dernières années, le Ministère
était contraire aux valeurs de loyauté, de cohérence et de
prévoyait déjà une révision importante de cette législation
traitement équitable3.
et comptait prendre en considération la notion d’égalité
Compte tenu des recommandations et de l’environprévue dans la Loi sur la modernisation. Étant donné
nement social de la fin des années 1990, le Ministère a
19
ou un résident permanent, à titre d’époux,
de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère
ou à titre d’autre membre de la famille prévu
par règlement.
qu’ils traitaient de la question des conjoints de fait et
des conjoints de même sexe depuis 1994, les responsables
de CIC étaient conscients du fait que la nouvelle loi
devrait comprendre des dispositions précises en ce qui
concerne l’admission de conjoints de fait et de conjoints
de même sexe.
Dans un document de discussion produit par le
Ministère, une série de modifications a été proposée aux
fins de la modernisation de la Loi sur l’immigration5.
Ce document a été diffusé aux intervenants clés afin
qu’ils puissent fournir une rétroaction. On recommandait
(la plupart des recommandations ont par la suite été
adoptées), entre autres, de moderniser la catégorie de la
famille afin qu’elle soit conforme avec la Loi sur la
modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations récemment adoptée. Cela signifiait modifier la
définition de « catégorie de la famille » et de « personne à
charge » afin d’inclure la définition désormais courante de
conjoint de fait, c’est-à-dire une personne qui vit avec le
répondant en union conjugale depuis au moins un an.
Étaient inclus tant les couples hétérosexuels que les
couples homosexuels. Pour ce qui est des observations
écrites reçues du public concernant cette proposition,
très peu de personnes ont contesté la reconnaissance
des unions de fait et des unions homosexuelles dans la
législation en matière d’immigration.
Pour assurer l’uniformité avec d’autres législations, le
Ministère a choisi d’adopter la définition de conjoint de
fait prévue dans la Loi sur la modernisation de certains
régimes d’avantages et d’obligations. Le conjoint de fait est
une personne qui vit avec le répondant à une union
conjugale depuis au moins un an. Mais cette définition,
notamment en ce qui a trait à la cohabitation, était problématique pour de nombreux groupes, dont l’Association
du Barreau canadien, le Lesbians and Gays Immigrant
Taskforce (LEGIT) et l’Égalité pour les gais et les
lesbiennes (EGALE). Ces organismes, ainsi que d’autres,
affirmaient que, pour bien des couples, notamment les
couples homosexuels, la cohabitation n’était pas possible
pour diverses raisons. D’abord, l’exigence concernant la
période de cohabitation (un an) pour un répondant au
Canada et son partenaire à l’étranger pouvait être difficile
à satisfaire étant donné les restrictions relatives à l’admission. Ou encore, la cohabitation pouvait ne pas être
possible pour certains couples craignant d’être persécutés
pour des raisons liées à la culture ou à la religion. Mis à
part ces considérations, la définition était également
vulnérable sur le plan juridique étant donné que la cohabitation ne constituait pas une exigence pour les couples
mariés (ce qui n’était pas le cas, à ce moment-là, pour les
couples homosexuels).
À la suite de consultations publiques et de commentaires reçus du Comité permanent de la citoyenneté et de
l’immigration, le Ministère a pris la décision de modifier
les dispositions réglementaires proposées et d’ajouter un
autre membre à la catégorie du regroupement familial,
soit le partenaire conjugal.
En vertu de l’article 2 du Règlement sur l’immigration
et la protection des réfugiés (RIPR) (2002), un partenaire
conjugal est défini comme suit : « à l’égard du répondant,
l’étranger résidant à l’extérieur du Canada qui entretient
une relation conjugale avec lui depuis au moins un an ».
Les lignes directrices pour l’évaluation de ces relations
sont fondées sur les caractéristiques d’une relation conjugale précisées dans la décision M c. H. Ces caractéristiques
comprennent l’habitation, les comportements sexuels et
personnels, les services, les activités sociales, le soutien
économique, les enfants ainsi que la perception sociale du
couple. Il est donc possible de parrainer un partenaire, soit
de sexe opposé ou de même sexe, qui se trouve dans une
situation exceptionnelle indépendamment de sa volonté et
qui, par conséquent, ne satisfait pas aux exigences établies
pour les époux ou les conjoints de fait.
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés
(LIPR) et son règlement d’application sont entrés en
vigueur en juin 2002. Les conjoints de fait ont été
officiellement supprimés de la catégorie des personnes
pouvant obtenir la résidence permanente pour des raisons
liées à la politique officielle et font maintenant partie de la
catégorie du regroupement familial. Compte tenu de cet
ajout à la catégorie, la législation canadienne en matière
d’immigration reconnaît maintenant trois genres de
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés
(2001)
Le projet de loi C-11 (Loi concernant l’immigration
au Canada et l’asile conféré aux personnes déplacées,
persécutées ou en danger) a été déposé à la Chambre des
communes en février 2001. Bien que le projet de loi
proposait un certain nombre de changements, le principe
de la réunification des familles n’était pas modifié. Selon le
Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR)
qui accompagnait le Règlement proposé, les nouvelles
dispositions relatives à la catégorie du regroupement
familial visaient à faire en sorte que :
• le processus et les critères selon lesquels les
membres de la catégorie du regroupement familial
sont sélectionnés soient clairs et transparents, et cela
comprend également les exigences et les obligations
prévues pour les répondants ;
• les réalités sociales actuelles soient prises en considération dans la définition de la catégorie du
regroupement familial ;
• la législation cadre avec les autres législations ou
principes du Canada.
Pour atteindre les objectifs de réunification de la
famille précisés dans le REIR, la nouvelle législation étend la
portée de la catégorie du regroupement familial et prévoit
une nouvelle définition afin d’inclure les conjoints de fait :
CITC
12.(1) La sélection des étrangers de la catégorie
« regroupement familial » se fait en fonction de
la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien
20
Lorsqu’une décision sera rendue concernant le projet de
loi C-38, le Ministère examinera de nouveau sa politique
temporaire sur les mariages homosexuels. Cela dit, un
règlement par le gouvernement sur cette question ne
déterminera pas en soi comment la question sera traitée
dans le contexte de l’immigration.
relations : époux, conjoint de fait et partenaire conjugal.
Dans l’ensemble, les médias et le public ont réagi de façon
favorable aux nouvelles dispositions législatives et
réglementaires. Il s’agit d’une réorientation importante de
la politique du Canada en matière d’immigration.
Projet de loi C-38 : Loi sur le mariage civil
Compte tenu du caractère transitoire des réalités
sociales, une loi adoptée il y a seulement trois ans peut
sembler désuète pour certains. Le mariage homosexuel est
une réalité sociale très actuelle dont ne tient pas compte
explicitement la LIPR.
En décembre 2004, la Cour suprême du Canada a
rendu une décision concernant les mariages homosexuels,
soit que le gouvernement fédéral pouvait modifier la définition de mariage afin d’inclure les couples homosexuels
(le juge n’a pas précisé si un tel changement était exigé aux
termes de la Charte). Par la suite, en février 2005, M. Irwin
Cotler, ministre de la Justice et procureur général du
Canada, a déposé la Loi sur le mariage civil (projet de loi
C-38). Le projet de loi C-38 (qui, au moment d’aller sous
presse, était à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre
des communes) vise à étendre la capacité juridique pour
les mariages civils aux couples homosexuels afin que le
mariage, dans le droit fédéral, corresponde toujours à
« l’union légitime de deux personnes, à l’exclusion de
toute autre personne ».
Au moment de la rédaction de la LIPR et du
Règlement, on ne s’attendait pas à ce que le mariage
devienne si rapidement une possibilité pour les gais et les
lesbiennes. Aujourd’hui, les assemblées législatives de
l’Ontario, de la Colombie-Britannique, du Québec, du
Yukon, du Manitoba, de la Nouvelle-Écosse et de la
Saskatchewan ont édicté des lois autorisant l’union civile
de partenaires de même sexe. Afin de tenir compte de ces
changements, CIC a adopté une politique temporaire
concernant les mariages homosexuels. Vers le milieu de
l’année 2004, le Ministère a fourni aux agents d’immigration
des directives concernant la reconnaissance des mariages
homosexuels célébrés au Canada. Ainsi, les unions civiles
entre un ressortissant étranger et un citoyen ou un
résident permanent du Canada de même sexe sont considérés comme valables aux fins de l’immigration dans la
catégorie du regroupement familial6.
Il existe toutefois certains cas pour lesquels la politique ne s’applique pas, et, pour cette raison, de nombreux
groupes de défense croient que la politique ne va pas assez
loin, bien qu’ils reconnaissent qu’il s’agit d’un pas dans la
bonne direction. Aux termes de l’article 2 du Règlement,
le mariage est défini comme suit : « s’agissant d’un
mariage contracté à l’extérieur du Canada, mariage valide
à la fois en vertu des lois du lieu où il a été contracté et des
lois canadiennes ». Par conséquent, jusqu’à ce qu’une
décision soit rendue par le gouvernement fédéral sur la
validité des unions civiles entre partenaires de même sexe
qui ont eu lieu à l’étranger ou entre deux ressortissants
étrangers au Canada, le cas de ces couples ne pourra pas
être étudié en fonction de cette politique. Le débat
entourant le projet de loi C-38 est très animé, tant à la
Chambre des communes qu’à l’échelle du Canada, et le
Ministère suit ces discussions très attentivement.
Conclusion
La nouvelle politique temporaire découle d’une série
d’événements ayant marqué l’évolution historique du
droit canadien de l’immigration en ce qui concerne les
couples homosexuels. Les deux dernières décennies ont
été très productives. Les gais et les lesbiennes ont été
supprimés des catégories de personnes interdites de
territoire ; une politique officielle avant-gardiste a été
adoptée aux fins de l’admission des conjoints de fait et des
conjoints de même sexe, alors que la catégorie du
regroupement familial a été élargie dans la LIPR et son
règlement d’application.
Bien qu’on ne puisse pas prévoir l’orientation future
de la politique canadienne en matière d’immigration, une
chose est claire, cette politique témoignera des réalités
sociales actuelles du Canada. Les personnes qui sont
admises, puis qui obtiennent la résidence permanente et la
citoyenneté canadienne, seront toujours le reflet de la
société canadienne – une société hétérogène et diversifiée.
L’engagement du Canada en matière d’inclusivité, de
pluralité et de diversité va continuer de transparaître dans
les politiques de Citoyenneté et Immigration Canada. Bien
que la législation ne puisse pas prévoir les nouvelles
réalités, Citoyenneté et Immigration Canada est de plus en
plus attentif à l’évolution des familles au Canada et espère
affermir cette réputation à l’avenir.
Notes
21
1
Prendre note du jugement dans l’affaire Miron c. Trudel (1995) ; la
discrimination selon l’état civil enfreint l’article 15 de la Charte. Cela
signifie que les personnes mariées ou non mariées qui vivent une union
conjugale doivent être traitées de la même façon aux termes de la loi.
2
Révision de la législation sur l’immigration, Au-delà des chiffres
l’immigration de demain au Canada (Ottawa, Travaux publics et Services
gouvernementaux Canada, 1997).
3
Ibid.
4
Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, De solides assises pour le
21e siècle : Nouvelles orientations pour la politique et la législation relatives
aux immigrants et aux réfugiés (Ottawa, Travaux publics et Services
gouvernementaux Canada, 1998).
5
Direction générale de la sélection, Citoyenneté et Immigration Canada,
Family Issues: Proposed Directives for Regulations Supporting Bill C-31,
The Immigration and Refugee Protection Act (2000).
6
Les certificats de mariage délivrés par les autorités provinciales en
Ontario (après le 9 juin 2003), en Colombie-Britannique (après le
7 juillet 2003), au Québec (après le 18 mars 2004), au Yukon (après le
13 juillet 2004), au Manitoba (après le 15 septembre 2004) et en
Saskatchewan (après le 4 novembre 2004) sont tous considérés comme
des documents valides aux fins d’une demande de résidence permanente. En direct : Citoyenneté et Immigration Canada, www.cic.gc.ca.
LA NOUVELLE ÉTUDE
SUR LES ENFANTS ET
LES JEUNES CANADIENS
Recherche visant à pallier un manque dans
le Plan d’action national pour les enfants
RÉSUMÉ
Un enfant sur cinq vivant au Canada est soit né à l’étranger, soit né dans une famille d’immigrants ou de
réfugiés. Pourtant, les études sur les enfants immigrants et réfugiés sont criblées de paradoxes, de résultats
contradictoires et de questions sans réponse. La recherche longitudinale, qui a recours à des échantillons
suffisamment grands d’enfants se trouvant dans différentes situations et vivant dans différentes régions du
pays, et qui utilise des outils de mesure adaptés à la culture et à la situation, est absolument nécessaire. La
NEEJC est une tentative visant à combler ce manque.
I
MORTON BEISER
University of Toronto
La recherche en santé pour enrichir la théorie, éclairer la politique et diriger la pratique
LINDA OGILVIE
University of Alberta
Université de Montréal
ROBERT ARMSTRONG JACQUELINE OXMAN-MARTINEZ
University of British Columbia
l est rare que tant de résultats soient attendus d’un si petit investissement. Un enfant sur cinq
vivant au Canada est soit né à l’étranger, soit né dans une famille d’immigrants ou de réfugiés,
et le Canada attend beaucoup d’eux. D’une part, nous espérons que leurs réalisations futures
aideront à justifier notre taux d’immigration relativement élevé. D’autre part, nous agissons comme
si cela allait se produire même si nous choisissons de ne pas nous intéresser à leur santé, à leur
développement et à leur adaptation. Prenons, par exemple, l’Enquête longitudinale nationale sur les
enfants et les jeunes (ELNEJ) de Statistique Canada. En se basant sur de simples critères de probabilité, la cohorte de plus de 23 000 enfants de l’ELNEJ devrait compter environ 4 600 enfants
immigrants et réfugiés. Toutefois, une seule étude – même de portée et de qualité inférieures
à l’ELNEJ – peut permettre d’atteindre tous ces objectifs. Pour différentes raisons, les familles
d’immigrants et de réfugiés étaient sous-échantillonnées ; la cohorte de l’ELNEJ n’était composée
que de 358 enfants immigrants et réfugiés, plutôt que des 4 600 prévus.
CITC
JOANNA ANNEKE
RUMMENS
University of Toronto
L’ELNEJ n’est qu’une étude parmi les nombreuses études nationales sur la santé qui
laissent pour compte les immigrants et les réfugiés. L’inclusion des immigrants et des réfugiés
dans les études nationales n’est ni facile ni bon marché. Le choix des familles de nouveaux arrivants
qui composeront les échantillons est un défi de taille, en particulier parce que les immigrants
ont tendance à se déplacer très souvent. En plus des problèmes d’échantillonnage, les coûts de
traduction des questionnaires dans la langue d’origine de l’immigrant et l’effort nécessaire
pour recruter et former des enquêteurs bilingues sont loin d’être négligeables.
Si c’était vrai que ce qui s’applique à la population en général s’applique également bien
aux immigrants et aux réfugiés, les impératifs que sont l’efficacité et l’économie pourraient
justifier l’absence des nouveaux arrivants dans les études nationales. Toutefois, ce qui s’applique
à la majorité, bien souvent, ne s’applique pas aux minorités. Par exemple, la pauvreté fait partie
des plus grandes menaces qui planent sur la santé mentale de l’enfant. Néanmoins, même s’il
est trois fois plus probable qu’une famille d’immigrants vive sous le seuil de la pauvreté
qu’une famille de non-immigrants, en général, les enfants immigrants ont une meilleure
santé mentale et moins de problèmes de comportement que les enfants nés au pays. La réponse
à ce paradoxe réside-t-elle dans une résilience exceptionnelle chez les enfants immigrants et
réfugiés ou est-ce que la force de vie de la famille d’immigrants protège, en quelque sorte, l’enfant ?
Le cas échéant, quelles sont les racines d’une telle résilience et quelle est la nature de la force
de la famille d’immigrants ?
À première vue, les résultats soutiennent l’opinion populaire selon laquelle les enfants sont des
êtres qui s’adaptent. La facilité apparente avec laquelle les jeunes immigrants et réfugiés apprennent
de nouvelles langues, leur réussite scolaire presque légendaire et la rapidité indéniable avec laquelle
22
Point de mire sur la santé
ils adoptent les modes vestimentaires et les comdes enfants immigrants et réfugiés
portements des habitants de leur pays d’adoption sont
Afin de répondre à de telles questions, des chercheurs
autant d’éléments qui annoncent un stéréotype
associés aux quatre centres d’excellence sur la recherche
optimiste de résilience. De nombreux enfants
en immigration de Metropolis ont entrepris en 2001 la
immigrants ou réfugiés s’intègrent effectivement bien.
Nouvelle étude sur les enfants et les jeunes Canadiens
Par contre, certains d’entre eux trouvent très ardu
(NEEJC). En prenant appui sur les données inestimables
d’apprendre la langue de la culture majoritaire ou ont
de l’ELNEJ, qui porte (principalement) sur les enfants
de la difficulté à l’école, et l’intégration rapide, qui
nés au pays, la NEEJC se concentre sur la santé et le
entraîne souvent un renversement des rôles dans la
développement d’environ 4 500 jeunes immigrants et
famille, un conflit intergénérationnel et des conflits
réfugiés vivant dans six villes canadiennes, et compare
identitaires à l’adolescence, peuvent être des avantages à
les immigrants aux Canadiens de naissance. Tout comme
double tranchant.
l’ELNEJ, la NEEJC interroge des enfants et leurs familles
Les résultats ne justifient pas le contentement
tous les deux ans, ce qui permet d’étudier le développement
de soi. Bien qu’en général, les enfants immigrants aient
des enfants au fil du temps. Les collectivités d’immigrants
un avantage en matière de santé mentale, ce fait ne
et de réfugiés qui constituent la cohorte de la NEEJC
s’applique peut-être pas à tous les nouveaux arrivants.
proviennent notamment de la Chine continentale, de
Par exemple, il existe une bonne raison de croire que
Hong Kong, des Philippines, d’Haïti, d’Éthiopie, de la
le traumatisme prémigratoire subi par les enfants réfugiés
Somalie, de la Jamaïque, de la Serbie, du Vietnam, du
et que la discrimination dont sont victimes les enfants
Liban, de l’Amérique centrale
de minorité visible engendrent un
(Salvador, Guatemala, Nicaragua),
risque pour la santé mentale.
La facilité apparente
de la Colombie, du Kurdistan, de
L’échantillon limité de l’ELNEJ
l’Iran, du Pendjab, de territoires
ne permet pas de distinguer les
avec laquelle les jeunes
tamouls et de l’Afghanistan.
immigrants des réfugiés ou d’exaimmigrants et réfugiés
Les fonds de démarrage
miner les effets de la discrimination
apprennent de nouvelles
obtenus de Santé Canada, de
sur la santé mentale.
Patrimoine
canadien,
de
La recherche sur les enfants
langues, leur réussite
Citoyenneté et Immigration
immigrants et réfugiés est imporscolaire presque légendaire
Canada, des centres Metropolis,
tante, notamment pour répondre
du FQRSC au Québec et de
à des questions dignes d’intérêt
et la rapidité indéniable
l’AHFMR en Alberta ont facilité
et pour contribuer à la théorie.
avec laquelle ils adoptent
la mise sur pied d’une vaste
À mesure que les enfants s’épaéquipe interdisciplinaire composée
nouissent, leur potentiel humain
les modes vestimentaires
d’épidémiologistes, de sociologues,
biologique perd de l’importance
et les comportements des
de spécialistes du développement
en tant que variable explicative
de l’enfant, de chercheurs sur
de leur développement, tandis
habitants de leur pays
les services de santé, de psychoque les facteurs psychosociaux
d’adoption sont autant
logues, de spécialistes en santé
deviennent proportionnellement
mentale, d’anthropologues, d’éduplus importants. Autrement dit,
d’éléments qui annoncent
cateurs et d’universitaires dans
avec le temps, les attitudes et les
un stéréotype optimiste
les domaines cliniques des sciences
comportements d’une société
de résilience.
infirmières, de la pédiatrie et
prennent de plus en plus de place
du travail social. L’équipe de
dans le développement de ses
chercheurs a également noué des partenariats avec
enfants. Les institutions sociales du Canada ont
des collectivités locales d’immigrants. Les conseils
répondu trop lentement au besoin d’établir des strucconsultatifs locaux qui comptent parmi leurs membres
tures, des systèmes et des services visant à soutenir le
des représentants d’organisations pour les immigrants
développement des enfants nouvellement arrivés. Les
et de services aux immigrants, ainsi que des représentants
soignants et les responsables des politiques ont besoin
de différents paliers de gouvernement, ont travaillé
d’information sur la santé des immigrants et des
en collaboration avec les équipes de chercheurs à
réfugiés, sur la façon dont elle se distingue de celle
Montréal, Toronto, Winnipeg, Calgary, Edmonton et
des enfants de la culture majoritaire et sur la façon
Vancouver. Le partenariat université/collectivité a
dont évoluent les tendances de la santé au fil du
contribué à l’élaboration du cadre théorique de la NEEJC,
temps. Ils ont également besoin de données sur les
à la détermination des facteurs de stress précis relatifs
déterminants de la santé, dont certains peuvent être
à l’immigration et à l’établissement et des facteurs de
semblables à ceux de la population de la culture
protection, à l’établissement de stratégies visant à
majoritaire et d’autres être propres aux immigrants
informer les collectivités et à les inciter à participer,
et aux réfugiés. Enfin, il est nécessaire d’examiner la
ainsi qu’au recrutement et à la formation des enquêteurs.
correspondance entre les besoins en matière de santé
Une fois cette structure en place, l’équipe a réalisé des
et l’utilisation des services, et de connaître les réussites
tests pilotes en vue d’examiner l’applicabilité des outils
et les échecs des différentes approches en matière de
de l’ELNEJ, a mis au point ses concepts et ses mesures
prestation de soins.
23
facteurs de stress avant et après la migration et les
ressources personnelles et sociales que possède l’enfant
pour y faire face.
L’âge à l’arrivée dans un pays en vue de s’y établir
est un facteur particulièrement intéressant. Selon la
documentation, l’âge de dix ans serait un point de césure
critique ; en effet, il semble que les enfants qui arrivent
au Canada avant l’âge de dix ans ont plus de chances de
s’intégrer avec succès que les enfants qui arrivent plus tard,
et que ces premiers finissent par se percevoir comme des
Ce que nous savons déjà
Canadiens ordinaires, plutôt que comme des étrangers ou
Les chercheurs du Canada et d’ailleurs n’ont pas
comme appartenant à une minorité.
complètement laissé pour compte les enfants immigrants
Les immigrants et les réfugiés ont vécu des expériences
et réfugiés. Toutefois, la valeur de l’information déjà
très différentes avant de venir au Canada. Les chocs liés
accessible est compromise par la nature parfois confuse
à des bouleversements, qu’ils soient causés par l’humain
et souvent contradictoire des résultats. D’après certains
ou d’ordre naturel, ont des répercussions sur la santé
rapports, les enfants immigrants sont davantage exposés
mentale. Les enfants réfugiés, dont bon nombre ont été
à la maladie et à la souffrance morale, et sont plus
témoins de violence dans leur pays d’origine, sont très
susceptibles d’afficher des troubles du développement
vulnérables au syndrome de stress
et des troubles du comportement
que les enfants nés au pays. Les
Selon le cadre directeur post-traumatique (SSPT). Bien que
les taux de SSPT signalés soient
chercheurs ont tendance à attribuer
de tels résultats à une vulnérabilité de la NEEJC, le bien-être surprenants – atteignant parfois 50 % –
ils soulèvent un sujet de controverse
individuelle due à une prédisposition
et les réalisations des
pour les recherches à venir. En
biologique, à des troubles précoces
enfants immigrants
supposant que tous les enfants réfugiés
du développement ou à l’exposition
ont été exposés à l’horreur, pourquoi
à des environnements menaçants.
et réfugiés découlent
les taux de SSPT sont-ils toujours
Par contre, d’autres données, qui ne
d’un processus
inférieurs à 100 % ?
présentent aucune différence entre la
Ce qui arrive aux personnes après
santé des enfants nouvellement arrivés
dynamique, dont les
leur arrivée au Canada est tout aussi
et celle des enfants nés au pays, si ce
éléments sont, entre
important pour leur bien-être, sinon
n’est un avantage du côté des
autres, les caractérisplus, que ce qu’elles ont vécu avant
immigrants, nient l’idée que la prédisposition ou le fait de vivre dans un
tiques individuelles, les la migration. La documentation de
recherche considère l’acculturation et
environnement rempli de stress met
facteurs de stress
la discrimination comme des facteurs
en péril le bien-être des immigrants et
des réfugiés.
antérieurs et postérieurs de stress majeurs en santé mentale.
Lorsque des groupes culturels
Force n’est pas de conclure que
à la migration et les
entrent en contact, ils communiquent
les chercheurs sont confus, ou que
certains effectuent de bonnes recherressources personnelles entre eux et chacun prend certaines
caractéristiques de l’autre. Les spéches et d’autres de mauvaises. Le nœud
et sociales que possède cia-listes des sciences sociales appellent
du problème réside dans l’absence
d’une théorie suffisamment détaillée.
l’enfant pour y faire face. ce processus « acculturation ». La
plupart des travaux de recherche se
Les postulats qui attribuent la cause
penchent principalement sur l’effet de la force d’acculuniquement à la prédisposition ou à la pression environturation dominante – dans ce cas-ci, la société canadienne –
nementale sont trop simplistes. Même si l’immigration et
sur l’autre force – dans ce cas-ci, les collectivités
le réétablissement ont probablement un effet sur le
d’immigrants. Suite à l’acculturation, certaines familles
développement, les impondérables comme les politiques
peuvent passer d’une alimentation saine à la malbouffe,
de sélection du pays d’accueil, le statut d’immigrant vis-àet les enfants peuvent être vulnérables aux bactéries et
vis le statut de réfugié, l’âge au moment de la migration, le
aux virus courants au Canada contre lesquels ils ne sont
sexe, les caractéristiques familiales, le fait d’appartenir à
pas immunisés, puisqu’ils ont grandi dans un autre
une minorité visible ou non, l’identification ethnique
pays. Certaines collectivités d’immigrants ont tendance à
personnelle, le soutien social, la présence d’une collectivité
fuir le système de santé et à faire traîner l’immunisation,
du même groupe ethnique et les attitudes et les pratiques
ce qui peut avoir pour effet d’augmenter les risques de
de réétablissement de la société d’accueil permettent
maladie. Des travaux intrigants indiquent que plus les
de déterminer si l’immigration a pour résultat un
enfants immigrants sont acculturés, plus ils risquent de
comportement mésadapté provoqué par le stress ou
consommer des drogues illicites. Une des explications
un bien-être, une perception de soi positive et la réussite.
possibles de cette constatation est que les méthodes
Selon le cadre directeur de la NEEJC, le bien-être et
traditionnelles servant à régir le comportement des jeunes
les réalisations des enfants immigrants et réfugiés
s’effondrent sous la pression de l’acculturation exercée par
découlent d’un processus dynamique, dont les éléments
la société d’accueil.
sont, entre autres, les caractéristiques individuelles, les
CITC
afin de pouvoir les utiliser avec différents groupes
ethnoculturels, et a élaboré de nouveaux outils de
mesure permettant de saisir la dynamique de l’expérience du réétablissement. La NEEJC a également reçu
des fonds des Instituts de recherche en santé du Canada,
qui permettront d’assurer la réalisation des deux
premières enquêtes biennales prévues. La première
vague d’entrevues est maintenant terminée.
24
niale à celles liées à la culture majoritaire. L’identité
ethnoculturelle est importante non seulement en raison
de ses répercussions sur le bien-être de la personne,
mais également parce qu’elle contribue à la cohésion
sociale dans les sociétés diversifiées sur le plan culturel,
comme le Canada. Des études laissent à penser que
plus les adolescents sont à l’aise avec leur identité
ethnique, plus ils sont en mesure de faire preuve
d’empathie à l’endroit de leurs pairs dont l’horizon
ethnique diffère du leur, plus il est probable qu’ils
noueront des liens interethniques, et plus leur réussite
scolaire sera grande.
Sans égard aux origines ethniques, les parents
immigrants caressent de grandes ambitions pour leurs
enfants. Toutefois, le manque de connaissance du système
scolaire, l’incapacité de comprendre l’information
fournie par les écoles et les tracas liés à l’argent nuisent
à la capacité des parents d’aider leurs enfants à réaliser
ces ambitions. De plus, le voisinage a une incidence
sur la santé et le bien-être des enfants. Les enfants
qui vivent dans des quartiers défavorisés ont tendance
à aller dans des écoles au financement limité, ont accès
à peu de ressources culturelles et risquent davantage
de décrocher.
Outre la famille, l’école est l’endroit qui influence
le plus le développement de l’enfant. Des études
britanniques donnent à penser que les enfants immigrants d’origine asiatique ont de plus grandes aspirations intellectuelles et professionnelles que les
enfants nés au Royaume-Uni. D’autres études,
américaines cette fois, s’intéressent tout particulièrement à l’atteinte de ces aspirations. Cependant, la
réussite a tendance à être inégale. En lecture, des
étudiants très performants d’Asie du Sud-Est accusent
généralement un certain retard par rapport aux
matières qui dépendent moins de la langue, comme les
mathématiques. La facilité apparente avec laquelle les
enfants immigrants apprennent une nouvelle langue
peut porter indûment les adultes à croire que leurs
enfants sont plus à l’aise avec la langue qu’ils ne le
sont réellement. À l’opposé de ce que laissent croire
les études généralement optimistes sur la réussite des
enfants immigrants à l’école, certaines études canadiennes récentes brossent un tableau davantage
déconcertant indiquant un taux élevé de décrochage et
une réussite postscolaire compromise.
La discrimination est considérée comme une des
causes du faible rendement scolaire, du manque
d’ambition professionnelle et de la mauvaise santé.
Malgré une acceptation répandue de cette hypothèse, le
fait est que la discrimination et ses effets sur l’adaptation
ont fait l’objet de peu d’études scientifiques. Selon
l’Enquête sur la diversité ethnique menée par Statistique
Canada et Patrimoine canadien, seulement un résidant
canadien sur dix âgé de 15 ans ou plus a déjà été personnellement victime de discrimination. En comparaison,
un membre de minorité visible sur cinq a signalé avoir
au moins une fois fait l’objet de discrimination en raison
de son origine ethnique, de sa culture, de la couleur de
sa peau, de sa langue, de son accent ou de sa religion. Le
pourcentage le plus élevé, qui est de un sur trois, concerne
les Africains et les Afro-Antillais. Le fait d’appartenir à
une minorité visible n’est pas l’unique fondement de
la discrimination ; les immigrants arrivés tout récemment
appartenant à des minorités non visibles courraient deux
fois plus de risques d’être victimes de discrimination
que les immigrants vivant de longue date au Canada ou
de deuxième génération.
Les facteurs de stress prémigratoires et postmigratoires nuisent au bien-être, mais lorsque vient le
temps de relever un défi, les être humains ne sont pas
inactifs. Dans l’adversité, ils se tournent vers eux-mêmes
pour faire appel à leurs ressources personnelles comme
l’estime de soi, et vers l’extérieur pour demander de
l’aide à leur famille, à leurs voisins et à leur collectivité.
Des travaux de recherche révèlent que les enfants
qui acceptent leur identité ethnique, tout en se sentant
à l’aise avec une identité canadienne plus vaste, auront
fort probablement une grande estime d’eux-mêmes.
Il a été prouvé que l’école, la principale institution
sociale qui permet aux enfants d’établir des liens
sociaux en dehors de la famille, pourrait forcer les
jeunes à faire des choix désagréables entre leur passé
et leur avenir, plutôt que d’appuyer leurs efforts pour
intégrer les exigences liées à leur identité patrimo-
En résumé
Les études sur les enfants immigrants et réfugiés
sont criblées de paradoxes, de résultats contradictoires
et de questions sans réponse. La recherche longitudinale,
qui a recours à des échantillons suffisamment grands
d’enfants se trouvant dans différentes situations et
vivant dans différentes régions du pays, et qui utilise
des outils de mesure adaptés à la culture et à la situation,
est absolument nécessaire. La NEEJC constitue une
tentative visant à combler ce manque.
Le Canada s’attend à ce que les nouveaux arrivants
servent les intérêts nationaux. Laissés à eux-mêmes,
de nombreux immigrants et réfugiés répondront à
ces attentes. Par contre, des programmes adaptés à
leurs besoins et à leurs aspirations aideront ceux destinés
à la réussite à atteindre leurs buts plus rapidement et
plus aisément. Une politique d’établissement sensée
aidera également les autres qui, sans aide, risquent
de voguer à la dérive.
Dans son roman intitulé A Bend in the River,
V. S. Naipaul écrit : [traduction] « L’idée que nous
nous faisons de nos possibilités nous décrit ». Le
Canada s’est engagé à élaborer un Plan d’action national
pour les enfants qui offrira un accès équitable aux
ressources nécessaires pour que les citoyens de demain
soient en santé, forts et en mesure de réaliser leur
potentiel en vue de servir les intérêts communs. Dans
cet esprit, le Canada ne peut continuer d’ignorer les
enfants de ses nouveaux immigrants. Au contraire, il
doit les aider à se faire une perception du monde aussi
libre que possible de traumatismes et de blessures, et
aussi ouverte que possible aux contributions éventuelles
qu’eux et leurs parents peuvent apporter à ce pays.
25
TO, T., A. GUTTMAN, P.T. DICK, J.D. ROSENFIELD, P.C. PARKIN, H.
CAO, T.N. VYDYKHAN, M. TASSOUDJI et J.K. HARRIS. « What factors are associated with poor developmental attainment in young
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GROUPE CANADIEN CHARGÉ D’ÉTUDIER LES PROBLÈMES DE
SANTÉ MENTALE DES IMMIGRANTS ET DES RÉFUGIÉS. Puis, la
porte s’est ouverte (No de catalogue Ci96 38/1988F), Ottawa, ministère
des Approvisionnements et Services, 1988.
Biographies
Morton Beiser, M.D., FRCPC, C.M., est professeur en psychiatrie à la
University of Toronto, chercheur principal et directeur fondateur du
Centre d’excellence conjoint pour la recherche sur l’immigration et
l’établissement de Toronto et coordonnateur scientifique national du
projet « Réduire les disparités sur le plan de la santé » des Instituts de
recherche en santé du Canada. Il est le chercheur en chef de la Nouvelle
étude sur les enfants et les jeunes Canadiens (NEEJC).
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Social Issues, vol. 57, no 3 (2001), p. 511-521.
FULIGNI, A.J. « The academic achievement of adolescents from immigrant
families: The roles of family background, attitudes, and behavior »,
Child Development, vol. 68 (1997), p. 351-363.
Robert Armstrong, M.D., FRCPC, est professeur agrégé à la Division de
la pédiatrie du développement de la University of British-Columbia
et est membre du corps enseignant du Centre de recherche communautaire sur la santé de l’enfant à l’Institut de recherche sur la santé des
enfants et des femmes de la Colombie-Britannique. Il est chef du
Département de pédiatrie de la University of British-Columbia et
responsable de la médecine pédiatrique à l’Hôpital des enfants et à
l’Hôpital des femmes de la C.-B., qui relèvent de l’autorité provinciale
des services de santé. Le Dr Armstrong est cochercheur en chef de
la NEEJC.
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school of ethnic minority students », dans G. Campbell Jr., R. Denes et
C. Morrison (éds.), Access Denied: Race, Ethnicity and the Scientific
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et I. Zeytinogly (éds.), Women’s Voices in Health Promotion, Toronto,
Canadian Scholars’ Press, 1999, p. 138–151.
Linda Ogilvie, inf. aut., Ph.D., est professeure à la Faculté des sciences
infirmières de la University of Alberta, responsable du secteur de la santé
au Centre d’excellence des Prairies pour la recherche en immigration et
en intégration (PCERII) et directrice d’un programme financé par
l’ACDI pour la formation des infirmières au Ghana. Elle est
cochercheure en chef de la NEEJC.
KOBAYASHI, A., E. MOORE et M. ROSENBERG. Des enfants immigrants
en santé : une analyse démographique et géographique, Ottawa,
Développement des ressources humaines Canada, Direction générale de
la recherche appliquée, 1998.
Jacqueline Oxman-Martinez, Ph.D. (sociologie), est chercheure invitée
au Centre de recherche sur la violence faite aux femmes et professeure
agrégée à l’Université de Montréal. Elle a été responsable de la section de
la santé pour Immigration et Métropoles (IM), le Centre de recherche
interuniversitaire de Montréal sur l’immigration, l’intégration et la
dynamique urbaine. Mme Oxman-Martinez est cochercheure en chef de
la NEEJC.
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Studies, vol. 6 (1993), p. 25-39.
Joanna Anneke Rummens, Ph.D. (anthropologie), est chercheure sur les
systèmes de santé au sein du Groupe-ressource sur les systèmes de santé
communautaire de l’Hôpital pour les enfants malades et professeure
adjointe en psychiatrie à la Faculté de médecine de la University of
Toronto. Elle a été coordonnatrice des études au CERIS et est actuellement présidente élue du conseil de gestion du Centre de Toronto. Elle
est cochercheure en chef de la NEEJC.
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CITC
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des familles, ministère de l’Industrie, Ottawa, 2003.
26
FRANCHIR LE FOSSÉ
DES GÉNÉRATIONS
Explorer les différences entre les parents immigrants
et leurs enfants nés au Canada
RÉSUMÉ
Dans l’exposé qui suit, je vais discuter de l’importance de reconnaître les générations comme un facteur de
différenciation clé des expériences d’intégration des minorités visibles au sein de la société canadienne. La
majeure partie de la recherche universitaire et non universitaire porte sur l’expérience des immigrants et sur
leurs problèmes d’acculturation, en particulier pour les immigrants ayant été racialisés (considérés racialement
différents de la population blanche dominante ou même d’immigrants d’origine européenne). En plus des
problèmes courants liés à leur statut, comme l’acquisition de la citoyenneté, la formation linguistique, l’emploi, le logement ou la santé, les immigrants appartenant aux minorités visibles font face au racisme de façon
générale et quotidienne. Pour les minorités de la deuxième génération (les enfants d’immigrants, ceux qui
sont nés au Canada ou y sont arrivés avant l’adolescence), les problèmes d’adaptation sont assez différents.
Ces personnes n’ont pas les mêmes problèmes d’acculturation même si, en dépit de leur apparence et de
leur comportement « ordinaires », elles sont toujours aux prises avec le racisme et l’exclusion, en particulier
pendant l’enfance et l’adolescence. Le présent article soutient que le fait de grandir de façon différente est
ce qui distingue les expériences de la première génération des expériences de la deuxième génération en ce
qui concerne l’appartenance. Par conséquent, il faut porter une plus grande attention aux répercussions du
concept de génération sur les négociations des minorités visibles avec la société canadienne.
MYTHILI RAJIVA
Mythili Rajiva a récemment terminé un doctorat en sociologie à la Carleton University.
Présentement, elle enseigne et fait une recherche post-doctorale sur les fusions des villes
et leurs conséquences sur la diversité.
Les gens qui ne sont pas de couleur… ne comprennent pas la dualité de ma vie… pourquoi
je dois mentir à mes parents au sujet de l’endroit où je vais… parfois, la nuit, je m’endors
en pleurant parce que… mon copain ne comprend pas les pressions que je subis du fait
que je suis une fille coréenne… mon Dieu, je me rappelle que, quand j’étais plus jeune, il
y avait des jours… où ma frustration était si grande que je ne voulais pas rentrer à la
maison… après l’école, je restais dehors à flâner… toute seule, sans me joindre à qui que
ce soit. Cela peut vraiment être nuisible, parce que vous ne vous sentez à votre place nulle
part1. [traduction]
Introduction
Dans le milieu universitaire et dans d’autres cercles, il n’est pas rare de présumer que les
membres des minorités visibles sont forcément des immigrants. Les universitaires, les chercheurs et
les médias grand public tentent d’étudier des questions entourant le racisme, l’appartenance et le fait
d’être Canadien en se fondant sur l’hypothèse que les membres des communautés dont ils parlent
sont tous des immigrants, c’est-à-dire qu’ils ont passé une bonne partie de leurs années de formation dans un autre pays et qu’ils sont arrivés au Canada à l’âge adulte. Dans un scénario de ce genre,
les questions à explorer concernent l’acculturation et le chemin parfois cahoteux qui mène à la
citoyenneté canadienne : les cours de langue et la formation professionnelle, l’aliénation culturelle,
et la discrimination à la fois systémique et quotidienne fondée sur la tenue vestimentaire, l’accent, la
couleur de la peau et d’autres marqueurs culturels. S’il ne faut pas sous-estimer la dure réalité de la
vie de l’immigrant, il est néanmoins hasardeux de présumer que toutes les minorités visibles vivent
des problèmes propres aux immigrants. Une telle hypothèse perpétue l’idée que les communautés de
minorités visibles seront toujours des communautés d’immigrants et, par conséquent, qu’ils n’appartiendront pas à la nation canadienne, peu importe le nombre d’années passées au Canada. De
plus, ce scénario ne tient pas compte de la présence de non-immigrants qui font aussi partie des
minorités visibles. Leur vécu en matière d’aliénation, de racisme et d’appartenance est peut-être différent de celui de leurs parents immigrants, mais il nous aide tout de même à comprendre la façon
dont nous façonnons notre image du « vrai » Canadien2.
Dans ce document, nous faisons valoir que la question des générations doit être étudiée
de façon plus soutenue par les universitaires et autres chercheurs. Les recherches sur la race et le
27
CITC
beaucoup de gens qui sont nés et ont grandi au Canada, et
racisme au Canada doivent accorder une place plus
qui sont encore aux prises avec des problèmes de racisme
importante au vécu des membres de minorités visibles,
et d’exclusion. Les personnes de la deuxième génération
jeunes et adultes, de la deuxième génération. Il est égalene sont pas confrontées à des problèmes de langue, de
ment capital que les enseignants et les initiatives
reconnaissance des diplômes étrangers, ou d’aliénation
gouvernementales reconnaissent que les générations sont
culturelle, mais plutôt à un discours d’appartenance à la
un facteur distinctif dans l’expérience de l’appartenance et
nation qui est suffisamment souple pour les exclure même
de l’exclusion. À l’aide de la documentation qui existe
lorsqu’ils parlent, agissent et vivent « comme tout le
dans ce domaine, et de mes propres travaux de recherche3,
monde ». En quoi ces deux expériences sont elles
j’examinerai trois points principaux : 1) la génération en
distinctes ? C’est un élément crucial de la race et de l’identant que facteur crucial dans les genres de problèmes que
tité, auquel les recherches sur les minorités visibles n’ont
rencontrent les minorités visibles ; 2) les éléments de la
toutefois accordé que peu d’importance. Jusqu’à récemgénération et la relation de celle-ci avec le développement
ment, les travaux de recherche canadiens ont négligé la
et l’identité ; et 3) les problèmes auxquels est confronté
question des générations, et plus particulièrement en ce
la deuxième génération (c’est-à-dire sa façon de réagir
qui a trait aux jeunes. La plupart de ces travaux ont
au racisme pendant la période où l’identité se construit,
surtout cherché à comprendre l’expérience des immiet de répondre aux exigences de la culture dominante,
grants d’âge adulte ou, parfois, d’âge
exigences qui sont souvent directement
mineur dans le contexte familial. Ces
opposées aux normes culturelles de la
travaux n’ont pas porté sur les jeunes et
famille et de la communauté).
Les personnes
sur les particularités de ce groupe en ce
de la deuxième
qui concerne les espaces multiples qu’il
La génération comme concept clé
occupe (école, groupes de pairs, famille,
Bon nombre de travaux de
génération ne sont
communauté, etc.). Cependant, cela
recherche sur les minorités visibles au
pas confrontées
change peu à peu, car les chercheurs
Canada ont encore pour référence un
canadiens présentent actuellement
milieu composé à 100 % d’immigrants.
à des problèmes
des rapports convaincants sur les
Les travaux effectués à l’intérieur et
de langue, de
principales différences entre les immià l’extérieur du cadre universitaire
reconnaissance des
grants et leurs enfants, et signalent
utilisent un langage qui définit
l’importance d’élaborer des théories sur
implicitement le membre d’une
diplômes étrangers,
ces différences (voir, par exemple,
minorité visible comme étant quelqu’un
ou d’aliénation
Rajiva, 1996 ; Aujla, 2000 ; Handa, 2003 ;
qui a émigré récemment. Les problèmes
Rajiva, 2004).
de ces individus et de ces groupes sont
culturelle, mais
ensuite abordés en tant que problèmes
plutôt à un discours
d’acculturation : cours de langue et
Être des enfants et des adolescents
formation professionnelle, « canadiadifférents : le défi de devenir
d’appartenance
nisation » des diplômes, apprentissage
quelqu’un et de se sentir chez soi
à la nation qui est
des normes culturelles de la société canaDans des pays comme la Grandedienne, et réaction au racisme quotidien
Bretagne,
les États-Unis et le Canada,
suffisamment
et au racisme systémique, en raison des
l’âge et la génération influent sur
souple pour
différences perçues par rapport à la
l’appartenance, selon qu’il s’agisse
situation de la population blanche
d’immigrants ou de leurs enfants, nés
les exclure.
prédominante. On ne sous-estime pas la
dans le pays d’adoption. L’explication
réalité des immigrants et les combats des
évidente est que les premiers arrivent
communautés pour s’établir dans une société différente et
dans un contexte de différence, tandis que les seconds
parfois hostile. Toutefois, il est risqué de présumer que les
grandissent dans un contexte de différence. Mais, à
membres des minorités visibles sont toujours des immipremière vue, cela devrait signifier que la deuxième
grants. Cette supposition a pour seul effet de réifier la
génération a beaucoup moins de mal à appartenir à
perception dominante que les communautés racialisées
son groupe. Selon les universitaires américains Min
ou ethnicisées seront éternellement des communautés
et Kim, ce groupe est moins susceptible de se heurter
d’immigrants. Selon ce scénario, si vous appartenez à
aux mêmes obstacles systémiques que leurs parents
une minorité visible, vous serez toujours un étranger pour
(Min et Kim, 2000, p. 754). Un passé différent combiné
la nation canadienne. Par exemple, certains groupes qui
à un niveau de confort plus élevé face à la culture
se trouvent au Canada depuis plus de trois ou quatre
dominante font en sorte que les jeunes membres des
générations sont encore qualifiés de communautés
minorités ont plus de facilité à se tailler une place sur le
d’immigrants4.
marché du travail et à s’intégrer socialement à la culture
occidentale dominante (p. 754). Pourtant, Min et Kim
De plus, ce cadre ne permet pas de comprendre
signalent que, malgré le fait que les professionnels
l’identité racialisée et ethnicisée de quelqu’un qui n’est pas
immigrants sont plus désavantagés sur le marché du
un immigrant. Si nous continuons de présumer que le
travail et connaissent des expériences professionnelles
racisme qui s’exerce au sein de la société canadienne est
plus désagréables que leurs homologues nés en Occident
toujours lié au problème des « nouveaux arrivants », nous
(p. 754), ces derniers sont plus insécures et manquent
négligeons effectivement la présence et le vécu de
28
familles d’immigrants, c’est cette tension entre la volonté
de maintenir les valeurs et les coutumes culturelles de la
« patrie » et la réalité qui consiste à élever des enfants dont
la culture est celle de leurs pairs canadiens. Si certains
immigrants choisissent d’inscrire leurs enfants à des écoles
spéciales axées sur leur culture ou leur religion, pour la
majorité d’entre eux, ceci n’est pas une solution viable. Il
s’ensuit que la deuxième génération est exposée aux
normes de la société canadienne. Cela devient un grave
problème, surtout à l’adolescence, étant donné que de
nombreuses communautés d’immigrants ont des
croyances radicalement opposées à certaines pratiques
des adolescents canadiens. En Occident, l’adolescence
repose sur un nombre de suppositions : on estime qu’il
s’agit d’une période de découverte, de construction de
l’identité, de rébellion contre la famille et parfois
contre la structure scolaire. Dans bien des communautés, certaines pratiques que la société canadienne
prend pour acquis (fréquentations amoureuses,
consommation d’alcool ou de drogues, sexe avant le
mariage, fêtes et danses, certains genres de vêtements)
sont très mal perçues, quand elles ne sont pas tout
simplement interdites :
Mes principaux souvenirs d’adolescence…
Étudier et me battre avec mes parents au sujet
de mes sorties (tes parents étaient-ils sévères ?)
Oui, très sévères. Absolument. Dans mon
groupe d’amis, c’est moi qui devais rentrer le
plus tôt, il le fallait, ils devaient savoir exactement où je me trouvais à chaque instant, lorsque
je n’étais pas à la maison, je veux dire une fois
l’école terminée… c’était comme une bagarre
constante d’essayer de me départir de cela. Je n’y
arrivais pratiquement jamais et… (Pouvais-tu
sortir, par exemple, avec des garçons ?) Sortir
avec des garçons, absolument pas. C’était tout
simplement hors de question, ce n’était même
pas quelque chose dont on parlait à la maison...
Tous mes amis étaient principalement des
amies de tous les jours, des filles, et sortir avec
un garçon, ce n’était même pas une option,
c’était non7.
davantage de confiance en soi (p. 750-755). Leur identité
semble plus fragile et plus susceptible de devenir confuse.
Vous trouverez ci-dessous, de première main, les
témoignages de deux membres de minorités visibles élevés
au Canada, qui illustrent les difficultés de la deuxième
génération, des difficultés très différentes de celles qu’ont
vécues leurs parents, mais à certains égards plus pénibles
sur un plan existentiel.
Je connais des gens qui sont nés ici, mais d’une
certaine façon nous nous sentons toujours
étrangers, parce que nous sommes des
minorités visibles et qu’à première vue, les gens
vont toujours nous voir comme étant des personnes qui viennent d’ailleurs. Dans bien des
cas, il faut encore prouver sa valeur5.
Durant mon adolescence, cela a affecté mon
développement personnel, parce que tout le
monde ne cessait de me dire que j’étais différent,
que j’avais un air différent (pas que je parlais
différemment) et ça provoquait en moi un
sentiment d’infériorité ; le fait d’être différent
est devenu quelque chose de négatif. Cela
arrivait constamment quand j’étais plus jeune
et par la suite6.
Comme le montrent les deux extraits, la génération
est l’un des principaux facteurs qui influe sur l’identité des
enfants et des adolescents appartenant aux minorités visibles. Il ressort de ces témoignages et d’autres récits semblables que, contrairement aux immigrants qui ont une
identité pré-existante sur laquelle s’appuyer (avant leur
vécu d’immigrants non occidentaux), la deuxième génération, qui grandit dans un contexte où elle se sent
étrangère, n’a toujours été qu’une minorité visible. La première génération n’a pas le même désir d’appartenance
qu’une bonne partie de la deuxième génération. Pour
les membres de cette deuxième génération, le fait d’avoir
été différent à un moment de leur vie où l’appartenance
avait tant d’importance a été leur plus gros problème.
Le sentiment d’appartenir au même groupe que ses
pairs est capital pendant l’enfance et l’adolescence ; c’est
ce qui permet de se forger une identité personnelle
positive. Si, au cours de ces périodes de développement
identitaire, le sujet est continuellement exclu, il faut se
demander comment cela se répercute sur son identité
personnelle en général (Rajiva, 2004). Les chercheurs
dans ce domaine ne s’intéressent pas encore suffisamment
aux effets, sur le développement des sujets de la deuxième
génération, de leur vécu en tant que personnes différentes des autres.
Comme ce témoignage l’indique, le problème est
particulièrement ressenti chez les filles, qui doivent lutter
contre ce que les universitaires féministes appellent la
nature sexospécifique de l’identité nationale (voir, par
exemple, Valverde, 1992 ; Stasiulis et Yuval Davis, 1995 ;
Khan, 1998). Selon Anthias et Yuval-Davis (1989), dans la
plupart des pays, on s’attend à ce que les femmes soient les
« gardiennes de la culture » : autrement dit, à ce qu’elles
reproduisent les traditions, les symboles culturels et les
normes de leur groupe. Cela est tout particulièrement vrai
pour les communautés vivant dans l’ombre d’une identité
nationale dominante qui les exclut en raison de la
différence raciale perçue. On s’attend à ce que les filles
maintiennent des pratiques culturelles qui ne sont parfois
même plus pertinentes au sein de la mère-patrie et
certainement peu acceptées dans la société canadienne.
On se préoccupe aussi de leur tenue vestimentaire et de
leur comportement8, des relations sociales avec les pairs (le
Conflits entre générations
Le fait que les sujets de la deuxième génération
doivent mener un ensemble de combats pour l’appartenance, en raison de la difficulté de se trouver « entre »
deux identités et vécus culturels, est une préoccupation de
taille. Cela signifie qu’ils n’appartiennent pas aux paysages
culturels passés de leurs parents et qu’ils n’appartiennent
pas non plus, à part entière, à la culture « canadienne ».
L’un des principaux problèmes observés au sein des
29
efforts pour me fondre dans la masse et pour ne
pas être considérée comme une Indienne, je me
souviens des fois où j’entendais des gens faire
des commentaires au sujet des Indiens, pas à
mon intention, mais au sujet des Indiens,
devant moi, et lorsque j’entendais ces choses, je
me sentais habituellement si mal au-dedans. Si
mal. Et lorsque cet incident est arrivé à ma mère,
alors qu’elle portait un sari, j’étais tellement… je
ne sais pas, je ne voulais tout simplement pas
être associée à tout cela. C’est à cause de ce dont
vous parlez, toute cette question de ne pas
vouloir être perçue comme différente11.
soir, lors des sorties et des danses à l’école), de leur
indépendance croissante à l’adolescence (qui fait rarement
partie de la façon dont les communautés d’immigrants
voient l’adolescence) et, le plus important peut-être, de
leurs interactions avec les membres du sexe opposé et de
leurs relations amoureuses avec des garçons qui n’appartiennent pas à leur communauté. Même si les cas comme le
meurtre récent de la jeune Atwal sont rares et extrêmes, ces
tragédies nous rappellent d’une façon poignante les conflits
intergénérationnels qui sont le lot des communautés :
pour de nombreux immigrants, le comportement de
leurs filles touche directement le sentiment d’identité de
la communauté, la dignité et la différence de celle-ci par
rapport à la société canadienne blanche9.
Ce témoignage illustre les effets profonds du racisme
sur l’identité des sujets de la deuxième génération et les
relations négatives qu’ils finissent par entretenir avec leurs
familles et leurs communautés. Ces récits démontrent une
différence fondamentale entre les combats de la première
et de la deuxième génération en vue d’appartenir au
groupe dominant : les immigrants vivent peut-être une
situation plus difficile sur le plan économique et social,
ont peut-être plus de mal à s’adapter et à refaire leur vie,
mais il est possible que les sujets de la deuxième génération soient plus touchés dans leur identité et leur estime de
soi parce que, contrairement à leurs parents, ils n’ont pas
de souvenirs d’appartenance pour les aider à cet égard.
Racisme et appartenance
Alors que la documentation porte souvent sur les
tensions entre les parents immigrants et leurs enfants nés
au Canada, une partie de cette tension tient également au
racisme et à la discrimination que subissent ces derniers
en société. Nous le répétons, l’identité des immigrants
adultes s’est construite généralement en fonction du cadre
fourni par la patrie dans laquelle ils ont grandi. Dans un
pays comme le Canada, la deuxième génération doit lutter
contre le fait que l’on considère qu’elle appartient à une
race différente, dans un contexte national où la « canadianité » est automatiquement associée à la peau blanche.
Leurs combats respectifs pour l’appartenance à la société
canadienne est peut-être ce qui distingue le plus les deux
générations. Si les deux générations ont subi le racisme et
l’exclusion, leurs réactions diffèrent considérablement,
surtout parce que chez les groupes minoritaires de la
première génération, l’enjeu est moindre au chapitre de
l’appartenance à la société canadienne.
Des auteurs comme Okano (1993), Rezai-Rashti
(1994), Aujla (2000) et d’autres ont parlé de la honte et de
l’embarras que ressentaient, en grandissant, les enfants des
groupes minoritaires à l’égard de leur culture et de leur
famille d’immigrants. Selon certains universitaires, même
si les immigrants font plus ouvertement l’objet de racisme
que leurs enfants nés ou élevés au Canada, ils peuvent par
ailleurs puiser à une source plus profonde d’estime de soi
(voir, par exemple, Bagley, 1987 ; Ou et McAdoo, 1993).
Par contre, les sujets de la deuxième génération sont
conscients, très jeunes, d’être « différents ». Ils risquent
donc davantage d’avoir une identité personnelle négative,
dans la mesure où ils s’aperçoivent que, même s’ils
essaient très fort d’appartenir à la majorité, ils seront toujours considérés, plus ou moins, comme des personnes
d’ailleurs ou, d’après Aujla (2000), comme des étrangers
sur leur propre territoire :
J’ai dit plus tôt que, d’une certaine façon, je
pensais que j’allais toujours être une étrangère
pour cette société jusqu’au jour où les gens qui
me rencontreront ne sentiront pas le besoin
de me demander d’où je viens. Jusqu’au jour
où je n’aurai plus à prouver constamment ce
que je vaux10.
Conclusion
Cette discussion souligne l’importance de la génération
comme concept clé dans le cadre de l’étude de communautés de minorités visibles. Mon principal argument était
que la documentation universitaire tout autant que non
universitaire porte en majorité sur des questions qui concernent précisément les immigrants, à savoir les cours de langue
et la formation professionnelle, l’apprentissage de normes
culturelles, la façon de composer avec l’aliénation et les
bouleversements familiaux, ainsi que les réactions au
racisme et à la discrimination subis au sein de la société
canadienne. Nous ne nions pas l’importance de ces travaux,
car ils permettent une meilleure compréhension du vécu
des immigrants. Néanmoins, dans une bonne partie de
cette documentation, il y a le sentiment implicite que
les minorités visibles sont composées d’immigrants et
qu’elles ont des problèmes d’immigrants. Jusqu’à récemment, la documentation canadienne sur la question de la
race négligeait souvent l’expérience des minorités non
immigrantes d’origine étrangère, c’est-à-dire les sujets de
la deuxième génération, ces enfants qui sont nés ou élevés
au Canada et qui ont noué leurs principales relations
sociales dans la société canadienne.
Pour les sujets de la deuxième génération, l’appartenance n’est pas une question de cours de langue ou
de formation professionnelle, de reconnaissance des
diplômes étrangers, de méconnaissance des normes culturelles canadiennes ou de nostalgie de l’ancienne patrie.
Cela concerne plutôt la difficulté d’être différent des autres :
ils doivent tenter d’acquérir une identité nationale dans une
nation qui les considère comme des étrangers, ils doivent
subir le racisme, ouvertement et systématiquement, sur la
base de différences raciales perçues plutôt que du caractère
CITC
Simplement en ce qui concerne la honte que je
ressens et, j’imagine, comme vous le disiez, mes
30
différent de la culture, et ils doivent lutter pour concilier
les exigences souvent concurrentes de la culture des pairs
avec les attentes culturelles des familles et communautés
d’immigrants. Ces problèmes s’étendent à diverses communautés ethnicisées ; toutefois, nous ne faisons que
commencer à explorer les particularités du vécu des
communautés chinoises, coréennes, somaliennes, sudasiatiques et autres. Des chercheurs universitaires comme
Bagley, McAdoo, Handa et d’autres ont attiré notre attention
sur les différences entre les immigrants et leurs enfants
du point de vue de l’intégration à la société canadienne, mais
il reste beaucoup à découvrir sur le vécu et l’identité des
sujets de la deuxième génération et, en particulier, sur les
stratégies qu’ils emploient pour négocier leur appartenance
à leurs milieux d’existence extrêmement complexes.
VALVERDE, Mariana. « When the Mother of the Race is Free: Race,
Reproduction and Sexuality in First Wave Feminism », dans Franca
Iacovetta et Mariana Valverde (dir.), Gender Conflicts: New Essays in
Women’s History, Toronto, University of Toronto Press, 1992.
Notes
1
Répondant N., dans Rajiva, M., Identity and Politics: Second Generation
Ethnic Women in Canada, Mémoire de maîtrise, 1996, p. 122.
2
Tout au long du document, le terme « canadien » n’inclura pas les
communautés ethnicisées et racialisées, car nous souhaitons bien faire
comprendre que ce terme renvoie encore principalement à un occidental
de race blanche.
3
Pour en savoir davantage sur la méthodologie utilisée, voir Rajiva, M.,
Identity and Politics: Second Generation Ethnic Women in Canada,
Mémoire de maîtrise, 1996. Voir aussi Rajiva, M. Racing Through
Adolescence: Becoming and Belonging in the Narratives of Second
Generation South Asian Girls, Thèse de doctorat, 2004.
4
Par exemple, les Sud-Asiatiques sont présents dans certaines régions du
Canada depuis le début des années 1900 et, malgré cela, on les perçoit
comme étant une « nouvelle communauté » tant dans la documentation
que chez le grand public. Voir, par exemple, K. E. Nayar. The Sikh
Diaspora in Vancouver: Three Generations Amid Tradition, Modernity and
Multiculturalism, Toronto, University of Toronto Press, 2004.
5
Répondant E., Rajiva, M., Identity and Politics: Second Generation Ethnic
Women in Canada, Mémoire de maîtrise, 1996, p. 122.
6
Répondant N., Rajiva, M., Identity and Politics: Second Generation Ethnic
Women in Canada, Mémoire de maîtrise, 1996.
7
Anita, participante à l’interview, dans M. Rajiva, Racing Through
Adolescence: Becoming and Belonging in the Narratives of Second
Generation South Asian Girls, Thèse de doctorat, 2004.
8
L’importance accordée à ces éléments peut varier selon la communauté.
Par exemple, certaines communautés se préoccupent moins de la tenue
vestimentaire et davantage du comportement et du maintien de
certaines normes culturelles.
9
En 2003 en Colombie-Britannique, Amandeep Atwal, une jeune fille
sikhe âgée de dix-sept ans, a été tuée par son père lorsqu’il a découvert
qu’elle avait un petit ami de race blanche et qu’elle avait l’intention de
vivre avec lui.
10
Répondant O., dans M. Rajiva, Identity and Politics: Second Generation
Ethnic Women in Canada, Mémoire de maîtrise, 1996, p. 122.
11
Rose, participante à l’interview, dans M. Rajiva, Racing Through
Adolescence: Becoming and Belonging in the Narratives of Second
Generation South Asian Girls, Thèse de doctorat, 1996, p. 384.
Références
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ANTHIAS et Nira YUVAL-DAVIS (dir.), Woman-Nation-State. New
York, St. Martin’s Press, 1989.
AUJLA, Angela. « Others in Their Own Land: Second-Generation South
Asian Canadian Women, Racism, and the Persistence of Colonial
Discourse », Canadian Woman Studies = Les cahiers de la femme, vol. 20,
no 2 (2000), p. 41-47.
BAGLEY, Christopher. « The Adaptation of Asian Children of Immigrant
Parents: British Models and their Application to Canadian Policy », dans
Milton Israel (dir.), The South Asian Diaspora in Canada: Six Essays.
Toronto, Multicultural History Society of Ontario, 1987.
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Tightrope of Culture, Toronto, Women’s Press, 2003.
KHAN, Shahnaz. « Muslim Women: Negotiations in the Third Space »,
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McADOO, Harriette et Young-Shi OU. « Socialization of Chinese
American Children », dans Harriette Pipes McAdoo (dir.), Family
Ethnicity: Strength in Diversity, London, Sage Publications, 1993.
MIN, Pyong Gap et Rose KIM. « Formation of Ethnic and Racial Identities:
Narratives by Young Asian-American Professionals », Ethnic and Racial
Studies, vol. 23 (2000), p. 735-760.
NAYAR, Kamala Elizabeth. The Sikh Diaspora in Vancouver: Three
Generations Amid Tradition, Modernity, and Multiculturalism, Toronto,
University of Toronto Press, 2004.
OKANO, Haruko. « Le printemps est là, maman », dans Arun MukherJee (dir.), Des expériences à partager, Ottawa, Conseil consultatif
canadien sur la situation de la femme, p. 82-86, 1993.
RAJIVA, Mythili. Racing Through Adolescence. Becoming and Belonging in the
Narratives of Second Generation South Asian Girls, Thèse de doctorat, 2004.
RAJIVA, Mythili. Identity and Politics: Second Generation Ethnic Minority
Women in Canada, Mémoire de maîtrise, 1996.
REZAI-RASHTI, Goli. « The Dilemma of Working with Minority Female
Students in Canadian High Schools », Canadian Woman Studies = Les
cahiers de la femme, vol. 14, no 2 (1994), p. 76-82.
STASIULIS, Daiva et Nira YUVAL-DAVIS. « Introduction: Beyond
Dichotomies – Gender, Race, Ethnicity and Class in Settler Societies »,
dans Daiva Stasiulis et Nira Yuval-Davis (dir.), Unsettling Settler Societies:
Articulations of Gender, Race, Ethnicity and Class, Londres, Sage Publications,
1995.
31
REGARD SUR LES ENFANTS ET
LES JEUNES IMMIGRANTS
RÉSUMÉ
Les enfants et les jeunes immigrants ont la possibilité de contribuer à la prospérité future du Canada sur
le plan international. Malheureusement, la disparité entre les besoins complexes des enfants sur les plans
linguistique, culturel, psychologique et économique et l’absence chronique de soutien et de services adaptés
et coordonnés de la part des institutions et des organismes de service canadiens nuisent à l’épanouissement
et à la contribution socioéconomique future des jeunes immigrants. Le présent article fait le point sur les
besoins complexes et corrélatifs des enfants et des jeunes immigrants en matière de services sociaux, de
santé, d’éducation et de justice et sur les divers contextes (maison, école, communauté) où ces besoins sont
ressentis. Il fait également état de lacunes qui existent dans les services destinés aux enfants et aux jeunes
immigrants, ainsi que de possibilités pour l’élaboration de politiques et de services.
HIEU VAN NGO
Barbara Schleifer est collaboratrice pour les activités de Centraide liées à l’investissement
communautaire et aux partenariats dans la région de Calgary. Elle préside le Comité directeur
des enfants et des jeunes immigrants de Calgary, et elle est l’ancienne coprésidente du
Conseil sectoriel sur les immigrants de Calgary. Mme Schleifer est titulaire d’un diplôme de
deuxième cycle en études du milieu.
BARBARA SCHLEIFER
Difficultés auxquelles se heurtent les enfants et les jeunes immigrants
Au quotidien, les enfants et les jeunes immigrants font face à des difficultés sur le plan linguistique, culturel, psychologique et socioéconomique. Les Figures 1 et 2 font état de leurs besoins en
matière de services sociaux, de santé, d’éducation et de justice, ainsi que des contextes dans lesquels
ces besoins sont ressentis, notamment à la maison, à l’école et dans la communauté. Ces besoins sont
à la fois complexes et en corrélation.
Services sociaux
Sur le plan de l’adaptation culturelle, les enfants et les jeunes immigrants subissent souvent des
changements d’ordre cognitif et émotif pour diverses raisons : choc des cultures, manque d’expérience quant aux nouvelles normes et pratiques culturelles et tristesse liée au fait d’avoir quitté une
langue, une culture et une communauté familières. Parce que les valeurs de la communauté peuvent
aller à l’encontre des valeurs véhiculées à la maison, plusieurs de ces jeunes doivent faire de grands
efforts pour se construire une identité culturelle positive. Le développement de leur identité
CITC
Hieu Van Ngo est coordonnateur de la Coalition
pour l’égalité d’accès à l’enseignement et est
étudiant au doctorat à la faculté du service social
à la University of Calgary.
L
es enfants et les jeunes immigrants sont très présents dans la société canadienne. La population
du Canada née à l’étranger représente 18,4 % de l’ensemble de la population, soit le niveau le
plus élevé depuis les 70 dernières années (Statistique Canada, 2003). Un nombre considérable
d’enfants et de jeunes sont nés à l’étranger. Sur les 1,8 millions d’immigrants qui sont arrivés au
Canada dans les années 1990, 309 700 (ou 17 %) étaient des enfants et des jeunes âgés de cinq
à seize ans (Statistique Canada, 2003). De plus, bon nombre d’enfants nés au Canada sont issus
de ménages immigrants de première génération, et c’est l’une des raisons pour lesquelles 10,5 %
de la population parle une langue autre que le français ou l’anglais à la maison (Statistique
Canada, 2002).
Plusieurs cas de réussite permettent de constater que les enfants et les jeunes immigrants
s’adaptent et s’intègrent à la société canadienne, et témoignent du rôle positif que joueront ces jeunes
dans le bien-être socioéconomique du Canada. Toutefois, un grand nombre d’enfants et de jeunes
immigrants ne réussissent pas aussi bien et éprouvent des difficultés sur le plan linguistique, culturel,
psychologique et économique. Les responsables des politiques, les organisations non gouvernementales (ONG) et les chercheurs doivent examiner leurs difficultés particulières de façon plus
exhaustive et mettre sur pied des politiques et des services adaptés à leurs besoins afin de maximiser
leurs chances de réussite et leur contribution éventuelle.
Le présent article se fonde sur deux projets de recherche active auxquels ont participé des intervenants multiples à Calgary, soit Conversations for Change – An Overview of Services for Immigrant
Children and Youth in Calgary et Immigrant Children in Focus: A Map of Needs Strategies and
Resourcesi (voir Hurlock, McCullagh et Schissel, 2004 ; Ngo, 2004). Ces projets ont permis d’identifier les besoins particuliers des enfants et des jeunes immigrants en matière de services sociaux, de
santé, d’éducation et de justice, ainsi que les lacunes qui existent dans les services qui leur sont
offerts. Les projets ont également mis en lumière certaines possibilités quant à l’élaboration de
politiques et de services, et les divers domaines d’application, pour les fournisseurs de services.
32
Figure 1 – Modèle interactif des besoins des enfants et
des jeunes immigrants
facteurs comme la race, l’origine ethnique, le sexe et
l’orientation sexuelle peut rendre plus difficile leur
développement et leur bien-être. Ces jeunes doivent
composer avec d’importants obstacles individuels, familiaux et sociaux pour s’accepter et être acceptés par les
autres. Ils doivent souvent confronter les craintes, l’homophobie, le rejet et l’ostracisme de la part de leur famille et de
leur communauté, et ils peuvent faire l’objet de mépris, de
harcèlement ou de violence.
Communauté
École
Famille
Social
Éducation
Enfants et
jeunes
immigrants
Santé
Santé
Les enfants et les jeunes immigrants qui grandissent
au sein de familles défavorisées sur le plan socioéconomique sont vulnérables à la malnutrition. Il est
possible que ces jeunes aient eu un poids insuffisant à la
naissance, qu’ils souffrent d’obésité ou qu’ils adoptent de
mauvaises habitudes alimentaires.
Plusieurs enfants et jeunes ont migré de pays en voie
de développement où les risques de maladies transmissibles, soit infection à VIH, tuberculose, atteinte respiratoire aiguë, parasitoses intestinales, rougeole, hépatite B,
maladies diarrhéiques, choléra et bilharziose (Cookson et
coll., 1998), sont très élevés. Pour ce qui est de la santé en
matière de sexualité et de reproduction, les enfants et les
jeunes immigrants peuvent provenir de pays où persistent
des tabous sexuels, certaines pratiques culturelles (mutilation génitale des femmes) ou affichant un taux élevé
de maladies transmissibles sexuellement est élevé. Au
Canada, ces jeunes peuvent éprouver de la confusion
quant à la biologie et à la santé en matière de sexualité
compte tenu des messages contradictoires véhiculés
par les médias et la culture populaire et le manque
d’éducation sur la santé en matière de sexualité et
de reproduction.
Pour ce qui est des maladies chroniques, les enfants
et les jeunes de certains groupes ethniques sont plus
vulnérables à des maladies liées au sang, comme la
drépanocytose et la thalassémie. Certains jeunes ont été
exposés à des produits toxiques pour l’environnement
dans leur pays d’origine. D’autres sont vulnérables aux
maladies respiratoires, notamment l’asthme, parce qu’ils
ont été exposés à des changements de climat soudains ou
à la fumée du tabac à la maison, ou parce qu’ils ont habité
dans des logements insalubres.
Les enfants et les jeunes réfugiés sont vulnérables aux
troubles mentaux, aux perturbations affectives et aux
troubles de comportement. Les enfants victimes de persécution, de la guerre, de violence ou les enfants qui ont
perdu des membres de leur famille ou qui ont subi des
traumatismes dans leur pays d’origine ou pendant la
migration sont plus susceptibles de souffrir du syndrome
de stress post-traumatique. Le racisme et la discrimination au Canada nuisent également à la santé mentale de
nombreuses minorités visibles.
Justice
Famille
École
Communauté
culturelle peut également être compliqué du fait d’un
racisme intériorisé, qui découle de l’exposition aux
stéréotypes négatifs associés aux minorités ethniques.
En matière de soutien social, de nombreux enfants et
jeunes subissent la séparation familiale, ont du mal à nouer
des amitiés avec des enfants d’autres horizons ethniques,
dépendent trop de leurs pairs qui ont de semblables
antécédents culturels, éprouvent un sentiment d’aliénation
et d’isolement, ou un accès limité à des personnes
pouvant servir de modèle et à des mentors. Les enfants
plus âgés, notamment, éprouvent souvent des difficultés à
nouer des amitiés étant donné qu’ils arrivent à un âge
où leurs pairs ont déjà un réseau social bien établi.
Pour ce qui est de la transition à l’âge adulte, les
jeunes immigrants ont le taux de chômage le plus élevé au
Canada, soit 20 % pour les jeunes âgés de 15 à 24 ans en
comparaison avec le taux national de 8 % (Statistique
Canada, 2001). Les jeunes qui n’ont pas effectué des
études soutenues et dont les connaissances de l’anglais et
les capacités de lecture et d’écriture sont limitées ont
souvent de la difficulté à s’intégrer sur le marché du travail.
Les attentes contradictoires pour les hommes et les
femmes en ce qui a trait à leurs droits, privilèges et
responsabilités créent du stress pour les enfants et les
jeunes. Dans certaines familles immigrantes, les filles
doivent assumer une plus grande part des tâches
ménagères. Elles se voient imposer davantage de restrictions et font l’objet d’une supervision accrue et d’un plus
grand contrôle parental que les filles nées au Canada,
notamment en ce qui a trait aux sorties avec des
compagnons et aux rapports avec leurs pairs.
Un autre sous-groupe, celui des jeunes immigrants
homosexuels, bisexuels et transgenres, est un segment
vulnérable de la population et affiche des taux élevés de
suicide, de tentative de suicide, de dépression, de violence,
de victimisation, d’abus d’alcool ou de drogues, ou de
comportement à risque lié au VIH. L’intersection avec des
Éducation
Dans un nouveau milieu scolaire, les enfants immigrants doivent apprendre de nouveaux droits, , responsabilités, et façons de procéder, ainsi que les coutumes
sociales. Ils doivent également, ainsi que leurs parents,
33
Tableau 1 – Sommaire des principales difficultés auxquelles doivent faire face les enfants et les jeunes immigrants
DIFFICULTÉS
INDIVIDUELLES
SERVICES SOCIAUX
SANTÉ
ÉDUCATION
JUSTICE
Adaptation sur le plan
culturel
Nutrition
Gangs de criminels
et violence
Soutien social et
appartenance
Santé en matière de sexualité et de reproduction
Manque d’expérience avec
le système scolaire au
Canada
Identité culturelle
Identité sexuelle
Problèmes chroniques
de santé
Cours d’anglais langue
seconde
Rôles en fonction
du genre
Problèmes de santé
mentale
Soutien pour les matières
étudiées en classe
Racisme intériorisé
Traumatisme lié à la
migration ou à la période
précédant la migration
Soutien pour les étudiants
ayant des besoins spéciaux
Emploi
Maladies transmissibles
Évaluations appropriées
Abus d’alcool ou de
drogues
Prostitution
Difficultés liées à l’application du processus juridique
en fonction des jeunes
Soutien en ce qui a trait à
la langue d’origine
Transitions
CONTEXTE FAMILIAL
Besoins fondamentaux
Emploi
Langue et alphabétisation des adultes
Alphabétisation de la famille
Réseaux sociaux et soutien
Taux incongru d’acculturation
Violence familiale
Participation communautaire
CONTEXTE SCOLAIRE
Accès à un soutien systémique et compétent sur le plan culturel
Participation parentale
Appartenance et participation dans les activités scolaires
Interaction avec les pairs et le personnel de l’école
Racisme et discrimination
CONTEXTE
COMMUNAUTAIRE
Appartenance et participation communautaire
Racisme et discrimination
Conditions socioéconomiques
Influences néfastes
seconde constitue un élément important pour comprendre
la culture, réduire les écarts de génération avec les parents
et développer une identité culturelle saine. Cette langue
peut servir de tremplin pour le développement cognitif
dans la langue anglaise. Malheureusement, de nombreux
enfants et jeunes immigrants n’ont pas l’occasion
d’apprendre ou de parler leur langue d’origine.
Étant donné que le placement des élèves au Canada
se fait en fonction de l’âge, les enfants et les jeunes immigrants peuvent se sentir désorientés au sein de leur classe.
Ceux qui n’ont pas fait des études soutenues ont besoin
d’un appui concret pour améliorer leurs capacités de lecture
et d’écriture ainsi que leurs connaissances théoriques en
vue d’atteindre un niveau de réussite, sur le plan
académique, équivalent à celui des jeunes anglophones du
même âge et nés au Canada. D’autre part, les enfants et les
jeunes qui sont placés dans des classes avec des enfants
beaucoup plus jeunes qu’eux peuvent également éprouver
des difficultés sur le plan social et psychologique.
Des difficultés linguistiques et socioculturelles
particulières, accentuées par l’absence de soutien de la
part du système d’éducation, ont pour effet de limiter la
réussite des enfants et des jeunes immigrants sur le plan
académique. Une fois qu’ils atteignent la sixième année,
les jeunes dont l’anglais est la langue seconde se situent
CITC
apprendre comment accéder à des services de soutien.
Des obstacles linguistiques et culturels, le statut socioéconomique, les tendances en matière d’acculturation
et d’autres éléments peuvent compliquer la tâche de
déterminer et d’évaluer les besoins des enfants et des
jeunes immigrants sur le plan social et de l’éducation.
Dans les principales commissions scolaires en milieu
urbain, l’anglais est la langue seconde de 20 à 50 % des étudiants (Dawson, 1998 ; Dempster et Albert, 1998 ; McInnes,
1993). Ces étudiants sont arrivés de pays où l’on ne parle pas
l’anglais ou ils sont nés au Canada de familles immigrantes
ne parlant pas l’anglais à la maison. Ils ont besoin de deux à
cinq années de cours d’anglais pour acquérir les connaissances de base nécessaires à la communication et de cinq à
sept années pour maîtriser la langue aux fins des études
(Cummins, 1994 ; Collier, 1989). L’enseignement de
l’anglais langue seconde doit comporter des cours
méthodiques donnés par des enseignants qualifiés dans un
contexte approprié à cet apprentissage. Aussi, les élèves qui
apprennent l’anglais langue seconde doivent avoir accès au
soutien linguistique pour l’apprentissage des autres matières
étudiées à l’école. Plusieurs ont besoin du soutien en langue
seconde jusqu’au niveau postsecondaire.
La première langue parlée par les enfants et les
jeunes immigrants qui suivent des cours d’anglais langue
34
les décisions concernant les cours de langue et les services
destinés aux enfants et aux jeunes immigrants sont prises
par les responsables de l’administration scolaire, en fonction de leur volonté politique. En conséquence, les services
destinés aux enfants et aux jeunes immigrants sont fournis de façon ponctuelle, et l’on accorde à ces services une
moindre priorité. Plusieurs enfants et jeunes immigrants
possédant des connaissances minimales en anglais se
voient donc dispenser très peu de cours de langue, voire
aucun. Sans un soutien approprié, les enfants et les jeunes
immigrants sont beaucoup moins susceptibles de
participer aux activités de l’école. Ils peuvent également
avoir de la difficulté à établir des liens avec leurs pairs et
le personnel de leur école.
À l’échelle communautaire, l’absence de programmes
favorisant l’intégration culturelle et une connaissance
limitée des ressources et des services communautaires
donnent lieu à un faible taux de participation des enfants
et des jeunes immigrants dans les activités et les services
communautaires. Le racisme et la discrimination individuels, institutionnels et culturels nuisent au sentiment
d’appartenance de nombreux enfants et jeunes immigrants et favorisent l’isolement social et l’aliénation. De
plus, la concentration de familles immigrantes dans des
quartiers défavorisés fait en sorte que les jeunes immigrants ont difficilement accès aux ressources communautaires. Les enfants et jeunes immigrants habitant dans des
quartiers défavorisés sont également plus vulnérables aux
influences négatives, comme celle des gangs de criminels.
deux années ou plus derrière les jeunes dont la langue
maternelle est l’anglais (Cummins, 1981). Le taux de
décrochage chez les jeunes dont l’anglais est la langue
seconde est très élevé ; il se situe entre 61 et 74 % (Alberta
Education, 1992 ; Gunderson, 2004 ; Watt et Roessingh,
1994, 2001). Les capacités en communication et la
moyenne pondérée cumulative des étudiants universitaires issus de familles immigrantes, peu importe le
nombre d’années qu’elles sont établies au Canada, n’est
pas aussi forte que celle des Canadiens nés au Canada
dont la langue maternelle est l’anglais (Grayson, 2004).
Justice
Une expérience de migration traumatisante, la
pauvreté, des connaissances limitées de l’anglais, les conflits
familiaux et intergénérationnels, l’isolement social,
l’absence de sentiment d’appartenance et la discrimination rendent les enfants et les jeunes immigrants
susceptibles à la victimisation et au recrutement par des
bandes criminelles. Dans les grandes villes, on constate
que les jeunes immigrants font partie de gangs de
criminels et qu’ils sont impliqués dans des activités
violentes, dans la prostitution, dans le trafic de stupéfiants
et qu’ils font usage de drogues.
Lorsque les jeunes immigrants sont en conflit avec le
système judiciaire, leurs relations avec la police et les
procédures judiciaires sont d’autant plus ardues. Toute
une gamme de problèmes peut survenir : méfiance et
crainte des symboles d’autorité, connaissance limitée du
système juridique canadien et des droits constitutionnels,
difficulté à comprendre et à fournir des informations
correctes dans le cadre d’enquêtes et de procès, et
problèmes de communication suite à des interprétations
culturelles erronées.
Lorsque des mesures et des sanctions extrajudiciaires,
des peines carcérales ou des sanctions communautaires
leur sont imposées, les jeunes immigrants peuvent avoir
un accès restreint à des services communautaires significatifs, à des services de réadaptation et de thérapie, ainsi
qu’à des services éducatifs adaptés à leur culture. Plusieurs
d’entre eux ont de la difficulté à comprendre les conditions de la probation.
Difficultés liées aux services pour les enfants et les
jeunes immigrants
De nouveaux aspects de la fourniture de services
influent sur l’accès des enfants et des jeunes immigrants à
des ressources et à des services. Les fournisseurs de services
doivent composer avec l’absence de coordination et le
manque de soutien. Plusieurs services actuels n’offrent
pas un appui à long terme étant donné l’absence de
financement soutenu.
Même lorsque des services sont offerts, les fournisseurs ne savent souvent pas à qui référer les enfants et
les jeunes immigrants. Cette situation est en partie
attribuable à la complexité des besoins et au fait que les
fournisseurs de services ne savent pas si les services actuels
peuvent répondre aux besoins des jeunes. Certains fournisseurs tentent de comprendre les besoins des enfants et
des jeunes immigrants et d’établir des liens avec eux mais
plusieurs ignorent si leurs services favorisent l’intégration
et s’ils sont accessibles aux enfants et aux jeunes immigrants. Un de leurs problèmes fondamentaux est de trouver
les ressources nécessaires pour des services de traduction
et d’interprétation. Toutes ces difficultés témoignent de
l’importance de la compétence culturelle dans tous les
services liés à la santé, à l’éducation, à la justice et aux
services sociaux. Les fournisseurs de services doivent tenir
compte de la diversité culturelle dans toutes les étapes de
leur travail, notamment dans l’élaboration de politiques et
de services, la communication, l’affectation de ressources,
le recrutement et la formation professionnelle.
La concurrence pour les fonds à une époque où les
ressources sont limitées, ainsi que l’hésitation à partager
Contextes familial, scolaire et communautaire
Les contextes familial, scolaire et communautaire ont
une incidence sur le bien-être et la réussite des enfants et
des jeunes immigrants. Un grand nombre d’enfants et de
jeunes immigrants grandissent au sein de familles
touchées par divers problèmes socioéconomiques (obstacles
culturels et linguistiques, chômage ou sous-emploi,
isolement social, analphabétisme, discrimination ou
participation communautaire limitée). Comme le taux
de pauvreté est de 30 % pour les immigrants établis dans
des villes (Lee, 2000), les familles immigrantes ont du mal
à subvenir à leurs besoins essentiels (nourriture, logement, vêtements, garde d’enfants et transport).
À l’école, les enfants et les jeunes immigrants
peuvent ne pas avoir accès à un soutien compétent sur
le plan culturel. L’absence de leadership de la part du
système éducatif et la participation limitée des parents
immigrants dans les activités scolaires font en sorte que
35
CITC
bilatérale de subventions fédérales pour l’enseignement des
l’information et les connaissances, sont des facteurs qui
langues officielles aux enfants, de définir des normes et
nuisent à la création de partenariats. Les fournisseurs
des niveaux de compétence pour identifier et évaluer
n’ont pas encore exploré de façon exhaustive les possibiles enfants et les jeunes immigrants qui ont besoin de
lités de partenariat avec les écoles, les centres de ressources
cours d’anglais langue seconde, d’établir un programme
pour les familles, les organismes offrant des services à
d’enseignement, donner les cours de langue et suivre les
l’ensemble de la population, les organismes d’aide aux
progrès des enfants.
immigrants et les groupes ethnoculturels. Des efforts
À l’échelle provinciale, les ministères responsables de
conjoints sont nécessaires pour maîtriser les facteurs sysl’éducation doivent veiller à ce que des cours d’anglais
témiques qui se répercutent sur les enfants et les jeunes
langue seconde soient prévus pour tous
immigrants ainsi que sur leur famille
Sur les 1,8 million
les niveaux. Ils doivent élaborer des
(notamment la pauvreté, les connaissolutions axées sur la recherche qui
sances linguistiques, la santé, l’éducation
d’immigrants qui
comprennent des mécanismes de
et l’emploi).
sont arrivés au
responsabilité et ils doivent supprimer
les restrictions financières injustifiées
Recommandations
Canada dans les
(plafonds de financement de trois ou
L’avenir des enfants et des jeunes
années 1990, 309
cinq ans fondés sur le budget). Compte
immigrants aura une incidence sur
tenu des circonstances exceptionnelles
l’avenir du Canada : tous doivent s’en
700 (ou 17 %)
de bon nombre d’apprenants (réfugiés),
soucier. Les responsables des politiques,
étaient des enfants
les ministères peuvent envisager
les ONG et les chercheurs ont la possid’augmenter la limite d’âge afin de
bilité de travailler en collaboration pour
et des jeunes âgés
tenir compte des apprenants qui
faire en sorte que des services de qualité
de cinq à seize ans
accusent un retard dans leurs études ou
soient offerts aux enfants et aux jeunes
dont les études ont été interrompues.
immigrants.
(Statistique Canada,
Les ministères responsables de l’éduÀ l’échelle nationale, le gouver2003). De plus, bon
cation peuvent également jouer un rôle
nement doit plaider en faveur d’une
nombre d’enfants
de chef de file et veiller à ce que la
stratégie nationale qui met l’accent
formation (éducation et autres domaines
sur l’éducation, l’établissement et
nés au Canada sont
professionnels) donnée en vue de la
l’intégration des enfants et des jeunes
issus de ménages
prestation de services tienne compte de
immigrants. Cette stratégie doit inclure
la compétence culturelle. Les autres
tous les ministères fédéraux, notamment
immigrants de
ministères provinciaux qui traitent de
Citoyenneté et Immigration Canada,
première génération,
la santé, des services sociaux et de la
Santé Canada, Industrie Canada, Patrijustice doivent mettre sur pied des
moine canadien, Ressources humaines
et c’est l’une
stratégies appuyant les initiatives en
et Développement des compétences
des raisons
milieu scolaire et communautaire afin
Canada, Justice Canada ainsi que
de répondre aux besoins des enfants
Sécurité publique et Protection civile
pour lesquelles
et des jeunes immigrants.
Canada (Stratégie nationale pour la
10,5 % de la
À l’échelle municipale, les fourprévention du crime). Elle doit viser
nisseurs de services dans les domaines
l’élaboration de mesures propres à
population
de la santé, de l’éducation, des services
chaque ministère et d’initiatives interparle une langue
sociaux et de la justice doivent travailler
ministérielles appuyant des programmes
autre que le français
en partenariat afin de planifier et d’exéen milieu scolaire et communautaire qui
cuter la coordination intersectorielle,
répondent aux besoins des enfants et des
ou l’anglais à
pour l’ensemble du réseau, des services
jeunes immigrants dans les domaines
la maison.
destinés aux enfants et aux jeunes
des services sociaux, de la santé, de l’éducaimmigrants. En outre, ils doivent
tion et de la justice. Parmi les éléments
favoriser et inclure la compétence culturelle dans toutes
prioritaires, citons : la recherche sur les enfants et les
les pratiques. Les groupes communautaires et les écoles
jeunes immigrants, les cours d’anglais langue seconde, les
doivent travailler avec les parents d’enfants et de jeunes
services d’accueil et d’orientation, la thérapie interculimmigrants afin de les aider à acquérir les compétences
turelle et post-traumatique, l’alphabétisation des enfants,
nécessaires pour défendre les intérêts de leurs enfants et
des jeunes et de leur famille, la liaison multiculturelle, la
ainsi influencer les décisions relatives à la disponibilité et
prévention du crime et les interventions à cet égard, la
à la qualité des services destinés aux enfants. Étant donné
formation professionnelle pour les jeunes qui éprouvent
que les enfants et les jeunes passent beaucoup de temps
des difficultés en lecture et en écriture ou n’ayant pas fait
à l’école, les fournisseurs de services et les groupes
d’études avancées, le rôle des langues d’origine, la particicommunautaires peuvent améliorer les rapports avec
pation parentale, la formation relative à la compétence
les écoles afin de promouvoir le développement scolaire,
culturelle, l’intégration dans les écoles et la communauté
social et culturel des enfants et des jeunes immigrants.
et, enfin, la pauvreté. Le gouvernement fédéral doit
Les écoles et les commissions scolaires ont aussi un rôle
travailler de pair avec le Conseil des ministres de l’Éduimportant à jouer dans l’élaboration de politiques,
cation (Canada) afin de reproduire ou d’étendre l’entente
36
d’une réglementation et de programmes ayant pour objet
la mise en place de cours de langue rigoureux sur le
plan pédagogique, l’affectation équitable des ressources,
le perfectionnement professionnel des employés, l’application de mesures de responsabilité et le suivi des progrès
des étudiants.
DEMPSTER, L. et S. ALBERT. « Calgary a Leader in Ethnic Minorities »,
Calgary Herald, 18 février 1998, p. A1-2.
GRAYSON, J. P. ESL, Ethno-racial Origin, and Academic Achievement of
University Students, ouvrage non publié, 2004.
GREENSPON, E. « Time for the Next Challenge », Globe and Mail,
19 mai 2001.
GUNDERSON, L. « The Language, Literacy, Achievement, and Social
Consequences of English-Only Programs for Immigrant Students »,
dans J. Hoffman (éd.), The 53rd Annual Yearbook of the National Reading
Conference, Milwaukee, National Reading Conference, 2004, p. 1-27.
Conclusion
Compte tenu du taux de natalité décroissant, du
vieillissement de la population, du départ à la retraite
des enfants du baby-boom et du classement du Canada
(15e place) au sein des pays composant l’Organisation de
coopération et de développement économiques pour ce
qui est de la recherche et du développement, les enfants
et les jeunes immigrants pourraient aider le Canada à
surmonter ses nouvelles difficultés et contribuer à un
avenir prospère (Greenspon, 2001 ; Roessingh, 2001). Il
est essentiel que les institutions canadiennes élaborent des
politiques et des services servant à favoriser la réussite
académique et le bien-être économique des enfants et des
jeunes immigrants. Elles doivent absolument veiller à ne
pas contribuer à une sous-culture axée sur l’insuccès et
la marginalisation dans laquelle les enfants et les jeunes
ayant besoin de cours d’anglais langue seconde (et
auxquels on refuse les cours de langue et les services de
soutien) devront faire face, ou à une sous-utilisation, tout
au long de leur vie, de leur potentiel humain.
HERLOCK, D., K. McCULLAGH et C. SCHISSEL. Conversation for
Change: An Overview of Services for Immigrant Children and Youth in
Calgary, Calgary, Groupe financé par plusieurs sources, 2004.
LEE, K. K. Urban poverty in Canada: A Statistical Profile, Conseil canadien
de développement social, 2000.
McINNES, C. First You Have to Learn English. Globe and Mail, 3 mai 1993,
p. A1.
NGO, H. Immigrant Children in Focus: A Map of Needs, Strategies and
Resources, Calgary (Alberta), Coalition for Equal Access to Education,
2004.
ROESSINGH, H. « Alberta’s Advantage: Excellence, the New Economy and
ESL », Calgary Diversity Institute Newsletter (Fall 2001), p. 1-2.
STATISTIQUE CANADA. Les immigrants au Canada, Ottawa (Ontario),
Ministère de l’Industrie, no 85F0033MIF au catalogue, 2001.
STATISTIQUE CANADA. Profil des langues au Canada : l’anglais, le
français et bien d’autres langues, Ottawa (Ontario), Industrie Canada,
no 96F0030XIF2001005 au catalogue, 2002.
Remerciements
STATISTIQUE CANADA. Portrait ethnoculturel du Canada : une
mosaïque en évolution, Ottawa (Ontario), Industrie Canada,
no 96F0030XIF2001008 au catalogue, 2003.
Le projet Conversation for Change: An Overview of Services for Immigrant
Children and Youth in Calgary a été exécuté à la demande de la Ville de
Calgary (Services de soutien aux familles et à la communauté), de
Centraide (région de Calgary), de Patrimoine canadien, des ministère de
l’Apprentissage de l’Alberta et du ministère du Développement communautaire, Droits de la personne et Citoyenneté de l’Alberta. Le projet
Immigrant Children in Focus a été financé par le ministère du
Développement communautaire, Droits de la personne, Citoyenneté de
l’Alberta et du ministère du Patrimoine canadien. Nous tenons à remercier
Amal Umar et Beth Chatten pour leurs précieux commentaires.
WATT, D. et ROESSINGH, H. (1994). « Some You Win, Most You Lose:
Tracking ESL Dropout in High School (1998-1993), English Quarterly,
vol. 26, no 3 (1994), p. 5-7.
WATT, D et ROESSINGH, H. « The Dynamics of ESL Drop-out: Plus ça
change... », Canadian Modern Language Review = La revue canadienne
des langues vivantes, vol. 58, no 2 (2001), p. 203-223.
Note
Références
i
ALBERTA EDUCATION. Review of Transcripts of Selected Immigrant
Students Who Received ESL Funding, Edmonton, 1992.
COLLIER, V. « How long? A Synthesis of Research on Academic
Achievement in a Second Language », TESOL Quarterly vol. 23 (1989),
p. 509-531.
COOKSON, S., R. WALDMAN, B. GUSHULAK, D. MACPHERSON,
F. BURKLE, C. PAQUET, E. KLIEWER et P. WALKER. « Immigrant
and Refugee Health », Emerging Infectious Diseases, vol. 4, no 3 (1998),
p. 427-429.
CUMMINS, J. « Age on Arrival and Immigrant Second Language Learning
in Canada: A Reassessment », Applied Linguistics, no 2 (1981),
p. 132-149.
CUMMINS, J. « The Acquisition of English as a Second Language », dans
K. Spangenberg-Urbschat et R. Pritchard (éds.), Kids Come in All
Languages, Newark, International Reading Association, 1994, p. 36-62.
DAWSON, C. « Administrators Warned to Keep Track of ESL Results »,
Calgary Herald, 7 janvier 1998, p. B2.
37
Les deux documents, Conversation for Change: An Overview of sServices
for Immigrant Children and Youth in Calgary et Immigrant Children in
Focus: A Map of Needs, Strategies and Resources, sont le résultat de
travaux exhaustifs effectués par des intervenants de divers secteurs.
Compte tenu des résultats et de la détermination des intervenants à
poursuivre leur collaboration, la Ville de Calgary pourra faire en sorte
que les enfants et les jeunes immigrants aient un bon départ dans la vie.
Vous pouvez consulter les documents sur les sites suivants : http://www.
calgaryunitedway.org/research_reports.htm and http://www.eslaction.com.
ENCORE PLUS
DE TÊTES GRISES
Les immigrants âgés au Canada
RÉSUMÉ
Au Canada, deux tendances démographiques intéressantes peuvent actuellement être observées : un vieillissement de la population et une croissance de la population fondée sur l’immigration. La combinaison de
ces deux tendances a entraîné la formation d’un nouveau groupe d’immigrants âgés dont la création
semble être passée inaperçue. Ceci est donc un nouveau défi auquel notre pays doit maintenant faire face.
L’auteur de cet article suggère qu’il est nécessaire d’effectuer des recherches supplémentaires sur les besoins
(physiologiques, économiques, sociaux) des immigrants âgés. Il serait aussi nécessaire de les informer
davantage sur les programmes et services qui leur sont offerts. L’auteur désire encourager un plus grand
nombre d’aînés appartenant à des minorités ethnoculturelles de participer dans le processus de prise de
décision concernant les questions qui les touchent.
V
CITC
DOUGLAS DURST
Douglas Durst est professeur à la Faculté de service social,
University of Regina.
ers la fin du 19e siècle, le chancelier Otto von Bismark d’Allemagne a appris que l’espérance
de vie des hommes correspondait à 65 ans, ce qui l’a poussé à mettre en œuvre le premier
régime de soutien gouvernemental pour les retraités. Il ignorait que son geste aurait des
répercussions sur tous les pays de l’hémisphère occidental et se propagerait ensuite au reste du globe.
Sans le vouloir, il a établi à 65 ans l’âge normal de la retraite, qui est aussi l’âge à partir duquel une
personne est généralement perçue comme un « aîné ».
Au Canada, deux tendances démographiques intéressantes peuvent actuellement être observées :
un vieillissement de la population et une croissance de la population fondée sur l’immigration. La
combinaison de ces deux tendances a entraîné la formation d’un nouveau groupe d’immigrants âgés
dont la création semble être passée inaperçue.
Lorsque le chancelier von Bismark a fixé à 65 ans l’âge de la retraite, les personnes âgées de 65 ans
se trouvaient véritablement à la fin de leur vie. Or, l’espérance de vie n’a cessé de croître au cours des
cent ans qui ont suivi, même si la « vieillesse » est toujours considérée comme une même et seule
étape de la vie. Une personne à la retraite est un « aîné », qu’elle soit âgée de 65 ou de 95 ans, ce qui
représente tout de même une différence de 30 ans. Cela revient à comparer un enfant de 5 ans et un
adulte de 35 ans, ou une personne de 20 ans et une autre de 50 ans. Suzman et Riley (1985) définissent trois catégories de personnes âgées de plus de 65 ans : les jeunes-vieux (de 65 à 75 ou 80 ans),
les vieux-vieux (de 75 ou 80 à 90 ans) et les très vieux (plus de 85 ou 90 ans).
Les changements physiques et mentaux qui surviennent pendant les trente dernières années de
vie sont plus importants que ceux qui surviennent à n’importe quelle autre période, sauf peut-être
entre la naissance et 5 ans. Les personnes qui appartiennent aux trois groupes se distinguent de façon
importante mais elles font toutes l’expérience d’une perte, que ce soit une perte financière (revenu,
épargnes, coûts des soins de santé), physiologique (force, ouïe, vue, mobilité), émotionnelle (famille,
amis, mort, isolement, solitude) et intellectuelle ou psychologique (mémoire, connaissances, contrôle
des émotions). Les jeunes-vieux continuent souvent d’être actifs et profitent de rôles et d’activités
gratifiants. Pour certains, cette étape peut se dérouler sous le signe d’une expressivité et d’une
créativité exacerbées. Ces personnes se comparent davantage à des personnes d’« âge moyen » qui
auraient davantage de temps pour elles. Les vieux-vieux, quant à eux, subissent des pertes de plus en
plus nombreuses mais peuvent tout de même profiter de vies bien remplies s’ils jouissent du soutien
de leur milieu et de la société. Les très vieux sont souvent handicapés physiquement ou mentalement
et doivent recevoir des services de soutien prolongés, quelquefois en institution (Schaie et Willis,
1998). On les appelle parfois les « personnes âgées en perte d’autonomie ».
L’étude des « immigrants » est une tâche complexe qui devient encore plus ardue lorsque l’âge
entre en ligne de compte. Par exemple, les chercheurs fusionnent souvent les données relatives aux
réfugiés et aux immigrants et n’établissent aucune distinction entre les différentes catégories
d’immigrants (regroupement familial, immigration économique et autres) et de réfugiés (pris en
charge par le gouvernement, parrainés, ayant obtenu le droit d’asile). Les personnes qui font partie
de la catégorie de l’immigration économique ont souvent immigré au pays à l’adolescence ou au
38
pour classer les personnes dans différentes catégories. En
début de leur vie d’adulte. Par exemple, les universités et le
général, chacune de ces variables peut servir de point de
secteur des soins de santé ont recruté des personnes qui
comparaison avec le groupe dominant et, puisque les immipossédaient différents profils. Bon nombre des personnes
grants plus âgés ou faisant partie d’une minorité visible
embauchées lors des travaux d’expansion des universités
sont en moins bonne santé et ont des revenus moins élevés
dans les années 1970 approchent de la retraite et s’apprêque les membres du groupe dominant, leur « statut » est à
tent à devenir membres du groupe des aînés. Elles ont
« risques multiples ». Tous les immigrants ne font pas
élevé leurs enfants ici et elles sont maintenant chez elles au
partie d’une « minorité visible » et un grand nombre d’immiCanada, même si elles ont pensé retourner dans leur pays
grants âgés peuvent être considérés comme faisant partie
d’origine après leur arrivée. Elles ont choisi de demeurer
de la société dominante. De plus, comme les femmes vivent
au pays et leur choix ont une incidence sur notre collecplus longtemps que les hommes, le pourcentage de femmes
tivité. Leur situation peut être très différente de celle des
augmente au fil des années. Cela entraîne une augmenaînés qui n’ont immigré au pays que récemment et à
tation des « risques » liés à l’âge, au sexe, à l’appartenance
l’intention de qui il faudra mettre en œuvre des politiques
à une minorité visible, à l’appartenance
et des programmes différents.
à un groupe ethnique, à la langue, à
Un grand nombre d’immigrants et
l’état de santé, au revenu, etc., qui désade réfugiés ont parrainé leurs parents
Les approches
vantage la personne. Cependant, l’étude
et/ou leurs grands-parents dans le cadre
fondées sur les
d’une structure de population ne tient
du programme de regroupement familial.
pas compte des changements survenus
Nombre de ces parents et grandsrisques multiples et
chez les membres du groupe au fil des
parents originaires de régions comme
sur le nivellement
années. On suppose que si les membres
l’Asie ne parlent ni l’anglais ni le français
du groupe sont pauvres et en mauvaise
et dépendent entièrement de leurs enfants
négligent de tenir
santé au départ, ils le seront toujours, ce
sur les plans social et financier. Certains
compte de la
qui n’est pas forcément vrai. Si les
d’entre eux sont très isolés. Ces immidiversité qui existe
risques multiples ne touchent que les
grants sont plus âgés et nécessitent des
membres de la classe inférieure d’une
services sociaux et de soins de santé
au sein des groupes
minorité visible, c’est donc la classe sociale
différents de ceux des immigrants de la
de minorités
plutôt que l’appartenance à un groupe
catégorie de l’immigration économique.
ethnique qui est à l’origine des risques
Le vieillissement croissant des immigrants
visibles et des
multiples (Novak, 1997).
entraîne, pour le Canada, une augmenrépercussions
D’autres travaux de recherche ont
tation du nombre d’immigrants du
suggéré qu’un nivellement et une congroupe vieux-vieux qui provient de
de la vie vécue
vergence des indicateurs se produisent
deux sources. En effet, bon nombre
avant l’immigration
au fur et à mesure que les personnes
d’immigrants et de réfugiés âgés ont
vieillissent. L’écart entre les indicateurs
immigré au pays alors qu’ils étaient
au Canada.
de la qualité de vie des aînés appartenant
déjà des aînés et ont passé la plupart de
à une minorité ethnique et les membres
leur vie (et de leur vieillesse) dans leur
du groupe dominant diminue au fur et à mesure que les
pays d’origine.
années passent, en raison de facteurs comme l’existence de
Il est par exemple facile de voir les différences qui
liens familiaux forts et du soutien des proches. Si une
existent entre deux immigrants/réfugiés âgés originaires
personne d’âge moyen issue d’une minorité ethnique
de Hong Kong. La gouverneure générale du Canada, la très
gagne un revenu peu élevé, elle continue de recevoir à peu
honorable Adrienne Clarkson, a immigré au pays en tant
près le même montant d’argent après sa retraite lorsqu’elle
que réfugiée alors qu’elle n’était qu’une enfant pendant la
cesse de recevoir des revenus d’emploi et qu’elle se met à
Seconde guerre mondiale. Elle a grandi au Canada et a
recevoir des prestations des programmes de soutien du
vécu toute sa vie au sein de la société canadienne. Sa situarevenu (Novak, 1997).
tion est donc très différente de celle d’une grand-mère
Les approches fondées sur les risques multiples et sur
qui a immigré au pays dans le cadre du programme de
le nivellement négligent de tenir compte de la diversité qui
regroupement familial à 70 ans. Il est important que les
existe au sein des groupes de minorités visibles et des réperchercheurs, les analystes en matière de politiques et les
cussions de la vie vécue avant l’immigration au Canada.
personnes chargées de l’élaboration des politiques tiennent
Par exemple, les réfugiés et les immigrants originaires de
compte de ces différences et évitent d’élaborer de fausses
la République populaire de Chine et de Hong Kong vienhypothèses et des généralisations erronées.
nent de deux cultures très différentes mais ils sont souvent
Les travaux de recherche gérontologique portant sur
regroupés lors de l’élaboration de rapports statistiques.
les groupes minoritaires sont, en général, fondés sur l’apLes immigrants récents et les immigrants qui sont au pays
plication de trois cadres théoriques : les risques multiples
depuis plusieurs années ont des expériences de vie diffé(multiple jeopardy), le nivellement (leveling) et la perspective
rentes qui ne sont pas nécessairement comparables, mais
relative au cours de la vie (life course perspective) (Novak,
ils sont tous comptés comme des « Chinois ». En outre,
1997). Lorsqu’ils appliquent le cadre théorique des risques
certains des réfugiés originaires de l’Amérique centrale et
multiples, les chercheurs utilisent des variables comme l’âge,
de l’Amérique du Sud ont été victimes d’expériences traule sexe, le revenu, le niveau d’études, la présence ou non
matisantes et de torture. Ces expériences, et bien d’autres,
d’un handicap ou l’appartenance à un groupe ethnique
39
groupes d’immigrants et se rapprochent de la moyenne
nationale avec 11,7 % de personnes âgées de plus de 65 ans.
L’hypothèse voulant que les « immigrants » soient des
jeunes n’est donc pas fondée. On trouve au Canada de
nombreux immigrants qui possèdent des profils variés. La
population de personnes âgées est le reflet de la mosaïque
canadienne. Si l’on se fie aux pourcentages, les plus
jeunes immigrants proviennent de l’Amérique centrale
et de l’Amérique du Sud (6,7 %). Comme on aurait pu
s’en douter, les immigrants venus d’Afrique et d’Asie du
Sud-Est (Thaïlande, Laos, Vietnam) sont aussi plutôt
jeunes et comptent environ 8 % de personnes âgées de
plus de 65 ans. Cependant, puisque plusieurs immigrants
originaires d’Asie de l’Est sont venus au Canada à titre
de réfugiés pendant la guerre civile du Vietnam, on
s’attend à ce que le nombre de personnes âgées originaires
de ces pays augmente.
Le Tableau 2, Immigrants âgés et lieu de naissance,
indique le pourcentage d’aînés originaires de chaque région
du monde au sein de la population totale d’aînés
canadiens. On peut dégager certains chiffres intéressants.
Sur la population totale d’aînés, 28,4 % sont des
immigrants (ce pourcentage était de 16,9 % en 1981) et
19,4 % de tous les aînés sont originaires d’Europe.
Cependant, l’analyse des chiffres relatifs aux immigrants
asiatiques montre que 5,4 % des personnes âgées qui se
trouvent au Canada (soit une personne sur vingt) sont
asiatiques et que 4,4 % sont originaires de l’Asie du Sud. Ces
aînés asiatiques habitent surtout dans les grandes villes mais
sont présents partout au Canada. Dans l’ensemble, 7,2 % des
personnes âgées sont membres d’une minorité visible (ce
pourcentage était de 6 % en 1996).
Le graphique qui suit, intitulé Pourcentage d’immigrants
âgés par continent, indique que 68 % de tous les immigrants âgés sont originaires d’Europe et que 19 % des
immigrants âgés (soit un immigrant âgé sur cinq) sont
originaires d’Asie. Le portrait des immigrants âgés est en
train de changer.
Le gouvernement canadien a mis en place deux grands
programmes de sécurité du revenu dont plusieurs
immigrants peuvent profiter. Tous les immigrants âgés
(plus de 65 ans) qui habitent au Canada depuis dix ans ou
plus peuvent recevoir des prestations dans le cadre du
programme de sécurité de la vieillesse, qui fournit une
pension modeste. Si la personne âgée a immigré au pays à
ont une influence subtile mais importante sur leur comportement et compromet la valeur de toute comparaison
simplifiée. Les expériences de vie et les points de vue
qualitatifs et subjectifs constituent des facteurs qui ont
une importante influence sur l’intégration, la satisfaction
en ce qui a trait à la vie, la santé mentale et la stabilité émotionnelle (Novak, 1997). Par conséquent, les expériences
vécues offrent un cadre précieux pour la réalisation de
travaux de recherche sur les immigrants et sur les réfugiés
âgés. Il arrive souvent que des traumatismes vécus
plusieurs décennies auparavant ressurgissent chez des
personnes âgées en perte d’autonomie qui souffrent de
dysfonctionnement cognitif ou de problèmes émotionnels.
Situation actuelle au Canada
Selon le recensement effectué en 2001, 5,1 %
des habitants du Canada sont « âgés » et 12,2 % sont
des « aînés » (65 ans et plus). Cela représente une
augmentation par rapport au pourcentage de 9,1 %
obtenu en 1981. Comme la plupart des pays développés,
le Canada subit une augmentation de sa population
vieillissante en raison d’une prolongation de l’espérance
de vie et d’une diminution des naissances. On s’attend à
ce que le nombre d’aînés ne cesse de croître et Statistique
Canada prévoit même qu’ils représenteront 23 % de
tous les Canadiens d’ici 2041. La plus grande croissance
pourra être observée chez les vieux-vieux et chez les très
vieux. La population d’aînés est constituée pour la plus
grande partie de femmes, qui représentent 57 % des
personnes âgées de plus de 64 ans. Ce pourcentage atteint
60 % dans le cas des vieux-vieux (de 75 à 84 ans) et 70 %
dans le cas des très-vieux (plus de 85 ans).
Le Tableau 1 indique le pourcentage d’immigrants
âgés par pays de naissance pour deux tranches d’âge (65 à
74 ans, et 75 ans et plus). Près de 19 % des immigrants du
Canada sont âgés de plus de 65 ans, ce qui est une proportion beaucoup plus élevée que la moyenne pour l’ensemble
des Canadiens, qui est de 12,2 %. Par ailleurs, près de 31 %
des immigrants originaires d’Europe sont âgés de plus de
65 ans. On peut donc dire que les immigrants européens
constituent une population vieillissante. Les personnes
âgées originaires d’Asie de l’Est (principalement de Hong
Kong, de la Chine et de Taïwan) représentent 13 % des
immigrants de cette région. Les immigrants originaires des
Caraïbes sont aussi plus âgés que les membres des autres
Tableau 1 – Immigrants âgés et lieu de naissance
Pourcentage
Pourcentage pour chaque groupe
65 à 74 ans
75 ans et plus
7,1
5,1
12,2
Pourcentage total d’immigrants
11,1
7,8
18,9
Pourcentage total – Europe
17,3
13,4
30,7
4,6
2,1
6,7
Pourcentage d’aînés dans la population canadienne
Pourcentage total – Amérique centrale et du Sud
– Caraïbes
« Aînés » de 65 ans et plus
7,0
3,4
11,4
Pourcentage total – Afrique
5,5
2,5
8,0
Pourcentage total – Asie
3,4
9,7
8,2
4,8
13,0
– Asie du Sud-Est
5,1
2,8
7,9
– Asie du Sud
5,2
3,3
8,5
CITC
6,5
– Asie de l’Est
40
l’âge de 62 ans, elle pourra recevoir des prestations à
partir de 72 ans, peu importe qu’elle ait déjà travaillé au
Canada ou non. Si la personne âgée est à faible revenu, elle
pourra recevoir d’autres prestations dès l’âge de 60 ans,
dans la mesure où elle aura passé dix ans au Canada.
Le Canada a en outre conclu des ententes internationales en matière de sécurité sociale avec un grand
nombre de pays afin de permettre aux immigrants de
satisfaire aux critères établis pour l’obtention de prestations
de la part de l’un ou de l’autre des pays. Une entente peut,
par exemple, faire en sorte que les périodes de contribution au système de sécurité sociale de l’autre pays (ou,
dans certain cas, les périodes de résidence à l’étranger)
puissent être ajoutées aux périodes de contribution au
Régime de pensions du Canada afin de permettre à une
personne de satisfaire aux critères minimaux établis. Une
telle entente permettrait par exemple à un citoyen de
l’Allemagne d’avoir droit au Régime de pensions du
Canada, y compris aux prestations de retraite, d’invalidité
et de survivant au Canada. Ces ententes ont toutes été
conclues avec des pays développés qui ont mis en place
un programme de sécurité du revenu pour les personnes
âgées et, bien que cela ne se soit produit qu’à quelques
rares reprises, certaines personnes ne sont venues vivre au
Canada qu’au moment de leur retraite. Cela peut sembler
étrange, mais pour ces personnes, il s’agissait d’une façon
de venir rejoindre leurs enfants adultes déjà installés
au pays.
Cela dit, les personnes âgées qui ont immigré au pays
alors qu’elles étaient déjà vieilles peuvent se retrouver
complètement dépendantes de leur famille du point de
vue financier.
Graphique 1 – Pourcentage d’immigrants âgés
par continent
2 % Amérique centrale et du Sud
2 % Afrique
1 % Autres
3 % Caraïbes
5 % États-Unis
19 % Asie
68 % Europe
la situation devraient être mis en œuvre dans toutes les
sphères de la société. Il est nécessaire de mener d’autres
recherches et de s’intéresser davantage aux répercussions
de la situation sur les politiques et sur les programmes. Le
Centre d’excellence des Prairies pour la recherche en
immigration et en intégration, un site Metropolis canadien,
a reconnu le manque de recherches dans ce domaine et a
financé une étude préliminaire portant sur l’aspect social
de la question. Cette étude peut être qualifiée d’holistique
dans la mesure où elle considère l’immigrant âgé comme
une personne à part entière avec des besoins sociaux,
économiques, physiques, émotionnels et spirituels. L’étude
comprenait l’examen, au moyen de données qualitatives
et quantitatives, des facteurs socioculturels, familiaux et
interpersonnels, ainsi que des conditions de vie. La diffusion
des conclusions est en cours et les résultats préliminaires
ont été intégrés au présent article.
Les immigrants âgés doivent pouvoir prendre des
décisions en ce qui a trait aux questions qui les touchent et
ils doivent participer et être représentés dans tous les
paliers des organisations, des ministères et des comités. En
tant que participants actifs, ils auront leur mot à dire sur le
développement de politiques, d’initiatives sociales et de
programmes (ACSP, 1988).
Questions et besoins en matière de développement
Les changements survenus en ce qui a trait aux
données démographiques nous obligent à mieux comprendre et à mieux tenir compte de la diversité qui existe
au sein de la population de personnes âgées. Des changements importants ont eu lieu au cours des dernières
années suite à la publication, par Driedger et Chappell, du
document intitulé Aging and Ethnicity : Toward an Interface
(1987). Des efforts visant à améliorer la compréhension de
Tableau 2 – Immigrants âgés et lieu de naissance
Pourcentage
Pourcentage d’aînés canadiens
65 à 74 ans
75 ans et plus
« Aînés » de 65 ans et plus
Pourcentage d’aînés canadiens
58,1
41,9
100,0
Pourcentage total – non immigrants
71,2
71,7
71,4
Pourcentage total – immigrants
Pourcentage total – Europe
Pourcentage total – Amérique centrale et du Sud
– Caraïbes
28,6
28,0
28,4
100,0
100,0
100,0
18,8
20,2
19,4
0,7
0,4
0,6
1,0
0,7
0,8
Pourcentage total – Afrique
0,7
0,5
0,6
Pourcentage total – Asie
6,1
4,5
5,4
– Asie de l’Est
2,9
2,3
2,6
– Asie du Sud-Est
1,1
0,9
1,0
– Asie du Sud
1,5
0,9
1,2
41
CITC
Les immigrants âgés constituent une ressource
potentielle pour la société canadienne et il faudrait trouver
des moyens d’encourager la participation de bénévoles
aux efforts des organismes qui fournissent des services aux
groupes ethniques. La notion de bénévolat ne veut parfois
rien dire pour les membres de certains groupes et il pourrait être nécessaire de mettre en œuvre des mesures visant
à promouvoir le travail bénévole.
L’information relative aux services et aux programmes
offerts doit être mise à la disposition des immigrants âgés.
Les obstacles linguistiques qui empêchent l’accès aux
organismes de services doivent être aplanis au moyen
d’interprètes, de la traduction des documents et de l’embauche d’employés parlant plusieurs langues. Les obstacles
linguistiques font en sorte que les immigrants âgés ne sont
pas en mesure de profiter des services qui leur sont destinés
et les empêche de recevoir l’aide et l’information dont ils
ont besoin ou auxquelles ils ont droit.
Des changements doivent être apportés aux principaux organismes de prestation de services sociaux et de
soins de santé afin de mieux servir les immigrants âgés
(Olson, 2001). En effet, certains organismes prestateurs de
services ne répondent pas aux besoins des immigrants
âgés et ne tiennent pas suffisamment compte des
différences culturelles (Gelfand, 2003). Ironiquement, la
plupart des organismes de prestation de services sociaux
et de soins de santé comptent des employés de diverses
origines ethniques, qu’il s’agisse de préposés aux services
de garde ou de soutien ou de professionnels. Au nombre
des suggestions visant des changements, nommons le fait
de demander aux fournisseurs de services de procéder à
la réévaluation des services offerts. Par exemple, l’un des
principaux problèmes relatifs aux immigrants âgés est
l’absence de mets appropriés dans les établissements
de soins de longue durée. Puisqu’un grand nombre de
ces immigrants âgés sont en perte d’autonomie et ont
immigré au Canada dans le cadre du programme de
regroupement familial, ils ont eu peu de temps pour
s’habituer au mode de vie et aux mets occidentaux.
Ils sont souvent admis dans un établissement de soins
de longue durée alors qu’ils sont en mauvaise santé et
les dernières années de leur vie leur apportent peu de joie.
Il existe aussi un manque à combler dans les services
offerts aux personnes âgées ayant des besoins spéciaux,
notamment dans le domaine de la santé mentale et des
soins aux personnes en fin de vie (Butler, Lewis et
Sunderland, 1998 ; Fisher, Ross et MacLean, 2000). Un
nombre insuffisant de recherches ont été réalisées sur la
santé mentale des immigrants âgés, particulièrement en
ce qui concerne les immigrants âgés qui ont été victimes
de violence et qui ont subi des traumatismes dont les
répercussions se font sentir plusieurs années plus tard.
Les valeurs relatives à la prise en charge des parents
âgés par leurs enfants ont changé et un plus grand nombre
d’immigrants âgés vivent de façon autonome par choix.
Afin de vivre de façon autonome, cependant, un grand
nombre de ces immigrants doivent recevoir des prestations
de sécurité économique et avoir accès à des services de soutien. Ils peuvent par exemple avoir besoin de recevoir des
services de soins de santé à domicile, de repas à domicile
et de garde de jour ou de répit adaptés à leur culture.
42
De façon générale, les immigrants appartenant à
des minorités ethnoculturelles doivent être reconnus et
valorisés en raison de leur différence, avoir davantage
de pouvoirs de prise de décisions en ce qui a trait aux
questions politiques, économiques, sociales, et relatives
aux soins de santé, et avoir une meilleure connaissance des
services et des programmes qui leur sont offerts. Nous
vieillissons tous un peu plus chaque jour et de nouveaux
cheveux gris font leur apparition. Notre pays, où le multiculturalisme règne en maître, doit maintenant faire face à
de nouveaux défis liés au vieillissement de sa population.
Références
ASSOCIATION CANADIENNE DE SANTÉ PUBLIQUE. Rapport de
l’Atelier national sur l’ethnicité et le vieillissement , 21 au 24 février 1988,
Association canadienne de santé publique, Ottawa, 1988.
BUTLER, Robert N., Myrna LEWIS, et Trey SUNDERLAND. Aging and
Mental Health : Positive Psychosocial and Biomedical Approaches,
Needham Heights, Allyn and Bacon, 1998.
CANADA, 2005. http://www.statcan.ca/francais/Pgdb/popula_f.htm#imm
http://www12.statcan.ca/francais/census01/products/standard/themes/
DRIEDGER, Leo et Neena CHAPPELL, Aging and Ethnicity : Toward an
Interface, Toronto, Butterworths, 1987.
GELFAND, Donald E. Aging and Ethnicity : Knowledge and Services,
2e édition, New York, Springer Publishing Company, 2003.
FISHER, Rory, Margaret M. ROSS et Michael J. MacLEAN. Un guide des
soins en fin de vie aux aînés, University of Toronto, Comité consultatif
national, 2000.
NOVAK, Mark. Issues in Aging : An Introduction to Gerontology, New York,
Addison-Wesley Publishers Inc., 1997.
OLSON, Laura Katz, (éd.). Age Through Ethnic Lenses : Caring for
the Elderly in a Multicultural Society, Oxford (UK), Rowman &
Littlefield Publishers, Inc., 2001.
SCHAIE, K. Warner et Sherry L. WILLIS. Adult Development and Aging,
4e édition, New York, HarperCollins Publishers Inc., 1996.
SUZMAN, R. et M. W. RILEY. « Introducing the ‘Oldest Old’ ». Milbank
Memorial Fund Quarterly : Health and Society, no 63 (1985), p. 177-185.
LES AÎNÉS
ET L’IMMIGRATION
Services et questions
RÉSUMÉ
La Calgary Catholic Immigration Society (CCIS) est un organisme à but non lucratif qui tente de répondre
efficacement aux besoins et aux préoccupations des immigrants âgés. Dans cet article, les auteures décrivent
les obstacles auxquels cette population est confrontée – surtout sur le plan de la langue – et les activités
qu’entreprend la CCIS dans le but de faciliter l’intégration « réciproque ». À leur avis, nous devons poursuivre
nos recherches sur les immigrants âgés pour soutenir davantage le travail des fournisseurs de services.
C
TRACY WITYK ET MYRTA REYES
Tracy Wityk et Myrta Reyes travaillent à la Calgary Catholic Immigration Society (CCIS),
Immigrant Seniors Services.
algary se classe au quatrième rang parmi les destinations canadiennes choisies par les
immigrants et les réfugiés. D’ailleurs, 20,9 % des Calgariens sont nés à l’extérieur du Canada
(Statistique Canada, 2001). Environ un tiers (31 % des personnes de 45 à 64 ans et 37 %
des personnes de plus de 65 ans) des personnes âgées qui habitent à Calgary ont immigré au
Canada (Statistique Canada, 2001). La plupart d’entre eux (54 %) sont arrivés au pays entre l’âge
de 20 et 39 ans et y sont restés (Statistique Canada, 2001). Étant donné que le nombre d’immigrants
au Canada – y compris les aînés – ne cesse d’augmenter, et étant donné que notre population
est vieillissante, le nombre d’immigrants âgés au Canada et à Calgary continuera à augmenter.
Nous devons nous adapter à ces données démographiques et accueillir et servir efficacement
les immigrants âgés.
La Calgary Catholic Immigration Society (CCIS) est un organisme qui tente de répondre
efficacement aux besoins et aux préoccupations des immigrants âgés ; elle encourage également d’autres
organismes à faire de même. La CCIS est un organisme à but non lucratif dirigé par des bénévoles,
qui fournit des services d’établissement et d’intégration à tous les immigrants et les réfugiés du Sud
de l’Alberta. C’est avec dévouement et détermination que nous collaborons avec la communauté
pour aider les immigrants et les réfugiés à s’établir et à contribuer à la société canadienne.
Il y a huit ans, la CCIS a mis sur pied les services aux immigrants âgés (Immigrant Seniors
Services – ISS) pour favoriser l’intégration réciproque et l’accès des immigrants âgés aux services
communautaires, conformément à son mandat. Les ISS sont financés par les Family and Community
Support Services de la Ville de Calgary. La CCIS est un chef de file dans le domaine des services
communautaires, notamment sur le plan de la prestation de services offerts aux immigrants âgés,
grâce à ses programmes et ses initiatives spéciaux, dont le développement communautaire. Les
ISS comprennent :
• l’évaluation des besoins ;
• la gestion des cas ;
• des services de notaire ;
• de l’aide pour compléter les formulaires ;
• des services linguistiques ;
• des ateliers d’éducation préventive destinés aux immigrants âgés ;
• le soutien des activités et des événements d’intégration réciproque ;
• des services de bénévoles ;
• l’évaluation de l’amélioration des compétences culturelles, la formation et le soutien ;
• l’identification des besoins des immigrants âgés à l’aide de groupes de discussion ; et
• l’expression des besoins et des préoccupations des immigrants âgés en comités.
Les immigrants âgés courent des risques élevés tout au long du processus d’établissement
ou d’immigration. Le travail qu’ont accompli les bénévoles des ISS auprès des immigrants âgés
leur a permis d’identifier des difficultés et obstacles importants auxquels fait face cette
population, dont :
• le choc culturel : les immigrants âgés ont vécu dans une autre culture et un autre environnement pendant si longtemps que les changements exigés par leur nouvel environnement
peuvent être particulièrement déroutants ;
43
CITC
Seniors Services Society, 1992). La plupart des cours
• la communication : les barrières linguistiques, cultud’anglais langue seconde sont davantage axés sur des
relles et l’accès limité à l’information sont fréquents ;
problématiques qui touchent les personnes plus jeunes,
• le soutien familial : ils dépendent beaucoup des
comme l’emploi. Beaucoup de personnes âgées ont de la
autres, en particulier des proches plus jeunes, sur le
difficulté à suivre des cours d’anglais langue seconde parce
plan financier, social et psychologique ;
qu’ils s’occupent de leurs petits-enfants ou parce que le
• le soutien social : perte d’amis et difficulté à s’en
transport jusqu’à l’école de langue leur pose problème. À
faire d’autres ; les groupes de soutien social et les
la CCIS, le projet d’alphabétisation des aînés (Seniors
activités de loisirs peuvent être mal connus et ne sont
Literacy Project) donne l’occasion aux immigrants âgés de
pas toujours appréciés du point de vue culturel ;
suivre des leçons particulières d’anglais, adaptées à leurs
• les changements familiaux : les relations familiales
besoins et données par une autre personne âgée.
et les relations intergénérationnelles sont habituelleAu sujet des façons d’améliorer les services offerts aux
ment tendues en raison des structures familiales et
immigrants âgés, les fournisseurs de services insistent sur
des rôles traditionnels ;
le fait que peu de choses peuvent être
• les difficultés financières : de
accomplies sans traduction ni interprénombreux immigrants âgés sont
tation. Au cours d’une présentation des
désavantagés financièrement parce
Les fournisseurs
ISS sur les immigrants âgés, tous les traqu’ils sont visés par l’entente de
de services aux
vailleurs d’approche œuvrant auprès des
parrainage par un membre de la
aînés ont fait savoir qu’ils avaient besoin
famille, d’une durée de dix ans,
personnes âgées
d’aide pour trouver des services d’interqui les empêche d’avoir accès à de
ont accès à
prétation accessibles, à prix abordable
nombreuses ressources ; et
certains services
ou gratuits. Les fournisseurs de services
• les ressources communautaires : la
aux personnes âgées ont accès à certains
connaissance qu’ont les immigrants
d’interprétation ;
services d’interprétation ; toutefois, la
âgés des ressources et des systèmes
toutefois, la plupart
plupart des personnes âgées et des orgacommunautaires est limitée.
nismes à but non lucratif ne peuvent en
des personnes
assumer les coûts. Les services d’interLes problèmes susmentionnés
âgées et des
prétation ne sont gratuits que dans le
mènent à l’isolement et à l’aliénation
cas de problèmes de santé traités à
des immigrants âgés. Nous devons
organismes à
l’hôpital. Les immigrants âgés et les
néanmoins pousser nos recherches
but non lucratif
fournisseurs de services ont besoin de
afin de vérifier cette information et
services d’interprétation plus abordables
d’améliorer la compréhension des
ne peuvent en
et plus accessibles. Les ISS commencent
difficultés mentionnées précédemment
assumer les coûts.
à mettre au point des stratégies pour
et les stratégies qui y sont liées.
aider les fournisseurs de services aux
Les personnes âgées et les fournisLes services
personnes âgées à obtenir ce type de
seurs de services affirment que la langue
d’interprétation
services d’interprétation.
constitue le principal obstacle à la presne sont gratuits
De plus, au cours de discussions de
tation efficace de services. À Calgary, près
groupe menées par le comité consultatif
de 6 000 (7 %) personnes âgées de 65 ans
que dans le cas
sur les besoins des immigrants âgés
ou plus ne parlent ni l’anglais ni le
de problèmes
(Immigrant Seniors Needs Advisory
français (Statistique Canada, 2001). Les
Committee) et dans le cadre du projet
barrières linguistiques font en sorte que
de santé traités
d’évaluation des besoins des aînés
les immigrants âgés connaissent moins
à l’hôpital. Les
(Seniors Needs Assessment Project)
les services offerts et sont moins en
de la CCIS en 2004, les immigrants
mesure de comprendre en quoi ils consisimmigrants âgés
âgés ont fréquemment exprimé les
tent et d’en bénéficier lorsqu’ils peuvent y
et les fournisseurs
besoins suivants : services linguistiques,
recourir. Selon les résultats du projet
logement, services de santé, sécurité,
d’évaluation des besoins des personnes
de services ont
aide financière ou prestations de
âgées (Seniors Needs Assessment Project)
besoin de services
retraite, éducation, protection contre
et d’après le comité consultatif sur les
la violence et contre la négligence à
besoins des immigrants âgés (Immigrant
d’interprétation
l’égard des aînés, et activités de loisirs.
Seniors Needs Advisory Committee)
plus abordables et
Les ISS font la promotion de
de la CCIS, les barrières linguistiques
plus accessibles.
l’intégration réciproque. Pour que les
empêchent les immigrants âgés de bénéimmigrants âgés s’intègrent à la
ficier pleinement des services qui leur
société canadienne, les immigrants
sont offerts. Qui plus est, les femmes
âgés, les personnes âgées et les fournisseurs de services
sembleraient éprouver plus de difficultés par rapport à la
doivent apprendre à se connaître et à interagir les uns avec
langue parce qu’elles ont moins d’occasions d’apprendre
les autres. Il n’appartient pas à un seul de ces groupes de
l’anglais et sont parfois analphabètes.
changer du tout au tout sa façon d’être pour s’adapter aux
Il existe un besoin de programmes d’anglais langue
besoins des autres. Si chaque partie fait un effort, tous les
seconde adaptés aux personnes âgées (Calgary Immigrant
44
milieu culturel ou leur pays d’origine. Les fournisseurs de
participants se sentent respectés, appréciés et bienvenus.
services sont souvent prêts à servir les immigrants âgés,
L’intégration totale ne peut avoir lieu que si tous demeumais ils ne savent pas de quelle façon ils doivent le faire.
rent ouverts, respectueux et flexibles et s’ils collaborent en
Des pratiques exemplaires dans le domaine des services
vue de rendre la société meilleure pour tous.
d’approche et des services aux immigrants âgés (au-delà
Les ISS travaillent avec les centres, les clubs et les
de l’interprétation et de la traduction) sont nécessaires
groupes d’âge d’or de même qu’avec les aînés d’autres
pour encourager et encadrer les services aux personnes
cultures pour favoriser les activités d’intégration
âgées. Une meilleure compréhension de la façon dont les
réciproque pour les personnes de troisième âge. Cela leur
immigrants âgés apportent une contribution positive
donne l’occasion de se connaître et de se fréquenter dans
pourrait aider ces derniers à se sentir davantage valorisés
un environnement amical, social et décontracté. La Fête
et bienvenus, et pourrait donner lieu à une meilleure
multiculturelle tenue chaque année en partenariat avec le
compréhension des immigrants âgés et à une plus grande
Club de l’âge d’or, centre pour personnes âgées, en est un
ouverture à leur égard.
exemple. Les bénévoles des ISS y invitent des membres de
Le portrait démographique du
leur communauté. Les immigrants et les
Canada change, et les fournisseurs de
personnes âgées se réunissent et appréservices s’efforcent de répondre efficacecient les performances culturelles et les
Nous ne pouvons
ment aux besoins et aux préoccupations
différents plats apportés par chacun. Les
pas servir les
de divers groupes, dont les immigrants
participants disent se sentir plus ouverts
âgés. Cependant, ils pourraient bénéficier
aux personnes âgées d’autres milieux
immigrants âgés
de soutien et de financement supplémenculturels et à l’aise avec elles.
sans d’abord les
taires à mesure qu’ils continuent de
La promotion de la diversité consconnaître. Il existe
parfaire leurs connaissances et d’améliorer
titue une autre priorité des ISS. Servir les
leurs services. Nous devons reconnaître
immigrants âgés de façon efficace peut
des données
la valeur des immigrants âgés et
sembler difficile et énorme. Les Services
démographiques
de leur contribution, et augmenter
de diversité aident les services à analyser
le financement et le nombre de
leurs problèmes généraux, à améliorer
sur les immigrants
programmes qui leur sont destinés
ce qui est déjà en place et à mettre au
et sur les personnes
partout au Canada. La Calgary
point des stratégies pour rendre ces
Catholic Immigration Society et ses
organismes plus accessibles aux immiâgées, mais il est
bénévoles, qui offrent des services aux
grants âgés et non discriminatoires à
difficile de trouver
immigrants âgés (Immigrant Seniors
leur égard. Chacun fait des efforts, et
Services), continueront d’être à l’écoute
nous aidons les groupes à bâtir sur ces
des données
des besoins des immigrants âgés, d’y
forces et à les développer, au lieu
actuelles sur les
répondre et d’encourager les fourde créer quelque chose de nouveau,
nisseurs de services aux aînés à les
d’alourdir la tâche ou de changer
immigrants âgés.
imiter et à les soutenir.
complètement le groupe. Les ISS offrent
une formation individualisée portant
Pour plus d’information, veuillez communiquer avec Diane Fisher, gestionnaire,
sur différents sujets aux organismes prestateurs de services
Section du développement communautaire et des services d’intégration
aux personnes âgées afin qu’ils développent leurs connais(Community Development and Integration Services Division), au (403) 290-5751
sances et leurs habiletés en prestation de services aux
ou à [email protected].
immigrants âgés. Pour faciliter l’intégration réciproque,
trois groupes sont ciblés : les conseils d’administration des
centres pour personnes âgées, les travailleurs d’approche,
les fournisseurs de services et les membres des centres ou
des clubs pour personnes âgées.
La CCIS étudie les besoins et les préoccupations des
immigrants âgés au moyen, entre autres choses, du projet
d’évaluation des besoins des personnes âgées (Seniors
Needs Assessment Project), mis sur pied par l’organisme
en 2004. Un rapport sur ce projet sera rendu public au
début de 2005. On prévoit que les données recueillies sur
ce projet seront très utiles aux immigrants âgés et aux
fournisseurs de services de la communauté de Calgary.
Nous devons poursuivre nos recherches sur les immigrants
âgés pour soutenir davantage le travail des fournisseurs de
services. Nous ne pouvons pas servir les immigrants âgés
sans d’abord les connaître. Il existe des données démographiques sur les immigrants et sur les personnes âgées,
mais il est difficile de trouver des données actuelles sur les
immigrants âgés, en particulier sur leur âge, leur sexe, leur
revenu, leur capacité à parler l’anglais ou le français, leur
45
LA PRISE EN COMPTE DE
L’ÉVOLUTION DU PARCOURS
DE VIE DANS L’INTÉGRATION
DES IMMIGRANTS
RÉSUMÉ
L’approche fondée sur les parcours de vie peut-elle être appliquée dans le contexte de l’intégration des
immigrants ? La réponse est affirmative et ce, pour deux raisons. D’abord, parce l’immigration est une
transition importante et souvent perturbante qui a un effet sur les trajectoires de vie les plus importantes.
Ensuite, parce que l’intégration est un processus dynamique qui met en jeu les interactions entre les
immigrants et la société d’accueil, tant au niveau local que national. L’auteure maintient qu’une analyse
dynamique est nécessaire pour ce type d’étude.
L
CITC
JEAN LOCK KUNZ
Jean Lock Kunz est directeur adjoint de projet,
au projet de recherche sur les politiques1.
e parcours de vie est sans doute le deuxième concept sociologique le plus populaire, après le
capital social, à être exporté vers le milieu de la politique et de la recherche. On entend globalement par « parcours de vie » les processus sociaux qui s’étendent sur toute une vie. Le parcours
de vie a plusieurs propriétés : c’est tout d’abord un processus dynamique composé de plusieurs parcours qui se chevauchent dans la vie d’une personne. Les trajectoires principales sont la famille et la
formation de ménages, l’apprentissage formel, l’emploi rémunéré et la participation à la collectivité2.
Ensuite, chaque trajectoire est marquée par une série de transitions, dont plusieurs sont souvent
classées selon l’âge et réglementées par la société, comme l’âge auquel on peut obtenir le permis de
conduire, auquel on peut voter, travailler, prendre sa retraite et ainsi de suite. Ces transitions présentent des possibilités et des défis. Troisièmement, tout au long de ces différentes trajectoires, chaque
personne accumule des ressources acquises au gré de son interaction avec la société dans laquelle elle
vit. Au cours de la vie, ces ressources prennent de la valeur ou en perdent, et cela se reflète sur la
capacité à réagir aux changements apportés par des transitions importantes telles que la fin des
études et l’entrée sur le marché du travail, la période entre deux emplois, le mariage, ou la naissance
d’un enfant.
L’approche fondée sur les parcours de vie marque un départ de la pensée actuelle sur la politique
sociale, qui est principalement fondée sur des statistiques accumulées ponctuellement. Cette approche
permet d’effectuer des analyses qui vont au-delà de la simple catégorisation des gens à différents
stades de leur vie, par exemple lorsqu’ils sont pauvres ou en chômage. Elle permet en effet d’examiner la dynamique des changements entre les différents stades de la vie et les facteurs qui y sont
associésI. Ces types d’analyses sont possibles en raison de la disponibilité des données longitudinales
des dernières années. Par exemple, les données longitudinales montrent qu’avoir un faible revenu est
un état transitoire pour la plupart des gens, excepté pour les personnes et les groupes dotés de certaines caractéristiques sociales et démographiques et susceptibles d’avoir un faible revenu pendant
plusieurs années de suite II. En plus des transitions, le parcours de vie est centré sur la personne et
surtout sur l’écoulement bidirectionnel des ressources entre la personne et les institutions sociales.
En Europe, l’approche fondée sur les parcours de vie a été appliquée à des questions telles que
la pauvreté et l’exclusion. Par le passé, on a prétendu que chaque personne était dotée d’un ensemble
de ressources telles que le capital humain acquis au moyen de l’éducation et des expériences de vie,
un revenu et des biens, l’appui de la part du gouvernement et des organisations communautaires, de
même que les relations sociales acquises par l’entremise de la famille et des amis. Au cours de la vie,
ces ressources ont un effet de tampon durant les périodes où la personne subit des échecs, y compris
l’éclatement de la famille, des problèmes de santé et la perte d’un emploi. Les changements dans
les politiques et les conditions sociales et économiques ont inévitablement des effets sur le nombre
et le type de ressources qu’une personne peut accumuler. Si l’effet de tampon n’est pas assez fort
pour permettre à la personne de surmonter les crises de la vie, la personne risque de se retrouver en
position de marginalité III.
L’approche fondée sur les parcours de vie peut-elle être appliquée dans le contexte de l’intégration
des immigrants ? La réponse est affirmative et ce, pour deux raisons. D’abord, parce l’immigration
46
à améliorer son anglais en prenant des cours du soir. En
communiquant avec son ancien collègue, il a trouvé les sites
Web et les adresses de différentes organisations d’établissement au Canada, et a commencé à établir des contacts
avec certaines d’entre elles afin d’obtenir des renseignements
sur la vie au Canada. Deux ans plus tard, sa demande a été
acceptée. Armé d’une partie de ses économies et de son
enthousiasme, Tang s’est envolé pour Toronto.
Ce déplacement ne s’est pas fait sans heurts. Tang a
refusé une offre de promotion et a démissionné de
l’emploi qu’il occupait dans son pays. Il a laissé derrière
lui sa femme et son fils âgé de cinq ans, de même que des
parents et amis.
À son arrivée à l’aéroport, Tang a été accueilli par son
ami. Il a loué un appartement avec l’aide de son ami qui
lui a également présenté d’autres membres de la communauté chinoise. Au début, la vie n’a pas été facile. Il n’avait
pas le droit de pratiquer à titre de détenteur de permis
professionnel. Il trouvait très difficile de suivre les
actualités et les émissions de divertissement canadiennes.
Il travaillait au magasin et à la clinique de son ami le jour
et suivait des cours de langue le soir. Fort de l’appui d’une
agence d’établissement, il a commencé à faire des démarches
auprès des organismes de réglementation professionnelles
appropriées pour faire reconnaître ses titres de compétences. Afin de rencontrer d’autres personnes que des
membres de la communauté chinoise, Tang a participé
au Programme d’accueil offert par une autre organisation
d’établissement, qui l’a jumelé à un bénévole canadien.
Quelques années plus tard, Tang est devenu homéopathe et acupuncteur agréé. Il maîtrisait mieux la langue.
Après avoir réalisé suffisamment d’économies pour faire une
mise de fonds, il a ouvert son propre cabinet. Il a tissé des
réseaux avec les membres de la communauté chinoise et
d’autres personnes. Tang comprenait mieux la société
canadienne, ses règlements, ses lois, ses valeurs et ses institutions. Il a présenté une demande de citoyenneté canadienne.
Entre-temps, il a parrainé sa femme et son enfant afin qu’ils
immigrent au Canada.
Cette histoire laisse également entendre qu’il incombe
tant aux nouveaux arrivants qu’à la société d’accueil
d’intégrer les immigrants. En outre, elle illustre l’échange de
ressources entre Tang et la société d’accueil, y compris les
gouvernements, le marché et les organisations communautaires. Tang a apporté avec lui dans son pays adoptif ses
habiletés, ses connaissances et son ambition. Le gouvernement canadien lui a accordé le statut de résident permanent,
ce qui lui a permis de travailler et de vivre au Canada
indéfiniment. Des organismes de réglementation lui ont
permis de pratiquer sa profession et Tang a payé les frais
d’association. Le marché a permis à Tang de gagner sa vie et
Tang a répondu à un besoin de médecine douce. En outre,
Tang a payé des impôts et a acheté des biens et services. La
collectivité lui a offert un milieu sécuritaire, sain et accueillant, et Tang lui a rendu la pareille en faisant du bénévolat.
De toute évidence, il s’agit ici du « type idéal » de
processus d’immigration. Il existe de nombreux autres
moyens pour parvenir à ce résultat, et aussi de nombreux
autres résultats. Prenons, par exemple, un scénario différent.
Les renseignements que Tang a obtenus avant d’immigrer
concernant la reconnaissance des titres de compétences et
est une transition importante et souvent perturbante qui
a un effet sur les trajectoires de vie les plus importantes.
Ensuite, parce que l’intégration est un processus
dynamique qui met en jeu les interactions entre les immigrants et la société d’accueil, tant à l’échelle locale que
nationale. Les immigrants sont un groupe diversifié
au plan de l’âge, du sexe, de la situation familiale, de
la catégorie d’admission et du statut socioéconomique.
Ces attributs ont des incidences sur la réussite de ces
personnes dans la société IV.
Expérience de l’immigration dans le parcours de vie
La transplantation d’une société à une autre est un
processus à long terme qui commence avant la migration et
se poursuit au-delà de l’étape initiale de l’ajustementV. L’intégration des immigrants est un processus difficile et bilatéral.
Il exige des efforts tant de la part des immigrants que de la
société d’accueil, y compris les gouvernements, les collectivités, le secteur privé, la famille et les amis. (On entend ici par
« intégration » la pleine participation des immigrants à la
société d’accueil. Cela ne signifie pas que les immigrants
doivent être « assimilés » à la société dominante.)
Au cours de la dernière décennie, les universitaires
ainsi que les chercheurs dans les ministères et les organismes centraux ont produit un nombre impressionnant de
preuves de l’intégration socioéconomique des immigrants
au Canada3. La plupart des gens sont maintenant familiers
avec le scénario : les immigrants ont en moyenne un
niveau d’instruction supérieur à celui des Canadiens nés
au Canada, mais leurs titres de compétences semblent
perdre de la valeur sur le marché du travail canadienVI.
Les immigrants récents forment un des cinq groupes
les plus à risque de persistance d’un faible revenuVII 4. En
outre, les immigrants ont souvent besoin de cours de
langue supplémentaires pour participer pleinement à leurs
nouvelles collectivités, étant donné que bon nombre
d’entre eux viennent de pays dont la langue officielle
n’est ni l’anglais ni le français.
À la lumière de ces constatations, les chercheurs et les
intervenants en matière de politique posent les questions
suivantes. Quelles sont les responsabilités des institutions
canadiennes en ce qui a trait au bien-être économique des
nouveaux arrivants ? Quelles sont les responsabilités des
nouveaux arrivants face au marché du travail et à l’intégration en général5 ? Pour répondre à ces questions, il faut
comprendre ce que signifie refaire sa vie dans un pays qui
est souvent culturellement et socialement différent du sien.
L’histoire de Tang
Le tableau suivant illustre la transition de Tang, un
homme hypothétique dans la trentaine avancée, qui est
venu au CanadaVIII 6. Tang était docteur en acupuncture. Il
a été invité par son ami et ancien collègue à travailler dans
son entreprise prospère de Toronto, qui combinait clinique
et magasin de médicaments chinois. Son ami savait que
Tang parlait couramment l’anglais et que c’était un bon
acupuncteur. Après s’être autoévalué à l’aide de la grille de
sélection, Tang a décidé d’immigrer au Canada dans la
catégorie des travailleurs qualifiés. En attendant le traitement
de sa demande, il s’est renseigné sur la culture et les coutumes canadiennes, surtout celles de Toronto. Il a continué
47
Figure 1 – Transition dans le parcours de vie d’un immigrant adulte
Avant la migration
Ajustement
Adaptation
Intégration
Évaluation
Langue
Améliorations :
Citoyenneté
Préparation
Logement
Demande
Emploi
Maîtrise
de la langue
Participation
accrue :
Acceptation
Écoles
Emploi
À la société
Connaissance
du Canada
Culture
Communauté
Sentiment
d’identité
Réseau
À l’économie
À la politique
À la vie civile
Réseaux
Adapté de Frank et Kunz (2004).
culturelle pourraient être offertes à l’étranger aux demandeurs éventuels afin qu’ils puissent s’intégrer dès leur
arrivée au Canada. Cela ne signifie pas qu’il faille simplement leur distribuer des dépliants à ce sujet. Il faut plutôt
que les gouvernements et les intervenants unissent leurs
efforts pour exécuter des programmes appropriés, efficaces
et systématiques. Troisièmement, même si les agences
d’établissement ont le mandat précis d’aider les nouveaux
arrivants pendant un certain nombre d’années et ce, dès
leur arrivée, l’inclusion complète des immigrants exige les
efforts de tous les secteurs de la société. En plus de la
formation linguistique et de la reconnaissance des titres de
compétences, le succès de l’intégration des immigrants
dépend d’une société qui valorise l’équité, la diversité et
le progrès.
En guise de conclusion, nous pouvons dire que
l’approche fondée sur les parcours de vie est axée sur des
forces dynamiques plutôt que statiques. Elle est également
axée sur le développement des ressources et des capacités.
Les chercheurs et les intervenants en matière de politique
reconnaissent le besoin et l’utilité des analyses dynamiques.
Prenons par exemple l’Enquête longitudinale auprès des
immigrants du Canada (ELIC), dans le cadre de laquelle
on suit un échantillon de nouveaux arrivants à
partir de six mois jusqu’à quatre ans après leur arrivée.
Différents organismes collaborent en ce moment à
l’amélioration de l’intégration des immigrants au marché
du travail. En effet, le TRIEC (Toronto Region Immigrant
Employment Council) rassemble des intervenants qui
représentent les employeurs, les syndicats, les organismes
de réglementation des professions, les établissements
postsecondaires, les fournisseurs de services d’évaluation,
les organisations communautaires et les trois ordres de
gouvernement. Son objectif consiste à ériger des ponts
entre les immigrants et le marché du travail local, d’une
part en préparant les immigrants qualifiés au marché du
travail et, d’autre part en équipant les intervenants et les
gouvernements à mieux apprécier les valeurs des
nouveaux arrivants7. Enfin, nous considérons qu’il n’y a
pas d’ingrédients magiques pour créer des « immigrants
idéaux ». Comme dirait un Chinois : on ne peut pas
manger un pain chaud à toute vitesse. Le parcours de la
vie est une question de temps.
les possibilités d’emploi au Canada ne se sont pas avérées
très utiles. Il a socialisé principalement avec les membres
de sa propre communauté ethnique. Il aurait aimé
rencontrer d’autres personnes, mais il n’était pas à l’aise en
anglais. À l’occasion, il assistait à des activités sociales en
dehors de sa propre communauté, mais il ne pouvait
participer à la conversation parce qu’il ne comprenait
pas les références culturelles communes à tous les
Canadiens ; d’ailleurs, personne ne les lui a expliquées. Il
vivait avec plusieurs autres migrants dans un appartement
trop petit. En plus de travailler au magasin de son ami,
il a dû occuper deux emplois à temps partiel pour arriver
à joindre les deux bouts. Par conséquent, il ne pouvait
pas suivre des cours de langue. Le processus d’agrégation
le dépassait et les conseils qu’il recevait des agences de
services ne l’aidaient pas beaucoup. Entre-temps, son
ancien patron lui demandait de rentrer. En fin de
compte, Tang est retourné dans son pays.
Incidences pour la recherche et les politiques
CITC
Que signifie une approche sur les parcours de vie
pour la recherche et les politiques sur l’intégration des
immigrants ? Tout d’abord, il faut avoir en main des
données longitudinales. Une grande partie des connaissances dont nous disposons aujourd’hui à ce sujet découle
d’enquêtes ponctuelles. Elle montrent de quelle façon les
immigrants se comparent aux Canadiens nés au Canada
à un moment précis dans le temps et tient compte d’un
certain ensemble d’attributs, tels que le sexe, l’âge et les
études. Si on surveillait une cohorte d’immigrants au
cours d’une certaine période, on pourrait remarquer qu’il
y a des facteurs qui contribuent aux changements dans le
marché du travail et d’autres résultats. Les données longitudinales permettent également aux chercheurs de tracer
des sentiers vers l’intégration et de déterminer des points
de transition où les personnes sont vulnérables face à
l’exclusion ainsi que les ressources qui pourraient permettre
d’empêcher une telle exclusion. Deuxièmement, en comprenant bien ces transitions et ces ressources, on pourrait
élaborer des mesures proactives afin de faciliter les transitions. Comme on l’a déjà mentionné, l’intégration
commence avant la migration. La formation linguistique,
l’évaluation des titres de compétences et l’orientation
48
Références
Notes
1
Les points de vue exprimés dans ce texte sont ceux de l’auteur et non
ceux du Projet de recherche sur les politiques.
2
ROOM, Graham. « Trajectories of Social Exclusion », dans D. Gordon
et P. Townsend, (éds.), Breadline Europe : The Measurement of Poverty,
The Policy Press, 2000, p. 407-439.
Pour obtenir des renseignements détaillés sur le cadre du parcours de
vie, veuillez consulter le document de travail du Projet de recherche sur
les politiques, intitulé Une approche fondée sur les parcours de vie pour
l’analyse de la politique sociale : cadre proposé de politique et d’analyse,
août 2004.
3
KUNZ, Jean Lock. « Labour Market Integration of Immigrants and
Racial Minorities : Identities that Count », Canadian Diversity = Diversité
canadienne, vol. 3, no 1 (2004), p. 31-33.
Pour de plus amples renseignements sur l’immigration et l’intégration,
veuillez consulter les sites Web de Citoyenneté et Immigration Canada et
du projet Metropolis.
4
Les quatre autres groupes les plus à risque de faible revenu sont les
personnes seules âgées, les personnes handicapées, les parents seuls et les
Autochtones qui vivent à l’extérieur des réserves.
5
Adapté des questions à débattre pendant la réunion du Comité interministériel Metropolis, le 16 février 2005.
6
Selon l’aperçu annuel sur l’immigration Faits et chiffres, publié par
Citoyenneté et Immigration Canada, ce sont surtout les hommes qui ont
tendance à être les demandeurs principaux.
7
Vous trouverez les renseignements dans le site www. triec.ca
I
GIDDENS, Anthony. The Third Way and Its Critics, Policy Press, 2000.
II
FRANK, Jeff et Jean Lock KUNZ. « Nouvelles approches pour lutter
contre la pauvreté et l’exclusion », exposé présenté à la Conférence du
projet de recherche sur les politiques – Exploration de nouvelles approches en matière de politique sociale, Ottawa, du 13 au 15 décembre 2004.
III
IV
V
VI
FRANK, Jeff et Jean Lock KUNZ. « Nouvelles approches pour lutter
contre la pauvreté et l’exclusion », exposé présenté à la Conférence du
projet de recherche sur les politiques – Exploration de nouvelles approches en matière de politique sociale, Ottawa, 13 au 15 décembre 2004.
NAOMI, Alboim, Finnie ROSS et Ronald MENG. « The Discounting of
Immigrants’ Skills in Canada: Evidence and Policy Recommendations »,
IRPP, Choices, vol. 11, no 2 (2005), www.irpp.org
VII HATFIELD,
Michael. « Groupes à risque de persistance d’un faible
revenu », Horizons, vol. 7, no 2 (2004), p. 19-23.
VIIIFRANK,
Jeff et Jean Lock KUNZ. « Nouvelles approches pour lutter
contre la pauvreté et l’exclusion », exposé présenté à la Conférence du
projet de recherche sur les politiques – Exploration de nouvelles approches en matière de politique sociale, Ottawa, 13 au 15 décembre 2004.
Numéro spécial de la revue
Études ethniques au Canada
Ce numéro spécial d'Études ethniques au Canada (vol. XXXV, no 3,
2003) a été préparé par une équipe de rédacteurs invités, composée
d'Yvonne Hébert (Faculté d'éducation, University of Calgary), de
Julia Kwong (Département de sociologie, University of Manitoba)
et de deux responsables des politiques, John Biles et Erin Tolley
(Équipe du projet Metropolis, Citoyenneté et Immigration Canada).
Cette revue comprend dix articles commandés par le Programme
du multiculturalisme suite au séminaire de 2003. Les articles touchent
chacune des questions abordées lors du séminaire : processus
politiques, logement, marché du travail et formation, marchés des
capitaux, justice, santé, information et connaissance, culture, transferts
sociaux et, enfin, éducation, formation et perfectionnement.
Pour obtenir une copie de cette revue, veuillez visiter le site Web
http://www.ss.ucalgary.ca/CES/
49
IMMIGRANTS ÂGÉS
AU CANADA
Sources de revenus et autosuffisance
RÉSUMÉ
Au Canada, il y a un nombre significatif d’immigrants âgés chez les personnes ayant un revenu peu élevé. Ces
immigrants âgés arrivent-ils au Canada avec des ressources moindres, ou s’appauvrissent-ils suite à leur
arrivée ? Cet article est le résumé d’un rapport de recherche sur la population immigrante âgée et leurs
sources de revenu. Il propose un survol des principales conclusions de notre recherche et soulève un certain
nombre de questions sur lesquelles on devrait se pencher davantage dans les recherches futures.
D
COLLEEN DEMPSEY
Recherche et statistiques stratégiques
Citoyenneté et Immigration Canada
ans le cadre d’analyses précédentes sur la population immigrante, les immigrants âgés se sont
révélés comme étant un groupe dont les membres sont davantage susceptibles d’avoir un
revenu peu élevé. Il n’était toutefois pas mentionné si ces immigrants sont arrivés au Canada
à un certain âge ou s’ils sont arrivés alors qu’ils étaient plus jeunes et sont devenus des immigrants
âgés par la suite. La méthodologie suivie pour préparer le présent document permet de répondre à
cette question. Dans le cadre de cette analyse, la population âgée comprend les personnes âgées d’au
moins 60 ans au cours d’une année d’imposition quelconque. Les immigrants âgés sont regroupés
en trois groupes : aînés à long terme qui sont arrivés au Canada dans la tranche d’âge 40-49 ans ;
aînés à court terme qui sont arrivés au Canada dans la tranche d’âge 50-59 ans ; et aînés immédiats
qui sont arrivés au Canada alors qu’ils étaient âgés d’au moins 60 ans.
En utilisant les données de la Banque de données longitudinales sur les immigrants (BDIM), ce
document se penche sur deux aspects de la recherche existante sur le sujet1. D’abord, il porte
sur les caractéristiques démographiques des trois groupes de personnes âgées dans le but de souligner les différences qui peuvent avoir des répercussions sur le revenu. Ensuite, cette analyse examine de
plus près les sources de revenus des immigrants âgés au Canada. De manière générale, les
personnes qui ont un faible revenu sont souvent moins en mesure de subvenir à leurs besoins et,
par conséquent, peuvent dépendre davantage des transferts sociaux. Le marché du travail et les
revenus de retraite sont subdivisés pour mener une analyse détaillée de la dépendance à certaines
sources de revenus précises, en mettant l’accent sur la dépendance aux transferts sociaux.
Données et définitions
La présente analyse étudie deux grands types généraux de revenus. Le premier, défini comme
le revenu du marché, représente le revenu accessible à la population active. Le revenu du marché
comprend les revenus provenant d’un emploi salarié, d’un emploi autonome, des investissements, de
l’assurance-emploi et des suppléments provinciaux, y compris l’aide sociale2.
Le deuxième type de revenu, défini comme le revenu de retraite, représente le revenu réservé
aux personnes âgées. Il comprend les revenus provenant du RPC/RRQ3, de la SV4, du SRG et de
l’Allocation5, des REER et des plans d’épargne retraite privés6.
Les données sur la population dont il est question dans le présent document sont tirées de la
BDIM7. La BDIM combine les registres administratifs de l’immigration et l’information fiscale,
créant ainsi une source de données exhaustive sur les expériences du marché du travail des immigrants admis. À l’heure actuelle, la BDIM couvre la période de 1980 à 2000. Comme il a été précisé
plus tôt, aux fins du présent document, la population âgée est composée des contribuables âgés d’au
moins 60 ans au cours d’une année d’imposition donnée et est répartie en trois groupes : aînés à long
terme qui sont arrivés au Canada dans la tranche d’âge 40-49 ans ; aînés à court terme qui sont
arrivés au Canada dans la tranche d’âge 50-59 ans ; et aînés immédiats qui sont arrivés au Canada
alors qu’ils étaient âgés d’au moins 60 ans.
Résumé des principales observations
CITC
Les parents et les grands-parents forment la plus grande proportion d’aînés à court terme et
immédiats.
50
Graphique 1 : Revenu annuel moyen des immigrants âgés pour l’année d’imposition 2000,
par sous-groupes d’aînés
$
35 000
Aînés à LT
Aînés à CT
30 000
Aînés Imm.
25 000
Source : BDIM
20 000
15 000
10 000
5 000
Années depuis l’admission
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
La situation des aînés à court terme et des aînés
immédiats en matière de revenu était sensiblement
la même, particulièrement après le cap des 10 ans
depuis l’admission. Toutefois, un effet relatif à l’âge
lors de l’admission était toujours apparent. Les aînés
à court terme avaient une plus grande incidence de
revenu d’emploi et une incidence plus faible de suppléments provinciaux avant la marque des 10 années.
Ils avaient également un revenu annuel plus élevé que les
aînés immédiats au cours des 10 premières années suivant
leur admission. Après 10 ans, les deux groupes ont
amorcé une nette transition du revenu du marché au
revenu de retraite. L’incidence de revenu du marché privé
a chuté tandis que l’incidence du revenu de retraite non
contributif a augmenté de façon marquée. Bien que cette
transition vers le revenu de retraite ait eu lieu pour les
deux groupes, elle a été plus graduelle pour les aînés
à court terme.
Au cours de l’année d’imposition 2000, les parents
et les grands-parents représentaient 20 % des aînés à long
terme. Les demandeurs principaux qualifiés représentaient
une proportion un peu plus élevée d’environ 27 %, tandis
que les réfugiés représentaient 17 %.
Pour les aînés qui étaient plus âgés lors de leur admission, la proportion de demandeurs principaux qualifiés et
de réfugiés est considérablement moins élevée tandis que la
proportion de parents et de grands-parents est plus élevée.
Les parents et les grands-parents représentaient plus de
60 % des aînés à court terme et 79 % des aînés immédiats.
Il existe une relation négative entre le niveau d’instruction
et l’âge à l’admission.
En moyenne, 61 % des aînés à long terme avaient un
niveau de scolarité ne dépassant pas le secondaire (entre 0
et 12 ans d’études) au moment de leur admission. Pour ce
qui est des aînés à court terme et immédiats, les proportions étaient de 74 et de 79 % respectivement.
D’autre part, une moyenne de 13 % des aînés à long
terme étaient titulaires d’un diplôme universitaire. Pour ce
qui est des aînés à court terme et immédiats, les proportions
étaient de 9,8 et de 8,4 % respectivement.
La catégorie d’immigrants a des répercussions sur le
revenu, plus tard dans la vie.
Le Graphique 2 présente, pour l’année d’imposition
2000, le revenu annuel des immigrants âgés dans différentes catégories, soit 5, 10 et 20 ans après leur admission. Il est clair que des différences concernant le revenu
annuel existent pour les aînés des diverses catégories
d’immigrants. Veuillez prendre note que le Graphique 3
regroupe tous les immigrants âgés dans une seule catégorie d’immigrants. Il ne répartit pas cette population par
âge lors de l’admission.
Les demandeurs principaux qualifiés (DPQ) étaient
fortement tributaires du revenu du marché privé au cours
des 20 premières années suivant l’admission. Ils avaient
l’incidence la plus élevée de revenu d’emploi et une incidence de suppléments provinciaux bien en deçà de la
moyenne générale. Les DPQ avaient le revenu annuel le
plus élevé et dépendaient moins des sources de revenus de
retraite non contributives.
L’âge au moment de l’admission a des répercussions sur
le revenu, plus tard dans la vie.
Le Graphique 1 présente le revenu annuel moyen pour
chacun des groupes d’aînés au cours de l’année d’imposition 2000. Il existe une relation négative entre l’âge lors de
l’admission et le revenu annuel.
Les aînés à long terme sont ceux qui, parmi les trois
groupes d’aînés, avaient les revenus annuels les plus
élevés. Par ailleurs, les aînés à long terme avaient la plus
grande incidence de revenu du marché privé et la plus faible
incidence de revenu du marché public pendant la totalité de
la période à l’étude. Les immigrants âgés de ce groupe
avaient également la plus faible incidence en ce qui concerne
le revenu de retraite non contributif.
51
le revenu annuel le plus bas après le cap des 10 ans.
Les PGP avaient aussi l’incidence de SV et de SRG/Allocation
la plus élevée après le cap des 10 ans.
Les autres immigrants membres de la famille avaient
une incidence de revenu d’emploi et d’investissement
plus élevée que la moyenne des personnes âgées. Ils avaient
aussi une incidence de suppléments provinciaux moins
élevée que la moyenne. Le revenu d’emploi déclaré par les
personnes âgées de cette catégorie était comparable à celui
des autres immigrants de la catégorie de l’immigration
économique. Cependant, le revenu annuel était plus élevé.
En fait, le revenu annuel déclaré par les personnes âgées de
cette catégorie était le troisième plus élevé de toutes les
catégories. Les autres immigrants membres de la famille
semblaient tirer d’autres revenus des régimes privés. Ils
avaient la deuxième incidence de revenu la plus élevée
provenant de cette source. Pour ce qui est du revenu de
retraite non contributif, les autres immigrants membres
de la famille avaient une incidence de SV et de SRG/
Allocation moins élevée que la moyenne.
Les réfugiés avaient, en moyenne, une incidence de
revenu d’emploi très faible et la plus faible incidence de
revenu d’investissement. Ils avaient également l’incidence
de suppléments provinciaux la plus élevée. Les réfugiés
âgés avaient la plus faible incidence de revenu de retraite
privée et la deuxième plus faible incidence de revenu
annuel. Bien que l’incidence de SV étaient légèrement endessous de la moyenne pour les réfugiés âgés, l’incidence
de SRG/Allocation était la deuxième plus élevée de toutes
les catégories.
Sans surprise, les immigrants retraités avaient la plus
faible incidence de revenu d’emploi et l’incidence de
revenu d’investissement la plus élevée. Ces immigrants
avaient la plus forte incidence de revenu de régimes privés
et la plus faible incidence de suppléments provinciaux. Le
revenu annuel déclaré par les immigrants retraités se
classait au deuxième rang, derrière celui des DPQ. Même
Les époux et personnes à charge qualifiés (EPCQ)
avaient eux aussi une incidence de revenu d’emploi plus
élevée que la moyenne et une incidence très faible de
suppléments provinciaux pendant la période en question.
Cependant, le revenu d’emploi moyen n’était pas aussi
élevé que celui des DPQ. Les EPCQ avaient aussi un
revenu annuel moyen moins élevé que celui des DPQ,
mais ce revenu était tout de même plus élevé que celui de
la moyenne des immigrants aînés. Pour ce qui est du
revenu de retraite, les personnes âgées de cette catégorie
avaient la plus faible incidence de SV et la deuxième
incidence de SRG/Allocation la moins élevée.
Les autres immigrants de la catégorie de l’immigration économique, semblable à la catégorie des travailleurs
qualifiés, avaient une incidence plus élevée de revenu du
marché privé et une incidence plus faible de suppléments
provinciaux que la moyenne. Cependant, les aînés de cette
catégorie ne semblaient pas dépendre autant du revenu
d’emploi. Ils avaient plutôt la deuxième incidence de
revenu d’investissement la plus élevée. Ils avaient également un revenu annuel comparable à celui des EPCQ. Les
immigrants âgés de cette catégorie avaient une incidence
de SV plus élevée que celle des immigrants aînés de la
catégorie des travailleurs qualifiés, mais cette incidence
était tout de même moins élevée que celle de la moyenne
des immigrants âgés. Même si l’incidence de SV était plus
élevée, ce n’était pas le cas pour le SRG/Allocation. Les
autres immigrants de la catégorie de l’immigration
économique avaient la plus faible incidence de
SRG/Allocation.
Les parents et les grands-parents (PGP) avaient une
incidence de revenu d’emploi et d’investissement relativement peu élevée ainsi qu’une incidence de suppléments
provinciaux élevée, particulièrement après la marque des
10 années. Les immigrants âgés de cette catégorie avaient
également le deuxième revenu annuel le moins élevé
de toutes les catégories avant le cap des 10 ans, ainsi que
Graphique 2 : Revenu annuel moyen des immigrants âgés pour l’année d’imposition 2000,
par catégorie d’immigrants
$ 35 000
ADA= 5
ADA= 11
30 000
ADA= 20
25 000
20 000
15 000
10 000
5 000
0
DP
Qualifiés
EPC
Qualifiés
Autres
Écon.
PGP
CITC
Moyen
52
Autres
Familles
Réfugiés
Retraités
commenceront à recevoir des prestations, l’incidence et
les prestations moyennes augmenteront. En fait, la relation
positive entre les prestations moyennes et le nombre d’années
écoulées depuis l’admission fournit certaines preuves
démontrant que c’est déjà le cas après le cap des 20 ans.
avec un revenu annuel relativement élevé, les immigrants
retraités avaient la deuxième incidence de SV la plus
élevée. Par contre, l’incidence de SRG/Allocation de ces
immigrants était bien en deçà de la moyenne.
Le fait de travailler après avoir atteint l’âge de 60 ans entraîne un revenu annuel plus élevé et des transferts sociaux
moins importants au cours des années subséquentes.
Forte augmentation du revenu annuel après le cap des
10 ans pour les aînés à court terme et immédiats.
Les demandeurs principaux qualifiés, par exemple,
avaient la plus forte incidence de revenu d’emploi et ont
déclaré le revenu d’emploi moyen le plus élevé de toutes
les catégories d’immigrants. Près de la moitié de tous les
demandeurs principaux qualifiés qui avaient atteint l’âge
de 60 ans continuaient à déclarer un revenu d’emploi
20 ans après leur admission et cette proportion était encore
plus élevée pour les aînés à long terme de cette catégorie.
La participation au marché du travail des DPQ après
avoir atteint l’âge de 60 ans a eu des répercussions
évidentes sur le revenu annuel et sur l’incidence de revenu
de retraite non contributif pour les personnes âgées de
cette catégorie. Les immigrants âgés de cette catégorie
avaient le revenu annuel le plus élevé de toutes les
catégories d’immigrants, déclarant un revenu annuel bien
au-delà de la moyenne pendant toute la période à l’étude.
Étant donné leur revenu annuel relativement élevé,
il n’a pas été surprenant de constater que les DPQ âgés
avaient une incidence de SV et de SRG/Allocation moins
élevée que les membres des autres catégories d’immigrants.
Une explication concernant l’augmentation subite du
revenu après le cap des 10 ans est liée à la composition de la
catégorie de ces sous-groupes d’aînés. Rappelons que les
parents et les grands-parents forment respectivement 60 et
79 % des aînés à court terme et des aînés immédiats. La forte
augmentation après le cap des 10 ans coïncide avec un
sommet en ce qui concerne l’incidence de SV, de SRG/
Allocation et de suppléments provinciaux pour les parents et
les grands-parents. Il semble que le montant des transferts
sociaux qui sont devenus accessibles aux parents et aux
grands-parents âgés qui ont résidé au Canada au cours des dix
années précédentes est suffisant pour compenser la diminution du revenu de marché privé et augmenter le revenu
annuel moyen de tous les aînés à court terme et immédiats.
Stratégies pour maintenir les niveaux de revenu après
avoir atteint l’âge de 60 ans.
Il est clair que la plupart des immigrants âgés déclarent
plus d’une source de revenus, peu importe le moment. Il
semble également que, pour certaines catégories d’immigrants, certaines sources de revenus de retraite commencent
à remplacer le revenu d’emploi une fois que le bénéficiaire a
atteint l’âge requis ou satisfait aux exigences en matière de
résidence pour être admissible au revenu de retraite non
contributif. D’autres études sont nécessaires pour faire la
distinction entre les sources de revenus primaires, complémentaires et supplémentaires. De simplement faire la
somme des montants de revenu moyen provenant de toutes
les sources disponibles ne donnera pas une mesure adéquate
du revenu annuel. Il existe plusieurs combinaisons de
sources de revenus à la disposition des immigrants âgés
et ces combinaisons sont susceptibles de changer d’une
personne à l’autre et au fil du temps. D’autres études sont
nécessaires pour comprendre les diverses stratégies de
revenu adoptées par les immigrants âgés pour maintenir
leurs niveaux de revenu pendant leur retraite.
Une faible participation au marché du travail mène à un
revenu annuel moins élevé et à davantage de transferts
sociaux, plus tard dans la vie.
Les parents et les grands-parents, par exemple,
avaient la plus faible incidence de revenu d’emploi après le
cap des 10 ans et avaient déclaré le plus faible revenu
d’emploi de toutes les catégories d’immigrants. Dix ans
après leur arrivée, seulement 10 % des parents et grandsparents âgés avaient déclaré un revenu d’emploi et cette
proportion diminue au fil des années qui suivent l’admission.
Les parents et les grands-parents âgés ont également
déclaré le revenu annuel le moins élevé de toutes les
catégories d’immigrants à partir de le cap des 10 ans. La
plus faible participation au marché du travail s’est
traduite par un revenu annuel moins élevé et par une plus
grande incidence de revenu de retraite non contributif.
Puisque l’incidence de revenu d’emploi a chuté à 10 %
après le cap des 10 ans, la proportion de parents et de
grands-parents déclarant un revenu provenant de la SV et
du SRG/Allocation a augmenté considérablement.
Et qu’en est-il des personnes âgées nées au Canada ?
Il serait utile d’étudier la situation des Canadiens
de naissance âgés d’au moins 60 ans. Une telle analyse
permettrait de comparer les personnes âgées nées au
Canada et celles qui ont immigré au Canada. Les occasions
de participation sur le marché du travail des personnes âgées
nées au Canada devraient être plus nombreuses que celles
des immigrants qui sont arrivés au Canada à l’âge de
40 ans ou plus. La grande majorité des personnes âgées nées
au Canada devraient également avoir satisfait à toutes les
exigences d’admissibilité au revenu de retraite non contributif dès l’âge de 65 ans. Il serait intéressant d’étudier
comment ces différences affectent le revenu moyen et les
stratégies de revenu utilisées par les personnes âgées nées au
Canada pendant leur retraite par rapport aux personnes
âgées nées à l’étranger.
Une plus longue période d’activité sur le marché du
travail a également des répercussions sur le revenu de
retraite contributif.
Les demandeurs principaux qualifiés du groupe des
aînés à long terme avaient une incidence de prestations
RPC/RRQ moins élevée que la moyenne. L’incidence plus
faible et les montants moyens de RPC/RRQ étaient
attribuables au fait que les aînés à long terme continuaient à
travailler après avoir atteint l’âge de 60 ans, reportant ainsi les
prestations RPC/RRQ. Cependant, il est à prévoir qu’au fur et
à mesure que les bénéficiaires tardifs, avec plus de crédits,
53
Notes
Est-ce que le revenu familial importe ?
Il pourrait également être utile d’étudier la situation
des familles ou des ménages des immigrants âgés. Les
stratégies de revenu des immigrants âgés devraient être
différentes en fonction de la situation familiale ou du
ménage. Un immigrant âgé vivant seul, par exemple,
pourrait devoir assumer davantage de frais qu’une personne âgée qui vit avec ses enfants.
Est-ce que le parrainage importe ?
Nombreux sont les immigrants âgés ayant fait l’objet
de cette analyse qui ont été admis au Canada à titre de
parents ou de grands-parents parrainés. Le répondant
est financièrement responsable de l’immigrant parrainé
pendant une période de temps précisée dans l’entente de
parrainage. Aussi, le parrainage a des répercussions sur
l’accès à certaines prestations de retraite. Il serait utile,
dans le cadre de cette recherche, d’étudier la situation des
répondants et d’observer les effets de celle-ci sur les immigrants âgés parrainés.
1
DEMPSEY, C. « Sources et composition des revenus des immigrants âgés »,
Horizons, Initiative de recherche sur les politiques, Vol. 2, no 7 (2004).
http://policyresearch.gc.ca/page.asp?pagenm=v7n2_art_10
2
Le revenu provenant de l’aide sociale est inscrit à la ligne « Supplément
provincial » de la déclaration de revenus. Le montant inscrit à cette ligne
peut inclure d’autres suppléments provinciaux. L’aide sociale ne peut
donc pas en être séparée. Un exemple est le revenu provenant du Régime de
revenu annuel garanti dont peuvent se prévaloir les résidants de l’Ontario.
3
Le RPC/RRQ est un régime de pension contributif lié aux revenus de la
durée d’une vie. Aucune condition particulière ne s’applique aux immigrants dont les prestations dépendront du temps de travail au Canada.
Une personne peut devenir bénéficiaire si elle a contribué au moins une
fois au plan de retraite et est âgée d’au moins 65 ans. Il est possible de
percevoir une retraite réduite entre 60 et 64 ans à condition d’avoir cessé
de travailler ou de percevoir un revenu inférieur au versement mensuel
maximum de RPC/RRQ ayant cours.
4
La SV est une retraite non contributive liée au nombre d’années de résidence au Canada. Elle est destinée aux citoyens canadiens, aux résidents
permanents (immigrants admis) et aux titulaires d’un permis de séjour
temporaire valide âgés de 65 ans ou plus ayant résidé au moins dix ans
au Canada après avoir atteint 18 ans. L’intégralité de la SV n’est attribuée
qu’aux personnes qui résident au Canada depuis au moins
40 ans depuis qu’elles ont atteint 18 ans. Une personne ne répondant pas
aux critères pour le versement de la pension intégrale peut percevoir une
pension partielle, calculée au barème de 1/40e de la mensualité totale de
pension par année de résidence de la personne au Canada au-delà de sa 18e
année. Bien que la citoyenneté ou le statut légal de résident soit nécessaire pour être admissible à la SV, il est possible de tenir compte du
temps passé au Canada en tant que résident temporaire avant l’admission.
Ainsi, un immigrant qui a résidé au Canada pendant moins de dix ans
pourrait être admissible à la SV. Pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez consulter le feuillet d’information de Ressources humaines
et Développement des compétences Canada intitulé « Comment présenter
une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse, d’Allocation ou
d’Allocation au survivant » à l’adresse : http://www.retireware.com/pdf/
isp3503e.pdf (en anglais seulement pour le moment).
5
Le SRG est une autre pension non contributive destinée aux résidants du
Canada qui perçoivent une SV partielle ou complète. Les prestations du
SRG peuvent être perçues dès le premier mois d’allocation de la SV. Pour
être admissible au SRG, une personne doit percevoir une SV et son revenu
annuel doit être inférieur à un montant donné. Les immigrants parrainés,
en provenance de pays avec lesquels le Canada a conclu des accords, ne sont
pas admissibles au SRG durant leur période de parrainage (jusqu’à dix
ans), à moins qu’ils n’aient résidé au Canada pendant dix ans après avoir
atteint 18 ans. L’Allocation est une pension non contributive destinée à
l’époux, au conjoint de fait ou au survivant d’un bénéficiaire de la SV ou
du SRG. Les citoyens canadiens ou les résidents permanents âgés de 60 à
64 ans ayant vécu au Canada au moins 10 ans y sont admissibles. Pour
répondre aux critères d’admissibilité, les revenus réunis du couple ou le
revenu annuel du survivant ne doivent pas dépasser les limites établies.
L’Allocation cesse d’être versée à une personne lorsqu’elle atteint l’âge de
65 ans et devient admissible à la SV. Les immigrants parrainés qui souhaitent
présenter une demande d’Allocation doivent satisfaire aux mêmes critères
d’admissibilité que les personnes qui présentent une demande de SRG.
6
En plus de ces revenus de retraite, les résidants de l’Ontario âgés de
65 ans et plus sont admissibles au Régime de revenu annuel garanti
(RRAG). Des renseignements concernant le RRAG sont disponibles sur
le site : http://www.trd.fin.gov.on.ca. Des programmes similaires peuvent
exister dans d’autres provinces.
7
La BDIM est gérée par Statistique Canada au nom d’un consortium
fédéral-provincial dirigé par Citoyenneté et Immigration Canada.
Références
DEMPSEY, C. « Sources et composition des revenus des immigrants âgés ».
Horizons, Initiative de recherche sur les politiques, Vol. 2, no 7 (2004).
http://policyresearch.gc.ca/page.asp?pagenm=v7n2_art_10
GOUVERNEMENT DU CANADA. Régime de pensions du Canada : Pension
de retraite, Développement social Canada, Ottawa (Ontario), 2004. no cat.
SD12-1/1-2004F. http://www.dsc.gc.ca/fr/psr/pub/feuillets/retraite.pdf
GOUVERNEMENT DU CANADA. Supplément de revenu garanti,
Développement social Canada, Ottawa (Ontario), 2004.
http://www.dsc.gc.ca/fr/psr/pub/sv/srgprincipale.shtml
GOUVERNEMENT DU CANADA. Loi sur la sécurité de la vieillesse (L.R.
1985, ch. 0-9), Ministère de la Justice du Canada, Ottawa (Ontario),
2004. http://lois.justice.gc.ca/fr/O-9/index.html. À jour jusqu’au 31 août
2004.
GOUVERNEMENT DU CANADA. Règlement sur la sécurité de la vieillesse
(C.R.C., ch.1246), Ministère de la Justice du Canada, Ottawa (Ontario),
2004. http://lois.justice.gc.ca/fr/O-9/C.R.C.-ch.1246/index.html. À jour
jusqu’au 31 août 2004.
GOUVERNEMENT DU CANADA. Survol du Programme de la sécurité de la
vieillesse, Développement social Canada, Ottawa (Ontario), 2004.
http://www.dsc.gc.ca/asp/passerelle.asp?hr=fr/psr/sv/svsurvol.shtml&hs
=ozs
CITC
GOUVERNEMENT DU CANADA. Comment présenter une demande de
pension de la Sécurité de la vieillesse, d’Allocation ou d’Allocation au
survivant, Ressources humaines et Développement Canada, Ottawa
(Ontario), 2003. Feuillet d’information ISP-3000. http://www.
retireware.com/pdf/isp3503e.pdf (en anglais seulement pour le moment)
54
BIEN-ÊTRE ÉCONOMIQUE
DES NOUVEAUX IMMIGRANTS
AU CANADA
RÉSUMÉ
Au cours des années 1990 un changement s’est opéré dans la composition des immigrants admis au Canada,
puisqu’il y a eu une augmentation du nombre d’immigrants admis dans la catégorie de l’immigration économique. Par ailleurs, comme les priorités en matière de sélection ont changé, le nombre d’immigrants détenant
un diplôme universitaire a considérablement augmenté. Toutefois, malgré cette augmentation du niveau
d’instruction, des cohortes successives de nouveaux arrivants ont connu des difficultés sur le marché du
travail. Le présent article vise à fournir un bref aperçu des principaux indicateurs concernant cette question.
L
au Canada a connu des changements importants dans les années 1990. Entre 1991
’ immigration
et 2000, 2,2 millions d’immigrants ont été admis au Canada, ce qui représente le taux d’admis-
sions le plus élevé au cours des 100 dernières années, toutes décennies confondues.
L’immigration s’est maintenue à un haut niveau pendant la récession, au début des années 1990. Au
cours des années qui ont suivi la récession, il y a eu une reprise lente de l’immigration. De plus, au
cours de cette décennie, un changement s’est opéré dans la composition des immigrants admis
au pays, puisqu’il y a eu une augmentation du nombre d’immigrants admis dans la catégorie de
l’immigration économique. Par ailleurs, comme les priorités en matière de sélection ont changé, le
nombre d’immigrants détenant un diplôme universitaire a considérablement augmenté. Toutefois,
malgré cette augmentation du niveau d’instruction, des cohortes successives de nouveaux arrivants
ont connu des difficultés sur le marché du travail. Le présent document vise à fournir un bref aperçu
des principaux indicateurs concernant cette question.
Emploi et gains
GRANT SCHELLENBERG ET FENG HOU
Grant Schellenberg et Feng Hou travaillent
à Statistique Canada.
Le succès sur le marché du travail constitue l’ingrédient essentiel du bien-être financier. La
croyance populaire a toujours été que les nouveaux immigrants ont des difficultés à s’établir sur le
marché du travail à leur arrivée dans le pays d’accueil, mais qu’ils finissent par surmonter ces difficultés et par obtenir des gains comparables à ceux des travailleurs nés dans le pays d’accueil en
question. Toutefois, bien que ce fut le cas des immigrants arrivés au Canada avant le début des années
1980, la situation a été différente pour ceux qui sont arrivés plus récemment.
Il s’agit là d’une évidence quand on se penche sur la question de l’entrée sur le marché du travail.
En 1981, les immigrants vivant au Canada depuis cinq ans ou moins étaient légèrement plus susceptibles d’être sur le marché du travail que les personnes nées au Canada (voir le Tableau 1). De plus,
ils étaient tout aussi susceptibles d’occuper des emplois à plein temps et à l’année. Depuis, le taux
d’emploi chez les cohortes d’immigrants a diminué (Reitz, 2001). En 2001, le taux d’emploi chez les
immigrants vivant au Canada depuis cinq ans ou moins était plus bas que chez les Canadiens, et l’écart
entre les femmes était particulièrement important. De plus, cette baisse du taux d’emploi ne touchait
pas simplement les immigrants qui venaient d’arriver au Canada, mais également ceux qui y
vivaient depuis 15 ans.
Les trajectoires des gains des immigrants qui sont entrés sur le marché du travail se sont
également détériorées. Au cours des premières années suivant leur arrivée, les immigrants ont
pendant longtemps touché des gains inférieurs à ceux de leurs homologues canadiens, mais cet écart
se rétrécit avec le temps (voir le Graphique 1). Cependant, au cours des années 1980 et 1990, l’écart
entre les gains initiaux des deux groupes s’est considérablement creusé, soulevant ainsi des questions
à savoir si les gains des immigrants finiraient un jour par rejoindre ceux de leurs homologues
canadiens. Par exemple, les immigrants de sexe masculin qui sont arrivés entre 1975 et 1979
touchaient des gains initiaux équivalant à 83 % de ceux des Canadiens. Cet écart entre les gains
rétrécit toutefois et passe à environ 90 % après 11 à 15 ans (Frenette et Morissette, 2003). Par contre,
les immigrants de sexe masculin qui sont arrivés au Canada entre 1985 et 1989 touchaient des gains
initiaux équivalant à 66 % de ceux de leurs homologues canadiens. Toutefois, cet écart se rétrécit et
passe à 78 % après 11 à 15 ans au Canada. Les cohortes plus récentes d’immigrants ont connu
55
Tableau 1 – Taux d’emploi et proportion de travailleurs à plein temps et à l’année, selon le statut d’immigration,
population âgée entre 25 et 54 ans
Homme
1981
1991
Femme
2001
1981
1991
2001
% ayant un emploi quelconque
Non-immigrant
9
8
8
5
7
7
≤ 5 ans*
9
7
7
6
6
5
6 -10 ans
9
8
8
6
6
6
11-15 ans
9
8
8
6
7
7
16 -20 ans
9
8
8
6
7
7
% ayant un emploi à plein temps et à l’année
Non-immigrant
3
3
3
1
2
2
≤ 5 ans
3
3
2
1
2
1
6 -10 ans
3
3
3
2
2
2
11-15 ans
3
3
3
2
2
2
16 -20 ans
3
3
3
2
2
2
Source : Recensements de 1981, 1991 et 2001 * Les personnes qui ont immigré au Canada au cours de l’année du recensement ou l’année précédente ont été exclues.
Troisièmement, les nouveaux entrants sur le marché
du travail canadien ont connu une détérioration de leur
situation d’emploi au cours des années 1980 et 1990. Les
nouveaux immigrants font partie de ce bassin de nouveaux
entrants, de même que les jeunes et les autres personnes
qui retournent travailler. Les résultats de l’étude menée
par Green et Worswick (2004) indiquent qu’entre le début
des années 1980 et la fin des années 1990, plus du tiers de
la baisse totale des gains des immigrants à leur entrée sur
le marché du travail était attribuable à la détérioration
globale du rendement des nouveaux entrants.
Enfin, il se pourrait que l’augmentation spectaculaire
du nombre de Canadiens ayant un niveau de scolarité
élevé ait eu des répercussions négatives sur les perspectives économiques des immigrants. Entre 1980 et 2000, le
nombre de femmes sur le marché du travail ayant un
diplôme universitaire a quadruplé et le nombre d’hommes
ayant un diplôme a plus que doublé. De plus, il n’y a eu
aucune pénurie générale de travailleurs ayant un niveau
de scolarité élevé au cours de cette période, à l’exception
de quelques professions bien précises (Gingras et Roy,
2000). Reitz (2001) soutient que, malgré l’augmentation
du niveau de scolarité des immigrants, leur avantage
économique relatif a diminué. En d’autres mots, les immigrants très instruits qui sont sur le marché du travail
doivent faire concurrence à un nombre grandissant de
travailleurs canadiens tout aussi instruits. Dans un marché
aussi compétitif, même les différences marginales sur le
plan de la qualité de l’éducation, des aptitudes en matière de
langue et de communication ou des normes culturelles
pourraient avoir des répercussions sur la situation d’emploi.
des écarts encore plus grands à leur arrivée. Même si
ces derniers ont atteint assez rapidement la parité
des gains avec les travailleurs nés au Canada, ils ont dû
travailler très fort pour y parvenir.
Les chercheurs attribuent la détérioration de la situation
des immigrants sur le marché du travail à quatre facteurs
connexes (Picot, 2004). Premièrement, le fait que les pays
sources d’immigrants ne soient plus l’Europe et les ÉtatsUnis, mais plutôt d’autres régions, peut expliquer les récentes
tendances (Aydemir et Skuterud, 2004 ; Bloom, Grenier et
Gunderson, 1995 ; Picot et Hou 2003). Il se peut que les
immigrants en provenance de pays autres que les États-Unis
et l’Europe aient des gains inférieurs parce qu’ils possèdent
moins de compétence polyvalentes et de titres de compétences et en raison de difficultés potentielles liées à la langue,
à la culture, à la qualité de l’éducation, aux réseaux et peutêtre à la discrimination (Bloom, Grenier et Gunderson,
1995 ; Sweetman, 2003).
Deuxièmement, des études démontrent que la
détérioration des gains des immigrants serait surtout attribuable à la diminution des avantages de l’expérience acquise
à l’étranger et des titres de compétences étrangers. La
diminution des avantages de l’expérience acquise à
l’étranger n’a pas vraiment affecté les immigrants en
provenance de l’Europe et des États-Unis, mais a surtout
affecté les immigrants en provenance d’autres pays
(Aydemir et Skuterud, 2004 ; Green et Worswick, 2004).
Ratio des revenus:
Immigrants / Non-immigrants
Graphique 1 – Comparaison entre le revenu des
immigrants et celui de Canadiens
comparables
1,0
Faible revenu et répartition des revenus
0,9
0,8
Comme les gains représentent la principale source de
revenu de la plupart des familles, il n’est pas étonnant de
constater qu’une baisse du taux d’emploi et des gains
entraîne une augmentation du taux de faible revenu chez
les immigrants (Picot, 2004). Chez les immigrants vivant
au Canada depuis 10 ans ou moins, le pourcentage d’entre
eux ayant un faible revenu est passé de 23 % à 35 % entre
Cohorte de :
1975-1979
1980-1984
1986-1989
1990-1994
1995-1999
0,7
0,6
0,5
1-5
6-10
11-15
16-20
CITC
Nombre d’années depuis l’immigration
56
1980 et 2000 (Heisz et McLeod, 2004). Cette tendance à la
hausse était généralisée et touchait les immigrants de tous
les groupes d’âge, tous les types de familles, tous les
niveaux de scolarité et tous les niveaux linguistiques
déclarés (Picot et Hou, 2003). De plus, malgré les prétendues possibilités offertes par l’« économie axée sur le
savoir », le fait de posséder un diplôme universitaire n’a
nullement protégé les nouveaux immigrants du risque
accru qu’ils touchent un faible revenu, peu importe leur
domaine d’études. En effet, la différence la plus marquée
du taux de faible revenu entre les Canadiens et les
nouveaux immigrants se situait chez les diplômés
universitaires, particulièrement ceux ayant un diplôme en
génie et en sciences appliquées. En ce qui a trait aux
régions sources, la hausse du taux de faible revenu était
particulièrement marquée chez les nouveaux immigrants
en provenance d’Afrique, d’Asie et d’Europe du Sud
(Picot et Hou, 2003).
La majorité des immigrants qui arrivent au Canada
vont s’établir dans les grands centres urbains. En effet, près
des trois quarts d’entre eux vont s’établir à Montréal, à
Toronto ou à Vancouver (Schellenberg, 2004). Dans
ces centres, les nouveaux immigrants constituent une
portion importante de la population à faible revenu. En
2001, les nouveaux immigrants représentaient 17 % de la
population totale à Toronto et à Vancouver, mais environ
32 % de la population à faible revenu (Heisz et McLeod,
2004). À Montréal, ils représentaient 6 % de la population
totale, mais 14 % de la population à faible revenu. De plus,
des études récentes ont fait état de la pression accrue
qu’exerce la hausse du taux de faible revenu chez les nouveaux immigrants sur le taux de faible revenu en général.
Elles ont également indiqué que les « quartiers à faible
revenu » sont de plus en plus constitués de nouveaux
immigrants (Heisz et McLeod, 2004 ; Picot et Hou, 2003).
L’examen de la distribution des immigrants dans
les quintiles de revenu permet d’obtenir une perspective
plus générale relativement à leur bien-être financier. Aux
fins de l’établissement des quintiles de revenu, toutes
les familles canadiennes dont le chef est âgé entre 25 et
54 ans ont été classées par ordre croissant en fonction
de leur revenu total. Par la suite, elles ont été divisées en
cinq groupes – celles se situant dans les 20 % des revenus
les plus faibles de la distribution des revenus, celles se
situant dans les 20 % des revenus les plus élevés et celles
se situant dans les trois groupes du milieu. En 1980, 18 %
des familles de nouveaux immigrants appartenaient au
quintile inférieur et 16 % appartenaient au quintile
supérieur. En d’autres mots, elles étaient sous-représentées
aux niveaux inférieur et supérieur de la distribution des
revenus et étaient plutôt concentrées dans le milieu (voir le
Graphique 2a). À partir de 1990 et de 2000, les familles de
nouveaux immigrants étaient de plus en plus concentrées
dans les deux quintiles inférieurs et étaient de plus en
plus sous-représentées au niveau supérieur. La situation
était manifestement la même chez les familles d’immigrants qui vivaient au Canada depuis 11 à 19 ans (voir le
Graphique 2b). Cependant, bien que ces graphiques
illustrent une détérioration importante de la situation
financière relative des immigrants, ils démontrent
également que bon nombre d’immigrants sont parvenus
Graphique 2a – Immigrants vivant au Canada depuis
10 ans ou moins : Distribution dans
les quintiles de revenu familial
35 %
30 %
25 %
20 %
15 %
10 %
5%
0%
1980
1990
2000
Graphique 2b – Immigrants vivant au Canada depuis
11 à 19 ans : Distribution dans les
quintiles de revenu
35 %
30 %
25 %
20 %
15 %
10 %
5%
0%
1980
Quintile inférieur
1990
2e
3e
2000
4e
Quintile supérieur
à atteindre le milieu ou même le niveau supérieur de la
distribution des revenus au Canada.
Accumulation de la richesse
Le bien-être financier peut se mesurer non seulement
en fonction des gains et du revenu touchés au cours d’une
année donnée, mais également en fonction des biens ou
des richesses que possèdent une personne et une famille.
L’accession à la propriété est également un facteur important dont il faut tenir compte. Haan (2005) rapporte que
le taux d’accession à la propriété a baissé chez les cohortes
successives d’immigrants dans les sept centres urbains en
importance au Canada. Toutefois, il existe des variations
considérables de ce taux parmi les immigrants en provenance de différents pays sources et parmi ceux qui résident
dans différents centres urbains. En ce qui a trait à l’accès
au logement, la Société canadienne d’hypothèques et de
logement rapporte que les nouveaux immigrants comptent parmi les groupes les plus susceptibles d’avoir des
« besoins impérieux de logement », définis comme l’incapacité d’accéder à un logement abordable, en bon état et
comptant un nombre suffisant de chambres à coucher
compte tenu de la taille et de la composition du ménage
(Engeland et coll., 2005). Comme c’est le cas pour d’autres
mesures, plus les immigrants sont au Canada depuis longtemps et plus le risque qu’ils aient un besoin impérieux de
logement diminue.
Si l’on regarde les biens de façon plus générale, les
différences se sont accrues entre les familles de Canadiens
57
et celles d’immigrants. La richesse moyenne des familles
canadiennes a augmenté de 37 % entre 1984 et 1999, mais
elle a diminué de 16 % chez les familles d’immigrants qui
vivaient au Canada depuis moins de 10 ans (Morissette,
Zhang et Drolet, 2002). De plus, l’augmentation globale
de l’inégalité manifeste du revenu et de la richesse au
Canada dans les années 1980 et 1990 est en partie attribuable à la baisse des gains des nouveaux immigrants
(Moore et Pacey, 2003 ; Morissette, Zhang et Drolet, 2002).
Références
AYDEMIR, Abdurrahman et Mikal SKUTERUD. Explication de la détérioration des gains au niveau d’entrée des cohortes d’immigrants au Canada,
1966-2000, Statistique Canada, Direction des études analytiques,
Documents de recherche, no 225, Ottawa, 2004.
BLOOM, David E., Gilles GRENIER et Morley GUNDERSON. « The
changing labour market position of Canadian immigrants », Canadian
Journal of Economics = Revue canadienne d’économique, no 28 (1995),
p. 987-1005.
ENGELAND, John, Roger LEWIS, Steven EHRLICH et Janet CHE. Évolution
des conditions de logement dans les régions métropolitaines de recensement
au Canada, 1991-2001, Tendances et conditions dans les régions
métropolitaines de recensement no 005, Statistique Canada, no 89-613
au catalogue, Ottawa, 2005.
Mot de la fin
Bien des études ont fait état de la détérioration de la
situation des nouveaux immigrants sur le marché du travail vers la fin des années 1980 et 1990. Cette détérioration a
continué malgré l’amélioration des conditions macroéconomiques à la fin des années 1990 et l’augmentation
du niveau d’instruction des immigrants. Plusieurs
recherches se sont intéressées aux facteurs associés à cette
détérioration, notamment aux changements dans les pays
sources d’immigrants et la composition sociodémographique, à la diminution des avantages de l’expérience
de travail acquise à l’étranger, à la détérioration globale
de la situation des nouveaux entrants sur le marché du
travail ainsi qu’à l’augmentation de la concurrence que
livrent les Canadiens très instruits aux immigrants. Il
reste cependant quantité de choses à apprendre au sujet
des différences individuelles chez les immigrants.
Pourquoi les immigrants ayant des attributs sociodémographiques différents obtiennent-ils des résultats
différents ? Pourquoi les immigrants possédant des
caractéristiques similaires connaissent-ils des expériences
différentes en matière d’intégration économique ? La
création de nouvelles sources de données, telles que
l’Enquête longitudinale auprès des immigrants du
Canada, menée par Statistique Canada, permettra de
jeter une lumière nouvelle sur ces questions.
Le piètre rendement des nouveaux immigrants sur le
marché du travail n’est pas seulement lié aux politiques en
matière de sélection et d’établissement des immigrants,
mais également à des questions beaucoup plus générales
en matière de cohésion sociale et d’exclusion.
FRENETTE, Marc et René MORISSETTE. Convergeront-ils un jour ? : les
gains des travailleurs immigrants et de ceux nés au Canada au cours des
deux dernières décennies, Statistique Canada, Direction des études
analytiques, Documents de recherche no 215, Ottawa, 2003.
GINGRAS, Yves et Richard ROY. « Is There a Skill Gap in Canada ? »
Canadian Public Policy = Analyse de politiques, vol. 26, no 1 (2000),
p. 5159-5174.
GREEN, David et Christopher WORSWICK. « Gains des immigrants
de sexe masculin au Canada : effets de l’intégration au marché du travail
et avantages de l’expérience acquise à l’étranger », Département
d’économie, University of British-Columbia, 2004.
HAAN, Mike. The Homeownership Hierarchies of Canada and the United
States : Comparing the Housing Patterns of White and Non-White
Immigrants of the Past Thirty Years, Statistique Canada, Direction de
études analytiques, Documents de recherche, Ottawa, 2005.
HEISZ, Andrew et Logan McLEOD. Faible revenu dans les régions
métropolitaines de recensement, Tendances et conditions dans les régions
métropolitaines de recensement no 001. Statistique Canada, no 89-613
au catalogue, Ottawa, 2004.
MOORE, Eric et Michael PACEY. « Changing income inequality and
immigration in Canada, 1980-1995 », Canadian Public Policy = Analyse
de politiques, vol. 29 (2003), p. 33-52.
MORISSETTE, René, Xuelin ZHANG et Marie DROLET. L’évolution de
l’inégalité de la richesse au Canada, 1984-1999, Statistique Canada,
Direction des études analytiques, Documents de recherche no 187,
Ottawa, 2002.
PICOT, Garnett. « The Deteriorating economic welfare of Canadian
immigrants », Canadian Journal of Urban Research, vol. 13, no 1 (2004),
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PICOT, Garnett et Feng HOU. La hausse du taux de faible revenu chez
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REITZ, Jeffrey. « Immigrant Success in the Knowledge Economy :
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CITC
SWEETMAN, Arthur. Immigrant Source Country School Quality and Canadian
Labour Market Outcomes. Queen’s University, School of Policy Studies,
2003.
58
FACTEURS INFLUANT SUR LA
SITUATION ÉCONOMIQUE ET
SOCIALE DES IMMIGRANTS
Le Canada en ce nouveau millénaire
RÉSUMÉ
Les répercussions de la restructuration mondiale sur la société et l’économie canadiennes sont telles
que les marchés canadiens sont de plus en plus réceptifs aux processus mondiaux de production et
à la répartition internationale de la main-d’œuvre. Pourtant, selon des indicateurs sociaux clés,
comme la pauvreté, la participation au marché de l’emploi, les taux de chômage, la ségrégation
sectorielle et professionnelle et le statut de santé, le statut socioéconomique des immigrants est
clairement en déclin. L’auteure soutient que pour inverser cette tendance, il faudra des mesures politiques
pour confronter la crise sociale et économique associée au déclin du statut socioéconomique des
immigrants récents.
La condition changeante de l’expérience des immigrants du Canada en ce nouveau millénaire
GRACE-EDWARD GALABUZI
Ryerson University
La société canadienne connaît de profonds changements en ce début de millénaire. Les
répercussions de la restructuration mondiale sur la société et l’économie canadiennes sont telles que
les marchés canadiens sont de plus en plus réceptifs aux processus mondiaux de production et la répartition internationale de la main-d’œuvre. Le marché du travail canadien est « mondialisé » par
l’arrivée de nouveaux immigrants, en particulier de l’hémisphère Sud, qui sont nombreux à fuir les
conditions politiques et économiques résultant de la restructuration mondiale dans leurs régions
d’origine, alors que la mondialisation déstabilise les sociétés, entraîne l’affaiblissement des économies
et contraint de nombreuses personnes talentueuses à partir ailleurs, à la recherche de nouvelles
possibilités et de stabilité. Pourtant, une fois arrivés au Canada, plusieurs immigrants ont découvert
une société et un marché du travail confrontés à des forces similaires de restructuration. Celles-ci se
sont combinées aux structures historiques de la discrimination sexuelle et raciale et font en sorte
qu’un grand nombre de ces immigrants, appartenant pour la plupart à des groupes racialisés, sont
au Canada aussi vulnérables que leurs prédécesseurs du siècle dernier et de plus en plus réduits à une
situation sociale et économique inférieure. Des indicateurs sociaux clés tels que les taux de pauvreté,
de participation au marché du travail, de chômage, de ségrégation sectorielle et professionnelle et
d’état de santé indiquent que la situation économique et sociale des immigrants récents est en baisse.
La progression des immigrants récents est souvent mesurée par leur capacité d’atteindre la parité
salariale avec les autres Canadiens en un temps raisonnable. Cette forme d’assimilation
socioéconomique est utilisée pour déterminer le succès de l’intégration des immigrants dans la
société canadienne. Historiquement, la majorité des immigrants atteignaient un certain degré de
réussite économique dans le marché du travail canadien. En effet, de nombreux immigrants qui
débutaient avec des salaires moins élevés que les travailleurs nés au Canada dotés de compétences
comparables parvenaient éventuellement à rattraper ces derniers; pour ceux dotés de compétences
limitées, cela pouvait prendre une dizaine d’années, tandis que les diplômés universitaires y
arrivaient en deux ans. Souvent, alors que la durée de résidence au Canada augmentait, les salaires
dépassaient ceux des travailleurs nés au Canada et leur situation professionnelle commençait à
correspondre à celle des travailleurs nés au Canada (Harvey et Siu, 2001 ; Reitz, 2001).
Donc, pour les immigrants, la participation au marché du travail est essentielle à l’intégration,
à la formation de l’identité, à la capacité de revendiquer un sentiment d’appartenance et, en fin de
compte, à la citoyenneté entière. Plus spécifiquement peut-être, elle est essentielle à leur recherche
d’un moyen de subsistance. Cependant, à la fin du 20e siècle et au début de ce millénaire, lorsque les
sources du mouvement de l’immigration ont par coïncidence changé de l’Europe à l’Asie, l’Afrique,
le Moyen-Orient, l’Amérique latine et les Caraïbes, le processus normal de l’intégration a commencé à
faiblir pour un trop grand nombre d’immigrants (DeVoretz, 1995 ; Pendakur, 2000 ; Worswick,
2004). Les données nationales montrent que les immigrants arrivés depuis 1980 sont bloqués de
59
CITC
cherchant à maximiser les avantages qu’ils tirent du marché
façon disproportionnée en bas de l’échelle économique,
du travail ne peut pas être soutenu car les hiérarchies raciales
sur le plan du revenu, de l’emploi, de l’accès aux secteurs
et sexuelles ont toujours influé sur l’attribution des emplois
et emplois mieux payés et du statut professionnel (Frenette
qui étaient ouverts aux nouveaux arrivants au Canada.
et Morissette, 2003 ; Picot et Hou, 2003). Pour un
C’est pourquoi de nombreux professionnels immigrants
trop grand nombre d’immigrants récents, avoir un emploi
finissaient par travailler comme domestiques, concierges,
stable et régulier est devenu particulièrement difficile et
chauffeurs de taxi, aides-soignants, et autres emplois du
leur expérience sur le marché du travail est de plus en plus
genre. En fait, c’est une combinaison de facteurs qui offre la
caractérisée par des niveaux élevés de précarité, les mainmeilleure explication des conditions de plus en plus
tenant de façon disproportionnée dans des emplois peu
observées comme typiques de l’expérience des immigrants
rémunérés, à temps partiel, temporaires, précaires et avec
au Canada en ce nouveau millénaire
de mauvaises conditions de travail.
(Grant et Oertel, 1998).
L’impact sur leur situation économique
L’immigration
et sociale n’est pas difficile à imaginer :
représentait plus
elle est de plus en plus définie par une
La population changeante du
exposition disproportionnée à un faible
Canada et les implications de cette
de 50 % de la
revenu, à la pauvreté et à un état de santé
évolution sur le marché du travail
croissance nette
qui régresse. Ces conditions équivalent à
L’importance de notre intérêt
de la population
une exclusion sociale accrue pour des
pour la question de la régression de
segments entiers d’immigrants récents,
la situation économique et sociale des
et 70 % de la
perturbant les aspirations de bonne intéimmigrants peut être liée au fait que
croissance de la
gration tant chez les nouveaux arrivants
l’immigration représentait plus de 50 %
que dans la société d’accueil.
de la croissance nette de la population
population active
Les analyses courantes qui tentent
et 70 % de la croissance de la population
durant la première
d’expliquer l’émergence de ces expériactive durant la première moitié des
ences plus difficiles sur le marché du
années 1990 (1991-96) et, d’après une
moitié des années
travail optent pour une explication néorécente étude de Ressources humaines
1990 (1991-96) et,
classique de la façon dont les marchés
et Développement des compétences
du travail opèrent. Ils procéderaient
Canada, on s’attend à ce qu’elle repréd’après une récente
de manière autonome afin d’optimiser
sente la quasi-totalité de la croissance
étude de Ressources
le capital humain disponible – les emnette de la population active canadienne
ployeurs seraient des agents rationnels qui
d’ici l’an 2011 (RHDCC, 2002). D’après
humaines et
recherchent une productivité optimale
le recensement de 2001, les immigrants
Développement des
dans la main-d’œuvre disponible. Ces
représentaient 18,4 % de la population
compétences
analyses laissent entendre que pour
canadienne, et ce taux devrait monter à
comprendre l’évolution du rendement
25 % d’ici 2015. À 18,4 %, l’immigraCanada, on
économique des immigrants récents, il
tion atteint sa plus grande proportion
s’attend à ce qu’elle
faut se concentrer sur un certain nombre
de la population canadienne en plus de
de facteurs clés, dont les suivants : change50 ans. À Toronto, la plus grande ville du
représente la
ments dans la demande de main-d’œuvre
Canada, plus de 25 % des élèves dans le
quasi-totalité de la
redevables à la restructuration, délai de
système scolaire sont arrivés au Canada
l’immigration ou période de séjour et
au cours des dix dernières années.
croissance nette de
faible capital humain (De Voretz, 1995 ;
Par ailleurs, en 2001, le Canada
la population active
Stoffman, 2002). De ce point de vue,
comptait quatre millions de membres
les caractéristiques des pays sources et le
de groupes racialisés, ou 13,4 % de la
canadienne d’ici l’an
caractère ethnique ou racial de l’immipopulation canadienne, soit une augmen2011 (RHDCC, 2002).
gration actuelle n’importent pas.
tation de 24,6 % depuis 1996. Cette
Il ne fait aucun doute que certains
augmentation a dépassé de loin le taux
des facteurs cités contribuent aux différences de revenu et
canadien de 3,9 % au cours de cette période de cinq ans. La
de situation professionnelle responsables de la situation
proportion des membres de groupes racialisés dans la
économique et sociale en régression des immigrants
population devrait monter à 20 % d’ici 2016. Une grande
récents, mais une analyse attentive montre que même
partie de cette augmentation peut être attribuée à l’immilorsqu’on contrôle les facteurs mentionnés ci-dessus, il
gration car le Canada a accueilli une moyenne annuelle de
subsiste des différences qui s’expliquent mieux lorsqu’on
près de 200 000 nouveaux immigrants et réfugiés durant les
considère la discrimination dans l’emploi comme un facteur
années 1990. Depuis les années 1970, un nombre accru
important (Akbari, 1999 ; Christofides et Swinsisky, 1994).
d’immigrants au Canada est venu d’Asie et du MoyenLa discrimination sexuelle et raciale dans l’emploi est un
Orient. Les immigrants nés en Asie représentent plus de la
facteur historique qui a toujours déterminé les modèles
moitié (57 %) des immigrants arrivés depuis 1991i.
d’incorporation de la main-d’œuvre immigrante dans
C’est en grande majorité dans les trois plus grandes
le marché du travail canadien. L’argument voulant que
zones urbaines du Canada – Toronto, Vancouver et Montréal –
les employeurs ne peuvent pas se permettre de faire de
que les changements dans la composition de l’immila discrimination parce qu’ils sont des acteurs rationnels
gration ont été le plus ressentis. Les immigrants récents ont
60
salaires et mettant la main-d’œuvre en concurrence, elle a
provoqué des migrations mondiales et a réordonné la
division mondiale de la main-d’œuvre, créant sur le marché
du travail canadien des conditions de plus en plus similaires
aux conditions typiques de l’hémisphère Sud. Des
conditions d’emploi précaire, des modalités de travail
intensifiées, une exploitation intensifiée de la maind’œuvre et des niveaux élevés de flexibilité dans le
déploiement de la main-d’œuvre visant à satisfaire la
tendance du capital mondial à désinvestir là où les conditions ne sont pas très favorables. Toutes ces conditions
sont là pour accueillir les immigrants dès leur arrivée
Anciennes et nouvelles sources d’inégalités dans le
au Canada. Cette situation crée une sorte de phénomène
marché du travail canadien
de « Sud au Nord », qui se soldent par
Les nouveaux immigrants sont
une situation économique et sociale en
confrontés à des formes persistantes
L’augmentation de
régression, car les conditions d’emploi
d’exclusion et à de nouveaux impératifs
parti-culières, les contrats, le temps
économiques qui génèrent un accès
l’immigration en
partiel, le travail temporaire et les
inégal à l’emploi et à la rémunération et
provenance de
emplois multiples – souvent obtenus par
se combinent pour accroître les niveaux
l’hémisphère Sud,
l’intermédiaire d’agences de placement
d’inégalité que connaissent les immiqui paient le travailleur une fraction de
grants récents dans le marché du travail.
la déréglementation
la rémunération qu’elles obtiennent
Ceux-ci comprennent les répercussions
du marché du
de la société contractante – deviennent
des processus de mondialisation, les
de plus en plus la norme, du moins
processus historiques de discrimination
travail, le déploiedans certains centres urbains et dans
raciale et les obstacles à l’accès aux proment flexible de la
certains secteurs.
fessions et aux métiers. De plus en plus,
Donc, les forces et les événements
les expériences racialisées sur le marché
main-d’œuvre et la
mondiaux ont autant de poids que les
du travail sont caractérisées par :
précarité vont
considérations nationales dans notre
• la ségrégation dans le marché du
compréhension de la récente évolution
travail ;
de pair avec la
de la situation économique et sociale des
• un accès inégal à l’emploi ;
discrimination
immigrants. L’augmentation de l’immi• une surreprésentation dans les
gration en provenance de l’hémisphère
secteurs et emplois à faible revenu ;
raciale et sexuelle
Sud, la déréglementation du marché du
• une sous-représentation dans les
historique et
travail, le déploiement flexible de la
secteurs et emplois à revenu élevé ;
le retrait de l’Étatmain-d’œuvre et la précarité vont de
• des inégalités de revenu ;
pair avec la discrimination raciale et
• des taux de chômage et de sousprovidence pour
sexuelle historique et le retrait de l’Étatemploi plus élevés que la moyenne.
expliquer les
providence pour expliquer les niveaux
élevés de pauvreté chez les immigrants
La mondialisation, la déréglemenniveaux élevés
récents. L’emploi précaire est généraletation du marché du travail, les flux
de pauvreté chez
ment défini par des conditions telles
d’immigration et la situation sociale
qu’une faible rémunération, l’absence de
et économique en régression des
les immigrants
sécurité de l’emploi, de mauvaises et
immigrants récents
récents.
souvent de dangereuses conditions de
Pour tenter de comprendre les
travail, des horaires de travail intensifiés,
causes et la signification de ces faits, il
des heures de travail excessives, peu ou pas d’avantages
peut être utile de chercher à comprendre pourquoi ces
sociaux, et peu ou pas de contrôle sur le travail dans le
changements importent. Qu’est-ce qui est différent entre
milieu de travail pour les travailleurs. L’emploi précaire
cette vague d’immigration et les précédentes ? Peut-être
réduit les salaires dans les secteurs dans lesquels il se
que le changement le plus critique réside autant dans les
généralise. Les travailleurs immigrants récents, en particonditions dans lesquelles elle se produit que dans le
culier les femmes, sont représentés de façon disproporcaractère de l’immigration. Les conditions sont de plus en
tionnée dans les emplois et les secteurs qui dépendent
plus dictées par un mode d’organisation économique
fortement de conditions de travail précaires (tels que le
mondial, souvent appelé mondialisation. La restructuracommerce et le détail, l’accueil et les autres industries de
tion économique néo-libérale imposée par les séries
service, l’industrie légère, le textile et le vêtement, le travail
successives d’accords de libre-échange et par les processus
domestique), ainsi que dans les emplois très précaires de
plus larges de mondialisation a intensifié l’impact des
faible statut (comme le travail manuel, la vente, les
processus historiques qui s’appliquent à la main-d’œuvre
emplois de bureau, les emplois de concierge, la restauracialisée. De la même manière que la mondialisation a
ration, la récolte, les soins de santé du bas de l’échelle,
perturbé le marché du travail canadien avec les exigences
le travail domestique).
de déploiement flexible de la main-d’œuvre, abaissant les
transformé ces zones en divers centres culturels et leurs
contributions accrues à la vie et à l’économie de villes telles
que Toronto ont conduit de nombreux Torontois à déclarer
que la diversité constitue la force de leur ville. En 2001,
quatre immigrants récents au Canada sur dix se sont établis
dans la RMR de Toronto, et 60 % d’entre eux venaient d’Asie
et du Moyen-Orient. L’autre région qui attire fortement les
immigrants récents est Vancouver, qui a reçu 18 % des
immigrants récents au Canada entre 1991 et 1996, et 80 %
d’entre eux étaient nés en Asieii.
61
Situation des immigrants et discrimination raciale
dans l’emploi
Tableau 1 : Taux de participation au marché du
travail des immigrants, des non-immigrants et des
minorités visibles (%).
La discrimination raciale dans l’emploi reste un
obstacle à l’accès à un emploi à temps plein et sûr dans
les secteurs bien payants de l’économie, exacerbant les
vulnérabilités imposées par la mondialisation. La plupart
des postes continuent d’être pourvus par le bouche-àoreille ou par les marchés du travail internes qui tendent
à reproduire la composition du milieu du travail.
De façon surprenante, après 17 ans de Loi fédérale sur
l’équité en matière d’emploi, la composition de la fonction
publique fédérale n’a pas changé de façon à refléter la
population qu’elle sert (rapport du Groupe de travail
fédéral sur les minorités visibles dans la fonction
publique, 2000).
Les résultats économiques établis peuvent être
attribués à des pratiques discriminatoires systémiques sur
le plan racial telles que :
• un traitement différent pour le recrutement,
l’embauche et la promotion ;
• la fréquente utilisation de formes de recrutement
non transparentes telles que le bouche-à-oreille, qui
reproduit et renforce les réseaux existants ;
• l’évaluation différente ou la dépréciation des titres
de compétences obtenus à l’étranger ;
• l’utilisation du statut d’immigrant comme indicatif
d’une moindre qualité de capital humain.
1981
1991
2001
Main-d’œuvre totale
75,5
78,2
80,3
Canadiens de naissance
74,6
78,7
81,8
Tous les immigrants
79,3
77,2
75,6
Immigrants récents
75,7
68,6
65,8
Minorités visibles
S/O
70,5
66,0
Source : Statistique Canada, 2003 : Profil changeant de la population active
du Canada et The Conference Board of Canada, avril 2004, Making a
Visible Difference – The Contribution of Visible Minorities to Canadian
Economic Growth.
Tableau 2 : Taux de chômage des immigrants, des
non-immigrants et des minorités visibles (%).
1981
1991
2001
Main-d’œuvre totale
5,9
9,6
6,7
Canadiens de naissance
6,3
9,4
6,4
Tous les immigrants
4,5
10,4
7,9
Immigrants récents
6,0
15,6
12,1
Minorités visibles
S/O
S/O
12,6
Source : Statistique Canada, recensement de 2001, Série « Analyses ».
Profil changeant de la population active du Canada, 11 février 2000 et
Rapport statistique sur l’équité en matière d’emploi de 2001,
Développement des ressources humaines Canada.
Des taux plus élevés de chômage et de sous-emploi
Les données relatives au chômage et à la participation au marché du travail montrent que, contrairement
aux phases antérieures d’immigration, il y a eu une
tendance à la baisse de l’accès à l’emploi des immigrants
au cours des 20 dernières années. La croissance du
chômage et la diminution de la participation au marché
du travail coïncident avec le début de l’immigration
intensive en provenance de l’hémisphère Sud. Ils reflètent
l’impact double des vulnérabilités résultant de la restructuration néo-libérale et de la persistance de la discrimination raciale dans l’emploi.
Ces tendances troublantes ne peuvent pas être
expliquées par une disparité du niveau d’instruction,
entre les taux moyens des Canadiens et des immigrants
récents et membres des groupes racialisés. Certains ont
laissé entendre que la plus faible qualité du capital
humain des immigrants racialisés serait responsable de
la situation économique et sociale en régression des
immigrants récents. Pourtant, en partie en raison d’un
processus de sélection plus restrictif, les immigrants
arrivent avec des niveaux d’instruction plus élevés que les
Canadiens. En 1998, chez les immigrants racialisés ayant
fait des études universitaires, le taux de chômage était
de 10,4 % par rapport à 6,6 % chez les immigrants
non racialisés et 4,2 % chez les Canadiens de naissance
non racialisés.
Il ne fait aucun doute que lorsqu’on compare le
taux de chômage de 29,7 % chez ceux qui sont arrivés
au Canada en 2001 avec la moyenne nationale de 7,4 %,
on peut affirmer sans risque de se tromper que l’effet
d’adap-tation explique une partie de la différence.
Toutefois, les tendances montrent une baisse générale
de la capacité des immigrants racialisés de tirer profit de
leur investissement dans l’éducation.
Gaspillage de cerveaux : immigrants récents et
niveau d’instruction
Le niveau d’instruction est de moins en moins
un paramètre de prévision automatique de la situation
professionnelle et du revenu lorsqu’il s’agit des groupes
d’immigrants. D’après une étude menée en 1999 par
A. Akbari sur la « qualité » des immigrants qui sont
arrivés durant les 9 périodes allant de 1956 à 1994, le
pourcentage de ceux qui n’ont pas fait d’études
secondaires a baissé et il est plus faible que celui de la
population canadienne durant toutes ces périodes, et
le pourcentage des diplômés universitaires a augmenté,
dépassant le niveau de la population canadienne générale.
Cependant, les études montrent que leur avantage
d’instruction ne se traduit pas dans des revenus et
professions comparables (Li, 2001).
Tableau 3 : Éducation postsecondaire chez les
immigrants (%).
Groupe
Université
Collège
Métiers
Total
Imm. depuis 1970
22,5
12,1
14,0
48,4
Imm. depuis 1980
25,5
12,5
10,9
48,6
Imm. depuis 1990
40,7
12,7
7,57
60,9
Total Canada, 2001
22,2
17,9
12,9
53,4
CITC
Source : Statistique Canada, 2001 Série « Analyses », L’éducation au
Canada : viser plus haut (11 mars 2003).
62
appelé racialisation de la pauvreté. La racialisation de la
pauvreté est liée au processus d’accroissement de l’exclusion sociale des immigrants et des communautés racialisées
qui découle de la concentration du pouvoir économique,
social et politique. C’est particulièrement le cas dans le
Canada urbain.
Certaines des plus fortes augmentations de taux de
faible revenu au Canada ont été observées chez les immigrants récents. L’augmentation des taux de faible revenu
chez les groupes successifs d’immigrants a presque doublé
entre 1980 et 1995, connaissant une pointe à 47 % avant
de diminuer à la fin des années 1990.
En 1980, 24,6 % des immigrants arrivés durant la
précédente période de cinq ans vivaient au-dessous du
seuil de pauvreté. En 1990, le taux de faible revenu chez
les immigrants récents est monté à 31,3 % et il a encore
grimpé à 47,0 % en 1995. Le taux est redescendu à 35,8 % en
2000 (Picot et Hou, 2003). La trajectoire traditionnelle qui a
vu les immigrants rattraper les autres Canadiens avec le
temps semble avoir été inversée dans le cas des immigrants racialisés.
Fait alarmant, bien que le taux de faible revenu chez
les immigrants récents ne détenant pas de diplôme
d’études secondaires ait augmenté de 24 % entre 1980 et
2000, le taux de faible revenu a augmenté de 50 % chez les
diplômés de l’enseignement secondaire et d’un taux
record de 66 % chez les immigrants détenant un diplôme
universitaire ! (Frenette et Morissette, 2003)
Pourtant, d’autres données montrent que les revenus
d’emploi à temps plein des hommes ayant récemment
immigré ont chuté de 7 % entre 1980 et 2000. Or, ceux de la
cohorte des Canadiens de naissance ont augmenté de 7 %.
Chez les diplômés universitaires, la chute a été plus importante (13 %). Chez les immigrantes récentes, les revenus
d’emploi à temps plein ont augmenté mais moins que ceux
des autres femmes (23 800 $ à 26 800 $ comparativement à
28 800 $ à 34 400 $ ; et dans les cohortes des diplômées universitaires, 32 7000 $ à 34 700 $ comparativement à 45 200 $
à 50 000 $) (Frenette et Morissette, 2003 ; Picot et Hou, 2003).
Cet écart dans les compétences et la rémunération
est probablement largement lié aux obstacles que rencontrent
de nombreux immigrants pour faire reconnaître au Canada
leurs titres de compétences professionnels et de métiers. Il y a
un coût associé à cet écart dans le niveau d’instruction et le
revenu d’emploi. Ce sont les individus, leurs familles et
l’économie canadienne qui font les frais de cette perte. Les
aptitudes de ceux qui ne sont pas intégrés dans leur domaine
de compétence se dégradent avec le temps et les études
montrent qu’au bout de 3 ans, 90 % d’entre eux ne retournent
pas à la profession pour laquelle ils ont été formés.
Selon le rapport du Conference Board of Canada
publié en 2001, la perte annuelle de revenus estimés due à
la non-accréditation est de l’ordre de 8 000 $ à 12 000 $ ou
de 4,1 à 5,9 milliards de dollars par an (Conference Board
of Canada, 2001). Une autre étude menée par Reitz
indique que les estimations sont plus élevées, soit d’environ
55 milliards de dollars par an (Reitz, 2001).
Racialisation et choix d’un quartier dans le
Canada urbain
Conséquences matérielles de la restructuration
et de la discrimination persistante
La racialisation de la pauvreté a également eu un
impact considérable sur le choix d’un quartier et sur
l’accès à un logement adéquat pour les nouveaux immigrants et les groupes racialisés. Dans les centres urbains du
Canada, la concentration spatiale de la pauvreté ou de la
ségrégation résidentielle s’intensifie avec l’appartenance
raciale. À Toronto comme à Montréal, les immigrants
sont plus susceptibles que les non-immigrants de vivre
dans des quartiers où les taux de pauvreté sont élevés.
Les jeunes immigrants qui vivent dans des zones à
faible revenu sont souvent confrontés à l’aliénation de
leurs parents et de leur communauté d’origine, ainsi que
de la société plus large. Les services sociaux dont ils ont
besoin pour faire face à ce bouleversement sont insuffisants,
les logements offerts sont souvent inférieurs aux normes
ou, lorsqu’il s’agit de logements sociaux, ils sont très mal
entretenus en raison des compressions budgétaires, et ces
jeunes immigrants sont confrontés aux problèmes du
chômage, du désespoir et de la violence. Ils se retrouvent en
contact disproportionné avec le système de justice pénal.
La mondialisation, la discrimination dans l’emploi
et les obstacles à l’accès aux professions et aux métiers dont
nous avons parlé ci-haut ont eu de réelles répercussions sur
les expériences vécues par les immigrants récents. Tous ces
éléments concourent à imposer une vulnérabilité disproportionnée à un faible revenu et aux manifestations connexes
d’exclusion sociale, comme le choix d’un quartier pauvre et
des risques élevés pour la santé, entre autres.
Les conséquences matérielles de ces phénomènes
sont telles que les nouveaux immigrants ne connaissent
pas les mêmes chances de réussite dans la vie :
• un écart du revenu racialisé à deux chiffres ;
• des niveaux de chômage chroniquement plus
élevés que la moyenne ;
• une participation au marché du travail soumise à
la ségrégation ;
• des niveaux de plus en plus élevés de pauvreté ;
• un accès moindre au logement et un choix de
quartier soumis à la ségrégation ;
• un contact disproportionné avec le système de
justice pénal ;
• des risques pour la santé plus élevés.
Tableau 4 : Les enclaves racialisées de la région de
Toronto et les taux de pauvreté élevés.
Diplôme
universitaire
Faible revenu et situation des immigrants :
la racialisation de la pauvreté
Les caractéristiques inégales de participation au
marché du travail et les vulnérabilités établies ci-dessus sont
telles que les immigrants récents connaissent des niveaux
disproportionnés de faible revenu. Ce phénomène a été
Faible
revenu
Parent
seul
Chinois
21,2 %
11,2 %
28,4 %
11,7 %
Asiatiques du Sud
11,8 %
13,1 %
28,3 %
17,6 %
8,7 %
18,3 %
48,5 %
33,7 %
Noirs
Source : Statistique Canada, 2003
63
Chômage
Conclusion
Références
La face changeante du Canada est liée à l’immigration,
en particulier de l’hémisphère Sud, et s’accompagne de
défis représentés par la régression de la situation sociale et
économique des nouveaux immigrants. Ces tendances
résultent des impératifs de la mondialisation, qui se
combinent aux structures historiques de discrimination
raciale et sexuelle pour intensifier les vulnérabilités des
nouveaux immigrants. Elles ne se renverseront pas si on
attend que le marché fasse des miracles. Il faudra des
mesures politiques pour faire face à la crise sociale et
économique associée à la régression de la situation
socioéconomique des immigrants récents. Il faudra que
les communautés et ceux qui portent un intérêt à la
justice sociale se mobilisent. Il faudra des mesures des
gouvernements fédéral et provinciaux pour la reconnaissance de la formation et de l’expérience acquises à
l’étranger, pour l’équité en matière d’emploi et pour la
création d’emplois, ainsi que des mesures du mouvement
des travailleurs pour assurer des niveaux plus élevés de
syndicalisation chez ceux qui sont employés dans des
secteurs et postes précaires afin qu’ils soient en mesure de
négocier des salaires équitables et des conditions de travail
sûres. Pour relever ces défis, il faudra des institutions
publiques et politiques représentatives, reflétant la diversité du Canada, en particulier dans les centres urbains.
AKBARI, A. H. « Immigrant ‘quality’ in Canada: more direct evidence of
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CITC
Notes
64
i
Statistique Canada, 2003 : Données du recensement de 2001.
ii
Ibid.
ETHNOGENÈSE
L’origine ethnique des immigrants et le développement
des clivages sociaux qui y sont associés
RÉSUMÉ
Le but de ce bref essai est de signaler que ni l’une ni l’autre des deux majorités fragiles au Canada n’a pris
de mesures considérables et décisives pour faciliter l’intégration des immigrants à la société canadienne.
Aujourd’hui, l’accent mis sur l’intégration des immigrants est principalement axé sur le capital humain et les
compétences linguistiques des immigrants. Peu d’attention est accordée à l’amélioration de la capacité des
conjoints et des enfants (la prochaine génération) à s’intégrer, si ce n’est l’offre de services publics qui ne sont
pas adaptés aux immigrants et à leurs enfants. Plus précisément, l’absence de politiques et de programmes
adaptés aux communautés ethniques a contribué à élargir l’écart entre les immigrants et la société en général
pour ce qui est des indicateurs sociaux et économiques de la qualité de vie.
A
J. S. FRIDERES
J. S. Frideres est professeur à la University of Calgary.
Il est aussi rédacteur en chef de la revue Études ethniques au Canada.
vant de traiter de la question de l’immigration et de l’ethnicité, nous devons clarifier
l’organisation sociale de la société canadienne. Tout d’abord, le Canada est un pays « à majorité divisée »
sur le plan ethnique, une situation qui mobilise l’attention des Canadiens depuis trois décennies.
L’organisation sociale unique du Canada est composée de deux « majorités », ce qui a mené à la fragilité sociale
du pays alors que la bataille continue à entraîner des divisions à l’échelle nationale. Ensuite, l’existence de deux
« majorités » dans l’espace géographique du Canada signifie que chacune d’entre elles a pris des mesures différentes pour ce qui est de l’ethnicité. De manière générale, au Canada anglais et au Québec, peu de politiques
sociales ont été élaborées pour tenir compte de la dimension ethnique des immigrants arrivant au Canada.
Cependant, au Québec, la plupart des efforts étaient axés sur la langue alors qu’ailleurs au Canada, l’accent a été
mis sur l’établissement des immigrants. De plus, les gouvernements ont consacré de nombreuses heures à
redéfinir les critères liés à l’admission des immigrants au Canada. Malheureusement, lorsque ces derniers
arrivent, les deux gouvernements fragiles ne disposent que d’une politique sociale générale en matière de multiculturalisme et d’interculturalisme pour guider les immigrants et tenir compte de leur dimension ethnique.
Le but de ce bref essai est de signaler que ni l’une ni l’autre des deux majorités fragiles n’a pris de
mesures considérables et décisives pour faciliter l’intégration des immigrants à la société canadienne.
Aujourd’hui, l’accent mis sur l’intégration des immigrants est principalement axé sur le capital humain et
les compétences linguistiques des immigrants. Peu d’attention est accordée à l’amélioration de la capacité
des conjoints et des enfants (la prochaine génération) à s’intégrer, si ce n’est l’offre de services publics qui
ne sont pas adaptés aux immigrants et à leurs enfants. (Pour un exemple, voir Reeves et Frideres, 1981, sur
le rôle de divers types d’organismes de services.) Plus précisément, l’absence de politiques et de
programmes adaptés aux communautés ethniques a contribué à élargir l’écart entre les immigrants et la
société en général pour ce qui est des indicateurs sociaux et économiques de la qualité de vie.
Le contexte
Au cours des trois dernières décennies, la composition ethnique de la société canadienne a été transformée en raison de la politique d’immigration du Canada et de son rôle visant à faciliter l’immigration,
tant des immigrants que des réfugiés. Jedwab (2001) note qu’aujourd’hui, la majorité des immigrants au
Canada sont originaires de l’Asie et du Moyen-Orient. Environ les trois-quarts de nos immigrants arrivés
récemment sont originaires de l’Asie, de l’Afrique, du Moyen-Orient, de l’Amérique centrale et de
l’Amérique du Sud et sont, pour la plupart, membres d’un groupe des minorités visibles. Aujourd’hui, alors
que les immigrants représentent près de 20 % de la population canadienne totale, les personnes appartenant à une minorité visible sont également plus présentes ; en effet, près de 14 % de la population
appartient à un groupe des minorités visibles. En plus de se révéler sensiblement différente par rapport aux
tendances historiques connues, l’ethni-cité des immigrants a introduit la question des minorités visibles
dans les relations ethniques. On estime que bien que les « Blancs » forment encore le plus grand groupe,
leur proportion décline et que si la tendance se maintient, d’ici le milieu du siècle, ils ne représenteront plus
la majorité (Tiryakian, 2003). Au fur et à mesure que ces nouveaux groupes se forment au sein de la société
canadienne, le processus d’ethnogenèse se met en branle et les enfants des immigrants seront les représentants des communautés ethniques dans la société de demain.
65
CITC
ciel» de personnes socialement marginalisées semble émerger
Les immigrants d’aujourd’hui sont principalement conalors que les immigrants occupent les plus bas échelons pour
centrés dans les grands centres urbains du pays. Par exemple, à
ce qui est du statut professionnel ainsi que du revenu. Ce nouToronto, plus de la moitié de la population est composée d’imveau phénomène suggère qu’une « ligne de couleur » a été
migrants. Dans les autres grandes régions métropolitaines du
tracée et, même si elle n’est qu’informelle, elle est néanmoins
pays, le pourcentage n’est pas aussi élevé, mais les immigrants
aussi puissante que si elle était reconnue. De plus, une fois cet
représentent une importante composante de la population
écart formé, les enfants des immigrants ont de plus en plus de
urbaine. Le nombre croissant et la concentration de la popudifficulté à suivre une pente ascendante.
lation immigrante, ainsi que sa diversité culturelle et sociale,
Comme je l’ai indiqué plus tôt, il n’y a pas une voie unique
méritent que les décideurs s’y attardent immédiatement. Les
que pourraient emprunter les immigrants (ou leurs enfants)
décideurs doivent s’interroger si ces nouvelles ethnies revitalipour s’intégrer à la société canadienne. Nous savons cependant
seront la nation ou si elles entraîneront d’importants problèmes
que les résultats obtenus par les membres de la deuxième
sociaux ? Les politiques mises en œuvre aujourd’hui semblent
génération (enfants d’immigrants) sont déterminés par les
indiquer que ces décideurs sont paralysés par l’inaction.
expériences et les réalisations de leurs parents. Le réétablisOn demande aux immigrants d’aujourd’hui et à leurs
sement des immigrants est influencé par
enfants de se transformer en « Canadiens ».
les compétences, les expériences et les
Au fil du temps, il est possible qu’ils s’intèLe mode
ressources qu’ils apportent avec eux, ainsi
grent à la société canadienne même s’ils
d’incorporation
que par l’environnement de la société
formeront également de nouveaux groupes
des immigrants et
d’accueil. Le mode d’incorporation des
ethniques hybrides et créent de nouvelles
immigrants et de leurs enfants reflète un
identités. Les décideurs ont élaboré des polide leurs enfants
certain nombre de forces sociales, comme
tiques et des programmes en s’inspirant de
reflète un certain
la politique officielle à l’égard des immimodèles d’acculturation et d’identification
grants, la réceptivité publique à l’égard des
ethnique tirés des expériences historiques
nombre de forces
immigrants et le caractère et les ressources
des immigrants européens (Rex et Singh,
sociales, comme la
des communautés coethniques ou ayant des
2003). Toutefois, de récentes données
liens ethniques déjà en place. Même si
suggèrent que ces modèles ne sont peut-être
politique officielle à
ces facteurs mettent l’accent sur les attripas les meilleurs outils pour identifier les
l’égard des immibuts ethniques des immigrants, d’autres
processus de l’intégration ethnique. L’inforéléments influent sur la capacité des
mation existante indique qu’un processus
grants, la réceptivité
immigrants à s’intégrer.
d’« assimilation segmentée» se produit dans
publique à l’égard
la société canadienne, en vertu duquel certains groupes d’immigrants s’intègrent
Obstacles à l’intégration
des immigrants,
rapidement, tandis que d’autres s’intègrent
De tous les obstacles, aucun n’est plus
et le caractère et
difficilement. Portes et Rumbaut (2001) ont
important que la discrimination. Des études
les ressources des
noté que ce processus segmenté résulte de
ont révélé que les jeunes qui sont victimes de
différents facteurs :
discrimination ont tendance à s’identifier à
communautés
• le capital humain des parents immiune ethnie ou à une race plutôt qu’à la
coethniques ou
grants et le contexte de la réception ;
société canadienne. Un autre obstacle à
• la différence du rythme d’accultul’intégration est la tension entre la réussite
à ressemblance
ration entre les parents et les enfants,
scolaire et les choix de vie non conventionethnique déjà
y compris l’écart linguistique entre
nels. Comme je l’ai mentionné, la plupart
eux et sa portée sur l’intégration
des immigrants s’établissent dans les villes
en place.
normative et la cohésion de la famille ;
centrales des grandes régions métropoli• les obstacles culturels et économiques auxquels les
taines.La concentration résidentielle fait en sorte que les enfants
jeunes de la deuxième génération sont confrontés dans
des immigrants sont en contact étroit avec les modèles culturels
leur quête visant une adaptation réussie ; et
des grandes villes qui n’encouragent pas les études officielles au
• les ressources de la famille et de la communauté
sein d’organismes de services publics. Seuls les enfants intégrés
(capital social) pour surmonter ces obstacles (p. 8).
à une communauté bien structurée ont tendance à ne pas être
influencés par les modèles d’opposition avec lesquels ils sont en
Toutes ces conditions structurelles se croisent de manière
contact. En outre, l’influence de ces modèles externes ne
à donner une impulsion à la trajectoire sociale et économique
dépend pas du statut socioéconomique des parents, mais plutôt
des enfants des immigrants. Certains des groupes ethniques
du caractère de la famille et de la densité des réseaux au sein de
créés par l’immigration récente suivent sans aucun doute une
la communauté ethnoculturelle. Bref, les communautés
pente ascendante. Ils s’intègrent à la société et l’enrichissent
ethniques qui sont en mesure de maintenir un haut niveau
avec leur culture et leur énergie. Par contre, d’autres voient
d’intégration institutionnelle et de solidarité sont relativement
leurs aspirations s’envoler et s’engouffrent dans une pente
immunisées contre ces influences externes et peuvent façonner
descendante – ils représentent ainsi une grande partie de
la contribution positive de leurs enfants et stimuler les forces
la population pauvre. Cette trajectoire différentielle des
d’intégration. Par conséquent, leurs enfants sont capables de
immigrants/ethnies reflète la notion d’assimilation segmentée
s’intégrer et deviennent des « Canadiens ».
identifiée par Rumbaut et Portes, et n’a pas été prise en
Cette discussion met l’accent sur l’importance des
compte par nos responsables des politiques. Déjà, un « arc-encommunautés ethnoculturelles, tant dans la vie des immi-
66
fonctionner dans une des deux langues officielles), et le
grants que pour les Canadiens de naissance de partout au
dépérissement subséquent de la langue et de la culture reçues
pays. Si une communauté ethnique est en mesure de
en héritage, affaiblissent l’autorité des parents immigrants et
fonctionner en tant que source de capital social en renforçant
divisent les générations. En retour, cela diminue le capital
l’autorité parentale et les attentes pour le futur, les forces
social inhérent à leur famille et à leur communauté coexternes qui vont à l’encontre des attentes des parents seront
ethnique. Ainsi, malgré la présence aujourd’hui de nombreux
neutralisées. Comme le soulignent Rambaut et Portes (2001),
immigrants professionnels et entrepreneurs, la majorité
cette ressource ne s’achète pas au marché, mais dépend plutôt
d’entre eux sont pauvres. Les données suggèrent que le
de la densité et de la force des réseaux fondés sur un héritage
meilleur changement pour ce qui est de la réussite scolaire et
commun. Cela signifie que les immigrants qui s’intègrent le
de la mobilité économique chez les enfants des immigrants
mieux ne le doivent pas à leur complète acculturation, mais
dépend de l’acculturation sélective. Toutefois, cette position
plutôt à la perpétu-ation sélective de la culture et des liens
n’a pas de base politique pour l’appuyer ou pour élaborer une
collectifs des parents immigrants.
nouvelle politique sociale. Ce qu’il faut faire dans ce cas : aider
J’avance que les politiques et programmes gouverneles enfants des immigrants à cultiver leurs
mentaux actuels, la réceptivité de la société
Des études menées
racines, accorder de l’importance à la
d’accueil et la communauté ethnique
connaissance d’une deuxième langue et
existante placent les gens à différents échepar le projet
favoriser l’estime de soi grâce à des liens
lons d’intégration. Malheureusement, les
Metropolis révèlent
familiaux et communautaires solides.
politiciens et les décideurs ne considèrent
Malheureusement, lorsque l’on apporte
pas que ces facteurs ont une importance
que les contraintes
des changements structurels aux ententes
particulière pour l’intégration sociale des
et les possibilités
institutionnelles de la sphère publique et à
immigrants et de leurs enfants. En outre,
la relation entre la sphère publique et la
une telle position est directement opposée
découlant des
sphère privée et communautaire, la poliaux théories d’assimilation des immigrants
structures sociales
tique publique semble y être imperméable.
qui mettent exclusivement l’accent sur le
L’incompréhension du rôle des
capital humain (Borjas, 1999). Des études
ont un impact
communautés ethniques dans le processus
menées par le projet Metropolis révèlent
beaucoup plus
d’intégration est un obstacle à l’intégration
que les contraintes et les possibilités
important sur
des immigrants et de leurs enfants. Le fait
découlant des structures sociales ont un
de n’accorder une importance qu’à l’élaboimpact beaucoup plus important sur
l’intégration des
ration de politiques et de programmes
l’intégration des immigrants que l’ambiimmigrants que
ayant recours aux organismes de services
tion et les compétences de ces derniers. Au
publics et non aux organismes de services
même moment, les politiques et les
l’ambition et les
ethniques (membres) a entraîné l’accéléraprogrammes gouvernementaux ont des
compétences de
tion du processus par lequel certains
répercussions sur les structures sociales, y
immigrants et certaines communautés
compris la structure et la forme des
ces derniers.
ethniques se rendent compte qu’ils ne sont
communautés ethniques, ce qui, en retour,
pas en mesure de développer un capital social suffisant pour
influe sur les personnes en déterminant la mesure dans laquelle
atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixés et pour réaliser les
le capital humain peut être mis en jeu et le capital social est
rêves qu’ils avaient à leur arrivée au Canada.
accessible pour que la réglementation normative de la
seconde génération puisse avoir lieu (Rambaut et Portes, 2001).
Références
Conclusion
La question demeure : pourquoi le gouvernement n’a-til pas pris des mesures pour régler ces problèmes ? Tout
d’abord, l’expérience a clairement démontré que le gouvernement n’est pas prêt à agir de manière « proactive » pour ce qui
est des questions sociales et, par conséquent, ne s’y attardera
pas tant qu’elles n’auront pas dégénéré à un point tel qu’elles
ne seront pratiquement plus traitables. L’accent est plutôt mis
sur la pauvreté concentrée des immigrants, sur la violence
(familiale et autre), sur les gangs, sur la drogue et sur d’autres
problèmes sociaux « plus importants » qui suscitent l’intérêt
des médias et des politiciens. Une autre raison justifiant le fait
que l’on ne se penche pas sur ces problèmes est la résurgence
du « nativisme ». Ses adeptes ont formulé des opinions contre
l’immigration et préféreraient que les immigrants soient mis
à l’écart ou isolés jusqu’à ce qu’ils s’intègrent comme par
magie à la culture canadienne.
Finalement, les politiques existantes concernant les
immigrants, comme l’immersion en français ou en anglais
(qui ne permet pas aux immigrants d’être en mesure de
BENHABIB, S. The Claims of Culture Equality and Diversity in the Global
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RUMBAUT, R. et A. PORTES. Ethnicities. Berkeley, University of California
Press, 2001.
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Candidatures et admissions : [email protected] ou 416 979-5150
Programme : [email protected] ou 416 979-5000, poste 4836
CITC
Études en immigration et en implantation à l’Université Ryerson de Toronto
68
RACE, ETHNICITÉ ET IMMIGRATION
EN MILIEU DE TRAVAIL
Expériences des personnes appartenant à une minorité visible
et initiatives en matière de diversité en milieu de travail
RÉSUMÉ
Dans cet article, Kareem Sadiq examine les liens entre la race, l’ethnicité, l’immigration et la discrimination en
milieu de travail. Il y soutient qu’une initiative d’envergure en matière de diversité en milieu de travail est
nécessaire pour éliminer les obstacles discriminatoires et entraîner un changement systémique. En utilisant la
perspective des écosystèmes, il suggère qu’en vertu de partenariats nationaux avec le gouvernement, les
entreprises, les ONG et d’autres intervenants, le Programme du multiculturalisme a un important rôle à jouer
pour la promotion de la diversité dans tous les milieux de travail du Canada.
A
KAREEM D. SADIQ
Direction générale du multiculturalisme et des droits de la personne
Ministère du Patrimoine canadien
Kareem Sadiq est agent de recherche au sein de la Direction générale du multiculturalisme
et des droits de la personne du ministère du Patrimoine canadien.
u cours des dernières années, un imposant plan d’action sur le taux de participation des
personnes appartenant à une minorité visible du Canada au marché du travail a produit des
résultats révélateurs : un grand nombre de personnes appartenant à une minorité visible dans
ce pays sont désavantagées par rapport aux personnes qui n’appartiennent pas à une minorité
visible pour ce qui est de la profession, du salaire et d’autres éléments liés au marché du travail. Nous
en savons beaucoup au sujet des statistiques sur les inconvénients, mais nous en savons beaucoup
moins au sujet des raisons pour lesquelles les personnes appartenant à une minorité visible sont
écartées de certaines possibilités d’emploi, et de ce que nous devons faire pour y remédier. Le manque
d’expérience de travail et la non-reconnaissance des titres de compétences étrangers sont en partie
responsables de cette inégalité, mais les données suggèrent que la discrimination raciale et d’autres
pratiques limitatives sont les grandes responsables des inégalités liées au marché du travail (Pendakur et
Pendakur, 1998 ; Pendakur et Pendakur, 2002a ; Pendakur et Pendakur, 2002b ; Reitz, 2005).
Une étude en cours, portant sur la participation des personnes appartenant à une minorité
visible au marché du travail et l’équité en emploi, explore en particulier la sous-représentation
numérique des minorités visibles dans le milieu de travail (voir Antunes et coll., 2004 ; Parkin et
Mendelsohn, 2004 ; et Jain et Lawler, 2003, pour des exemples récents). Bien que les analyses
statistiques du taux de participation des personnes appartenant à une minorité visible soient utiles
et nécessaires, je suis d’avis que les décideurs doivent tenir compte des rapports d’exclusion en milieu
de travail. La représentation numérique n’est que la moitié de l’équation de l’équité en emploi. Les
écarts entre les salaires et les professions des personnes appartenant à une minorité visible ne sont
pas de simples anomalies statistiques, mais le résultat d’un ensemble complexe de processus sociaux
qui interagissent pour tenir certaines personnes à l’écart des possibilités économiques.
Des études révèlent que le fait d’avoir un emploi est un indicateur clé du sentiment d’appartenance et de l’inclusion sociale (Hum et Simpson, 2003 ; Kazemipur, 2002 ; Kazemipur et Halli, 2001).
Il s’avère toutefois important d’établir des liens entre l’emploi, l’inclusion et l’appartenance : le fait
d’avoir un emploi n’est pas en soi un indicateur permettant de conclure qu’une personne se sent
incluse ou qu’elle a l’impression d’appartenir à une collectivité en particulier. Les sentiments
d’appartenance et d’inclusion sont plutôt déterminés par les expériences en milieu de travail, comme
le fait de sentir que ses compétences sont reconnues à leur juste valeur, d’être accepté par ses
collègues et de se voir accorder les mêmes avantages qu’eux. En 2002, l’Enquête sur la diversité
ethnique (EDE) a révélé que 56 % des personnes appartenant à une minorité visible étaient l’objet
de discrimination au travail (Statistique Canada, 2003, p. 21). Quelle est la nature de cette discrimination et que pouvons-nous faire pour y remédier ?
De plus en plus de recherches examinent les expériences quotidiennes des personnes
appartenant à une minorité visible dans leur milieu de travail et identifient diverses pratiques
limitatives (Bates et Este, 2000 ; Carnevale et Stone, 1994 ; Livers et Cavers, 2003 ; Mor Barak, 2000 ;
et Shih, 2002). Le racisme, les stéréotypes, et l’attitude des employés et des employeurs à l’égard des
compétences et des qualifications des personnes appartenant à une minorité visible nuisent à la
mobilité professionnelle de ces personnes et favorisent un sentiment de détachement du milieu de
69
Race, ethnicité et immigration : intersection
des rapports changeants dans le milieu de travail
Race
La race est un concept social qui réfère à des
différences phénotypiques réelles ou perçues entre les gens
(Tastsoglou, 2003 ; Bolaria et Li, 1988). Selon les valeurs
sociales des groupes sociétaux dominants, les distinctions
visibles entre les gens peuvent être singularisées et
différenciées, reflétant ainsi les partialités idéologiques,
politiques, économiques et culturelles des personnes qui
ont le pouvoir de définir (Driedger, 2003, p. 4). Les idéologies liées au racisme qui socialisent et communiquent les
différences phénotypiques peuvent donc être à la source
des discriminations à l’égard des minorités et de la dépréciation de leur contribution au sein de la société (ibid.).
Dans le milieu de travail, le statut de « personne
appartenant à une minorité visible » – un terme social
fondé sur la race – peut être la source du traitement
limitatif. Cependant, il est important d’élucider d’entrée
de jeu la relation entre le statut de personne appartenant à
une minorité visible et la discrimination en milieu de
travail. Pour ce qui est de la race, je suis d’avis que
l’attitude d’une personne est en partie façonnée par son
exposition à la différence ou, en d’autres termes, le degré
d’interaction sociale avec des membres de groupes de
minorités visibles. On croit souvent que les gens qui ont
un réseau social interethnique hétérogène sont plus
tolérants et acceptent mieux les autres que ceux qui ont un
réseau intra-ethnique homogène. Par ailleurs, on pense
également que les milieux de travail diversifiés et
hétérogènes sont propices à la tolérance et à l’acceptation.
Ces hypothèses supposent des qualifications.
En m’inspirant de la documentation sur les réseaux
sociaux classiques, j’avance que l’acceptation des autres
dépend de la portée, du volume et de la qualité du contact
social (Burt, 1983). La portée fait référence au nombre de
groupes de minorités visibles avec lesquels une personne
entretient des liens. Lorsqu’il est question de diversité en
milieu de travail, on peut se demander dans quelle mesure
la diversité est diverse. En d’autres termes, combien de
groupes de minorités visibles sont représentés dans un
milieu de travail donné ? Est-ce que, dans les milieux de
travail, on développe une culture organisationnelle qui
favorise certains groupes de minorités au détriment
d’autres ? Le volume fait référence au nombre de contacts
individuels au sein de chaque groupe de minorités
visibles. Avec combien de personnes appartenant à des
groupes de minorités différents une personne entretientelle des liens dans son milieu de travail ? La qualité se
rapporte à la fréquence des contacts et à la force de la
relation entre les personnes. Dans quelle mesure les gens
socialisent-ils avec des collègues membres d’un groupe
de minorités à l’extérieur du travail ? Les personnes
appartenant à une minorité visible peuvent être tolérées
par leurs collègues au travail, mais sont-elles acceptées par
ces derniers à l’extérieur du travail ?
La portée, le volume et la qualité des réseaux sociaux
diffèrent d’une personne à l’autre et peuvent susciter des
attitudes différentes envers certains groupes de minorités
visibles. De plus, ce processus n’est pas limité aux
CITC
travail. À la lumière de cette constatation, il est clair que les
politiques d’équité en matière d’emploi fondées sur la
représentation numérique ne peuvent s’avérer efficaces à
moins qu’elles ne soient mises en œuvre conjointement avec
des initiatives d’envergure sur la diversité en milieu de
travail ayant pour but de remettre en question les attitudes
discriminatoires et le traitement limitatif à l’égard des
personnes appartenant à une minorité visible.
Quel rôle le Programme du multiculturalisme et les
autres intervenants peuvent-ils jouer dans la promotion
de la diversité ? Au cours des dernières années, le
Programme du multiculturalisme de Patrimoine canadien,
qui était axé sur l’identité culturelle, a tourné son attention
vers l’intégration multiculturelle et l’inclusion sociale
(Donaldson, 2003 ; Hum et Simpson, 2003). Bien qu’il soit
considéré comme controversé par certains (voir
Donaldson, 2003), ce changement de cap a d’importantes
répercussions sur les politiques et programmes du marché
du travail touchant les personnes appartenant à une
minorité visible. Aux termes de la Loi sur le multiculturalisme
canadien (1988, alinéa 3(1)c), le Programme du multiculturalisme a pour mandat de « promouvoir la participation
entière et équitable des individus et des collectivités de
toutes origines à l’évolution de la nation et au façonnement de tous les secteurs de la société, et [de] les aider à
éliminer tout obstacle à une telle participation ». À la
lumière de ce mandat, je suis persuadé que le Programme
du multiculturalisme a un important rôle à jouer dans la
promotion de la diversité en milieu de travail.
Pour élaborer des politiques et des programmes
efficaces en matière de diversité, les responsables doivent
tenir compte de deux questions clés : 1) quelle est la
relation entre la race, l’ethnicité, l’immigration et la
discrimination en milieu de travail ? ; et 2) quelle direction
le Programme du multiculturalisme et les autres
intervenants doivent-ils prendre pour faire la promotion
de la diversité dans les milieux de travail canadiens ?
Dans cet article, je ne propose aucune politique en
soi sur la diversité en milieu de travail, pas plus que je
n’offre un examen détaillé de la gamme des intersections
de la diversité et de leurs répercussions sur la diversité
en milieu de travail. Je propose plutôt d’accomplir deux
tâches. La première consiste à amener les gens à penser de
manière réfléchie et franche aux obstacles en milieu de
travail. Les obstacles à l’emploi représentent un ensemble
de processus sociaux et je souhaite examiner comment
les pratiques limitatives fondées sur la race, l’ethnicité et
l’immigration limitent l’accès des personnes appartenant
à une minorité visible aux possibilités en matière d’emploi.
Ensuite, je veux examiner comment le Programme
du multiculturalisme, ses partenaires gouvernementaux,
le milieu universitaire, les entreprises, les ONG et d’autres
intervenants peuvent mettre en place des initiatives élargies
et durables visant à promouvoir l’acceptation des personnes
appartenant à une minorité visible dans le milieu de
travail et à éliminer les obstacles discriminatoires. Nous
avons beaucoup à apprendre au sujet des politiques et des
programmes des organisations en matière de diversité,
mais pour apporter un changement systémique, nous
devons nous pencher plus sérieusement sur le partenariat
et les programmes à l’échelle nationale.
70
racial. Les personnes appartenant à une minorité visible
nées au Canada et celles qui sont nées à l’étranger sont
à la fois confrontées à des contraintes communes et
distinctes dans leur milieu de travail. Les contraintes
communes concernent la race et l’ethnicité, tandis que
les contraintes distinctes se rapportent au statut d’immigrant. Les étiquettes ethniques et raciales sont attribuées
tant aux personnes appartenant à une minorité visible
nées au Canada qu’aux immigrants appartenant à une
minorité visible, même si les premières peuvent être
mieux placées pour faire des choix d’identité stratégiques
cadrant avec la culture organisationnelle qui règne dans
Ethnicité
le milieu de travail.
Les écrits sur l’ethnicité et l’identité ethnique démonLe fait de « cadrer » avec la culture organisationtrent que les attitudes discriminatoires ne se fondent pas
nelle est, de bien des façons, une fonction du capital
seulement sur la race. Stasiulis (1990, p. 276) parle de
culturel. Le capital culturel est défini comme l’acquisition
l’ethnicité comme de [traduction] « visions du monde,
d’un statut social grâce à des pratiques sociales impliquant
traditions et pratiques apportées par les immigrants au
l’exercice du goût et du jugement (Bourdieu, 1984). Le
Canada et reproduites et transformées de façon
concept comprend également un plus grand ensemble
dynamique dans le contexte canadien. » Eriksen (1993)
de distinctions sociales qui permettent de distinet O’Callaghan (1999) décrivent l’ethnicité comme un
guer les classes sociales et l’ethnicité,
sentiment de séparation et de colleccomme la situation économique, les
tivité : elle renvoie aux différences entre
Les étiquettes
compétences linguistiques et l’accent.
les groupes de gens, mais identifie
ethniques et
Dans l’environnement de travail, les
également les ressemblances selon un
personnes appartenant à une minorité
ensemble de caractéristiques communes.
raciales sont
visible qui cherchent un emploi et les
Quant à l’identité ethnique, elle est
attribuées tant
employés appartenant à une minorité
un élément attribué à des personnes
visible peuvent faire la preuve qu’ils
ainsi qu’une extériorisation individuelle
aux personnes
« cadrent » avec l’organisation en
(O’Callaghan, 1999). L’identité ethnique
appartenant à une
adoptant ses normes et pratiques
est attribuée lorsque les étiquettes
culturelles. Même si certaines questions
ethniques – fondées sur l’origine, la race,
minorité visible
entourant la pertinence organisationla religion, le sexe, la langue, et autres –
nées au Canada
nelle touchent autant les Blancs que
sont imposées par rapport à d’autres.
qu’aux immigrants
les personnes appartenant à une
Dans le milieu de travail, l’étiquetage
minorité visible, j’allègue que les
ethnique peut attribuer des caracappartenant à une
Blancs ne font rarement, voire jamais,
téristiques stéréotypées relativement
minorité visible.
l’objet de discrimination raciale et
à l’aptitude au travail, aux qualités
d’étiquetage ethnique, particulièrepersonnelles et aux aptitudes en général.
ment s’ils représentent la majorité des employés. En
La discrimination peut s’exprimer par l’exclusion des
raison de leur statut apparent et d’autres caractéristiques,
droits et des possibilités en raison de ces attributions
les personnes appartenant à une minorité visible
(Ferguson, 1991).
doivent surmonter les attributions raciales et ethniques
Tout comme l’extériorisation, la formation d’une
en plus des diverses préoccupations concernant la
identité ethnique implique un démantèlement conscient
pertinence organisationnelle (comme l’adoption de la
et une reconstruction des formes culturelles et des percepphilosophie, des méthodes de travail et des croyances
tions mondiales (Bottomley, 1992). L’identité n’est pas un
de la compagnie).
concept stable ; elle est façonnée grâce à l’action
Les choix stratégiques en matière d’identité ne
réciproque des modalités précises du pouvoir (Hall, 1996).
s’avèrent concluants que s’ils confèrent un capital culturel
Pour mitiger la discrimination, certains allèguent que les
suffisant pour démontrer que la personne cadre bien
personnes appartenant à une minorité visible peuvent
dans le milieu de travail. Les personnes appartenant à
choisir une identité qui correspond à la culture organisaune minorité visible nées au Canada connaissent les
tionnelle de leur milieu de travail (ibid.). Ces choix
normes et peuvent mitiger partiellement l’étiquetage
en matière d’identité sont stratégiques et s’avèrent des
ethnique en faisant la preuve qu’elles partagent des
concepts politiques qui peuvent donner accès à l’emploi et
traits culturels collectifs. Les immigrants appartenant
à d’autres ressources économiques. J’élaborerai davantage
à une minorité visible ont plus de difficulté. Selon leur
sur ce concept en tenant compte du statut d’immigrant.
âge et l’année de leur arrivée, certains immigrants
seront en mesure d’assimiler le capital culturel aussi
Immigration
bien que les personnes nées au Canada. D’autres immiL’immigration – en particulier le statut d’immigrant –
grants ne connaissent pas les normes du milieu de travail
a des répercussions importantes sur les expériences en
et éprouvent beaucoup plus de difficulté à assimiler
milieu de travail, particulièrement dans le contexte de
le capital culturel. Par ailleurs, d’autres se retrouvent
l’intersection des « identités » et l’étiquetage ethnique et
perceptions du groupe dominant (lire Blancs) à l’égard
des personnes appartenant à une minorité visible ; il
concerne également l’attitude des personnes appartenant
à une minorité visible à l’égard des autres groupes de
minorités visibles et de la majorité blanche. Cela ajoute un
niveau de complexité au problème concernant la diversité
en milieu de travail : la population canadienne étant de
plus en plus diversifiée, comment les relations majoritéminorité et les relations entre minorités affecteront-elles
l’accès des gens aux possibilités économiques ?
71
entre les deux ; ils peuvent, dans une certaine mesure,
assimiler le capital culturel, mais éprouvent des difficultés dans d’autres domaines – ce que j’appelle le capital
culturel différentiel.
Pour illustrer le lien entre le capital culturel et la
pertinence en milieu de travail, examinons brièvement la
relation entre l’accent et les compétences linguistiques. Lors
d’une récente consultation pour un milieu de travail sans
racisme, entre le gouvernement, des ONG et des entreprises
privées sous réglementation fédérale, un gestionnaire en
ressources humaines d’une importante société a déclaré ceci :
[traduction] L’accent influence nos décisions en
matière d’embauche et d’avancement parce qu’il
révèle que la personne peut ne pas avoir les
compétences linguistiques nécessaires pour faire
le travail. Le fait que la personne soit canadienne
ou formée à l’étranger n’a pas d’importance.
Nous évaluons ces candidats plus attentivement
pour nous assurer que leurs compétences
linguistiques correspondent à nos attentes.
CITC
L’accent est un indicateur de différence culturelle et
ethnique, un indicateur pouvant laisser croire que
l’intéressé peut ne pas avoir les compétences nécessaires
pour exécuter le travail. Pour autant que l’on puisse
« évaluer plus attentivement » les compétences linguistiques d’un candidat immigrant, l’attitude discriminatoire
liée à l’accent amène le gestionnaire à se demander si cette
personne cadre avec l’organisation. Comme l’indiquent
Creese et Kambere (2003, p. 566), [traduction] « les
accents, y compris des sujets racialisés, aident également à
façonner une perception au sujet des compétences
linguistiques… [et] peuvent fournir une raison justifiant
la non-admissibilité à l’emploi ou à la pleine participation
à la société civile […] » Cet exemple illustre également le
concept de capital culturel différentiel : malgré le fait
qu’une personne ait une éducation canadienne et une
connaissance des normes locales liées au milieu de travail,
son accent peut être perçu si négativement qu’il l’emporte
sur tous les autres gains en matière de capital culturel et
est à la source de la discrimination.
Finalement, j’aimerais traiter de la question
entourant la reconnaissance des titres de compétences
étrangers (TCE). Reitz (2005, p. 3) démontre que la dévaluation du travail imputable à la non-reconnaissance des
titres de compétences des immigrants dans les milieux de
travail canadiens se chiffre à plus de deux milliards de
dollars par année. Bien que les chercheurs et décideurs
se soient largement penchés sur la façon d’éliminer les
obstacles liés aux TCE (comme l’amélioration des services
d’évaluation des titres de compétences), on ne s’est pas
suffisamment attardé aux raisons justifiant le fait que les
TCE représentent un problème aussi grave. La question
des TCE comporte deux volets. En effet, il y a une préoccupation technique pour déterminer si les titres de
compétence acquis à l’étranger correspondent aux
compétences et aux connaissances requises pour effectuer
un travail précis. Par contre, certains soutiennent que la
valeur des titres de compétences étrangers est filtrée par
l’attitude raciste des employeurs.
72
Par exemple, une « expérience de travail au Canada »
est un préalable pour de nombreux immigrants qui
cherchent un emploi, semblerait-il parce qu’en l’absence
de mécanismes fiables pour évaluer les titres de
compétence étrangers, elle démontre que l’intéressé a les
compétences nécessaires ainsi qu’une expérience en milieu
de travail. Toutefois, comme le notent Reitz (2005, p. 12)
et Jackson (2001), l’attitude raciale peut être à la base des
exigences liées à l’expérience de travail au Canada, et le
fait de penser qu’un titre de compétences acquis à
l’étranger est moins reconnu que des qualifications
acquises au Canada, peuvent résulter d’un préjugé discriminatoire. Par conséquent, les processus techniques
d’évaluation prétendument « de bonne foi » peuvent être
dévalués par un manque d’équité procédurale, ce qui, en
retour, dresse des obstacles à l’intégration au milieu
de travail.
La perspective des écosystèmes, la diversité
en milieu de travail et la voie à suivre
Dans la section précédente, j’ai résumé certaines des
intersections de la race, de l’ethnicité, de l’immigration et
des pratiques limitatives dans les milieux de travail. J’ai
beaucoup traité de l’exclusion, mais peu de l’inclusion.
J’aimerais donc proposer, dans la présente section, un
modèle pouvant être adopté par le Programme du
multiculturalisme et d’autres intervenants pour faire la
promotion de la diversité et de l’inclusion des personnes
appartenant à une minorité visible dans les milieux de
travail canadiens.
La perspective des écosystèmes et la diversité en milieu
de travail
Suivant Mor Barak (2000), j’avance que les organisations
doivent adopter une approche holistique en matière de
diversité et tenir compte de l’environnement socioéconomique dans son sens large. Mor Barak (ibid., p. 339)
défend une perspective des écosystèmes, selon laquelle les
organisations vont au-delà des intérêts personnels de
la compagnie et considèrent la diversité à plus grande
échelle. La perspective des écosystèmes comporte quatre
composantes ou systèmes : l’organisation, la communauté, le gouvernement et les entités interculturelles/
internationales. Selon lui, pour être vraiment diversifiées,
les organisations doivent promouvoir des programmes
internes de diversité, être actives au sein de leur communauté, participer aux programmes gouvernementaux qui
font la promotion des intérêts des personnes appartenant
à une minorité visible et des travailleurs à faible revenu, et
s’engager dans des projets internationaux de collaboration, y
compris en ce qui a trait au recrutement à l’étranger. La
perspective des écosystèmes incorpore un modèle selon
une approche valeur et un modèle fondé sur la pratique
qui, ensemble, identifient les pratiques limitatives et inclusives de la diversité et font la promotion de la participation
des personnes appartenant à une minorité visible en
milieu de travail.
Modèle selon une approche valeur
Le modèle selon une approche valeur examine le
« cadre valeur » des organisations et les situe dans un
continuum exclusion-inclusion. Les organisations inclusives
et limitatives ont des principes directeurs – qu’ils soient officiels ou non – qui déterminent leur ouverture à la
différence. Par exemple, les organisations limitatives ne
déploient aucun effort pour établir des liens avec la communauté parce que leur principale obligation est envers les
intervenants financiers. Ces organisations peuvent percevoir
les travailleurs à faible revenu comme de la main-d’œuvre
dont on peut facilement se débarrasser et n’accordent pas
beaucoup d’importance aux programmes gouvernementaux qui font la promotion du bien-être de ces personnes.
Pour leur part, les organisations inclusives sentent qu’elles
font partie de la communauté et, par conséquent, encouragent leurs employés à prendre part à des activités – comme
le bénévolat – qui favorisent le développement de la
communauté. De plus, les organisations inclusives
considèrent les travailleurs à faible revenu comme de la
main-d’œuvre en possible ascension et participent activement aux programmes gouvernementaux qui facilitent
leur intégration au marché du travail (ibid., p. 342-343).
Race, ethnicité, immigration et perspective des
écosystèmes
La perspective des écosystèmes est intéressante parce
qu’elle offre une approche systématique pour
l’identification des pratiques limitatives et le développement de bons moyens pour les éliminer. En m’appuyant
sur le concept de Mor Barak, j’estime que la perspective
des écosystèmes favorise l’identification de pratiques
limitatives précises et la mise en place de solutions ciblées
dans le milieu de travail. Il est donc possible de déterminer
et de documenter la nature et la source de la discrimination
au sein des organisations. En d’autres termes, elle
permet d’identifier les « intersections de la discrimination ».
Par exemple, la discrimination en milieu de travail est-elle
caractérisée par un climat froid à l’endroit des personnes
appartenant à une minorité visible, notamment en ce
qui concerne l’étiquetage ethnique ou les stéréotypes, la
différence de traitement réservé aux professionnels
formés à l’étranger, ou une combinaison de divers
facteurs ? Même si je ne traite que de la race, de l’ethnicité
et de l’immigration dans cet article, la
perspective des écosystèmes fournit un
Modèle fondé sur la pratique
La discrimination
cadre pour identifier des types précis de
Le modèle fondé sur la pratique
pratiques limitatives en milieu de travail
identifie les obstacles à la diversité,
en milieu de travail
et établir des liens avec différentes comrecommande des pratiques exemplaires
est un phénomène
binaisons d’intersections (comme le
et met en valeur les avantages qui en
sexe et la religion, le sexe et la race, etc.).
découlent pour chaque échelon du
«majorité blanche –
La perspective des écosystèmes est
réseau. Par exemple, au sein des
minorité visible »,
avantageuse pour les employeurs, mais
organisations, la discrimination et les
mais nous savons
s’avère également un outil utile pour les
préjudices peuvent nuire à l’embauche
chercheurs. Deux secteurs qui n’ont reçu
de candidats appartenant à une minorité
que les Blancs ne
que peu d’attention dans la recherche
visible, à leur continuité et à leur
sont pas les seuls
effectuée à ce jour sont la discriminaavancement. En se fondant sur des
tion interminorité et la discrimination
programmes de diversité qui font la
à avoir une attitude
« minorité-majorité ». La documentation
promotion de l’acceptation et de la
discriminatoire.
appuie l’idée que la discrimination en
satisfaction professionnelles, les orgamilieu de travail est un phénomène
nisations diminuent les coûts afférents
« majorité blanche – minorité visible », mais nous savons
au va-et-vient associé au roulement de personnel, augque les Blancs ne sont pas les seuls à avoir une attitude
mentent leur bassin de talents, élargissent leurs possibilités
discriminatoire. Quelles sont la nature et la portée de la
d’affaires avec les autres marchés et redorent leur répudiscrimination interminorité et de la discrimination
tation. Pour ce qui est de la communauté, les entreprises
« minorité-majorité », et comment se manifestent-elles au
offrent des avantages et des possibilités tangibles aux
travail ? Ces questions ajoutent de nombreuses étapes
groupes qui sont dans le besoin, et démontrent un bon
d’analyse à l’intersectionnalité de la discrimination.
« rendement social » lorsqu’elles participent à des activités
Les membres d’un ou de plusieurs groupes de
comme l’encadrement de jeunes et le tutorat, et soutiennent
minorités adoptent-ils des pratiques limitatives empêchant
des institutions culturelles. Pour ce qui est du gouverneles membres des autres groupes de minorités d’accéder à
ment, l’attitude négative à l’égard des programmes de
des possibilités économiques ? Y a-t-il des « allégeances »
sécurité sociale et des travailleurs à faible revenu nuit à
entre les groupes de minorités ou entre les groupes de
l’embauche. Les intersections de la race, de l’ethnicité, de
minorités et les groupes de majorités qui s’efforcent
l’immigration et de la classe sociale sont en jeu ici : les
activement à exclure certains groupes ethnoculturels de
travailleurs à faible revenu racialisés sont confrontés à des
leur milieu de travail ? Se peut-il que les Blancs soient
compromis liés à l’étiquetage ethnique et, dans le cas
exclus des milieux de travail par la « majorité visible » ?
des immigrants, aux préjugés relatifs à l’évaluation des
D’autres recherches sur la discrimination interminorité et
titres de compétences étrangers. En déployant des efforts
minorité-majorité en milieu de travail sont nécessaires, et
concertés pour embaucher des candidats participant aux
je suis d’avis que les modèles selon une approche valeur et
programmes du travail du gouvernement, les entreprises
fondés sur la pratique, de la perspective des écosystèmes,
n’offrent pas seulement des possibilités économiques aux
sont des outils efficaces et utiles qui permettent aux
personnes à faible revenu qui cherchent un emploi, elles
chercheurs, aux décideurs et aux employeurs d’identifier
réduisent également les dépenses liées à l’assurance-emploi,
la discrimination entre groupes et de proposer des
à l’aide sociale et à d’autres programmes de soutien
solutions appropriées.
fédéraux, provinciaux et municipaux (ibid., p. 344-345).
73
Les partenaires verticaux, quant à eux, sont des
organisations ou des milieux de travail qui n’adhèrent
pas aux bonnes pratiques en matière de diversité ou qui
ne disposent que de peu de mécanismes pour les mettre
en application. À vrai dire, il peut s’agir de milieux
de travail qui découragent activement l’embauche de
personnes appartenant à une minorité visible et leur
avancement professionnel, en raison d’obstacles
systémiques et de pratiques limitatives. Les partenaires
verticaux sont identifiés grâce aux recherches, aux
programmes et aux liens organisationnels des partenaires horizontaux. L’identification des partenaires
verticaux est vitale, et ce, pour deux raisons. D’abord,
elle offre aux décideurs et aux autres intervenants des
données quantitatives et qualitatives plus justes sur l’emploi relativement à la sous-représentation des minorités
visibles dans certains secteurs précis du marché du
travail. Ensuite – et surtout –, elle place le gouvernement, les ONG et les partenaires horizontaux du
secteur privé dans une position leur permettant
d’identifier les obstacles et d’intervenir pour aider les
milieux de travail à établir de bonnes pratiques en matière
de diversité.
L’établissement de liens horizontaux et verticaux
ne sera pas chose facile. La culture organisationnelle,
les problèmes de communication, le territorialisme
entre les organismes, et les problèmes d’ordre juridique
compliqueront la mise en place de partenariats durables.
Le succès de la perspective des écosystèmes dépend de la
capacité des intervenants partenaires à surmonter leurs
différences pour atteindre des buts communs.
Même si le Programme du multiculturalisme n’a pas
pour mandat d’imposer des politiques aux employeurs du
secteur privé, la Loi sur le multiculturalisme canadien
(1988, alinéas 3(2)a) et 3(2)d) impose aux institutions
fédérales2 de « faire en sorte que les Canadiens de
toutes origines aient des chances égales d’emploi et
d’avancement » et de « recueillir des données statistiques
permettant l’élaboration de politiques, de programmes
et d’actions tenant dûment compte de la réalité multiculturelle du pays. »
Clairement, le Programme du multiculturalisme a
un important rôle à jouer dans le contrôle et l’évaluation
de la diversité en milieu de travail au sein des institutions
fédérales. Le gouvernement n’est pas à l’abri des
problèmes touchant la diversité en milieu de travail, et
la sous-représentation systémique des minorités visibles
au sein de la fonction publique fédérale a été largement
documentée (Gouvernement du Canada, 2000). La
fonction publique fédérale doit, d’instinct, évaluer ses
propres pratiques en matière de diversité en milieu de
travail et déployer des efforts concertés pour faciliter
l’inclusion des personnes appartenant à une minorité
visible nées au Canada ou à l’étranger. À vrai dire, le
gouvernement doit prêcher par l’exemple s’il veut faire
la promotion des initiatives en matière de diversité à
l’échelle nationale.
Il a été suggéré que le virage vers l’intégration
démontre un intérêt pour établir des cadres communs et
des conditions communes pour ce qui est de la diversité.
Le Programme du multiculturalisme doit jouer un rôle
Le Programme du multiculturalisme, les
intervenants en diversité et la voie à suivre
J’aimerais m’arrêter un peu plus longuement sur
l’approche des écosystèmes de Mor Barak et l’appliquer à
l’aspect politique du Programme du multiculturalisme.
Conformément à l’appel de Mor Barak qui souhaite que
les entreprises établissent des liens externes, je suis d’avis
que le Programme du multiculturalisme doit établir
une variété de liens horizontaux et verticaux avec les
intervenants. Compte tenu de son mandat aux termes de
la Loi sur le multiculturalisme canadien, le Programme du
multiculturalisme est dans une position pour coordonner,
de concert avec divers partenaires, une initiative nationale
sur la diversité en milieu de travail.
Donaldson (2003, p. 15) suggère que, dans le cadre du
virage du Programme du multiculturalisme vers l’intégration,
[traduction] […] le multiculturalisme se doit de
rassembler des personnes aux antécédents
différents pour aller de l’avant vers un cadre
commun [et] des conditions communes […]
[en matière de] respect, d’égalité et de diversité.
[…] Il est fondé sur une nouvelle approche de la
communauté favorisant le contact direct.
L’approche des écosystèmes pour la diversité en
milieu de travail offre précisément cette possibilité au
Programme du multiculturalisme ; elle offre un guide
pour identifier les partenaires, établir un cadre commun et
faire la promotion de la diversité et de l’acceptation en
milieu de travail.
Liens horizontaux et verticaux : établir des partenariats
CITC
Afin de créer des initiatives fructueuses sur la diversité
en milieu de travail, établir des conditions communes
pour les questions touchant la diversité en milieu de
travail et mettre en œuvre les changements systémiques,
le Programme du multiculturalisme doit établir des
partenariats étroits et soutenus à l’échelle nationale
avec les intervenants en diversité et les employeurs.
Théoriquement, j’emploie le continuum exclusioninclusion fondé sur les valeurs pour identifier deux types
de partenaires : les « partenaires horizontaux », soit les
organisations disposant de politiques et de programmes
fructueux en matière de diversité en milieu de travail, et
les « partenaires verticaux », c’est-à-dire les organisations
disposant de politiques et de programmes de très petite
portée en matière de diversité, ou ne disposant d’aucune
politique ni d’aucun programme du genre.
Les partenaires horizontaux sont les ministères,
organismes et employeurs qui font la promotion de
la diversité en milieu de travail, de l’équité en emploi et
de l’élimination des obstacles discriminatoires. Ces
partenaires sont les organismes gouvernementaux
(fédéraux, provinciaux et municipaux), les ONG, le milieu
universitaire et les entreprises du secteur privé ayant
une section active responsable de l’équité en emploi et
disposant de politiques fructueuses en matière de diversité
en milieu de travail. Les organisations qui sont considérées
comme des partenaires horizontaux sont de bons intervenants de fait en diversité en milieu de travail.
74
actif pour amorcer ce dialogue national. Afin de promouvoir
l’inclusion des personnes appartenant à une minorité
visible au sein des milieux de travail canadiens, le
Programme du multiculturalisme doit s’appuyer sur
l’expertise du gouvernement, des ONG, du milieu universitaire et des entreprises pour établir des partenariats
élargis et durables, ainsi que des conditions communes sur
la diversité, et transmettre à tous les employeurs canadiens
de bonnes pratiques en matière de diversité.
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représentent pas nécessairement le point de vue du ministère du
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visibles dans la fonction publique fédérale, Ottawa, Conseil du Trésor, 2000.
1
Barak (2000) définit de manière générale les « initiatives en matière de
diversité en milieu de travail » comme des programmes ou des stratégies
qui visent à promouvoir la valeur et l’acceptation des différences
individuelles et entre groupes dans le milieu de travail.
2
On entend par institutions fédérales les ministères, commissions ou conseils, ou autres organismes ou bureaux, créés pour remplir une fonction
gouvernementale en vertu d’une loi du Parlement ou d’une ordonnance
du gouverneur en conseil, y compris les établissements publics et les
sociétés d’État.
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75
IMMIGRATION ET RACIALISATION
AU CANADA
Géographies de l’exclusion ?
RÉSUMÉ
Ce travail de recherche se fonde sur des données de Statistique Canada fournies à l’Université York par le
biais de l’Initiative de libération des données, et au Centre d’excellence conjoint pour la recherche sur
l’immigration et l’établissement (CERIS) de Toronto. Pour toute question ou tout commentaire, prière de
communiquer avec le premier auteur, au Département de géographie, Université York, 4700 rue Keele,
Toronto M3J 1P3, ou à l’adresse [email protected]
E
VALERIE PRESTON1
Faculté des études de l’environnement
York University
ANN MARIE MURNAGHAN
CITC
Département de géographie
York University
nviron 18 % des résidents permanents du Canada sont nés à l’étranger, et ce pourcentage
augmente d’année en année, du fait qu’environ 200 000 immigrants s’établissent au Canada
annuellement. Les pays d’origine de ces nouveaux arrivants sont de plus en plus variés, ce qui
a pour effet de changer le visage du Canada. La majorité des immigrants proviennent maintenant de
l’Asie, de l’Afrique, des Caraïbes, de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud. En 2001, plus de
80 % de la population du Canada née à l’étranger appartenait à une minorité visible, c’est-à-dire était
de race autre qu’européenne, caucasienne ou blanche (Statistique Canada, 2003). Comme ils doivent
vivre dans une société racialisée composée en majorité de gens d’origine européenne, ces nouveaux
immigrants, pour réussir leur intégration, doivent surmonter les difficultés liées à leur expérience
non seulement en tant que nouveaux arrivants mais aussi en tant que personnes de couleur.
La vie des immigrants appartenant à une minorité visible est façonnée par les conditions qui
prévalent dans les grandes régions métropolitaines du Canada où ils sont concentrés. Les trois quarts
d’entre eux vivent à Toronto, à Montréal et à Vancouver (Statistique Canada, 2003). En 2001, 45 %
de tous les immigrants de minorité visible au Canada demeuraient à Toronto, 19 % à Vancouver et
11 % à Montréal. Tous les groupes de minorité visible, à l’exception de la population arabe de
Montréal et de la population japonaise de Vancouver, se trouvent majoritairement à Toronto
(Statistique Canada, 2003).
Une bonne partie de ce que nous savons de la vie des personnes racialisées au Canada repose
sur les données recueillies par Statistique Canada. Quatre caractéristiques sociales permettent de
classer une personne selon ses antécédents ethnoculturels : son lieu de naissance, sa langue maternelle,
son origine ethnique et la minorité visible à laquelle elle appartient (Boyd, Goldmann et White,
2000). Peu d’études tiennent compte de la façon dont ces caractéristiques sociales se recoupent1.
Pourtant, la réussite des immigrants appartenant à une minorité visible dans la société canadienne
dépend de leur expérience en tant que membre de minorité visible et que nouvel arrivant. Comme
les immigrants représentent maintenant plus de 70 % de tous les membres de minorité visible au
Canada (Hou et Picot, 2004 ; Statistique Canada, 2003)2, il est essentiel de comprendre, si nous
voulons réduire leur exclusion sociale de la société canadienne comment ils résistent et réagissent
aux conséquences d’être de nouveaux arrivants et des personnes de couleur.
Élaborée en tenant compte de la situation économique, sociale et politique du pays, la politique
en matière d’immigration a toujours eu une incidence sur la composition de la population canadienne.
D’abord en raison du « besoin » originel de pionniers et d’ouvriers, les immigrants au Canada ont
été jugés selon leur capacité de contribuer et de « s’adapter » au Canada (Stasiulis et Jhappan, 1995).
Par le passé, l’évaluation de ces deux facteurs et le fait de déterminer si l’immigrant appartenait à la
catégorie des pionniers ou des ouvriers avaient des dimensions racialisées (Razak, 2002). Les
pionniers provenant du siège colonial de la France, puis de la Grande-Bretagne, étaient sollicités.
À mesure que le Canada grandissait, des travailleurs du secteur primaire étaient recrutés dans des
pays tels que le Japon, l’Inde, la Chine et l’Italie.
Les politiques en matière d’immigration exprimaient souvent des positions racistes. Par exemple,
la Loi de l’immigration chinoise, ou Loi d’exclusion, imposait de lourdes taxes aux immigrants
chinois, le Règlement du voyage sans interruption de 1908 restreignait l’immigration des Indiens, et
par la Loi sur l’immigration de 1910, le gouvernement consentait à l’institutionnalisation du
racisme (Abu-Laban, 1998). À compter de 1962, les pratiques et les politiques manifestement
76
de minorité visible à Toronto arrivés avant 1986
touchaient un revenu inférieur au seuil de faible revenu,
comparativement à 48,5 % de ceux arrivés après 1985
(Preston, Lo et Wang, 2003).
Les causes de la dégradation de la performance
économique des immigrants de minorité visible ne sont
pas très bien comprises. Les chercheurs ont proposé
de nombreuses explications : les employeurs accordent
moins de valeur à l’expérience de travail acquise à
l’étranger qu’à celle acquise au Canada (Ayedemir
et Skuterud, 2005), les immigrants se heurtent à une
concurrence accrue de la part des travailleurs très instruits
nés au Canada (Reitz, 2001 ; Li, 2003), et la question
de la reconnaissance des titres de compétences diminue
l’accès des immigrants aux professions réglementées
(Brouwer, 1999). La connaissance des langues officielles
du Canada a également une incidence sur la performance
économique des immigrants. Tandis que les employeurs
exigent un degré d’alphabétisation plus élevé de la part
de leurs employés, les immigrants qui ne parlent pas
couramment français ou anglais ou qui parlent avec
un accent ont plus de difficulté à décrocher un emploi
à la mesure de leurs compétences et de leur expérience
(Boyd et Thomas, 2002). Le racisme peut également nuire
aux perspectives économiques de l’ensemble des
immigrants, en particulier celles des immigrants de
minorité visible.
discriminatoires ont été peu à peu retirées. L’introduction
d’un « système de pointage », par lequel la personne qui
demande à être admise au Canada est évaluée en fonction
de ses compétences, de son âge, de son degré de scolarité
et de ses perspectives d’emploi plutôt qu’en fonction de sa
nationalité, de son origine ethnique, de sa race, de sa
religion et de la couleur de sa peau a constitué une étape
importante vers une plus grande « objectivité » dans
l’évaluation des candidats à l’immigration (Li, 2003).
Pendant que les politiques en matière d’immigration
se transforment, le multiculturalisme devient partie
intégrante du discours et du droit canadiens. La politique
adoptée en 1971 promettait que les groupes ethniques
pourraient conserver leur patrimoine culturel tout en
participant pleinement à la société canadienne (Hansard,
1971). Incorporée dans la Charte des droits et libertés en
1982, la politique sur le multiculturalisme a été révisée dans
le but de parler explicitement de diversité raciale dans la
Loi du multiculturalisme de 1985, ratifiée en 1988 (Leman,
1999). Les lois et les programmes actuels promettent une
pleine participation à la société canadienne aux immigrants de tous les pays et de toute origine ethnique.
Défis pour la société canadienne
Malgré les promesses du multiculturalisme, les
immigrants de minorité visible doivent faire face à
l’exclusion et à la marginalisation au Canada. Un signe des
difficultés qu’ils éprouvent est le pourcentage croissant de
familles d’immigrants qui déclarent des revenus inférieurs
au seuil de faible revenu, un instrument de mesure de la
pauvreté couramment utilisé3. Entre 1991 et 2001, le
pourcentage de familles dont le revenu était inférieur au
seuil de faible revenu a augmenté au chapitre des familles
dont le principal salarié est un immigrant et a diminué
pour ce qui est des familles dont le principal salarié est né
au Canada. Même lorsque l’économie enregistrait une
croissance, le taux de pauvreté augmentait parmi les
familles d’immigrants. Ces tendances divergentes mettent
en lumière les constantes difficultés économiques
auxquelles doivent faire face les nouveaux arrivants, dont
la majorité appartiennent à une minorité visible
Ainsi, le taux de pauvreté parmi les immigrants de
minorité visible est déraisonnablement élevé. En 1996,
près de quatre ménages d’immigrants appartenant à une
minorité visible sur dix de la région métropolitaine de
Toronto vivaient dans la pauvreté. En comparaison, le
pourcentage de ménages dont un des principaux
répondants, d’origine européenne, était né au Canada,
et dont le revenu était inférieur au seuil de faible revenu
s’élevait à 16,3 % (Preston, Lo et Wang, 2003). En tant que
nouveaux arrivants, les immigrants de minorité
visible connaissent des processus d’intégration au marché
du travail différents de ceux que vivent leurs homologues
d’origine européenne arrivés précédemment (Aydemir et
Skuterud, 2005). En moyenne, leur salaire ne rattrape pas
celui des personnes nées au Canada à l’intérieur de 10 ans,
comme c’était le cas des immigrants arrivés avant 1986.
Par conséquent, les immigrants appartenant à une
minorité visible arrivés récemment sont beaucoup plus
susceptibles de vivre dans la pauvreté que ceux arrivés
précédemment. En 1996, 19 % des ménages d’immigrants
La question de la ségrégation
Dernièrement, des chercheurs se sont intéressés aux
répercussions de la ségrégation résidentielle sur l’intégration
des immigrants de minorité visible dans la société
canadienne. Les journaux se disent de plus en plus
préoccupés par le fait que les immigrants sont désavantagés
compte tenu qu’ils vivent dans des secteurs résidentiels
où la majorité de la population est composée
d’immigrants (Carey, 2001). Dans le discours public, on
constate une association croissante et embarrassante entre
la concentration résidentielle des minorités visibles et la
pauvreté. Il convient donc d’analyser l’apparente relation
entre la ségrégation résidentielle et les difficultés
économiques auxquelles sont confrontés les immigrants
de minorité visible comme piste d’examen des effets du
racisme et de la discrimination sur l’intégration de
ces immigrants.
Même si les taux globaux de ségrégation dans les
villes canadiennes sont inférieurs à ceux des villes
américaines, les groupes de minorités visibles sont
souvent plus isolés des populations d’origines britannique
et française majoritaires que les groupes ethniques
d’origine européenne (Balakrishnan et Gyimah, 2003 ;
Bauder et Sharpe, 2002 ; Ray, 1998). Dans les trois grandes
régions métropolitaines, les résidants appartenant à une
minorité visible sont moyennement ségrégués, tandis
que les résidants originaires d’Europe méridionale,
centrale ou de l’Est le sont peu. L’exception à ces tendances est la population juive qui fait toujours l’objet
d’une forte ségrégation (Balakrishnan et Gyimah, 2003 ;
Myles et Hou, 2004).
Tous ne s’entendent pas sur les causes de la ségrégation dans les villes canadiennes. Le recul graduel de la
77
ségrégués, peu de rapports peuvent être établis entre le
quartier où ils vivent et leur revenu (Hou et Picot, 2004 ;
Myles et , 2004). À la différence des Afro-Américains, le
groupe le plus souvent étudié en ce qui a trait à la
ségrégation dans les villes américaines, de nombreux
immigrants de minorité visible sont plus instruits que
l’adulte moyen né au Canada, ce qui signifie que leur
niveau d’instruction devrait garantir leur réussite sur le
plan économique au Canada.
La banlieusardisation des minorités prend également
au Canada un aspect différent de celui aux États-Unis,
ce qui crée un écart encore plus grand entre les modèles
de ségrégation des deux pays. Dans les régions métropolitaines canadiennes, les banlieues accueillent de vastes
populations diversifiées d’immigrants de minorité visible
qui s’y installent pour différentes raisons. Pour certains,
les banlieues offrent des logements locatifs sociaux ou
privés peu coûteux4 (Owusu, 1998), tandis que d’autres
cherchent à devenir propriétaires dans un environnement
suburbain (Ray, Halseth et Johnson, 1997). La diversité
sociale de la population des immigrants de minorité
visible vivant dans les banlieues des régions métropolitaines
canadiennes n’est pas comparable à celle des villes américaines où la banlieusardisation est l’apanage de ménages
nantis issus de minorités (Alba, Logan et Stults, 2000).
Pour terminer, des travaux de recherche effectués
récemment au Royaume-Uni et en Europe de l’Ouest ont
soulevé des questions concernant la nature et la raison de
la ségrégation. Les modèles spatiaux de ségrégation qui
prévalent au Canada ressemblent en de nombreux points
à ceux du Royaume-Uni, largement influencés par les
politiques du logement et de l’aide sociale. Dans ce
contexte, l’analyse récente de la situation de plusieurs
villes européennes (Murie et Musterd, 2004) permet de
conclure que les caractéristiques du quartier ont un effet
sur les options de mobilité sociale à partir du moment où
le ménage souffre de la pauvreté ou de toute autre forme
d’exclusion sociale. En Europe, où l’État-providence
redistribue activement les revenus et établit un seuil
minimum pour les revenus du ménage, les caractéristiques
du quartier ne permettent pas de déterminer quels
ménages vivent dans la pauvreté. À l’opposé de la vision
américaine de la ségrégation, l’expérience européenne
suggère que la ségrégation nuit davantage aux perspectives
d’avenir des immigrants de minorité visible qu’elle
n’explique leurs difficultés économiques actuelles.
ségrégation que subissaient la plupart des groupes
ethniques d’Europe méridionale, centrale et de l’Est est
souvent mentionné comme preuve que la ségrégation est
largement voulue, et qu’elle constitue une tentative de
maintien de l’identité et du patrimoine culturels grâce
au regroupement dans certains quartiers résidentiels
(Murdie et Teixeira, 2003). Toutefois, il a été prouvé
récemment que certains groupes de minorités visibles
connaissent des difficultés relativement au marché du
logement qui pourraient favoriser la ségrégation (Myles et
Hou, 2004). Si l’on se fonde sur leurs revenus, leur
profession et leur niveau de scolarité, le pourcentage de
Noirs propriétaires d’une maison devrait être supérieur à
ce qu’il est effectivement, ce qui semble indiquer que des
processus de discrimination sont à l’œuvre (Myles et Hou,
2004). Les immigrants et les réfugiés appartenant à une
minorité visible indiquent également subir de la discrimination sur le marché du logement (Owusu, 1998 ;
Novac et coll. 2002).
Les conséquences de la ségrégation pour les
immigrants de minorité visible dans les villes canadiennes
ne sont pas non plus très bien connues. Certains travaux
de recherche laissent entendre que le salaire des personnes
appartenant à une minorité visible qui vivent dans des
quartiers composés en majorité de membres de minorités
visibles est plus bas que le salaire de celles qui vivent dans
des quartiers multiethniques (Kazemipur et Halli, 2000 ;
Lee, 2000). Certains critiques remettent en question
plusieurs aspects de ces résultats. Ils signalent que le seuil
de faible revenu, l’instrument de mesure de la pauvreté le
plus souvent utilisé, n’est qu’un signe d’exclusion, à savoir
un phénomène complexe et à facettes multiples (Germain
et Gagnon, 1999 ; Ley et Smith, 2000). D’autres n’ont
réussi à établir que peu de liens entre le pourcentage
de personnes vivant dans la pauvreté dans un quartier
donné et le pourcentage d’immigrants qu’on y trouve
(Ley et Smith, 2000). En outre, certains constatent que
les différents facteurs liés à la situation du quartier qui
restreindraient les chances d’épanouissement des immigrants ne sont pas explicites (Germain et Gagnon, 1999).
Ils se demandent dans quelle mesure les travaux de
recherche qui font un lien entre la ségrégation résidentielle
des populations afro-américaines au centre des villes
américaines et le taux élevé et soutenu de pauvreté
(Wilson, 1996) s’appliquent à ce que vivent les immigrants
de minorité visible dans les villes canadiennes.
Les travaux de recherche menés aux États-Unis sont
difficiles à traduire dans le contexte canadien pour les
trois raisons suivantes : les modèles de ségrégation qui
prévalent dans les villes canadiennes sont différents de
ceux des villes américaines, le taux de ségrégation dans les
villes canadiennes est plus bas que celui qui prévaut dans
les villes américaines, et les effets de la racialisation sont
davantage complexes. Il n’existe pas d’équivalent canadien
d’un ghetto où une minorité visible domine la population
du quartier et où un pourcentage élevé des membres
de l’ensemble d’un groupe de minorité visible vivent
dans des quartiers où ils représentent une majorité appréciable de la population (Peach, 1996). Même chez les
immigrants chinois et sud-asiatiques, qui constituent
les groupes d’immigrants de minorité visible les plus
Préparer l’avenir
CITC
À ce jour, nous ne possédons qu’une connaissance
limitée des processus sociaux qui mènent à l’exclusion des
immigrants de minorité visible. Il y a amplement matière
à de futurs travaux de recherche. Par exemple, les analyses
actuelles des causes des difficultés économiques qu’éprouvent les immigrants de minorité visible sont souvent
contradictoires. Pour expliquer le faible taux d’emploi
des immigrants, Aydemir et Skuterud (2005) insistent
sur le fait que les employeurs n’accordent pas de valeur
à l’expérience de travail acquise à l’étranger, tandis que
Hum et Simpson (2003) accentuent l’importance du
moment de l’arrivée. Une façon de faire concorder ces
résultats divergents serait d’effectuer des recherches qui
78
tiennent compte du rapport entre l’appartenance à une
minorité visible et le sexe de l’immigrant, le moment de
son arrivée et d’autres caractéristiques sociales, ainsi que
de la manière dont ces rapports changent avec le temps.
Les chercheurs devraient également envisager avec sérieux
la possibilité que les immigrants de minorité visible soient
victimes de discrimination sur les marchés du travail et du
logement. Il ne suffit pas de mettre la faute des écarts
inexpliqués dans les domaines du logement et de l’emploi
sur la discrimination (p. ex., Pendakur, 2000). Un des
moyens, peu nombreux, d’établir avec certitude l’ampleur
et la nature des pratiques discriminatoires est de procéder
à des vérifications où des demandeurs jumelés, dont la
seule différence est la couleur de leur peau, postulent un
même emploi ou un même logement.
Il serait également pertinent de mener une recherche
comparative qui explique les avantages et les inconvénients
variables de la ségrégation. Dès leur arrivée au Canada, les
femmes de Hong Kong et de la Chine ont eu l’avantage de
vivre près d’autres membres de leur communauté, même
si plus tard, n’étant entourées que de gens qui parlent
cantonais ou mandarin, elles ont senti qu’elles risquaient
de perdre leur anglais (Preston et Man, 1999). Les
chercheurs devraient également examiner en quoi le fait
de vivre dans un quartier pauvre a une incidence sur
les perspectives économiques des immigrants de minorité visible. Les associations statistiques faites entre le
pourcentage d’immigrants de minorité visible dans un
secteur de recensement donné et le pourcentage de la
population touchant un revenu inférieur au seuil de faible
revenu ne révèlent pas les facteurs qui font en sorte que
le lieu de résidence nuit à l’intégration économique.
Ces associations taisent également la nature grandement
changeante des effets du voisinage et de leurs répercussions (Hou et Picot, 2004). La nature multiethnique
des quartiers canadiens justifierait également une
recherche. Étant donné le taux relativement bas de ségrégation dans les villes canadiennes, les immigrants de
minorité visible s’établissent dans des quartiers où la
population est diversifiée. En se fiant principalement
aux études américaines sur la ségrégation (Borjas, 2000),
nous ne tenons pas compte du rôle possible des quartiers
multiethniques comme lieux d’intégration dans les
régions métropolitaines canadiennes.
Étant donné le caractère démographique et politique
propre aux villes canadiennes, nous ne pouvons simplement
calquer les idées d’autres pays et d’autres villes. Nous
devons acquérir une connaissance approfondie des
facteurs qui contribuent à l’exclusion dans un contexte
canadien façonné par les politiques sur l’immigration et le
multiculturalisme mises en œuvre il y a plus de trente ans.
La recherche est essentielle si nous voulons livrer bataille
à l’exclusion des immigrants de minorité visible et tenir
les promesses faites dans les politiques actuelles sur
le multiculturalisme.
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PRESTON, V. et G. MAN. « Employment Experiences of Chinese
Immigrant Women: An Exploration of Diversity », Canadian Woman
Studies = Cahiers de la femme, vol. 19 (1999), p. 115-122.
RAY, B. K. « La mesure et la signification de la ségrégation à Montréal »,
dans M. McAndrew et N.L. Vincent (éds.), Metropolis An II : le
développement d’un agenda de recherche comparatif, Montréal,
Immigration et métropoles, Centre de recherche interuniversitaire de
Montréal sur l’immigration, L’intégration et la dynamique urbaine,
1998, p. 268-279.
1
À l’exception notable de Hou et Picot, 2004 ; Hou, 2004.
2
Par souci de clarté, les propos contenus dans cet article correspondent à
ceux que l’on trouve à Statistique Canada dans le Recensement de 2001
et ne reflètent pas les opinions politiques des auteurs.
3
Le seuil de faible revenu est le revenu minimum que doit toucher un
ménage pour combler ses besoins de base. Le montant du seuil de faible
revenu est calculé en fonction de la taille de la famille et du nombre de
personnes vivant au lieu de résidence du ménage.
4
Les logements sociaux comprennent les unités de logement possédées
et gérées par l’État et les coopératives d’habitation qui offrent des
logements subventionnés aux locataires à faible revenu.
Analyse documentaire des
intersections de la diversité
Dans le cadre d’un séminaire de recherche sur les
politiques en matière d’intersections de la diversité,
neuf analyses documentaires ont été commandées.
Celles-ci examinent de quelle façon l’ethnicité, la race,
la religion et les langues ancestrales interagissent
avec l’immigration, le statut autochtone, les langues
officielles, le statut socioéconomique, l’orientation
sexuelle, la région, le sexe et l’âge.
CITC
On peut consulter ces documents sur le site Web de
Metropolis, à l’adresse www.canada.metropolis.net/
events/Diversity/diversity_index_f.htm.
80
L’HÉTÉROGÉNÉITÉ
ETHNOCULTURELLE DES NOIRS
DANS NOS « ETHNICITÉS »
RÉSUMÉ
Il est permis de croire que les origines ethnoculturelles des Noirs au Canada sont plus diversifiées que celles
de tout autre groupe, même si les Noirs sont souvent présentés comme un groupe homogène non seulement dans les médias de masse, mais aussi dans les discours intellectuels. Le présent exposé fait la
lumière sur l’immense diversité des Noirs dans les villes canadiennes et cerne un certain nombre de
problèmes et de possibilités engendrés par la présence des Noirs. On soutient que la présence des Noirs au
Canada, comme celle d’autres minorités, nous procure une prescience considérable et soumet nos valeurs
dominantes ainsi que nos présomptions naturelles à un examen minutieux quoique nuancé.
S
JOSEPH MENSAH
Atkinson School of Social Sciences, York University
Center of Excellence for Research in Immigration and Settlement (CERIS) Toronto
i l’histoire des Noirs au Canada remonte au 17e siècle, ce n’est qu’à la suite de l’introduction du
système de points d’appréciation dans les années 1960 que les Noirs ont commencé à affluer au
pays. Pourquoi les gens entreprennent-ils de migrer à l’étranger ? Il n’existe certainement
aucune réponse simple à cette question. Toutefois, pour la majorité des Noirs, l’aspiration à un
niveau de vie plus élevé et à la liberté politique est vraisemblablement à l’origine de leur émigration
au Canada. Les pays de l’Afrique noire et des Caraïbes comptent parmi les pays les moins développés au monde. Au cours de la dernière décennie, les conflits ethniques, l’instabilité politique et le
fléau du sida sont venus s’ajouter, assez dangereusement d’ailleurs, aux rudes conditions environnementales, ce qui a créé des conditions d’existence déplorables dans plusieurs pays, notamment en
Afrique. Les conditions d’existence de certaines nations des Caraïbes (p. ex. en Haïti) ne sont guère
mieux. Il n’est donc pas surprenant que plusieurs ressortissants de l’Afrique noire et des Caraïbes
choisissent le Canada comme terre d’adoption. La population noire canadienne est tout à fait
hétérogène. Mais, peut-être en raison d’une pénurie de données ou du simple manque de rigueur
analytique, nombreux sont ceux qui parlent couramment de la « communauté noire » comme si
les Noirs étaient tous semblables. Le présent document jette une lumière sur l’hétérogénéité culturelle au sein de la population noire au Canada et souligne les problèmes « uniques » et les
possibilités qui découlent de la présence des Noirs dans nos villes. L’angle urbain mentionné
ici n’est pas le fruit du hasard : non seulement il répond à l’objectif général du nouveau périodique
intitulé Nos diverses cités, mais il témoigne aussi de la forte concentration de Noirs dans le Canada
urbain. Bien que brefs par obligation et théoriques en majeure partie, la plupart des arguments
présentés ici sont tirés d’une étude exhaustive et empirique sur les Noirs canadiens effectuée par
l’auteur du présent document (voir Mensah, 2002), étude que les lecteurs sont invités à consulter
pour plus d’information.
Comprendre l’hétérogénéité des Noirs au Canada
L’Afrique et les Caraïbes sont parmi les régions du monde qui présentent la plus importante
diversité ethnoraciale. Bien que la majorité des immigrants au Canada qui proviennent des
principaux pays sources des Caraïbes, (Jamaïque, Trinité-et-Tobago, Haïti, Barbade et Grenade) sont
de descendance africaine, il faut mentionner que les Caraïbes comptent de nombreux autres groupes
ethnoraciaux. À la suite de l’abolition de l’esclavage, plusieurs Chinois et Indiens d’Asie engagés à
long terme comme laboureurs ont été emmenés dans cette région pour travailler dans les plantations
de canne à sucre. Bon nombre d’entre eux étaient accompagnés de leur famille et sont restés dans la
région une fois leur contrat terminé. De plus, les mélanges interraciaux qui se sont effectués dans
cette partie du monde au fil des siècles ont donné lieu à une population mixte imposante, ce qui
complique davantage l’hétérogénéité ethnoraciale de la région. Comme on pouvait s’y attendre, les
puissances européennes y ont soutenu leurs propres cultures et langues, dans leurs colonies
respectives. C’est pourquoi nous retrouvons l’anglais, le français et l’espagnol, ainsi que leurs patois
et leurs versions créoles, sur l’ensemble des Caraïbes. Des deux langues officielles du Canada,
l’anglais est de loin la langue la plus populaire chez les immigrants des Caraïbes, en raison de la
domination des colonies britanniques dans la région. Exception faite d’Haïti, de Cuba et de la
81
République dominicaine, les principaux pays sources des
Caraïbes ont l’anglais pour langue officielle. En fait, Haïti
est le seul parmi les dix principaux pays sources dont le
français est la langue officielle, d’où l’affinité naturelle des
immigrants haïtiens avec le Québec. Si le catholicisme
domine le paysage religieux de pays tels que Haïti, Cuba et
la République dominicaine, diverses confessions
protestantes (p. ex. anglicanes et méthodistes) règnent
dans d’autres pays, comme la Jamaïque, la Barbade et
Saint-Kitts. Il existe aussi un grand nombre d’hindous et
de musulmans à Trinité-et-Tobago, de vaudouisants à
Haïti et de rastafariens en Jamaïque.
Les antécédents ethnoraciaux des immigrants
africains sont, pourrait-on dire, plus diversifiés que ceux
de tout autre groupe au Canada, même si les Africains
sont constamment homogénéisés par les médias de masse.
L’Afrique est à n’en pas douter le lieu d’origine de la
plupart des personnes qui se retrouvent dans la catégorie
ambiguë de « Noirs » au Canada. Or, il y a des Noirs dont
le lieu de naissance, la langue maternelle ou le dernier pays
de résidence permanente (ou même celui de leurs parents)
ne se trouvent pas en Afrique. Aussi, même s’il est
probable que la majorité des immigrants africains venant
de l’Afrique équatoriale ou de l’Afrique de l’Ouest soient
des « Noirs », selon toute définition raisonnable du terme,
on ne peut en dire autant des immigrants qui viennent de
l’Afrique du Nord, de l’Afrique australe et de l’Afrique
orientale. Les Africains du Nord, dont les Marocains,
les Libyens, les Algériens, les Tunisiens et les Égyptiens,
se considèrent habituellement comme des Arabes – et
sont généralement décrits comme tels (même dans le
recensement du Canada). En outre, les immigrants de
l’Afrique du Sud peuvent tout aussi bien être des Blancs,
des Indiens ou « des personnes de couleur » que des Noirs.
Pour les Africains de l’Afrique orientale, la situation se
complique également du fait qu’il y existe un grand
nombre d’Indiens d’Asie, dont l’ethnicité ou la nationalité
trouve sa source dans cette région. Nous devons reconnaître que si la plupart des pays d’Afrique comptent une
population à prédominance noire, il existe une énorme
diversité intranationale et internationale entre les
Africains. Harm de Blij (1993) et Jackson et Hudman
(1990) estiment qu’entre 600 et 1 000 langues différentes
sont parlées sur le continent. Le Nigeria, nation la plus
peuplée du continent, présente peut-être la plus grande
diversité linguistique. Avec trois grandes régions ethnolinguistiques qui regroupent les Haoussas au nord, les
Yorubas à l’ouest et les Ibos au sud, plus d’une dizaine de
langues principales dont chacune est parlée par plus d’un
million de personnes et quelque 230 langues moins
connues, la diversité ethnolinguistique du Nigeria a de
quoi surprendre plus d’un Canadien. La diversité ethnique
africaine est rendue encore plus complexe du fait des
écarts entre les territoires tribaux précoloniaux et les
frontières géopolitiques modernes, dont la plupart ont été
tracées par les puissances coloniales lors de la Conférence
de Berlin de 1884-1885, sans égard à la géographie
humaine et physique des lieux visés. Ces écarts, qui sont
illustrés de façon spectaculaire sur la carte de la Figure 1
par des frontières plus que sinueuses, sous-tendent la
grande majorité des conflits ethniques et tribaux
contemporains qui ravagent le continent.
Figure 1 – Carte des
frontières tribales et
politiques en Afrique
La plupart des frontières
nationales de l’ère moderne en
Afrique ont été établies par les
puissances coloniales au cours
de la Conférence de Berlin de
1884-1885, qui ont à peine, voire
pas du tout, tenu compte des
facteurs humains et géographiques
des territoires qu’ils ont divisés.
C’est ainsi que certaines tribus
unifiées ont été déchirées, alors
que d’autres, hostiles, ont été
regroupées. On ne peut nier que
les conflits tribaux et ethniques
qui éclatent aujourd’hui en
Afrique peuvent, pour la plupart,
être attribués aux divergences
énormes entre les frontières
nationales et ethniques.
Frontière tribale
Frontière nationale
de l’ère moderne
Voir : Fellmann, J. et coll. (1992) p. 145.
Mensah, J., Y. (1997)
Sadowsky (1998), p. 15.
82
Comparativement aux immigrants des Caraïbes, la
présence des Africains noirs dans les villes canadiennes est
beaucoup plus compliquée et présente très peu de
catégories distinctes : d’abord, les Somaliens constituent le
groupe prédominant dans presque toutes les villes à
l’exception de Calgary et de Vancouver, où dominent les
Sud-Africains, dont la plupart ne seraient vraisemblablement pas Noirs ; Halifax, où les Nigérians sont le groupe
prédominant parmi le très petit nombre d’immigrants
noirs dans cette ville ; et Montréal, où dominent les
francophones comme les Congolais, les Camerounais, les
Zaïrois et les Mauriciens (les Ghanéens vivant à l’extérieur
de la ville). Ensuite, on note une certaine affinité entre les
Somaliens, les Éthiopiens et les Érythréens se trouvant au
Canada, affinité peut-être attribuable à des antécédents
communs comme la religion islamique et la langue arabe
(et dans une certaine mesure, l’anglais). Cette affinité est
surprenante, compte tenu des conflits historiques entre
Éthiopiens et Érythréens en Afrique. Quoiqu’il en soit, le
fait qu’environ 6 % des Éthiopiens en Afrique soient de
souche somalienne est tout aussi important ici. Seules des
données géographiques finement subdivisées pourraient
expliquer la nature des modes résidentiels intra-urbains
de ces groupes. Enfin, les seules origines ethniques de
l’Afrique de l’Ouest qui prédominent dans nos grandes
villes, exception faite de Montréal, sont celles des
Ghanéens et des Nigérians. Ceux-ci sont-ils en plus grand
nombre en raison de bureaux des visas canadiens dans ces
deux nations ou parce que leur nombre justifie la présence
des bureaux des visas ? Il est difficile d’y répondre.
Les Noirs dans nos diverses cités
En 2001, on comptait 662 210 Noirs au Canada, ce
qui faisait d’eux le troisième plus important groupe
minoritaire visible, après les Chinois et les Asiatiques du
Sud. La plupart des Noirs résident dans les villes,
l’écrasante majorité d’entre eux vivant à Toronto (46,81 %),
à Montréal (21 %), et à Ottawa-Gatineau (5,78 %)
(Tableau 1). Un peu plus de la moitié de la population
noire au Canada (344 255 ou 52 %) est immigrante.
Comme l’illustre le Tableau 2, à l’exception de Halifax
qui est depuis longtemps la province de résidence de
Noirs « indigènes », la population noire immigrante
surpasse la population noire non immigrante dans la plupart
des villes. Par ailleurs, à l’instar d’autres minorités visibles,
l’arrivée de Noirs dans les villes canadiennes, outre Toronto et
Montréal, est un phénomène récent, la vaste majorité
n’étant au pays que depuis 1981.
Les Noirs dont les origines ethnoculturelles ou
nationales sont différentes ont-ils tendance à s’établir dans
des villes différentes ? Existe-t-il des modes régionaux
distincts dans la façon dont les Noirs d’Afrique ou des
Caraïbes choisissent leur ville de résidence ? Les tableaux 3
et 4 portent respectivement sur les Caraïbes et l’Afrique, et
classent les origines ethniques des Noirs dans nos villes.
Manifestement, les Jamaïcains, les Trinidadiens, les
Barbadiens et les Guyaniens sont, dans cet ordre, les
principaux groupes des Caraïbes présents dans les villes
canadiennes, les exceptions significatives étant Montréal
et Ottawa-Gatineau, où dominent naturellement
les Haïtiens.
Tableau 1 : La population noire dans les villes canadiennes1.
Ville
Population
urbaine
Population
noire
% de la population
noire du Canada
vivant dans la ville
% de la population
de la ville qui
est noire
Calgary
943 310
13 665
2,66
1,45
Edmonton
927 020
14 095
2,12
1,52
Halifax
355 945
13 085
1,97
3,68
Hamilton
655 055
12 855
1,94
1,96
Kitchener
409 765
7 345
1,11
1,79
London
427 215
7 610
1,15
1,78
3 380 645
139 303
21,00
4,12
293 550
7 180
1,08
2,44
Ottawa-Gatineau
1 050 755
38 185
5,78
3,63
Toronto
4 647 955
310 500
46,81
6,68
Vancouver
1 967 475
18 405
2,77
0,93
Windsor
304 955
8 125
1,22
2,66
Winnipeg
661 725
11 440
1,72
1,73
Montréal
Oshawa
1
Ces villes comptent au moins 5 000 résidants de race noire.
Source : Statistique Canada ; Recensement de la population de 2001. [http://estat.statcan.ca/cgi-win]
83
régions du monde. Il est permis de penser que l’expérience
noire au Canada est unique, non seulement en raison de
l’immense hétérogénéité qu’elle apporte, mais aussi parce
que les Noirs constituent le seul peuple dont les ancêtres
ont été déracinés de force et emmenés comme esclaves en
S’ajoutent aux diversités ethnoculturelles engendrées
dans nos villes par les Noirs des Caraïbes et de l’Afrique,
sont celles attribuables à la population noire « indigène »
du Canada et aux immigrants noirs contemporains
provenant des États-Unis, de l’Amérique latine et d’autres
Tableau 2 : Noirs, statut d’immigrant et période d’immigration par ville.
Ville
Population
noire totale
Population
non-immigrante
Population
immigrante
Avant
1961
19611970
19711980
19811990
1991- Résident non
2001
permanent
Calgary
13 665
6 210
7 105
80
415
1 335
1 725
3 555
350
Edmonton
14 100
6 875
6 640
55
660
1 555
1 535
2 840
585
Halifax
13 085
11 905
945
40
80
120
160
550
235
Hamilton
12 850
6 210
6 070
130
1 110
1 410
1 115
2 305
570
Kitchener
7 350
3 395
3 855
55
475
870
735
1 715
100
London
7 610
3995
3360
100
520
565
620
1555
255
139 300
59 850
76 215
1 075
5 805
20 745
19 051
29 570
6 240
Oshawa
7 180
3 710
3 440
55
730
1 160
715
775
25
OttawaGatineau
38 180
14 670
21 915
230
1 355
2 930
4 935
12 470
1595
Toronto
310 495
125 620
178 250
1 735
21 205
44 945
42 105
68 250
6 630
18 405
8 815
9 135
120
1 095
1 970
1 985
3 965
460
Windsor
8 125
4 915
3 045
50
250
570
560
1 630
165
Winnipeg
11 440
5 5190
5 960
120
775
1 255
1 430
2 375
290
662 210
297 985
344 255
4 420
36 485
82 845
80 690
139 815
19 970
Montréal
Vancouver
Canada
Source : Statistique Canada, 21 janvier 2003, Recensement du Canada de 2001, Numéro de catalogue 97F0010XCB2001003.
Tableau 3 : Cinq principales origines ethniques des Caraïbes par ville, 2001.
Ville1
1re
2e
3e
4e
5e
Calgary
Jamaïcaine
Trinidad-Tobago
Barbadienne
Guyanaise
Haïtienne
Edmonton
Jamaïcaine
Trinidad-Tobago
Guyanaise
Barbadienne
Grenadienne
Halifax
Jamaïcaine
Barbadienne
Trinidad-Tobago
Guyanaise
Cubaine
Hamilton
Jamaïcaine
Trinidad-Tobago
Guyanaise
Barbadienne
Cubaine
Kitchener
Jamaïcaine
Guyanienne
Trinidad-Tobago
Barbadienne
Bahamienne
London
Jamaïcaine
Trinidad-Tobago
Barbadienne
Guyanienne
Grenadienne
Haïtienne
Jamaïcaine
Trinidad-Tobago
Barbadienne
Dominicaine
Oshawa
Jamaïcaine
Guyanienne
Trinidad-Tobago
Barbadienne
Grenadienne
Ottawa-Gatineau
Jamaïcaine
Haïtienne
Trinidad-Tobago
Barbadienne
Guyanienne
Toronto
Jamaïcaine
Guyanienne
Trinidad-Tobago
Barbadienne
Grenadienne
Vancouver
Jamaïcaine
Trinidad-Tobago
Barbadienne
Guyanienne
Cubaine
Windsor
Jamaïcaine
Trinidad-Tobago
Barbadienne
Guyanienne
Cubaine
Winnipeg
Jamaïcaine
Trinidad-Tobago
Guyanienne
Barbadienne
Grenadienne
Montréal
CITC
1
Ces villes comptent au moins 5 000 résidants de race noire.
Source : Statistique Canada, 21 janvier 2003, Recensement du Canada de 2001, Numéro de catalogue 97F0010XCB2001001.
84
Tableau 4 : Cinq principales origines ethniques africaines1 par ville, 2001.
Ville2
1re
2e
Calgary
S.-Africaine
Éthiopienne
Edmonton
Somalienne
4e
5e
Nigériane
Soudanaise
Somalienne
Éthiopienne
Érythréenne
S.-Africaine
Nigériane
Nigériane
S.-Africaine
Éthiopienne
Soudanaise
Ougandaise
Hamilton
Somalienne
S.-Africaine
Ghanéenne
Congolaise
Soudanaise
Kitchener
Somalienne
Éthiopienne
S.-Africaine
Soudanaise
Érythréenne
London
Somalienne
Soudanaise
Éthiopienne
S.-Africaine
Érythréenne
Montréal
Congolaise
Ghanéenne
Camerounaise
Zaïroise
Mauricienne
Oshawa
S.-Africaine
Kényane
Éthiopienne/Ghanéenne
S.-léonienne
Nigériane
Ottawa-Gatineau
Somalienne
Éthiopienne
Érythréenne
Congolaise
Ghanéenne
Toronto
Somalienne
Ghanéenne
Éthiopienne
S.-Africaine
Nigériane
Vancouver
S.-Africaine
Somalienne
Éthiopienne
Ghanéenne
Nigériane
Windsor
Somalienne
Éthiopienne
Nigériane
Rwand./Soud.
Ghanéenne
Winnipeg
Éthiopienne
Érythréenne
Soudanaise
S.-Africaine
Nigériane
Halifax
3e
1
Les Nord-Africains, dont les Libyens, les Algériens, les Marocains, les Égyptiens et les Tunisiens, sont exclus, puisque dans le recensement du Canada, ils
y sont classés comme étant des Arabes.
2
Les classifications pour ces villes sont des approximations, puisque certaines catégories utilisées dans le recensement se chevauchent (un bon
exemple est l’utilisation de « Noirs », « Ghanéen », « Akan » et « Ashanti » – un Ashanti typique pourrait bien faire partie des trois catégories précédentes).
Source : Statistique Canada, 21 janvier 2003, Recensement du Canada de 2001, Numéro de catalogue 97F0010XCB2001001.
Amérique. Qui plus est, les Noirs sont en général considérés, quoique trompeusement, comme étant diamétralement opposés aux Blancs, le groupe dominant. Par
conséquent, ils se heurtent aux pires formes de racisme
motivé par la couleur de la peau ainsi qu’à toutes les
connotations négatives que le terme « Noir » conjure dans
les pratiques discursives tant religieuses que laïques en
Occident. Un corollaire de leur position antithétique est le
fait que le terme « Noir » constitue souvent une étiquette
qui englobe la plupart des métis, peu importe la couleur
de leur peau. Ceci est aussi vrai pour l’enfant de parents
noir-blanc que pour l’enfant de parent noir-autre minorité
visible. Tout ceci ne fait que compliquer davantage
l’hétérogénéité des Noirs dans notre société. Par ailleurs,
les « Noirs » constituent la seule catégorie des minorités
visibles dans le recensement du Canada qui n’a aucun
point de référence national ou géographique particulier, ce
qui rend cette catégorie extrêmement ambiguë ; les points
de référence géographiques de catégories comme les
Chinois, les Philippins, les Coréens et les Japonais sont trop
évidents ici pour que l’on s’y attarde. Et on ne peut passer
sous silence le fait incontestable que les Noirs sont la plus
« visible » des minorités visibles au Canada et qu’ironiquement, ils comptent parmi les personnes les plus « invisibles »
dans nos coulisses du pouvoir. Compte tenu des faits énoncés
ci-dessus, auxquels s’ajoute le constat que la plupart des
immigrants noirs viennent de l’Afrique et des Caraïbes
(deux des régions les plus pauvres de la planète), il est
difficile d’annuler la thèse de l’unicité des Noirs.
Répercussions
Quelles sont les répercussions de l’unicité et de
l’hétérogénéité des Noirs sur leur intégration à la société
canadienne en général, et sur la vitalité socioéconomique
et culturelle de nos villes en particulier ? Le principal
facteur qui guide les immigrants dans leur choix du lieu de
résidence (ville ou communauté rurale) est la présence de
membres de la famille ou d’amis (Justus, 2004). Une fois
arrivés à destination, les immigrants noirs sont confrontés –
peut-être encore plus que les autres – à plusieurs difficultés lorsqu’il s’agit de trouver un logement abordable et
convenable, un emploi ou même une école en raison de
leur situation économique défavorisée et de l’importance
du racisme fondé sur la couleur de la peau au Canada.
Souvent, les Noirs de villes comme Toronto, Montréal et
Halifax se retrouvent dans des logements délabrés et
ségrégués (Murdie, 1994 ; Mensah, 2002 ; Ornstein, 2002 ;
Torjman et Leviten-Reid, 2003). Si ces endroits offrent les
réseaux de soutien nécessaires à l’établissement éventuel des
immigrants noirs, ils ne sont pas sans engendrer des
conséquences désastreuses, dont la possibilité de marginalisation et de ghettoïsation accrues n’est pas la moindre. Fait
inquiétant, bon nombre de ceux qui vivent dans ces quartiers
misérables et peu sûrs paient pour leur logement un prix
semblable à celui déboursé par « leurs voisins mieux nantis,
quelques rues plus loin » (Preugger, Cook et Hawkesworth,
2004, p. 124). De même, peu importe leur origine ethnique,
les résidants de ces quartiers pauvres doivent en général payer
des frais plus élevés pour les assurances automobile et
85
habitation, l’épicerie et une foule d’autres infrastructures
urbaines en raison de l’indigence relative de ces infrastructures et du nombre élevé de crimes et d’actes de violence qui
règnent dans ces quartiers.
Entre-temps, une fois que l’image d’une « zone à
criminalité élevée » devient ancrée dans les médias de masse,
la police intensifie sa surveillance et établit le profil ethnique
des résidants de ce quartier, ce qui donne lieu à l’effet
Pygmalion bien connu, exposé dans les audacieux travaux de
Scot Wortley et de ses collègues à la University of Toronto1 :
« Étant donné que les Noirs font l’objet d’une plus grande
surveillance de la part de la police, ils sont davantage susceptibles d’être pris en flagrant délit que les Blancs qui
s’adonnent aux mêmes activités criminelles » (Wortley et
Tanner, 2004, p. 197). Le terme audacieux est utilisé ici à
dessein, puisque les services de police de nombreuses villes
nient établir des profils ethniques, mais s’opposent à la suggestion de recueillir les données nécessaires liées à la race sur
les personnes qu’elles arrêtent et fouillent. Les compagnies
d’assurance, les employeurs et maintes personnes et institutions en position d’autorité jonglent avec leurs propres
faussetés sur les plans écologique, génétique et de
l’homogénéité au sujet des Noirs habitant dans ces quartiers.
Il n’est donc pas surprenant que ceux-ci utilisent maintenant
l’adresse d’amis et de membres de leur famille habitant dans
d’autres quartiers pour présenter des demandes d’emploi,
d’assurance automobile et autres, afin d’éviter les lourdes
pénalités sournoisement voilées liées à leur lieu de résidence.
Quand on constate le nombre élevé et la diversité des
organisations ethnoculturelles et des clubs sociaux annoncés
dans les principaux quotidiens destinés aux Noirs et aux
personnes de l’Afrique et des Caraïbes, on se rend compte
des difficultés qu’il y a à engager les Noirs dans l’action
politique ou autre dans nos villes. Outre les organisations
continentales et régionales (p. ex. les organisations AfriqueCanada et Caraïbes-Canada) et les dizaines d’organisations
nationales (p. ex. les organisations Ghana-Canada, SomaliCanada, Jamaïque-Canada), il existe de nombreux clubs
sociaux et organisations intranationaux et ethnolinguistiques.
Malgré le fait que certains des objectifs de ces organisations
se chevauchent, celles-ci sont malheureusement souvent en
compétition et hostiles les unes envers les autres et d’autant
plus portées vers les tactiques habituelles de « diviser
pour régner », adoptées par les institutions et les groupes
dominants. En effet, au risque de paraître pessimiste, nous
sommes d’avis qu’il est tout simplement inutile de tenter
d’unifier les Noirs ou de trouver une rationalité communicative à-la-Habermas. Souvent, cette diversité présente
des soupçons d’unité uniquement lorsqu’il se produit un
incident important à caractère racial contre les Noirs et les
autres minorités. John Biles et Erin Tolley (2004), par
exemple, expliquent comment l’application inégale des
règlements canadiens en matière de sécurité et de lutte
contre le terrorisme ainsi que l’établissement accru de
profils raciaux par la police à Ottawa ont poussé les
Somaliens et autres minorités dans la ville à participer
activement à la vie politique.
Il convient cependant de souligner que la présence
des Noirs entraîne d’importantes répercussions positives
dans nos « EthniCités »2. Comme seulement 5 % des
membres de cette communauté se situe dans la cohorte
des retraités, comparativement à la moyenne nationale de
12 %3, la population noire est relativement jeune. Aussi,
contrairement à la croyance populaire, les niveaux d’éducation parmi les Noirs s’apparentent beaucoup à ceux des
autres Canadiens (Mensah, 2002). Ainsi, en leur donnant
des chances égales, les Noirs pourraient nettement
contribuer à la vie socioéconomique et culturelle de nos
villes. Les réalisations exceptionnelles des Noirs dans le
sport canadien – peut-être le seul domaine où, de par sa
nature, tous sont sur le même pied d’égalité – laissent
entrevoir ce que nous pouvons acquérir, en tant que
Canadiens, dans d’autres sphères de l’activité humaine, en
puisant dans les ressources jeunes et exubérantes qu’offre
la présence des Noirs. Les avantages potentiels que procure
la diversité ethnique des Noirs à la vitalité culturelle de
notre société devraient être manifestes même pour celui
qui n’observe que brièvement la constante évolution
culturelle de nos villes et des milieux universitaires. Dans
le secteur de l’éducation en particulier, la diversité des voix
et des expériences des Noirs donne l’occasion à nos
enfants d’apprendre de personnes dont les antécédents
culturels et les perspectives sont différents. Nul n’a besoin
d’étudier la dialectique hégélienne pour apprécier la
stupéfiante préscience et la prise de conscience accrue
que le moi – ou le groupe dominant dans ce cas-ci – a
à gagner des contradictions, des destructions créatives
et de l’examen approfondi, quoique nuancé, des valeurs
dominantes et des présomptions naturelles que laisse
invariablement la rencontre avec l’Autre. L’amélioration
consécutive de la conscience de soi du groupe dominant
est d’autant plus importante lorsque nous reconnaissons,
comme l’a fait Nietzsche dans la préface de son ouvrage
La Généalogie de la morale, que de toutes les connaissances
que nous recherchons, la plus difficile à acquérir est la
conscience de soi – d’où son célèbre axiome : « Chacun
est le plus étranger à soi-même ». Mais, on ne peut passer
outre à la multitude de difficultés auxquelles se heurtent
nos éducateurs qui souhaitent établir un semblant de valeurs
morales absolues et faisant autorité dans ce milieu de l’éducation postmoderne, multiculturel et manifestement
relativiste qui est le nôtre.
… et pour conclure
CITC
Selon les estimations de Statistique Canada, d’ici
2017, « environ la moitié de la population de Toronto et de
Vancouver pourrait appartenir à un groupe de minorités
visibles »4. Les questions liées à la présence des Noirs et
autres minorités ne peuvent que prendre de l’ampleur
dans notre discours public alors que la « minorité visible »
devient la « majorité invisible ». C’est faire preuve de
prudence que d’entamer des discussions importantes sur
l’intégration des Noirs et des autres minorités visibles
dans nos villes avant qu’il ne soit trop tard. Les beaux
discours sur les EthniCités dynamiques, débités par nos
élus municipaux par le truchement de brochures touristiques, d’annonces et de festivités multiculturelles, avec
leur autosatisfaction et leur triomphalisme évocateurs,
doivent faire place à des pratiques discursives et de gestion
sérieuses qui respectent l’humanité fondamentale des
Noirs et des autres minorités visibles, et leur offrent leur
juste part du gâteau à l’échelle municipale.
86
Références
Notes
BILES, John et Erin TOLLEY. « Avoir voix au chapitre : la participation
politique des nouveaux arrivants et des minorités à Ottawa », Nos
diverses cités, no 1 (printemps 2004), p. 182-188.
1
Voir WORTLEY, HAGAN et MACMILLAN, 1997; WORTLEY et
TANNAR, 2003 et 2004.
2
Ce jeu de mot postmoderne a été emprunté de John BILES et Erin
TOLLEY, 2004, p.175.
3
Cette estimation a été tirée du recensement du Canada de 2001 de
Statistique Canada, 21 janvier 2003, numéro de catalogue
95F0363XCB2001003.
4
Statistique Canada, Le quotidien, 22 mars 2005, p. 2.
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M. Joseph Mensah enseigne la géographie à la School of Social Science de
l’Atkinson Faculty of Liberal and Professionals Studies de York University
et a une nomination conjointe au programme de troisième cycle en géographie à York University ; il est également agrégé de recherche au Centre
d’excellence conjoint pour la recherche en immigration et en intégration
(CERIS) à Toronto. M. Mensah, titulaire d’un doctorat, a rédigé plusieurs
articles dans des revues spécialisées et est l’auteur de chapitres dans
plusieurs livres. Il est l’auteur de Black Canadians: History Experiences,
Social Conditions (Fernwood, 2002) et le rédacteur adjoint de Globalization
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87
AU-DELÀ
DU CHEVAL DE TROIE
Religion, immigration et discours public canadien
RÉSUMÉ
Cet article examine la nouvelle réalité démographique de la religion au Canada, dont un des éléments
principaux est la croissance rapide des communautés musulmanes, hindouistes, sikhes et bouddhistes. Ceci
n’est guère surprenant considérant que les pays possédant une population majoritairement chrétienne ne
figurent pas parmi les principaux pays sources de l’immigration. L’auteur affirme que la religion est une
composante clé du défi auquel font face les pays receveurs de l’immigration tel que le Canada. Il pose la
question à savoirsi nous sommes proprement équipés pour comprendre cette intense diversité religieuse
causant tant d’ambiguïté dans notre société aujourd’hui.
E
Ces chiffres font état de trois mouvements dignes d’être signalés : 1) changements et déclins
importants au sein du christianisme euro-canadien (notamment les principales confessions) ;
2) tendance à la hausse à s’éloigner (temporairement ou en permanence) des catégories traditionnelles ;
3) augmentation spectaculaire des traditions liées aux populations ethno-religieuses appartenant à
une « minorité visible ».
Quelles sont les répercussions de cette nouvelle réalité sur les religions au Canada ? En ce qui
concerne le christianisme, sa position de dominance dans le soi-disant « marché religieux » est
favorisée par l’immigration non européenne. De même, le système d’immigration moins ethnocentrique
des dernières décennies – comme en témoigne l’immigration de catholiques latins et philippins,
d’anglicans africains, de presbytériens coréens et d’évangélistes chinois (pour ne nommer que ceux-ci) –
a une incidence profonde sur les églises canadiennes4. Pour de nombreux chrétiens, ces
CITC
PAUL A. BRAMADAT
Paul A. Bramadat est professeur à la University of Winnipeg
en études religieuses.
n raison de l’importance de certaines études empiriques et de la vague médiatique qu’elles ont
soulevée ces dernières années1, nombre de Canadiennes et Canadiens ne sont plus étonnés
d’entendre qu’au cours des deux ou trois dernières décennies, le paysage religieux de ce pays a
été profondément modifié. Cette évolution découle d’au moins deux facteurs : d’abord, les expressions complexes et contestées d’une certaine forme de sécularisation et de différenciation et ensuite,
les politiques canadiennes relativement novatrices en matière d’immigration.
Une multitude d’articles traitent de l’influence combinée de la sécularisation et de la différenciation dans les pays occidentaux2 ; je m’attarderai donc dans cet exposé à la relation entre la religion
et l’immigration. Après tout, ce sont les religions relativement « nouvelles » (lire : religions non
chrétiennes, mais aussi christianisme non européen) qui ébranlent le plus manifestement
certains des principes et des préjugés fondamentaux de nombreux Canadiens.
D’entrée de jeu, examinons les types de changements survenus entre 1991 et 20013 :
• en 2001, 76 % des Canadiens se sont dits chrétiens, alors qu’en 1991, 82 % de la population
canadienne s’était identifiée comme tel ;
• 43 % des Canadiens sont catholiques, et ce pourcentage n’a pratiquement pas changé depuis
le dernier recensement ;
• le pourcentage de Canadiens qui se disent protestants a baissé, passant de 35 % en 1991 à 29 %
en 2001;
• les traditions protestantes conservatrices indépendantes ont connu une hausse marquée ;
• la population juive (329 000) a crû de 4 % ;
• la communauté musulmane (580 000) a crû de 129 % ;
• les communautés hindoues et sikhes (300 000 et 280 000 respectivement) ont chacune augmenté d’environ 89 % ;
• la communauté bouddhiste (300 000) a crû de 83 % ;
• le nombre de personnes ayant déclaré n’avoir aucune religion a augmenté considérablement
parmi la population canadienne, passant de 12 % à 16 % (4,9 millions) ; et
• l’assistance hebdomadaire aux services religieux a chuté, passant de 53 % en 1957 à environ
19 % en 2000.
88
les réactions de nombreuses traditions non chrétiennes
changements sont ambigus : d’une part, les nouveaux
au débat sur le mariage homosexuel, ou encore le meurtre
arrivants chrétiens non européens et de race non blanche
de l’artiste hollandais Theo van Gogh par un musulman
sont des nouveaux membres qui viennent enrichir la vie
hollandais radicalisé de descendance marocaine – laisse
liturgique et rituelle. D’autre part, ces nouveaux arrivants
entrevoir des thèmes ethniques importants et peut-être
influencent naturellement les dénominations bien établies
même déterminants. Il est souvent futile de tenter de
au Canada et s’élèvent parfois contre celles-ci (Bramadat
distinguer ces deux forces.
et Seljak, à paraître).
Si nous pouvons convenir que la religion, mentionnée
Les récents débats au sein de l’Église unie et de l’Église
notamment en concomitance avec des termes liés à l’ethnianglicane au sujet de la position officielle des Églises sur le
cité, occupe une place prépondérante parmi les défis auxmariage homosexuel trahissent certaines des tensions
quels sont confrontés les pays d’accueil comme le Canada,
découlant de ces changements. Bien sûr, ces questions font
force nous est de nous demander si, en tant que société,
l’objet de débats non résolus depuis un certain temps déjà,
nous sommes en mesure de réagir de façon appropriée à
mais il convient de noter qu’au sein de ces deux
cette force tout à la fois ancienne et
grandes dénominations protestantes, de
moderne. Afin de fournir une réponse à
nombreuses sous-communautés de
tout le moins provisoire à cette
nouveaux arrivants appartenant à une
Si nous pouvons
question, j’examinerai deux études de
minorité ethnique semblent s’opposer
convenir que la
cas de communautés canadiennes qui
systématiquement à cette définition
ont fait la une des nouvelles sur le plan
élargie du mariage.5
religion, mentionnée
de l’immigration ces dix dernières
Si les changements qui s’opèrent
notamment en
années. Je suggérerai ensuite quelques
dans la tradition dominante du Canada
façons de remédier à notre incapacité
sont considérables, l’aspect dramatique –
concomitance avec
actuelle de comprendre les types de
et, ne nous le cachons pas, inquiétant
des termes liés
changements sociaux liés à la nouvelle
pour certains – de la nouvelle réalité
diversité religieuse au Canada.
démographique de la religion au Canada
à l’ethnicité,
Tout d’abord, examinons la religion
est le fait qu’entre 1991 et 2001, les
occupe une place
chinoise, manifestation complexe de la
communautés musulmanes, hindoues,
culture chinoise (Thompson, 1996 ; Paper,
sikhes et bouddhistes ont chacune soit
prépondérante
Paper, Lai, 2005), qui englobe des caracplus que doublé, soit presque doublé
parmi des défis
téristiques normalement associées au
en importance. Ces augmentations ne
bouddhisme, au daoisme, au confuciadevraient surprendre personne, notamauxquels sont
nisme et à la religion traditionnelle, mais
ment si l’on considère que les dix premiers
confrontés les pays
qui peut être considérée comme étant
pays sources d’immigrants en 2002
d’accueil comme
plus importante que la somme de ses
étaient, entre autres, la Chine, l’Inde, le
parties. De nombreux spécialistes de la
Pakistan, l’Iran et le Sri Lanka, pays qui,
le Canada, force
religion chinoise estiment qu’une grande
visiblement, n’ont pas une population
nous est de nous
majorité des Canadiens d’origine
majoritairement chrétienne. En outre, le
chinoise se livrent d’une quelconque
nombre d’immigrants provenant de ces
demander si, en
façon à ces pratiques religieuses
cinq pays comptait pour environ 40 %
tant que société,
intégrées et adhèrent aux principes et à
de l’ensemble des immigrants de cette
la vision du monde que véhiculent
année-là et pour près de 80 % des imminous sommes
celles-ci. Or, si l’on se fie aux résultats du
grants arrivant des dix premiers pays
en mesure de
recensement de 2001, environ quatre
sources combinés.
fois plus de Canadiens chinois
L’un des aspects les plus intéressants
réagir de façon
s’inscrivent dans la catégorie « sans
et complexes de ces changements est le
appropriée à cette
religion » que les autres Canadiens.
fait qu’au sein de plusieurs de ces
Cela semble extrêmement contregroupes en pleine croissance, il existe
force tout à la fois
intuitif, étant donné que bon nombre de
une relation presque inextricable entre
ancienne et
ces Chinois qui disent n’avoir aucune
les modes d’identification religieux et
moderne.
religion s’adonnent également à des
ethniques. Ce lien semble se manifester
pratiques religieuses traditionnelles, par
davantage dans les traditions reliexemple la vénération ou l’adoration des
gieuses des sociétés et des cultures où
ancêtres, la divination, la célébration des rituels et des fesles identités religieuses et ethniques ne sont pas devenues
tivals religieux ainsi que la vénération de personnages
aussi différenciées et compartimentées qu’elles le sont
bouddhistes autochtones et internationaux. Une explicacouramment dans le soi-disant Occident – car il est loin d’être
tion tripartite plausible de cette particularité statistique
monolithique (Bramadat et Seljak, 2005 ; Berns McGown,
serait la suivante : l’option « religion chinoise » ne figure
1999 ; McLellan, 1999)6. En fait, presque chaque nouvelle
pas sur le formulaire de recensement ; la religion chinoise
d’actualité nationale ou internationale traitant de religion –
n’est toujours pas reconnue dans le discours public des
mentionnons le débat des « tables et chaises » au sein de la
Canadiens ; et le concept ou le terme « religion », tel qu’il
communauté sikhe canadienne, le débat entre les musulest traditionnellement utilisé dans l’Occident, ne désigne
mans canadiens au sujet des « tribunaux de la charia »,
89
CITC
On peut facilement comprendre pourquoi les libéraux
pas nécessairement les divers (mais néanmoins cohérents)
progressistes définissent le véritable christianisme,
phénomènes regroupés par les érudits et autres spécialistes
islamisme ou hindouisme comme étant une religion
sous la rubrique « religion chinoise ».
essentiellement axée sur les valeurs pluralistes soi-disant
Quoi qu’il en soit, il semble que la religion chinoise
libérales progressistes. Cette approche à la religion se
soit différente des autres religions en ce sens qu’elle fourrévèle utile pour ceux qui souhaitent se servir de la relinit un milieu social et symbolique propice à l’intégration
gion, ou de plusieurs religions, pour soutenir leur propre
des immigrants, un contexte permettant de forger des liens
quête de spiritualité. Malheureusement, ramener la relide solidarité, un cadre religieux facilitant la préservation et
gion à une quête de la vertu ou à une force merveilleuse
la transmission des coutumes et des convictions religieuses,
et douce consiste à nier le rôle de la
etc. Cependant, en raison de notre rétireligion dans nombre d’exemples de
cence à examiner les rapports étroits qui
À l’instar de la
cruauté et d’injustice.
existent entre les modes d’identification
démocratie, du
À l’instar de la démocratie, du
ethniques et religieux, nous connaissons
féminisme,
du capitalisme, du christiatoujours mal certains des aspects clés
féminisme, du
nisme et de la technologie, l’islam est
de la sensibilité religieuse de nombreux
capitalisme, du
un système ambigu d’idées, de textes,
Canadiens, probablement de plus d’un
de valeurs, d’œuvres d’art, d’institutions
demi-million d’entre eux.
christianisme et
et d’esthétique qui s’est forgé au fil
La seconde étude de cas porte sur
de la technologie,
des siècles par de nombreuses difféles deux types du discours sur l’islam qui
rentes personnes dans divers contextes
ont été mis de l’avant suite aux évél’islamisme est un
historiques. C’est pourquoi nous
nements du 11 septembre : par souci de
système ambigu
devons nous attendre à ce que cette traconcision, je fais ici la distinction entre
d’idées, de textes,
dition s’exprime de multiples façons
l’approche « islamophobe » et l’approche
légitimes, et nous devrions nous méfier
« naïve ». Le premier terme a été inventé
de valeurs,
de ces personnes qui prétendent parler
il y a près d’une décennie en Europe7
d’œuvres d’art,
au nom d’une autorité évidente. Nous
pour désigner une peur profonde
devons aussi faire preuve de prudence
pré-rationnelle de l’islam et une volonté
d’institutions et
à l’égard de celles qui cherchent à
de croire que les musulmans appard’esthétique qui
redresser les stéréotypes islamophobes
tiennent, comme l’a proclamé haut
menaçants en présentant des stéréotypes
et fort, et stupidement, Samuel
s’est forgé au fil
naïfs qui attribuent tous les événements
Huntington, à une « civilisation » catédes siècles
et les acteurs non libéraux aux pervergoriquement différente avec laquelle
sions d’une entité essentiellement divine,
« l’Occident » doit, par définition, « être
par nombre de
vertueuse et pure.
en contradiction ». Les islamophobes
personnes dans
Comme nous le rappelle Robert
aimeraient bien nous faire croire que
Orsi (2004), nous devons aussi porter une
les musulmans ne peuvent jamais
divers contextes
attention particulière aux connotations
vraiment s’intégrer dans le monde
historiques. C’est
prescriptives de catégories comme les
« occidental » et ce, en raison de leurs
pourquoi nous
catégories séculaires et modernes,
racines antidémocratiques et non
le terrorisme et le fondamentalisme.
libérales inhérentes à leurs traditions.
devons nous attenEnsemble, ces termes contribuent à la
(Cette déclaration laisse toujours
dre à ce que cette
méta-narration du progrès moderniste.
perplexe les millions de musulmans
Les principaux protagonistes de cette hisdémocrates qui, pendant des décennies,
tradition s’exprime
toire, où les bons (démocrates séculiers
ont vécu une vie heureuse et productive
de multiples façons
modernes) côtoient les méchants (zélotes
en Occident.) Comme la majorité des
religieux fondamentalistes ataviques),
phobies, l’islamophobie pose problème
légitimes, et nous
sont typiquement ignorants de leur rôle ;
peu importe où elle surgit ; heureusedevrions nous
pour les spectateurs (« fondamenment, les cas éhontés d’islamophobie
talistes »), le narratif est perçu comme
sont relativement rares au Canada8.
méfier de ces
étant hostile, dégradant et hégémonique.
La seconde approche, ou l’approche
personnes qui
Il reste que la construction binaire de
« naïve » face à l’islam, et de la religion
l’islam (effrayante ou inoffensive) est
en général, peut être sommairement
prétendre parler
un outil heuristique inadéquat pour
résumée comme suit : la religion est de
au nom d’une
comprendre le réel conflit entre une
facto une démarche vertueuse. Aussi
autorité évidente.
certaine forme de l’islam et certaines
quiconque soutient que des motifs
dimensions des sociétés occidentales.
religieux dictent ses actes violents ou
Entre autres choses, ces deux études de cas démonrestrictifs est soit fou, soit ignorant de la nature pacifique
trent qu’à titre de société, nous sommes mal outillés pour
de sa religion, soit opportuniste dans la mesure où il utilise
comprendre la profonde diversité religieuse qui découle,
la religion comme un cheval de Troie et y cache ses véritables
de toute évidence, des principes qui ont guidé nos
motivations, que l’on comprend comme étant de nature
politiques en matière d’immigration pendant quelques
typiquement politique, sexuelle ou économique.
90
décennies. Le célèbre « système de points d’appréciation »
du Canada permettant d’établir si les demandeurs peuvent
être acceptés à titre d’immigrants au Canada n’est certes
pas parfait, mais il constitue une nette amélioration par
rapport au « système de quotas » en vigueur, à une certaine
époque, au Canada et fondé sur la race et l’ethnie, sans
mentionner les politiques plus tribales d’assimilation
visant les travailleurs invités que l’on trouve en Europe de
l’Ouest. Or, les récents événements qui ont eu lieu en
Hollande (meurtre de Van Gogh), en France (conflits
concernant la restriction des symboles religieux dans les
écoles), et au Moyen-Orient (le perpétuel conflit israéloarabe et le front iraquien dans la « guerre au terrorisme »)
ont amené certains observateurs à se demander si, en
fait, les principes multiculturels du Canada qui, en partie,
guident nos politiques en matière d’immigration conviennent
pour traiter à la fois de la religion et de la discrimination
religieuse dans le milieu mondial contemporain.
Will Kymlicka (2004) fait remarquer que le multiculturalisme canadien est issu de réalités historiques
particulières et que ce multiculturalisme n’est pas
nécessairement applicable ailleurs (ou du moins partout).
Si cela est indéniablement vrai, il n’en demeure pas moins
que nos systèmes axés sur le multiculturalisme et nos
systèmes d’immigration et de citoyenneté relativement
souples semblent convenir au contexte canadien.
Toutefois, nous sommes bien trop réticents à résoudre (et
même à reconnaître) la contradiction qui existe entre une
série de politiques qui cadrent de façon positive la
diversité religieuse et une société plus vaste (dont font
partie les décideurs et la majorité de notre élite intellectuelle) ne possédant pas les connaissances élémentaires
qui lui permettraient de comprendre cette caractéristique
nouvelle et extrêmement ambiguë de notre société.
Nous pourrons résoudre cette contradiction – faute
de l’aborder maintenant, nous serons probablement tenus
de le faire plus tard – en prenant en considération les trois
recommandations suivantes : 1) nous pourrions faire en
sorte que tous les étudiants canadiens au secondaire comprennent bien les éléments fondamentaux des principales
religions ; 2) nous pourrions exiger de nos journalistes, de
nos universitaires et de nos décideurs qu’ils prennent en
compte les caractéristiques explicitement religieuses des
questions sociales ou politiques ; et 3) nous pourrions
poursuivre notre discussion sur les répercussions de la
longévité de la religion au sein des sociétés modernes
industrialisées (par exemple, pourquoi, dans les sociétés
façonnées par le siècle des lumières et le capitalisme tardif,
la religion a-t-elle survécu ?). Les défis que pose la religion
à l’heure actuelle sont beaucoup plus considérables que
certains voudront l’admettre, mais si nous réagissons de
façon intelligente et créative à ce nouveau paysage
religieux, notre société civile pourrait en tirer des
avantages substantiels.
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Notes
91
1
Il s’est écoulé environ quatre ans depuis le dernier recensement, et deux
ans depuis que Statistique Canada en a révélé les résultats concernant la
religion. L’Enquête sur la diversité ethnique, rendue publique à
l’automne 2003, le plus récent (2002) livre de Reginald Bibby ainsi qu’un
certain nombre de sondages réalisés par des entreprises privées ont
grandement clarifié le portrait empirique de la religion au Canada.
2
Par exemple, voir Swatos (1999).
3
Tous les chiffres sont des approximations.
4
Cela fait peut-être partie de ce que certains observateurs ont appelé le
phénomène de « l’empire contre-attaque », où les habitants des régions
en périphérie d’un empire donné migrent dans une région plus rapprochée du centre perçu de l’empire, et commencent à influencer la culture
supposément cohésive de cette région.
5
Il est important de noter que l’influence des minorités ethniques au sein
des Églises chrétiennes n’a pas été uniformément « conservatrice » ; bien
au contraire, souvent les nouveaux arrivants – dont plusieurs ont
souffert de la pauvreté, de la marginalisation et, dans certains cas, de la
torture – peuvent inciter une église ou une dénomination particulière à
adopter une position beaucoup plus « progressiste » sur des questions
liées aux droits de la personne et à la justice.
6
Il existe des groupes au Canada et ailleurs que l’on peut également
décrire comme étant pré-différenciés ou non différenciés, c’est-à-dire
qui vivent dans un cadre beaucoup plus « enchanteur » et religieux par
rapport au courant plus vaste soi-disant « séculier ». Les chrétiens amishs
et les juifs hassidiques en sont deux exemples. Comme je l’ai décrit
toutefois dans mon livre sur l’alliance chrétienne inter-universités (2000),
de telles visions peuvent également être maintenues (ou « négociées ») de
l’intérieur de la culture dominante, et par des personnes qui se confondent
totalement avec la majorité de la population.
7
Voir www.runnymedetrust.org/publications/pdfs/islamophobia.pdf
8
Consulter le site Web du Canadian Council on American Islamic Relations
pour plus d’information sur les rapports et les discussions sur les cas et
les tendances visant l’islamophobie. www.caircan.ca/index.php
LA RELIGION, LE PLURALISME ET
L’ARBITRAGE CONFESSIONNEL
Conséquences pour les Canadiennes de confession musulmane
RÉSUMÉ
L’Ontario est présentement le foyer de débats portant sur l’application des lois religieuses en matière familiale
par un arbitrage à sentence obligatoire, puisqu’une clause de la Loi sur l’arbitrage rend possible le recours
à d’autres lois dans les règlements d’arbitrage. Cet article apporte un éclairage nouveau au plus controversé
des débats sociaux de l’Ontario et aux répercussions de la charia islamique sur la vie des Canadiennes de
confession musulmane
L’enjeu
CITC
RAZIA JAFFER1
Razia Jaffer est le président du Canadian Council of Muslim Women.
En Ontario, un débat s’est amorcé, en octobre 2003, concernant l’application des lois religieuses
en matière familiale par un arbitrage à sentence obligatoire. L’enjeu a surgi en raison d’une clause de
la Loi sur l’arbitrage selon laquelle d’autres lois peuvent s’appliquer dans les règlements d’arbitrage.
Bien que le bureau du Procureur général ait spécifié que cette clause a été expressément ajoutée
pour résoudre un conflit entre l’Ontario et l’un des États américains2, cette même clause peut aussi
être appliquée aux situations familiales. Le problème est qu’au lieu de restreindre les conflits
commerciaux, la porte de l’Ontario a été ouverte aux lois de tous les pays et de toutes les religions.
Ce fut là un manque étonnant de prévoyance de la part du gouvernement d’alors, qui oblige à
présent les Ontariens à se pencher sur ce dossier.
Cet enjeu a éveillé l’activisme et provoqué une prise de conscience des organisations confessionnelles canadiennes et internationales, des groupes féministes, des groupes communautaires, des
chercheurs et des médias. À cause de ce tollé général, le Premier ministre de l’Ontario, Dalton
McGuinty, a chargé Madame Marion Boyd (l’ancienne procureure générale de l’Ontario sous le
gouvernement du NPD) de revoir la Loi sur l’arbitrage et l’impact de l’arbitrage sur les plus
vulnérables, y compris les femmes, les personnes handicapées et les personnes âgées. La révision
devait comprendre un examen de l’utilisation de l’arbitrage confessionnel.
Madame Boyd a rencontré, parmi les partisans de cette mesure et les opposants à celle-ci,
un certain nombre de groupes.
Un des groupes qui appuie la charia (la loi islamique), l’Islamic Institute for Civil Justice (IICJ), a passé
en revue la Loi sur l’arbitrage et a conclu que la Loi permet légalement l’application de toutes les lois
religieuses. Aussi ce groupe a-t-il proposé que la charia soit utilisée en Ontario. En vertu
de la Loi, l’arbitrage privé et à sentence obligatoire permet de régler des questions touchant le statut
personnel des individus comme, par exemple, les testaments, les héritages, les mariages, les remariages, les
contrats de mariage, les divorces, les pensions alimentaires, la garde et l’entretien des enfants et leur tutelle.
Les arguments de l’IIJC et d’autres organisations reposent sur l’idée que la charia donne aux
femmes de meilleurs droits que ceux procurés par les lois du Canada, de l’Ontario et de l’Occident.
Ces organisations soutiennent que la Charte canadienne enchâsse le droit de pratiquer sa religion et
que la possibilité d’utiliser la charia est une manière de satisfaire les besoins des minorités religieuses
au sein d’une société multiculturelle. Ils acceptent l’argument selon lequel l’usage de l’arbitrage privé
soulagerait l’encombrement des tribunaux. Recourir à l’arbitrage privé doit être pour eux une affaire
de choix. Ils prétendent aussi que, lorsque des médiations informelles ont lieu et que les décisions
y sont prises par des leaders religieux et des juristes, il serait préférable, pour leur donner de la
légitimité, qu’elles soient reconnues par la Loi sur l’arbitrage, tout en insistant sur la confidentialité
de l’arbitrage, spécialement pour les femmes qui ne veulent pas que leurs problèmes deviennent
publics par crainte d’être victimes d’exploitation ou de diffamation3.
Les organisations et les individus qui s’opposent au recours aux lois religieuses dans l’arbitrage
privé à sentence obligatoire, en vertu de la Loi sur l’arbitrage, n’acceptent pas ces arguments. Ils
rappellent la séparation progressive depuis 30 ans des valeurs judéo-chrétiennes du régime du droit
de la famille, en vue de fonder celui-ci sur les principes des droits de la personne. Ces organismes
et individus s’interrogent sur les conséquences du retour des lois fondées sur la religion pour les
92
moins une fois par semaine et 65 % à un culte religieux
femmes canadiennes. Le recours à l’arbitrage privé
individuel (cela inclut la prière, la méditation et d’autres
privatisera le droit de la famille par la création d’un
formes de culte pouvant être pratiquées à la maison ou
système judiciaire parallèle autorisant les élites religieuses,
dans tout autre lieu) (Ibrahim et Janhevich, 2004).
culturelles et politiques à décider quelle loi s’applique,
Ces données récentes soulignent le rôle central
avec la possibilité de contourner le droit canadien de la
que l’islam et la communauté musulmane jouent dans
famille4. L’actuelle Loi sur le droit de la famille a des valeurs
la vie quotidienne des musulmans canadiens, hommes
dont il est fait état dans le préambule, alors que la Loi
et femmes.
sur l’arbitrage ne comporte aucun principe défini au sujet
Pour les femmes musulmanes, comme pour les
de la famille.
autres femmes, la lutte sur les questions reliées à l’apparLe Conseil canadien des femmes musulmanes
tenance sexuelle a été longue et elle se poursuit. Plusieurs
(CCFM) souligne, avec plusieurs autres organisations
des obstacles auxquels elles font face proviennent des
de femmes, que les enjeux familiaux devraient être une
stéréotypes sexistes imposés par la
question de droit public. Toute mise
76 % des
société canadienne et par la commuen œuvre des lois religieuses en droit
nauté musulmane elle-même. En outre,
de la famille sera préjudiciable à un
musulmans
les traditions et les pratiques à caractère
grand nombre de femmes et d’enfants,
canadiens
culturel visant les deux sexes estompent
spécialement lorsque l’on considère à
les différences entre les codes de
quel point les interprétations conservaconsidèrent la
comportement dérivés de la religion
trices de la loi islamique prévalent, en
religion comme
et les attentes de nature culturelle. La
ce qui a trait aux femmes. Les lois
recherche montre également que les
religieuses reposent sur un modèle
quelque chose
Canadiennes de confession musulmane
patriarcal de la famille et non sur un
d’important,
ne veulent pas contribuer aux sentiments
partenariat fondé sur l’égalité.
anti-musulmans ou à l’islamophobie.
32 % des
Ces femmes souhaitent s’attaquer à
Les Canadiennes de confession
musulmans
toute une gamme d’enjeux difficiles,
musulmane – Combattre les
notamment cette récente proposition
vieux stéréotypes et définir de
canadiens ont
de tribunaux islamiques, en intensifiant
nouveaux rôles
participé à des
le dialogue, la recherche, le partenariat
Le recensement de 2001 nous
activités religieuses
et la sensibilisation.
apprend que la population musulmane
a augmenté de 128 % durant la dernière
au moins une fois
décennie et atteint approximativement
Éclaircissement sur le droit de la
par semaine et
580 000 personnes [2 % de la populafamille musulman / la charia
tion canadienne] dont 276 075 femmes
Il est important de comprendre
65 % à un culte
(Hamdani, 2004). La récente recherche
les paramètres de la charia, du droit de
religieux individuel
de M. Daood Hamdani, basée sur le
la famille musulman et de la jurisprurecensement de 2001, a été publiée par
dence musulmane. Le mot charia est un
(cela inclut la prière,
le CCFM. Elle montre que les musulterme religieux général utilisé pour
la méditation et
manes comptent parmi les femmes les
définir la manière dont les musulmans
plus pauvres au Canada. En dépit de
doivent vivre, alors que le fiqh
d’autres formes de
leur niveau élevé d’éducation, elles sont
(jurisprudence) se limite aux lois proculte pouvant être
sous-employées et ont tendance à
mulguées par des savants musulmans,
occuper des emplois à temps partiel et
lois fondées sur leur compréhension du
pratiquées à la
mal rémunérés. Le taux de chômage
Coran et des pratiques du Prophète
maison ou dans
chez les femmes musulmanes est élevé
(Ramadan, 2004). Plusieurs notent que
tout autre lieu).
et leur taux de participation au marché
dès que le mot charia est utilisé, le fidèle
du travail est plus bas que celui des
musulman hésite immédiatement à
autres Canadiennes. Comparées aux autres Canadiennes,
exprimer une opposition quelconque, puisqu’aucun
deux fois plus de musulmanes sont séparées ; leur taux
musulman ne veut s’opposer à la charia. Néanmoins,
de divorce est moins élevé, mais le taux de rupture
l’expression « loi musulmane » ouvre la voie à la discusmaritale parmi les musulmanes âgées de 18 à 24 ans est
sion, ce qui permet de réfléchir sur les enjeux en question.
plus élevé que chez leurs homologues non musulmanes
La charia n’est pas un code civil homogène, mais un
(Hamdani, 2004).
système complexe de jurisprudence reposant sur cinq
Les résultats préliminaires de l’Enquête sur la
écoles de pensée interprétées par des individus de cultures
diversité ethnique (EDE) menée en 2003 concernant le
et d’ethnies diverses. Une recherche du réseau Women
rôle joué par la religion dans la vie des Canadiens illustre
Living Under Muslim Laws a pu conclure que les lois
l’importance de la religion pour les Canadiens de confesvarient : ce qui est considéré obligatoire pour un musulsion musulmane. Les données montrent que 76 % des
man dans un pays donné peut être inconnu ailleurs.
musulmans canadiens considèrent la religion comme
Le document démontre que l’application de la charia
quelque chose d’important, que 32 % des musulmans
n’est pas uniforme et que les droits des femmes sont
canadiens ont participé à des activités religieuses au
rarement fondés sur l’égalité.
93
CITC
familial est fallacieuse. La Loi sur l’arbitrage n’est pas
Le droit de la famille musulman repose sur un
utilisée dans le cas du divorce juif ou Get ; en réalité,
modèle patriarcal de la famille où l’homme occupe la
les Beis Din emploient la Loi sur l’arbitrage pour régler les
première place et que l’épouse, bien qu’elle jouisse de
conflits commerciaux5. Ni les catholiques, ni les anglicans
certains droits, doit obéir à son mari parce qu’il subvient
à ses besoins (Esack, 2002). Plusieurs tenants du droit de
n’utilisent la Loi sur l’arbitrage et les musulmans
la famille musulman acceptent que les hommes aient le
ismaéliens ont établi leur propre bureau d’arbitrage
droit d’épouser jusqu’à quatre épouses. Les femmes
communautaire, qui suit les lois canadiennes.
doivent être obéissantes et, à la suite d’un divorce, elles
Madame Boyd poursuit dans son rapport en admetne reçoivent aucune pension alimentaire, sauf pour une
tant que la Loi sur l’arbitrage a été problématique pour les
période de 3 mois à un an, et il est fréquemment admis
questions familiales, mais, au lieu de considérer une autre
que les enfants doivent être confiés au père, normalement
solution, elle fait quarante-six recommandations visant à
à l’âge de 7 ans pour les garçons et de 9 ans pour les filles
améliorer une législation inadéquate. Le rapport accorde
(Mernissi, 1991). Si l’épouse veut obtenir un divorce,
peu d’attention à l’égalité des femmes ou à leur bien-être
elle doit se présenter devant un tribunal, tandis que
et préfère insister sur le droit d’appliquer les lois
l’époux, lui, a le droit de répudier son épouse sans recourir
religieuses comme partie intégrante de la liberté religieuse :
aux tribunaux. En matière d’héritage, le droit musulman
il crée ainsi une fausse juxtaposition de la liberté religieuse
favorise les hommes (car, soutient-on, ces derniers
et des droits à l’égalité.
subviennent aux besoins de leur famille) ;
Dans son analyse du rapport Boyd,
autrement dit, à la mort de son époux,
Bakht déclare :« [que le rapport] ne
l’épouse ne reçoit qu’une protion de
parvient pas à trouver un équilibre entre
Le recensement
l’héritage. La fille du décédé recevra un
les droits des minorités religieuses et les
de 2001 nous
tiers de l’héritage tandis que son fils en
femmes. Il donne indéniablement et
recevra les deux-tiers.
inopportunément le beau jeu à la liberté
apprend que
Dans un tel modèle patriarcal, les
religieuse, démontrant un refus clair
la population
femmes ont quelques droits. La femme
d’assumer la responsabilité qu’impose
musulmane a
garde ses biens, si elle en possède ; on lui
la protection des personnes vulnérables
offre un cadeau à l’occasion de son
au sein des groupes minoritaires, ceux
augmenté de 128 %
mariage (un maher, c’est-à-dire une
en particulier qui sont composés de
durant la dernière
bague de fer, un bien meuble, de l’or ou
femmes » (Bakht, 2005).
de l’argent) ; elle peut hériter de son proMadame Boyd propose l’adoption
décennie et atteint
pre chef ; en théorie, elle n’a pas à prendre
d’une « déclaration de principes sur
approximativement
part aux dépenses du ménage et elle garde
l’arbitrage religieux ». Mais comment,
son propre nom. En retour, elle accepte le
en l’absence de toute codification,
580 000 personnes
modèle patriarcal et les rôles qui lui sont
s’entendre pour déterminer sur quelles
[2 % de la
attribués, de même que ceux attribués
lois musulmanes l’on s’appuiera pour
aux membres de sa famille de sexe
une pareille déclaration ? En outre,
population
masculin, y compris son mari.
Madame Boyd ne fournit aucune
canadienne]
indication sur la nature de cette déclaration de principes et ne dit pas qui
Déconstruction du rapport Boyd
dont 276 075
en formulerait les paramètres.
Le rapport de Madame Boyd
femmes.
Un choix libre et véritable n’est pas
intitulé Résolution des différends en
une réalité pour plusieurs Canadiennes
droit de la famille : protéger le choix,
de confession musulmane, notamment dans le cas des
promouvoir l’inclusion est un titre qui laisse perplexe,
immigrantes. Celles-ci vivent quelquefois dans des
puisque ses conclusions et ses recommandations font la
enclaves religieuses ou culturelles : elles peuvent manquer
promotion de l’exclusion et l’isolement des femmes
de ressources et de systèmes de soutien, ne pas toujours
selon leur confession religieuse.
très bien maîtriser le français ou l’anglais, n’être pas
Il est incompréhensible que, dans son rapport,
conscientes de leurs droits au Canada et être de plus en
Madame Boyd affirme qu’il n’existe pratiquement aucune
plus vulnérables à la contrainte (Ahmed, 2005).
information au sujet de l’impact de l’arbitrage religieux
L’arbitrage est supposé être volontaire et le consensur les femmes. Pourtant, dans sa première recommandatement des deux parties est requis, mais la probabilité
tion, elle affirme n’avoir trouvé dans l’arbitrage religieux
que la femme subisse de la pression pour obtenir son
aucun impact négatif sur les femmes et recommande,
consentement à l’arbitrage existe toujours. Non que les
par conséquent, l’adoption de l’arbitrage privé à sentence
musulmanes soient incapables de faire des choix approobligatoire faisant appel aux lois religieuses. Dans la
priés ou de prendre des décisions pour elles-mêmes,
section consacrée à la surveillance et à l’évaluation des
mais la forte influence de la famille, de la religion et de
arbitres, le rapport convient également du « manque
la communauté ne peut être sous-estimée.
d’information gouvernementale sur l’ampleur de l’arbiDans son rapport, Madame Boyd déclare que la « loi
trage dans les affaires de famille et de succession ainsi que
religieuse permet de déterminer quelles sont les personnes
sur ses effets sur les personnes vulnérables » (Boyd, 2004).
qui sont considérées comme des membres à part entière
De plus, l’affirmation selon laquelle d’autres groupes
de la communauté religieuse. Ceux qui ne se conforment
religieux utilisent l’arbitrage fondé sur la religion en droit
94
d’utiliser le multiculturalisme pour perpétuer des
pratiques intolérantes pour lesquelles ils réclament une
ratification religieuse ? »
La reconnaissance et la célébration des différences ne
doivent pas mener à une fragmentation des communautés
religieuses, ethniques ou raciales ; elles ne doivent pas
signifier que chaque groupe n’est pas une partie du tout
ni permettre que les femmes en situation minoritaire
sont victimes de discrimination et que leurs droits à
l’égalité soient bafoués. Selon le CCFM, la Loi sur le
multiculturalisme fonctionne à l’intérieur d’un cadre
juridique et législatif plus large qui comprend la Charte
canadienne des droits et libertés, la Loi sur la citoyenneté,
et la Loi sur les droits de la personne. Le Canada est
signataire d’un certain nombre de traités internationaux,
dont la Convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale, et la Convention
sur les droits civils et politiques. L’implantation de
tribunaux islamiques violerait ces traités internationaux.
Une étude de Pascale Fournier a examiné l’application de la charia dans des pays libéraux d’Occident. Elle
signale que la proposition britannique visant à établir un
système séparé de droit de la famille musulman a été
rejetée afin de confirmer les valeurs universellement
admises des droits de la personne, spécialement par rapport aux femmes. Madame Fournier affirme : « Ce qui est
évident est que les Canadiennes de confession musulmane
risquent la ghettoïsation et que leurs droits à l’égalité
pourraient être bafoués dans un pays connu dans le
monde pour son engagement envers les droits de la
personne » (Fournier, 2004).
La province de l’Ontario ne jouit pas de l’appui
de certaines autres provinces. Par exemple, le procureur
général de la Colombie-Britannique a fait une déclaration
sans équivoque contre l’utilisation de l’arbitrage confessionnel en Colombie-Britannique. Récemment,
l’Assemblée nationale du Québec s’est prononcée
vigoureusement en faveur d’un droit de la famille
appliqué à tous et contre l’usage des lois religieuses en
matière d’arbitrage7. Cependant les commentaires de
l’ancien ministre québécois de l’Immigration proposant
de refuser d’accueillir au Canada les immigrants qui
croient à la charia ne facilitent pas la tolérance. Au
contraire, elles nourrissent les sentiments négatifs, en
plus de blesser une communauté qui a le sentiment
d’être harcelée.
pas à la loi religieuse sont souvent victimes d’ostracisme et
perdent le droit de poursuivre leurs pratiques religieuses
au sein de la collectivité, lorsqu’ils ne sont pas entièrement
répudiés par celle-ci » (Boyd, 2004).
Il est difficile de comprendre comment Madame
Boyd peut penser que celles qui désirent ne pas se
conformer ressentiront réellement qu’elles ont un choix.
En outre, les personnes favorables aux Conseils
de tribunaux islamiques proclament publiquement que
« la charia est la loi de tous les musulmans. Si les femmes
rejettent les décisions fondées sur ces lois, ces femmes
seront vues comme de mauvaises musulmanes qui
rejettent l’islam ». Très peu de musulmans oseraient
défier de tels énoncés de peur d’être étiquetés comme
des blasphémateurs et de perdre le soutien de leur
communauté (Armstrong, 2004)6.
Il n’y aucune recommandation concernant une
formation obligatoire des arbitres. La question de
l’instruction donnée aux arbitres sur la jurisprudence
musulmane ou celle d’autres religions n’est pas non plus
abordée. Les recommandations concernant la surveillance
et l’évaluation des arbitres traitent de la conservation des
dossiers et du devoir de mettre ceux-ci à la disposition de
chacune des parties, mais qui fournira les ressources
humaines et financières pour assurer que tout soit pleinement conforme à ces exigences ? Un effort d’éducation
publique à propos du droit de la famille et de l’arbitrage
serait souhaitable, en particulier par le biais d’une information juridique culturellement et linguistiquement
appropriée. Cependant, aucune mention n’est faite des
ressources requises pour atteindre une telle fin.
Multiculturalisme : aide ou entrave
Tout au cours de cette discussion, le multiculturalisme a été invoqué. Est-ce que le multiculturalisme
tend à sanctionner ou à repousser l’instauration de
tribunaux islamiques pour les musulmans ? Certains
prétendent que la création de tribunaux islamiques
correspond au côté obscur du multiculturalisme, qu’elle
aura pour effet la ghettoïsation des musulmans et qu’elle
mènera à un système judiciaire à deux vitesses, le premier
pour les musulmans et l’autre, pour tous les autres
(Ahmed, 2005). Tous les intervenants croient fermement
à la politique canadienne du multiculturalisme, une politique fondée sur le principe que « tous les individus
doivent être libres de décider d’eux-mêmes s’ils veulent ou
non, et de quelle manière, exprimer leur identité ethnique
et religieuse, et que tous les groupes doivent respecter les
valeurs libérales de base des droits de l’homme et de la
démocratie » (Kymlicka, 2005).
Cependant, Kymlicka soulève deux questions
sérieuses qui exigent une recherche supplémentaire. Il
demande si les « Canadiens de naissance continueront à
soutenir le multiculturalisme et accorderont la même
confiance aux musulmans qu’aux autres groupes non
européens ou s’ils suivront le chemin emprunté en Europe
d’une remise en question du multiculturalisme lorsqu’ils
seront confrontés à des minorités musulmanes politisées ? »
Il demande aussi si les « leaders et les organisations
musulmans accepteront les fondations et les contraintes
libérales du multiculturalisme canadien ou s’ils essaieront
Résumé et étapes suivantes
Le CCFM est composé de croyantes qui craignent
que le droit de la famille musulman mine les droits à
l’égalité des Canadiennes de confession musulmane.
Heureusement, le CCFM a profité de l’appui d’autres
organisations, comme celles pour les droits humains et
celles pour les droits des femmes (musulmanes ou non),
qui comprennent qu’il ne s’agit pas d’un combat concernant uniquement les femmes de confession musulmane,
mais qui touche l’ensemble des Canadiens. Cependant,
quoique l’affaire ait été centrée sur la possibilité d’appliquer la charia, tous conviennent que la discussion porte
sur quelque chose de plus fondamental que ce débat
qui touche présentement les communautés musulmanes.
95
La protection des droits des femmes et des minorités est
la responsabilité de tous les Canadiens, car il y a des
conséquences sociales, politiques et économiques à ne
pas assurer les droits des plus vulnérables.
Le CCFM continuera, avec ses membres, ses alliés
et ses partenaires, à exercer des pressions sur le gouvernement de l’Ontario. À cet effet, le CCFM poursuivra son
dialogue avec les divers représentants de la communauté
musulmane, renforcera ses contacts internationaux afin
d’apprendre des groupes qui ont eu des défis similaires,
s’engagera au niveau de la base et continuera ses activités
d’éducation du public. Le CCFM poursuivra la concertation avec d’autres groupes pour s’assurer que la
province procède à la révision, tellement nécessaire, de la
Loi sur le droit de la famille.
L’objectif est de faire en sorte que tout ce qui relève
des questions familiales soit retiré de la Loi sur l’arbitrage
de l’Ontario et qu’aucun autre gouvernement provincial
n’autorise le règlement de ces questions selon sa Loi
sur l’arbitrage, afin de protéger les droits des femmes
à l’égalité.
RAMADAN, T. Western Muslims and the Future of Islam, New York, Oxford
University Press, 2004.
WOMEN LIVING UNDER MUSLIM LAW. Knowing Our Rights: Women,
Family, Laws and Customs in the Muslim World, London, WLUML, 2003.
Notes
1
Razia Jaffer est la présidente du Conseil canadien des femmes
musulmanes (CCFM), une organisation confessionnelle de femmes
musulmanes dont l’objectif est d’aider celles-ci à mieux comprendre
leurs droits, leurs responsabilités et leur rôle dans la société canadienne.
Pour plus de détails, voir www.ccmw.com.
2
Le CCFM a été informé de cette première décision au cours de la
réunion de juillet 2004 avec Marion Boyd.
3
Pour de plus amples informations sur la position de l’IICJ, on consultera
leur site Internet à http://muslim-canada.org/pfl.htm#1.
4
Lettre ouverte envoyée à l’honorable Michael Bryant (Procureur général
de l’Ontario) concernant l’application de règles de droit religieux dans
l’arbitrage en matières familiales en Ontario, soumise par Jean-Louis
Roy (Droits et Démocratie : Centre international des droits de la
personne et du développement démocratique). http://www.ddrd.
ca/ frame2.iphtml?langue=1&menu=m01&urlpage=/francais/ commdoc/
publications/femmes/sharialettre.html
5
Les Beis Din sont des tribunaux religieux qui règlent des disputes civiles
à la lumière des lois juives. Les arbitres des Beis Din sont des rabbins
généralement orthodoxes, experts reconnus en matière de loi juive.
6
Le site de l’IICJ déclare également que, dans le cas de chaque musulman
canadien, le choix est clair : voulez-vous vous placer sous la direction de
la loi personnelle proposée par votre propre religion ou préférez-vous
être sous la gouvernance non confessionnelle du droit canadien de la
famille ? Si vous choisissez cette deuxième voie, vous ne pouvez
prétendre croire en l’islam en tant que religion et règle de vie complète,
actualisée par un prophète que vous jugez être une bénédiction pour
tous. Si vous choisissez la première voie (c’est-à-dire d’être dirigé par
votre religion), alors vous devez en accepter la conséquence et suivre la
ligne de conduite qui vous permettra d’atteindre cet objectif. Vous ne
pouvez pas vous dérober à votre devoir religieux et moral d’essayer
d’atteindre tout ce qui peut l’être de façon légale à l’intérieur des
paramètres du système démocratique canadien et des droits juridiques
découlant de la Constitution.
7
Le Québec reconnaît que l’arbitrage n’est pas approprié pour les familles :
« Ne peut être soumis à l’arbitrage, le différend portant sur l’état et
la capacité des personnes, sur les matières familiales ou sur les autres
questions qui intéressent l’ordre public » (article 2639 du Code civil
du Québec, L.Q., 1991).
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Challenging Fundamentalisms: A Web Resource for Women’s
Human Rights, http://www.whrnet.org/fundamentalisms/docs/issuepromoting_inclusivity-0501.html
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Arbitration Act and its Impact on Women, Ottawa, Association nationale
de la femme et du droit, 2004. http://www.nawl.ca/brief-sharia.html
BAKHT, N. Arbitrage, religion et droit de la famille : la privatisation du
droit au détriment des femmes, Ottawa, l’Association nationale de la
femme et du droit, 2005, http://www.anfd.ca/Documents/FINAL-ARBFR-Mar05.doc
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choix, pour promouvoir l’inclusion, Toronto, Gouvernement de l’Ontario.
2004.http://www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/french/about/pubs/boyd/
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FOURNIER, P. The Reception of Muslim Family Law in Western Liberal
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http://ccmw.com/main/postion_papers.htm
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Conseil canadien des femmes musulmanes, 2004.http://ccmw.com/
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profil démographique et indicatif », Nos diverses cités, no 1 (printemps
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MERNISSI, F. Le harem politique : le prophète et les femmes, Paris, Albin
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CITC
MILL, R. (coordonnateur). A Review of the Muslim Personal / Family Law
Campaign: An Interview with Syed Mumtaz Ali, Toronto, Islamic
Institute for Civil Justice, 1995. http://muslim-canada.org/pfl.htm#1
96
LA RELIGION DANS
LA SPHÈRE PUBLIQUE
RÉSUMÉ
La place de la religion dans la sphère publique et son apport au modèle canadien de la diversité fait depuis
longtemps l’objet de débats de société. Une telle question exige des réflexions multisectorielles. L’auteure propose donc un survol des analyses de nombreux chercheurs et intervenants issus de divers milieux : Peter
Beyer, John Biles, Sophie Therrien, Christine Cadrin-Pelletier, Myer Siemiatycki, Alex Battaglini, Gilbert Gariépy,
Marie-Pierre Bousquet, Douglas Farrow et Conrad G. Brunk, et Patrice Brodeur.
D
SOLANGE LEFEBVRE1
Solange Lefebvre est titulaire de la Chaire religion, culture et société,
Faculté de théologie et de sciences des religions, à l’Université de Montréal.
ans les sociétés démocratiques et pluralistes, la question de la religion dans la sphère
publique donne lieu à divers débats importants et complexes. Elle concerne les rapports
entre les religions et divers courants spirituels, l’état et la société civile, et ces trois pôles
traversent évidemment plusieurs domaines publics et parapublics : les institutions d’éducation, les
services sociaux et de santé, les milieux carcéraux, les institutions du droit, les politiques publiques.
À un autre niveau, elle a un grand impact sur le milieu du travail et associatif, et la famille. Évoquons
par exemple les récents débats sur le mariage homosexuel, la contraception et la prévention du sida,
l’aménagement des horaires de travail, le port de symboles religieux à l’école, et la construction de
nouveaux lieux de culte non chrétiens. Fréquemment, diverses questions nous renvoient donc au défi
de vivre ensemble, de respecter la diversité des croyances et des visions du bien, tout en convenant
d’un fonctionnement commun et d’un certain nombre de valeurs communes.
Une telle question exige des réflexions multisectorielles. D’une part, elle requiert des contributions
de chercheurs travaillant dans les universités, les diverses institutions publiques et parapubliques, et
plusieurs instances privées et communautaires. D’autres part, elle demande le point de vue des décideurs
et celui des groupes religieux eux-mêmes, comme de tous ceux qui se réfèrent à un horizon de sens
spécifique, fusse-t-il religieux, spiritualiste, athée ou laïque2. Ce qui suit donne un aperçu de quelques
contributions devant paraître dans le livre La religion dans la sphère publique3. L’enjeu de la diversité est
d’abord abordé au plan statistique puis en rapport avec l’enjeu de la place de la religion dans le modèle
du multiculturalisme canadien. Suivent des études sur les rapports entre l’État et les religions au Québec,
puis dans les milieux de l’éducation, de la santé et de la sphère municipale. Quelques réflexions
s’attachent à l’examen de la sécularité et de la neutralité de la sphère publique.
Société canadienne et diversité religieuse
Le sociologue Peter Beyer offre d’abord une analyse des statistiques canadiennes sur la religion des
Canadiens (1981-2001)4. Il observe à la fois que les Canadiens de vieille souche sont de moins en moins
religieux, à la fois que l’immigration intensifie le pluralisme culturel et religieux, depuis le recensement
de 1981. Pourtant, le Canada demeure un pays majoritairement chrétien (2001 : 77 %), mais en même
temps le nombre des « sans religion » s’accroît, davantage chez les hommes que chez les femmes, de
même que le nombre des chrétiens sans dénomination. Beyer observe d’ailleurs une tendance indiquant
une certaine désinstitutionnalisation de la religion. Les nouveaux arrivants peuvent aussi bien s’adapter
que résister à l’influence de la société d’accueil. Bien qu’on ne puisse prédire les attitudes et options
profondes des générations montantes, il reste qu’on peut à partir des données actuelles anticiper un flux
continu d’immigrants provenant des groupes religieux majoritaires sur la planète, soit les chrétiens
(surtout catholiques), musulmans, hindous et bouddhistes, et certainement moins de sikhs, juifs et jaïns.
Ajoutons que le nombre grandissant de chrétiens non européens devrait modifier considérablement le
christianisme. Si l’on compare entre eux les grands centres urbains, Vancouver et Toronto présentent une
plus grande diversité religieuse que Montréal, qui demeure une ville majoritairement chrétienne, surtout
catholique, avec moins de populations non religieuses ou appartenant à d’autres religions.
John Biles, du projet Metropolis, réfléchit sur la capacité que présente le multiculturalisme canadien de tenir compte de la diversité religieuse. À la lumière de deux études de cas, il vérifie la nature de
la séparation entre les églises chrétiennes et l’État au Canada5. La première concerne le refus
d’accorder des visas à de nombreux représentants des églises luthériennes provenant d’Asie et
97
CITC
d’Afrique, lors de la tenue de leur assemblée mondiale à
religieuse » ne soit considérée comme un apprentissage
Winnipeg en 2003. L’autre examine la question des sancessentiel au niveau secondaire et, 1994, au niveau primaire10.
tuaires chrétiens où se replient des réfugiés, pour échapper
Cadrin-Pelletier paraît regretter la création, « parallèle » aux
à la déportation. Dans les deux cas, de fortes critiques
services scolaires, d’une Direction des services aux commudes églises ont contesté les décisions du ministère de l’imminautés culturelles, en concertation avec le ministère des
gration, souvent appuyées par l’opinion publique. Biles
Communautés culturelles et de l’Immigration, devenu
conclut que l’opinion publique canadienne paraît accepter
depuis 1996 le ministère des Relations avec les citoyens et de
que les églises chrétiennes exercent un rôle critique.
l’Immigration. Enfin, depuis 1995, divers faits ont conduit à
Pourtant, parmi les élites canadiennes, nombreuses sont les
la déconfessionnalisation des commissions scolaires et à une
voix qui insistent sur la séparation nécessaire entre la
transformation des enseignements et services d’animation11.
religion et l’État. Biles observe qu’on ne peut nier que les
En particulier, en 2002, le législateur a introduit certaines
églises chrétiennes jouent un rôle critique ayant un impact
dispositions dans la Loi sur l’instruction publique québécoise
sur la sphère publique, mais il suggère de réfléchir sérieusequi fondent une laïcité ouverte sur le fait religieux à l’école
ment à l’apport possible d’autres groupes
publique. La culture institutionnelle du
religieux. L’enrichissement du modèle
milieu scolaire se trouve à cet égard en
Si l’on compare
canadien de la diversité exige à la fois
pleine transformation, certains débats
qu’on admette que la religion puisse jouer
restent à faire, ce qui amène Cadrinentre eux les grands
un rôle critique positif en certaines
Pelletier à conclure que « la question
centres urbains,
matières, et qu’on cesse de limiter cette
d’une réelle prise en compte de l’éduVancouver et
possibilité au christianisme.
cation à la diversité religieuse en milieu
Sophie Therrien fait le bilan du
scolaire public n’est pas encore résolue ».
Toronto présentent
traitement juridique et politique de la
Myer
Siemiatycki
(Ryerson
une plus grande
diversité religieuse au Québec6. Après un
University) étudie le cas de la Ville de
Toronto, qui a vu sa population de
bref rappel historique, elle examine les
diversité religieuse
catholiques et de non chrétiens croître
articles des chartes des droits (Québec,
que Montréal, qui
très rapidement à la fin du 20e siècle. Il
1975 ; Canada, 1982) qui concernent la
religion, garantissant les libertés fondarappelle que les pouvoirs municipaux
demeure une ville
mentales de croyance et de culte. Les
sont aux premières lignes pour déterminer
majoritairement
affirmations individuelles y tiennent une
les styles d’appartenance et l’inclusion des
large place, si tant est que la croyance
différences, puisqu’ils décident des règles
chrétienne,
individuelle forte suffit à entériner la
régissant par exemple le zonage, le loisir,
surtout catholique,
valeur d’une demande, sans trop d’égard à
les librairies publiques et les écoles. À cet
sa conformité au groupe. En outre, depuis
égard, Toronto promeut de bien des
avec moins de
1985, l’obligation d’accommodement
manières la reconnaissance de la diversité,
populations non
raisonnable a fait son apparition dans le
mais semble faire preuve d’une véritable
religieuses ou
droit canadien puis québécois7. Therrien
aversion pour le mot « religion ». Parmi
d’autres illustrations, évoquons le plan
définit de manière spécifique les concepts
appartenant à
d’action pour l’élimination du racisme et
de laïcité et de sécularisation, situant
d’autres religions.
de la discrimination de la ville qui, bien
l’adoption récente du concept de « laïcité
que comportant 20 indicateurs, ne menouverte » au Québec, qui viserait une
tionne nulle part la religion. Les agressions contre les juifs et
meilleure prise en compte de la diversité religieuse. Therrien
les musulmans ont pourtant récemment augmenté à
estime qu’une saine gestion de la diversité religieuse doit
Toronto. De plus, parmi les 10 comités aviseurs et groupes de
s’appuyer sur un cadre juridique mais, plus largement, sur la
travail nommés autour de questions discriminatoires, aucun
reconnaissance de la dimension religieuse de l’identité
ne concerne la religion. La commission scolaire quant à elle
citoyenne, qui contribue à la richesse du vivre-ensemble.
a produit en 2000 un document d’orientation sur les accommodements des demandes religieuses (congés, prières, codes
Milieux d’éducation, municipaux et de santé
vestimentaires, etc.). Siemiatycki remarque que, pour être
Le texte de Christine Cadrin-Pelletier relate les grandes
prises en compte, ces questions doivent faire l’objet de plaintes
étapes qui ont marqué l’évolution de l’éducation religieuse à
ou de demandes de la part des individus concernés. À l’instar
l’école, eu égard à ces enjeux de la diversité8. Avant 1974, elle
des autres grands centres canadiens et occidentaux, les
identifie un monde catholique « homogène » et un monde
aménagements urbains en vue de construire des lieux de culte
protestant « hétérogène ». Entre 1974 et 1995 surviennent
non chrétiens font l’objet de débats et de tensions entre les
plusieurs événements majeurs qui modifient notamment le
résidants, quant à leurs dimensions spatiales et symboliques.
paysage scolaire. En 1977, l’adoption de la Charte de la
Trois textes concernent les milieux de la santé. Alex
langue française contribue à diversifier la population
Battaglini reconnaît que la religion n’a guère de place dans
fréquentant les écoles catholiques francophones, surtout à
les préoccupations de la Direction de la santé publique et
Montréal. Les chartes des droits et libertés (1975, 1982)
dans la recherche sur la santé au Québec. Suite à la
posent de nouvelles exigences quant au respect des libertés
sécularisation des institutions de la santé dans les années
religieuses. Reste que les programmes catholiques n’abor1960, la rationalité biomédicale a occupé tout l’espace.
dent la diversité religieuse qu’en 5e secondaire9, et il faudra
Paradoxalement, une forte proportion de Québécois estime
attendre 1991 avant que « l’ouverture à la diversité
98
Quelle séparation entre État et religions ?
que leurs valeurs spirituelles ont un impact positif sur leur
En terminant, rendons compte des problématiques de
santé, ce qui est corroboré dans de rares enquêtes portant sur
Farrow et Brunk sur les rapports entre les religions et l’État.
le sujet. Une recherche montre que la religion et la spiritualité
Farrow observe qu’un sécularisme est souvent à l’œuvre
constituent un facteur de protection en matière de santé12. À
dans la sphère publique, craignant l’influence de la religion
l’opposé, la religion peut comporter des facteurs de risque,
et cherchant à enrayer ses manifestations publiques16. Il attire
notamment dans le cas de croyances s’opposant à une inter13
l’attention sur deux modèles de sécularisme. Le sécularisme
vention médicale spécifique . Il suggère donc de tenir compte
libéral, fondé sur la pensée de Locke, reconnaît la séparation
des croyances populaires parmi les déterminants de la santé,
entre la religion et l’état, sans pour autant nier une certaine
de reconnaître que les traditions religieuses peuvent avoir
place de la religion dans la sphère publique. Il en trouve une
divers apports en matière de santé, et d’être plus vigilant à
bonne illustration dans ces propos du Chef de la Justice du
l’égard de la cohérence entre les valeurs promues en santé
Canada : « La religion est un aspect de la vie des gens, et ne
publique et celles vécues par une population diversifiée.
peut être laissée à la porte de la cour. Ce que le sécularisme
Gilbert Gariépy, prêtre aumônier dans un centre hospirefuse d’endosser est toute tentative d’utiliser les points de
talier au Manitoba, complète cette réflexion, en évoquant la
vue religieux d’une partie de la communauté, pour exclure
méfiance réciproque avec laquelle la religion, la science
des considérations les valeurs d’autres membres de la
médicale et la psychiatrie se considèrent. Quant aux services
communauté »17. Mais quelle religion peut ainsi influencer
d’intervention spirituelle en milieu de santé, ils sont
la sphère publique ? Farrow examine certaines positions
généralement réduits, puisqu’il est difficile d’évaluer leurs
communautariennes qui postulent que la vie des citoyens ne
impacts réels, selon les critères de la science médicale. Parmi
sépare pas le temporel du spirituel, quant
les nombreux défis de cette intervention
à leur vision de la vie bonne. Cette vision
traditionnellement pastorale, chrétienne,
L’enrichissement
doit cependant, pour être reconnue, être
et juive au Canada, se trouvent les
du modèle
portée par des communautés croyantes et
suivants : réfléchir sur le nombre grandisculturelles établies et cohérentes. Farrow
sant de personnes ne s’identifiant ni à une
canadien de la
endosse un type de sécularisme selon
communauté de foi ni à une religion, tout
diversité exige à la
lequel les sphères publique et séculière
en réclamant un service « spirituel », ce
constitue un espace commun, favorisant
qui renvoie à la désinstitutionnalisation
fois qu’on admette
l’action commune, mais sans prétendre
de la religion entrevue par Beyer ; accueillir
que la religion peut
inspirer les préoccupations ultimes. Cellesla diversité religieuse et mieux accomci sont portées par les communautés
pagner les individus de spiritualités
jouer un rôle
spécifiques elles-mêmes. Il présente aussi
autochtones aussi très pluralistes. De
critique positif en
un certain « sécularisme chrétien » qui
nouveaux types d’intervenants sont aussi
certaines matières,
espère un consensus substantiel entre les
appelés à nouer des rapports différents
communautés différentes, et y travaille,
avec le religieux, sans lien ou imputabilité
et qu’on cesse de
mais sans pour autant éviter les autres
avec un groupe religieux par exemple14.
limiter cette
croyances religieuses ou les diverses
Les lois provinciales intègrent diversement
visions du bien. Ce sécularisme chrétien
la dimension spirituelle dans la définition
possibilité au
concerne toute la société et appuie un état
de la santé. Par exemple, au Manitoba, elle
christianisme.
fonctionnel, assez modeste pour ne pas se
est absente, se limitant aux aspects
substituer aux communautés culturelles
physique et psychique. Ce n’est pas le cas
et religieuses qui seules peuvent procurer un sens et un bien
en Ontario et au Québec notamment. De surcroît, en 1998,
commun ultimes.
le Manitoba a promulgué la Loi sur les renseignements
Conrad G. Brunk s’interroge sur la place qu’ont, dans
médicaux personnels (LRMP), ce qui rend difficile l’accès à
la sphère publique, les valeurs et les croyances fondées
l’information pour les personnes offrant certains services
dans une religion18. Dans le cadre de débats moraux, tels
comme les soins spirituels. L’Ontario a même mis sur pied
l’avortement et les cellules souches, il observe que la vision
un organisme indépendant chargé d’aviser l’État sur les
dominante d’une démocratie libérale refuse que les groupes
questions religieuses et la santé, dans le but de s’assurer que
religieux aient voix au chapitre, préférant que les politiques
les malades de diverses orientations spirituelles soient
publiques permettent l’éventail de choix le plus large possible,
respectés. Il s’agit du Multifaith Council of Ontario15. Compte
ce que signifierait la « neutralité » de l’État. Pourtant, si dans
tenu de certaines questions de Gariépy, évoquons le texte de
le cas de l’avortement, sa légalisation permet, de fait, une
l’anthropologue Marie-Pierre Bousquet (Université de
pluralité d’options privées, au nom de la valeur libérale
Montréal), qui étudie le cas du système religieux des groupes
d’autonomie de la conscience morale, il n’en va pas de même
amérindiens, désigné « spiritualité traditionnelle » ou panpour l’utilisation des cellules souches pour des fins de
indienne, et qui n’est ni dogmatique ni régi par un dispositif
recherche. Dans ce cas, en effet, la recherche utilise des fonds
institutionnel. Fait intéressant, si les politiques fédérales et
publics dans l’intérêt de la santé publique. Brunk soutient
provinciales ont porté atteinte aux spiritualités traditionqu’on ne peut alors repousser les arguments religieux hors
nelles autochtones jusque dans les années 1950, elles
de la sphère de discussion, et leur préférer des arguments
favorisent à présent leur diffusion dans les programmes
dits « rationnels ». En fait, toute position représente
correctionnels, de la santé et des services sociaux (elle
un système contestable de croyances et de valeurs, même
s’avère un outil thérapeutique efficace), et les intègrent
la position dite moderne, libérale et rationnelle, qui
même dans divers rituels civiques et politiques.
99
comporte sa tradition et son orthodoxie philosophiques.
Les décisions de l’État doivent, dès lors, tenir compte d’un
débat qui fait place à ces multiples positions conflictuelles,
religieuses et non religieuses.
En amont de ces débats sur les rapports entre État et
religion, se trouvent diverses réflexions sur le dialogue interreligieux et l’apport possible des religions au vivre-ensemble :
critiques sociales et éthiques, contributions à la paix et à la
critique des idéologies qui instrumentalisent le religieux ou
le politique. De même, de nouveaux enjeux d’expertise du
religieux se posent à nos sociétés : outre les statuts traditionnels d’experts du religieux dans les diverses traditions,
comment les divers milieux peuvent-il mieux connaître et
comprendre les diverses religions et courants spirituels, et
comment peuvent-ils mieux négocier avec eux ? C’est ce que
se propose d’examiner Patrice Brodeur, à travers la création
d’un champ d’étude critique appliquée de la religion. Il
examine les rapports entre les experts en étude critique
de la religion, les pratiquants religieux et les chercheurs
d’information sur les pratiquants de discours religieux19.
De l’ensemble des contributions il ressort qu’on ne peut
s’en tenir à une vision privatisée de la religion, selon laquelle
celle-ci serait reléguée dans l’aire privée de l’individu ou de la
sphère associative ou communautaire spécifique. Il ressort
aussi un rappel que le « je » rationnel de la modernité, n’est
pas aussi neutre qu’il n’y paraît. Plus important encore, un
malaise certain traverse les relations entre les décideurs, les
acteurs des divers niveaux de la sphère publique et les groupes
religieux. De grands défis de connaissance et de reconnaissance se posent donc à la société canadienne, si elle veut
parachever son modèle de prise en compte de la diversité.
Notes
1
[email protected], www.cerum.umontreal.ca.
2
La Chaire religion, culture et société dont je suis titulaire a été créée dans
le but de réfléchir sur ces questions, en regroupant des acteurs de tous
ces secteurs.
3
4
5
Il faut noter que les données de 2001 démontrent que le pluralisme
religieux s’accroît, Statistique Canada ayant identifié 114 catégories
d’affiliation. L’analyse se fonde sur une analyse des données recueillies
entre 1971 et 2001, sous la direction de P. Beyer (Université d’Ottawa),
avec la collaboration de John H. Simpson et Leslie Laczko, et
l’assistance de Kyuhoon Cho, Wendy K. Martin et Rubina Ramji. Ces
données proviennent de Statistics Canada, 1971, 1981, 1991 & 2001
Census Custom Tabulations. Do0324, CD-ROM, Ottawa, Statistics
Canada, Advisory Services Division, 2003.
Il se trouve au sein du christianisme une grande diversité, note Biles, et
cette question sera présentée dans Christianity and Ethnicity in Canada
(Bramadat et Seljak, éd., à paraître), mais cette diversité semble
moins apparente au public canadien que celle relevant des religions non
chrétiennes.
Sophie Therrien est agente de recherche au Conseil des relations interculturelles, Gouvernement du Québec. Son analyse s’appuie sur Laïcité
et diversité religieuse : l’approche québécoise, CRI, mars 2004.
CITC
6
Le livre La religion dans la sphère publique (dir. Solange Lefebvre),
paraîtra à l’automne 2005 aux Presses de l’Université de Montréal.
Il comportera d’autres textes dont il n’est pas question ici, portant sur
les enjeux européens, des études de cas particuliers et les dialogues
interreligieux.
100
7
Cette notion a fait son apparition dans le droit canadien dans un jugement rendu sur une cause impliquant un conflit entre convictions
religieuses et horaire de travail. Voir M. Drapeau, « L’évolution du droit
du travail à la lumière de l’arrêt Meiorin », Revue du Barreau,
printemps 2001, p. 306 ; et José Woehrling, « L’accommodement
raisonnable et l’adaptation de la société à la diversité religieuse »,
Revue de droit de McGill, (1998) 43 R.D. McGill, p. 325.
8
C. Cadrin-Pelletier est responsable du Secrétariat aux affaires religieuses,
ministère de l’Éducation du Québec.
9
Ministère de l’Éducation, Direction de l’enseignement catholique,
Le phénomène religieux. Document d’appoint. Québec, 1990, 260 p.
10
Conseil supérieur de l’éducation, Comité catholique, Avis au ministre de
l’Éducation. L’enseignement moral et religieux catholique au primaire.
Pour un enseignement mieux adapté aux jeunes et aux contextes actuels,
Québec, avril 1994 ; Conseil supérieur de l’éducation, Comité
catholique, Avis au ministre de l’Éducation. L’enseignement moral et
religieux catholique au secondaire. Pour un enseignement mieux adapté
aux jeunes et aux contextes actuels, Québec, juin 1991.
11
Notamment la parution de ce rapport : ministère de l’Éducation, Laïcité
et religions. Perspective nouvelle pour l’école québécoise, Rapport du
groupe de travail sur la place de la religion à l’école, Québec, 1999,
282 p. ; et ministère de l’Éducation, Dans les écoles publiques du Québec,
une réponse à la diversité des attentes morales et religieuses, Québec, 2002
À noter que diverses options d’enseignement religieux doivent être offertes,
parmi lesquelles toujours un enseignement confessionnel, et qu’un service
d’animation spirituelle et d’engagement communautaire non confessionnel
a succédé au service d’animation pastorale confessionnelle.
12
Voir M. Clarkson, L. Pica et H. Lacombe, « Spiritualité, religion et santé :
une analyse exploratoire », dans C. Develuy (dir.) Enquête sociale et de
santé 1998, Collection la santé et le bien-être, Institut de la statistique du
Québec, 2001, p. 603-625.
13
Voir A. Battaglini, S. Fortin et coll., Bilan des interventions en soutien
parental et en stimulation infantile auprès de clientèles pluriethniques,
Direction de la santé publique de Montréal-Centre, 1997, 314 p.
14
C’est une question que débat L’Association canadienne pour la pratique
et l’éducation pastorales (ACPEP). En anglais, Myer Siemiatycki :
The Canadian Association for Pastoral Practice and Education (CAPPE) ;
site : www.cappe.org.
15
Le collectif à paraître La religion dans la sphère publique (dir. Solange
Lefebvre) comporte un texte sur les apports de cet organisme, signé par
sa directrice, Liz Chappel.
16
Voir Douglas Farrow (Université McGill), « Three Meanings of Secular »,
First Things no 133 (mai 2003), p. 20-23, pour une typologie simple des
sécularismes ; et aussi Recognizing Religion in a Secular Society, D. Farrow
(éd.), Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2004.
17
McLachlin, C. J., dans Chamberlain v. Surrey School District No. 36 (2002
SCC 86), au §19. Nous avons traduit : « Religion is an integral aspect of
people’s lives, and cannot be left at the boardroom door. What secularism does rule out, however, is any attempt to use the religious views of
one part of the community to exclude from consideration the values of
other members of the community. »
18
Brunk est directeur du Center for Studies in Religion and Society,
University of Victoria. Il renvoie notamment aux travaux de Jeffrey
Stout, Democracy and Tradition, Princeton, Princeton University
Press, 2004.
19
Patrice Brodeur est titulaire d’une Chaire du Canada, Islam, pluralisme et
globalisation, à la Faculté de théologie et de sciences des religions de
l’Université de Montréal. Cette définition d’une nouvelle sous-discipline de
l’étude critique de la religion, explique Brodeur, exige qu’une théorie et que
des méthodes particulières soient développées pour comprendre la façon
dont s’articule ce triangle dans divers domaines tels que les interstices entre
le religieux et le politique, l’éducation, le droit, la santé, les médias,
l’économie, l’environnement, et, entre autres, toutes les relations.
LES INTERSECTIONS DU SEXE ET
DE LA MIGRATION DANS
LE CONTEXTE CANADIEN
RÉSUMÉ
Compte tenu des profondes transformations qui se sont opérées au sein du marché du travail canadien au cours
des 30 dernières années, et des modifications apportées parallèlement aux normes visant les rôles et responsabilités des femmes et des hommes dans divers contextes sociaux, toute recherche qui n’accorde pas une attention
particulière aux immigrants en tant que sujets différenciés selon les sexes comporte fondamentalement des lacunes.
Il est nécessaire d’examiner les processus de la migration, de l’établissement et de l’intégration en tenant compte
des sexes afin que, dans un premier temps, nous comprenions réellement les façons dont la société canadienne
change et changera eu égard à l’immigration et à la diversité socioculturelle croissante, et que, dans un deuxième
temps, nous comprenions les mouvements des populations et leurs répercussions sur le développement et la
citoyenneté – largement définis – dans un contexte où la mondialisation gagne sans cesse du terrain.
Saint Mary’s University
EVANGELIA TASTSOGLOU
Université d’Ottawa
BRIAN RAY
York University
VALERIE PRESTON
L
e vieillissement démographique et la faible natalité, conjugués à des décisions politiques qui ont
donné lieu à certains des taux annuels d’immigration les plus élevés au Canada depuis la
Deuxième Guerre mondiale, signifient que la très grande majorité des secteurs de la société ou des
régions du Canada, pour ne pas dire tous, sont touchés par l’immigration et bénéficient de la contribution des immigrants. Or, le fait que les processus de la migration, de l’établissement et de l’intégration
soient dynamiques et nettement différenciés entre les groupes et entre les sexes est peu connu et moins
bien compris. Comment les immigrants « réussissent-ils » au Canada, quels sont leurs besoins et leurs
contributions, pourquoi, quand et comment arrivent-ils ici et de quelle façon maintiennent-ils des liens
avec leur lieu d’origine, quels rôles les nouveaux arrivants jouent-ils dans la vie de leurs enfants ? Voilà
toutes des questions qui ont un lien fondamental avec l’identité, les rôles et les responsabilités des immigrants en tant qu’hommes et femmes. Il est nécessaire d’examiner les processus de la migration, de
l’établissement et de l’intégration en tenant compte des sexes afin que, dans un premier temps, nous
comprenions réellement les façons dont la société canadienne change et changera eu égard à l’immigration et à la diversité socioculturelle croissante, et que, dans un deuxième temps, nous comprenions
les mouvements des populations et leurs répercussions sur le développement et la citoyenneté – largement
définis – dans un contexte où la mondialisation gagne sans cesse du terrain.
Les recherches portent habituellement soit sur l’« immigrant », peu importe le sexe, à titre de
catégorie analytique significative, soit sur l’immigrant masculin générique qui ne s’embarrasse pas de ses
propres identité et culture. Compte tenu des profondes transformations qui se sont opérées au sein du
marché du travail canadien au cours des 30 dernières années, et des modifications apportées parallèlement
aux normes visant les rôles et responsabilités des femmes et des hommes dans divers contextes sociaux
(p. ex. la famille, l’école, le gouvernement, la politique et les organismes communautaires), toute recherche
qui n’accorde pas une attention particulière aux immigrants en tant que sujets différenciés selon les sexes
comporte fondamentalement des lacunes. Ainsi, notre compréhension de la migration et de l’établissement
en tant que processus est loin d’être totale et les politiques font peu de cas des besoins distinctifs des
hommes et des femmes. La recherche doit aller au-delà du simple fait d’« inclure » le sexe comme variable,
puisque le sexe est une pratique sociale négociée et instituée à travers l’histoire, enracinée dans les normes
culturelles et les institutions. C’est ainsi que le sexe forge résolument les identités féminines et masculines
ainsi que les relations interpersonnelles et sociales, et régit l’accès des individus et des ménages aux
ressources au cours du processus de migration, puis tout au long de la période d’établissement et d’intégration. D’autre part, le fréquent parallèle établi entre « sexe » et « femme » pose un problème de taille, car
il a donné lieu à la ghettoïsation de la recherche sur les femmes et à l’isolement des hommes dans une catégorie « autre » non différenciée dans laquelle on présume de beaucoup trop. La théorie féministe et la
recherche sur les femmes ont fait ressortir le besoin d’étudier la construction sociale de la masculinité par
rapport à la migration et aux identités des sexes dans les collectivités ethniques établies (Willis et Yeoh, 2000).
Un nombre croissant d’universitaires formant un groupe interdisciplinaire et multidisciplinaire commencent à entreprendre des études sur la migration et l’établissement liés au sexe (Anthias et Lazaridis,
2000 ; Giles, Moussa et Van Esterik, 1996 ; Kelson et DeLaet, 1999 ; Kofman, Phizacklea, Raghuram et Sales,
101
CITC
programme de recherche exhaustif, qui couvrira tout le
2000; Tastsoglou et Maratou-Alipranti, 2003; Willis et Yeoh,
processus de migration à partir de la société d’origine jusqu’à la
2000). Alors que les pratiques liées au sexe dans les pays
société d’accueil définitive en passant par les pays tiers. Sur le
« d’origine » façonnent la composition des mouvements de
plan méthodologique, il est essentiel d’aborder la migration en
migrants, les ressources matérielles et sociales des migrants, les
tant que processus et, pour bien comprendre ce qu’est ce
buts ainsi que les stratégies en matière d’établissement, les
processus, il nous faut connaître les situations de ces femmes et
expériences relatives à l’établissement et à l’intégration peuvent
de ces hommes une fois qu’ils sont arrivés au Canada. Il est
modifier, transformer ou renforcer de multiples façons ces
beaucoup trop facile de présumer que la migration s’arrête lors
pratiques liées au sexe (Grasmuck et Pessar, 1991 ; Hondagneude l’établissement au Canada. Bien que les femmes et les
Sotelo,1994 ; Salaff,2000 ; Tyner,1999).Selon les conclusions de
hommes puissent réagir très différemment
recherche des plus diverses, il appert que
aux possibilités que présente le jumelage
la migration peut provoquer des effets
Sur le plan moral,
transnational, ces jumelages efficaces et
« émancipatoires » chez certaines femmes
compte tenu de la
bien développés, de par leur existence,
sur le plan des relations de pouvoir au sein
remettent sérieusement en question la
des ménages et des communautés, mais elle
tradition humanitaire
permanence de l’établissement dans les
peut aussi perpétuer les formes d’iniquité
et de la philosophie
pays d’accueil traditionnels comme le
ancrées depuis longtemps (Menjivar, 1999 ;
Canada. Sur le plan moral, compte tenu de
Pessar 1995 ; Pessar, 2000). Nous devons de
d’aide du Canada, les
la tradition humanitaire et de la philosotoute nécessité en apprendre davantage sur
Canadiens devraient
phie d’aide au développement du Canada,
la façon dont ces nouveaux rôles des sexes
s’intéresser à la
les Canadiens devraient s’intéresser à la
sont consacrés dans les ménages ainsi
migration non seulement pour savoir
qu’entre les hommes et les femmes, et sur la
migration non
comment les nouveaux arrivants sont pris
façon dont les normes fondées sur le sexe
seulement pour
en compte dans les politiques nationales
s’étendent aux interactions qu’ont les
visant la croissance démographique et les
hommes et les femmes avec les institutions
savoir comment les
besoins du marché du travail, mais aussi
publiques et privées, aussi bien dans les
nouveaux arrivants
pour savoir comment ces politiques
sociétés d’origine que les sociétés d’accueil
influent sur la prospérité des commu(Goldring, 2000).
sont pris en compte
nautés et sur la stabilité sociopolitique dans
Le sexe est non seulement une dimendans les politiques
les pays en développement. En gardant ces
sion de l’identité, mais il est aussi une
nationales visant la
points à l’esprit, nous pouvons relever un
relation sociale qui modèle la forme et la
certain nombre d’objectifs précis de
fonction de bon nombre d’institutions – la
croissance démorecherche qui soulignent l’importance
famille, le lieu de travail et le marché du
graphique et les
d’étudier rigoureusement les intersections
travail, l’éducation, la législation et les
du sexe et de la migration :
politiques de même que les associations non
besoins du marché
• les types de liens « transnationaux » que
gouvernementales. Dans cette optique, nous
du travail, mais aussi
maintiennent les immigrants et les immipouvons concevoir le sexe comme une
pour savoir comment
grantes avec les collectivités, les familles et
structure, ou des structures fondées sur le
les personnes à l’étranger, et l’influence
sexe. De telles structures sont fondées sur les
ces politiques influent
de ces liens sur la structure et le bien-être
relations inégales entre les hommes et les
sur la prospérité des
des familles et des ménages, les responfemmes – et en disent long sur celles-ci – , la
sabi-lités des soignants, la productivité
balance des pouvoirs penchant systémacommunautés et
économique, la participation civique, la
tiquement en faveur des hommes. Les
sur la stabilité
citoyenneté et l’appartenance ;
institutions et les structures fondées sur le
• les rôles et les changements normatifs
sexe peuvent changer et, en fait, changent en
sociopolitique
fondés sur le sexe parmi les adultes des
raison d’une immigration diversifiée et
dans les pays en
ménages d’immigrants ;
fondée sur le sexe. Elles changent en raison
développement.
• les qualités liées au sexe et la nature des
d’hommes et de femmes, de migrants et de
relations parents-enfants, notamment
non-migrants déterminés à réaliser une plus
sur le plan de la conservation de la langue d’origine, du
grande égalité entre les sexes. Dans ce cadre conceptuel, le
rendement scolaire et de la formation de l’identité ;
sexe croise d’autres marqueurs d’identité comme l’ethnicité, la
• le rôle de la langue, notamment la maîtrise du
« race », la langue, la religion, l’âge et l’orientation sexuelle. Ces
français ou de l’anglais, dans la réussite de l’intégration
intersections apportent une structure aux relations sociales au
et dans la structuration des variations de pouvoir
sein des collectivités d’Autochtones et de nouveaux arrivants,
au sein des familles ;
et entre celles-ci (Agnew, 2003). De plus, en cette ère de
• l’intégration économique des immigrants et des
mondialisation et de migration transnationale, ces intersecimmigrantes dans l’économie canadienne, qui met de
tions fondées sur le sexe ont une incidence sur la participation
plus en plus l’accent sur l’alphabétisme, les connaisdes immigrants ainsi que sur les relations socio-économiques
sances et la souplesse (compétences et formation).
et politico-culturelles dans les sociétés d’origine (Jones-Correa,
2000 ; Yeoh, Huang et Willis, 2000).
De plus, la migration ne s’effectue pas dans un espace
Nous soutenons que pour des raisons de méthodologie
abstrait, et toute analyse afférente devrait prendre en compte
et d’éthique, il est prépondérant de mettre sur pied un
102
explicitement les lieux de migration – tant temporaires
que permanents – à la fois pour les hommes et pour les
femmes. Les changements fondés sur le sexe qui s’opèrent
au sein des structures familiales, les rôles de la maind’œuvre et la participation civique sont négociés dans le
cadre de paramètres particuliers et de contextes spaciaux
dans les sociétés d’origine, et sont reliés à la formation de
diasporas transnationales. Qui plus est, les processus de
migration modifiés par le sexe et le lieu, interdépendants,
sont également manifestes en ce qui concerne la participation économique, sociale et politique des hommes et
des femmes dans les grandes villes (comme Toronto et
Vancouver), où s’établissent la majorité des immigrants,
ainsi que dans les plus petites villes (comme Halifax) qui
souhaitent souvent attirer plus de nouveaux arrivants.
L’importance du sexe et de ses intersections avec les
processus de la migration pousse un nombre croissant de
communautés de recherche internationales à adopter cette
perspective analytique dans leurs recherches sur la migration. En 2002, au Canada, un groupe de chercheurs affiliés
aux centres Metropolis et appuyés par le Conseil de
recherches en sciences humaines (CRSH) ont présenté une
série d’ateliers (Strategic Workshop on Immigrant Women
‘Making Place’ in Canadian Cities: Transdisciplinary
Approaches to Their Social Networks), et cette activité a mené
à la création d’un réseau de chercheurs et à l’élaboration
d’un document d’orientation en ligne1. En 2003, le nouveau
Centre d’excellence Metropolis de l’Atlantique a mis sur
pied le seul volet de recherche « Rapports hommes/ femmes,
migration et diversité/les immigrantes »2 dans le réseau de
projets Metropolis canadiens (et internationaux). Ce volet
sert de point d’entrée unique à partir duquel on peut
cerner les enjeux qui sont particulièrement pertinents aux
immigrantes et qui pourraient autrement être passés sous
silence. Ce faisant, il souligne le sexe dans chaque aspect du
processus de la migration.
À l’instar des programmes d’études féministes dans
les universités, le volet Rapports hommes/femmes et
immigrantes constitue une façon différence d’aborder ce
que l’on connaît comme étant un paradigme de recherche
interdisciplinaire. Le volet consiste en une gamme
d’intérêts de recherche étudiés dans une optique liée au
sexe (et le sexe dans toute sa diversité). Il encourage aussi
l’examen de nouveaux enjeux non évidents dans d’autres
domaines de recherche qui n’insistent pas sur les expériences des migrants et des migrantes comme des sujets
différenciés selon les sexes. Enfin, par le truchement de
recherches conjointes et d’activités de réseautage entre des
universitaires des diverses régions du Canada et de
l’étranger, des décideurs et des ONG, le volet Sexes/
femmes immigrantes vise à fournir un point d’ancrage
régional et national et d’agir comme carrefour d’échange
pour l’analyse différenciée selon les sexes des questions
liées à l’immigration et à la diversité. L’équipe et les
chercheurs affiliés se livrent à une analyse différenciée
selon les sexes des questions qui découlent des douze
priorités du gouvernement fédéral en matière de
recherche axée sur les politiques sur l’immigration et
l’intégration. Le volet cherche ainsi à faire en sorte que ces
questions tiennent compte du sexe et des expériences
vécues par les immigrantes.
Références
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p. 147-158.
WILLIS, Katie et Brenda YEOH (éds.). Gender and Migration, An Elgar
Reference Collection, 2000.
Notes
103
1
Strategic Workshop on Immigrant Women Making Place in Canadian Cities
(2002) Policy-Relevant Research on Immigration and Settlement - Relevant for
Whom? Document de travail, Montréal, INRS Urbanisation, Culture et
Société, Institut national de la recherche scientifique, et Immigration et
Métropoles. [Membres de l’atelier : D. Rose (coordonnatrice), J. Bernhard, C.
Creese, I. Dyck, L. Goldring, A. McLaren, C. Nolin, V. Preston, B. Ray, E.
Tastsoglou].
2
Connu en général sous « Rapports hommes/femmes et immigrantes ».
BARRIÈRES D’ACCÈS
À L’INDEMNISATION
Pour les travailleurs immigrants victimes de lésions professionnelles
RÉSUMÉ
Le Canada, comme bien d’autres pays, a une politique d’immigration qui privilégie la sélection de candidats
qualifiés. Mais par nécessité d’intégration économique, les travailleurs immigrants acceptent des emplois aux
conditions précaires et qui ne correspondent pas à leur qualification. La prévalence des lésions professionnelles chez les immigrants est supérieure aux autres travailleurs. Ne connaissant pas leurs droits et rencontrant
souvent des barrières de communication, ces travailleurs victimes de lésions professionnelles cumulent diverses
difficultés lors de leur demande d’indemnisation.
A
u Québec, la situation des travailleurs immigrants est préoccupante. D’une part, ils sont
nombreux à vivre des conditions d’intégration économique difficiles1. Et d’autre part,
l’instabilité résidentielle, l’insécurité économique et la précarité de leurs conditions de vie les
obligent à accepter des emplois dans des secteurs où les risques d’accidents ou de maladies professionnelles sont élevés. Qualifiés ou non, ces travailleurs occupent souvent, au cours des premières
années, des emplois manuels correspondant peu à leur formation et à leurs habilités, augmentant
ainsi leur risque de lésions professionnelles2. Tout comme pour l’accès aux services publics en
général, les travailleurs immigrants victimes de lésions professionnelles rencontrent des barrières
d’accès à l’indemnisation. Les résultats de la présente étude démontrent que les travailleurs
immigrants cumulent plusieurs difficultés et ce, à toutes les étapes du processus d’indemnisation.
Problématique
LAURENCE BOUCHERON
Direction de la santé publique de Montréal
SYLVIE GRAVEL
Direction de la santé publique de Montréal
LOUIS PATRY
Direction de la santé publique de Montréal
MICHEL FOURNIER
CITC
Direction de la santé publique de Montréal
L’immigration des travailleurs est un phénomène international en croissance, soutenu à la fois
par des politiques d’immigration des pays grands demandeurs de main-d’œuvre et par les pays
exportateurs de main-d’œuvre aux prises avec des taux incontrôlables de chômage. En 1990, sur le
seul continent nord-américain, 8,6 % des travailleurs étaient immigrants3. Pour les pays exportateurs
de main-d’œuvre, l’argent entré au pays provenant d’expatriés à destination des membres de leur
famille représente une part non négligeable pouvant atteindre près de 10 % du PIB4. La main-d’œuvre
étrangère comprend trois types de travailleurs : les travailleurs qualifiés associés à l’exode des
cerveaux, les travailleurs qualifiés dans les secteurs qui ne recrutent pas, et ceux non qualifiés
occupant des emplois temporaires ou saisonniers. Tous ces travailleurs sont exposés à des risques
de lésions professionnelles.
À la fin des années 1970 puis à la fin des années 1990, plusieurs études portant sur la prévalence
de lésions professionnelles chez les travailleurs immigrants ont été publiées. La première période
compte davantage de travaux sur la sociologie du travail des immigrants temporaires en Europe,
et la seconde, des travaux sur la situation des travailleurs agricoles du sud des États-Unis
et d’autres secteurs industriels en pénurie de main-d’œuvre bon marché. Entre ces deux périodes,
les travaux se consacrent davantage aux études sur les risques ergonomiques, physiologiques,
bactériologiques et toxiques.
La prévalence et la gravité des lésions chez les travailleurs immigrants ont toujours été importantes.
Dans les années 1970, en Allemagne5, la proportion des accidents du travail était de 2,7 travailleurs
accidentés immigrants pour 1 travailleur accidenté allemand et en France, les travailleurs immigrants représentaient 10 % de l’ensemble des travailleurs, mais totalisent 21 % des accidents6. Plus
récemment, de 1996 à 2000, aux États-Unis7, le taux de mortalité des travailleurs latino-américains a
été de 20 % supérieur à celui des Blancs et des Afro-américains8. De plus, ces travailleurs sont plus susceptibles de développer des problèmes subséquents, leurs conditions de vie ne permettant pas un
rétablissement adéquat de leur lésion9 et ayant peu accès aux services de santé et d’indemnisation.
Les travailleurs immigrants occupent très souvent des emplois dans des secteurs à
risque10, 11, 12, 13, 14 et offrant peu de perspectives d’avenir15. Dans le seul État de la Californie, les travailleurs
latino-américains constituent 17 % de la force de travail mais représentent 62 % de la main-d’œuvre
agricole, 25 % de la main-d’œuvre manufacturière (textile, aliments, machinerie) et 20 % des
104
Méthode, échantillon et recrutement
travailleurs de la construction16 – les secteurs industriels
Une étude rétrospective et comparative entre les travailoù la prévalence des lésions irréversibles et mortelles est
leurs immigrants et non immigrants a été menée à Montréal35
la plus élevée17. Les conditions de travail sont déplorables ;
afin de répondre aux questions de recherche suivantes :
les tâches sont lourdes et répétitives18 et s’exécutent sous
• les travailleurs immigrants et non immigrants
pression dans des environnements insalubres et bruvictimes de lésions professionnelles ont-ils un
yants19. Ces emplois souvent saisonniers ou temporaires20
accès équitable au système d’indemnisation ?
ne permettent pas d’acquérir l’expérience suffisante pour
• À quelles étapes du processus d’indemnisation les
accomplir la tâche sans risque. De plus, la connaissance
facteurs limitants ou facilitants sont-ils manifestes ?
limitée de la langue entraîne l’isolement du travailleur,
une incompréhension des règles de sécurité21 et une interL’étude a interrogé 104 travailleurs victimes de
prétation inadéquate des droits et des procédures pour
lésions professionnelles sur les circonstances entourant
être indemnisé.
l’apparition de la lésion et les étapes du processus.
Depuis leur création, les systèmes d’indemnisation
L’échantillon de commodité est
des pays européens et nord-américains
composé d’immigrants (51 %) et de nonont évolué. La couverture des lésions
Depuis leur
immigrants (49 %) et, dans une même
indemnisables s’est élargie et certains
proportion, d’hommes (53 %) et de
pays ont adopté les « régimes sans égard
création, les
femmes (47 %). Les sujets ont été recrutés
à la faute »I, 22. Ces améliorations ont
systèmes d’indemvia la liste des clients des partenaires au
entraîné une croissance des coûts sans
projet, une polyclinique spécialisée en
pour autant indemniser les victimes les
nisation des pays
médecine du travail (40 %), un organisme
plus vulnérables. Qu’ils soient syneuropéens et
militant pour les droits des travailleurs
diqués ou non, les travailleurs
victimes de lésions professionnelles
préféreront continuer de travailler
nord-américains
effectuant de l’expertise juridique et
pendant qu’ils suivent leur traitement
ont évolué. La
médicale (31 %) et un bureau d’étude
et malgré leurs douleurs23 afin de mainlégale qui défend des travailleurs (15 %).
tenir leur lien d’emploi. Ils craignent
couverture des
Quelques sujets (14 %) ont été recrutés
d’être congédiés, de perdre leur droit de
lésions indemvia les journaux et les radios ethniques.
résidence ou encore, de s’appauvrir
De la liste initiale de 363 clients, 184
parce que les indemnités de remplacenisables s’est
ont été sollicités. Le taux de refus a
ment de revenu sont insuffisantes24, 25.
élargie et certains
été de 43 % (80/184).
Pour ceux qui réussissent à surmonter
pays ont adopté
Les travailleurs recrutés devaient, au
leurs craintes d’être victime de reprémoment de la lésion, travailler pour un
sailles, l’accès à l’indemnisation n’est pas
les « régimes sans
employeur. La réclamation pour cette
automatique. Plusieurs études26, 27, 28, 29, 30
égard à la faute »I, 22.
lésion devait avoir été produite depuis
ont démontré l’existence de barrières
janvier 2000. Les travailleurs immigrants
d’accessibilité au système d’indemCes améliorations
devaient être nés à l’étranger et vivre
nisation, dès l’entrée et tout au long du
ont entraîné une
au Canada depuis moins de 20 ans sans
processus d’indemnisation. Dembe et
égard à leur statut.
coll. (2003)31 ont structuré ces barrières
augmentation des
Les données de cette étude provienen trois mécanismes se succédant dans
coûts sans pour
nent de deux sources : a) des entrevues
le processus nuisant à la déclaration et
individuelles : une portant sur les étapes
à l’accès aux services d’indemnisation :
autant indemniser
du processus administratif, et une autre
• bloquer l’entrée au système en
les victimes les
sur les conditions de retour au travail ;
décourageant les travailleurs d’amorb) de la retranscription des réclamacer les procédures ;
plus vulnérables.
tions, la description des événements
• imposer des règles structurant
entourant l’accident ou de l’apparition
l’accès au système en décrétant des
des symptômes de la maladie professionnelle II.
délais incontournables et en fixant les montants
Les entrevues réalisées par des intervieweurs polyglottes
d’indemnité sans égard à l’appauvrissement des
duraient en moyenne 1 heure et 45 minutes et la seconde,
travailleurs ;
45 minutes. Elles se sont déroulées de décembre 2002 à
• minimiser les besoins des travailleurs en sousdécembre 2003. Les données d’entrevues ont été traitées
estimant les capacités du travailleur à réintégrer son
par le logiciel SPSS (analyses statistiques de khi-carré et
emploi, et les risques de rechutes et de récidives.
tests d’écarts de moyenne). Les retranscriptions des réclamations ont été saisies et traitées sur NVivo pour ensuite
Peu importe l’angle d’analyse prise, médical32, admiêtre converties en variables dichotomiques et ajoutées au
nistratif33 ou juridique34, divers acteurs sont associés aux
fichier des entrevues.
dynamiques favorisant ou limitant l’accès : employeur,
collègue, syndicat, médecin, conseiller juridique et agent
Résultats
d’indemnisation. Malgré la diversité des analyses, peu de
Les premiers résultats présentent les caractéristiques
travaux ont étudié les parcours d’indemnisation selon le
des travailleurs. Tous les autres décrivent les principales
statut des travailleurs.
105
Les décisions rendues par les services d’indemnisationIII peuvent toucher plusieurs aspects : la description
des faits, le diagnostic, le lien entre la lésion et le travail, les
limitations fonctionnelles, la date de consolidationIV, et les
conditions de retour au travail V. Les taux de refus sont
supérieurs chez les travailleurs immigrants sauf en ce qui
a trait aux conditions de retour au travail comme l’indique
le tableau suivant. Les déceptions sont telles que 59 % des
travailleurs prévoient contester les décisions.
Beaucoup de travailleurs ne comprennent pas les
procédures et les décisions (62 %), ce qui a incité 82 %
des travailleurs immigrants et 76 % des travailleurs non
immigrants à consulter un conseiller juridique. L’agence
d’indemnisation du Québec (CSST) privilégie la correspondance écrite pour communiquer avec les travailleurs. Or
54 % des travailleurs ne la comprennent pas, indépendamment de leur statut, de leur scolarité ou de la
décision. Pour les travailleurs immigrants, les difficultés
ne se limitent pas à cette correspondance puisque 55 %
affirment avoir eu des difficultés à se faire comprendre
de leurs interlocuteurs et 58 % n’ont pas saisi la décision.
Au moment de la deuxième entrevue, 51 % des
travailleurs immigrants comparativement à 43 % des
travailleurs non immigrants étaient retournés au travail
mais 72 % des travailleurs peu scolarisés ont perdu leur
emploi par la suite. Par contraintes économiques ou par
craintes de représailles, les travailleurs sont retournés
au travail malgré des douleurs chroniques (61 %) ou
occasionnelles (25 %). Pour les immigrants, des contraintes
importantes de transport (47 %) et de communication (47 %)
entravent la poursuite de leurs traitements. Les récidives, les
rechutes et les aggravations sont courantes et ce, sans distinction du genre et du statut. Les relations avec l’employeur se
sont détériorées surtout pour les travailleurs immigrants
(51 %) comparativement aux non immigrants (36 %).
Les travailleurs (64 %) voient leur avenir dégradé,
particulièrement les travailleurs immigrants (76 %).
barrières d’accès rencontrées par les travailleurs suivant
l’ordre chronologique des différentes étapes du parcours
d’indemnisation.
Pour 26 % des sujets, leur lésion est survenue à la suite
d’une maladie professionnelle et 76 % à la suite d’un accident.
Les femmes (35 %) ont davantage de maladies professionnelles que les hommes (22 %) ainsi que les travailleurs
immigrants (32 %) comparativement aux travailleurs non
immigrants (24 %). Près du tiers (30 %) des travailleurs
blessés étaient employés par l’entreprise depuis moins d’un
an, 55 % l’étaient depuis 1 à 9 ans. La très grande majorité
(81 %) exécutaient leurs tâches habituelles.
Qu’il s’agisse d’un accident ou d’une maladie, le
travailleur rapporte sa lésion d’abord à son contremaître
(52 %) ou à ses collègues (30 %) mais certains ne savent
pas à qui elle a été rapportée (11 %). L’environnement de
travail est à risque puisque 68 % des travailleurs ont eu
connaissance d’un collègue ayant une lésion similaire.
La majorité des travailleurs consultent le jour même
mais les travailleurs immigrants victimes de maladies
professionnelles ont quelquefois attendu plus de six mois
(28 %), contrairement aux travailleurs non immigrants
(8 %). N’ayant pas de médecin de famille, les travailleurs
consultent ceux des urgences de cabinets privés (64 %) ou
de centres hospitaliers (37 %). Les médecins se succèdent
tout au long de leur convalescence, seulement 25 % des
travailleurs revoient le médecin rencontré la première fois.
L’absence de continuum dans le suivi médical fait en sorte
que les hommes (40 %) et surtout les immigrants (64 %)
considèrent avoir été examinés de façon inappropriée
et obtenu un diagnostic imprécis (23 %). Pour tous les
travailleurs, l’impact de la lésion est très importante sur
leur vie professionnelle (78 %) et quotidienne (56 %) et
dans leurs loisirs (61 %).
En principe, le travailleur rédige lui-même sa déclaration : 92 % des travailleurs non immigrants ont été en
mesure de le faire comparativement à seulement 42 %
des travailleurs immigrants. Cet écart est d’autant plus
préoccupant que les travailleurs immigrants demandent
à leur employeur (21 %) ou à une tierce personne, une
amie ou un membre de la famille, de la rédiger (37 %).
Les travailleurs peuvent être contactés jusqu’à cinq
semaines (25 %) après avoir déposé cette réclamation. Ces
délais font que les immigrants sont beaucoup moins
satisfaits (75 %) des contacts qu’ils ont avec les agents
d’indemnisation que les travailleurs non immigrants (49 %).
Figure 2 – Comparaison entre travailleurs immigrants
et non-immigrants, selon les différentes
étapes du parcours d’indemnisation
100
90
80
70
60
Figure 1 – Taux de refus des décisions d’indemnisation,
selon le statut des travailleurs
50
40
Décisions rendues – Refus
Non-immigrants
30
52 %
23 %
20
49 %
34 %
52 %
32 %
64 %
48 %
78 %
56 %
58 %
69 %
Immigrants
Non-immigrants
10
0
Déclaration Réclamation
rédigée
de l’accident
par autre
après
personne*
plusieurs
jours*
Diagnostic
imprécis**
Incompréhension
décision
rendue
Non retour
au travail*
*Significatif p < 0,05 ** Tendance p = 0,08
Déclaration — Réclamation — Parcours médical — Parcours administratif — Retour au travail
CITC
Faits accidentels ou
apparition des symptômes
Diagnostic posé
Lien entre travail
et lésion
Limitations
fonctionnelles
Date de consolidation
Conditions de retour
au travail
Immigrants
106
lésions professionnelles devrait poser un regard autocritique sur les facteurs mis en place pour assurer
un accès équitable aux plus vulnérables (immigrants,
bas salariés, non syndiqués, etc.). Il en va de l’éthique
professionnelle que les gestes posés, les informations
transmises et les décisions prises soient compris et
que leurs conséquences sur la santé physique, la vie
professionnelle et la vie privée soient bien saisies.
Comme le soulignent certaines études sur les lésions
professionnelles, il faut aller au-delà de la simple analyse
des conséquences médicales, familiales et économiques
des lésions professionnelles et considérer tout l’appauvrissement des moyens et des capacités des travailleurs43.
Discussion
Ces résultats démontrent qu’à toutes les étapes, des
barrières se dressent. Dès le début, le travailleur immigrant tarde à faire une réclamation, ce qui le désavantage.
La situation n’est pas surprenante puisque de façon
générale, de 20 à 45 % des travailleurs ne feront pas de
réclamation36 et que dans certains secteurs industriels, la
non-déclaration est de mise37. À la seconde étape, celle du
parcours médical, les travailleurs immigrants se rendent
dans les urgences d’hôpitaux et de cliniques pour
obtenir des soins. Ils s’en remettront aux médecins pour
juger des étapes à suivre. Or les médecins ne les encourageront pas nécessairement, soit parce qu’ils ne sont pas
familiers avec le système d’indemnisation38, soit pour
empêcher le travailleur de perdre son lien d’emploi ou
pour s’éviter des débats d’experts sur le problème de santé
du travailleur. À la troisième étape, celle de la réclamation,
les travailleurs immigrants, même scolarisés, sont désemparés. Confiants d’être pris en charge par le système, ils
sont surpris d’être refusés et contestés par leur employeur.
Devant le refus, 25 % des travailleurs ont l’intention
d’aller en appel, un taux de contestation équivalent à ceux
identifiés dans d’autres travaux39. À la quatrième étape, celle
qui consiste à soumettre sa requête aux services administratifs d’indemnisation, tous les travailleurs ne comprennent
pas les décisions rendues et beaucoup de travailleurs immigrants se heurtent à des problèmes de communication.
Plus le processus administratif devient complexe, entre
autres à cause des contestations, moins les travailleurs
comprennent l’issue de leur requête.
Finalement les travailleurs immigrants sont moins
nombreux que les non immigrants retournant sur
le marché du travail. Le non-retour au travail et le congédiement à la suite de la lésion ne sont pas spécifiques
aux travailleurs de cette étude puisque Imershein et coll.40
constataient en 1994 que seulement 25 % des travailleurs
victimes de lésions professionnelles retournaient au
travail ; parmi ceux-ci, 96 % n’avaient pas le soutien requis
pour leur condition et 76 % finissaient par quitter leur
emploi, désabusés ou sous la menace d’un congédiement.
Du rêve d’avoir une vie meilleure, les travailleurs immigrants voient leur vie de famille compromise. Là encore,
les résultats de notre échantillon ne sont pas nouveaux :
des études41, 42 démontrent que pour la majorité des
travailleurs, les douleurs causées par leur lésion les
affectent également dans leur vie familiale, conjugale et
sociale et dans leurs loisirs.
Les résultats de l’enquête démontrent que les barrières
sont réelles chez les sujets de l’échantillon. Toutefois, la
représentativité de notre échantillon n’est pas exhaustive.
Il s’agit d’un échantillon de commodité provenant des
listes de clients des partenaires à l’étude. Néanmoins, les
travailleurs de l’échantillon présentent des difficultés d’accès
à l’indemnisation similaires à celles étudiées dans diverses
enquêtes, tant américaines qu’européennes.
Références
Pour voir toutes les références de ce texte, visitez notre site Web au www.acs-aec.ca.
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Conclusion
Il n’est pas déraisonnable de douter de l’équité du
traitement accordé aux travailleurs immigrants par rapport
à celui accordé aux travailleurs non immigrants. Chacun
des acteurs œuvrant auprès des travailleurs victimes de
107
14
EL BATAWI, M.A. « Factors influencing the health and safety of migrant
workers. Safety and health of migrant workers international symposium », Occupational safety and health series, no 41 (1977), Bureau
international du travail.
31
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15
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l’échelle, 1992.
32
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33
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37
Idem., p. 30.
38
Idem., p. 30.
39
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Worker Friend or Foe ? », American Journal of Industrial Medecine, no 45
(2004), p. 338-345.40 Idem., p. 27.
40
Idem., p. 27.
41
STUNIN, L. et L.I. BODEN. « Family consequences of chronic back
pain », Social Science and Medicine, no 58 (2003), p. 1385-1393.
42
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43
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Health and Safety Conditions for California’s Immigrant Workers, no 13
(2002).
CITC
30
Notes
108
I
Le régime « sans égard à la responsabilité » est une traduction libre de
« no-fault » qui fait référence à l’absence d’accusation de négligence ou
de responsabilité envers l’une ou l’autre des parties dans l’apparition de
la lésion. Ce qui limite toute poursuite civile en rapport avec les événements accidentels ou l’apparition des symptômes de la maladie, à moins
qu’il y ait eu négligence intentionnelle. Les systèmes d’indemnisation
nord-américains et européens, bien qu’ils arborent tous le principe de
« sans égard à la responsabilité », se distinguent entre autres par le type
d’indemnisation (remplacement du revenu ou montant forfaitaire), par
les conditions d’accès aux services de rétablissement (soins de santé,
réadaptation) et par les conditions de retour au travail. L’accès à l’indemnisation est étroitement lié à celui du système de santé. Ainsi, dans
les pays où l’accès au système de santé est gratuit et universel, accéder
aux indemnités et aux remboursements des soins médicaux lorsque l’on
est victime de lésions professionnelles ne comporte pas les mêmes avantages que lorsque seuls les détenteurs d’une assurance privée peuvent
bénéficier des soins de santé.
II
Il y a deux versions de cette réclamation : celle rédigée par le travailleur
et celle produite par l’employeur. Toutes deux apparaissent sur les formulaires administratifs de la Commission de santé et sécurité au travail
(CSST) portant les numéros 1039 (01-09) pour les travailleurs et 1940
(98-11) pour les employeurs.
III
Il peut y avoir plusieurs instances décisionnelles. La première instance :
la Commission de santé et de sécurité au travail (CSST) ; la deuxième
instance : la Direction de la révision administrative (DRA) ; la troisième
instance : la Commission des lésions professionnelles (CLP) ; et la dernière
instance : la Cour supérieure du Québec.
IV
Date de rétablissement ou date où aucune autre amélioration n’est possible.
V
Allégement de la tâche, modification du poste, détermination d’un autre
emploi convenable.
Laurence Boucheron est formée en anthropologie et en santé communautaire. Elle travaille en tant qu’agente de recherche à la Direction de
la santé publique de Montréal sur des problématiques reliées aux populations immigrantes.
Michel Fournier est agent de recherche à la DSP de Montréal. Formé
en mathématiques et en mesure et évaluation, il s’intéresse particulièrement à la méthodologie de la recherche et aux statistiques. Il agit aussi
comme consultant auprès de différents groupes de recherche.
Louis Patry : spécialisation en médecine du travail. Direction de la santé
publique de Montréal, professeur adjoint en physiologie du travail
et ergonomie, au département unifié d’épidémiologie biostatistique
et de santé au travail, Faculté de médecine, Université McGill, membre
du bureau de direction de la Commission Internationale de Santé au
travail (CIST).
Biographies
Sylvie Gravel, anthropologue de formation, est chercheure à la Direction
de la santé publique (DSP) de Montréal. Elle mène des travaux de
recherche auprès des populations immigrantes depuis plus de quinze
ans. Elle est affiliée à la Faculté de l’éducation permanente et au
Département de médecine sociale et préventive de l’Université de
Montréal. Elle est également membre du groupe de recherche
Immigration et Métropoles.
109
LANGUES EN CONTEXTE
D’IMMIGRATION
Éveiller au langage et à la diversité linguistique en milieu scolaire
RÉSUMÉ
Dans ce contexte d’immigration et de plurilinguisme, les niveaux de maîtrise langagière de la langue ou des
langues ou la présence d’un accent, comme les autres marqueurs « visibles » de la différence, peuvent devenir
des instruments de promotion sociale, mais aussi susciter la discrimination, alimentée par les représentations
négatives véhiculées sur les langues et les locuteurs de ces langues.
Professeure à l’Université de Montréal, directrice du Centre de
recherche Immigration et métropoles (Montréal, projet Metropolis)
FRANÇOISE ARMAND
Professeure, Simon Fraser University, chercheure au Centre de recherche sur
l’immigration et l’intégration dans les métropoles (Vancouver, projet Metropolis)
DIANE DAGENAIS
CITC
Langues en contexte d’immigration
Comme la majorité des grandes métropoles qui attirent les immigrants à travers le monde,
Montréal et Vancouver se caractérisent par une grande diversité culturelle et linguistique, et nombreux sont les élèves d’origine immigrante qui sont scolarisés dans une langue autre que leur(s)
langue(s) maternelle(s). Ainsi, au Québec, en 2002, les écoles montréalaises accueillaient 34,9 %
d’élèves dont la langue maternelle n’était ni le français ni l’anglais et, au total, 189 langues maternelles différentes, parmi les quelque 6 000 langues sur terre, étaient répertoriées (Comité de gestion
de la taxe scolaire de l’île de Montréal, 2003). Dans la région métropolitaine de Vancouver, par
ailleurs toujours marquée par la présence de diverses langues autochtones (p. ex., le Coast Salish,
Shaw, 2001), selon le dernier recensement de 2001, les élèves apprenant l’anglais langue seconde
représentaient 53 % de la clientèle scolaire.
Dans ce contexte d’immigration et de plurilinguisme, les niveaux de maîtrise langagière de la
langue ou des langues ou la présence d’un accent, comme les autres marqueurs « visibles » de la différence, peuvent devenir des instruments de promotion sociale, mais aussi susciter la discrimination,
alimentée par les représentations négatives véhiculées sur les langues et les locuteurs de ces langues.
Calvet (2002) souligne ainsi l’existence, en contexte de mondialisation, d’un « marché aux langues »
au sein duquel les langues peuvent se déprécier, être dévaluées ou, au contraire, gagner de la valeur.
Selon Moore (1994), les langues sont loin de n’être que des instruments objectifs et socialement neutres, ne servant qu’à transmettre du son ; elles sont intimement liées à leurs utilisateurs, et en particulier au prestige qui leur est accordé et à la nature du contact que l’on souhaite entretenir avec eux.
Encourager et promouvoir une société inclusive canadienne, marquée par la Loi sur les langues
officielles de 1969 et par la politique multiculturelle de 1988, sous-entend la mise en place de
politiques, de programmes et de pratiques qui favorisent la compréhension interculturelle. Il
s’agit notamment de faciliter la mise en place de relations positives qui valorisent et reconnaissent la
diversité culturelle mais aussi linguistique. En effet, comme le souligne le récent document cadre
de l’UNESCO, L’éducation dans un monde multilingue (2003), il apparaît primordial « d’encourager
la démarche qui fait de la langue une composante essentielle de l’éducation interculturelle, en
vue d’encourager la compréhension entre différentes populations et d’assurer le respect des droits
fondamentaux » (p. 30).
Au Québec, la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle (1998) du ministère
de l’Éducation attire l’attention sur l’importance d’apprendre à « savoir vivre ensemble dans une
société francophone, démocratique et pluraliste ». Globalement, cette politique indique qu’il faut
développer chez tout le personnel des attitudes d’ouverture à la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse et des compétences pour inclure le pluralisme dans le projet éducatif. Parmi les
orientations mises en avant par ce document, la sixième prône que « le patrimoine et les valeurs
communes du Québec, notamment l’ouverture à la diversité ethnoculturelle, linguistique et
religieuse, doivent se traduire dans l’ensemble du curriculum et de la vie scolaire ». Dans cette
optique, on préconise la création de cours d’éducation à la citoyenneté et l’apprentissage d’une
troisième langue au secondaire.
En Colombie-Britannique, selon la politique linguistique du ministère de l’Éducation, tous les
élèves devraient avoir l’occasion d’apprendre les langues valorisées par les diverses communautés de
la province (British Columbia Ministry of Education, 1996, p. 3). De plus, la politique de diversité
du ministère de l’Éducation (2003) signale l’importance d’élaborer un curriculum axé sur la
110
d’examiner de près les représentations stéréotypées
justice sociale, qui rejette l’eurocentrisme et reconnaît les
véhiculées dans le discours des enfants et d’explorer
expériences et les contributions des divers groupes de la
comment les activités d’éveil aux langues peuvent servir
société. Cette politique propose que les activités pédaà changer ces représentations pour permettre aux élèves
gogiques prennent en compte la diversité des citoyens,
de s’ouvrir à la diversité et de construire adéquatement
facilitent l’accès à l’égalité, favorisent la responsabilité
leur identité.
civique et visent l’antiracisme. Enfin, le corps professionLes études récentes qui portent sur la construction
nel de la province, responsable de la certification des
de cette identité sont par ailleurs fondées sur une théorie
enseignants, exige que la formation de ces enseignants
poststructurelle (Pavlenko, 2001) qui considère que
touche aux questions du multiculturalisme, de l’antil’identité est dynamique et multiple, et que les apprenants
racisme, de l’expérience immigrante et de la diversité des
se servent du discours pour négocier leur position sociale
origines linguistiques des élèves (British Columbia
dans le groupe (Dagenais, 2003 ; Heller, 2000 ; Norton,
College of Teachers, 2002).
2000). Ces recherches indiquent comment la position
Toutefois, parmi l’ensemble des interventions pédade l’apprenant dans les interactions
gogiques recensées à Montréal et à
lui permet d’accéder à des réseaux
Vancouver, la diversité linguistique n’a
sociaux ou d’en être exclu, selon les
pas, à notre connaissance, constitué
L’objectif principal
représentations positives ou négatives
jusqu’ici l’objet des interventions dans
attribuées à son identité. L’étude des
le domaine de l’éducation interculturelle
des activités
liens entre l’apprentissage des langues,
ou de l’éducation à la citoyenneté. En
pédagogiques
la diversité linguistique et la construcEurope, de telles approches ont donné
tion des identités est donc abordée
lieu à la mise en place de programmes
mises en place
par l’examen critique des relations de
tels que Language Awareness et Éveil
est de permettre
pouvoir entre acteurs, leurs représenaux langues.
tations d’eux-mêmes et des autres.
aux élèves
Les recherches portant sur la
L’Éveil aux langues
d’explorer
mise en place de l’approche Éveil aux
Les objectifs de l’approche
systématiquement
langues visent à décrire les pratiques
Language Awareness, apparue en
langagières des enfants en s’attardant
Grande-Bretagne au début des années
la diversité
plus particulièrement sur les repré1980 et conçue par Hawkins (1987) et
linguistique afin
sentations du bi-/plurilinguisme, de
son équipe, étaient de favoriser les
l’apprentissage des langues, des identités
représentations et les attitudes positives
de les préparer
plurilingues et des rapports avec
d’ouverture à la diversité linguistique
à vivre dans
diverses communautés linguistiques
et culturelle, de capacités métalinque se construisent les apprenants et
guistiques facilitant le passage des
des sociétés
leurs enseignants.
langues maternelles aux langues
linguistiquement
D’autre part, les recherches issues
secondes ainsi que de connaissances
de la psycholinguistique et de la
relatives aux langues (y compris le statut
et culturellement
psychologie cognitive apportent les
des langues). Dans les années 1990, cette
diverses.
fondements théoriques en ce qui a
approche a été rebaptisée Éveil au
trait à l’acquisition des habiletés de
langage, puis Éveil aux langues, et
réflexion sur la langue ou des capacités
adoptée en Europe dans le cadre des
métalinguistiques. Selon le chercheur français Gombert
programmes Evlang (Candelier, 2003) et Eole (Perregaux
(1992), on entend par capacités métalinguistiques
et coll., 2003). L’objectif principal des activités pédal’habileté du sujet à considérer les différentes unités de
gogiques mises en place est de permettre aux élèves
la langue (phonèmes, mots, phrases, textes) comme
d’explorer systématiquement la diversité linguistique afin
des objets d’analyse et de réflexion sur lesquels il peut
de les préparer à vivre dans des sociétés linguistiquement
exercer un contrôle lors de manipulations intentionnelles.
et culturellement diverses.
Au sein des programmes d’Éveil aux langues, l’écoute
attentive de corpus langagiers dans différentes langues,
Fondements de l’approche Éveil aux langues
les activités de réflexion sur les emprunts linguistiques,
D’une part, cette approche s’inspire des courants de
la comparaison des manières d’exprimer la négation dans
la sociolinguistique, des sciences du langage et de l’ethnodifférentes langues sont autant d’activités qui permettent
graphie pour aborder la question de la construction des
le développement de telles capacités métalinguistiques.
représentations, dans le domaine langagier, chez les élèves
Ainsi, au-delà de l’acquisition de simples connaissances
et les enseignants. Ce concept de représentation a servi
langagières, il s’agit d’amener l’apprenant à devenir un
d’outil heuristique pour analyser le discours des enfants
observateur du fonctionnement de la langue, des langues,
dans des situations de plurilinguisme et de contact avec
ou encore, pour reprendre l’expression de Brédart et
plusieurs langues en milieu scolaire. Il a permis de
Rondal (1982) un « linguiste en herbe ». De nombreuses
décrire comment les élèves se positionnent par rapport
recherches ont montré que ces habiletés métalinguisaux autres dans leur discours et d’identifier leurs reprétiques, notamment en phonologie et en syntaxe, sont liées
sentations des langues, des locuteurs des langues et de
au succès en lecture et en écriture en L1 comme en L2 et
l’apprentissage des langues (voir Moore, 2001). Il s’agit
111
« bonjour » dans 17 langues différentes. Ils doivent
tenter de découvrir dans quelle langue est prononcé
chacun des « bonjours » et dans quel(s) pays cette langue
est parlée. Les notions de langues officielles, de langues
nationales, etc. sont abordées et discutées. La phase de
préparation à l’activité leur permet de prendre conscience
de la diversité linguistique à travers le monde, et plusieurs
chiffres clefs leur sont communiqués (nombre de langues
parlées à travers le monde, sur l’île de Montréal, à
Vancouver, dans leur école, etc.). Les élèves ont la possibilité de poursuivre leur apprentissage, de façon autonome,
au moyen d’une activité multimédia bâtie sur le même
principe, mais beaucoup plus exhaustive quant au nombre
de langues et de pays considérés.
Dans l’une des activités du module La fleur des
langues, les élèves s’approprient les notions de langue
maternelle, de langue seconde, de langue étrangère, etc.
Pour cela, ils analysent une séquence vidéo dans laquelle
deux enfants font le récit de leur vie linguistique (quelles
sont les langues qu’ils parlent ? avec qui ? quelle est leur(s)
langue(s) maternelle(s), seconde(s) ? etc.). À leur tour, ils
font leur « récit de vie linguistique » en utilisant les termes
« monolingue », « bilingue » et « plurilingue » et l’illustrent sur un pétale. Ces pétales individuels sont ensuite
regroupés de façon à représenter la « fleur des langues »
de la classe.
Dans deux activités du module La pluie et le beau
temps, les élèves doivent, à l’aide de dialogues enregistrés
dans quatre langues différentes, repérer les marques de
négation et distinguer les différences dans la formation de
cette négation en français, malgache, créole haïtien et
espagnol (activité A, inspirée de Evlang, équipe de la
Réunion, 2002). Ensuite, ils doivent produire, à partir de
l’analyse de ces corpus ou de nouveaux corpus, une phrase
négative, comme ici en inuktitut (activité B).
sont donc déterminantes pour permettre la réussite scolaire et professionnelle (Armand, 2000 ; Chiappe et Siegel,
1999 ; Gombert, 1992 ; Lefrançois et Armand, 2003).
Les résultats de l’implantation des programmes
d’éveil aux langues en Europe
La recherche européenne a montré que l’éveil aux
langues facilite l’émergence de représentations positives
de la diversité des langues chez les enseignants et les élèves
et favorise à long terme l’acquisition des capacités
métalinguistiques (en particulier, chez les plus faibles
sur le plan scolaire), notamment en matière de mémorisation et de discrimination auditive dans les langues
non familières (Candelier, 2003 ; Sabatier, 2002).
Le projet ELODiL au Canada
S’inspirant des recherches européennes, une première étude comparative a mené Armand et Dagenais
(2003-2004, étude soutenue par le projet Metropolis et
par le CRSH/programme du multiculturalisme)1 à adapter
ces approches pédagogiques aux contextes éducatifs
canadiens et à mettre en place le projet ELODiL (éveil
au langage et ouverture à la diversité linguistique).
Plusieurs modules d’activités à réaliser en salle de classe
au 3e cycle du primaire ou de façon autonome sur
l’ordinateur (activités multimédia) ont ainsi été élaborées
ou adaptées, à partir des programmes Evlang ou Eole. Ils
ont été ensuite placés sur un site Web (www.elodil.com),
afin de diffuser largement le projet auprès des enseignants.
Ces activités ont été mises à l’essai à Montréal et à
Vancouver dans différentes classes durant l’année scolaire
2003-2004. L’objectif de cette première étude était de
savoir si les élèves du primaire acquièrent une connaissance critique de la diversité linguistique en participant
à des activités d’éveil aux langues. Cette recherche se
poursuit dans le cadre d’une nouvelle recherche subventionnée par le CRSH (2005-2008, Dagenais, Armand,
Lamarre, Moore et Sabatier) et se poursuit également
au préscolaire (2005-2007, Armand, de Koninck et
Kanouté, projet du Centre de recherche Immigration
et Métropoles de Montréal).
Résultats préliminaires de la première étude de
mise à l’essai des activités d’ELODiL à Montréal et
à Vancouver
Lors de l’implantation, en 2003-2004, de ce programme d’activités au 3e cycle du primaire, dans une classe
d’immersion à Vancouver, et dans deux classes régulières
et deux classes d’accueil (classes de francisation pour les
immigrants nouvellement arrivés) situées dans une école
pluriethnique montréalaise, des données qualitatives ont
Exemples d’activités d’éveil aux langues
Durant la première activité du module Bonjour, les
élèves visionnent un film dans lequel des enfants disent
Consigne : Essaie d’écrire « Il ne fait pas froid » en inuktitut dans la transcription
et puis dans le système d’écriture original.
Français
Inuktitut
Français
Inuktitut
Il y a du soleil
Siqinnituq
Il n’y a pas de soleil
Siqinningittuq
Français
Inuktitut
Français
Inuktitut
Il fait froid
Qiunnatuq
Il ne fait pas froid
CITC
(Voir le site www.elodil.com
pour obtenir la solution)
112
été recueillies au moyen de notes sur le terrain, d’enregistrements audio et vidéo des interactions en salle de classe
et d’entrevues avec les élèves.
L’analyse préliminaire de ces données permet
d’avancer déjà quelques observations : (1) les élèves
s’engagent dans des discussions critiques sur les différentes valeurs attribuées aux langues et à leurs locuteurs
dans la société ; (2) les enfants de diverses origines linguistiques sont repositionnés (et se repositionnent) en tant
qu’experts langagiers dans les interactions de classe ;
(3) dans les activités de groupe, les élèves puisent dans
leurs connaissances linguistiques collectives (français,
anglais, et langues d’origine) pour attribuer un sens à des
langues inconnues et co-construire une représentation de
celles-ci ; (4) les enfants interprètent la diversité des
langues en fonction du paysage linguistique local et de
leurs contacts avec divers groupes linguistiques ; et (5) la
participation à ces activités est susceptible de stimuler le
développement des capacités de réflexion sur les langues.
CHIAPPE, P. et Siegel, L.S. « Phonological awareness and reading acquisition in English and Punjabi-speaking canadian children », Journal of
Educational Psychology, vol. 91 (1999), p. 20-28.
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Conclusion
LAMARRE, P. « Plurilingualism and pluriculturalism: An approach from
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vol. 1, no 1 (2002), p. 33-45.
Les programmes d’éveil aux langues s’inscrivent
pleinement dans les pratiques d’éducation interculturelle
ainsi que d’éducation à la citoyenneté en permettant
également d’acquérir des compétences civiques (Lamarre,
2002). En effet, la formation de futurs citoyens aptes à
prendre leur place dans une société démocratique sousentend des capacités d’analyse et de compréhension des
réalités sociales actuelles sur la question des langues et des
représentations sur les langues et leurs locuteurs. Ainsi,
une approche qui jumelle les activités d’éveil aux langues
à la pédagogie critique (Fairclough, 1992) pourrait permettre aux citoyens de demain de prendre conscience des
valeurs inégales accordées à diverses langues et à leurs
locuteurs, de modifier leurs représentations linguistiques
et, enfin, de définir les conditions qui permettront
d’avancer, dans un monde de migrations et de plurilinguisme, vers l’égalité des hommes et des femmes
face aux langues et à la communication.
LEFRANÇOIS, P. et F. ARMAND. « The role of phonological and
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Note
1
CALVET, L.-J. Le marché aux langues : les effets linguistiques de la mondialisation, Paris, Plon, 2002.
CANDELIER, M. (éd.). L’Éveil aux langues à l’école primaire – Evlang. Bilan
d’une innovation européenne, Bruxelles, De Boeck, 2003.
113
Ce projet a également reçu le soutien du Programme de soutien à l’école
montréalaise (projet prometteur, 2003) et du ministère de l’Éducation
du Québec, Direction des services aux communautés culturelles (projet
novateur, 2004), que nous remercions. Nous remercions également les
étudiantes qui œuvrent avec compétence et dynamisme dans ce
projet : Erica Maraillet à Montréal, Noëlle Mathis et Nathalie Walsh
à Vancouver.
INTÉGRER LES NOUVEAUX
ARRIVANTS AU MARCHÉ
DU TRAVAIL CANADIEN
CLARENCE LOCHHEAD
Patrick MacKenzie est analyste principal à la Division des initiatives
spéciales et partenariats de la Direction générale de l’intégration à
Citoyenneté et Immigration Canada. Auparavant, il a travaillé pour
le ministère du Patrimoine canadien ainsi que pour le ministère
des Affaires indiennes et du Nord canadien.
PATRICK MACKENZIE
Introduction et contexte
L’immigration est une source de plus en plus importante de main-d’œuvre et de compétence
pour le marché du travail canadien. La dépendance accrue du Canada à l’égard de l’immigration en
tant que source de main-d’œuvre et de compétence se fait sentir à un moment où la population
« prête à la retraite » croît rapidement et que tout est en place pour le départ à la retraite potentiellement
rapide d’un grand nombre de travailleurs. Les compétences seront de plus en plus recherchées
puisque les entreprises veulent être compétitives dans une économie du savoir1 et que 90 % des
entreprises et des dirigeants syndicaux décrivent la pénurie de travailleurs qualifiés comme étant un
problème modéré ou sérieux auquel l’économie et le marché du travail canadiens doivent faire face2.
De nombreuses mesures sur divers fronts sont nécessaires pour répondre aux besoins
actuels et futurs de l’économie et du marché du travail canadiens en matière de compétence.
Les établissements d’enseignement continuent de fournir un nombre considérable de travailleurs
créatifs et qualifiés, et les milieux de travail ont un rôle à jouer dans l’apprentissage et le perfectionnement continus de tous les employés. Comme elle l’a toujours fait pour le Canada, l’immigration
a un important rôle à jouer pour aider à répondre aux besoins de la nation en matière de
main-d’œuvre.
La « bonne nouvelle » est que des immigrants très éduqués et très compétents viennent
au Canada et peuvent contribuer à mettre en place une population active qualifiée. La « moins
bonne nouvelle » est que de nombreux immigrants éprouvent des difficultés avec le processus
et les résultats de l’intégration au marché au travail, desquels découle une sous-utilisation des
compétences et de l’expérience. Dans le présent document, nous décrivons l’éducation et les compétences des nouveaux arrivants au Canada, examinons certains des obstacles et défis liés à
l’intégration au marché du travail, et soulignons des exemples de mesures que les gouvernements, les
employeurs, les syndicats et les organismes fournisseurs de services aux immigrants prennent
pour faciliter l’intégration au marché du travail.
L’immigration, une source de compétence
Les immigrants sont admis au Canada au titre de l’une des trois catégories de base. Des 701 000
immigrants que le Canada a accueillis au cours d’une période de trois ans prenant fin en 2003, plus
de la moitié (59 %) ont été admis au titre de la catégorie de l’immigration économique. Cette
catégorie comprend les travailleurs qualifiés (et les personnes à leur charge) qui sont sélectionnés
en fonction de leurs connaissances, compétences et expériences, qui sont jugées nécessaires et
appropriées pour le marché du travail canadien. Elle comprend également les investisseurs, les
entrepreneurs et les travailleurs autonomes. Quelque 201 000 immigrants (29 % du total) sont
venus au Canada pour rejoindre des membres de leur famille immédiate. Les réfugiés
représentaient environ 11 % des immigrants qui sont venus au Canada entre 2001 et 2003.
CITC
Clarence Lochhead est un chercheur principal œuvrant pour le Centre syndical
et patronal du Canada, un centre pour le dialogue et la concertation entre les
syndicats et les parties patronales. La mission du Centre est d’améliorer les pratiques
patronales et syndicales au Canada et d’offrir des conseils d’intérêt public sur le
marché du travail et les questions touchant les compétences et l’apprentissage.
RÉSUMÉ
La population canadienne étant vieillissante, l’immigration est perçue comme une composante de plus en
plus importante de la stratégie du Canada pour mettre en place une économie durable de renommée
internationale. Bien que les immigrants venant s’installer au Canada soient plus instruits que jamais, ces
derniers éprouvent des difficultés avec le processus et les résultats de l’intégration au marché du travail,
desquels découle une sous-utilisation des compétences et de l’expérience. Dans le présent document,
nous décrivons l’éducation et les compétences des nouveaux arrivants au Canada, examinons certains des
obstacles et défis liés à l’intégration au marché du travail, et soulignons des exemples de mesures que les
gouvernements, les employeurs, les syndicats et les organismes fournisseurs de services aux immigrants
prennent pour faciliter l’intégration au marché du travail.
114
Tableau 1
physiques ou en génie, ou d’avoir suivi une formation
dans une école de métiers (43 % par rapport à 33 %).
En plus des compétences et connaissances acquises
pendant leurs études, de nombreux immigrants ont une
expérience de travail pratique. C’est le cas pour 60 % des
immigrants ayant l’intention de travailler dès leur arrivée
au Canada. Si l’on applique les normes du système canadien
de Classification nationale des professions, 84 % des
nouveaux arrivants ayant une expérience de travail
occupaient un poste qui exige habituellement un diplôme
universitaire, un diplôme d’études collégiales ou une
formation dans une école de métiers. Très peu d’immigrants
ayant une expérience de travail – seulement 2 % – occupaient un poste n’exigeant aucune formation systématique.
Pourcentage de demandeurs ayant fait
des études postsecondaires, par catégorie
d’immigrants, état de la demande et sexe*
Catégorie
d’immigrants
État de
la demande
et sexe
% avec des
études postsecondaires
TQ (Travailleurs qualifiés)
Hommes demandeurs
94
TQ
Femmes demandeures
90
TQ
Femmes à charge
68
AF (Gens d’affaires)
Hommes à charge
62
AF
Femmes demandeures
62
TQ
Hommes à charge
54
FAM (Regroupement familial)
Femmes demandeures
44
Hommes nés au Canada
43
Femmes nées au Canada
43
FAM
Hommes demandeurs
AF
Femmes à charge
34
RFG (Réfugiés)
Hommes demandeurs
33
RFG
Femmes demandeures
29
RFG
Femmes à charge
19
FAM
Hommes à charge
18
FAM
Femmes à charge
18
AF
Hommes à charge
17
RFG
Hommes à charge
13
Nouveaux arrivants au sein de la population active
Au cours des années 1990, la population active totale
du Canada a augmenté de 1,4 million – 70 % de cette augmentation est attribuable aux 978 000 immigrants qui
sont arrivés au Canada pendant cette décennie et
qui ont joint les rangs de la population active du pays3.
La dépendance du Canada à l’égard de l’immigration
pour assurer la croissance de la population active s’est
considérablement accrue depuis 1980 et on s’attend à
ce que l’immigration compte pour la totalité de la
croissance nette de la population active au cours de la
prochaine décennie.
Tous les secteurs d’activité comptent sur l’immigration
en tant que source de main-d’œuvre, mais le degré de
dépendance varie d’un secteur à l’autre. Le secteur le plus
dépendant est certes celui de la fabrication. Des 19 principaux secteurs industriels, celui de la fabrication est le plus
enclin à embaucher des travailleurs immigrants. Dans ce
secteur, 27,4 % des employés sont nés à l’étranger, tandis
que près d’un travailleur sur 10 (9,4 %) est un immigrant
récemment arrivé au Canada (au cours des 10 dernières
années). Pour ce qui est des secteurs d’activité plus
spécialisés, comme la confection de vêtements ou la
conception de matériel informatique ou électronique,
les immigrants forment une plus grande part du nombre
total d’employés (57 % et 39 % respectivement).
La dépendance du Canada à l’égard de l’immigration
pour assurer la croissance de la population active se fait
également sentir dans chacun des secteurs d’activité. Par
exemple, les nouveaux arrivants étaient responsables,
entre 1991 et 2001, de la totalité de la croissance nette de
la population active du secteur de la fabrication. D’autres
secteurs, comme celui de la santé et des services sociaux,
dans lequel 75 000 immigrants récemment admis
comptaient pour 24 % de la croissance nette de la population active, dépendent moins de l’immigration, mais en
ont tout de même bien besoin. Par ailleurs, dans d’autres
secteurs, comme la construction, la population active
totale a diminué d’environ 13 000, ou 1,4 %, même si près
de 33 000 immigrants récemment admis se sont ajoutés
à la population active de ce secteur.
Compte tenu du rôle de plus en plus important
que joue l’immigration comme source de main-d’œuvre
et de compétence, il importe que les nouveaux arrivants
au Canada soient en mesure de mettre pleinement à
profit leurs compétences et leur expérience au bénéfice du
41
* Tableau basé sur le nombre d’immigrants admis en 2000, 2001 et 2002.
Source : Citoyenneté et Immigration Canada, Faits et chiffres 2002.
Données du Recensement de 2001 sur les hommes et les femmes nés
au Canada.
Les divers niveaux de scolarité chez les nouveaux
immigrants reflètent en partie le processus de sélection et
les objectifs de base du système canadien d’immigration.
Pour être admissible à titre de travailleur qualifié, par
exemple, le demandeur principal doit avoir, au minimum,
une année d’expérience de travail à temps plein à titre de
gestionnaire, de professionnel ou de technicien, ou dans
une autre profession spécialisée énumérée par le système
canadien de Classification nationale des professions. De
plus, le demandeur est évalué à l’aide d’un système de
points d’appréciation tenant compte du niveau de scolarité,
des compétences linguistiques dans l’une ou l’autre des
langues officielles, de l’expérience de travail, de l’âge, du
fait que le demandeur a ou non un emploi réservé, et de
l’adaptabilité, y compris le niveau de scolarité de l’époux.
Compte tenu de ces exigences, il n’est pas surprenant
que 90 % des demandeurs de la catégorie des travailleurs
qualifiés soient titulaires d’un titre de compétences de
niveau postsecondaire (Tableau 1). C’est plus du double
de la proportion observée chez les hommes et les femmes
nés au Canada. Même les personnes à la charge des
travailleurs qualifiés ont un niveau de scolarité qui se situe
au-dessus de la moyenne des hommes et des femmes
nés au Canada. L’analyse des données du Recensement
révèle que les immigrants récemment arrivés (au cours
des dix dernières années) ayant fait des études de niveau
postsecondaire sont plus susceptibles que les personnes
nées au Canada d’avoir obtenu un diplôme en sciences
115
du Canada lors de leur arrivée, 66 % des employeurs4
indiquent que le manque de compétence linguistiques
propres au domaine d’emploi est un obstacle à l’embauche d’immigrants. Ces derniers sont donc en mesure
Obstacles à une pleine participation
de communiquer dans un contexte social, mais ne peuvent
Lors des discussions avec les immigrants, les
pas mettre leurs compétences pleinement à profit dans le
employeurs, les syndicats, les gouvernements et les
cadre du travail. Les employeurs y voient également un
organismes non gouvernementaux, trois principaux
inconvénient lorsqu’ils tentent de trouver des employés
obstacles sont encore et toujours identifiés : l’évaluation
avec les compétences dont leur entreprise a besoin.
et la reconnaissance des titres de compétences et de
Certaines grandes entreprises ont la capacité d’offrir
l’expérience acquis à l’étranger ; la nécessité d’avoir des
des cours de langue de niveau avancé aux immigrants
compétences linguistiques répondant davantage aux
qui ont déjà les compétences techniques nécessaires –
besoins liés à l’emploi ; et le manque de renseignemais la plupart n’en offrent pas. De
ments détaillés, cohérents et faisant
nombreux employeurs reconnaissent
autorité sur le Canada et son marché
Le gouvernement
que l’embauche d’immigrants peut être
du travail.
avantageuse pour le milieu de travail –
a accordé
Bien que les immigrants venant
la possibilité de servir les clients immis’installer au Canada soient plus instruits
68 millions
grants dans leur langue maternelle, de se
que jamais, les recherches révèlent que
de dollars sur
tailler une place dans de nouveaux
ces derniers ont de plus en plus de diffimarchés d’exportation et d’apporter de
culté à entrer sur le marché du travail.
une période de
nouvelles perspectives ne sont que
Aussi, ceux qui y parviennent ne
six ans pour
quelques avantages énumérés par les
mettent pas pleinement à profit les
employeurs – mais le manque de
compétences et les connaissances qu’ils
mettre en place
compétences techniques pour bien
ont acquises à l’étranger. Par conle programme de
communiquer fait en sorte qu’il est
séquent, de nombreux immigrants au
difficile d’intégrer les immigrants aux
Canada ne sont pas en mesure de
reconnaissance
autres employés.
se tailler une place satisfaisante au sein
des titres de
de l’économie canadienne et de la
Nécessité d’offrir des renseignements
société en général.
compétence
marché du travail canadien. Cependant, des obstacles se
dressent souvent sur la route des nouveaux arrivants.
Évaluation et reconnaissance des
titres de compétences étrangers
étrangers et pour
financer les
organismes qui
ont pour mandat
d’améliorer les
processus de
reconnaissance
au Canada.
justes et faisant autorité sur la société
et le marché du travail canadiens
Bien avant qu’un immigrant mette
les pieds en sol canadien, il doit pouvoir
avoir une bonne idée de ce qui l’attend
ici. Nombreux sont les immigrants qui
pensent que le marché du travail sera
prêt à les accueillir parce qu’ils ont été
sélectionnés en fonction de leurs
compétences. Ce n’est malheureusement pas souvent le cas. Avec un marché
du travail qui n’est pas en mesure de
reconnaître leurs titres de compétences
ou qui n’a peut-être plus besoin de leur expertise, les
nouveaux arrivants peuvent se sentir marginalisés et avoir
de la difficulté à bien s’intégrer à la société canadienne en
général. Le fait de communiquer aux immigrants
potentiels les exigences en matière d’immigration, des
renseignements sur les régions où des emplois sont offerts
dans leur domaine de compétence ainsi que les exigences
précises en matière de réglementation professionnelle,
aidera les immigrants à s’adapter au Canada. Après un
long et difficile processus de relocalisation au Canada,
certains immigrants ne sont pas en mesure de participer
pleinement au sein de la société à laquelle ils se sont joints
avec bien des efforts.
L’évaluation et la reconnaissance
des titres de compétences des professionnels formés et éduqués à l’étranger visent
à déterminer si l’éducation et l’expérience de travail acquises à l’étranger
correspondent aux normes établies pour
les professionnels formés au Canada. Il
s’agit d’une tâche complexe qui nécessite
la collaboration des gouvernements
fédéral, provinciaux et municipaux,
des organismes de réglementation, des établissements
d’enseignement postsecondaire et des employeurs. Si l’on
multiplie ces variables par le nombre d’établissements
qui émettent partout dans le monde des grades, des
diplômes et des titres de compétences qui doivent être
évalués, la charge de travail devient incommensurable.
Pour les professions réglementées, cette tâche est généralement déléguée aux organismes de réglementation par
les provinces et les territoires. Cela peut exacerber la
frustration des immigrants qui peuvent ne pas être
familiers avec la façon de faire des gouvernements et
des organismes de réglementation du Canada, et ne pas
être en mesure de tracer leur voie dans un système perçu
comme étant inutilement complexe.
Travail en cours
Bien que le gouvernement du Canada ait un important
rôle à jouer pour aider les immigrants à faire face aux
obstacles qui les empêchent d’entrer sur le marché du
travail, il ne peut y arriver seul. Lors d’une série de
Capacités de communication dans l’une
ou l’autre des langues officielles
CITC
Même si la plupart des nouveaux arrivants peuvent
communiquer dans au moins une des langues officielles
116
pour les infirmières et d’autres professionnels de la santé
formés à l’étranger, y compris des pharmaciens, des
technologues de laboratoire médical, des technologues
en radiation médicale, des physiothérapeutes et des
ergothérapeutes. Pour ce qui est de l’ingénierie, le Conseil
canadien des ingénieurs met en place des outils pour
intégrer plus rapidement et plus efficacement au marché
du travail canadien les ingénieurs formés à
l’étranger. RHDCC joue également un rôle de premier
plan pour faciliter la reconnaissance des titres de
compétences étrangers pour ce qui est des professions non
réglementées dans des secteurs comme la maintenance
aéronautique et le tourisme.
En 2003-2004, CIC a lancé l’initiative des cours
de langue de niveau avancé (CLNA). Le Budget 2003 a
accordé un montant de 5 millions de dollars par année
à cette initiative et un montant supplémentaire de
15 millions de dollars par année a été accordé dans
le cadre du Budget 2004, soit un montant total de
20 millions de dollars par année sur une période de
cinq ans pour aider le Ministère à élargir cette initiative
dans le but de l’offrir à environ 20 000 immigrants chaque
année par l’entremise de partenariats avec les provinces,
les territoires, les employeurs et les organismes non
gouvernementaux. Les résidents permanents, les réfugiés
acceptés et les personnes à qui un permis de séjour
temporaire est délivré pour faciliter leur admission au
Canada sont admissibles à une formation dans le cadre de
cette initiative.
Le financement accordé à l’initiative des CLNA
aidera nos partenaires à élaborer et à offrir des cours de
langue axés sur le marché du travail, y compris des cours
de langue axés sur des professions en particulier.
L’initiative permettra d’offrir des cours de langue de
niveau plus avancé pour aider à répondre aux besoins des
immigrants qui ont déjà des connaissances de base ou
intermédiaires en français ou en anglais, mais qui doivent
améliorer leurs compétences linguistiques pour être en
mesure de se trouver et de garder un emploi correspondant à leurs compétences. De plus, des cours de langue
de niveau intermédiaire et moins avancé seront élaborés
et offerts dans les plus petits centres qui autrement
n’auraient pas la capacité d’offrir de tels services.
Le gouvernement du Canada est également déterminé
à collaborer avec les provinces et les territoires dans le but
de peaufiner le site Web Se rendre au Canada. Le portail de
l’immigration Se rendre au Canada (SRC-PI) contiendra des
renseignements et des services en ligne offerts par divers
organismes gouvernementaux et non gouvernementaux
pour aider les immigrants éventuels à prendre des décisions
éclairées au sujet de leur immigration au Canada et à mieux
se préparer, avant leur arrivée, en vue de bien s’intégrer à la
société et au marché du travail canadiens. Il facilitera également leur intégration après leur arrivée au Canada.
Citoyenneté et Immigration Canada, Santé Canada,
Ressources humaines et Développement des compétences
Canada, Commerce international Canada, Industrie Canada
et Affaires étrangères Canada collaborent avec les provinces
et les territoires dans le but de coordonner les renseignements et les services offerts par les gouvernements fédéral,
provinciaux, territoriaux et municipaux, les collectivités, les
consultations organisées par Citoyenneté et Immigration
Canada (CIC) et le Centre syndical et patronal du Canada
(CSPC), il a été clairement indiqué que les employeurs,
syndicats, provinces, territoires, organismes de réglementation, établissements d’enseignement postsecondaire et
organismes fournisseurs de services aux immigrants font
des progrès pour éliminer les obstacles.
La division ontarienne des Manufacturiers et exportateurs du Canada (MEC) a publié un document intitulé
Take a Look at What’s Working5 dans le but d’aider ses
membres à partager leurs expériences en ce qui a trait
à l’embauche et à l’intégration d’employés formés à
l’étranger. Des entreprises comme 3M Canada ont mis en
place des processus pour évaluer les employés éventuels.
Les examens, entrevues et jeux de rôles qu’elles ont
élaborés aident à évaluer le niveau d’alphabétisation, les
notions de calcul et d’autres compétences pertinentes des
candidats. De plus, elles offrent un remboursement des
frais de scolarité aux employés qui veulent améliorer leurs
compétences linguistiques et se perfectionner.
Bien que la responsabilité ultime en matière d’évaluation et de reconnaissance des titres de compétences
étrangers ne relève pas de lui, le gouvernement du Canada
joue un rôle de facilitateur auprès des provinces et des
territoires, et offre une orientation stratégique pour
l’élaboration d’approches nationales uniformes pour
donner suite à cette importante question. Ressources
humaines et Développement des compétences Canada
(RHDCC) est le ministère fédéral responsable du
programme de reconnaissance des titres de compétences
étrangers du gouvernement du Canada. Le programme a
pour but de collaborer avec tous les intervenants pour
permettre aux travailleurs formés à l’étranger de mettre à
profit leurs compétences au bénéfice du développement
économique et social du Canada. L’amélioration des
processus de reconnaissance des titres de compétences
étrangers aidera les immigrants à s’intégrer plus rapidement
au marché du travail canadien et à acquérir l’expérience
de travail canadienne dont ils ont besoin pour réussir
au Canada. Par le fait même, les employeurs canadiens
auront accès à un plus grand bassin de travailleurs
compétents. Le gouvernement a accordé un montant de
68 millions de dollars sur une période de six ans pour
mettre en place le programme de reconnaissance des titres
de compétences étrangers et pour financer les organismes
qui ont pour mandat d’améliorer les processus de reconnaissance au Canada. En bout de ligne, cet investissement
permettra d’assurer que les processus de reconnaissance
de partout au pays sont équitables, accessibles, reconnus
à l’échelle nationale, transparents et respectent les normes
élevées auxquelles les Canadiens s’attendent pour ce
qui est de la main-d’œuvre.
Des progrès sont réalisés relativement aux professions
réglementées. En effet, les administrations fédérale et
provinciales collaborent avec des intervenants clés de la
communauté médicale dans le but d’améliorer les procédures d’octroi d’autorisations d’exercer aux médecins
formés à l’étranger afin que nous puissions renforcer le
système de santé et augmenter le nombre de médecins
pratiquants. Des efforts semblables sont également
déployés pour accélérer le processus de reconnaissance
117
organismes fournisseurs de services d’établissement, les
associations d’apprentissage et d’éducation, la communauté
des employeurs, les associations professionnelles et les organismes évaluant les titres de compétences étrangers. Le SRCPI offrira des renseignements, des services et des outils ciblés
sur le marché du travail, le système d’éducation, la culture, les
régions et les collectivités, les possibilités d’apprentissage pour
combler les lacunes en matière de qualification, l’évaluation et
la reconnaissance des titres de compétences étrangers, la
recherche d’emploi et la formation en recherche d’emploi,
l’évaluation des compétences linguistiques et les cours de
langue, l’orientation canadienne et les récits d’immigrants et
d’employeurs. Les provinces et les territoires ont déjà participé
à l’élaboration d’un plan au sujet du contenu et de la structure
du portail. Cela permettra d’adopter une approche coordonnée pour la diffusion des renseignements et la prestation
des services afin d’offrir une image globale du marché du
travail canadien.
L’intégration au marché du travail est une question complexe qui nécessite une approche coordonnée de la part des
gouvernements, des employeurs, des syndicats, des organismes de réglementation, des établissements d’enseignement
postsecondaire et des immigrants. Même si des immigrants
ont été en mesure de réussir, il reste beaucoup de travail à
abattre. En investissant dans des solutions pour relever les
défis ou pour évaluer et reconnaître les titres de compétences
étrangers, pour répondre aux besoins en matière de cours
de langue de niveau avancé et pour combler le manque de
renseignements détaillés sur le marché du travail, le Canada
sera davantage concurrentiel sur le marché international.
L’immigration est une composante importante de la stratégie
du Canada pour mettre en place une économie durable de
renommée internationale en investissant dans les gens. Des
politiques et des programmes qui aident les nouveaux
arrivants à contribuer pleinement au marché du travail
profitent aux immigrants et à tous les Canadiens.
Notes
1
Les emplois en gestion ou professionnels exigeant des études universitaires ou collégiales, ou une formation en apprentissage, représentent
74 % des nouveaux emplois créés au cours de la dernière décennie.
2
Enquête Point de vue du CSPC : Compétences et pénuries de compétences.
3
La dépendance du Canada à l’égard de l’immigration pour assurer la
croissance de la population active est plus grande – mais non différente –
que celle des États-Unis. Entre 1990 et 2000, 50 % de la croissance de la
population active était imputable à l’immigration. Voir Immigrant
Workers and the Great American Job Machine : The Contributions of
New Foreign Immigration to National and Regional Labour Force Growth
in the 1990s, Andrew Sum, Neeta Fogg et Paul Harrington,. Northeastern
University, Center for Labor Market Studies.
4
Tiré du Guide du CSPC sur l’immigration et les pénuries de compétences, p. 19.
5
www.cme-mec.ca/shared/upload/on/reference_piece.pdf (en anglais
seulement)
Forum étudiant de l’AEC : Les études canadiennes au 21e siècle
Au Westin Edmonton Hotel and Conference Centre, les 29 et 30 octobre 2005
Ce forum donnera aux étudiants en études canadiennes l’occasion de prendre part à des
séances portant sur divers aspects de la recherche en ce domaine, ainsi que de rencontrer
des professeurs, fonctionnaires, journalistes et autres professionnels afin de discuter avec eux
de la pertinence de la formation en études canadiennes. Aussi, les étudiants seront invités à
présenter leurs propres travaux de recherche. Des renseignements additionnels sur ce forum
étudiant et son programme préliminaire sont publiés sur le site Web www.acs-aec.ca
Les étudiants qui veulent assister au forum sont priés de communiquer avec le directeur
du programme d’études canadiennes de leur université, ou de communiquer directement
avec l’AEC au (514) 925-3097. Tous les étudiants qui souhaitent soumettre une proposition de
communication sont priés de transmettre les renseignements suivants par courriel à Carla
Peck, représentante des étudiants à l’AEC : [email protected]
1. Nom, adresse, numéro de téléphone et courriel
2. Nom de l’établissement d’enseignement
3. Un résumé de 200 mots de la communication proposée
CITC
La date limite d’inscription est le 30 juin 2005
118
LES INTERSECTIONS
DE LA DUALITÉ
La relation entre l’identité ethnoculturelle et la langue minoritaire
RÉSUMÉ
Quelle est l’importance de la langue minoritaire au Canada, et quelles mesures contribuent à son entretien ?
L’auteur explore l’intersection de l’identification linguistique et ethnique, ainsi que les questions relatives à la
politique qui sont affectées par cette relation. De nombreuses données provenant du Recensement 2001
(Statistique Canada) et d’une étude Environics sont présentées tout au long du texte.
L
JACK JEDWAB
Jack Jedwab est directeur général de l’Association d’études canadiennes.
a langue est un véhicule important pour la transmission de la culture et un moyen de communication nécessaire pour l’État et la société. En 1969, le Canada adoptait une législation qui
reconnaissait l’anglais et le français comme langues officielles du pays. L’intention principale
du Canada était de favoriser une plus grande égalité entre ses deux communautés linguistiques,
notamment en élargissant les possibilités d’offrir des services en français. Toutefois, l’instauration
des langues officielles ne signifiait pas la création de cultures officielles. En fait, c’est en 1971 que
le gouvernement fédéral a introduit une politique de multiculturalisme officiel dont le but était
d’offrir davantage d’occasions d’expression et d’identification culturelles. Cependant, plusieurs
francophones maintenaient que la politique multiculturelle risquait de mettre différentes minorités
ethniques sur le même pied d’égalité que la culture française et aurait donc pour effet d’en diminuer
l’importance, symboliquement et concrètement. Cette perception fut exacerbée par l’idée que
puisque l’anglais était dominant à l’extérieur du Québec, la culture des minorités ethniques
s’exprimerait donc à travers cette langue. Paradoxalement, les porte-parole de certains des groupes
ethniques minoritaires insistaient que l’adoption des langues officielles compromettait significativement et symboliquement leur patrimoine, cette politique laissant entendre que les autres cultures
pourraient s’épanouir sans le soutien linguistique dont joueraient l’anglais et le français. Reitz (1974)
observait alors que [traduction] « la préservation des langues ethniques est l’élément clé des
communautés ethniques elles-mêmes. L’échec de l’apprentissage de la langue ethnique mène à
l’inhabileté de participer à la communauté ethnique, ce qui explique la diminution de la participation
des deuxième et troisième générations. » Plusieurs maintiennent que l’identification ethnique peut persister sans la connaissance de la langue patrimoniale (bien que certains pourraient soutenir qu’une
telle expression ethnique est une manifestation diluée ou hautement symbolique de l’identité).
En tant que marqueurs d’identité, la connaissance et l’utilisation de la langue ont à la fois une
dimension verticale et horizontale. Fishman perçoit la langue comme étant [traduction] « une
référence pour les loyautés et les animosités, un indicateur de statut social et de relations interpersonnelles, un marqueur de situations et de sujets, ainsi qu’une arène d’interactions chargée de
valeurs et d’objectifs qui caractérisent toutes les communautés linguistiques. Bien que les langues non
officielles soient souvent une composante importante de l’identité ethnoculturelle, la connaissance des
langues officielles est jugée cruciale à l’engagement des citoyens au Canada. En effet, la connaissance
d’une langue officielle est de plus en plus considérée comme étant essentielle à l’intégration
économique et sociale. En outre, la connaissance des deux langues – le bilinguisme officiel – est
hautement valorisée par l’état fédéral et sa mise en valeur est considérée comme une
priorité nationale. Bien qu’elles ne soient pas découragées, les autres formes de bilinguisme ne sont
pas aussi valorisées que le bilinguisme officiel. La relation entre l’identité ethnoculturelle et le statut
de minorité linguistique est complexe. Il a été généralement maintenu que l’adoption de l’anglais
par la grande majorité des immigrants à l’extérieur du Québec et par un important nombre
d’immigrants à l’intérieur de la province a nui aux langues non officielles et a réduit la pertinence de
l’identification ethnique des groupes établis depuis plus longtemps. Les immigrants ont fourni un
stimulus démographique significatif pour les communautés linguistiques majoritaires ainsi que
pour les groupes linguistiques minoritaires au Québec. Comme l’anglais est la langue dominante
de la plupart des institutions de santé et scolaires à l’extérieur du Québec (avec l’exception des
organismes pour les minorités des langues officielles), les identités ethnoculturelles ont davantage
tendance à être exprimées dans la société civile et dans le domaine des arts et de la culture.
119
Tableau 1 – Quel est l’élément le plus important
de votre identité et de votre culture ?
Le Canada et l’anglais et le français parlé à la
maison (Première mention)
Tous
L’anglais parlé
à la maison
Le français parlé
à la maison
La langue
33
24
61
L’ascendance et
l’origine ethnique
25
29
14
La religion
11
12
8
L’idéologie politique /
orientation
11
12
7
Le sexe
9
11
4
Les classes sociales
7
7
5
Source : Environics Research Group pour l’Association d’études
canadiennes, sondage sur les marqueurs de l’identité, mars 2003
Un sondage fait par l’Association d’études canadiennes
et Environics demandait à 2000 Canadiens quel était
l’élément le plus important de leur identité et de leur
culture. Tel qu’observé dans le Tableau 1, un tiers des
participants ont indiqué que la langue est l’élément le
plus important de leur identité et de leur culture, tandis
que le quart des participants ont répondu qu’il s’agissait
de l’ascendance et de l’origine ethnique.
En ce qui concerne les immigrants d’origine autre
que britannique ou française, les répondants ont plus souvent identifié l’origine et l’identification ethnique en tant
que marqueurs que d’autres expressions identitaires.
Quant aux immigrants d’origine non européenne, ils sont
davantage portés à identifier la langue en tant que principal
marqueur d’identité. Cependant, les données ne fournissent
pas de réponses à la question du degré de l’importance
attribué à l’identification ethnique et linguistique.
La compréhension du processus d’adaptation
linguistique est facilitée par la disponibilité et par l’utilisation
de données sur les origines ethniques. Nous pouvons
constater dans le Tableau 2 une corrélation en 2001 entre
l’origine ethnique, la langue maternelle, l’habileté de
parler la langue non officielle correspondante et la langue
parlée le plus souvent à la maison. Ceci s’applique
tout particulièrement aux individus d’origine chinoise,
grecque, portugaise et polonaise, mais moins pour
les individus d’origine allemande, ukrainienne,
néerlandaise et italienne, qui sont établis au Canada
depuis plus longtemps. En ce qui concerne les individus
d’origine russe et arabe, ceux qui identifient l’origine ethnique
comme faisant partie des groupes d’origine ethnique mixte
sont plus portés à conserver leur langue correspondante que
les groupes établis depuis plus longtemps.
La transmission de la langue
La rétention des langues patrimoniales est le résultat
de la combinaison de la période d’établissement, de l’âge
et du mélange ethnique, ainsi que de la masse critique de
la communauté, notamment en ce qui concerne la capacité
institutionnelle et les occasions d’apprentissage et
d’utilisation de la langue non officielle. Cependant,
d’autres facteurs jouent aussi un rôle, comme l’influence
des langues dominantes sur les personnes dont la langue
maternelle n’est ni le français ni l’anglais.
Le transfert de l’utilisation de la première langue
apprise à l’utilisation d’une des langues officielles à la
maison est généralement appelé un transfert linguistique.
Le transfert linguistique varie selon les groupes en
fonction de la période d’établissement au Canada, ainsi
que de leur habileté et de leurs occasions de fonctionner
dans leur langue maternelle (ainsi que de leur capacité à
fonctionner en anglais dans le cas de ceux dont le français
est la première ou la seconde langue).
Le Tableau 3 fait état de certains groupes établis au
Canada depuis longtemps (les Grecs et les Italiens) et
d’autres qui sont arrivés au Canada récemment (les
Arabes et les Espagnols) et qui n’utilisent plus la langue
patrimoniale le plus souvent à la maison. Les individus les
Tableau 2 – Les origines ethniques (total et simple), la langue maternelle et la capacité de parler la langue
non officielle correspondante pour des groupes ciblés au Canada, 2001
Canada
Allemande
Néerlandaise (Pays-Bas)
Polonaise
Russe
Ukrainienne
Origines
ethniques
Total
Origines
ethniques
unique
Capacité de
parler la langue
non officielle
Langue
maternelle
Langue parlée le
plus fréquemment
à la maison
2 704 760
705 600
494 325
455 540
118 100
923 315
316 220
128 835
133 040
14 345
817105
260 415
230 905
215 010
118 340
336 920
70 895
144 930
96 910
65 050
1 071 075
326 195
163 260
157 585
31 540
Grecque
215 105
143 785
135 310
126 370
71 165
Italienne
1 270 370
726 275
523 270
493 990
206 415
Portugaise
Chinoise
357690
252 835
227 570
222 855
120 650
1 094 700
936 210
1 025 540
872 405
721 885
Japonaise
85 230
53 175
65 030
36 175
18 900
Espagnole1
447 825
213 475
610 575
260 785
288 455
Arabe
347 955
238 600
290 280
220 535
147 980
1
CITC
Espagnole correspond à l’origine ethnique à la fois de l’Amérique latine et de l’Espagne.
Source : Statistique Canada, Recensement 2001
120
plus portés à remplacer leur langue maternelle d’origine
par une des deux langues officielles sont ceux dont la
langue maternelle est l’italien, suivi de près par ceux dont
les langues maternelles sont le japonais ou le grec.
Cependant, cette tendance varie selon l’âge des individus
concernés. En effet, les Grecs plus âgés sont davantage
portés à utiliser une des langues officielles à la maison que
les Italiens du même groupe d’âge. Cependant, la transmission de la langue maternelle aux nouvelles générations
est plus forte chez les groupes grecs. En ce qui concerne
ceux dont la langue maternelle est le japonais, les individus plus âgés sont davantage portés à transférer la
langue d’usage que les plus jeunes. Ce phénomène serait
dû à l’augmentation récente de l’immigration japonaise
qui vient transformer la transmission linguistique du segment du groupe plus enraciné. Dans ce cas, l’importance
de la transmission se basant sur le degré d’attachement
ethnique pourrait y jouer un rôle. Dans le cas des groupes
espagnols et arabes, le niveau de transfert linguistique
semble ne pas être influencé par l’âge, comme le sont les
groupes d’origine européenne.
Quant à la jeune population du Québec, elle est
moins portée que celle de l’Ontario et de la ColombieBritannique à remplacer une langue autre que le français
et l’anglais, bien qu’en ce qui concerne la langue arabe, les
trois langues sont également préservées en tant que langue
parlée à la maison.
Tableau 5 – Pourcentage de personnes ayant fait le
transfert de langue maternelle toujours comprise à
une des langues officielles comme langue la plus
parlée à la maison, par province, âge 0-24, 2001
Italien
Grec
Espagnol
Arabe
58,2
43,6
36,9
37,8
51,7
0-24
74,7
51,5
36,4
36,7
42,9
52,0
55,3
38,6
39,3
51,2
55 et plus
30,4
22,6
31,3
35,7
59,3
Espagnol
Arabe
43,0
27,2
35,6
Japonais
45,2
Ontario
78,0
59,4
38,9
35,6
36,8
ColombieBritannique
77,9
62,7
42,0
38,7
42,6
Des données récentes provenant de l’enquête sur la
diversité ethnique de Statistique Canada confirment que
l’identification ethnique est valorisée par la plupart des
groupes sauf ceux qui sont établis au Canada depuis
longtemps (les communautés ukrainiennes, allemandes et
néerlandaises). Le mélange ethnique ou l’exogamie mène
potentiellement à l’érosion de la connaissance de la langue
non officielle. Cependant, dans le cas des personnes
d’origines multiples grecques et italiennes, la perte des
langues patrimoniales est moins considérable au Québec
et en Ontario (Jedwab, 2000). Il serait utile de comprendre
pourquoi certains choisissent de préserver la langue
patrimoniale dans des situations exogames.
Japonais
25-54
Grec
70,9
Source : Statistique Canada, Recensement 2001
Tableau 3 – Pourcentage de personnes ayant fait le
transfert de langue maternelle toujours comprise à
une des langues officielles comme langue la plus
parlée à la maison, par groupe d’âge, 2001
Total
Italien
Québec
Source : Statistique Canada, Recensement 2001
Les immigrants, les groupes ethnoculturels et les
minorités de langues officielles
Au Québec, les groupes qui ont tendance à afficher
les taux les plus bas de transfert linguistique sont
ceux dont la langue maternelle est l’italien, le grec et
l’espagnol. La Colombie-Britannique dispose du plus
haut taux de transfert de ce type. Cela s’explique du fait
de la présence de l’anglais ainsi que du français au
Québec, ce qui n’exerce pas une influence aussi forte sur
l’utilisation d’une langue officielle. Cela n’explique pas,
cependant, l’écart entre l’Ontario et la ColombieBritannique et ni pourquoi c’est en Ontario que l’on
retrouve le plus haut taux d’utilisation de la langue
maternelle correspondante parmi les groupes arabes
et japonais.
À travers l’histoire, la migration des populations
a façonné la communauté anglophone du Québec et
a joué un rôle fondamental dans la formation de l’identité.
C’est ainsi que la population anglophone est caractérisée
par un degré significatif de diversité ethnoculturelle et
ethnoraciale. Toutefois, il y a un débat à savoir si de
tels individus peuvent être considérés comme étant
anglophones, en raison des différents critères employés
par les autorités fédérales et provinciales dans leur
définition respective de l’« anglophone québécois ». Le
Conseil du Trésor fédéral a tendance à utiliser la première
catégorie de langue officielle pour estimer les exigences
des institutions anglophones vis-à-vis la population
qui a recours à ses services. Cette définition inclusive
fait en sorte que les autorités fédérales créditent la
population anglophone de 300 000 individus de plus que
le font les autorités provinciales qui utilisent la langue
maternelle comme critère. En 2001, selon le gouvernement fédéral, la population anglophone du Québec
était constituée de 600 000 personnes, tandis que selon
la définition provinciale, il y en avait plus de 900 000.
La différence vient surtout des cas de personnes pour
qui l’anglais est la principale langue officielle sans être
leur première langue apprise et comprise. Les autorités
québécoises sont plus portées à considérer plusieurs de
Tableau 4 – Pourcentage de personnes ayant fait le
transfert de langue maternelle toujours comprise à
une des langues officielles comme langue la plus
parlée à la maison, par province, 2001
Italien
Grec
Espagnol
Arabe
Québec
53,6
32,4
27,2
39,1
Japonais
45,3
Ontario
58,6
48,4
38,9
33,2
37,0
ColombieBritannique
69,5
55,2
42,0
47,2
42,6
Source : Statistique Canada, Recensement 2001
121
mais pour qui le français est la première langue officielle
parlée. Ces termes sont mieux décrits comme étant des
catégories hybrides qui émergent de l’intersection de
l’ethnicité ou de l’identification raciale et de la langue.
C’est ainsi que les individus qui se définissent comme
étant ethnoraciaux ou ethnoculturels expriment par cette
définition un attachement à des marqueurs d’identité
culturelle multiples.
Le système de classification fondé sur la connaissance
et l’utilisation de la langue permet de déterminer le
nombre d’individus appartenant aux communautés de
langues officielles sur un territoire donné. Ceux qui
remettent en question l’utilisation de la langue maternelle
dans le cadre de cette évaluation préfèrent les résultats
obtenus en vertu de la première langue officielle parlée
(PLOP), une variable multiple introduite par Statistique
Canada en 1991. Avant l’introduction de ces résultats, la
langue maternelle, et parfois la langue parlée à la maison,
servaient de baromètres permettant d’estimer le nombre
de francophones. Quand la PLOP est utilisée, la proportion des immigrants parlant le français augmente dans la
communauté francophone. En se basant sur la principale
langue officielle parlée en 1996 et 2000, quelques
45 000 immigrants francophones étaient établis au
Canada en dehors du Québec, ce qui est une différence de
4 000 d’individus avec le nombre calculé en utilisant la
langue maternelle comme variable.
Comme nous pouvons l’observer dans le Tableau 7,
quand la PLOP est utilisée, la province de l’Ontario en
2001 disposait de 5 000 immigrants francophones de plus
que lorsque la variable de la langue maternelle est utilisée.
Il y a aussi 4 000 moins de francophones au total lorsque
la PLOP est utilisée.
ces immigrants et leurs descendants comme étant allophones et comme étant donc éligibles pour la désignation
provinciale d’anglophone.
Selon la déclaration d’origine ethnique simple, 37 %
des répondants dont la principale langue officielle parlée
est l’anglais sont de descendance canadienne, britannique,
française ou autochtone. Un autre 37 % des répondants
déclarent être de descendance autre que canadienne,
britannique ou française, alors qu’environ un quart
rapporte être de descendance non européenne. La composition ethnique de la population anglophone diffère si
l’on compare la région de Montréal au reste du Québec.
La portion de la population déclarant une origine
ethnique canadienne, britannique, française ou autochtone représente, à Montréal, à peine plus d’un quart.
En dehors de la région de Montréal, environ 84 % de la
population anglophone est de descendance canadienne,
britannique, française ou autochtone.
Bien que le débat émotif sur les questions linguistiques ne tire pas une réaction qu’à ceux identifiant
l’anglais comme langue maternelle, il est évident que la
langue anglaise ne renforce pas les cultures ethniques (le
taux de personnes de descendance britannique est en
déclin au Québec). L’identification à la langue anglaise est
devenue importante, et s’avère un élément fondamental
des groupes divers que sont les anglophones ; de fait, la
langue anglaise est essentielle à la promotion de l’expression de l’ethnicité non britannique. Cette situation
tranche avec celle des francophones hors Québec, où le
pourcentage de personnes n’ayant pas de descendance
canadienne-française est relativement bas et où le lien
entre langue et ethnicité demeure assez important malgré
le faible lien à l’identité ethnique.
La diversité ethnoculturelle fait l’objet d’une attention
particulière dans les communautés francophones hors
Québec. La grande majorité des immigrants qui s’établissent
à l’extérieur du Québec adoptent l’anglais comme langue
principale. Jusqu’à tout récemment, l’attraction des
immigrants provenant des régions francophones hors
Québec n’était pas une priorité. En 2000, 4,6 % de tous les
immigrants s’établissant à l’extérieur du Québec connaissaient uniquement le français à leur arrivée au Canada, et
un autre 4,3 % connaissaient l’anglais et le français. En
2004, ces deux pourcentages étaient de 4,5 % pour la
connaissance du français seulement (1 359 individus) et
de 7,3 % pour la connaissance du français et de l’anglais
(5 762 individus). Une certaine inquiétude était causée par
le fait que si de tels immigrants s’établissaient dans le reste
du Canada, eux aussi choisiraient l’anglais comme langue
principale. C’est à la lumière de cette vulnérabilité des
communautés francophones hors Québec que les
autorités se sont intéressées davantage sur les moyens
d’augmenter le nombre d’immigrants parlant le français.
Bien que l’immigration n’est pas vue comme étant le seul
remède aux défis démographiques avec lesquels les
francophones hors Québec sont aux prises, elle pourrait
néanmoins grandement contribuer à renouveler la vitalité
des communautés linguistiques minoritaires.
Les termes ethnoculturel et ethnoracial sont de plus
en plus utilisés pour décrire les personnes hors Québec
qui ne sont pas de descendance canadienne-française,
Tableau 6
Ontario
Langue
maternelle
Première langue
officielle parlée
Total
493 630
489 910
Non immigrant
462 010
452 775
Né dans la province
319 490
312 745
Né ailleurs au Canada
142 520
140 020
29 800
34 725
Immigrant
Caraïbes et Bermudes
2 370
3 340
Europe
13 285
14 135
Afrique
8 790
10 900
Asie
3 435
4 205
Immigrants arrivés
entre 1990 et 2000
9 705
13 060
Source : Statistique Canada, Recensement 2001
CITC
Bien que le véritable nombre d’immigrants francophones constitue moins de 4 % de la population de langue
maternelle francophone hors Québec, les immigrants
francophones sont fortement concentrés dans les centres
urbains. Par exemple, à Toronto, les immigrants francophones comptent pour près d’une personne sur quatre de
celles qui ont comme langue maternelle le français, tandis
qu’à Vancouver environ un francophone sur cinq est né à
l’extérieur du pays. À Toronto, en prenant compte de la
122
Tableau 7 – Certaines origines ethniques autres que canadiennes, britanniques, françaises et autochtones
pour des groupes ciblés à l’extérieur du Québec, 2001
Le reste du Canada
Allemandes
Français
PLOP
Langue à la maison
Connaissance du français
et de l’anglais
24 650
765
990
665
Italiennes
1 720
2 620
1 190
44 360
Chinoises
1 375
2 050
770
31 675
Ukrainiennes
325
365
220
4 110
Néerlandaises
295
380
255
15 340
Polonaises
495
830
300
15 225
Indiennes de l’Est
890
1 260
555
29 395
Portugaises
Juives
435
1 055
475
13 445
1 490
1 685
440
19 010
Source : Statistique Canada, Recensement 2001
Puisque les francophones ethnoculturels et ethnoraciaux ont des marqueurs d’identité doubles ou
multiples, la notion de leurs communautés et d’appartenance
évolue. Parmi les minorités de langues officielles, les
attachements ethniques ont traditionnellement été liés à
la langue. Avec la présence de francophones d’origines
ethniques variées, la communauté devient de plus en
plus diverse et, par ricochet, la relation entre l’ethnicité
et la langue évolue aussi. Idéalement, la formation de
l’identité se croise plutôt que de naître de la concurrence
entre identité ethnique et identité linguistique. Il est
nécessaire d’examiner le processus d’adaptation des
francophones ethnoculturels et de leurs enfants pour
mieux comprendre la nature, la pertinence et l’interrelation de leur identification ethnique et linguistique. Peu
importe que l’on préfère, pour définir les franco-phones,
les critères démographiques ou les critères fondés sur l’identité, la présence accrue des francophones ethnoculturels peut avoir des incidences de taille sur les
politiques publiques, tant pour les langues officielles
et que pour le multiculturalisme. L’intersection de
l’identification linguistique et de l’identification ethnique
mène à une intersection des politiques dans les domaines
de l’immigration, de l’établissement, du multiculturalisme
et des langues officielles.
langue maternelle et de la PLOP, la population
francophone est d’environ 33 000. Cependant, les francophones PLOP à Toronto représentent approximativement
10 900 personnes (32,7 %), tandis que les immigrants de
langue maternelle francophone représentent environ 9 400
personnes qui sont nés à l’étranger (28,6 %).
De plus, les nombres augmentent quand les
déclarations multiples sont incluses. En effet, l’estimation
du nombre de francophones est encore plus liée à la
manière selon laquelle de telles déclarations sont réparties,
c’est-à-dire la distribution de personnes qui identifient
et le français et l’anglais comme première langue officielle
parlée. Les analystes ont tendance à allouer la moitié de
ces déclarations à la population anglophone et l’autre
moitié aux communautés francophones. Il y a une
différence considérable entre le nombre d’immigrants qui
déclarent l’anglais et le français comme étant tous deux
leur langue maternelle et ceux pour qui la langue officielle
parlée est à la fois l’anglais et le français. En se basant
sur la répartition égale de ces doubles déclarations, il y
aurait 27 000 immigrants supplémentaires hors Québec
dont la première langue parlée est le français. Lorsque
la langue maternelle est le critère utilisé, un peu plus de
2 000 immigrants francophones viendraient s’ajouter à ce
segment de la population.
123
LE DÉFI DE LA RÉGIONALISATION
EN MATIÈRE D’IMMIGRATION
L’immigration francophone au Nouveau-Brunswick
RÉSUMÉ
Depuis quelques années, l’immigration francophone à l’extérieur de la province du Québec devient une
réalité de la régionalisation de l’immigration francophone au Canada. Ce texte examine les initiatives de la
communauté acadienne du Nouveau-Brunswick et ses efforts en vue d’élaborer une stratégie qui attirera
les immigrants dans les régions francophones du Nouveau-Brunswick. En conclusion, quelques éléments
de réflexion sont proposés afin de mettre en place une politique durable en matière de régionalisation
de l’immigration.
A
CITC
CHEDLY BELKHODJA
Chedly Belkhodja est professeur agrégé au Département de science politique
de l’Université de Moncton. Détenteur de diplômes de l’Université MontesquieuBordeaux IV et de l’Université de Montréal, il s’intéresse dans ses travaux de
recherche au phénomène du populisme et du déficit démocratique
dans les sociétés occidentales et des nouvelles modalités du politique.
u Canada, l’immigration demeure un phénomène fortement lié à la réalité urbaine du pays.
De nombreuses études indiquent que la grande majorité des nouveaux arrivants se dirigent
vers les grands centres urbains, soit Toronto, Vancouver et Montréal. En 2003, environ 75 %
des nouveaux arrivants s’installent dans les trois métropoles : Toronto (97 476/44,0 %), Vancouver
(30 766/13,9 %) et Montréal (33 732/15,2 %). Certains observateurs soulignent même le fossé grandissant entre les grandes villes et les régions rurales : en 2017, la ville de Toronto dépassera le
7 millions d’habitants avec plus de 50 % de la sa population constituée par l’immigration. Poser la
question de la régionalisation de l’immigration au Canada revient donc à relever un défi à plusieurs
niveaux, soit démographique, économique et de cohésion sociale.
D’un point de vue théorique, il nous semble que la régionalisation de l’immigration s’inscrit
dorénavant dans une perspective de reconfiguration des paramètres traditionnels du rôle de
l’État-nation dans le contexte de l’après-guerre froide. D’une part, depuis les années 1990, les grands
bouleversements provoqués par la mondialisation ont mis l’accent sur l’ouverture et la mobilité
croissante des individus, des biens et des idées, comme les flux migratoires en forte augmentation
(Castles et Miller, 2003). La mondialisation a également cet effet de provoquer un déplacement de la
légitimité de l’acteur étatique vers de nouveaux acteurs en mesure de s’engager plus librement sur
des enjeux comme l’immigration. D’autre part, l’évolution du système fédéral canadien vers une plus
grande décentralisation facilite la participation de nouveaux acteurs comme les provinces et les
villes, plus actives sur le plan des relations extérieures dans des domaines de compétence précis
(Belkhodja, 2000).
Les provinces canadiennes sont donc de plus en plus concernées par l’immigration et l’adaptation
à la diversité culturelle et ethnique. Au-delà des accords signés entre le gouvernement fédéral et les
provinces, l’accord le plus complet étant celui signé avec le Québec en 1991, les provinces prennent de
plus en plus des initiatives afin de définir une politique générale en matière d’immigration1. Dans ce
contexte, les provinces atlantiques cherchent à se positionner sur un terrain extrêmement
compétitif et sont confrontées à des enjeux régionaux bien particuliers. Le premier est que la région
attire un très faible pourcentage de la part annuelle de résidents permanents admis au Canada. Selon le
rapport annuel au Parlement sur l’immigration 2003, les quatre provinces atlantiques ont reçu
2 655 nouveaux arrivants, soit 1,2 % sur un total de 221 352 immigrants en 2003 (Citoyenneté et
Immigration, 2004). Plus spécifiquement, en 2003, la Nouvelle-Écosse est la province qui attire le plus
de nouveaux arrivants, soit 1 476, qui s’installent essentiellement dans la région de Halifax (80 %). Pour
sa part, le Nouveau-Brunswick a accueilli 667 immigrants alors que 359 nouveaux arrivants se sont
installés à Terre-Neuve-et-Labrador. Les taux de rétention sont également très faibles, surtout en
Nouvelle-Écosse (40 %) et au Nouveau-Brunswick (62 %). Le deuxième est lié aux questions démographiques, soit le taux de natalité faible, le vieillissement de la population et l’exode des populations
jeunes vers les grands centres urbains du pays. Le troisième défi reste cette représentation bien ancrée
d’une culture régionale traditionnelle et conservatrice toujours en retard sur le reste du pays en raison
d’une économie moins performante et d’un taux de chômage plus élevé. Ce tableau n’incite pas la venue
des immigrants à la recherche d’un emploi satisfaisant et permanent et d’une qualité de vie.
Cependant, il nous semble important de prendre en considération deux nouvelles dynamiques.
D’une part, la diversité croissante de la population canadienne est un fait de plus en plus évident et
124
les principales agences gouvernementales fédérales
(Citoyenneté et Immigration Canada, Patrimoine canadien),
qui encouragent une diversité culturelle à l’échelle
nationale, une dynamique économique et sociale dans les
petits milieux et une diminution de la forte pression
démographique qui existe dans les grands centres urbains
(Krahn, Derwing et Abu-Laban, 2003). Depuis 1999, une
légère tendance à l’augmentation du nombre d’immigrants francophones s’établissant à l’extérieur du Québec
se dessine plus clairement (Tableau 1).
En mars 2002, Citoyenneté et Immigration Canada a
mis sur pied un comité chargé d’examiner la situation
de l’immigration francophone dans les communautés
francophones en situation minoritaire. Rapidement, le
comité a présenté un cadre stratégique avec un message clair :
« Les communautés francophones et acadiennes doivent
s’approprier le dossier de l’immigration francophone et
reconnaître son importance pour leur rayonnement »
(Citoyenneté et Immigration Canada, Cadre stratégique
pour favoriser l’immigration au sein des communautés
francophones en situation minoritaire, Gouvernement du
Canada, novembre 2003, p. 4). Plusieurs objectifs ont
été mis de l’avant : améliorer les capacités d’accueil
des communautés francophones, assurer l’intégration
économique des immigrants, assurer l’intégration sociale
et culturelle des immigrants et, enfin, favoriser la régionalisation de l’immigration francophone à l’extérieur de
Toronto et Vancouver.
Au Nouveau-Brunswick, le porte-parole de la
communauté acadienne, la Société des acadiens et des
acadiennes du Nouveau-Brunswick (SAANB), a entamé
un processus de réflexion autour de l’immigration, plus
particulièrement sur la question de l’accueil et de l’intégration des nouveaux arrivants francophones. Cette
stratégie s’inscrit dans un contexte national et provincial,
les communautés francophones vivant à l’extérieur
du Québec ont enclenché un vaste travail autour de
tend à devenir le fondement discursif d’une nouvelle
identité pan-canadienne. Dans une étude du Centre de
recherche et d’information sur le Canada (CRIC), Andrew
Parkin et Matthew Mendelsohn soulignent que les
attitudes à la diversité sont acceptées et que l’écart entre
les grandes villes et les régions est peu significatif. Les
provinces atlantiques peuvent autant profiter de la diversité que les régions métropolitaines et doivent éviter d’être
réduites à devenir une région blanche homogène et
étrangère à la nouvelle réalité culturelle et ethnique du
pays2. D’autre part, depuis quelques années, l’est du pays
connaît un taux de croissance soutenu ainsi qu’une
diversification de son économie vers des secteurs de
pointe, permettant de cibler une main-d’œuvre qualifiée
venant de différents pays. Des agglomérations comme
Moncton, Halifax et St. John’s (T.-N.-L.) profitent de la
nouvelle économie et commencent à développer leur
capacité d’accueil. Devant un début de diversité, les
politiques publiques sont amenées à s’adapter et à élaborer des stratégies innovatrices et capables de rassembler
l’ensemble des acteurs locaux, publics et privés, qui
participent au développement économique et social.
L’immigration francophone au Nouveau-Brunswick
L’immigration francophone hors Québec demeure
pour l’instant un phénomène relativement limité :
seulement 3,1 % des immigrants à l’extérieur du Québec
étaient d’expression française (Citoyenneté et Immigration, 2003). Cependant, il faut noter une dynamique
nouvelle qui s’inscrit dans un effort de régionalisation des
flux migratoires au Canada. Le Québec a relancé en 2001
son cadre en matière de régionalisation, avec un plan
triennal visant à faire passer le taux d’immigrants hors
Montréal à 25 % et à tripler le nombre des nouveaux
arrivants en Estrie (MRCI, 2002). Les autres provinces
canadiennes inscrivent leurs actions dans une dynamique de régionalisation de l’immigration proposée par
Tableau 1 – Immigrants francophones s’établissant ailleurs qu’au Québec
10 000
Total des immigrants au Canada
9 000
1999 : 161 000
2000 : 195 000
8 000
2001 : 214 000
7 000
6 000
6 756
(3,1 %)
5 000
5 570
(2,0 %)
4 000
Nombre total des nouveaux
arrivants francophones à
l’extérieur du Québec
Établissement durable
anticipé (50%)
3 000
2 000
1 000
3 220
(2,0 %)
1 610
(1,0 %)
3 361
(1,6 %)
2 785
(1,5 %)
Source: Commissariat aux langues
officielles (L’immigration et les langues
officielles), 2002.
0
1999
161 000
*Comprend les immigrants
connaissant les deux langues
officielles
2000
195 000
2001
214 000
125
CITC
sur deux principales préoccupations de la communauté
l’immigration et plus particulièrement sur l’enjeu de la
acadienne du Nouveau-Brunswick. D’une part, la dimension
diversité culturelle. Entre 1999 et 2001, la Fédération des
démographique domine largement le discours. En raison
communautés francophones et acadiennes (FCFA) du
du faible taux de natalité des Acadiens du N.-B., du fort
Canada, organisme regroupant les associations francophones
taux d’assimilation, de l’exode des jeunes francophones
provinciales, a mené une réflexion sur l’avenir des
vers d’autres régions et de la faible capacité de rétention
communautés francophones en situation minoritaire. Des
des immigrants francophones, l’immigration est souvent
initiatives tels Dialogue et Vive la différence ont souligné
présentée comme une solution au redressement démol’enjeu de l’immigration et de la diversité culturelle. Dans
graphique de la population francophone. Les données du
son rapport final, le groupe Dialogue propose l’élaborarecensement de 2001 sont en effet inquiétantes : la popution d’un plan d’action dans le dossier de l’immigration
lation du Nouveau-Brunswick ne cesse de diminuer
(FCFA, Parlons-nous ! Rapport du groupe de travail
(-1,2 %) tandis que la population nationale augmente
Dialogue, 2001). Vive la différence est présentée comme
(+4 %). D’autre part, la dimension économique du
la suite logique du processus d’adaptation des commudiscours limite l’apport de l’immigration à la question de
nautés francophones et acadiennes à la diversité ethnique
combler des manques de ressources dans des secteurs bien
et culturelle. Lors d’une rencontre à Ottawa, les 20 et
précis de l’activité économique. L’apport de l’immigration
21 novembre 2003, nous avons pu constater les différentes
se réduit trop souvent à l’enjeu de l’emploi.
perceptions des communautés francophones à l’endroit
de l’immigration et de la diversité. Certains organismes
francophones de l’Ouest, notamment le Manitoba et la
Conclusion
Colombie-Britannique, adoptent plus facilement le
Au début du 21e siècle, la régionalisation de
discours de la diversité, reconnaissant au sein de leur
l’immigration au Canada s’inscrit dans un contexte global
communauté l’apport des nouveaux arrivants. En
caractérisé par la logique des flux migratoires de
revanche, les associations acadiennes de Nouvelle-Écosse
plus en plus mobiles et diversifiés. L’immigration devient
et de l’Île-du-Prince-Edouard restent un
également un facteur important de la
peu méfiantes devant le principe d’une
croissance économique et démograSelon le rapport
nouvelle identité francophone plurielle.
phique. C’est dans cette perspective que
annuel au Parlement
Il est important de noter que ces
certaines régions du Canada souhaitent
associations inscrivent leurs reven- sur l’immigration 2003, bénéficier davantage de l’immigration et
dications dans le discours de la dualité,
mettent sur pied des politiques d’accueil
les quatre provinces
qui leur a permis de consolider les
et d’intégration. Nos recherches sur
communautés francophones minoril’immigration francophone au Nouveauatlantiques ont reçu
taires depuis les années 1960.
Brunswick nous amènent à relever trois
2 655 nouveaux
Au Nouveau-Brunswick, la SAANB
éléments devant guider une politique en
vise un dialogue entre la société
matière de régionalisation d’immigration.
arrivants, soit
d’accueil et les nouveaux arrivants.
Premièrement, un travail impor1,2 % sur un total de
Dans un document intitulé : Plan de
tant doit se faire au niveau de certaines
développement global de l’Acadie du
représentations de l’identité (Gallant
221 352 immigrants
Nouveau-Brunswick, l’intégration des
et Belkhodja, 2005). L’enjeu de l’immien 2003 (CIC, 2004).
nouveaux arrivants se présente tel un
gration francophone permet de voir une
défi important pour la communauté
nouvelle dynamique dans la construcacadienne confrontée à une constante assimilation de sa
tion identitaire des communautés francophones du
population et à un exode important des jeunes francoCanada. La plupart des acteurs élaborent des stratégies en
phones vers les centres urbains. Par conséquent, la SAANB
matière d’immigration et se confrontent dorénavant au
souhaite développer une stratégie en matière d’immigradifficile arrimage entre la dualité linguistique et la divertion afin de « favoriser l’intégration des nouveaux arrivants
sité culturelle. Dans le contexte bien différent des réalités
et nouvelles arrivantes à la langue française et à la culture
francophones du pays, le discours de la diversité culturelle
acadienne à la vie communautaire et associative de
est reçu différemment : il semble être mieux adopté par les
l’Acadie du Nouveau-Brunswick ». Elle souhaite également
communautés francophones minoritaires habituées à
« favoriser l’intégration des nouveaux arrivants et noupartager un espace identitaire pluriel, notamment dans
velles arrivantes à la vie communautaire et associative de
l’Ouest canadien. En revanche, les communautés
l’Acadie du N.-B. » (Plan de développement global de
francophones bien ancrées dans le schéma de la dualité et
l’Acadie du Nouveau-Brunswick, 2000). En créant une
du biculturalisme craignent le discours de la diversité,
Table de concertation provinciale sur l’immigration, la
exprimant la crainte de la dilution dans un plus grand
SAANB a enclenché un processus de rapprochement
ensemble, la peur de perdre quelque chose. Il est imporentre les divers intervenants de la société acadienne et les
tant de bien comprendre le parcours de la minorité
associations des communautés culturelles. La table est
francophone qui a longtemps lutté pour la reconnaissance
formée des volets gouvernemental, communautaire et
de droits linguistiques, négligés par la majorité anglouniversitaire. Dans ce contexte, une première étude a précisé
phone. Depuis les années 1960, en misant sur la dualité
les principaux enjeux de l’immigration francophone au
linguistique canadienne, les minorité francophones ont
Nouveau-Brunswick (Baccouche et Okana, 2002). L’étude
ainsi consolidé leurs communautés. Un lieu de vie francosouligne que le discours sur l’immigration tend à se fixer
phone s’est constitué par des gains importants dans
126
plusieurs secteurs, soit les droits linguistiques, l’accès à
l’emploi et l’enseignement en français. Par conséquent, le
discours de la diversité canadienne provoque certains
remous car il annonce un réajustement de l’ensemble des
communautés francophones minoritaires.
Deuxièmement, il est important de sensibiliser et de
préparer les sociétés d’accueil à l’immigration. On ne peut
pas seulement se limiter au travail de recrutement et de
promotion sans penser à l’autre versant, qui est d’encourager
l’ouverture des communautés acadiennes et francophones
à la diversité. Même si les chiffres restent faibles, il est
intéressant de considérer l’apport de l’immigration en
tant que nouvelle dynamique émergente, notamment dans
les agglomérations urbaines3. L’immigration en région
permet alors de dévoiler de nouvelles stratégies en matière
d’intégration assez différentes des réalités métropolitaines.
Dans des milieux trop souvent limités à l’image de
l’homogénéité communautaire, l’immigration peut servir
à la construction d’un espace public en mesure de favoriser
les échanges entre cultures locales et immigrantes.
Enfin, il ne faut pas faire de l’immigration une affaire
strictement utilitariste laissée entre les mains d’entrepreneurs de l’immigration, faisant la promotion d’une
logique sélective qui dépasse le seul critère économique. Il
faut être prudent devant certains glissements, en ce qui a
trait à une quelconque politique de sélection des « bons
immigrants », visant à recréer le même type de milieu
communautaire homogène et peu diversifié. Ce type de
ciblage des immigrants n’encourage pas nécessairement la
diversité culturelle, d’où l’importance des gouvernements
à être impliqués dans un processus devant considérer les
questions de l’éthique et de la citoyenneté au cœur de
toute politique d’immigration durable.
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Immigration, Série de Conversations Metropolis 9, 2003.
DENTON, T. « Canada’s Regionalization Challenge », communication présentée
à la neuvième conférence internationale du centre Metropolis, Genève,
30 septembre 2004, (www.metropolis2004.ch/en/workshop_g.shtml).
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ACADIENNE DU CANADA (FCFA). Évaluation de la capacité des
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KRAHN, H., T. DERWING ET B. ABU-LABAN. The Retention of
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no WP01-03, Prairie Centre of Excellence Metropolis, 2003.
Notes
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BELKHODJA, C. « Entre la discorde et l’indifférence : Le Québec, le
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Tucker, Raymond Blake et Penny Bryden (éds.), Canada and the New
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BELKHODJA, C., et N. GALLANT. « D’un déficit de diversité… à la
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2003.
CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION CANADA. Cadre stratégique pour
favoriser l’immigration au sein des communautés francophones en
situation minoritaire, Gouvernement du Canada, 2003.
CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION CANADA. Faits et chiffres 2003,
Aperçu de l’immigration, Gouvernement du Canada, 2004.
127
1
Nous pouvons noter plusieurs initiatives importantes, soit une
conférence provinciale sur l’immigration au Nouveau-Brunswick
en juin 2004, la création d’une politique provinciale en matière d’immigration en Nouvelle-Écosse. Les gouvernements de ces deux provinces
font référence au succès de la politique du Manitoba, bien équilibrée
entre la sélection d’immigrants économiques et une pratique unique de
parrainage de réfugiés. D’ici 2010, cette province entend doubler le
nombre d’arrivants, de 5 000 à 10 000 (Denton, 2004).
2
Certains articles publiés dans les grands journaux du pays insistent souvent sur cette dichotomie entre un Nouveau Canada et un Vieux Canada
et une représentation communautaire et folklorique de la culture
régionaliste de l’Atlantique. Un article en particulier, publié le 20 août
2004 dans le Globe and Mail par le journaliste John Ibbitson, intitulé
« Why Atlantic Canada Remains White and Poor », a mis le feu
aux poudres dans la région et suscité beaucoup de réactions autour de
l’immigration.
3
Il faut également considérer des expériences d’intégration en milieu
rural comme à Florenceville et Saint-Léonard au Nouveau-Brunswick et
dans la région de Truro en Nouvelle-Écosse.
TABLEAU DE L’IMMIGRATION
PROPRE À L’OUEST CANADIEN
RÉSUMÉ
L’Ouest canadien, en raison du vieillissement de la main-d’œuvre et de la baisse du taux de natalité, mais
aussi en raison d’une conjoncture qui lui est particulière, doit trouver des façons d’attirer des immigrants. Dans
le cadre de l’initiative « Building the New West » de la Canada West Foundation, un certain nombre de
tendances ont été dégagées en ce qui a trait l’immigration vers l’Ouest canadien : les répercussions négatives
de la couverture médiatique des crimes et tensions raciales à Toronto, Vancouver et Montréal ; les problèmes
générés par la proximité culturelle ; le déclin de l’immigration durant les deux dernières décennies ; la
croissance de l’activité des immigrants sur le marché du travail ; l’augmentation du nombre de réfugiés ; et la
non-reconnaissance de l’expérience et des titres de compétences étrangers, exacerbée chez les immigrants
d’origine asiatique.
L
Consultations sur l’immigration
Pour leur part, les intervenants œuvrant dans des domaines liés à l’immigration dans l’Ouest
canadien comprennent le genre de changements qui sont nécessaires pour assurer à la région de
meilleurs résultats en matière d’immigration. Lorsqu’on a réuni ces personnes dans le cadre de
l’initiative « Building the New West » de la Canada West Foundation afin de discuter des préoccupations en matière d’immigration pour les provinces, un certain nombre de thèmes ont
été dégagés.
Bien que les niveaux d’immigration varient selon que l’on examine les grandes villes, les petites
villes ou les régions rurales, les priorités fondamentales en matière d’immigration pour la région
dans son ensemble s’avèrent sensiblement similaires. Les participants à nos consultations ont
constaté la nécessité d’assurer les choses suivantes : une augmentation de la quantité et de
l’exactitude des informations sur l’Ouest qui sont transmises aux immigrants éventuels et sur les
possibilités qu’on y trouve ; des critères de sélection des immigrants plus efficaces et plus flexibles ;
un investissement visant à renforcer les ressources de l’Ouest en matière d’établissement et d’intégration ; de plus grands efforts pour inciter les habitants de l’Ouest à être davantage accueillants
à l’égard des immigrants ; et de meilleures possibilités de transition en milieu de travail et
d’acquisition de compétences pour les immigrants de l’Ouest canadien.
Les améliorations que l’on pourrait assurer dans ces domaines permettraient d’obtenir de
meilleurs résultats pour les immigrants qui vivent déjà dans l’Ouest, et augmenteraient l’attrait de la
région pour les nouveaux immigrants.
Au delà des points communs constatés, on a pu évidemment aborder des problèmes hautement
prioritaires se rapportant aux vastes écarts en matière de niveaux d’immigration entre les différentes
CITC
JASON AZMIER
Jason Azmier est analyste principal en matière de politiques à la Canada
West Foundation, à laquelle il s’est joint en 1995.
e vieillissement de la main-d’œuvre et la baisse du taux de natalité constituent des défis dont
on discute beaucoup à l’échelle internationale. Pour une majorité de gens qui habitent l’Ouest
canadien, cette préoccupation est particulièrement vive étant donné les faibles taux de
croissance démographique, la diminution du nombre de nouveaux immigrants, ainsi qu’un
accroissement de la proportion des jeunes Autochtones au sein de la population régionale, dont les
taux de participation à la population active sont faibles.
Bien que l’immigration soit prometteuse pour l’Ouest, d’importants obstacles empêchent
qu’on bénéficie au maximum de ses effets positifs. Il est nécessaire d’améliorer les approches en
matière d’immigration au sein des divers paliers de gouvernement, ainsi que les attitudes des
employeurs et du public de l’Ouest à l’égard des immigrants. Si l’Ouest veut attirer davantage
d’immigrants, les employeurs doivent être davantage enclins à recruter des immigrants, les
associations professionnelles doivent réévaluer le bien fondé de leurs normes, et le public doit être
sensibilisé au rôle important que peuvent jouer les immigrants dans le succès économique de la
région. Si l’on veut être réaliste, on doit admettre qu’il faudra peut-être plusieurs années pour
modifier ces attitudes et régler ces problèmes, mais s’attacher à améliorer les politiques et les
règlements en vigueur aujourd’hui peut jouer un rôle de catalyseur dans ce processus.
128
pour les participants, étant donné que les migrants
villes de l’Ouest canadien. Les participants venant de
secondaires ne peuvent obtenir de fonds pour l’établisVancouver, de Winnipeg et de Calgary – des villes
sement. Le faible salaire minimum en vigueur en Alberta
comptant des taux proportionnellement plus élevés
a également été mentionné comme un problème auxquels
d’immigration – ont identifié comme hautement
font face les immigrants de Calgary. Un grand nombre
prioritaires les questions liées à l’établissement et au
d’immigrants occupent les emplois les moins bien
financement. Les participants venant d’Edmonton et de
rémunérés de la collectivité, et ils peuvent éprouver des
Saskatoon – des villes relativement peu attirantes pour les
difficultés à répondre à leurs besoins fondamentaux
immigrants – ont mentionné la nécessité de créer une
dans une ville où le coût de la vie est de plus en plus
atmosphère accueillante et de faire de l’immigration une
élevé. Comme problème également propre à l’Alberta,
priorité au sein de leurs collectivités respectives.
les participants ont mentionné que l’immigration souffre
À Winnipeg, le succès associé à l’augmentation
de perceptions négatives de la part du public et des
rapide de l’immigration au cours des trois dernières
représentants élus, ce qui donne de Calgary l’image d’une
années a suscité un certain nombre de problèmes très
collectivité peu accueillante.
médiatisés ayant trait au financement des services
Les participants d’Edmonton ont
d’établissement, au logement et aux
largement fait écho à ces préoccupations.
listes d’attente pour la formation. La
Les faibles salaires et les attitudes négaconcurrence entre provinces pour les
Dans le cas
tives constituent des obstacles encore
immigrants, le climat, l’attrait qu’exercent
plus importants pour attirer et conserver
d’autres destinations canadiennes sont
de Regina, la
les immigrants à Edmonton, étant
autant d’éléments qui influent sur l’imconcurrence interdonné que cette ville n’est pas un point
migration. Les participants ont menprovinciale pour les
d’entrée important pour les immitionné comme préoccupation la perte
grants. Les répondants d’Edmonton
d’immigrants au profit de l’Ontario et
immigrants est
estiment qu’une sensibilisation de
de l’Alberta. Winnipeg doit également
identifiée comme
l’administration municipale à l’égard de
répondre à un besoin d’égale envergure,
la valeur que représentent les immisoit celle de régler le problème de
un élément qui
grants pour la ville ferait beaucoup
l’emploi chez sa population autochtone.
rend difficile, pour
pour rendre celle-ci plus attirante.
Dans le cas de Regina, la concurrence
Les problèmes soulevés en priorité
interprovinciale pour les immigrants est
la Saskatchewan,
par les participants de Vancouver
identifiée comme un élément qui rend
d’apparaître
reflètent l’expérience acquise par cette
difficile, pour la Saskatchewan, d’apparégion en matière de volumes élevés
raître comme une destination attirante.
comme une
d’immigration. La présence d’un grand
Les participants reconnaissent qu’il est
destination
nombre d’immigrants, particulièredifficile d’augmenter l’immigration étant
ment en provenance du littoral du
donné que la ville possède un certain
attirante.
Pacifique, engendre certaines tensions
nombre de facteurs qui jouent contre
en ce qui a trait aux services sociaux
elle : le climat, une réputation internaet communautaires, accroît les perceptions de crimes
tionale faible ou négative, les niveaux historiquement
liés aux immigrants, et suscite davantage de tensions
faibles d’immigration, ainsi que des possibilités
raciales au sein de la collectivité. De plus, les immigrants
économiques relativement limitées. Les participants de
doivent composer avec un coût de la vie qui est élevé
Regina ont indiqué que des politiques d’immigration
dans cette région, bien que les possibilités économiques
plus flexibles pourraient permettre à la région d’attirer
qui s’offrent aux immigrants ne soient pas aussi
plus facilement des immigrants. Par exemple, la venue
abondantes que dans certains autres centres. Il est
d’immigrants agriculteurs en milieu rural est rendue plus
toutefois important de noter que la diminution de la
difficile en raison des critères élevés imposés sur le plan
concentration d’immigrants n’était pas considérée
financier. L’allégement de certaines normes pourrait
comme une priorité. La question prioritaire était plutôt
encourager davantage d’immigrants à s’établir dans
la répartition plus équitable des avantages de l’immides régions rurales et à apporter leur contribution à
gration parmi les zones rurales qui entourent la région
l’économie de ces régions. Un autre problème particulier à
de Vancouver.
la Ville de Regina est que le petit nombre d’immigrants
que l’on y trouve actuellement rend difficile d’offrir la
masse critique de services qui ferait de cette ville un lieu
Tendances particulières de l’immigration
accueillant pour les immigrants. Enfin, les priorités
dans l’Ouest canadien
urbaines reliées aux Autochtones et les difficultés à attirer
Les opinions exprimées par les participants à la
des immigrants constituent également des obstacles
consultation sur l’immigration organisée par la Canada
importants pour Regina.
West Foundation reflètent la situation de l’immigration
Calgary attire beaucoup plus d’immigrants que
dans l’Ouest, sur le plan des politiques, des activités et
sa part de la population nationale, et les participants à
de l’histoire. En particulier, l’immigration à l’extérieur
cette séance ont mis l’accent sur les problèmes liés à la
des trois grandes destinations (Toronto, Montréal et
concentration. En particulier, la migration secondaire
Vancouver) permet de dégager un certain nombre de
issue d’autres provinces constituait une préoccupation
situations et de priorités.
129
CITC
cette région constitue une quatrième importante
D’abord, les attitudes du public à l’égard de l’immitendance, étant donné le nombre élevé d’immigrants
gration dans l’Ouest sont influencées par la situation
originaires d’Asie et du Moyen-Orient que l’on y trouve.
constatée dans les trois grandes destinations – souvent
Les problèmes linguistiques, les préoccupations en
d’une manière négative. Les nouveaux immigrants à
matière de reconnaissance des titres de compétences et la
Toronto, Vancouver et Montréal font face aux plus grands
dévalorisation des diplômes et des expériences de travail
obstacles en matière d’emploi, associés à l’acquisition de
des immigrants par rapport aux travailleurs nés au
compétences linguistiques, à l’évaluation et à la reconnaisCanada semblent toucher le plus négativement les immisance de leurs expériences de travail et de leurs études à
grants originaires d’Asie. La recherche indique que
l’étranger, et aux efforts nécessaires pour effectuer des
les immigrants asiatiques, tant ceux qui ont des titres de
recherches d’emploi et établir des réseaux. Les reportages
compétences que ceux qui n’en ont pas, semblent profiter
publiés dans les médias concernant les crimes et les
le moins de leurs expériences de travail et de leurs études
tensions raciales dans les grands centres urbains peuvent
antérieures, par comparaison avec les autres groupes
également exercer une influence négative sur les
d’immigrants (Najm, 2001 ; Ferrer et
populations habitant dans des régions
Riddell, 2003). Donc, bien qu’il ne
où le taux de criminalité associé aux
À Vancouver, la
s’agisse pas d’un problème propre
immigrants est négligeable.
présence d’un
uniquement à l’Ouest canadien, la
Deuxièmement, alors que les
nécessité de s’attaquer aux obstacles
niveaux d’immigration du Canada
grand nombre
systémiques associés au sous emploi
demeurent élevés, l’immigration dans
d’immigrants,
des immigrants asiatiques y est partil’Ouest a connu une période prolongée
culièrement prononcée.
de déclin durant la majeure partie des
particulièrement en
L’importance grandissante du
deux dernières décennies (CIC, 2005).
provenance du
Programme des candidats des provinces
Stimulé par les succès remportés par le
littoral du Pacifique,
(PCP) en tant que mécanisme provinManitoba, le taux d’immigration a
cial visant à assurer la croissance et la
repris une timide tendance à la hausse,
engendre certaines
répartition de la population est une
bien que la part des immigrants qui
tensions en ce qui
cinquième tendance régionale signis’établissent dans l’Ouest demeure
ficative. Le recours au PCP se fait le
inférieure à la part de l’Ouest dans la
a trait aux services
plus par le Manitoba où la moitié
population nationale. Des périodes
sociaux et commudes immigrants manitobains est mainprolongées de relative faiblesse des taux
tenant admise par le truchement
d’immigration auront une incidence sur
nautaires, accroît
d’une procédure d’immigration provinles besoins en main-d’œuvre et sur la
les perceptions de
ciale intégrée à une stratégie de
capacité de la région à attirer davantage
crimes liés aux
croissance démographique pour le
d’immigrants. Ces données laissent
Manitoba. Ces programmes constituent
entendre que l’Ouest fait face à d’assez
immigrants, et
le nouveau mécanisme d’intervention
grandes difficultés pour ce qui est de
suscite davantage
grâce auquel on peut intervenir en
combler ces pénuries.
matière de pénuries de main-d’œuvre,
Une troisième tendance enregistrée
de tensions raciales
d’investissements commerciaux, de
dans l’Ouest est le taux plus élevé d’acau sein de la
régionalisation de l’immigration, de
tivité des immigrants. Les immigrants
collectivité.
maintien des immigrants, et d’autres
de sexe masculin âgés entre 25 et 54 ans
enjeux politiques locaux.
et habitant les villes de l’Ouest canadien
Une dernière tendance déterminante dans l’Ouest est
ont beaucoup plus de chances d’être employés à temps
le niveau élevé de réfugiés que l’on trouve dans cette
plein que les immigrants établis ailleurs au Canada. Les six
région – en 2004, 38 % des immigrants appartenant à la
villes où les taux de chômage des immigrants correspondent
catégorie des réfugiés pris en charge par le gouvernement
le plus étroitement à ceux enregistrés pour les citoyens nés
ou parrainés par le secteur privé se sont établis dans
au Canada sont toutes situées dans l’Ouest (Chui, 2003).
l’Ouest, comparativement à 26 % seulement de la
La situation plus favorable des immigrants de l’Ouest
population immigrante dans son ensemble (CIC, 2005,
en matière d’emploi reflète le taux d’activité de la région et
données préliminaires). Soulignons le cas de la
la plus faible concentration d’immigrants arrivés récemment
Saskatchewan, où 27 % des immigrants qui s’y sont
au pays. Réunies, ces données suggèrent qu’il peut être
établis en 2004 appartenaient à la catégorie des réfugiés
plus facile pour les immigrants qui s’établissent dans
pris en charge par le gouvernement ou parrainés par le
l’Ouest d’entrer dans la population active. Toutefois, on
secteur privé, comparativement à la moyenne nationale de
doit prendre note que ces données n’indiquent pas si les
seulement 4,5 %.
possibilités d’emploi des immigrants sont meilleures dans
De telles données ont des conséquences diverses. La
les domaines d’étude ou d’expérience de ces derniers, mais
région des Prairies profite fortement des effets humanitaires
uniquement que les immigrants ont davantage de chances
de l’immigration, notamment la compassion favorisée
d’obtenir un emploi.
au sein des collectivités. Toutefois, la contribution
Le problème de la non-reconnaissance des expériences
économique des réfugiés peut s’avérer moins dynamique
de travail et des études effectuées à l’étranger n’est
que celle des immigrants de la catégorie économique. Les
certainement pas propre à l’Ouest, mais sa présence dans
130
besoins des réfugiés imposent également un fardeau
additionnel sur les services d’aide que l’on trouve dans les
collectivités de l’Ouest, étant donné que les motifs d’ordre
humanitaire qui ont justifié l’entrée au pays peuvent
nécessiter des soutiens sociaux qui ne sont pas facilement
créés ou rendus disponibles. Étant donné le nombre élevé
d’immigrants appartenant à des catégories non
économiques que l’on trouve dans l’Ouest, la double
répercussion des obstacles en matière d’emploi et des
besoins additionnels en matière de soutien fait des
programmes d’aide aux réfugiés une préoccupation très
médiatisée dans l’Ouest.
En guise de conclusion, on peut affirmer que les
immigrants dans l’Ouest apportent une foule de
contributions de nature économique, culturelle, et
humanitaire dans cette région, et qu’ils offrent des
possibilités importantes en matière de croissance
démographique, particulièrement dans des secteurs qui
en ont grandement besoin. Il existe un certain nombre
de réussite en matière d’immigration, particulièrement
au Manitoba, qui font ressortir les contributions des
immigrants à la production industrielle, au développement
de la conscience communautaire, à la croissance démographique, à l’innovation, au développement de marchés
d’exportation et à la diversité culturelle.
Références
CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION CANADA. Communication personnelle, 9 mars 2005.
CHUI, Tina. Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada :
le processus, les progrès et les perspectives, Statistique Canada : no 89 611
XIE au catalogue, Ottawa, 2003.
FERRER, Ann et W. Craig RIDDELL. Education, Credentials and Immigrant
Earnings, Département de sciences économiques, Université de la
Colombie Britannique, Vancouver, mai 2003.
NAJM, Nabila A. The Devaluation of Foreign Credentials in Canada,
Recherche et analyse stratégiques, Planification stratégique et
coordination des politiques, ministère du Patrimoine canadien, Ottawa,
décembre 2001.
Diversité canadienne /
Canadian Diversity
L’Association d’études canadiennes a produit un numéro
spécial de la revue Diversité canadienne / Canadian Diversity
(vol. 3, no 1, hiver 2004) portant sur les intersections de la
diversité sous la direction de la rédactrice invitée Anneke
Rummens (University of Toronto). Dans cette publication,
des chercheurs, des responsables des politiques et des
représentants d’organisations non gouvernementales
explorent à l’aide d’exemples concrets les enjeux liés aux
intersections. Ils font valoir l’importance de réfléchir aux
conséquences des intersections afin d’éviter que les
programmes et politiques ne produisent des résultats
inéquitables. On peut commander un exemplaire de la revue
en communiquant avec l’Association d’études canadiennes
([email protected]) ou avec le projet Metropolis
([email protected]).
131
LUTTE CONTRE L’INSTABILITÉ
DES NOUVEAUX ARRIVANTS
EN MATIÈRE DE LOGEMENT
RÉSUMÉ
Les exemples de plus en plus nombreux de l’insécurité économique à laquelle sont exposés les nouveaux
immigrants au Canada coïncident avec les informations selon lesquelles les immigrants et les réfugiés seraient
en voie de devenir l’une des deux sous-populations les plus importantes parmi les sans-abri au Canada. Les
difficultés rencontrées avec l’attachement au marché du travail, les lacunes qu’accuse le système d’intégration
et la discrimination constituent d’importants facteurs pouvant contribuer à l’augmentation du risque
d’instabilité des nouveaux arrivants en matière de logement. L’article propose, en guise de conclusion,
des pistes de recherche ainsi que certains principes de base, issus des connaissances actuelles, pouvant
améliorer les politiques et les programmes.
S
CITC
MICHAEL FARRELL
Michael Farrell est analyste de la recherche au Secrétariat national pour les sans-abri
et possède de l’expérience dans l’élaboration de politiques sociales en matière de droits
de la personne. Le Secrétariat, par l’intermédiaire du Programme national de recherches,
finance actuellement un certain nombre de projets de recherche axés sur les liens entre le
sans-abrisme et les nouveaux arrivants au Canada.
i les nouveaux arrivants au Canada contribuent grandement à la diversité sociale, économique
et culturelle du pays, les études montrent qu’ils courent un risque accru d’instabilité au chapitre
du logement ainsi qu’un risque accru de sans-abrisme. Le sans-abrisme, comme la plupart des
questions de justice sociale, est un problème qui doit être abordé par divers secteurs (privé, public,
sans but lucratif), et à tous les paliers par l’entremise des ordres des gouvernements fédéral,
provinciaux, régionaux, par les organismes communautaires et par la société dans son ensemble.
L’approche doit être plurielle puisque les personnes qui sont sans abri, ou qui risquent de le devenir,
proviennent de divers milieux et possèdent des caractéristiques différentes. De plus, la voie qui les a
menées au sans-abrisme ou qui les en a sorties reflète l’unicité des efforts que déploient ces individus
à gérer les transitions dans leur vie et à lutter contre les injustices systémiques. Les
nouvelles recherches commencent à fournir des renseignements sur les facteurs de risque, sur
certaines des voies potentielles menant au sans-abrisme, ainsi que sur les principes qui devraient
sous-tendre une réforme des politiques.
Les résultats du Recensement de 2001 révèlent que le pourcentage de personnes nées à
l’étranger et vivant au Canada actuellement est plus élevé qu’au cours des 70 dernières années.
Toutefois, depuis quelques années, il semble que les nouveaux arrivants éprouvent davantage de
difficultés à s’intégrer avec succès à la société canadienne. Des rapports ont indiqué que le bien-être
économique des nouveaux immigrants au Canada se détériorait et qu’ils risquaient davantage
de devenir sans abri.
• Entre 1980 et 2000, le taux de faible revenu chez les nouveaux immigrants a augmenté,
passant de 24,6 % à 35,8 %, alors qu’il a diminué chez les Canadiens, passant de 17,2 % à
14,3 %. Moins de la moitié de l’augmentation du taux de faible revenu peut être attribuable aux
caractéristiques changeantes des immigrants1.
• Entre 1980 et 2000, l’écart entre les gains des nouveaux immigrants de sexe masculin et ceux de
leurs homologues nés au Canada a plus que doublé, et cet écart entre les nouvelles immigrantes
et leurs homologues nées au Canada s’est aussi accentué2.
• Entre 1984 et 1999, les nouveaux immigrants sont devenus plus vulnérables aux pertes de
revenu et aux dépenses imprévues3.
• Entre 1981 et 2001, le taux d’accession à la propriété chez les immigrants a diminué de façon
constante, alors qu’il a augmenté de façon constante chez les Canadiens.
• En 2001, dans les régions métropolitaines de recensement, où plus de 90 % des nouveaux
immigrants s’établissent, les nouveaux immigrants locataires couraient presque 40 % plus de
chances d’éprouver des « besoins impérieux de logement4 » que les non-immigrants locataires5.
Le principal obstacle auquel se heurtent les ménages ayant un besoin de logement est le logement
à prix abordable.
• Bien qu’aucune donnée nationale ne soit disponible quant au nombre de nouveaux arrivants
sans-abri, des études menées à Toronto et à Ottawa révèlent que les immigrants et les réfugiés
représentent entre 13 % et 14 % de la population des sans-abri qui fréquentent les refuges dans
ces villes.
132
arrivants ont tendance à retirer moins d’avantages des
En général, le risque de sans-abrisme augmente en
périodes de croissance économique rapide. Ce phénomène
présence de certains facteurs (p. ex., chômage, migration
peut être attribuable à un certain nombre d’obstacles
économique, rupture de mariage, décès d’un membre de la
particuliers pouvant nuire à l’intégration des nouveaux
famille, apparition d’une maladie physique ou mentale
arrivants sur le marché du travail, notamment :
invalidante, violence familiale) empêchant les personnes ou
• le manque de réseaux bien établis de personnesles familles de maintenir leur statut socioéconomique. En
ressources ;
d’autres mots, ces facteurs de risque ont une incidence sur la
• le fait que leur expérience de travail au Canada soit
capacité des personnes ou des familles à générer
limitée et que les employeurs canadiens accordent en
un revenu suffisant pour pouvoir s’offrir un logement
général moins de valeur à leur expérience de travail
adéquat. De plus, le risque de sans-abrisme augmente
acquise à l’étranger ;
lorsque ces facteurs de risque sont combinés aux pénuries de
• le fait que certains d’entre eux possèdent des connaislogements convenables ou de services de soutien adéquats.
sances limitées des langues officielles du Canada ;
Chez les nouveaux arrivants, les défis associés à
• le fait que leurs certificats d’études
l’adaptation à un milieu politique, écoet leur accréditation professionnelle ne
nomique, social et culturel différent
soient pas reconnus à leur juste valeur ;
peuvent entraîner l’apparition d’autres
Des recherches
• bien qu’il soit difficile de quantifier
facteurs de risque. De plus, certains
ont démontré
et d’évaluer la discrimination et ses
groupes de nouveaux arrivants, qui ne
répercussions, les recherches démonsont peut-être pas représentés en grand
que les problèmes
trent que ce facteur joue un rôle dans
nombre, sont d’autant plus vulnérables
associés à l’égalité
l’accès au marché du travail et la réussite
du fait que leur sécurité est menacée ; il
des nouveaux arrivants sur le marché
s’agit notamment des groupes suivants :
des chances sur le
du travail.
• les demandeurs d’asile, notamment
marché du travail,
ceux qui n’ont pas de permis de
aux lacunes dans
travail ;
Comme ils ont des difficultés à
• les femmes, parfois avec enfants, qui
s’intégrer
au marché du travail, les
le processus
sont victimes de violence familiale ;
nouveaux arrivants connaissent une
d’établissement et
• les immigrants parrainés, parfois
baisse de leur revenu et une détérioles parents d’enfants immigrés, qui
ration de leurs conditions de travail,
à la discrimination
sont victimes d’abus.
puisqu’ils sont plus susceptibles
contribuent à
d’accepter des emplois « non standards »
offrant moins de sécurité économique et
Les voies particulières menant au
fragiliser la situation
une moins bonne protection en vertu de
sans-abrisme, après l’arrivée au Canada,
des nouveaux
la législation en matière de normes
varient en fonction de la situation
d’emploi. Les nouveaux immigrants,
personnelle de chacun (y compris
arrivants au
hommes et femmes, qui travaillent à
la catégorie officielle – ou l’étiquette –
Canada en matière
plein temps ont des gains beaucoup plus
d’immigrant ou de réfugié). Cependant,
faibles que ceux de leurs homologues
des recherches ont démontré que
de logement.
canadiens. Cet écart se creuse encore
les problèmes associés à l’égalité des
davantage avec l’augmentation du
chances sur le marché du travail, aux
niveau de scolarité.
lacunes du processus d’établissement et à la discriminaAuparavant, l’écart entre les gains initiaux des
tion contribuent à fragiliser la situation des nouveaux
nouveaux arrivants et ceux des Canadiens diminuait au fur
arrivants au Canada en matière de logement.
et à mesure que les nouveaux arrivants s’adaptaient aux
normes sociales et culturelles du Canada. Toutefois, l’écart
Marché du travail
actuel entre les gains des nouveaux immigrants et des
L’emploi constitue un facteur important facilitant
réfugiés et ceux des Canadiens est si important que ce
l’établissement et l’intégration des nouveaux arrivants dans
phénomène soulève de sérieuses questions au sujet de la
leur pays d’accueil. Les études portant sur la situation
capacité des nouveaux arrivants actuels à rattraper leurs
d’emploi des nouveaux arrivants ont révélé que les nouhomologues Canadiens dans un délai raisonnable.
veaux arrivants actuels éprouvent davantage de difficultés
Au cours des 20 dernières années, le revenu total
que ceux qui sont arrivés précédemment – ou que les
moyen des nouveaux immigrants a diminué de façon
Canadiens – à entrer sur le marché du travail et à trouver
constante par rapport à celui des Canadiens. Le manque
un emploi correspondant à leur niveau de compétence,
de possibilités de réaliser des gains plus élevés a mené à
de scolarité et d’expérience. Les demandeurs d’asile sont
une augmentation du taux de faible revenu chez les
peut-être plus à risque en raison des retards signalés dans
nouveaux arrivants. En effet, le taux de pauvreté de
l’attribution de permis de travail.
ce groupe est deux fois supérieur à celui des familles
En général, l’accès à l’emploi est déterminé par un
canadiennes. Parmi certains groupes d’immigrants, tels
certain nombre de facteurs microéconomiques et macroque les Latino-Américains, les Africains, les Arabes et les
économiques comportant des composantes structurelles
immigrants des Caraïbes et de l’Asie occidentale, le taux
et cycliques. Des études ont démontré que malgré la
de faible revenu est environ trois fois plus élevé.
présence de cycles économiques favorables, les nouveaux
133
CITC
L’augmentation du niveau de pauvreté des nouveaux
faire leur entrée sur le marché du travail, ce qui vient
arrivants entraîne des répercussions importantes au palier
confirmer les résultats d’autres études signalant des promunicipal, notamment dans les grandes villes, puisque plus
blèmes sur le plan de l’intégration au marché du travail.
de 70 % des nouveaux arrivants vont s’établir à Vancouver,
De plus, 76 % des nouveaux immigrants ont dû se
Toronto et Montréal. L’augmentation du taux de faible
chercher un logement adéquat après leur arrivée (les
revenu dans les trois grandes villes canadiennes en imporautres étant satisfaits du logement qu’ils avaient à leur
tance découle en grande partie de l’augmentation du niveau
arrivée) et de ce nombre, 38 % ont eu de la difficulté à en
de pauvreté des nouveaux arrivants.
obtenir un. Les prix élevés ou les difficultés financières,
Compte tenu de la pénurie d’emplois et des faibles
suivis de l’absence d’antécédents en matière de crédit, de
revenus, les nouveaux arrivants dépendent davantage des
garants ou de cosignataires, sont les raisons ayant été
programmes de soutien du revenu pour subvenir à leurs
invoquées le plus souvent pour expliquer ce problème.
besoins. Le pourcentage de ménages recevant des paieEn effet, 42 % des ménages de nouveaux immigrants
ments de transfert du gouvernement est plus élevé chez
éprouvent des besoins impérieux de logement, comparaceux dont le chef est un nouvel immitivement à 17 % chez les ménages
grant en âge de travailler que chez ceux
canadiens8. Les difficultés observées
dont le chef est un Canadien. De plus, le
en ce qui a trait à l’intégration au
Les services
montant des transferts par ménagemarché du travail et à l’acquisition d’un
généraux de
bénéficiaire est plus élevé chez les
logement adéquat ont mené à un
soutien au
ménages dont le chef est un nouvel
certain nombre de demandes afin que
immigrant que chez ceux dont le chef
soient apportés des changements au
logement ainsi
est un Canadien.
système d’établissement canadien dans
que les services
Le faible succès sur le marché du
la deuxième étape du cadre précédent.
travail et les faibles revenus qui s’y
Il est plus difficile aujourd’hui pour
de santé et les
rattachent entraînent une augmentation
les nouveaux immigrants et les réfugiés
services sociaux,
du risque d’instabilité en matière de
que dans le passé et le système d’établislogement chez les nouveaux arrivants.
sement n’est peut-être pas en mesure de
qui n’ont pas
Le système des services d’établissement
leur fournir l’aide à long terme dont ils
les ressources
comprend un certain nombre de proont besoin à cet égard. Ainsi, les
grammes et de services visant à faciliter
nouveaux arrivants misent de plus en
nécessaires pour
l’intégration des nouveaux arrivants et à
plus sur les services de soutien généraux,
répondre aux
réduire ce risque, mais il semble que ce
qui ne sont pas conçus pour leur offrir
système n’atteint pas ses objectifs.
des services répondant à leurs besoins.
besoins des
Les services généraux de soutien au logeCanadiens, ne
ment ainsi que les services de santé et les
Établissement
sont pas en
services sociaux, qui n’ont pas les
Une étude menée par Mwarigha6
ressources nécessaires pour répondre
indique que le processus d’établissement
mesure d’offrir
aux besoins des Canadiens, ne sont pas
des nouveaux arrivants comporte généaux nouveaux
en mesure d’offrir aux nouveaux
ralement trois étapes, caractérisées par
arrivants les services multilingues,
l’évolution de leurs besoins :
arrivants les services
multiculturels et personnalisés dont ils
• première étape : les nouveaux
multilingues,
ont besoin. Les immigrants et les
arrivants cherchent principalement
réfugiés se tournent de plus en plus vers
à combler leurs besoins immédiats
multiculturels et
d’autres ressources pour combler ce
en nourriture, en vêtement et en
personnalisés dont
manque de soutien. Sur le plan de
logement, à ce qu’on les dirige
l’hébergement, ils misent sur des
dans leur collectivité et à être
ils ont besoin.
solutions temporaires, telles que les
dirigés vers les services linguislocations de courte durée dans des
tiques de base ;
maisons de chambres illégales ou peu sûres, ou
• deuxième étape : les nouveaux arrivants doivent
dans d’autres types de logements non sécuritaires qui
accéder aux systèmes et institutions canadiens,
font qu’ils comptent parmi les sans-abri « cachés ».
notamment le marché du travail, les services
Certains nouveaux arrivants alternent entre ces lieux
communautaires en matière d’hébergement, les
d’hébergement informels et les centres d’hébergement
services de santé, l’aide juridique et les cours de
pour sans-abri.
langue de niveau avancé ;
Les divers ordres de gouvernement, les organismes
• troisième étape : les nouveaux arrivants cherchent
communautaires spécialisés ainsi que les réseaux informels
surtout à participer pleinement à la société
de famille, d’amis et de communautés d’immigrants se
canadienne et à surmonter les obstacles systémiques
partagent la responsabilité en ce qui a trait à l’intégration et
à une participation égalitaire à la société canadienne.
à l’accueil des immigrants. Pour améliorer la qualité du
soutien offert, il faudra améliorer la coordination
D’après les données provenant de l’Étude longituet l’intégration des efforts de ces intervenants. Toutefois,
dinale auprès des immigrants du Canada7, environ 70 % des
au-delà de l’étendue et de la qualité des services, d’autres
nouveaux immigrants ont éprouvé certaines difficultés à
134
comparativement à ceux qui sont arrivés dans les décennies antérieures. Ces nouveaux arrivants ont tendance à
déclarer des niveaux plus élevés de discrimination perçue.
Bien que la validité de la discrimination perçue en tant
que mesure objective de la marginalisation soit parfois
remise en question, il n’en demeure pas moins que cette
Discrimination
discrimination trahit la difficulté qu’a le Canada à créer
Bien que la population de sans-abri au Canada soit
un environnement où les nouveaux arrivants se sentent
très diversifiée, l’un des facteurs communs que l’on
en sécurité. En ce qui a trait aux résultats en matière de
retrouve chez les personnes qui deviennent sans-abri est la
logement, au moins une étude9 révèle que la discrimiprésence de caractéristiques qui augmentent le risque
d’instabilité en matière de logement.
nation peut mener à :
Pour comprendre le lien entre le sans• une recherche de logement plus
La discrimination a
abrisme et la diversité au Canada, il faut
longue ;
analyser la façon dont les différentes
• un logement plus coûteux ;
des répercussions
dimensions de la marginalisation et de
• l’occupation d’un logement inadétant chez les
la diversité de la population affectent
quat dans un quartier moins recherché
Canadiens que
l’ampleur, les caractéristiques et les
de la communauté ;
causes du sans-abrisme. Ces dimen• un niveau d’instruction inférieur aux
chez les nouveaux
sions comprennent notamment le
normes ;
arrivants, mais les
statut de citoyenneté, la race, l’origine
• des perspectives d’emploi réduites et
nationale ou ethnique, l’âge, le sexe, la
moins attrayantes ; et
nouveaux arrivants
situation familiale, l’état matrimonial,
• un accès réduit à un vaste éventail de
sont encore plus
la langue maternelle et la compétence
services, notamment en matière de santé
linguistique, l’éducation, la présence ou
et de transport.
vulnérables à
l’absence d’un casier judiciaire, le statut
l’instabilité en
socio-économique, l’état de santé (p. ex.,
Bien entendu, la discrimination –
personnes atteintes du VIH/SIDA ou
tout comme les difficultés liées au
matière de
de maladie mentale), la déficience et
marché du travail et la pénurie en
logement en
l’orientation sexuelle.
services de santé et services sociaux –
La discrimination fondée sur l’un
sont des problèmes auxquels sont conraison de l’accumude ces motifs crée des obstacles systéfrontés tant les Canadiens que les noulation des facteurs
miques formels et informels limitant
veaux arrivants. Or, le système des
de risque. Les
l’accès aux programmes et services, ce
services d’établissement et le système de
qui mène à une augmentation du risque
soutien au logement ne peuvent à eux
nouveaux arrivants
de sans-abrisme chez les membres de ces
seuls résoudre ces problèmes ; il faut la
qui sont arrivés au
groupes. Ces derniers se heurtent à ces
participation et la collaboration de tous
obstacles, entre autres endroits, dans des
les secteurs et ordres de gouvernement
cours des années
institutions comme les hôpitaux et les
pour y parvenir.
1990 sont plus
cliniques, les établissements de formation et d’enseignement, les institutions
Coordination, lacunes au chapitre
susceptibles d’avoir
financières, le système judiciaire et les
de la recherche et répercussions
été visiblement
services de ressources humaines des
sur les politiques
employeurs éventuels. Ils peuvent aussi
On reconnaît de plus en plus que
différents de la
s’y heurter dans le cadre de certaines
les nouveaux arrivants sont davantage
population essenpratiques, telles que les procédures de
à risque sur le plan de l’instabilité en
demande d’emploi et les demandes ou
matière de logement, mais les intertiellement blanche
appels en matière de logement locatif ou
venants, tant à l’échelle nationale que
au Canada,
de soutien du revenu. Les attitudes des
communautaire, sont souvent contraints
comparativement
prestateurs des services de soutien et la
d’agir uniquement dans leurs propres
façon dont les plaintes de discriminasecteurs de responsabilité. Toute situaà ceux qui sont
tion sont traitées sont également autant
tion sur laquelle influe une gamme de
arrivés dans les
d’obstacles qu’ils doivent affronter.
facteurs est certes difficile à résouLa discrimination a des réperdre, mais non impossible. Songeons,
décennies
cussions tant chez les Canadiens que
par exemple, à la construction d’une
antérieures.
chez les nouveaux arrivants, mais ces
maison. Ainsi, si tous les gens de métier
derniers sont encore plus vulnérables
(p. ex., plombier, couvreur, briqueteur,
à l’instabilité en matière de logement en raison de
électricien) font leur travail sans le coordonner avec celui
l’accumulation des facteurs de risque. Les nouveaux
des autres, il en résultera un amas d’éléments distincts,
arrivants qui sont arrivés au cours des années 1990
comme la tuyauterie, la couverture, les briques et les fils,
sont plus susceptibles d’avoir été visiblement différents de
mais pas une maison. Dans le même ordre d’idées, si les
la population essentiellement blanche au Canada,
divers intervenants n’apportent des améliorations que
questions systémiques demeurent et créent des obstacles
empêchant les nouveaux arrivants de s’intégrer pleinement à la société canadienne. La discrimination est d’ailleurs
l’un de ces principaux obstacles.
135
Ces « principes » ne correspondent peut-être pas aux
propositions d’action concrètes que plusieurs recherchent,
mais ces thèmes (meilleure coordination, possibilités de
participation significative, élimination des obstacles à
l’accès et possibilité d’occuper de bons emplois offrant un
salaire suffisant) reviennent constamment dans le cadre
des projets de recherche et des consultations publiques.
Ces principes de base représentent peut-être la clé qui
nous permettra de répondre avec succès aux besoins
des nouveaux arrivants et de réduire le risque qu’ils ne
deviennent sans-abri.
dans leur propre secteur de responsabilité, les questions de
justice sociale au Canada, qu’elles soient liées à l’établissement et à l’intégration des nouveaux arrivants ou qu’elle
permette de réduire le sans-abrisme, ne peuvent être
résolues adéquatement. La nature des questions sociales
complexes exige que tous les intervenants planifient et
coordonnent leurs activités, afin d’établir une infrastructure sociale solide offrant une sécurité à toutes les
personnes vivant au Canada, à court et à long terme.
Quant aux lacunes au chapitre de la recherche, nos
connaissances de l’ampleur, des caractéristiques et des causes
du sans-abrisme chez les diverses catégories de nouveaux
arrivants au Canada (c’est-à-dire les immigrants, les
demandeurs d’asile, les réfugiés parrainés par le secteur
privé et les réfugiés parrainés par le gouvernement) sont
encore limitées (voir l’encadré). Des études ont démontré
que l’efficacité du processus d’accueil et d’intégration ainsi
que des services de soutien connexes peut s’avérer une
condition essentielle d’inclusion sociale et donc de réduction
du risque de sans-abrisme. Toutefois, nous ne savons pas
encore comment les politiques et les programmes gouvernementaux, de même que les services d’aide à l’établissement,
influent sur le risque de sans-abrisme que courent les
nouveaux immigrants et les réfugiés, ni quelle est la
meilleure façon d’enrayer ce problème.
La recherche montre également que les abus dans les
relations familiales et dans les relations avec les répondants peuvent déstabiliser la situation des nouveaux
immigrants et des réfugiés en matière de logement, mais
les solutions les plus efficaces pour régler ces problèmes ne
sont pas encore au point. La recherche révèle également
que les modèles d’établissement des nouveaux immigrants
et des réfugiés peuvent être complexes et dynamiques et
qu’ils aboutissent parfois à un établissement à l’extérieur
des grands centres urbains ou précédé de plusieurs
déplacements à l’intérieur et à l’extérieur d’une province.
On connaît peu de choses concernant l’impact de ces
dynamiques sur le risque de devenir sans abri et sur
l’accès aux services.
En ce qui a trait aux politiques, nous en savons
suffisamment pour établir certains principes de base
concernant l’approche à adopter :
• l’élaboration des politiques et des programmes ainsi
que la prestation des services doivent se faire de façon
exhaustive et concertée entre tous les intervenants ;
• les nouveaux arrivants doivent avoir la possibilité et
le pouvoir d’influencer l’élaboration des politiques et
des programmes ainsi que la prestation des services ;
• l’ordre de priorité des initiatives visant à lutter
contre la discrimination et à promouvoir l’équité
doit être établi, et l’intégration de ces initiatives
dans le cadre de l’élaboration des politiques et des
programmes ainsi que de la prestation des services
doit être assuré ; et
• bien que certaines théories sur le comportement
du marché laissent entendre que le marché du travail
est plus efficace lorsqu’il y a moins d’interventions
réglementaires, il arrive souvent que l’équilibre du
marché du travail ne produise pas de résultats
économiques et sociaux optimaux et qu’une
intervention soit nécessaire.
CITC
Notes
136
1
PICOT, Garnett et Feng HOU. La hausse du taux de faible revenu chez
les immigrants au Canada, Statistique Canada, Direction des études
analytiques, Documents de recherche, no 198, no 11F0019 au catalogue,
Ottawa, 2003.
2
FRENETTE, Marc et René MORISSETTE. Convergeront-ils un jour ? Les
gains des travailleurs immigrants et de ceux nés au Canada au cours
des deux dernières décennies, Statistique Canada, Direction des études
analytiques, Documents de recherche, no 215, no 11F0019MIF au
catalogue, Ottawa, 2003.
3
MORISSETTE, René. « Précarité financière des familles », L’emploi et le
revenu en perspective, Statistique Canada, no 75-001-XIF au catalogue,
vol. 3, no 7, juillet 2002.
4
Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement, « On dit d’un
ménage qu’il (…) éprouve des besoins impérieux si 30 % de son revenu
serait insuffisant pour payer le loyer médian des logements répondant
aux trois critères ».
5
ENGELAND, John, Roger LEWIS, Steven EHRLICH (Société canadienne
d’hypothèques et de logement) et Janet CHE (Statistique Canada),
Évolution des conditions de logement dans les régions métropolitaines de
recensement au Canada, 1991-2001, Tendances et conditions dans les
régions métropolitaines de recensement no 005, Statistique Canada,
no 89-613 au catalogue, Ottawa, 2005.
6
MWARIGHA, M.S. Towards a Framework for Local Responsibility : Taking
action to end the current limbo in immigrant settlement-Toronto,
commandé par la Maytree Foundation, janvier 2002.
7
CHUI, Tina, 2003. Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada :
le processus, les progrès et les perspectives, Statistique Canada, no 89-611XIF au catalogue, Ottawa, 2003.
8
SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT. Études
spéciales sur les données du recensement de 1996 : conditions de logement
des immigrants de la région métropolitaine de recensement de Toronto,
Série socioéconomique no 55-12, Ottawa, octobre 2003.
9
DION, Kenneth L. « Immigrants’ Perceptions of Housing Discrimination in Toronto : The Housing New Canadians Project », Journal of Social
Issues, vol. 57, no 3 (2001), p. 523-539.
PANEL SUR
LE SANS-ABRISME
Analyse des données secondaires concernant les réponses données
par les participants dont le pays d’origine n’est pas le Canada
RÉSUMÉ
Ce texte est extrait d’un rapport rédigé pour le Secrétariat national pour les sans-abri, intitulé The Panel Study on
Homelessness: Secondary Data Analysis of Responses of Study Participants Whose Country of Origin is not
Canada. Le Panel sur le sans-abrisme y présente les caractéristiques de différentes personnes sans domicile fixe à
Ottawa au moment de la réalisation de son étude. Les auteurs terminent en faisant ressortir l’urgence de créer des
logements permanents sécuritaires et abordables dans le cadre de la revitalisation du secteur de l’habitation sociale.
Principales observations et conclusions
Je ne parle pas anglais. En raison des prix du marché, je n’ai pas les moyens de louer un
logement. Je n’ai pas d’emploi et je ne peux pas en trouver parce que je ne parle pas anglais.
– Femme adulte dans une famille, âgée entre 30 et 39 ans
Je n’aime pas ma vie parce que je suis seule au Canada. Toute ma famille est au Rwanda. Il m’est
très difficile de trouver un emploi parce que je ne peux pas parler anglais. Les loyers sont très
chers. L’aide sociale, ce n’est rien. J’ai besoin de plus d’argent.
– Jeune femme âgée de moins de 20 ans
FRAN KLODAWSKY
Carleton University
TIM AUBRY
Université d’Ottawa
La raison pour laquelle je suis ici, c’est que je ne pouvais pas trouver de loyer abordable. De plus,
je suis nouveau dans ce pays, ce qui rend ma situation plus difficile. J’ai essayé de me trouver un
logement à prix abordable mais je n’en ai pas trouvé.
– Homme adulte dans une famille, âgé entre 30 et 39 ans
Avant d’avoir mon premier enfant en septembre 2002, j’avais beaucoup de difficulté à trouver
un logement abordable. Je partageais un appartement de trois chambres avec une famille de
trois, et la vie n’y était pas facile. Il n’y avait pas assez de chambres pour tout le monde.
– Femme adulte dans une famille, âgée entre 30 et 39 ans
BEHNAM BEHNIA
Carleton University
CARL NICHOLSON
Centre catholique pour immigrants
C’est effrayant de n’avoir personne pour vous aider. Ville étrangère, pays étranger. Dans des
circonstances particulières, on devrait permettre aux gens de travailler.
– Homme adulte, âgé entre 30 et 39 ans.
En septembre 2001, je suis allée rendre visite à ma famille et à mon mari à Djibouti. Avant de
repartir, mon mari m’a demandé de rester avec lui à Djibouti. J’ai d’abord hésité, mais j’ai
décidé de vivre avec lui. Après trois mois, il est devenu violent et je suis revenue au Canada.
– Femme adulte dans une famille, âgée entre 20 et 29 ans.
Il est difficile de s’en sortir dans une ville où vous ne connaissez personne et où vous êtes fauché –
ça va mal. Les refuges sont très utiles – certaines règles et certaines politiques sont inéquitables,
mais je peux comprendre parce que des gens utilisent abusivement des services.
– Jeune homme âgé entre 20 et 29 ans1.
MARTA YOUNG
Université d’Ottawa
Cette dernière partie du rapport renferme un résumé des principales observations, les conclusions, l’orientation future des recherches ainsi que les recommandations.
Résumé des principales observations
Caractéristiques de la population
Scolarité, langue et emploi
Difficultés familiales
État physique et mental
Utilisation des services sociaux et de santé
Besoins les plus pressants
137
Caractéristiques de la population
Dans l’ensemble, le groupe des personnes interrogées
nées à l’étranger est moins diversifié que celui des personnes
interrogées nées au Canada. Soixante-dix-neuf pour cent
de toutes les personnes interrogées nées à l’étranger sont
des femmes, dans 83 % des réfugiés et 74 % des immigrants. Dans les deux groupes, la majorité était des
femmes chefs de famille ayant des enfants. En fait, au
moins 53 % du sous-groupe « adultes dans une famille »
de l’étude du Panel n’est pas né au Canada. De ce sousgroupe, 87 % sont des femmes. Les personnes interrogées
nées à l’étranger étaient également plus susceptibles d’être
en âge de travailler que le reste de l’échantillon. Toutefois,
on observe deux exceptions dignes de mention – environ
le quart des immigrants est âgé de moins de 20 ans, et
l’échantillon des réfugiés comportait proportionnellement
un plus grand nombre de personnes interrogées âgées de
plus de 50 ans que tout autre groupe.
Les réfugiés représentent à peine plus de la moitié
des personnes interrogées nées à l’étranger et de ce
groupe, plus de la moitié sont des femmes ayant des
enfants. Alors que la plupart des mères nées à l’étranger
ont tout au plus trois enfants vivant avec elles, 39 % des
réfugiées ont au moins quatre enfants. Le plus grand
nombre d’adultes vivant dans une famille permet
d’expliquer pourquoi un plus grand nombre de personnes
interrogées nées à l’étranger sont mariées, séparées,
divorcées ou veuves que ce n’est le cas pour le reste des
personnes interrogées de l’étude du Panel. Ces différences
permettent également d’expliquer pourquoi le rapport de
la Phase 1 indique que les caractéristiques des adultes
dans une famille diffèrent souvent de celles des autres
sous-groupes (Aubry et coll. 2003). Les personnes
interrogées nées à l’étranger ont plus de chances que
celles nées au Canada d’être sans-abri pour des raisons
financières. Alors que bon nombre d’entre elles ne se
sont retrouvées sans abri qu’une ou deux fois pour
une courte période, d’autres ont signalé connaître de
multiples phases du sans-abrisme.
Le pays d’origine, la date d’arrivée et le statut au
Canada sont les caractéristiques qui varient le plus. Les
personnes interrogées nées à l’étranger proviennent de
quarante différents pays d’origine, avec les pays africains
en tête de liste dans le cas des personnes qui sont venues au
Canada à titre de réfugiés. Environ le même nombre de
personnes est arrivé au Canada au cours des années 1990 et
au début du 21e siècle ; toutefois, au moins un tiers des
immigrants (mais aucun réfugié) est arrivé avant 1990.
Plus du tiers des personnes interrogées sont des
citoyens canadiens, ce qui inclut 60 % d’immigrants
et 25 % de réfugiés. Quarante pour cent des personnes
classées parmi les réfugiés ont toujours le statut de
demandeur d’asile.
Scolarité, langue et emploi
Difficultés familiales
Un plus grand nombre de personnes interrogées
nées à l’étranger que de personnes interrogées nées au
Canada disent être sans-abri parce qu’elles sont en
conflit avec un membre de leur famille. Fuir une situation
d’abus est également un facteur important pour
certains ménages.
État physique et mental
Comme il a été signalé plus haut, selon une analyse
réalisée à l’aide des échelles SF-36, l’état physique et mental
des nouveaux arrivants semble être considérablement
meilleur que celui des personnes interrogées nées au
Canada. D’autres résultats sur le plan de la santé concordent
avec ces observations : par exemple, les seuls problèmes
de santé chroniques signalés dans une proportion égale
dans les deux groupes sont une pression artérielle élevée et
des migraines, sans doute causées par le stress lié au fait
d’être sans-abri.
Utilisation des services sociaux et de santé
Dans l’ensemble, les personnes interrogées qui sont
des nouveaux arrivants ont moins tendance que les
personnes interrogées nées au Canada à utiliser les
services de santé et les services sociaux destinés aux
personnes marginalisées ou à déclarer que certains de
leurs besoins en matière de santé ne sont pas satisfaits.
Bien que leur meilleur état physique et mental puisse en
partie expliquer cette différence, l’utilisation relativement
faible que font les nouveaux arrivants de certains services
sociaux exige certainement une enquête plus approfondie,
étant donné les difficultés d’intégration auxquelles ils
sont confrontés.
Besoins les plus pressants
Les personnes interrogées nées à l’étranger sont
assez différentes des autres personnes interrogées par
le Panel. Elles expliquent leur sans-abrisme en évoquant
une série d’obstacles extérieurs, tels que le nombre
insuffisant de logements abordables, leur incapacité à
se trouver un emploi, ou les services de garde d’enfants
inappropriés. Le groupe des personnes nées au Canada,
dans l’ensemble, paraît plus vulnérable sur le plan
de la santé, de la scolarité et des problèmes liés à
la toxicomanie.
CITC
Les personnes interrogées nées à l’étranger sont
plus scolarisées que celles nées au Canada, un nombre
important d’entre elles ayant obtenu un diplôme d’études
supérieures. Les réfugiés sont légèrement plus susceptibles
d’avoir un niveau inférieur de scolarité ou d’avoir interrompu leurs études ; toutefois, au moment des entrevues
de la Phase 1, ils étaient également plus nombreux que
tout autre groupe à suivre des cours. La plupart des immigrants et des réfugiés ont dit écrire et parler l’anglais
couramment. Enfin, une minorité de personnes interrogées nées à l’étranger ne maîtrisaient ni l’une ni l’autre
des langues officielles.
La majorité des personnes interrogées qui sont de
nouveaux arrivants ne touchent aucune rémunération
bien qu’elles soient légèrement plus susceptibles de
travailler que celles du groupe correspondant nées au
Canada. Parmi les groupes appariés, environ le tiers des
personnes interrogées nées à l’étranger et de celles nées au
Canada a dit être à la recherche d’un emploi ; cette observation est légèrement moins valable pour les réfugiés que
pour les immigrants.
138
[traduction] La difficulté de communiquer en
anglais et les problèmes de communication
interculturelle désavantagent les femmes dans
leurs rapports avec les représentants du gouvernement, les enseignants et les propriétaires.
Des problèmes comme le chômage et la préoccupation constante du bien-être de leur
famille sont d’autres facteurs importants. Plus
de la moitié des femmes sont des chefs de
famille monoparentale et assument seules les
responsabilités liées au budget familial et à la
prise de décision, peut-être pour la première
fois de leur vie. Une femme a déclaré que
plusieurs Somaliennes se sentaient dévalorisées
surtout parce qu’elles ne pouvaient pas subvenir
adéquatement aux besoins de leur famille.
Mais leur manque de maîtrise de l’anglais,
l’accès restreint à l’enseignement supérieur et
le peu d’emplois disponibles [parce qu’elles
n’ont pas les documents requis, elles ont très
peu accès aux programmes d’études et aux
emplois, pendant jusqu’à cinq ans] font qu’il
est difficile pour ces femmes de décrocher un
emploi et d’intégrer la sphère économique
(1999, p. 19-20).
Conclusions et orientation future des recherches
Il convient de commencer cette partie du rapport
par un rappel : le Panel sur le sans-abrisme avait principalement pour objectif d’étudier les caractéristiques des
différentes personnes sans-abri à Ottawa au moment de
la réalisation de son étude. Afin d’atteindre cet objectif,
la stratégie d’échantillonnage du Panel a été conçue
de façon à constituer un échantillon représentatif à partir de
chacun des cinq sous-groupes de sans-abri (hommes adultes,
femmes adultes, jeunes hommes, jeunes femmes et adultes
dans une famille). Par conséquent, différents critères ont été
utilisés pour chaque sous-groupe, sur la base des données
démographiques disponibles et des informations fournies. La
citoyenneté a servi de critère de stratification dans seulement
deux des cinq sous-groupes – les femmes célibataires et les
adultes dans une famille. La raison pour laquelle ce critère n’a
pas été retenu pour les trois autres sous-groupes (c’està-dire les hommes célibataires, les jeunes hommes, les jeunes
femmes) est que les refuges desservant ces personnes ne
disposent pas d’information sur la citoyenneté. Il importe de
comprendre que cette stratégie a sans doute été un facteur qui
a fait en sorte que la majorité des personnes interrogées dans
ces deux groupes soient des femmes nées à l’étranger. Il ne faut
pas perdre de vue non plus que les données disponibles et les
informateurs principaux lui ont certainement ajouté foi. Il
importera pour les recherches futures de déterminer
la répartition des personnes nées à l’étranger dans tous
les sous-groupes de la population sans abri. Les
données recueillies par le Système d’information sur les
personnes et les familles sans abri, qui est utilisé dans de
nombreux refuges, dont ceux d’Ottawa, permettront
peut-être de répondre à cette question.
Malgré tout, il appert qu’un grand nombre de
sans-abri nés à l’étranger vivant à Ottawa sont
des femmes et surtout des réfugiées ayant des
enfants. La répartition de ces personnes cadre
mal avec le profil global des nouveaux arrivants
par sexe et citoyenneté – en 1996, 52 % des
nouveaux arrivants d’Ottawa étaient des
femmes et 23 % des réfugiés (CIC, 2000, p. x).
Néanmoins, les analystes des questions d’établissement doivent également tenir compte d’autres groupes de
nouveaux arrivants, surtout en raison du nombre important d’immigrants sans abri qui sont arrivés au Canada
avant 1990 mais aussi parce que l’on compte un nombre
beaucoup plus grand de femmes parmi les nouveaux
arrivants qui sont sans abri que parmi ceux qui ont un
endroit où loger.
La deuxième question est d’ordre financier. Étant
donné qu’un si grand nombre de nouveaux arrivants
sont sans-abri surtout parce qu’ils n’ont pas les moyens
de payer le loyer, il est clair que l’augmentation du
nombre de logements sûrs, convenables et abordables
et la diminution des obstacles à l’obtention d’un emploi
décent contribueraient à réduire le risque d’itinérance. En ce qui concerne les logements, on doit
également accorder une importance particulière aux
critères de conception pour qu’ils répondent aux
besoins des familles élargies et des familles comportant
des personnes appartenant à différentes générations.
Plusieurs nouveaux arrivants trouvent de tels modes
d’habitation plus attrayants et familiers que le mode
d’habitation type de la famille nucléaire. Malheureusement, il existe très peu de possibilités detrouver
un logement abordable pour une famille de plusieurs
générations sur le marché des logements locatifs
abordables. Il est nécessaire de réaliser d’autres travaux
de recherche pour évaluer la mesure dans laquelle les
conflits familiaux causés par la non-concordance entre
les modes d’habitation et la conception des logements
entraînent le sans-abrisme de personnes appartenant à des
ménages de nouveaux arrivants.
La troisième question qui doit être étudiée concerne
l’accessibilité et la convenabilité des services sociaux et de
santé offerts aux nouveaux arrivants. Le meilleur état
Étant donné leur caractère distinctif, trois
questions ressortent lorsqu’on examine les conséquences de nos observations pour les politiques et les
programmes. La première concerne les services
d’établissement aux réfugiés. Comme il avait été signalé
dans le séminaire intitulé Refugee Homelessness
Prevention qui s’est tenu en 2001, « les demandeurs
d’asile risquent tout particulièrement de se retrouver
sans abri » (Murdie, 2001). Clairement, à Ottawa, on
trouve une concentration de femmes réfugiées ayant des
enfants, qui sont confrontées à un ensemble complexe
de difficultés liées à la rapidité avec laquelle leur
demande d’asile pourra être traitée, à leur profil scolaire
et linguistique qui les défavorise et au fait qu’elles sont
responsables d’un grand nombre d’enfants. Il est urgent
d’examiner leurs différents problèmes liés à l’établissement dans une approche holistique et globale. Les
observations d’Israelite et coll. portant sur la situation à
Toronto peuvent également s’appliquer à la situation
vécue à Ottawa :
139
CITC
programmes touchant les besoins des nouveaux arrivants
physique et mental des nouveaux arrivants laisse
qui sont sans-abri ou qui risquent de le devenir.
penser que leurs besoins sont assez différents de ceux des
personnes interrogées nées au Canada. Toutefois, il est
probable que la plupart des services offerts aux sans-abri
Recommandations
ou aux personnes qui risquent de le devenir sont élaborés
Très brièvement, nous dégageons les conséquences
en fonction des besoins des sans-abri nés au Canada,
pour les politiques et les programmes dans quatre
qui sont plus nombreux. Il se peut que le taux inférieur
domaines. Premièrement, il est urgent que tous les paliers
d’utilisation des services de santé des nouveaux arrivants
de gouvernement s’investissent puisque a) les causes
s’explique par leur meilleur état de santé, mais il est
du sans-abrisme sont complexes, faisant intervenir de
possible également que l’explication réside dans la façon
nombreuses voies de cheminement ; b) certains sans-abri
dont ces services sont promus ou offerts.
se déplacent énormément, allant d’un endroit à l’autre
D’une part, il n’est pas étonnant que les nouveaux
sans se soucier des limites provinciales ou municipales ;
arrivants aient un meilleur état physique et mental,
c) des politiques et des programmes gouvernementaux
compte tenu des critères rigoureux qu’impose le Canada
de toutes les compétences jouent peut-être, indirectement,
avant d’octroyer le droit de résidence
un rôle dans le sans-abrisme de certains
permanente. D’autre part, des résultats
sans-abri mais peuvent également
Un grand nombre
similaires pour les réfugiés donnent à
être une voie efficace de réparation.
de sans-abri nés à
penser qu’un autre facteur contribue au
Par exemple, il est clair que le gouphénomène, ce qui met en évidence un
vernement fédéral joue un rôle très
l’étranger vivant à
champ qui doit faire l’objet de recherches
important dans les politiques d’immiOttawa sont des
approfondies. Étant donné les difficultés
gration. Pourtant, malgré leur portée
importantes liées à l’établissement dans
nationale, les incidences de ces polifemmes et surtout
un nouveau pays, nous pouvons émettre
tiques se font sentir de façon très
des réfugiées ayant
l’hypothèse que la capacité des personnes
inégale d’une ville canadienne à
des enfants. La
et des familles à réussir au Canada
l’autre, mais à certains endroits avec
s’explique par le fait qu’elles ont des
une acuité exceptionnelle, particurépartition de ces
ressources personnelles considérables.
lièrement dans les grandes régions
personnes cadre
Par ailleurs, il est bien possible que
métropolitaines (Bourne, 2003). Les
de nouveaux arrivants au Canada
initiatives en matière d’installation
mal avec le profil
considèrent le sans-abrisme d’un point
que le gouvernement fédéral négocie
global des nouveaux
de vue différent des personnes et des
avec ses partenaires provinciaux et
familles nées au Canada, compte tenu
municipaux doivent prendre en compte
arrivants par sexe
de la situation, des risques et des
cette inégalité.
et citoyenneté – en
conditions de vie auxquels ils ont pu
Deuxièmement, il est nécessaire
être confrontés dans leur pays d’origine.
d’élaborer des politiques et des
1996, 52 % des
Vu leur expérience différente, il se peut
programmes qui visent à résoudre les
nouveaux arrivants
également qu’ils soient plus optimistes
problèmes d’une façon qui soit sélecquant à l’avenir que les personnes et
tive mais qui reconnaisse également
d’Ottawa étaient
les familles nées au Canada. L’importance
que différents problèmes précis se
des femmes et
de la « résilience » chez les nouveaux
recouvrent partiellement et, par un jeu
23 % des réfugiés.
arrivants, par rapport aux personnes
d’interactions complexes, font naître le
interrogées nées au Canada, sera un point
risque de sans-abrisme. Par exemple,
de départ important dans l’examen des résultats de la
les conflits familiaux, les violences familiales, la pauvreté
Phase 2, compte tenu de la mesure dans laquelle
et le stress causés par un logement inapproprié ont soudifférents sous-groupes auront réussi à se trouver un
vent été des phénomènes associés (Lenon, 2002). Bien que
logement stable, deux ans après l’entrevue initiale. Parmi
les ressources visant à accroître le nombre de logements
les autres questions devant faire l’objet de recherches
abordables offerts (dans le cadre d’activités en matière de
approfondies, figurent les suivantes. Dans quelle mesure
revenu et d’infrastructure) relèvent clairement de la
les seuls facteurs économiques peuvent-ils expliquer le
responsabilité conjointe des administrations fédérale et
sans-abrisme des immigrants et des réfugiés en comparaison
provinciales, ce sont souvent les municipalités et les
avec les sous-groupes nés au Canada ? Quel rôle joue
organismes sans but lucratif qui en héritent.
l’expérience de la monoparentalité dans le sans-abrisme
Troisièmement, il est urgent de créer des logements
des nouveaux arrivants en comparaison avec les femmes
permanents sécuritaires et abordables dans le cadre de la
nées au Canada ayant des enfants ? Le fait d’être une
revitalisation du secteur de l’habitation sociale. Dans leur
personne appartenant à une minorité visible a-t-il une
dernier rapport sur les politiques sociales et les politiques
incidence néfaste sur les nouveaux arrivants ? Enfin, il est
en matière d’habitation, Carter et Polevychok (2004) ont
important de comprendre les rôles des ministères des
affirmé que :
ordres de gouvernement fédéral et provinciaux ainsi
que des départements des administrations municipales,
[traduction] Avant tout, on peut affirmer que
qui sont quelque peu différents mais qui se chevauchent
les logements sociaux n’existent pas en nombre
certainement, dans l’élaboration des politiques et des
suffisant. Le portefeuille est trop peu important
140
pour permettre de loger efficacement les
nombreuses personnes qui sont mal logées et
trop peu important pour financer efficacement
les autres initiatives en matière de politiques
sociales. […] [P]roportionnellement le Canada
possède l’un des portefeuilles les moins
importants en matière d’habitation sociale
parmi les pays développés. […] [L]’importance
du portefeuille ne permet aucune « équité
horizontale » pour les nombreuses personnes
devant faire face à des problèmes de logement.
Les personnes qui peuvent avoir accès à un
logement social (généralement après une longue
attente) sont dans une situation beaucoup
plus avantageuse que celles qui trouvent un
logement sur le marché privé (2004, p. 35).
Références
AUBRY, Tim, Fran KLODAWSKY, Elizabeth HAY et Sarah BIRNIE. Panel
Study on Persons Who Are Homeless in Ottawa: Phase 1 Results, Ottawa,
Centre de recherche sur les services communautaires, 2003.
BOURNE, L. S. et J. SIMMONS. « New fault lines: recent trends in the
Canadian urban system and their implications for planning and public
policy », Canadian Journal of Urban Research, vol. 12, no 1 (2003),
Supplément : 2247.
CARTER, Tom et Chesya POLEVYCHOK. Housing Is Good Social Policy,
Ottawa, Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques,
Research Report F/50 Family Network, décembre 2004.
CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION CANADA. Profil comparatif des
nouveaux immigrants de la région métropolitaine d’Ottawa : d’après le
recensement de 1996, Ottawa, Recherche et examen stratégiques,
Citoyenneté et Immigration Canada, 2000.
ISRAELITE, N. K., HERMAN, F. A. ALIM, H. A. MOHAMED et Y. KHAN.
Settlement Experiences of Somali Refugee Women in Toronto,
7th International Congress of Somali Studies, Toronto, York University,
10 juillet 1999.
Enfin, il est nécessaire que les administrations
fédérale et provinciales affectent instamment des fonds
à l’amélioration des services sociaux et de santé qui
répondent aux besoins particuliers des nouveaux
arrivants. C’est avec beaucoup de difficulté que les responsables des services offerts à l’ensemble de la population
répondent également aux besoins changeants de leur
clientèle, coincés qu’ils sont entre des budgets provinciaux
et municipaux en diminution et une charge de travail de
plus en plus importante. Il est certainement nécessaire que
les ordres supérieurs des gouvernements accordent une
attention plus grande au problème en question.
LENON, Suzanne. « Living on the Edge: Women, Poverty and
Homelessness in Canada », dans Katherine M. J. McKenna et June Larkin
(éds.), Violence Against Women: New Canadian Perspectives, Toronto,
Inanna Publications and Education Inc, 2002, p. 403-408.
Note
1
141
Certaines réponses à la question posée au début de la Phase 1 de
l’entrevue : « Avant de commencer à vous interroger, nous avons cru bon
de vous donner l’occasion de dire d’abord ce que vous pensez du
problème des sans-abri et quelles mesures pourraient être prises pour les
aider. Y a-t-il une chose précise au sujet de votre situation que vous
aimeriez nous dire? Ne vous en faites pas si rien ne vous vient à l’esprit
tout de suite. Je reposerai cette question à la fin de l’entrevue. » (Panel
sur le sans-abrisme, questionnaire de la Phase 1, 2 octobre 2002).
MÉNAGES IMMIGRANTS
ET SANS-ABRISME
RÉSUMÉ
Les données sur le nombre de personnes et de familles sans-abri au Canada sont difficiles à obtenir et on ne
connaît pas les chiffres exacts. Le sans-abri absolu représente seulement une partie des personnes et des
ménages sans-abri. Des définitions plus générales du sans-abrisme comprennent les sans-abri cachés ou les
personnes qui ont un besoin impérieux de logement. Il est également difficile de dénombrer ces personnes
car plusieurs sont en mesure de dénicher un logement temporaire ou sont hébergées par des amis et des
membres de la famille, ce qui fait qu’elles échappent aux yeux du public. Le sans-abrisme absolu constitue
le meilleur exemple de l’échec des politiques de logement actuelles et des stratégies du marché à fournir un
logement adéquat et abordable à tous les citoyens, mais les politiques de logement doivent également tenir
compte du sans-abri caché. Les nouveaux immigrants sont surreprésentés parmi les sans-abri cachés et leur
situation semble s’aggraver en raison des revenus à la baisse et de la discrimination. Un logement adéquat
est important pour un développement sain et il faut prendre des mesures pour aplanir les désavantages
structurels auxquels les nouveaux immigrants sont de plus en plus confrontés.
L
CITC
RICK ENNS, PH.D., TSI
M. Enns est professeur adjoint à la Faculté de travail social (Edmonton and Access
Divisions), University of Calgary, et adjoint à la recherche du Centre d’excellence des
Prairies pour la recherche en immigration et en intégration.
es données sur l’ampleur du sans-abrisme au Canada proviennent souvent de l’analyse du
nombre de personnes qui se rendent dans les centres d’hébergement pour sans-abri au cours
d’une année ou une journée donnée, alors que des profils instantanés sont réalisés. Dans un
rapport présenté au Conseil municipal de Toronto en juin 1998, on estimait que 28 000 personnes
différentes s’étaient rendues au centre d’hébergement d’urgence de Toronto au cours de l’année
précédente (cité dans Hulchanski, 1998). En 2002, ce nombre a grimpé à 31 985, dont 4 779 étaient
des enfants (Mayor’s Homelessness Action Task Force, 2003). La Ville de Calgary a procédé à un
recensement semestriel des sans-abri depuis 1992. On a dénombré 2 597 sans-abri en 2004, soit une
augmentation de 23 % par rapport à deux ans plus tôt, laquelle faisait suite à des augmentations de
30 % dans les années 1990 (Fédération canadienne des municipalités, 2004). D’après un bulletin
publié récemment sur le sans-abrisme à Ottawa, 8 664 personnes se sont rendues dans les centres
d’hébergement en 2004 (Alliance pour mettre fin au sans-abrisme, 2005). D’après le profil du 15 mai
2001, 14 145 personnes se trouvaient dans les centres d’hébergement pour sans-abri partout au
Canada (Statistique Canada, 2005) et en juin 2003, la municipalité régionale d’Halifax a dénombré
234 sans-abri (Fédération canadienne des municipalités, 2004). Malgré qu’il soit difficile
de mettre la main sur des chiffres définitifs à l’échelle nationale, les gens sont de plus en plus
sensibilisés au problème du sans-abrisme au Canada.
Le sans-abrisme fait partie d’un continuum qui comprend le sans-abri visible ou absolu à une
extrémité et le sans-abri caché à l’autre. Les personnes qui ont besoin d’un logement mais qui choisissent
de ne pas se rendre dans les centres d’hébergement d’urgence, et celles à qui on refuse l’accès aux
centres ou qui en sont exclues pour diverses raisons peuvent être considérées comme des sans-abri
cachés. En outre, les personnes qui ont besoin d’un logement peuvent recourir à diverses stratégies
pour en trouver un, et il se peut qu’elles passent inaperçues si elles réussissent à se trouver un
logement, même insalubre, à court terme. Par exemple, elles peuvent chercher à se loger chez des
membres de la famille ou des amis, ou chercher refuge dehors ou dans des endroits impropres à
l’habitation humaine. D’autres peuvent consacrer une partie disproportionnée de leurs ressources
financières au logement et courir le risque d’être évincées, ou résider dans des logements insalubres
qui devraient être réparés ou même démolis. Même si elles ne figurent pas dans les données
officielles sur le sans-abrisme, ces personnes pourraient être inclues dans les données sur les sansabri visibles si elles se réfugient dans des centres financés par le gouvernement ou un
programme donné, si leur stratégie de logement comprend le recours périodique au centre
d’hébergement ou si d’autres stratégies ont échoué. Le nombre de sans-abri visibles ou absolus a été
utilisé comme mesure indirecte de l’étendue du sans-abrisme au Canada et du succès des stratégies
actuelles pour y remédier. Les définitions récentes du sans-abrisme comprennent le sans-abri caché
et dressent un portrait plus juste des besoins en matière de logement et de la crise de logement
au Canada. Les données sur le sans-abrisme qui tiennent compte des sans-abri visibles ou absolus
permettent de mieux évaluer le succès de la politique canadienne en matière de logement.
142
ménages consacrant plus de 50 % de leur revenu avant
La majorité des Canadiens vivent dans un logement
impôt au paiement du loyer a augmenté de façon
convenable et, de tout temps, l’expérience des immigrants
dramatique. Les locataires semblaient être particulièrement
en matière de logement a été comparable à celle de la
vulnérables aux problèmes d’abordabilité du logement
population non immigrante sur des périodes de 20 à 25 ans.
pendant cette période alors que le nombre de locataires
Toutefois, les nouveaux immigrants sont plus susceptibles
qui utilisent plus de 50 % de leur revenu pour se loger
de figurer parmi les sans-abri cachés que les cohortes
a quadruplé. Les locataires ont été incapables d’absorber
antérieures d’immigrants, et ils sont moins susceptibles de
les coûts de logement exagérément élevés puisqu’ils
surmonter leurs difficultés à trouver un logement.
étaient surtout des personnes jeunes, moins susceptibles
Certains groupes d’immigrants sont aux prises avec des
d’avoir économisé une mise de fonds pour pouvoir
problèmes de logement encore plus graves. Des obstacles
profiter des programmes d’accession à la propriété
primaires et secondaires au logement ont été relevés
financés par le gouvernement, comme celui introduit
ailleurs. Les obstacles primaires sont « des catégories de
en 1990, qui s’adresse aux acheteurs d’une première
différence socialement construites » qui tirent leur
maison et qui exige une mise de fonds
origine de la société dominante. Les
de 5 %. Moore et Skaburskis ont conclu
niveaux de revenu, les sources de revenu
que les problèmes d’abordabilité du
et la discrimination sont considérés
logement pendant cette période étaient
comme des obstacles primaires, tout
D’après le profil
liés à la baisse du revenu et que les
comme le sexe, la culture, la religion
du 15 mai 2001,
ménages les plus gravement touchés
et l’ethnicité. Il est plus facile de surpar ces problèmes étaient ceux au bas
monter les obstacles secondaires, qui
14 145 personnes
de l’échelle des revenus.
comprennent les compétences linguisse trouvaient
Moore et Skaburskis (2004) ont fait
tiques, la connaissance des systèmes
remarquer
que la situation est surtout
de logement locaux, les besoins en
dans les centres
critique pour les ménages consacrant
matière de logement, l’accès à des
d’hébergement
plus de 50 % de leur revenu avant impôt
garants et la connaissance des instituau paiement du loyer et qui sont sous le
tions et cultures locales (Chera, 2004,
pour sans-abri
seuil de faible revenu1. De 1991 à 1996, le
p. 21). L’expérience vécue par les
partout
au
Canada
nouveaux immigrants à la recherche
nombre de ménages dans cette situation
d’un logement sera abordée ci-dessous,
a augmenté de 28 %, passant de 6,4 % à
(Statistique Canada,
du point de vue des niveaux de revenu
8,5 %. Ces ménages ont été aux prises
2005) et en juin 2003, avec des coûts de logement majorés et
à la baisse, d’une plus grande pauvreté
et de la discrimination sur le marché
des revenus à la baisse, particulièrement
la municipalité
de l’habitation. Ces facteurs sont consientre 1991 et 1996, alors que les gourégionale d’Halifax
dérés comme des obstacles primaires à
vernements se sont retirés du secteur du
a dénombré
l’obtention d’un logement de bonne
logement social et ont éliminé des
qualité et abordable.
programmes afin de réduire les coûts et
234 sans-abri
les dettes. Le loyer moyen pour les
(FCM, 2004).
ménages dans cette catégorie a augmenté
Besoins impérieux de logement
de 3,5 % et les paiements des propriéet revenus à la baisse
taires, de 17,4 % pendant cette période,
Approximativement 15,8 % de
alors que les niveaux de revenu pour ces
tous les ménages, ou 1,7 million de
mêmes ménages en 1996 ont chuté de 88 % par rapport à
ménages, ont un besoin impérieux de logement (Carter et
1991. La baisse des revenus des ménages a été le résultat de
Polevychok, 2004). Les besoins impérieux en matière de
la marginalisation de la main-d’œuvre et d’une diminulogement surviennent lorsque les personnes sont incation du nombre de programmes de transfert du gouvernepables de trouver un logement adéquat, convenable ou
ment. Les transferts du gouvernement à ces ménages ont
abordable. Même si le chiffre est moindre qu’au cours
chuté de 10 % de 1991 à 1996, alors que les transferts du
des dernières années, le nombre total de personnes
gouvernement à l’ensemble des ménages ont grimpé de
ayant un besoin impérieux de logement est non néglige20 %. La chute des transferts du gouvernement touche
able, et les familles monoparentales, les ménages
gravement les ménages ayant les revenus les plus bas
autochtones, les personnes âgées et les immigrants sont
puisqu’ils tirent une grande partie de leur revenu des
plus susceptibles de se trouver devant un besoin
programmes de transfert du gouvernement. Les ménages
impérieux de logement.
composés de jeunes adultes, de personnes âgées, de
L’aggravation des besoins impérieux de logement
parents uniques et d’immigrants sont les plus susceptibles
est liée à des problèmes d’abordabilité du logement
de connaître des problèmes d’abordabilité de logement en
plutôt qu’au déclin de la construction de nouveaux logeraison des revenus à la baisse.
ments ou de la disponibilité de logements de qualité.
Les nouveaux immigrants ont été particulièrement
Les problèmes d’abordabilité du logement ont augmenté
touchés par la baisse des revenus mentionnée plus haut.
au cours des vingt dernières années, même si les prix
Ce déclin est en grande partie attribuable à la difficulté de
des logements sont demeurés relativement stables et que
trouver un emploi à temps plein convenable et à la disparité
le coût d’emprunt est remarquablement bas (Moore et
des salaires en entrant sur le marché du travail. Moins de
Skaburskis, 2004). De 1982 à 1999, la proportion des
143
CITC
nouveaux immigrants ont réussi à décrocher un emploi à
temps plein en 2000 que leurs pairs 20 ans plus tôt, et
l’écart entre les salaires des immigrants et les travailleurs
nés au Canada lorsqu’ils entrent sur le marché du travail à
temps plein s’est creusé entre 1980 et 2000. De plus, les
gains associés à des années d’études et d’expérience sur le
marché du travail à l’étranger ont également diminué
pour les immigrants au cours des dernières années. L’écart
de revenu constaté à la fin des années 1990 s’est aggravé si
l’on compare les nouveaux immigrants aux travailleurs
nés au Canada qui possèdent une éducation et des compétences professionnelles semblables. Les immigrants arrivés
au cours des 20 dernières années n’ont pas été en mesure
de combler l’écart de revenu avec les travailleurs nés au
Canada, et les chances que les nouveaux immigrants
atteignent la parité salariale sont relativement minces
(Picot, 2004, p. 30).
Les revenus à la baisse et les occasions d’emploi
restreintes ont contribué à une augmentation du nombre
de ménages immigrants vivant dans une pauvreté
extrême. Picot (2004) a noté que l’incidence du faible
revenu a chuté pour les citoyens nés au Canada pendant
les années 1990, mais a augmenté pour les immigrants,
sans égard à l’âge et à l’éducation, et l’augmentation du
nombre de ménages à faible revenu dans les principales
villes canadiennes au cours des années 1990 a surtout
touché les ménages immigrants. Approximativement
25 % des familles immigrantes se trouvaient sous le seuil
de faible revenu en 1980. Ce nombre a grimpé à 35,8 % en
2000, même si le nombre de personnes nées au Canada et
dont le revenu familial se situait sous le seuil de faible
revenu est passé de 17,2 % en 1980 à 14,3 % en 2000.
L’augmentation du nombre de ménages immigrants se
situant sous le seuil de faible revenu s’est produite malgré
des tentatives réussies d’attirer un plus grand nombre
d’immigrants hautement instruits et de personnes admises
dans la catégorie économique, et malgré la remontée de
l’économie canadienne au cours de la seconde moitié
des années 1990. Il convient de souligner que le taux de
faible revenu parmi les nouveaux immigrants était plus
élevé pour les immigrants détenant un diplôme universitaire. Le taux de faible revenu chez les titulaires de
diplôme universitaire a grimpé de 44 %, passant de 19,1 %
en 1990 à 27,5 % en 2000. Le taux de faible revenu chez les
immigrants n’ayant pas complété leurs études secondaires
a grimpé de 13,1 % au cours de la même période, passant
de 34,3 % à 38,4 %.
Les revenus qui vont en diminuant et une plus
grande pauvreté ont touché les nouveaux immigrants plus
gravement que les cohortes antérieures, et il a été plus
difficile pour les nouveaux immigrants de trouver un
logement adéquat, convenable et abordable. Par
conséquent, beaucoup de nouveaux immigrants ont un
besoin impérieux de logement, et ce besoin est plus grand
que chez les citoyens non immigrants ou chez les immigrants arrivés dans les années 1970, et ils semblent moins
susceptibles de surmonter ces difficultés à la longue.
D’après un recensement effectué en 1996, 39 % des
ménages immigrants arrivés au Canada entre 1991 et
1996, ou 91 000 des 231 000 ménages immigrants, ont un
besoin impérieux de logement. Ce taux est sensiblement
144
plus élevé que le taux de 28 % pour les immigrants arrivés
seulement quelques années plus tôt, entre 1986 et 1990, et
le taux actuel de 16 % pour les familles d’immigrants
arrivées au Canada avant 1976. En comparaison, 17 % de
toutes les familles non immigrantes ont eu un besoin
impérieux de logement entre 1991 et 1996 (Société
canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), 2000).
Semblable à la situation de la population générale, la
situation des familles monoparentales immigrantes est
particulièrement précaire. D’après les données du recensement de 1991 et avant la détérioration des conditions de
logement au cours des années 1990, telle qu’elle a été
indiquée ci-dessus, 65,1 % des familles monoparentales
immigrantes ont eu un besoin impérieux de logement,
par rapport à 39,7 % des familles monoparentales non
immigrantes (SCHL, 1997).
Besoins impérieux de logement et discrimination
Les tendances en matière d’immigration ont beaucoup
changé au cours du dernier quart de siècle, et il semble de
plus en plus évident que les nouveaux immigrants de pays
sources non traditionnels éprouvent davantage de difficultés
à trouver un emploi et un logement adéquats que les cohortes
antérieures ou que les nouveaux immigrants d’autres pays.
Ces difficultés semblent découler de contraintes systémiques
et de formes de discrimination plus évidentes. Dans le
premier cas, des facteurs tels que la disparité salariale, le
piètre rendement des études, la pertinence des études ou de
l’expérience de travail antérieures, les politiques du
gouvernement en matière de logement et de transfert gouvernementaux et des règlements de zonage municipaux
donnent lieu à la ségrégation des ménages immigrants à
faible revenu dans des quartiers précis où se trouvent des
parcs de logements de qualité inférieure. Dans le dernier cas,
les propriétaires peuvent refuser de louer un logement à
certaines familles, ou prétendre que ses logements sont
complets, et les promoteurs peuvent être portés à répondre
aux besoins des ménages à revenu élevé plutôt que de bâtir
des projets de logements mixtes ou de nouveaux parcs de
logements pour les familles à faible revenu.
Les ménages de nouveaux immigrants provenant de
pays sources non traditionnels, comme les Noirs
d’Afrique, ont éprouvé certaines difficultés à trouver un
logement abordable de haute qualité en raison de la
discrimination systémique et interpersonnelle. Danso et
Grant (2000) ont interrogé 103 Africains noirs à Calgary,
en 1991, qui ont été sélectionnés selon des stratégies
d’échantillonnage multiple. Les participants étaient très
éduqués ; en effet, près des deux tiers avaient fréquenté
l’université. Soixante-treize pour cent d’entre eux avaient
un emploi, bien que la plupart étaient sous-employés et
travaillaient à temps partiel. Les participants gagnaient
seulement 58 % du revenu annuel moyen des ménages à
Calgary en 1991 et la majorité avait un besoin impérieux
de logement. Même si leur faible revenu et leur position
précaire au sein du marché du travail ont eu des répercussions négatives sur leur quête de logement, les participants
ont déclaré avoir été victimes de discrimination dans leur
recherche d’un logement adéquat. En effet, les auteurs ont
reconnu que la discrimination est l’obstacle le plus important
auquel sont confrontés les immigrants africains à Calgary.
que les disparités dans les salaires et les occasions offertes
Murdie (2003) a décrit les trajectoires résidentielles
sont peu réjouissantes. Ces résultats appuient les constatades immigrants jamaïcains, polonais et somaliens à
tions d’une étude antérieure, selon lesquelles les Noirs et
Toronto. Trois groupes formés d’environ 60 participants
les Blancs sont traités différemment dans la recherche
ont été choisis à dessein pour étudier les expériences des
d’un logement (Hulchanski, 1997) et que le marché de
nouveaux arrivants jamaïcains et somaliens en tant que
l’habitation tend à diriger les groupes ethniques vers des
membres de minorités visibles et les immigrants polonais
quartiers distincts et plus pauvres (Skaburskis, 1996).
en tant que membres d’une minorité non visible. Les trajectoires résidentielles ont été étudiées au cours de trois
déplacements, incluant le premier lieu de résidence et le
Conclusion
lieu de résidence actuel des participants, afin de voir si les
L’accès à un logement abordable et de qualité est
nouveaux arrivants étaient en mesure de changer de
essentiel au développement sain des enfants et des adultes
logement au gré des différents cycles de vie et des besoins
et doit s’inscrire dans la politique sociale du gouverneconnexes. Murdie a indiqué que, dans
ment afin de promouvoir la santé et le
tous les aspects de l’expérience de logebien-être de tous les citoyens (Carter et
Approximativement
ment, les immigrants polonais sont ceux
Polevychok, 2004). Le logement pour les
qui ont le mieux réussi et les immigrants
immigrants revêt une importance parti25 % des familles
somaliens sont ceux qui ont le moins bien
culière car, en plus de promouvoir le
immigrantes se
réussi. Sept à huit ans après s’être installés
développement sain, il constitue une
au Canada, la moitié de tous les ménages
mesure d’intégration et d’inclusion posttrouvaient sous le
somaliens consacrait plus de 50 % du
migratoire. Même si, à travers l’histoire,
seuil de faible
revenu du ménage au paiement du loyer
les immigrants ont réussi à acquérir un
et 71 % y consacraient plus de 30 %.
logement comparable à celui des citoyens
revenu en 1980. Ce
Approximativement 15 % des immigrants
nés au Canada, les nouveaux immigrants
nombre a grimpé
polonais consacraient plus de 50 % du
sont moins susceptibles de connaître
revenu du ménage au paiement du loyer et
autant de succès et sont surreprésentés
à 35,8 % en 2000,
61 % y consacraient plus de 30 %. Alors
parmi les personnes ayant un besoin
même si le nombre
que la situation des ménages polonais
impérieux de logement. Ce besoin est
ressemblait à celle de la population
apparu malgré le prix des maisons relade personnes nées
générale, les ménages somaliens ont
tivement stable, un faible coût d’emprunt
au Canada et dont
éprouvé des besoins impérieux de logeet l’économie vigoureuse des dernières
le revenu familial
ment beaucoup plus graves, même si un
années. L’abordabilité du logement est le
Somalien sur cinq occupait un poste de
plus grand problème des nouveaux
se situait sous le
gestionnaire ou de professionnel avant
immigrants. Leur statut précaire sur le
seuil de faible
d’immigrer et qu’un tiers avaient commarché du travail et le fait qu’ils dépendent
plété des études universitaires, contre
financièrement des transferts gouvernerevenu est passé
23 % de la population générale de
mentaux, ainsi que la discrimination
de 17,2 % en 1980
Toronto. En outre, le revenu du ménage
dont ils font l’objet sur le marché de
somalien se situait sous la moyenne.
l’habitation et du travail, les désavantaà 14,3 % en 2000.
Soixante pour cent des Somaliens ont
gent sérieusement. Il y a de fortes chances
déclaré un revenu annuel de moins de
que le nombre d’immigrants ayant un
20 000 $, et seulement 2 % ont déclaré un revenu annuel de
besoin impérieux de logement et le nombre de sans-abri
plus de 40 000 $, comparativement à 19 % et 57 % respecaugmentent, à moins que l’on ne remédie à ces problèmes.
tivement pour tous les ménages torontois. En plus des disparités salariales, les immigrants somaliens et jamaïcains
Références
ont été victimes d’une plus grande discrimination que les
ALLIANCE POUR METTRE UN TERME AU SANS-ABRISME. Être
nouveaux arrivants polonais. Les Somaliens ont obtenu
itinérant : premier bulletin sur le sans-abrisme à Ottawa en 2005, Ottawa,
les pires résultats pour huit aspects sur neuf, dont la discriAlliance pour mettre un terme au sans-abrisme, 2005.
mination fondée sur la source de revenu et la
discrimination fondée sur l’immigration, le statut, la race
CARTER, T. et C. POLEVYCHOK, C. Housing is good social policy,
Research Report F50, Family Network, Ottawa, Canadian Policy
et les antécédents ethniques. De plus, les immigrants
Research Networks, 2004.
somaliens et jamaïcains étaient ceux qui ont vécu le plus
grand nombre d’expériences personnelles liées à la
CHERA, S. (2004). The making of ‘home’: Housing as a vehicle for building
discrimination et au racisme.
community among newcomers to Edmonton, Edmonton, Edmonton
Mennonite Centre for Newcomers, 2004.
L’expérience de logement des immigrants et des
réfugiés au Canada n’a pas fait l’objet d’une recherche
DANSO, R. et M. GRANT, « Access to housing as an adaptive strategy for
exhaustive. Si les résultats de la présente étude ne sont pas
immigrant groups: Africans in Calgary », Études ethniques du Canada =
nécessairement applicables à des populations entières ou à
Canadian Ethnic Studies, vol. 32 (2000), p. 19-43.
des villes différentes, les résultats ont quand même permis
FÉDÉRATION CANADIENNE DES MUNICIPALITÉS. La qualité de vie
d’avoir une meilleure compréhension des expériences de
dans les municipalités canadiennes : revenus, logement et nécessités de la
logement de certains groupes d’immigrants au Canada.
vie, Rapport thématique n 1, Ottawa, Fédération canadienne des
L’incidence du racisme sur le marché de l’habitation, ainsi
municipalités, 2004.
o
145
HULCHANSKI, J.D. Homelessness in Canada: 1998 report to the United
Nations, Toronto, Rupert Community Residential Services, 1998.
HULCHANSKI, J.D. Immigrants and access to housing: How welcome are
newcomers to Canada? Présenté lors de la Conférence Metropolis,
Montréal, 1997.
MAYOR’S HOMELESSNESS ACTION TASK FORCE. The Toronto report
card on housing and homelessness 2003, Toronto, City of Toronto, 2004.
MOORE, E. et A. SKABURSKIS. « Canada’s increasing housing affordability burdens », Housing Studies, vol. 19 (2004), p. 395-413.
MURDIE, R. « Housing affordability and Toronto’s rental market:
Perspectives from the housing careers of Jamaican, Polish and Somali
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PICOT, G. (2004). « The deteriorating economic welfare of Canadian immigrants », Canadian Journal of Urban Research, vol. 13 (2004), p. 25-45.
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SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT.
Études spéciales sur les données du Recensement de 1996 : conditions de
logement des immigrants, Le point en recherche, Série socioéconomique
55-3, Ottawa, 2000.
SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT. Les
conditions socioéconomiques et de logement des familles immigrantes :
profil tiré du Recensement de 1991, Le point en recherche et développement, Série socioéconomique, no 33, Ottawa, 1997.
STATISTIQUE CANADA. Population dans les logements collectifs,
par provinces et territoires, Recensement de 2001, Ottawa, recherché le
28 mars 2005, www.statcan.ca/francais/Pgdb/famil62a_f.htm
Note
Les ménages se situant sous le seuil de faible revenu et qui consacrent
plus de 50 % de leur revenu avant impôt au paiement du loyer ont été
exclus si le chef de famille est un étudiant à temps plein ou un propriétaire qui n’a pas d’hypothèque.
CITC
1
146
73e Congrès de l’ACFAS
12 mai 2005
8 h 30
La capitale nationale du Québec pourra-t-elle
maintenir sa place sur l’échiquier démographique
du Québec ?
8 h 45
Le déclin démographique et l’offre de services
d’Emploi-Québec
9 h 30
Expériences favorisant le retour des jeunes en
régions périphériques
9 h 45
MigrAction, une stratégie globale d’intervention
pour atteindre un bilan migratoire positif chez les
jeunes au Saguenay-Lac-St-Jean
Lumières sur la recherche • du 9 au 13 mai 2005 • www.acfas.ca/congres/
C-306 Les Amériques imaginées.
Nouvelles sociabilités et communautés
dans les Amériques (colloque)
• Licia Soares DE SOUZA, UQAM
• Raphaël CANET, INRS-UCS
12 mai 2005
9 h 30
Divers aspects des socialités propres aux
Amériques : quelques propositions pour définir
le concept de« socialité ».
FISETTE, Jean, UQAM
10 h 00 L’affect comme fondement de la communauté :
gage de solidité ou danger de dérive ?
BERGERON, Gino, UQAM
11 h 00 Les contre-discours autochtones de la gouvernance globale de la biodiversité
GOYETTE, Christian, INRS-UCS
11 h 30 Altermondialisation et recomposition identitaire :
vers de nouvelles stratégies d’action dans les
Amériques
CANET, Raphaël, INRS-UCS
12 h 00 Mouvements sociaux globaux, discours et
reconnaissance identitaire des Amériques au sein
de la sphère publique transnationale
SANTOS BOTELHO, Juliana UQAM
14 h 00 L’intégration continentale par le baseball dans
The Great American Novel de Philip Roth
NAREAU, Michel, UQAM
14 h 30 Espaces du littéraire et espaces romanesques :
la littérature comme lieu d’une sociabilité
transaméricaine
10 h 50 Des citoyen-ne-s et des saltimbanques : My Paris
de Scott et O Cidadán de Mouré
MOYES, Lianne, Université de Montréal
11 h 20 Ici et là (lecture déboussolée): Apikoros Sleuth de
Robert Majzels
IMBERT, Patrick, Université d’Ottawa
HAREL, Simon, UQAM
MORISSET, Jean, UQAM
17 h 30 Les pratiques de sociabilité comme facteur
d’autonomisation de la littérature autochtone
au Québec
DESTREMPES, Hélène, Université de Moncton
13 mai 2005
9 h 00
Le Brésil et la lusophonie
APPARECIDA DE ALMEIDA, Maria José, UQAM
9 h 30
Le changement dialogique : enjeux et contraintes
de la pratique de la communication dans le
domaine des conflits pour l’appropriation des
ressources naturelles en Bolivie
GONZALES, Norma, UQAM
10 h 00 La géopolitique métropolitaine à Mexico :
les tendances d’un mouvement radical
DE ALBA, Felipe, INRS-UCS
11 h 00 Americanidad, américanité, americanidade et
l’absence d’ « americanity » : vers la cartographie
d’un concept
BAHIA, Marcio, Université d’Ottawa
12 h 00 Images contemporaines de l’américanité : Brésil,
EEUU et Canada
NEVES RAMOS, Ana Rosa, Universidade Federal da Bahia
12 h 30 Imaginer l’Amérique lors de son cinquième
centenaire
CYR, Claudine, INRS-UCS
C-316 Autres voix du dedans :
la littérature anglo-québécoise (colloque/atelier)
• Martine-Emmanuelle LAPOINTE, Université McGill
• Catherine LECLERC, Université Moncton
13 mai 2005
9 h 30
La mort à Montréal: bilinguisme et décadence
dans Barney’s Version de Mordecai Richler
HAMEL, Yan, Université de Montréal
10 h 00 Trahir l’histoire. Filiations et lieux de mémoire
dans trois romans de David Homel : Electrical
Storms, Sonya and Jack et The Speaking Cure
LAPOINTE, Martine-Emmannuelle, Université McGill
GIRARD, Patrick, Regroupement Action Jeunesse 02
10 h 45 Point de vue 1
DESROSIERS, Lawrence, Développement économique et
régional Québec
LANE-MERCIER, Gillian, Université McGill
15 h 00 Le théâtre anglo-montréalais : état des lieux, 2005
MALABORZA, Sonya, Université de Moncton
15 h 50 Le chant des médias et le chant des caisses
enregistreuses: la réception des écrivains
anglophones par le lectorat québécois
HOMEL, David, UNEQ
10 h 55 Point de vue 2
DUFF, Hervé, Développement économique Canada
11 h 05 Point de vue 3
LECLERC, Yvon, Journal Réseaux
11 h 15 Point de vue 4
PROULX, Marc-Urbain, UQAC
C-408 Aux frontières de la communauté :
pratiques sociales, identités politiques et mobilisation
au 21e siècle (colloque/atelier)
10 mai 2005
9 h 15
Comment penser l’individuation et la politisation
des cultures après la critique de l’essentialisme ?
MACLURE, Jocelyn, Université Laval
9 h 45
11 h 25 Point de vue 5
RINGUET, Michel, UQAR
C-506 L’enseignement du français et l’approche
culturelle : perspectives didactiques (colloque)
• Pierre-André TREMBLAY, UQAC
• Geneviève NOOTENS, UQAC
• Noëlle SORIN, UQTR
• Suzanne-G. CHARTRAND, Université Laval
09 mai 2005
8 h 45
La construction de compétences culturelles en
lecture pour les élèves en difficultés : quelle
didactique pour quelsapprentissages ?
9 h 15
Former un lecteur lettré : vecteur fondamental de
l’intégration à la culture seconde
9 h 45
Le partage des savoirs, entre enseignant et
stagiaire, sur l’approche culturelle de
l’enseignement en contextede mise en œuvre
d’une réforme du curriculum
Intégration européenne et agrégation des
demandes. Vers un nouveau modèle représentatif.
DUTOIT, Laurent, UQAM
CANVAT, Karl, IUFM de Lorraine
10 h 15 La difficile (ré)articulation du sujet politique
THÉRIAULT, Joseph-Yvon, Université d’Ottawa
10 h 45 Design communautaire et revitalisation des identités personnelles et communautaires amérindiennes
RICHARD, Suzanne, Université de Sherbrooke
KAINE, Elisabeth, UQAC
16 h 30 Les espaces anachroniques de l’expérience
américaine. À propos de V.S. Naipaul
17 h 00 Entre Franco-Amérique et Amérique créole...
le rêve du Brésil dans une géopolitique de l’imaginaire à travers nos désirs de sociabilités partagés
LEBLANC, Patrice, UQAT
POIRIER, Christine,Université McGill
14 h 30 Le rôle des écrivains-traducteurs dans l’invention
d’une littérature anglo-québécoise : Philip
Stratford, Gail Scottet David Homel
MARINHO, Marcelo, UQAM
16 h 00 Hybridités et caméléons : identités inachevées et
désirs changeants
ROULEAU, Louis-Mari, Emploi-Québec Bas St-Laurent
LECLERC, Catherine, Université de Moncton
14 h 00 Abords d’une discipline : la littérature québécoise
comparée
MORENCY, Jean, Université de Moncton
15 h 00 Culture, communauté et identité chez Guimarães
Rosa : variations autour du mythe du jagunço
LETARTE, Georges, Gestion Georges Letarte
C-419 L’avenir démographique des régions
(colloque/atelier)
• Pascale BEAUPRÉ, Statistique Canada
• acques LEDENT, INRS-UCS
DEMOUGIN, Patrick, IUFM de Montpellier
11 h 00 Le roman historique : lieu d’appropriation de la
culture et de l’interculturel
11 mai 2005
9 h 00
PORTELANCE, Lilliane, Université du Québec à
Trois-Rivières
10 h 30 Enseigner le français et la littérature : du
linguistique à l’anthropologique
Prospective régionale en l’absence de vitalité
démographique démographique, un nouveau
défi pour l’aménagementdes territoires des pays
THUMERELLE, Pierre-Jean, Université des sciences et
technologies Lille
10 h 30 La migration interrégionale au Québec : tendances récentes et impacts futurs
GIRARD, Chantal, Institut de la statistique du Québec
ANDRÉ, Dominique, Institut de la statistique du Québec
THIBAULT, Normand, Institut de la statistique du Québec
POULIOT, Suzanne, Université de Sherbrooke
11 h 30 Du texte au réel : la question des savoirs dans
l’interprétation
BEDOIN, Évelyne, IUFM d’AMIENS CENTRE DE LAON
13 h 30 L’approche culturelle et l’enseignement de la
lecture: un modèle à redéfinir
PIERRE, Régine, Université de Montréal
14 h 00 Le rapport à la culture des étudiants en
enseignement du français : analyse et perspective
SIMARD, Denis, Université Laval
FALARDEAU, Érick, Université Laval
10 h 45 L’avenir démographique régional et l’offre de
main-d’œuvre
LÉTOURNEAU, Esther, Institut de la statistique du Québec
THIBAULT, Normand, Institut de la statistique du Québec
GIRARD, Chantal, Institut de la statistique du Québec
11 h 30 Nouvelle vue sur la géographie de la population
en région périphérique : le cas du Saguenay LacSaint-Jean
GAUTHIER, Majella, UQAC
BRISSON, Carl, UQAC
11 h 45 La démographie estrienne, réalités et tendances
14 h 30 Le développement de la compétence culturelle
dans la formation initiale des enseignants de
français au secondaire: état d’une expérience à
visée intégrative
DEZUTTER, Olivier, Université de Sherbrooke
MANSEAU, Sylvain, Université de Sherbrooke
THOMAS, Jean-Pierre, Université de Sherbrooke
15 h 15 Langue et identité culturelle : représentations
des futurs maîtres
GERVAIS, Flore, Université de Montréal
MOTTET, Martine, Université de Montréal
BERNARD, Jacques, Emploi Québec Estrie
13 h 30 La dynamique spatiale de l’économie canadienne
(1971-2001) et l’avenir des régions périphériques
québécoises
POLÈSE, Mario, INRS
SHEAMUR, Richard, INRS
15 h 45 Étude des microprocessus d’élaboration d’une
intersubjectivité entre une enseignante et desapprenants dans une situation de révision textuelle
BALSLEV, Kristine, Université de Sherbrooke
13 h 45 État de santé et accès aux services de santé :
dénote-t-on des disparités entre les régions du
Québec ?
CHOINIÈRE, Robert, Institut national de santé publique
du Québec
14 h 30 Qui veut partir ? Qui veut rester ? Caractéristiques
des adolescents selon leur désir d’enracinement au
Saguenay-Lac-Saint-Jean
GAUDREAULT, Marco, Cégep de Jonquière
LABERGE, Luc, Cégep de Jonquière
PERRON, Michel, Cégep de Jonquière
BLACKBURN, Marie-Ève, Cégep de Jonquière
VEILLETTE, Suzanne, Cégep de Jonquière
14 h 45 La réversibilité du phénomène migratoire chez les
jeunes : possibilités et limites
GAUTHIER, Madeleine, INRS
CÔTÉ, Serge, UQAR
147
16 h 45 Didactique de la distance et de la proximité dans
les acquisitions culturelles au collège et au lycée
LANGLADE, Gérard, IUFM Midi-Pyrénées
10 mai 2005
8 h 45
Imaginaires collectifs et apprentissage du
lire/écrire : que faire du stéréotype ?
9 h 15
L’harmonisation des cultures cible et source
dans l’enseignement médiatisé du français langue
seconde, que duvirtuel ?
DUMONT-DEMOUGIN, Françoise, IUFM de Montpellier
DE SERRES, Linda, Université du Québec à Trois-Rivières
9 h 45
Rapports à l’écriture, posture auctoriale et
ouverture culturelle
LEBRUN, Marlène, IUFM Aix - Marseilles
10 h 30 L’approche culturelle de l’enseignement du
français et pratiques enseignantes au secondaire
14 h 20 Une tradition qui dure dans un French Heritage
Community : Mardi gras à l’Anse Lejeune
LARAOUI, R’kia, Université du Québec à Rimouski
11 h 00 Parler, penser : culture artistique et scientifique
à l’école maternelle française
LE CUNFF, Catherine, IUFM de Bretagne
11 h 30 Elèves nouveaux arrivants en France (ENAF) non
ou peu francophones et l’acculturation à l’écrit
dans les pratiqueset les instruments des maîtres
de soutien linguistique
• Michèle VATZ-LAAROUSSI, Université de Sherbrooke
9 h 00
L’immigration en région rurale : l’expérience
récente de Trois Pistoles
9 h 20
Des immigrants à Thetford Mines : l’emploi
oui, mais...
9 h 40
L’importance de la sensibilisation du milieu
dans un projet de développement local d’accueil,
d’intégration et derétention d’immigrants dans
des zones semi rurales
DRAINVILLE, Isabelle, Université de Sherbrooke
LACELLE, Nathalie, Université du Québec à Montréal
C-602 Durabilité de nos communautés : de nouvelles
ressources et de nouveaux défis (colloque)
• Dean LOUDER, Conseil de la vie française en Amérique
• Rodrigue LANDRY, Université de Moncton
12 mai 2005
8 h 30
Apport de l’immigration internationale à la
durabilité démographique des populations
francophones du Canada
9 h 30
10 h 50 Regard sur des écrivains immigrants et leurs
œuvres : des écrits porteurs d’histoires migratoires
locales etinternationales
RACHÉDI, Lilyane, Université de Sherbrooke
11 h 10 Québec-Haïti, littérature transculturelle et souffle
d’oralité: la parole de Marie-Célie Agnant
ROCHON, Hélène, Université Laval
ÉTONGUÉ-MAYER, Aménophis, Université d’Ottawa
GUIMOND, Laurie, Université d’Ottawa
LEFEBVRE, Marie, Université d’Ottawa
GILBERT, Anne, Université d’Ottawa
13 h 30 Femmes colombiennes et solidarités dans
l’immigration
PARENT, Roger Faculté Saint-Jean
FORGUES, Eric, Université de Moncton
GIRAUD, Sylvie, Université de Moncton
PARIS, Mario, Université de Moncton
13 h 50 Le défi du revenu de travail : évolution des
disparités entre francophones et anglophones
au Nouveau-Brunswick, 1970-2000
LECLERC, André, UMCE
14 h 20 Appartenance et vitalité communautaire: le cas
de Moncton
LEFEBVRE, Marie, Université d’Ottawa
GUIMOND, Laurie, Université d’Ottawa
ÉTONGUÉ-MAYER, Aménophis Université d’Ottawa
GILBERT, Anne, Université d’Ottawa
13 mai 2005
8 h 30
Enquête postcensitaire sur la vitalité des minorités
de langue officielle (2006) : un outil utile pour
aider à cer-ner les défis auxquels font face les
minorités francophones
MARMEN, Louise, Statistique Canada
9 h 00
L’enquête postcensitaire de 2006 sur la vitalité
des minorités de langue officielle: son potentiel
analytiquecomme outil de mesure et de
compréhension des défis
Au-delà de la résistance : un modèle conceptuel
de la revitalisation ethnolangière
LANDRY, Rodrigue, Université de Moncton
10 h 30 Le Carrefour des francophones d’Amérique
(CVFA): réalisations récentes et projets d’avenir
DESROCHERS, Jean-Louis, CVFA
11 h 00 Une ressource collective pour des communautés
minoritaires francophones durables: le centre
scolaire-communautaire en Acadie et ailleurs
au Canada
VELEZ, Beatriz, Université d’Antioquia
13 h 50 Être femme, être homme colombien-ne dans un
contexte interculturel en Estrie
ARANGO, Juan Ovidio, Université de Sherbrooke
GIRALDO, Zanet Patricia, Université de Sherbrooke
14 h 10 Deux immigrantes racontent leur parcours de
créatrices en musique
CARIGNAN, Nicole, UQAM
LEBLANC, France, UQAM-IREF
15 h 00 Les accords d’immigration fédéral-provincial et la
régionalisation de l’immigration au Canada
GARCEA, Joseph, University of Saskatchewan
15 h 20 Politique fédérale et réalité locale : critique du
discours ambiant sur les Autochtones du Canada
15 h 40 Diversité ethnique, revendications identitaires et
politiques municipales : un cadre d’analyse
théorique et méthodologique
POIRIER, Christian, Université Laval
16 h 00 Les étudiants étrangers dans diverses villes
moyennes du Canada: politiques d’accueil et
paradoxes
ST-PIERRE, Stéphanie, Université Laurentienne
13 h 40 Représentation sociale du Canada français et des
Canadiens français dans le discours médiatique
enOntario français, de 1965 à 1998
MUNOZ, Marie, CLSC Côte-des-Neiges
DONGIER, Pierre, CLSC Côte-des-Neiges
RACINE, Guylaine, Université de Montréal
HAGE, Merdad
13 h 20 L’identité assignée du statut d’immigration
précaire et l’accès aux services publics de santé :
la construction sociale de l’exclusion
OXMAN-MARTINEZ, Jacqueline, Université McGill
HANLEY, Jill, Université libre de Bruxelles
13 h 40 Emploi et précarité. Trajectoires différenciées de
jeunes immigrants récemment arrivés au Québec
MONGOMERY, Catherine, Université McGill
FORTIN, Marie-Noëlle, CLSC Côte-des-Neiges
FOURNIER, Barbara, CLSC Côte-des-Neiges
ISSERI, Jean, Carrefour Jeunesse Emploi de Côte-desNeiges
MCALL, Christopher, Université de Montréal
14 h 00 Table ronde
TREMBLAY, Louise, Université du Québec à Montréal
14 h 40 Intervention en contexte interethnique : quand
culture et limitation fonctionnelle s’en mêlent !
PENAFIEL, Teresa, Association multi-ethnique pour
l’intégration
15 h 00 Représentations des femmes réfugiées : regard sur
le travail fait au Centre international des femmes
du Québec
ADAM-VÉZINA,Émilie, CLSC Côte-des-Neiges
15 h 20 La « double étrangeté ». L’intervention
interculturelle auprès des personnes vivant
des problèmes en santémentale
RODRIGUEZ, Lourdes, Université de Montréal
DROLET, Marie,
LEBLANC, Jocelyne,
VEILLETTE, Annie,
15 h 40 Table ronde
SAILLANT, Francine, Université Laval
16 h 00 Mot de la fin Première journée
RHÉAUME, Jacques, Université du Québec à Montréal
17 h 00 Pièce de théâtre
N’DEJURU, Radegonde, Solidarité femmes africaines
CORMODE, Lisa, Trinity Western University
13 mai 2005
16 h 20 Les réseaux de soutien locaux et transnationaux
des Maghrébins montréalais et sherbrookois :
avantages et désavantages
8 h 30
Mot de bienvenue
LENOIR, Annick, Immigration et métropoles
8 h 50
De la normalisation à la particularisation.
Comment des pédiatres donnent sens à la différence (culturelle) et àleur activité professionnelle
17 h 20 Immigration et minorités : la nouvelle diversité
de la Bulgarie
RHÉAUME, Jacques, Université du Québec à Montréal
KRASTEVA, Anna, Nouvelle Université Bulgare
C-607 Les représentations de l’autre dans l’intervention :
pour éthique de l’altérité (colloque/atelier)
LEANZA, Yvan, Université McGill
ROSENBERG, Ellen, Université McGill
9 h 10
L’altérité dans la rencontre de pédopsychiatrie
transculturelle: réflexions sur les vécus d’altérité
entreles membres d’une même famille et les échos
de ces vécus en
9 h 30
L’espace clinique comme espace social : culture,
ethnicité et jeu des représentations
• Marguerite COGNET, CLSC Côte-des-Neiges
• Spyridoula XENOCOSTAS, CLSC Côte-des-Neiges
12 mai 2005
8 h 30
8 h 50
Éthique et altérité : de quelle éthique et de quelle
altérité ?
RHÉAUME, Jacques, Université du Québec à Montréal
9 h 10
NADEAU, Lucie, Hôpital de Montréal pour enfants
Mot de bienvenue
COGNET, Marguerite, Centre de recherche et de
formation, CLSC Côt
XENOCOSTAS, Spyridoula, Centre de recherche et de
formation, CLSC Côt
MALENFANT, Valérie, Université Laurentienne
13 h 20 La femme gardienne de la tradition? Une étude
comparative des pages féminines en Ontario et
au Québec dans l’après-guerre
12 h 10 Accueil et santé : au-delà des frontières
GÉLINAS, Claude, Université de Sherbrooke
ALLAIN, Greg, Université de Moncton
11 h 30 Des politiques gouvernementales à l’écoute
des nouvelles générations en Ontario français,
1969-1978
COGNET, Marguerite Centre de recherche et de
formation, CLSC Côt
GUZIN LUKIC, Nada, Université Laval
CORBEIL, Jean-Pierre, Statistique Canada
9 h 30
MORISSETTE, Karine, Université Laval
11 h 50 Table ronde
BOUCHER, Colette, Université Laval
11 h 30 Jean Éthier-Blais et le questionnement identitaire
par rapport à l’oeuvre d’Alice Parizeau
11 h 50 L’inclusion culturelle : les immigrants dans l’espace muséal et patrimonial de la ville de Québec
13 h 20 La revitalisation économique des communautés
de langue officielle en situation minoritaire : le cas
de RDÉE Canada.
11 h 30 L’interprétariat : un espace possible de médiation
interculturelle au carrefour des représentations
VATZ LAAROUSSI, Michèle, Université de Sherbrooke
L’immigration comme ressource de la francophonie torontoise
L’échange interculturel: une approche interdisciplinaire
TREMBLAY, Louise, Université du Québec à Montréal
BROUILLET, MICHEL ISIS,
RHÉAUME, Jacques, Université du Québec à Montréal
LAQUERRE, Marie-Emmanuelle
QUIMPER, Éric, Université de Sherbrooke
10 h 00 L’immigration en milieu rural : s’ouvrir à la
différence ou chercher la ressemblance ?
CASTONGUAY, Charles, Université d’Ottawa
9 h 00
11 h 10 Représentations de la relation à l’autre dans
l’intervention interculturelle : quand la différence
passe par le tiers
TORO LARA,Juan Manuel, Université de Sherbrooke
DUBOIS MARCOIN, Danielle, INRP
14 h 30 L’éducation cinématographique : culturelle et
transdisciplinaire Québec-France-Belgique
10 h 50 Table ronde
FORTIN, Sylvie, Université de Montréal
11 mai 2005
FOURTANIER, Marie-José, IUFM Midi-Pyrénées
14 h 00 Lire La petite Sirène à l’école, de la maternelle à
l’université. Comment organiser le dialogue
entre« culture de masse » et « culture lettrée » ?
KANOUTÉ, Fasal, Université de Montréal
HOHL, Janine, Université de Montréal
XENOCOSTAS, Spyridoula, CLSC Côte-des-Neiges
DUONG, Laetitia, Université de Montréal
C-603 Immigration, mondialisation, localismes (colloque)
COURALLY, Sylvie, IUFM d’Auvergne
13 h 30 Pratiques scolaires, pratiques culturelles des élèves
: le lien intégrateur de la fiction
10 h 30 « Les mots pour le dire et pour intervenir » :
expérience de formation interculturelle
LOUDER, Dean, CVFA
Éthiques, altérités et politiques de l’étranger
SAILLANT, Francine, Université Laval
10 h 10 Au nom de la culture: réflexion sur un usage
inflationniste du terme en intervention, en santé
et en service social
COGNET, Marguerite Centre de recherche et de
formation, CLSC Côt
LAFRENIÈRE, Sylvie, UQAM
14 h 00 Floribec, R.I.P
CITC
TREMBLAY, Rémy, INRS-UCS
148
FORTIN, Sylvie, Université de Montréal
LAPRISE, Elisha, Hôpital Sainte-Justine
9 h 50
Table ronde
MONGOMERY, Catherine, Université McGill
10 h 30 Synthèse des deux journées
RACINE, Guylaine, Université de Montréal
MONTGOMERY, Catherine, Université McGill
COGNET, Marguerite, Centre de recherche et de
formation, CLSC Côt
XENOCOSTAS, Spyridoula, Centre de recherche et
de formation, CLSC Côt
11 h 30 Mot de clôture
RHÉAUME, Jacques, Université du Québec à Montréal
Le Programme d’études sur la migration et la diversité fut lancé officiellement à
l’automne 2002. Élaboré à partir des connaissances tirées de la recherche ainsi
que de l’expérience des décideurs et des intervenants de la communauté, les
cours sont offerts aux fonctionnaires des trois paliers de gouvernement et aux
responsables d’ONG. Faisant appel à des méthodes confirmées de transfert de
connaissances, ces cours permettent aux employés d’avoir accès à des experts,
à du matériel didactique et à des occasions d’études adaptées à leurs besoins.
www.institut.metropolis.net
Nos diverses cités :
migration et diversité
en transit
du 17 au 21 octobre 2005
Toronto, Canada
Pour en savoir plus :
www.international.metropolis.net

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