Des enfants juifs en Vendée, Chavagnes 1942
Transcription
Des enfants juifs en Vendée, Chavagnes 1942
Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous Par Dominique michonneau Quand Chavagnes ca des enfants juif J ustesDeux-Sèvres des En Deux- Sèvres, une jeune fille juive d’une dizaine d’années n’hésita pas, pour sauver ses “parents de guerre”, à sortir de sa cachette. La Niortaise Yolande Roy-Turcat, l’une des filles de ce couple de Justes (Marcelle et Georges Roy), s’en rappelle : “Nos parents ont été médaillés à titre posthume en 2001. Ma mère connaissait la maman modiste de Simone Fénal, une gamine juive de 8 ans que nous avons accueillie avec sa cousine, Denise Minc-Géant, à Granzay-Gript, au moment des rafles de Juifs. Puis début 1944, sans doute sur dénonciation, les gendarmes de Beauvoir-sur-Niort furent chargés de récupérer Simone. Mon père nia sa présence, et les gendarmes voulurent l’emmener. Simone était cachée, elle sortit et se livra pour le sauver. Mon père, résistant, avertit un ami, le docteur Dupont, qui fit immédiatement un certificat pour Simone, soi-disant porteuse de la diphtérie, ce qui était faux. Les Allemands redoutaient les maladies contagieuses. Simone fut hospitalisée au pavillon Pasteur de l’hôpital de Niort, gardée devant sa chambre. Beaucoup plus tard, elle a pu être récupérée saine et sauve. Nous sommes d’ailleurs toujours en relation.” Le département des Deux-Sèvres compte treize Justes, dont Suzanne Raynaud, à la retraite à Montfort-surArgens (Var). La Fondation pour la mémoire de la Shoah recense quelque 2 725 Justes en France, un chiffre en augmentation, puisque la Fondation reçoit de nouveaux témoignages régulièrement. Le 18 janvie À Chavagnes-en-Paillers, sous l’Occupation, plusieurs dizaines d’enfants juifs ont été sauvés par des habitants. Jeudi 18 janvier dernier, ces Justes entraient au Panthéon. Jean Rousseau, historien, nous raconte ce courage discret. “A lors que disparaissaient nos familles naturelles dans la fumée des trains précédant celle des fours crématoires, d’autres familles, ici à Chavagnesen-Paillers, nous ouvraient grand leur bras et leurs cœurs.” Un demisiècle plus tard, cette petite phrase de David Fuchs, l’un des enfants juifs de Paris qui trouva refuge dans ce petit village du bocage vendéen, en dit long sur le courage et le rôle de celles et ceux reconnus, depuis, comme Justes parmi les Nations (lire ci-contre). On recense seize Justes en Vendée, à ce jour, dont quatre sont toujours en vie : Angéline Thibaudeau à Benet, Georges Bodin aux Sables-d’Olonne, MarieÉlise Roger à Chavagnes – mère d’accueil, entre autres, de David Fuchs – et Suzanne Mathieu-Guim- RACINES 20 bretière, convoyeuse des enfants, domiciliée aujourd’hui à Arcachon (Gironde). David Fuchs vit aujourd’hui à Paris. C’est l’un des survivants de la barbarie nazie qui témoignent dans le livre de Jean Rousseau, consacré à l’extraordinaire sursaut de solidarité mis en place à Chavagnes-en-Paillers(1). Exemple unique Grâce à un réseau organisé entre des structures juives de Paris, la Résistance, et des familles d’accueil de Chavagnes, plusieurs dizaines d’enfants échappèrent à l’Occupant, surtout à partir de la rafle du Vel d’Hiv (juillet 1942). En Vendée, mars 2007 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine anvier dernier, les Justes morts ou vivants de France entrent au Panthéon. d’autres petits réfugiés furent cachés aux Brouzils, Longèves, Nieul-surl’Autise, Saint-Georges-de-Montaigu ou Saint-Pierre-le-Vieux : “À ma connaissance, l’exemple de Chavagnes est au moins unique dans l’Ouest de la France”, précise Jean Rousseau, retraité de l’Éducation nationale, et maire de Saint-GillesCroix-de-Vie de 1977 à 1995. “C’est époustouflant à quel point les Chavagnais ont fait preuve de discrétion, comme les membres d’un réseau cloisonné, pour acheminer les enfants dans le village. Il a fallu que s’écoulât un demi-siècle, pour qu’un premier signe de rappel soit donné à la mémoire. Au fil du temps, l’habitude du silence a pu insensiblement remplacer la contrainte de se taire”, raconte l’enseignant. 32 enfants “En 1994, Gustave et Moïsette Raffin avaient reçu la Médaille des Justes, à l’Assemblée nationale, pour l’hébergement de quatre petites filles juives à Chavagnes. Puis en 1997, Odette Melspajz-Meyers publia un livre, aux États-Unis, dont Jeudi 18 janvier 2007, les Jusune partie y raconte son séjour. Les tes survivants de France et leurs langues se sont déliées. Marie-Élise enfants “adoptifs” juifs étaient inviRoger fut honorée en 1999, puis tés au Panthéon à Paris, à la céréArmande Chauvet en 2001. J’ai monie émouvante en leur honneur, retrouvé le passage de 32 enfants présidée par Simone Veil, présidenjuifs à Chavagnes, mais il y en a eu te de la Fondation pour la mémoicertainement davantage, sans doute re de la Shoah, et Jacques Chirac. parce qu’ils passaient plus facileL’entrée des Justes de Franment inaperçus avec les ce au Panthéon, reconnus enfants français hébergés Justes ou non(2), a été symdéjà dans ces familles d’accueil. Certaines ne l’ont peutbolisée par une inscription être jamais su”, poursuit dévoilée dans la crypte : Jean Rousseau. “Sous la chape de haine et “À Chavagnes, des Allede nuit tombée sur la Franmands étaient soignés dans ce dans les années d’Occule petit séminaire réquisitionpation, des lumières, par Jean né. Il a fallu aux instigateurs Rousseau, milliers, refusèrent de s’éteinbeaucoup d’adresse et de dre. Nommés "Justes parmi auteur culot, mais aussi beaucoup de les Nations" ou restés anonyd’un livre discipline de la part des mes, des femmes et des homconsacré enfants dans la vie de tous les mes, de toutes origines et de aux enfants jours, pour ne pas être trahis.” toutes conditions, ont sauvé juifs de De Paris, et à Chavagnes où des Juifs des persécutions Chavagnes. elle réside aussi, la résistante antisémites et des camps Hélène de Suzannet faisait la liaison d’extermination. Bravant les risques avec le maire Gilbert de Guerry et encourus, ils ont incarné l’honneur son fils, mais aussi le docteur Gabriel de la France, ses valeurs de justice, Foucaud, liens privilégiés avec les de tolérance et d’humanité.” familles ou l’école religieuse. La France est le seul pays, avec David Fuchs, âgé alors de 10 le Danemark, où les Juifs ont eu la ans, se souvient avec émotion de vie sauve dans la plus grande prosa maman d’adoption : “Ma sœur portion. était dans une autre famille du vil(1) Des enfants juifs en Vendée, lage. Nos parents avaient été Chavagnes, 1942-1944 (Centre vendéportés en 1942. Nous avons déen de Recherches historiques), 213 d’abord été hébergés chez une pages illustrées. 20 €. En librairie ou au 02 51 47 74 49 (2,50 € de port). tante à Paris, puis envoyés chez Marie-Élise Roger, début 1944, qui (2) www.yadvashem-france.org et www.fondationshoah.org me gâtait comme son enfant. Depuis, j’ai mes racines à Chavagnes, où je suis redevenu heureux et libre, sans étoile jaune. Aujourd’hui, Marie-Élise est aussi la grandmère de nos enfants !” Pour Marie-Élise, rien de plus naturel : “Les Allemands étaient dans le village. Il fallait se méfier, et être discret, c’est tout ! Tous ces enfants avaient souffert. Ils avaient besoin de En 1999, à Chavagnes, David Fuchs (à gauche) beaucoup d’amour. Pour lui, avec d’autres enfants juifs, et au premier plan : j’étais sa maman de guerre.” les “mamans”, Marie-Élise Roger et Armande Chauvet. RACINES 21 mars 2007 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine (Coll. D. Fuchs) uifs (photo CVRH) cachait (Didier Plowy pour le Ministère de la Culture et de la communication) Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous