GESTION DES RISQUES LIES AUX INFRASTRUCTURES CEIS

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GESTION DES RISQUES LIES AUX INFRASTRUCTURES CEIS
CEIS
GESTION DES RISQUES
LIES AUX
INFRASTRUCTURES
Pour une approche renforcée des
risques d’exploitation
Eric Schmidt et Michel de Gliniasty
Les notes tratégiques
Policy Paper
Mars 201
Les notes tratégiques
Policy Papers – Research Papers
GESTION DES RISQUES LIES
AUX INFRASTRUCTURES
Pour une approche renforcée des risques d’exploitation
Eric Schmidt
Conseiller du Président de CEIS
Avec le concours de
Michel de Gliniasty
Membre du comité stratégique, CEIS
.
2
MANAGEMENT DES
RISQUES
ÉTUDES ET
SOLUTIONS
STRATÉGIQUES
1
CEIS
L'intelligence de
l'information
3
INNOVATION 128
AFFAIRES
PUBLIQUES ET
COMMUNICATION
4
Les idées et opinions exprimées dans ce document n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas
nécessairement la position de la Société CEIS.
Introduction
Plus de 100 personnes prisonnières des décombres suite à l’effondrement d’un
immeuble à Lahore (Pakistan) en février ; un immeuble de près de vingt étages
s’écroule dans le centre de Rio de Janeiro (Brésil) en janvier faisant 20 morts ; 3
morts à Montreuil en 2011 dans l’effondrement d’un immeuble, 4 blessés à Elbeuf en
2009 ; écroulement d’un pont en Andorre, d’un parking aux Pays-Bas ainsi qu’à
Mantes-la-Jolie en 2011… dans l’actualité, la liste des accidents et des victimes est
longue.
Dans tous les cas de figure, la gestion du risque est une responsabilité partagée qui
incombe
à
tous
les
responsables
des
infrastructures,
gouvernements,
administrations, partenaires du secteur privé, concepteurs et gestionnaires. Si la
gestion des risques est une pratique solidement établie au sein des secteurs de
l’assurance, du génie civil et des finances, il est clair cependant qu’elle manque de
maturité dans la façon dont elle est appliquée au fonctionnement courant des
infrastructures.
Il est, en effet, surprenant de constater que la prévision de la menace potentielle sur
une infrastructure est maximisée, puis intégrée à sa conception, mais pas à son
fonctionnement. La confiance se substitue alors à la prudence. La prévision de la
menace est conceptuelle dans la définition des infrastructures. Comme si elle se
suffisait à elle-même, elle occulte le suivi des risques associés à son exploitation.
Cette dialectique constitue un risque supplémentaire pour la sécurité des usagers et,
plus largement, des populations voisines. Elle suppose dès aujourd’hui une rupture
de paradigme.
Prévision de la menace, prévention des risques
et gestion de l’urgence
Que ce soit sous l’angle de la prévention, de la protection ou de la réparation, la
sécurité est aujourd’hui perçue comme un droit. L’éradication des risques est un
objet politique : chaque nouvelle technique recommandée ou imposée, chaque loi,
règle ou norme procède de cette logique « sécuritaire », dont la conquête se décline
également sur le plan de la réparation des dommages subis ou de l’organisation des
secours face aux dangers traditionnels ou nouveaux.
On retrouve cette approche dans l’industrie nucléaire en France, notamment face à
des risques exogènes tels que la sismicité. Celui-ci est analysé à travers la définition
d’une menace, en l’occurrence le tremblement de terre. Dans une logique
probabiliste, cette menace est historicisée afin de définir un étalon maximal
d’intensité, lequel est ensuite augmenté afin de dégager une marge de sécurité. Cet
écart surévalué par rapport à l’intensité maximale de la menace est pondéré par le
coût économique de la réponse apportée qui doit être considérée, in fine, comme
socialement acceptable. C’est la méthode économique coût/avantage. Ce processus
d’évaluation des aléas sismiques, puis l’utilisation de critères pénalisants pour la
démonstration de la tenue des bâtiments et installations, définit la norme acceptable
économiquement et socialement et préside à la conception parasismique.
Scientifiquement, cette stratégie est ancrée dans les stratégies d’analyse des
risques. Pour logique, raisonnée et raisonnable qu’elle soit, elle n’en reste pas moins
partielle pour deux raisons :
 Cette norme n’a d’autre valeur et de limite que l’état de nos connaissances à
un instant t ;
 Elle n’envisage qu’un seul facteur initiateur. Même si l’ensemble des
conséquences possibles de cette menace sont pris en compte et palliés à
travers la redondance des systèmes, cette analyse exclut la simultanéité de
plusieurs risques. Toute crise ne se déclenche qu’à travers la concomitance
catastrophique de phénomènes qui pris isolément sont parfaitement gérables.
Enfin, pour ne pas être politiquement correct, il nous faut bien avouer que cette
stratégie repose parfois à tort sur la confiance accordée à l’analyse des risques et
aux calculs de conception des infrastructures. Or la confiance dans les ingénieurs ne
peut pas être absolue. L’effondrement du terminal 2 E de l’aéroport Charles-deGaulle, le 23 mai 2004, en est une parfaite illustration.
Sur le site de Cadarache, le séisme de Lambresc en 1909, d’une intensité de 6,2 sur
l’échelle de Richter, constitue la menace de référence. Outre la conception des
infrastructures, les moyens mis en œuvre sont de trois ordres :
 Les procédures automatisées de mise en sécurité de certaines installations,
ce qui suppose qu’il n’y aurait pas d’autre défaillance simultanée de ces
systèmes ;
 L’instrumentation sismique du site, laquelle a pour objet d’étalonner l’évolution
potentielle de la menace qui, dans l’état de nos connaissances, est assez peu
prédictive ;
 Les plans d’urgence, et donc a posteriori.
La stratégie consiste donc à définir l’aléa et à y répondre par la conception (« by
design »), en se plaçant clairement dans un processus linéaire de type prévention,
organisation des secours, réparation, répression.
Plus étonnant encore de cette absence de prévention en phase de fonctionnement et
de ce bond presque dialectique vers la gestion des urgences, réside dans les
constats faits postérieurement à la gestion des situations d’urgence. Lorsque des
analyses post-crise sont effectuées, les experts dévoilent régulièrement –et pour les
crises parfois les plus surprenantes– la série de dysfonctionnements parfaitement
traçables ayant conduit à la catastrophe.
A ce stade de la réflexion, il serait cependant parfaitement injuste de stigmatiser
l’industrie nucléaire. Seul le niveau de risque associé à la maîtrise de l’énergie
nucléaire explique l’intérêt porté à la philosophie de sa gestion des risques. Pourtant,
ce secteur est illustratif d’une logique qui domine l’ensemble de la gestion courante
des infrastructures publiques. C’est l’arbre qui masque la forêt.
Pour une approche renforcée des risques
d’exploitation
Postérieurement à la réception des ouvrages, l’évaluation de la tenue au risque des
infrastructures fait défaut et, avec elle, le suivi de l’ensemble des risques endogènes
liés à l’exploitation.
Or, au-delà de la responsabilité des concepteurs et des financeurs, la question qui
intéresse les usagers est celle de leur sécurité lors de l’utilisation des infrastructures
publiques.
En effet, comment comprendre que la législation ait à ce point évolué ces dernières
années pour protéger les personnes des risques domestiques (incendie, électricité,
plomb, amiante, termites…), alors qu’une certaine libéralité s’exerce encore en ce qui
concerne les infrastructures publiques ? Cette intrusion, probablement bénéfique,
dans l’univers privé n’a pas trouvé son prolongement dans l’espace collectif, alors
même que les risques y sont démultipliés en raison de leur impact sur un plus grand
nombre d’individus.
Faute de stratégie de maintenance préventive à long terme, ou simplement faute de
budget, certains événements internes à une infrastructure, tels que la détérioration
physique ou la défaillance d’éléments d’actif, sont occultés. Il est pourtant possible
de prédire et de déterminer la détérioration jusqu’au point de la défaillance et l’état
des éléments d’actif : c’est la catégorie de risque qui est la plus prévisible et la plus
facile à gérer. Les risques opérationnels découlent des normes de conception, des
politiques de gestion, du comportement de l’exploitant et des pratiques d’entretien. Ils
sont souvent traités à travers des procédures contractuelles servant à transférer la
responsabilité et un certain niveau de risque à des entrepreneurs ou à des
fournisseurs de services.
Le potentiel de défaillance des infrastructures ou la réduction du niveau de service
peut augmenter selon l’âge et l’état. Ce risque provient de la détérioration des
infrastructures. Il commence le jour de la mise en service de ces dernières. Cette
catégorie de risque est la plus prévisible et la plus facile à gérer efficacement. C’est
toutefois celle qu’il est le plus facile de laisser de côté ou de différer, surtout dans le
cas où les finances sont limitées, lorsqu’il est possible de trouver des priorités dans
l’immédiat.
Sur certains types d’ouvrage, une surveillance est d’ores et déjà appliquée, comme
par exemple pour les ponts métalliques. Elle est cependant limitée dans la mesure
où elle s’opère sous la forme d’inspections régulières, plutôt qu’en continu des
structures. Discontinue dans le temps, cette surveillance est aussi limitée car elle
s’attache aux signes visibles de faiblesse ou de vieillissement de ces infrastructures.
Contrairement à de nombreux autres pays, la France n’a pas fait du suivi quotidien
de ses infrastructures une priorité. Pourtant, certaines d’entre elles sont dans un état
de décrépitude avancé et devraient être mises à jour ou remplacées, dans un
contexte de rareté des fonds publics : les barrages hydroélectriques sont au nombre
de celles-ci, parmi d’autres. Or ces projets de remise à niveau connaissant souvent
des dépassements de délais et de coûts et font l’objet de toutes les spéculations qui
accompagnent ce genre de problème.
Pourtant, le suivi permanent des risques structurels et de la réponse des
infrastructures aux risques endogènes et exogènes, loin de constituer une charge
financière, offre des solutions dont les gains indirects sont sous-estimés.
1. En premier lieu, le suivi temps réel par une métrologie adaptée constitue une
aide décisionnelle, dans une double perspective de performance globale et de
sécurité des usagers. Deux exemples en sont la démonstration :

Lors de la rénovation de la gare Saint Lazare, les principaux points de
convergence des forces du bâtiment ont été surveillés en temps réel par
des cordes optiques transmettant, en temps réel par wifi, les signaux de
leurs variations et déformations. Cette technique signée OSMOS a permis
d’assurer la continuité du service public de transport des voyageurs en
toute sécurité.

Cette même technique a permis de prédire, avec 7 jours d’avance,
l’effondrement du parking souterrain d’un centre commercial à Heerlen aux
Pays-Bas. Grâce à cette aide décisionnelle, le parking a été évacué sans
qu’aucune victime ni dégât corporel ne soient à déplorer.
2. Deuxième aspect, la connaissance de la résistance aux contraintes d’une
infrastructure
permet
de
mettre
en
œuvre
une
planification
des
investissements, en fonction de leur état réel. En effet, les indices visuels
d’une dégradation esthétique ne traduisent pas nécessairement une faiblesse
structurelle. Et l’inverse peut se traduire par une situation de risque avérée.
Seule une métrologie précise permet d’établir ce diagnostic différencié. A
partir des résultats apportés, la maintenance d’une infrastructure peut être
gérée de façon pertinente, en termes de génie civil, et pluri-annuelle, d’un
point de vue budgétaire.
L’ensemble de ces cas montre à quel point la surveillance renforcée des
infrastructures est une nécessité, et pas uniquement lors des périodes d’édification,
de modernisation ou de remise à niveau.
Pour une approche cognitive et politique
En effet, il est souhaitable que les programmes de gestion des infrastructures
publiques incluent des procédés permettant de comprendre et de gérer le risque
associé à l’acquisition et au fonctionnement des infrastructures, ainsi qu’aux
investissements planifiés.
Pour mettre en pratique la réduction du risque dans le cadre d’une stratégie de
gestion des infrastructures, il est essentiel d’élaborer des politiques qui seront
compréhensibles, abordables et acceptables à tous les niveaux de son exploitation. Il
s’agit d’un changement de paradigme consistant à rompre avec le sentiment
d’incrédulité (« cela ne peut arriver ») et avec la logique de réduction du risque en
lieu et place d’une surveillance active.
Le risque qui provient de l’exploitation des infrastructures ne peut être évalué ou géré
quand il n’existe aucune politique de validation de l’inventaire de l’actif et de
détermination de l’état physique général et des performances des éléments d’actif.
Les procédures de conception, de construction et d’exploitation des infrastructures
peuvent, en effet, influer sur le risque de défaillance. En plus de comprendre les
niveaux de service attendus, le gestionnaire d’une infrastructure accueillant du public
doit donc connaître les performances de ses infrastructures.
Le Structural Health Monitoring (SHM), ou Surveillance d’Intégrité des Structures
(SIS), consiste en la surveillance en temps réel ou à intervalles réguliers de l’intégrité
d’une structure (détection de fissure ou de corrosion). C’est une méthode permettant
d’obtenir en continu des informations sur la capacité de fonctionnement des
ouvrages de construction et de leurs éléments. Elle permet de déceler à temps des
endommagements, tels que par exemple des fissures ou de trop fortes déformations,
sur les ouvrages d’infrastructure et de prendre ainsi les mesures nécessaires avant
qu’une catastrophe ne se produise. Les technologies, principalement issues du
Contrôle Non Destructif (CND), intègrent ou collent à la structure des capteurs,
permettant
une
surveillance
suivie
et
reproductible
pouvant
s’effectuer
éventuellement en service et sans nécessiter d’intervention humaine.
Les technologies de SHM permettent de suivre l'état de dégradation d'une structure à
partir de mesures de contraintes. Le but est permettre la localisation des défauts sans
avoir recours à un modèle. Le système se base sur un réseau de capteurs mesurant
les déformations dynamiques de la structure en temps réel et le développement
d'une stratégie de traitement de signal et de décision basée sur des outils
statistiques.
Les technologies existent. A travers des brevets d’analyse de la diffraction de la
lumière dans des cordes optiques, la France est même leader mondial dans ce
domaine. La Corde Optique est, en effet, capable de suivre les propriétés statiques
(phénomènes lents, vieillissement d’ensemble) et dynamiques (phénomènes rapides,
sollicitation de service).
Cette gestion du risque opérationnel offre d’énormes possibilités de minimiser
l’exposition au risque grâce à des politiques et à des pratiques de gestion
judicieuses. Cependant, la faible probabilité et les conséquences importantes d’un
échec sont très sensibles aux problèmes liés à la baisse de vigilance. La partie
conséquences importantes est souvent oubliée dans l’équation. L’évaluation de l’état
proactif et de la performance, et l’inspection des infrastructures à intervalles
réguliers, voire en temps réel, ainsi que les protocoles d’exploitation peuvent réduire
l’exposition au risque. Les programmes d’entretien préventif visant à réduire la
probabilité d’une défaillance ou d’une diminution de la performance sont eux aussi
nécessaires.
Dans toute circonstance qui expose une organisation ou une infrastructure à un
niveau de risque élevé en termes de sécurité des usagers, celle-ci doit mettre en
œuvre des décisions dont le coût est abordable et qui permettent de réduire les
risques à des niveaux tolérables, en supprimant tout risque d’atteinte à l’intégrité de
la personne. Ni l’analyse de la réduction du risque (méthode prédictive), ni la
surveillance permanente d’une infrastructure (SHM) n’empêcheront jamais un
bâtiment de s’effondrer. Mais la certitude est que la seconde stratégie en minimisera
les effets et les contiendra au niveau strictement matériel. A ce titre, il est regrettable
que la seule littérature accessible sur le SHM soit d’origine étrangère, principalement
américaine, canadienne, belge ou suisse…
Cette approche devrait pourtant être menée prioritairement par les assureurs et par
les politiques. En effet, la connaissance réelle et en temps réel des risques se
substituerait à une estimation probabiliste de ces mêmes risques. Tous auraient à y
gagner pour répondre par l’affirmative à l’inévitable question post-accidentelle
les notes tratégiques
Déjà parus :
L’assistance militaire à des armées étrangères, l’avenir de
l’action indirecte
Military and Security Assistance for foreign partners : the
future of Indirect action
Gestion des risqué liés aux infrastructures
A paraître prochainement :
Politique et numérique, la question de la légitimité
Compagnie Européenne d’Intelligence Stratégique (CEIS)
Société Anonyme au capital de 150 510 € - SIRET : 414 881 821 00022 – APE :
741 G
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