Couverture de la responsabilité civile professionnelle des

Transcription

Couverture de la responsabilité civile professionnelle des
Couverture de la responsabilité civile professionnelle des gynécologues
obstétriciens libéraux
Les pouvoirs publics préfèrent une formule compliquée, inefficace et onéreuse
à une solution simple, efficace et bon marché
Conférence de presse du 10 juin 2010
Confrontés à un risque de ruine du fait du plafonnement de leur couverture en
Responsabilité civile médicale (RCM), les Gynécologues obstétriciens libéraux (GOL) se
raréfient rapidement. Cela entraîne pour la sécurité sociale une augmentation de ses
dépenses d’assurance maternité, car en matière d’accouchement l’hôpital coûte plus cher que
la clinique. En confiant à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM)
la couverture illimitée du risque RCM, l’Etat ferait réaliser à la sécurité sociale une double
économie : sur le coût des accouchements et actes médicaux ou chirurgicaux associés, mais
aussi sur le coût de l’assurance RCM par les assureurs classiques, que la sécurité sociale
prend à sa charge de différentes manières, alors que le même service serait rendu à moindre
prix par l’ONIAM, émanation de la sécurité sociale.
Si l’Etat tient mordicus à faire intervenir les assureurs, qui refusent une assurance
illimitée, il devrait du moins, dans l’intérêt des contribuables-cotisants comme des femmes
enceintes et des bébés, mettre à la charge de l’ONIAM la partie des sinistres qui dépasse le
plafond de couverture : cela générerait des économies pour la sécurité sociale, certes
moindres qu’une couverture exclusivement réalisée par l’ONIAM, mais néanmoins
appréciables.
1/ L’accouchement coûte plus cher à l’hôpital
En 2008, la sécurité sociale a déboursé en moyenne 3 140 € pour un accouchement à
l’hôpital, contre 2 742 € en clinique (honoraires inclus). Le surcoût s’élève à 398 € par
accouchement. La comparaison pour chaque type d’accouchement entre les tarifs officiels
2009 pour les hôpitaux, et la somme du tarif correspondant pour les cliniques et des
honoraires des médecins libéraux qui s’y ajoutent, confirme ce phénomène de surcoût : sur les
38 actes obstétricaux suivis par la GHM, 34 ont un coût inférieur quand l’acte a lieu en
établissement privé (exemple d’une césarienne sans complication significative : 2 959,84 €
tarif hospitalier contre 2 621,85 € tarif clinique plus honoraires).
2/ L’hôpital gagne des parts de marché
La part de marché de l’obstétrique occupée par le secteur hospitalier public et parapublic
en France métropolitaine a évolué de la façon suivante (source PMSI) :
Année
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Part du public et privé PSPH 68,5 % 69,3 % 70,3 % 70,8 % 71,3 % 72,1 % 72,5 %
Pour la gynécologie l’évolution est analogue en chirurgie et de même sens, mais nettement
moins vigoureuse, en médecine.
3/ Cette évolution est coûteuse pour l’assurance maladie.
Raisonnons sur 800 000 naissances annuelles. Avec une répartition 68,5 / 31,5
(pourcentages de 2002), la prise en charge aurait coûté 2 412 M€. La répartition 72,5 / 27,5
(pourcentages 2008) l’a fait monter à 2 424 M€ : 12 M€ de plus, soit 2 M€ d’augmentation
chaque année. C’est un minimum, les actes obstétriques autres que les accouchements n’étant
pas pris en compte dans ce calcul.
1
Il faudrait également comptabiliser les investissements supplémentaires nécessaires dans
les hôpitaux pour faire face à l’augmentation de l’activité obstétrique, et de probables hausses
des tarifs hospitaliers. La Fédération Hospitalière de France (FHF) déclarait en effet le 3
septembre 2009 : « Si le secteur privé se retire plus avant de la pratique des accouchements,
les structures publiques qui ont déjà dû absorber une forte augmentation d’activité sans
transfert des moyens correspondants devraient faire l’objet d’un programme
d’accompagnement d’investissements et de rénovations capacitaires, de même que d’une
révision des tarifs applicables, à défaut desquels il ne sera pas possible d’absorber un grand
nombre d’accouchements supplémentaires. »
4/ Les GOL qui pratiquent l’obstétrique sont soumis à un risque de ruine
Cela vient de ce que les assureurs privés ne peuvent pas raisonnablement couvrir sans
limite le risque de RCM. Ceci pour la bonne et simple raison que les assureurs ont pour métier
de couvrir des risques probabilisables, et que celui-ci ne l’est pas1. En schématisant :
Un millier de GOL régulièrement accoucheurs, 12 à 20 sinistres majeurs par décennie,
cela ne permet pas de faire jouer la « loi des grands nombres », base de l’assurance.
La fixation des indemnisations par les tribunaux obéit à des logiques qui échappent
aux assureurs comme aux économistes. Par exemple, lors d’une audition par le Groupe
d’études de l’Assemblée nationale sur l’assurance et la prévention des risques2, un
assureur spécialiste du risque médical a expliqué que le juge civil prononce parfois des
indemnisations cinq fois supérieures à celles que décide dans des cas équivalents le
juge administratif (qui est qualifié dès lors que l’accouchement a lieu à l’hôpital ).
La fixation de l’indemnité est effectuée en général après que le bébé victime d’une
faute médicale est devenu adulte. Or en 18 ou 20 ans, les normes juridiques et les
jurisprudences en matière d’indemnisation ont le temps de changer considérablement.
Quid de l’inflation sur les 20 prochaines années ???
Conséquemment, le seul moyen pour l’assureur de maîtriser la part de risque qu’il assume
est de prélever des primes très supérieures à ce qu’il verse actuellement au titre de la RCM, et
de fixer un plafond de prise en charge sans tenir compte de la hausse des prix.
Cette façon de faire signifie pour le GOL que s’il commet une erreur dont les
conséquences se révèlent dramatiques, l’indemnisation prononcée dépassera peut-être de
plusieurs millions le plafond de sa couverture. La victime recevra l’intégralité de son
indemnité car l’ONIAM complétera le versement de l’assurance. Mais cet organisme se
retournera en règle général contre le praticien. Si le patrimoine de celui-ci atteint un million
d’euros, il le perdra en totalité, sans que l’ONIAM rentre pour autant dans tous ses débours3.
5/ Le recul de l’obstétrique libérale résulte principalement du risque de ruine
La FHF, pour attirer de nouveaux médecins vers la pratique hospitalière, ne s’y trompe
pas : le premier élément du statut de praticien hospitalier qu’elle met en avant est la sécurité
juridique. On lit ainsi dans la partie de son site web destinée aux médecins ou étudiants en
médecine éventuellement intéressés par un poste à l’hôpital : « Le statut est garant de la
sécurité juridique des praticiens hospitaliers, notamment en matière de responsabilité. L’Etat
offre en effet une bonne protection des praticiens hospitaliers contre le risque d’une
responsabilité médicale. A l’hôpital public, la charge financière incombant au praticien
1
Pour une démonstration de cette affirmation, voir J. Bichot, « Le risque responsabilité civile du gynécologue
obstétricien : problèmes et solutions », Revue de droit sanitaire et social, janvier 2007.
2
Assemblée nationale, Compte rendu de la réunion du groupe d’études du mercredi 16 décembre 2009.
3
Pour aller plus loin : Rémy Pellet, « L’assurance des obstétriciens et l’impéritie des pouvoirs publics », Revue
de droit sanitaire et sociale, Janvier 2010.
2
hospitalier pour sa couverture assurantielle est réduite car l’établissement employeur lui
assure déjà une couverture en responsabilité civile. »
Le raisonnement économique va dans le même sens. Les GOL ont des contraintes (gardes,
interventions nocturnes) et des charges de travail plus importantes que la moyenne des
spécialistes. Or leur revenu se situait en 2006 à 87 300 € en moyenne, contre 90 800 € pour
l’ensemble des spécialistes. Si l’on ajoute à cela un risque de ruine, si faible en soit la
probabilité, cette spécialité devient peu attractive pour les jeunes, et certains des GOL en
fonction choisissent de se limiter à la gynécologie médicale.
Il faut bien comprendre à ce propos que le risque de ruine, même si sa probabilité est
inférieure à 1 % - mais en fait, on ne la connaît pas, on est face à l’incertitude – est
extrêmement dissuasif. L’aversion vis-à-vis du risque est déjà forte s’il s’agit de perdre
éventuellement jusqu’à 50 % du capital investi, comme c’est le cas pour un placement
boursier, auquel aucun épargnant raisonnable ne consacre la totalité de son patrimoine ; mais
il s’agit là de la possibilité de perdre 100 % de tout ce que l’on a. Dans un cas pareil,
l’aversion au risque est énorme. Et les membres de la profession ne bénéficient pas de
l’insouciance d’un jeune qui fait le fou avec sa voiture ou sa moto : ils ne sont pas des risquetout inconscients et volontaires ; ils sont parfaitement conscients et totalement contraints.
Les conditions sont donc remplies pour que le risque de ruine amène bon nombre d’entre
eux à ne pas s’engager dans l’exercice libéral de la profession, ou à renoncer à la partie
risquée de cet exercice, celle qui est en rapport direct avec la naissance.
6/ En maintenant un risque de ruine pour les GOL, les pouvoirs publics ne dispensent
pas la sécurité sociale de supporter une grosse partie du risque inhérent au
plafonnement de la couverture assurantielle.
En effet, pour récupérer sur un médecin la différence entre l’indemnisation des victimes
d’une erreur médicale et le plafond de couverture, encore faut-il que le patrimoine de ce
médecin ne soit pas inférieur à cette différence. Or il est possible d’avoir dans 15 ans une
indemnisation se montant à 12 M€ pour des sinistres déclarés aujourd’hui, et donc couverts
par le contrat d’assurance actuel, alors que le plus haut plafond est actuellement 7 M€
(beaucoup sont à 3 M€). Combien de GOL seront en situation de payer les 5 M€ (a fortiori 9
M€ !) avancés par l’ONIAM ? Si celle-ci récupère 1 M€, ce sera déjà bien ! Il est donc fort
probable que l’ONIAM supportera en tout état de cause, pour les sinistres importants, une
partie considérable de ce que les assurances ne rembourseront pas. Combien ? La moitié, les
trois quarts ? impossible de le savoir, mais il est clair que l’on ferait une faute de
raisonnement majeure en tablant sur une absence de coût pour la sécurité sociale.
7/ Supprimer le risque de ruine des GOL en renonçant définitivement à l’action
récursoire de l’ONIAM engendrerait des économies pour la sécurité sociale.
Supposons qu’il survienne en moyenne chaque année un sinistre dépassant le plafond
d’assurance, et qu’en ruinant le GOL concerné la sécurité sociale économise 1 M€ (estimation
forte). Supposons que la suppression du risque résiduel évite la moitié du report sur l’hôpital
des actes obstétriques actuellement réalisés en clinique (estimation faible) et négligeons les
suppléments d’investissements et de tarifs que la FHF associe à l’augmentation du
pourcentage d’accouchements réalisés à l’hôpital. La première année les gains égalent les
pertes ; la seconde ils les dépassent d’un million, puis de 2 M€ la troisième année, etc.
8/ La sécurité sociale réaliserait des économies bien plus importantes encore si les
pouvoirs publics confiaient à l’ONIAM l’indemnisation de la totalité du risque RCM
obstétrique.
3
Comme il a été dit, les assureurs sont amenés à prélever des primes énormes (20 000 à 25
000 €, et jusqu’à 40 000 € pour les GOL ayant déjà vu leur responsabilité mise en cause4). Ils
sont amenés à provisionner la plus grande partie de ces encaissements, puisque la
« consolidation », requise pour qu’un tribunal décide du montant d’une indemnisation,
n’intervient le plus souvent que très longtemps après. Or la sécurité sociale prend à sa charge
66 % des primes, plafonnées à 18 000 €, pour les GOL secteur 1, et 55 % pour leurs confrères
du secteur 2. Elle débourse ce faisant presque la totalité des primes pures (la partie de la prime
qui sert à rembourser les sinistres, le reste, de l’ordre de 30 % du total, servant à couvrir les
frais de fonctionnement). Autrement dit la sécurité sociale verse aux assureurs de l’argent
dont la plus grosse partie est placée par eux sur les marchés financiers, alors qu’elle-même est
obligée d’emprunter pour boucler ses fins de mois.
En chargeant l’ONIAM de couvrir la RCM obstétrique, le cas échéant avec une franchise
de quelques dizaines de milliers d’euros pour que les fautes professionnelles restent
coûteuses, la sécurité sociale réaliserait donc dans l’immédiat des économies considérables :
elle remplacerait 12 ou 13 M€ de prise en charge des primes par des dépenses qui ne
surviendraient que dans une ou deux décennies, et seraient probablement nettement
inférieures, du fait que les assureurs tarifient les risques non assurables en prévoyant le pire.
On pourrait compter sur d’autres économies encore. En effet, les 6 millions (environ) de
frais de gestion engagés par les assureurs ne dispensent pas l’ONIAM et les Commissions
régionales de conciliation et d’indemnisation (CRCI) du suivi des dossiers, puisqu’ils doivent
en assurer l’indemnisation s’il ne s’agit pas d’une faute mais d’un aléa médical, ce qui sera
établi par une CRCI ou un tribunal. Autrement dit, les frais d’étude des dossiers engagés par
les assureurs font en grande partie double emploi !
Ces frais, diront certains, sont répercutés sur les GOL, pas sur la sécurité sociale. Erreur !
les GOL demandent des revalorisations tarifaires en fonction de leurs charges : s’ils les
obtiennent, il est clair que la sécurité sociale paye l’intervention inutile des assureurs ; et s’ils
ne les obtiennent pas, c’est une raison de plus pour eux de « voter avec leurs pieds », d’arrêter
l’obstétrique ou de ne pas s’y engager, et pour finir la sécurité sociale est amenée à payer le
supplément de coût des accouchements qui résulte de leur transfert aux hôpitaux.
Le chiffrage exact des économies à réaliser par la sécurité sociale est impossible, puisqu’il
s’agit de phénomènes pour lesquels l’incertitude l’emporte sur la prévisibilité. Mais dix
millions d’euros par an en moyenne serait une estimation minimaliste.
9/ Conclusion : pour soi-disant défendre l’économie de marché sur un créneau qui relève
clairement d’un monopole naturel, les pouvoirs publics sont en train de sacrifier
l’exercice libéral d’une profession et d’instaurer un monopole hospitalier des
accouchements qui n’a, lui, aucune justification économique.
Les risques non probabilisables relèvent de la mutualisation a posteriori, et en l’espèce
cette mutualisation ne peut être que nationale. La sécurité sociale est de toute façon destinée à
réaliser cette mutualisation à l’aide de ses ressources ordinaires, dont elle représente une
infime portion. Ce qui est en question, c’est la laisser gérer ce service de mutualisation à
l’aide des structures qui existent déjà en son sein, ou faire intervenir des intermédiaires
inutiles mais coûteux, directement et parce que l’imperfection de leur couverture menace une
profession libérale sans laquelle il n’y aura plus de concurrence en obstétrique. La direction
qu’indique une saine conception de la concurrence ne fait aucun doute.
Jacques Bichot, économiste, professeur émérite à l’université Lyon 3
4
Déclarations du représentant de la FFSA devant le groupe d’études de l’Assemblée nationale mentionné à la
note 2.
4
5

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