LES POLITIQUES PUBLIQUES
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LES POLITIQUES PUBLIQUES
Association Française de Science Politique Groupes « Politiques publiques » et « Local et Politique » Journée d’étude les 15 & 16 juin 2006 à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble LES POLITIQUES PUBLIQUES A L’EPREUVE DE L’ACTION TERRITORIALE -----communication de : Pierre-Antoine LANDEL Entre politique publique et action publique : l’ingénierie territoriale 1 Entre politique publique et action publique : l’ingénierie territoriale Pierre-Antoine LANDEL Maître de Conférences Institut de Géographie Alpine UMR PACTE-Territoires [email protected] L’émergence de l’ingénierie territoriale révèle l’actualité du développement territorial. Elle accompagne une évolution des pratiques institutionnelles qui tendent à transformer le mode de management des collectivités territoriales, en y introduisant des règles de fonctionnement gestionnaires développées en entreprise. A l'échelle nationale, le principe de distinction tend à devenir un des facteurs prépondérant de l'organisation de l'espace. La fragmentation des territoires qui en résulte, à l’image d’une marqueterie qui paverait l’ensemble de l’espace national, accompagne la re-légitimation du local. On peut toutefois s’interroger sur les logiques qu’elles révèlent du point de vue de la production des biens collectifs. Malgré l’extrême diversité des modèles, notre hypothèse est qu’ils s’inscrivent dans le mouvement général de mise en concurrence des territoires, au travers d’une recherche de spécificité et d’attractivité. En réponse à la standardisation, la spécification des ressources des territoires, permet une adaptation aux processus de mondialisation. La question posée porte sur le sens de ce processus de rationalisation et de technicisation au regard de la territorialisation des politiques publiques. Ainsi en France, nous observons la disparition du Commissariat au Plan et le rôle de plus en plus restreint et technique de la DATAR, devenu récemment la Délégation Interministérielle à l'Aménagement et la Compétitivité des Territoires. Sur le plan de la recherche française, les travaux développés autour de l'expression d'intelligence territoriale confirment les hypothèses précédentes. Ce phénomène transforme le système de représentation locale en diluant la dimension politique de la société dans des jeux d’acteurs complexes. Il nous amène à poser la question de leur place et de leur rôle dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques définies à différentes échelles. A partir d’une pratique professionnelle dans les collectivités territoriales et le développement local, il semble possible de témoigner du parcours qui a conduit à la notion d’ingénierie territoriale. Le développement local et la territorialisation des politiques publiques ont une histoire, et il est intéressant d’observer la succession des questionnements et des références partagées qui partant de l’ingénierie publique aboutissent à l’ingénierie territoriale. Une autre entrée consiste à tenter une caractérisation de l’ingénierie territoriale, tant au niveau des processus de sa formation, qu’au niveau des acteurs qui la développent. Enfin, ces deux approches nous amèneront interroger les termes et conditions des débats politiques développés autour des projets de territoires. En conclusion, nous nous interrogerons sur les conditions dans lesquelles s’opère le passage de la politique publique à l’action publique. 2 1) De l’ingénierie publique à l’ingénierie territoriale Parmi les disciplines d’application des politiques publiques, l’ingénierie publique occupe une place importante. Après des décennies de mise en place, qui ont abouti à la construction de corps administratifs stables, les dernières années ont été l’occasion d’une mutation importante qui aboutit à l’ingénierie territoriale. 1-1 Au départ, l’ingénierie publique au service d’une politique publique L’ingénierie publique s’est développée en parallèle au développement des besoins de l’Etat et des collectivités territoriales, dont une part importante ne bénéficiait pas de concours de services techniques spécifiques. Plusieurs éléments pouvaient caractériser cette ingénierie. Elle restait dominée par des objectifs de services publics, que traduisaient des conditions simples d’accès aux services, la continuité du service, mais aussi sa capacité à évoluer au gré des mutations technologiques en faisant appel aux meilleures formations de la République. La notion d’intérêt général constituait la référence de bien des textes. Les corps constitués pour sa mise en œuvre mettaient en évidence des postures professionnelles hiérarchisées et homogènes, susceptibles de répondre aux impératifs de planification et d’aménagement définis par l’Etat central. Elle s’inscrivait dans un schéma relativement simple, au sein duquel la demande sociale restait contrôlée par le pouvoir politique, aux niveaux centraux et locaux. La définition des objectifs des politiques de développement résultait d’un processus associant élus et techniciens dans un dialogue plus ou moins équilibré, la définition et la mise en œuvre des réalisations restant souvent le fait du corps technique doté de compétences reconnues, mais aussi de redoutables capacités d’autojustification. 1-2 : la naissance de la fonction publique territoriale : au départ, une réplique des services de l’Etat A partir de 1982, l’installation des nouveaux exécutifs régionaux ou départementaux est marquée par la constitution d’équipes techniques dotées de moyens humains et financiers. Soucieuses de leur indépendance et attachées à la reconnaissance de leur capacité d’autonomie, les collectivités se construisent sur la base de domaines de compétences définis par la loi. Ce cadre permet la mobilisation des ressources fiscales et des dotations de l’Etat, accompagne la redéfinition des services publics et laisse le champ à l’émergence de nouvelles solidarités. L’enthousiasme et la disponibilité nécessaires à la construction de structures nouvelles compensaient les défaillances techniques et organisationnelles. Au départ, la référence reste celle d’un positionnement vis à vis des services de l’Etat. L’observation des organigrammes des services départementaux et régionaux en témoigne. Ceux-ci sont très souvent construits sur la structure en râteau de l’administration préfectorale, subdivisés en directions, services, bureaux etc. L’évolution des champs d’intervention et les alternances politiques justifient la multiplication des niveaux. C’est ainsi qu’après 20 ans de décentralisation départementale, il n’est pas rare de voir apparaître des organigrammes à 6 niveaux hiérarchiques. La structuration de la Fonction Publique territoriale en filières spécialisées reflète cette référence à L’Etat, comme modèle à la construction des cadres de la décentralisation. Un autre indice peut être celui de la pénétration des corps de l’Etat dans les métiers de direction des départements et des régions. (THIBAULT DE SILGUY, 2003). 3 Cette étape n’est pas circonscrite aux années 1982-1985. On peut trouver les mêmes ressorts lors du développement des intercommunalités, après la loi Marchand de 1994, puis la loi Chevènement de 1999. Il s’agit de tenter de circonscrire des domaines de compétence, et de créer de nouveaux outils pour les exercer. Si la référence n’est plus nécessairement celle des services de l’Etat, de nombreuses similitudes apparaissent avec les collectivités importantes telles que les départements. La notion d’intérêt communautaire qui vise à différencier clairement les compétences relevant des intercommunalités de celles qui restent exercées par les communes confirme cette approche de la décentralisation conçue comme un essai de fractionnement de compétences, exercées par des collectivités intervenant sur des territoires clairement délimités, sur lesquels s’affirme une autorité. 1-3 Un nouveau savoir faire indispensable : la médiation entre niveaux de compétence. Dés 1985, de nouvelles références communes apparaissent au travers de la mise en œuvre des programmes de développement régionaux européens, et plus particulièrement des Programmes Intégrés Méditerranéens développés par la Commission européenne dans les Régions du Sud concomitamment à l’élargissement de la CEE à l’Espagne et au Portugal. Ces programmes constituent un outil d’observation de la régionalisation des politiques européennes, et de l’organisation des différents niveaux d’intervention autour de ces politiques. A contrario des approches sectorielles qui caractérisent la décentralisation, le terme dominant est celui de l’intégration. Pour l’Europe, il s’agit de permettre l’intervention simultanée des 3 fonds structurels (FEOGA, FEDER, FSE). Pour l’Etat, l’objectif est de mobiliser les contreparties correspondant à l’ampleur des crédits européens, en articulant ses interventions à celles des Régions, des Départements, des communes voire aux chambres consulaires et d’autres partenaires. Les interventions doivent en outre s’inscrire dans des logiques de filière, et se concentrer sur des espaces définis, tout d’abord, en terme de handicaps. La recherche de la cohérence territoriale, portée par les impératifs d’intérêt général, reste une référence partagée. La nécessité de comprendre les mécanismes européens, la complexité de montage des programmes et la recherche des contreparties financières induisent des besoins de soutien technique, qui favorise l’émergence de besoins en expertise, de plus en plus externalisés et confiés à des bureaux d’étude. De plus, au travers de ces programmes, l’Europe impose pour la première fois la mise en place de processus d’évaluation. Cette décision permet de dater la construction de compétences dans le domaine de la définition, de la coordination et de l’évaluation des politiques publiques territoriales, encore balbutiantes à l’époque. Au delà de leur impact en terme d’infrastructures et de développement économique, ces politiques de développement régional vont poser la question de l’articulation entre les compétences des différents niveaux d’intervention. A l’époque, plusieurs problèmes peuvent être identifiés. Le premier est relatif à la multiplication des zonages. A côté des zonages institutionnels « donnés », apparaissent des zonages « prescriptifs », définis par différents échelons d’intervention, selon les handicaps constatés et la nature des projets accompagnés. Cette multiplication s’applique également au nombre d’acteurs impliqués, ainsi qu’à l’évolution des modes d’intervention. Ces premiers éléments de complexité accompagnent une perte des références dans la répartition des compétences entre les différents échelons d’intervention. Le principe de spécialisation se dilue. Les collectivités sont amenées à intervenir dans tous les domaines, et ce malgré les principes de répartition des compétences définis par la loi. Les contrats de plan illustrent ces déséquilibres. Conçus pour mobiliser les 4 moyens de l’Etat et des Régions sur des objectifs partagés, ils deviennent peu à peu des outils entraînant les collectivités à sortir de leurs domaines classiques d’intervention. Cette situation induit, à la fin des années 1980, l’émergence de nouvelles stratégies en terme de conduite de l’action publique territorialisée. Deux d’entre elles s’opposent nettement. o La différenciation par la norme La première consiste pour chacun des niveaux d’intervention à multiplier les normes et les règles qu’il secrète. Alors que les textes de loi accompagnent théoriquement la décentralisation d’une différenciation des niveaux d’intervention, la réalité montre que les collectivités s’emparent de tous les champs de compétence, parfois par choix, le plus souvent par injonction de la part de l’Etat, qui fait à nouveau preuve de sa formidable plasticité. En réponse à cette confusion des rôles, les collectivités développent des modes d’agir spécifiques, qui se traduisent par la multiplication de règles et de normes permettant d’identifier leur contribution au sein d’un projet. Ainsi se construit la représentation négative d’une décentralisation résultant d’un empilement des niveaux d ‘intervention, d’autant plus inarticulés que les clivages de nature politique induisent une différenciation des façons d’agir plus qu’une recherche de réponse à la demande sociale (CALAME-2005). La multiplication des conventionnements entre des partenaires de nature très diverses (Etat, collectivités, associations, entreprises …) une façon d’agir commune. Il n’y a plus de hiérarchies entre les partenariats, et le pouvoir résulte plus d’une capacité à coordonner des normes hétérogènes que d’une compétence réelle susceptible de répondre à une demande sociale. Une seconde stratégie consiste à introduire le management par objectifs dans les modes de faire des collectivités. o Le management par objectifs : La remise en cause du principe de spécialisation, et des approches sectorielles qui y sont liées, remettent en cause nombre de façons d’agir. Nombre de collectivités modifient leurs modes d’intervention, construite à partir de services sectoriels. La notion de projet devient omniprésente : il s’agit d’inscrire l’action publique dans une logique articulée intégrant des situations complexes et évolutives. La définition d’une politique repose sur le triptyque « problèmes posés, objectifs, solutions », au travers duquel la mission du technicien évolue radicalement : de détenteur de savoirs lui permettant de définir la solution répondant au mieux à un problème donné, il devient un expert susceptible d’intégrer la complexité territoriale. L’expertise porte sur l’acquisition des savoirs faire permettant d’intégrer l’action publique dans le cycle vertueux de l’action publique territorialisée : l’identification de la demande sociale locale, la prise en considération de cette demande par les élus, l’appui à la définition précise des objectifs, l’étude de toutes les solutions possibles permettant de les atteindre, l’adéquation objectifs/solutions, la recherche de partenariats, la réalisation en conformité aux normes budgétaires, réglementaires et temporelles, l’évaluation, constituent autant de champs possibles d’intervention du pouvoir politique, de l’intervention technique et de l’expertise. Les organigrammes sont révisés, les profils de poste précisés, et les processus d’évaluation des agents intègrent leur capacité à atteindre des objectifs fixés annuellement. A côté de la permanence de logiques de service, la logique de projets s’impose comme le référent essentiel ; autour duquel les acteurs vont articuler leurs interventions. L’agent territorial y trouve l’opportunité d’afficher une spécificité au regard de l’agent de l’Etat. Il y trouve aussi 5 une possibilité de positionnement par rapport à l’élu, qui conserve sa capacité de décision à différentes étapes du processus. De plus en plus, s’affirme une fonction de définition de la commande pour des missions qui seront réalisées au sein ou en dehors de la collectivité. La délégation de services publics devient à partir de 1993 un mode d’intervention courant, son champ d’intervention et ses modalités de mise en œuvre sont définies au travers de la loi. 1.4 Le Projet de territoire C’est au travers de la politique des pays mise en oeuvre dés 1995 au travers de la loi Pasqua, renforcée la loi Voynet de 1999, que s’affiche la notion de projet de territoire. A côté des territoires institutionnels donnés, ils apparaissent comme des constructions d’acteurs multiples, qu’ils soient publics et privés, sur un espace donné doté de ressources spécifiques, le plus souvent en réponse à un ou des problèmes plus ou moins bien formulés (PECQUEUR2000). La construction de ces ressources territorialisées s’oppose à « d’hypothétiques ressources, traditions et savoir-faire ancestraux, quasiment fixés par la nature » (BRUNET2005). Le fait que la loi fasse référence au projet comme élément constitutif du territoire, traduit la nécessité des sociétés postindustrielles de fonder leur identité dans leur capacité d’initiative. La notion de projet permet aussi aux acteurs des territoires d’exprimer leur intentionnalité. En articulant la définition d’objectifs à la mobilisation des ressources permettant de les atteindre, il oblige les acteurs du territoire à renouveler leurs modes de débattre et d’agir. Au-delà des dérives pathologiques caractéristiques de la démarche de projet (BOUTHINET-2001), elle reflète la capacité des territoires à proposer des modes d’adaptation aux processus de la mondialisation, au travers d’une individualisation des parcours et d’une spécification des ressources. En cela, le projet s’inscrit dans le mouvement de mise en compétition des territoires, leur permettant d’échapper aux conséquences de l’homogénéisation. Le projet implique un contenu spécifique, non reproductible d’un territoire à un autre du fait de la spécificité de leur contenu, de l’organisation qui le porte et des différentes temporalités qui les caractérisent (GAREL G., 2003). La construction des pays pose des problèmes inédits, en particulier en terme de gouvernance au sens de l’organisation et de la répartition des responsabilités entre les acteurs. Il s’agit tout d’abord de créer les conditions d’une coopération entre acteurs publics et privés sur un territoire. En second lieu, l’objectif est de permettre l’action de différentes collectivités sur des territoires différents de leurs domaines d’intervention habituels. Emerge un nouveau type de pouvoir : celui que développe un acteur coordinateur, afin de permettre aux différents intervenants « classiques » de transcender les normes et règles d’intervention qu’ils ont secrétées pour intervenir sur un territoire sur la base d’objectifs partagés. Doté de capacités de coordination et de hiérarchisation des interventions, les porteurs du projet de territoire acquièrent une légitimité à contractualiser avec différents intervenants. La terminologie émergente est celle de la médiation. La démarche est peu à peu affinée, au travers de la définition du projet de territoire, pour laquelle 4 types de compétences sont identifiées : le diagnostic de territoire, la prospective territoriale, la contractualisation et l’évaluation. De multiples représentations mettent en évidence la complexité de ces constructions territoriales (DEBARBIEUX, VANIER, 2002) 6 La construction des savoirs liés à la réalisation de ces opérations est balbutiante. La littérature reste confidentielle ou difficilement accessible, à l’exception du domaine de l’évaluation. L’expertise se développe de façon diffuse sans que ne puisse être organisée, hormis quelques exemples ponctuels, le dialogue entre les bureaux d’étude et les centres de recherche. Ceux ci développent leurs activités scientifiques, sans production d’outils susceptibles d’accompagner la construction et développement des territoires, à l’exception de l’émergence d’équipes qui inscrivent résolument leurs interventions dans le domaine de la recherche-action. Nombre de réseaux émergent et se recoupent à différents niveaux : européen, national, régional 2) L’ingénierie territoriale : un nouveau cadre de l’action politique territoriale ? Le développement des projets de territoire s’accompagne de l’émergence de nouvelles problématiques et compétences. Parmi celles ci, sont souvent mises en avant les exigences de transversalité, la capacité à coordonner des acteurs multiples, l’aptitude à la médiation entre des niveaux de compétences différents et la connaissance des systèmes de normes générés par chacune des institutions. C’est dans ce contexte de complexité qu’émerge le terme d’ingénierie territoriale. Il se généralise simultanément au terme de compétitivité, comme un instrument du processus d’inscription des constructions de territoires dans des relations de compétition. L’ingénierie territoriale « adaptée et performante devient un élément déterminant du succès des politiques de développement local » (INDL-DIACT, 2006). 2-1 Les premières définitions D’après une étude réalisée auprès d’acteurs de l’ingénierie territoriale, de prescripteurs et de chercheurs, (INDL-DIACT, 2006) le terme apparaît « officiellement » en septembre 2003, dans le cadre des orientations d’un Comité Interministériel pour l’Aménagement et le Développement des Territoires (CIADT), qui affirmait la nécessité d’accompagner et de soutenir toutes les dynamiques de développement par le biais de l’ingénierie territoriale. Elle est définie comme « l’ensemble des savoir-faire professionnels dont ont besoin les collectivités publiques et les acteurs locaux pour conduire le développement territorial ou l’aménagement durable des territoires » et complétée par « ensemble des concepts, outils et dispositifs mis à la disposition des acteurs du territoire pour accompagner la conception, la réalisation et l’évaluation de leurs projets de territoire ». L’ingénierie territoriale résulte d’un processus d’apprentissage réciproque (SEBILLOTTE-2000) et de construction propre à chaque territoire, en fonction de l’ancienneté de l’organisation des acteurs et de l’accumulation de connaissances établies sur ces territoires. Elle répond de façon différenciée et spécifique à des problèmes de natures très différentes posés à une multitude d’échelles. Pour répondre à la complexité, elle doit intégrer des dimensions d’incertitude, de hasard, d’imprécision. En opposition aux corps constitués, elle est le fait de « postures professionnelles éclatées » au sein de structures multiples, porteurs d’intentionnalités diverses (GUMUCHIAN et al, 2003). 2-2 Des acteurs multiples Au regard de ces approches, l’ingénierie territoriale est difficile à caractériser. Si quelques points la rapprochent de l’expertise, au sens où elle est portée par des experts issus de champs 7 très divers, sa production ne résulte pas d’une commande précise. Elle résulte d’un processus d’accompagnement de la territorialisation des politiques publiques qui permet la formulation de références communes à un ensemble de collectivités, et permet de formuler des questionnements partagés. Le terme le plus souvent rencontré est celui de co-construction plutôt que celui de commande, et traduit à nouveau cette absence de hiérarchie entre les acteurs. En effet, si les acteurs publics conservent par définition leur légitimité à produire de la politique publique, le désengagement de l’Etat induit des recompositions rapides. Il est intéressant de constater qu’en France, et nombre de pays développés, l’Etat, voire les échelons supranationaux tels que l’Union Européenne accompagnent ces mouvements. C’est le cas au travers des Programmes d’ Intérêt Communautaires, ou des politiques de pays développées par l’Etat ou les régions. Tous prévoient des modes de gouvernance participative, organisant la participation de la société civile aux processus de définition et de mis en œuvre des programmes. L’Union Européenne va même jusqu’à imposer la présence d’une majorité de partenaires de la société civile dans les Groupes d’Action Locaux du programme leader + . Ce mouvement est rejoint par celui des acteurs économiques, qui inscrivent leur développement dans des logiques de spécification de leurs produits sur les marchés, afin d’échapper aux conséquences des concurrences extrêmes. Ce faisant, ils vont construire des liens aux territoire et construire des stratégies transversales, avec d’autres acteurs et d’autres produits. Ainsi, il y a une sorte de débordement de la politique publique qui ne peut plus être le fait unique du pouvoir public, avec des investissements de producteurs privés qui comprennent qu’il faut sortir des logiques de filières verticales. Ces dynamiques devraient engendrer une multitude de trajectoires et de parcours. L’observation des projets de territoire mis en place au niveau culturel dans le cadre de la procédure leader + (LANDEL-TEILLET, 2003), met en évidence une relative homogénéité des projets, en affirmant la suprématie des approches patrimoniales. L’observation de nombreux autres projets pose la question de la capacité réelle des territoires à construire des projets et çà mettre en place des modes d’organisation spécifiques. 2.3 Les points de passage obligés de l’ingénierie territoriale Le discours sur le projet de territoire amène à poser la question de la capacité des acteurs à participer un projet, au travers duquel ils pourront faire preuve d’une autonomie suffisante pour leur permettre de mobiliser des ressources spécifiques au territoire. En ce sens, les valeurs recherchées seront celles de l’autonomie et de la liberté de développement. La notion d’autonomie territoriale reste délicate à aborder, et les différentes approches mettent en avant l’autonomie financière et politique (DELANNOI G., 1998). La première s’apprécie au regard du degré de dépendance financière vis-à-vis d’autres collectivités dans la définition et la mise en œuvre de projets. Le second s’apprécie d'un côté, par le degré de "démocratisation", c'est-à-dire d'ouverture du corps électoral au plus grand nombre et de l'autre de la "démocratie politique", c'est-à-dire la participation des citoyens à l'ensemble des décisions (à travers différentes étapes: proposition, discussion, validation, mise en place, évaluation). L’observation de la réalité montre que les territoires sont bridés par des "points de passage obligés" tel que le développement durable, la bonne gouvernance, l’égalité hommes femmes ou la démocratie participative. Ils résultent d’injonctions secrétées par d’autres 8 niveaux de compétences, qui les instituent en tant que norme d’accompagnement de tout projet de territoire. Malgré les bonnes intentions ; en normalisant et en institutionnalisant les pratiques, l'action publique réduit les possibilités positives de ces concepts ou crée les conditions de leur contournement, à la fois par les porteurs de projets, mais aussi par les institutions qui ont secrété ces normes. 2.4 De nouveaux processus de débat public Le développement de l’ingénierie territoriale, s’accompagne en effet d’une injonction à la participation de la « société civile », au travers de processus multiples, rendus souvent obligatoires par les instances de validation des projets de territoire. Il en va ainsi pour les Groupes d’Action Locaux accompagnant le programme d’Intérêt Communautaire leader +, ou pour les Conseils Locaux de développement mise en œuvre au gré des pays issus de la loi d’Orientation et d’Aménagement durable du territoire. Ces démarches posent la question de la capacité d’un pouvoir local à ouvrir des espaces publics de délibération ? L’implication dans un des Conseils Locaux de Développement mis en place par la Région Rhône-Alpes permet d’observer l’acuité des débats et conflits qui accompagnent la mise en place des ces dispositifs participatifs. La question essentielle porte sur le statut des élus par rapport à celui des représentants de la société civile, ou plus précisément sur les termes des rapports entre la démocratie représentative et la démocratie participative. Au delà du souhait du pouvoir local d’utiliser cet espace comme un lieu de légitimation de ses choix et positions, s’est posée la question de la reconnaissance de la Capacité du conseil local de développement à émettre des propositions. La première proposition consistait à permettre au CLD d’émettre un avis sur les propositions formulées par les élus, le bureau d’étude ou les techniciens. Devant la proposition du CLD de participer activement au diagnostic et d’émettre ses propres propositions, le Président du Comité de pilotage proposait la constitution d’un bureau de comité de pilotage, composé de la quasi-totalité des membres du comité de pilotage, à l’exception du CLD. Après le scénario du contrôle, on trouve celui de la marginalisation qui ouvrirait d’autres potentiels d’expression, en autonomie par rapport au pouvoir politique local. Ainsi, évolue la politique locale. Devant la multiplication des centres de décision, et la complexité des procédures, et la volonté d’expression portée par des acteurs multiples, émergent la notion d’action politique locale, aux contours plus flous. D’une part, elle n’est plus le seul fait du pouvoir public. Elle est investie par des acteurs privés qui souhaitent sortir des logiques de filières pour assurer les conditions de la reproduction de leur activité. En conclusion , quelques pistes pour la recherche Cette approche met en évidence l’importance des dynamiques territoriales et des constructions institutionnelles dans l’émergence et la construction de l’ingénierie territoriale. Les questionnements qui en sont issus interrogent l’ensemble des acteurs du territoire, y compris la communauté scientifique. Au plan des objets de l’ingénierie territoriale, pourrait être élaborée une coopération entre décideurs issus de différents niveaux d’administration, experts et chercheurs pour repérer des références communes et des thématiques susceptibles de faire l’objet d’approches coordonnées. Ce travail permettrait de confronter les attentes des acteurs et de circonscrire les apports potentiels des chercheurs. L’engagement d’un travail de mise en réseau visant à 9 développer des complémentarités entre équipes serait à rechercher. Pour chacun des thèmes traités, une tête de réseau scientifique pourrait être proposée. Son rôle pourrait être de recenser et synthétiser les expertises déjà réalisées, de proposer des méthodes permettant une valorisation de résultats issus de terrains d’étude différents, de mener des travaux approfondis à partir de ces résultats et de les restituer aux acteurs et experts impliqués. A titre d’exemple, on peut citer la valorisation qui pourrait être faite des travaux d’évaluation des politiques européennes régionales développées depuis 1985. D’autres entrées pourraient être abordées sur un champ plus prospectif. Par exemple, une équipe de jeunes chercheurs grenoblois engage actuellement avec deux Communautés d’Agglomération une démarche de capitalisation sur la thématique de la « notion d’intérêt communautaire ». Il s’agit de partager des questions liées à cette notion entre des élus, des techniciens, des chercheurs et autres acteurs, et d’explorer des champs nouveaux de réflexion sur les modalités de répartition des compétences entre les collectivités. Au plan de la place des chercheurs, pourrait être proposé un suivi attentif de territoires mettant en œuvre des stratégies d’implication de chercheurs dans leur construction et la définition de leurs projets. Il y a là un enjeu important de compréhension des politiques de décentralisation qui sont marquées par le passage des politiques publiques produites par le système politico administratif à des actions publiques co-produites avec des acteurs porteurs d’intentionnalités. Au gré de la mise en place de parcs naturels régionaux ou de pays, un certain nombre d’entre eux engagent des débats publics, dans lesquels des chercheurs peuvent être associés. Un travail de suivi de ces démarches, à partir de territoires volontaires, prêts à associer des équipes de chercheurs, pourrait apporter des enseignements relatifs à la formation des connaissances dans les domaines du diagnostic de territoire, de la prospective, de la contractualisation et de l’évaluation. Au plan des lieux consacrés à la construction et au développement de l’ingénierie territoriale, la démarche d’identification et d’analyse de leur contenu mérite d’être poursuivie. Elle pourrait être enrichie de l’identification des Centres de recherche consacrant leurs travaux à la question des territoires et de leur développement, en intégrant des approches transdisciplinaires. Cette géographie de l’ingénierie territoriale pourrait être complétée d’une connaissance des réseaux et de leurs modes d’intervention, qui permettrait de structurer une organisation de l’ingénierie territoriale. La dimension internationale de l’approche ne saurait être négligée. Des coopérations ponctuelles se développent avec de nombreux pays, tant au niveau scientifique qu’au niveau de l’expertise. Là aussi, la mise en œuvre de processus de capitalisation à partir des expériences permettrait de mieux analyser les facteurs de réussite ou d’échec de ce type d’intervention. Cette réflexion certes incomplète confirme la nécessité d’approfondir, de coordonner et faire connaître les recherches sur le développement de l’ingénierie territoriale. Le champ de la territorialisation des politiques publiques nécessite le développement de références théoriques sans lesquels l’ingénierie territoriale risque de se trouver rapidement instrumentalisée, sans avoir pu exister de façon construite et autonome. 10 Bibliographie : • • • • • • • • • • • • • • • • • • BOUTINET J.P. (2001), Anthropologie du projet, P.U.F, 350p. BRUNET R. (2005) : Le Développement des territoires, formes, lois, aménagement, L’Aube, 93 p. BERNARDY Michel de et DEBARBIEUX Bernard, (2003), Le territoire en sciences sociales approches disciplinaire et pratiques de laboratoires, Grenoble, publication de la MSH-Alpes, DEBARBIEUX B., VANIER M.(dir.) (2002) : ces territorialités qui se dessinent ; Editions de l'Aube. 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