Khosrow et Shirin dans la miniature persane
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Khosrow et Shirin dans la miniature persane
Khosrow et Shirin dans la miniature persane « Le dévoilement de la femme fait l'objet d'un épisode fameux de Khosrow et Shirin de Nezâmî : Khosrow observe secrètement Shirin se baigner dans une rivière, au milieu d'un paysage solitaire et isolé. Ces illustrations sont les rares miniatures contenant un nu, bien que le corps de Shirin soit voilé par un pantalon ample et son buste généralement caché par ses bras ou ses cheveux. La stupeur de Khosrow devant la beauté de Shirin s'apparente à l'étonnement de l'âme devant une manifestation divine ou dans une extase. L'érotisme discret de cette image instaure un jeu symbolique avec son spectateur. Shirin ne voit pas Khosrow et ne se sait pas observée, puisqu'elle lui tourne le dos, si bien que le peintre l'a toujours représentée de face ou de troisquarts. Shirin est en quelque sorte placée entre Khosrow, qui la regarde du fond de la scène, et le spectateur de la miniature, qui peut la contempler sans risquer d'être découvert, et qui voit aussi Khosrow regardant sans être vu, selon un jeu de miroir typique de la miniature et de l'art persan. la composition de la scène transforme le spectateur en voyeur, et ce voyeurisme préfigure la vision de la beauté nue de Dieu. Au centre de toutes les attentions, Shirin est le miroir de beauté, dans lequel Khosrow et le spectateur contemplent leur propre essence désirée et leur propre identité amoureuse. Là réside le secret de l'amour : dans la beauté de l'être aimé, l'amant ne voit pas un autre que Dieu; il se voit lui-même en tant qu'objet et sujet de l'Amour. Khosrow voit dans Shirin la Beauté qu'il est en Dieu, de même que Madjnun voyait dans Leyla une présence de la Beauté qui l'aime. Hallâj fut condamné à mort pour avoir dit : "Je suis la vérité" ; il aurait aussi pu dire : "Je suis la Beauté". La fin de l'amour entre l'homme et la femme n'est pas l'union humaine, mais la réunion avec Dieu. L'infini est la beauté et l'amour communs du couple, la conjonction des opposés et la sublimation de tous les rapports. Pour s'épanouir, toute relation amoureuse doit s'ouvrir à l'Amour divin qui est la relation suprême et la résolution des dualités amant-amante. » Patrick Ringgenberg : La peinture persane Editions Les Deux Océans, 2006