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HUMAINES.
ET
CELLULES
SOUCHES
EMBRYONNAIRES
LA THÉRAPIE CELLULAIRE AVEC CELLULES
PLURIPOTENTES : OÙ EN SOMMES-NOUS ?
SOUCHES
Pr Jean-Pierre JOUET, hématologue, membre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, et
M. Arnaud DE GUERRA, chargé de mission « orientations et programmes de recherche en santé », DGS.
- Les 10 ans de la recherche sur l’embryon – M. Samuel ARRABAL
- Le traitement de l’insuffisance cardiaque à l’aide de cellules souches embryonnaires humaines – Pr Jérôme
LARGHERO
- La production de globules rouges à l’aide de cellules souches pluripotentes – Dr Hélène LAPILLONNE
- La thérapie cellulaire des maladies neuro-dégénératives – Dr Anselme PERRIER Les 10 ans de la recherche sur l’embryon
M. Samuel ARRABAL, responsable du pôle Recherche, Agence de la biomédecine
Ces journées sont un peu placées sous le signe des 10 ans de l’Agence de la biomédecine. Je vais donc vous
présenter le bilan de dix ans de recherches sur l’embryon en France.
Je commence par quelques éléments de contexte. Les recherches sont menées sur des embryons cédés à la
recherche par des couples qui s’inscrivent dans un processus d’assistance médicale à la procréation. Les embryons
sont obtenus par un processus de fécondation in vitro. Au troisième jour, ces embryons, alors au stade de quatre
cellules, sont soit transférés à visée de grossesse, soit congelés dans le cas où des embryons sont surnuméraires.
Quand le couple ne souhaite plus poursuivre son projet parental, il a la possibilité de céder ces embryons congelés à
la recherche, par un consentement qui doit être confirmé trois mois après.
Les recherches peuvent être menées directement sur l’embryon ou sur des cellules souches embryonnaires. Ces
cellules souches embryonnaires sont issues de l’embryon par une mise en culture qui, au bout de cinq jours, permet
d’obtenir un blastocyste à l’intérieur duquel des cellules peuvent être prélevées. Ces cellules souches embryonnaires
sont mises en culture. Elles présentent deux propriétés particulièrement intéressantes.
-
Une propriété d’autorenouvellement : cela signifie qu’elles peuvent se multiplier presque indéfiniment en
culture.
Une propriété de pluripotence : elles sont capables de se différencier dans tous les types cellulaires, ce qui en
fait des outils très intéressants à la fois en médecine régénérative, pour réparer des tissus ou des organes qui
seraient lésés, et à la fois comme modèles d’étude pour certaines pathologies, notamment pour des
embryons atteints d’anomalies génétiques.
4èmes Journées de l’Agence de la biomédecine : « Médecine personnalisée, solidarité et altruisme »
Jeudi 28 mai 2015, Université Paris Descartes
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La réglementation a évolué en dix ans. Avant août 2004, les recherches sur l’embryon humain n’étaient pas possibles
en France. Les recherches sur l’embryon sont actuellement encadrées par les lois de bioéthique qui sont révisées
régulièrement. Les lois de bioéthique d’août 2004 et juillet 2011 promouvaient un régime d’interdiction avec
dérogation. La loi a été modifiée en août 2013 pour évoluer vers un régime d’autorisation encadrée. Dans tous les
cas, il revient à l’Agence de la biomédecine de délivrer les autorisations selon trois critères :
-
la pertinence scientifique du projet ;
la finalité médicale ;
une absence d’alternative, c’est-à-dire une impérieuse nécessité de mener les recherches sur l’embryon ou
sur les cellules souches embryonnaires.
À propos des alternatives, je vais parler également des évolutions scientifiques. En 2007, a été décrit un modèle
particulièrement élégant qui partait de cellules adultes, des fibroblastes. En leur sein ont été exprimés des facteurs de
pluripotence bien connus, des facteurs de transcription. Ces cellules adultes sont ensuite reprogrammées et
reprennent un statut pluripotent, c’est-à-dire un statut à peu près équivalent à celui des cellules souches
embryonnaires. On appelle ces cellules des cellules souches pluripotentes induites (iPS). Elles ont été décrites en
2007 par l’équipe du professeur YAMANAKA et ont bouleversé le domaine de la recherche impliquant des cellules
souches. Ce travail a eu des répercussions en France. De plus en plus d’équipes souhaitant se lancer dans des
recherches impliquant des cellules souches pluripotentes partent d’emblée sur ce type de modèle qui est
réglementairement plus souple que celui des cellules souches embryonnaires. Nous avons aussi remarqué que des
équipes travaillant sur des cellules souches embryonnaires à terme utilisaient ces lignées iPS.
Pour compléter cette information, le professeur YAMANAKA a été couronné du prix Nobel en 2012 pour cette
découverte.
J’en viens au bilan de ces dix années d’autorisation à l’Agence de la biomédecine : 73 protocoles ont été autorisés,
dont 12 sur l’embryon. L’essentiel des recherches porte sur les cellules souches embryonnaires. Parmi ces
73 protocoles, 25 sont aujourd’hui terminés et 9 ont vu leur autorisation retirée, car ils n’ont pas été mis en œuvre.
Actuellement, 39 protocoles sont actifs et sont répartis sur 34 équipes. On compte aussi 7 dossiers refusés et
29 renouvelés, car les autorisations de l’Agence sont délivrées pour une durée de cinq ans. Au terme des cinq ans, si
l’équipe souhaite poursuivre ses recherches, elle doit demander un renouvellement à l’Agence. L’Agence autorise
également la conservation d’embryons et de cellules souches embryonnaires à visée de recherche et les importations
de cellules souches embryonnaires : 34 autorisations de conservation et 56 d’importations ont été délivrées.
Sur les 39 protocoles en cours, 21 ont démarré avant 2008. Depuis 2010, le nombre de projets déposés diminue.
C’est sans doute dû au fait que les équipes se tournent plus volontiers vers les modèles iPS que vers les cellules
souches embryonnaires. La majorité des projets sont pérennes et prévus pour durer. Certains projets durent depuis
10 ans et ont encore demandé un renouvellement, ce qui signifie qu’ils vont durer 15 ans. Initier des recherches sur
les cellules souches embryonnaires est un processus qui s’inscrit dans la durée. Entre le moment où la recherche
démarre et celui de l’obtention d’un produit utilisable en clinique s’écoulent de très nombreuses années.
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Entre 2006 et 2008, les projets individuels ont été nombreux. C’est à ce moment que la recherche a vraiment démarré
en France. Des projets visaient également à dériver de nouvelles lignées de cellules souches embryonnaires. Entre
2008 et 2012, certains projets qui progressaient vers une application thérapeutique se sont agrégés. Les équipes se
sont réunies. On a vu émerger également des programmes qui visaient à un contrôle qualité ou de production de lots
cliniques à partir de cellules souches embryonnaires. À partir de 2010, beaucoup de protocoles émergent, dans
lesquels les cellules souches embryonnaires ne sont pas utilisées comme objets de produit cellulaire final, mais
comme un standard de pluripotence, pour des projets qui vont porter à terme sur des iPS.
Nous avons reçu essentiellement quatre grandes catégories de projets :
-
-
-
Des projets qui visent à dériver des lignées de cellules souches embryonnaires. Actuellement, en France, 28
lignées ont été dérivées par quatre équipes.
Des projets qui ont une finalité médicale directe à moyen terme, soit la modélisation de maladies à la
recherche de biomarqueurs de cellules souches porteurs d’anomalies génétiques, soit des produits de
thérapie cellulaire. D’autres projets sont très proches : ceux de contrôle qualité et de support translationnel,
c’est-à-dire les produits de thérapie cellulaire destinés à un protocole clinique.
Des projets qui portent sur des recherches mécanistiques. Ce sont davantage des recherches fondamentales
qui visent à déterminer des aspects de pluripotence ou à modéliser certaines maladies, les impacts de
certaines mutations. Ces projets ont des visées médicales à long terme.
Des projets qui portent directement sur l’embryon et étudient le développement embryonnaire.
Après les aspects chiffrés, il faut savoir ce qui sort de ces projets. D’après les publications issues des recherches
autorisées en France, fin 2014, 72 articles étaient issus de ces projets. Le nombre d’articles a augmenté au fur et à
mesure du temps jusqu’à atteindre un plateau à partir de 2011. Il y a beaucoup d’équipes d’excellence. 50 de ces 72
publications proviennent de cinq équipes, au sens large.
On peut comparer la recherche française à la recherche internationale, en cherchant sur MEDLINE les articles
originaux dont le titre contient « human embryonic stem cells ». Le niveau de publication en France est équivalent à
celui d’autres pays, comme l’Allemagne ou l’Espagne, et assez proche de celui du Royaume-Uni qui a un régime
beaucoup plus permissif pour les recherches sur les cellules souches embryonnaires. Les États-Unis ont démarré en
1998 et ont un très grand nombre de publications. Des pays ont débuté leurs recherches un peu plus tard et
émergent, certains produisent énormément comme la Chine ou la Corée. La recherche sur les cellules souches
embryonnaires est en France d’un très bon niveau. Cela se voit au niveau de la production des connaissances, c’està-dire des publications.
Mais de très bons projets aboutissent également au niveau clinique à des protocoles.
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Aujourd’hui, trois porteurs de projets sont invités, chacun avec des projets ayant une finalité médicale : le professeur
Jérôme LARGHERO qui va présenter le seul essai clinique aujourd’hui autorisé utilisant des dérivés de cellules
souches embryonnaires portant sur l’insuffisance cardiaque post-ischémique sévère, le docteur Anselme PERRIER
qui est à un stade préclinique, plutôt chez l’animal, avec un projet qui porte sur la production de neurones pour
corriger la maladie de Huntington, et un projet dont l’essai clinique est à plus long terme, le projet du docteur Hélène
LAPILLONNE et du professeur Luc DOUAY sur la production de globules rouges à visée de transfusion sanguine.
Pour terminer, je voulais quand même citer les différentes personnes à l’Agence qui ont participé à la recherche sur
l’embryon. Notamment, il n’était pas possible de ne pas citer Arnaud DE GUERRA du pôle Recherche, qui a porté
cette thématique pendant huit ans à l’Agence, mais également Laure COULOMBEL qui est notre experte émérite sur
la question, la direction juridique avec Thomas VAN DEN HEUVEL, la mission d’inspection avec Sixte BLANCHY, les
directrices générales qui se sont succédé et les comités sur lesquels nous nous sommes appuyés : le conseil
d’orientation et le collège d’experts sur l’embryon.
Discussion
Question de la salle
Concernant les essais cliniques, il n’y en a qu’un. C’est faute de proposition ? Ou il y a eu des demandes qui ont été
refusées ?
M. Samuel ARRABAL
Plusieurs projets évoluent actuellement vers un essai clinique. À ma connaissance, aucun n’a été refusé. Mais
comme je le disais, la recherche prend du temps. Certaines équipes ont démarré en 2005 et se trouvent toujours à un
stade avant la clinique. On attend l’étape finale. A priori, deux essais cliniques vont bientôt démarrer, l’un portant sur
une maladie oculaire et l’autre sur les ulcères liés à la drépanocytose.
Question de la salle
Bonjour et merci beaucoup pour votre exposé. J’aurais une question concernant la relative ouverture de la recherche
sur les embryons humains dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. Il me semble qu’une ouverture
récente s’est produite avec la publication de décrets d’application. Pouvez-vous nous dire concrètement en quoi cela
consiste et quel sera le rôle de l’Agence de la biomédecine dans ces projets-là ?
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M. Samuel ARRABAL
Il existait un statut particulier qui était le statut des études sur l’embryon. Ce statut avait été introduit par la loi de
bioéthique de 2011. C’était à l’Agence de la biomédecine de délivrer les autorisations. De mémoire, deux protocoles
ont été autorisés. Ces recherches sont menées sur des embryons. À la différence des recherches dont je viens de
parler, ce sont des embryons destinés à être transférés. Dans le cadre d’un processus d’AMP, pour améliorer la
procédure d’AMP, on évalue l’effet produit sur l’embryon en culture qui est ensuite transféré pour grossesse. Ce
régime a évolué et a été modifié pour entrer dans le régime des recherches biomédicales. Ces demandes sont
traitées par l’ANSM, c’est l’objet du décret récent.
Pr Jérôme LARGHERO
Les agences, que ce soit l’Agence de la biomédecine ou l’ANSM, nous ont beaucoup aidés, mais pas en termes de
financement. Nos financements sont exclusivement des financements publics, via des programmes ANR, des fonds
associatifs. C’est un système de financement sur projet, qui n’est pas différent de celui d’autres applications ou
d’autres recherches.
Le traitement de l’insuffisance cardiaque à l’aide de cellules
souches embryonnaires humaines
Pr Jérôme LARGHERO, responsable de l’unité fonctionnelle de thérapie cellulaire, hôpital Saint-Louis, AP-HP
Merci de votre invitation qui me donne l’occasion de vous parler de cet essai clinique de thérapie cellulaire utilisant
des cellules dérivées des cellules souches embryonnaires humaines. Cela permettra peut-être de répondre à la
question concernant le délai entre le temps de la recherche et le temps de l’essai clinique. J’aurai peut-être une
vision, pas forcément différente, mais plus optimiste que la vôtre : demander pourquoi il y a si peu d’essais autorisés
ou envisager que la France ne soit pas si mal placée puisqu’à ma connaissance deux ou trois essais dans le monde
sont autorisés pour le moment.
Je vais commencer par vous expliquer comment nous en sommes venus à cette réflexion autour de l’utilisation des
cellules souches embryonnaires, en vous racontant rapidement notre histoire de la thérapie cellulaire cardiaque au
sens large du terme.
Celle-ci commence avec un premier protocole qui à l’époque n’a rien à voir avec les cellules dérivées des cellules
souches embryonnaires. L’histoire commence dans les années 1995-2000, époque à laquelle nous n’avons pas
accès aux cellules souches embryonnaires, pas plus qu’aux iPS. Le premier essai de l’époque est développé par
l’équipe de Philippe MENASCHÉ (HEGP) et la nôtre à Saint-Louis : c’est un protocole de thérapie cellulaire visant à
greffer directement dans le muscle infarci des cellules du muscle squelettique.
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Le premier essai est basé sur une dizaine de patients. Au vu de la tolérance et de la sécurité apportées, comme pour
n’importe quelle phase 1, par les résultats de l’essai, nous avons mis en place un essai appelé MAGIC plus important,
de phase 2, randomisé, placebo contre cellules, pour évaluer l’efficacité ou non de ce type d’approche avec ce type
de cellules. Les résultats, sur le critère principal de l’essai à l’époque, n’ont pas montré de bénéfice réel de la greffe
de cellules par rapport au placebo, même si des résultats assez intéressants ont été observés sur les critères
secondaires.
Dans ce contexte, à l’époque, en 2006-2007, nous nous demandons quelles cellules nous pourrions utiliser à la place
de ces cellules musculaires squelettiques, dont l’essai MAGIC venait de montrer qu’elles n’étaient probablement pas
une solution cellulaire réellement efficace. Comme tout le monde, nous avions déjà envisagé non pas des cellules
musculaires squelettiques, qui donnent des cellules musculaires, mais des cellules cardiaques, donc des cellules
cardiomyocytes ou des cellules souches cardiaques. Cette solution n’est toujours pas réglée actuellement, 10 ou
12 ans plus tard. Chez l’homme adulte, souffrant des pathologies qui nous intéressent, on n’est pas capable pour le
moment d’identifier, d’isoler, d’amplifier des cellules souches cardiaques en cardiomyocytes. La question de ces
cellules souches cardiaques se pose toujours. Pour cette raison, nous nous sommes tournés vers les cellules
souches embryonnaires. Nous ne nous sommes pas tournés non plus vers les iPS, car notre réflexion a débuté en
2005-2006 et la première publication sur les iPS date de 2007.
Les cellules souches embryonnaires, a fortiori les cellules souches embryonnaires humaines, nous apparaissent à
l’époque comme le modèle cellulaire potentiellement d’intérêt pour dériver des cellules à potentialité
cardiomyogénique, ce que n’avaient pas les cellules musculaires squelettiques adultes utilisées lors de cet essai.
Une problématique des cellules pluripotentes est qu’il n’est pas question d’injecter directement des cellules
pluripotentes non différenciées. En effet, l’une des caractéristiques de ces cellules pluripotentes non différenciées est
de se multiplier quasiment à l’infini. On ne peut pas les injecter telles quelles. Il faut trouver et mettre en place, quelle
qu’elle soit l’application thérapeutique d’intérêt, des systèmes ex vivo qui permettent de spécialiser les cellules
souches embryonnaires humaines vers la voie d’intérêt. Il faut retenir que l’on n’injecte pas des cellules souches
embryonnaires telles quelles. On ne peut utiliser dans des protocoles de thérapie cellulaire que les cellules
différenciées à partir des cellules souches embryonnaires humaines. L’équipe de Michel PUCÉAT, avec Philippe
MENASCHÉ, l’avait montré dans une publication. Elle avait mis en place un protocole de différenciation des cellules
souches embryonnaires humaines vers la voie de nos cellules d’intérêt, c’est-à-dire vers la voie des progéniteurs
cardiaques. Ce protocole permet de diminuer et d’éteindre complètement certains marqueurs classiques de la
pluripotence et d’obtenir des cellules exprimant les marqueurs d’intérêt, en l’occurrence des marqueurs cardiaques.
L’autre problème de cet essai MAGIC était que les cellules étaient injectées directement dans le tissu infarci. A
posteriori, on peut se dire qu’injecter des cellules dans un tissu fibrotique nécrotique avasculaire n’est peut-être pas la
bonne solution. Nous le savions à l’époque. Lors de cet essai, nous injections 400 ou 800 millions ou un milliard de
cellules.
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Nous avons su ensuite que 48 à 72 heures après l’injection 80 % des cellules sont déjà des cellules mortes ou qui
commencent à entrer en apoptose. Si on en injecte un milliard, s’il en reste 20 %, il en reste quand même beaucoup.
Mais dans un protocole où sont injectées 10, 15 ou 20 millions de cellules, le nombre de cellules restant est très
faible.
Nous avons donc choisi une solution un petit peu différente : au lieu d’injecter les cellules directement dans la zone
infarcie, nous avons essayé de développer une sorte de pansement cellularisé à déposer sur le muscle infarci. Nous
avons travaillé sur un nombre incalculable de biomatériaux à utiliser. Il faut trouver le biomatériau utilisable chez
l’homme, suffisamment souple, mais pas trop, biodégradable dans un délai défini en fonction de l’application
thérapeutique souhaitée et compatible avec les cellules d’intérêt visées. Nous avons fait plusieurs essais pour retenir
un gel de fibrine qui présente deux intérêts. Il était déjà utilisé en thérapeutique chez l’homme, comme colle
hémostatique ou colle biologique. De plus, en modifiant sa concentration, nous avons réussi à mettre en place ce gel
qui a la souplesse requise, avec une taille de pores qui permet de s’assurer que les cellules vont bien rester dans le
gel. Nous avons obtenu un patch ou un pansement à cellulariser et à déposer sur la zone infarcie.
Au vu de l’importance de la mort cellulaire, il fallait créer un système où nous pourrions bénéficier de ce patch
cellularisé, tout en réfléchissant à un moyen d’apporter aux cellules se trouvant dans le pansement un support
trophique supplémentaire. Nous avons réfléchi à plusieurs solutions. L’une tentait de placer deux types cellulaires
dans le patch, des progéniteurs cardiaques et un type cellulaire dont nous pensions qu’il serait intéressant comme
rôle trophique. Mais quand nous avons essayé de passer aux conditions pharmaceutiques d’un greffon chez l’homme,
cette solution s’est avérée inenvisageable. Une autre solution a été imaginée : utiliser le péricarde, qui est la
membrane qui recouvre le cœur. Le péricarde est en effet très riche en cellules, en particulier très riche en cellules qui
secrètent des facteurs de croissance, les cytokines, qui peuvent avoir un effet bénéfique sur les cellules qui se
trouvent dans le patch.
Voici comment cela se passe. Le patch cellularisé avec les progéniteurs cardiaques dérivés des cellules souches
embryonnaires humaines est déposé sur la zone infarcie. Une opération « kangourou » est réalisée : un lambeau
péricardique va recouvrir l’ensemble de la zone infarcie et du patch. Le patch se retrouve pris en sandwich entre la
zone infarcie et le lambeau péricardique.
Tout cela prend du temps. Travailler sur l’animal est relativement plus simple pour les conditions de production des
greffons, en termes d’échelle et de nombre de cellules produites. Pour une utilisation thérapeutique chez l’homme,
chaque étape est beaucoup plus compliquée pour obtenir un produit fini greffable et utilisable en thérapeutique
humaine. La problématique commence dès la sélection de la lignée de cellules souches embryonnaires humaines. En
effet, toutes les lignées de cellules souches embryonnaires humaines n’ont pas la même capacité à donner des
cellules d’intérêt. Il faut parvenir à sélectionner une lignée d’intérêt pour la cardio. Sélectionner la bonne lignée est
une première difficulté. Il faut ensuite constituer les banques cellulaires selon des référentiels bien précis. Prend place
ensuite le protocole de spécification ou de différenciation des lignées initiales vers les cellules d’intérêt. Pour le
moment, le meilleur protocole de différenciation ne permet pas d’obtenir 100 % de cellules d’intérêt.
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À la fin du protocole de spécification, on a une sorte de soupe cellulaire contenant des cellules d’intérêt et des cellules
qu’il ne faut pas greffer. Il faut trouver un système pour disposer d’une population presque pure à 100 % de cellules
d’intérêt utilisables. Chaque étape doit être parfaitement sécurisée de façon à caractériser le produit final qui sera
utilisé chez l’homme. L’ensemble a pris huit ans, sans parler des étapes en amont qui ont aussi demandé quelques
années. Entre le moment où le protocole de spécification des cellules souches embryonnaires humaines vers la voie
des cellules ayant des potentialités cardiomyogéniques jusqu’à l’essai clinique autorisé, il aura fallu huit ans de
développement.
Après ce travail commun entre mon équipe à Saint-Louis et celle de Philippe MENASCHÉ à l’hôpital européen
Georges Pompidou, nous en arrivons à la première greffe chez l’homme réalisée en octobre 2014. La première partie
consiste à isoler ce lambeau péricardique qui sera ensuite rabattu sur le patch. Le patch cellularisé contient une
dizaine de millions de progéniteurs cardiaques dérivés des cellules souches embryonnaires humaines. Il est déposé
sur la zone infarcie et est recouvert par le lambeau péricardique.
Il est important de dire que cet essai clinique s’adresse à des patients et à des patientes qui ont une indication de
pontage dans une autre zone. Le pontage se trouve dans une zone à revasculariser et la greffe du patch de cellules
se trouve dans une autre zone non revascularisable par un pontage.
J’en ai terminé de cette présentation d’un travail de 10 ou 15 ans qui a permis cet essai clinique. Il n’est pas question
que j’oublie Philippe MENASCHÉ qui est le chirurgien cardiaque avec lequel nous avons développé ces protocoles de
thérapie cellulaire cardiaque, avec toute l’équipe de l’unité de thérapie cellulaire de l’hôpital Saint-Louis. J’ai rappelé
également les financements, essentiellement associatifs et issus de divers ministères.
M. Arnaud DE GUERRA
Avant de passer aux questions, je voudrais dire deux choses. La première est que l’autorisation de cet essai est
arrivée en quatrième au niveau mondial, en comptant deux essais presque simultanés par la même société
américaine. En France, le travail sur les cellules souches embryonnaires n’est possible que depuis 2005, ce n’est pas
si mal. Il faut vraiment féliciter Jérôme LARGHERO et Philippe MENASCHÉ pour leur ténacité et leur rapidité. La
seconde est liée à l’essai MAGIC : comme cela a été dit, la phase 1 était prometteuse, mais la phase 2 a montré que
les quelques effets positifs n’étaient plus observables quand le panel était élargi. Cela me permet de faire allusion à
d’autres essais thérapeutiques de thérapie cellulaire, menés sur un petit nombre de patients au départ, pour vérifier
que le traitement n’est pas nocif, pour lesquels on a parfois tendance à tirer des résultats bien trop rapides. Ce n’est
pas spécifiquement le cas de recherches menées sur des cellules souches embryonnaires, mais cela peut être le cas
d’essais mentionnés comme étant des alternatives aux recherches à partir de cellules souches embryonnaires, alors
que les premiers résultats demandent confirmation.
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Discussion
Question de la salle
Je trouve que ce vous avez montré est fascinant. J’ai deux questions. Vous avez dit qu’on ne pouvait pas implanter
des cellules pluripotentes non différenciées. Est-ce qu’elles seraient détruites immédiatement, ne se différencieraient
pas vers les cellules myocardiques ou se multiplieraient en restant à l’état indifférencié ?
Pr Jérôme LARGHERO
Les trois. Une partie de ces cellules serait probablement rejetée puisqu’elles sont allogéniques par rapport au
receveur. Il est probable qu’aucune différenciation n’interviendrait vers les cellules d’intérêt. La raison principale est
que ces cellules auraient la propension à former des kérato-carcinomes, c’est ce qui se passe dans des modèles
animaux, mais des modèles animaux immuno-incompétents.
Question de la salle
Ma deuxième question est plus d’ordre pratique. Pour les prochains patients, ces patchs sont-ils déjà prêts ou faut-il
les préparer à chaque patient ?
Pr Jérôme LARGHERO
Un lot est égal à un patient. Il faut donc réaliser tout ce protocole pour chaque patient. Il faut compter 20 jours entre la
décongélation d’une ampoule de cellules souches embryonnaires initiales jusqu’à l’obtention du greffon.
Question de la salle
Si vous aviez à recommencer l’expérience maintenant, choisiriez-vous la même lignée de cellules souches
embryonnaires qui n’avaient pas été dérivées en bonne pratique ? Est-ce que cela ne vous simplifierait pas la tâche si
vous pouviez utiliser une lignée de cellules souches embryonnaires dérivées en bonne pratique ?
Pr Jérôme LARGHERO
Cela simplifierait grandement la tâche de la qualification de la lignée de cellules souches embryonnaires. Pour autant,
cela ne simplifierait pas forcément les aspects situés en aval, c’est-à-dire la caractérisation de la spécification des
cellules après spécification des éventuelles impuretés cellulaires qui se retrouvent en post-spécification. L’utilisation
d’une lignée GMP aurait simplifié le processus, c’est une évidence, mais il reste un certain nombre de problèmes.
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Question de la salle
Comment expliquer la grande variabilité des lignées alors que le traitement initial à partir des embryons pour fabriquer
des cellules souches est assez stabilisé ?
Pr Jérôme LARGHERO
Le postulat veut qu’une cellule souche embryonnaire doit être capable de donner naissance à l’ensemble des types
cellulaires. Mais il existe la théorie et la pratique. Si vous prenez 10 lignées de cellules souches embryonnaires qui
ont été produites selon les mêmes conditions, on se rend compte que certaines vont être capables de donner des
cellules cardiaques et d’autres moins. Une explication existe, mais elle n’est certainement pas la seule : la régulation
épigénétique des cellules elles-mêmes et les régulations épigénétiques qui peuvent advenir au cours des protocoles
de spécification des différenciations. C’est une des explications avancées.
Question de la salle
On se demande s’il est bien raisonnable de développer tout ce travail en aval alors que ces problèmes fondamentaux
ne sont pas complètement réglés.
Pr Jérôme LARGHERO
Les deux points sont un petit peu différents. Ce problème n’empêche personne d’identifier des lignées de cellules
souches embryonnaires et de vérifier qu’il en existe qui donnent les cellules d’intérêt. Mais il faut effectivement
continuer les recherches. Beaucoup d’équipes travaillent sur ce sujet, pour les cellules embryonnaires comme pour
les iPS. Les iPS ont les mêmes capacités que les cellules souches embryonnaires, c’est assez clair. La problématique
pour constituer un greffon que nous avons rencontrée avec les cellules souches embryonnaires se poserait aussi
avec les iPS : avoir des iPS de départ, éventuellement GMP, mettre en place les protocoles de spécification,
caractériser le produit fini. Ce cheminement-là ne changerait pas vraiment. Se pose la question de l’impact de la
reprogrammation cellulaire sur les cellules. Il demeure beaucoup de questions fondamentales et extrêmement
intéressantes, mais qui permettent de s’interroger sur le modèle cellulaire que nous pouvons ou que nous devons
utiliser pour nos applications.
Question de la salle
Y a-t-il un traitement immunosuppresseur après ? Est-ce une limitation à cette thérapeutique ?
Pr Jérôme LARGHERO
Oui, il y a un traitement immunosuppresseur. C’est le résultat d’un long débat entre nous et avec des experts. Nous
nous sommes demandé quelle immunosuppression devait être donnée à ces patients et la réponse n’est toujours pas
définitive. Les experts ont dit de leur donner la même immunosuppression qu’aux transplantés cardiaques, mais ont
dit aussi que cette immunodépression est trop lourde, et ne sont pas d’accord sur la durée du traitement.
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Pour le moment, l’immunosuppression est d’un mois. Nous ne pouvons pas être certains que les cellules ne soient
jamais rejetées, même avec une immunosuppression. Pour cet essai de phase 1, nous avons privilégié une
immunosuppression de relativement courte durée.
Question de la salle
Quand on voit le délai de votre recherche, vous êtes en quelque sorte entre la médecine et la recherche
fondamentale, comment voyez-vous l’orientation des jeunes professionnels qui voudraient se former ? Quel cursus
faut-il envisager pour augmenter la capacité d’un pays à disposer de tels programmes sur le long terme ?
Pr Jérôme LARGHERO
Je ne suis pas intimement persuadé que ce qui importe soit le cursus, il s’agit davantage d’hommes et de femmes et
de liens entre les équipes. Personne ne peut avoir toutes les compétences, ce n’est pas possible. Nous sommes
parvenus à atteindre le stade de l’essai clinique autorisé, par l’association d’une équipe chirurgicale compétente dans
le domaine, d’une équipe de thérapie cellulaire et d’équipes de chercheurs. Le protocole de spécification sur les
cellules murines a été mis en place par une équipe de chercheurs spécialisée dans le développement cardiaque chez
l’embryon. Nous nous sommes appuyés sur leurs travaux pour commencer à imaginer le protocole. Ce protocole est
inimaginable sans une équipe chirurgicale capable de le mettre en place au plan clinique et sans une équipe de
thérapeutes cellulaires qui décide des contrôles et de la façon de développer le greffon. Il est inimaginable également
sans discussion avec les agences, que ce soit l’Agence de la biomédecine ou l’ANSM. Nous avons beaucoup
bénéficié de ces discussions. Nous avons tous des cursus différents. Philippe MENASCHÉ est chirurgien cardiaque,
Luc DOUAY hématologiste et j’ai un cursus de biologiste cellulaire et pharmaceutique. Nous avons tous à gagner de
ces liens les avec les autres. Je ne crois pas qu’il existe un seul cursus permettant de répondre à toutes ces
questions.
Question de la salle
Avez-vous des moyens de savoir si ces cellules sont rejetées ou non ? Dans l’optique de la lutte contre l’alloréactivité,
on peut penser que des iPS autologues pourraient résoudre ce problème. Dans les indications pour ce type de projet,
aurait-on le temps de préparer des iPS autologues, en supposant que les iPS aient les mêmes propriétés que les
cellules embryonnaires ?
Pr Jérôme LARGHERO
Il y a beaucoup de questions et je vais essayer de répondre rapidement. La situation autologue a été imaginée. On a
tendance à se dire qu’il vaut mieux greffer des cellules autologues. Des travaux ont montré que les cellules dérivées
d’iPS, même autologues, pouvaient être rejetées. C’est un débat ouvert. Dans le cadre de ce protocole, cela
n’apparaît pas faisable, non parce que nous n’aurions pas le temps de préparer un lot. Les patients sont en
insuffisance cardiaque sévère chronique, il n’y a pas d’urgence et il est possible de prendre un ou deux mois de plus
pour préparer les iPS.
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Mais préparer des iPS n’est pas simple, est assez long et coûteux et cela s’ajoute au protocole. L’ensemble devient
très lourd. Des réflexions sont en cours pour avoir une banque d’iPS ou une banque de cellules pluripotentes qui soit
peu ou prou HLA compatible. Mais HLA est compatible sur un certain nombre de locus, mais peut ne pas l’être.
Toutes ces questions sont ouvertes. Nous verrons comment tout se met en place petit à petit. Dans mon souvenir, le
protocole au Japon d’épithélium pigmentaire rétinien dérivé d’iPS est un protocole en iPS autologues. Mais il
s’adresse à quelques patients. Il est extrêmement intéressant et va répondre à certaines questions, mais je ne peux
pas imaginer que pour traiter une pathologie qui concerne 100 000, un million, 10 millions de personnes, il faille
réaliser à chaque fois des iPS autologues pour arriver à avoir un greffon.
La production de globules rouges à l’aide de cellules souches
pluripotentes
Pr Hélène LAPILLONNE, médecin biologiste, service d’hématologie biologique, CHU Paris Est, hôpital
Armand Trousseau, AP-HP, UMR S938 Inserm.
Je remercie l’Agence de la biomédecine de me donner l’opportunité de présenter ce travail réalisé par l’équipe de Luc
DOUAY à l’université Pierre et Marie Curie. J’ai rejoint l’équipe de Luc DOUAY il y a un peu plus de 10 ans. Nous
sommes un peu monomaniaques : nous cherchons à produire des globules rouges à partir de tout type de cellules
souches. En 10 ans, nous avons franchi un certain nombre d’étapes. Nous avons réussi à produire in vitro des
globules rouges mâtures bien différenciés à partir de cellules souches hématopoïétiques, CD34+. Nous avons aussi
montré que ces cellules étaient fonctionnelles puisque nous avons pu les réinjecter de façon autologue à un donneur.
Elles ont survécu au moins aussi bien que des globules rouges issus d’une transfusion. Le système hématopoïétique
présente l’avantage de pouvoir aussi choisir sa source cellulaire et de pouvoir générer éventuellement des globules
rouges dits universels. Actuellement dans l’équipe, il existe un projet autour d’une production de masse, par un
système automatisé à partir de cellules souches hématopoïétiques. Pour ma part, je m’intéresse plus spécifiquement
à la production de globules rouges à partir d’une source cellulaire illimitée. Le choix qui nous a été proposé suite aux
décrets et lois d’application était celui des cellules souches embryonnaires humaines. Depuis 2006, dans l’unité, nous
avons à disposition ces cellules souches embryonnaires humaines.
J’aborderai deux points. Tout d’abord la production et la génération de ces globules rouges à partir des cellules
souches embryonnaires humaines et aussi à partir des iPS, puisque nous avons plusieurs lignées d’iPS dans l’unité,
et ensuite un modèle d’étude, car les cellules souches embryonnaires humaines ne sont pas uniquement pour
supporter éventuellement la thérapie cellulaire, mais peuvent être aussi un outil fondamental pour améliorer la
compréhension dans l’érythropoïèse.
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Au laboratoire, dans l’unité, nous avons deux lignées de cellules souches embryonnaires humaines, une lignée H1 et
H9, dérivées par THOMSON, aux États-Unis. Comme Jérôme LARGHERO vous l’a dit, on n’obtient pas les mêmes
résultats en fonction des lignées de cellules embryonnaires. La lignée H1 est tout à fait favorable à l’hématopoïèse et
donne des résultats bien meilleurs en termes d’érythropoïèse que la lignée H9. Nous avons également 16 lignées
d’iPS dérivées selon les techniques de YAMANAKA ou de THOMSON, qu’elles soient d’origine fœtale ou d’origine
adulte. Nous avons des lignées dérivées à partir de fibroblastes cutanés et des lignées dérivées à partir de cellules
souches hématopoïétiques CD34+, à partir d’érythroblastes. Autant de lignées que de résultats différents.
Nous avons nos cellules souches pluripotentes orientées précocement vers un engagement érythroïde en les cultivant
sous forme de corps embryoïdes. Nous les laissons une vingtaine de jours en culture et nous obtenons ces petites
structures tridimensionnelles qui se forment et au sein desquels nous avons un mélange cellulaire. Nous orientons
vers le mésoderme et l’érythropoïèse assez précocement en ajoutant des facteurs de croissance, des cytokines
adéquates. Nous obtenons un magma cellulaire au bout de 20 jours sous forme de petites billes. Nous dissocions
complètement ces massifs cellulaires pour obtenir une suspension monocellulaire. Nous n’appliquons pas de
sélection CD34+ pour sélectionner les éventuelles cellules souches hématopoïétiques. Nous ensemençons
globalement toutes les cellules récupérées dans un protocole maintenant très établi dans le laboratoire. Nous
obtenons au bout de 28 jours, en présence de facteurs de croissance orientant vers une érythropoïèse, des globules
rouges de culture. En 45 ou 50 jours, nous arrivons à générer des globules rouges de culture à partir de cellules
souches embryonnaires humaines ou à partir d’iPS.
Nous avons regardé le produit fini ou au cours de sa différenciation cellulaire d’un peu plus près. Rapidement, dans
cette phase de culture liquide, pour les ES, nous avons un engagement érythroïde presque complet dès le huitième
jour de la culture cellulaire. La différenciation se fait très progressivement pour arriver en fin de culture, au bout des 50
jours, à la présence de globules rouges mâtures qui sont énucléés pour 60 % d’entre eux. Le même protocole
appliqué aux iPS montre le même aspect a priori en termes de corps embryoïdes, mais la perte cellulaire est
beaucoup plus importante de façon très précoce. L’amplification terminale est moindre. Le taux d’énucléation
n’excède pas 15 %.
C’est embêtant d’envisager de réinjecter à des patients des cellules nucléées, puisque nous ne sommes jamais
certains d’avoir éliminé complètement toutes les cellules à potentiel tumoral dans ce qui est injecté au patient.
En revanche, l’hémoglobine produite dans ces globules rouges est une hémoglobine fœtale. Ce sont des cellules
d’origine très précoce. Il y a un tout petit peu d’hémoglobine adulte et un peu d’hémoglobine embryonnaire. Cette
hémoglobine est fonctionnelle, elle est capable de fixer et de relarguer l’oxygène comme une hémoglobine fœtale
native. Le globule rouge a également une propriété de déformabilité pour circuler dans tous les petits capillaires de
l’organisme. Que l’on génère des globules rouges à partir de cellules souches embryonnaires ou d’iPS, ces globules
rouges sont tout à fait déformables, comme des globules rouges de contrôle.
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En termes de production globale, si nous comparons les trois sources disponibles au laboratoire, notre goal standard
est la cellule souche hématopoïétique issue de sang de cordon. Ce protocole est très bien connu depuis une dizaine
d’années. En termes de prolifération cellulaire, une cellule CD34+ de sang de cordon va donner 50 millions de
globules rouges, ce qui est tout à fait compatible avec une transfusion potentielle. L’avantage est que le taux
d’énucléation de cette différenciation érythropoïétique est de l’ordre de 85 à 95 %. Le point négatif du sang de cordon
est le don, le banking, la production par lots et un phénotype restreint et dépendant de la production, comme pour les
cardiomyocytes qui dépendent du donneur. Du côté des cellules souches embryonnaires humaines, nous espérons
disposer d’une source illimitée et d’une production continue. Le taux d’énucléation est intéressant, 60 %, même s’il
reste des efforts à mener. Mais la prolifération est très basse, puisqu’avec ce protocole une cellule souche
embryonnaire humaine ne peut donner que 3 500 globules rouges, ce qui est très faible par rapport au nombre de
globules rouges nécessaires pour une transfusion sanguine. Il n’est pas non plus possible de choisir le phénotype.
Avec les iPS, la source est illimitée, la production est continue, le phénotype peut être choisi. En revanche, il faut des
banques à mettre en place, des banques phénotypées, où l’on pourrait choisir de façon optimale la source pour
générer des globules rouges pour donner un maximum de receveurs. Mais ce sont des cellules modifiées, nous ne
savons pas exactement ce qui reste en suspens au sein de ces cellules. La prolifération est encore bien plus basse
qu’avec les ES puisqu’une iPS donne 500 globules rouges. Enfin, le taux d’énucléation n’est pas du tout recevable
pour pouvoir être transfusé en l’état actuel des choses, puisque nous n’avons que 15 % de globules rouges énucléés.
Nous avons donc encore beaucoup de travail à faire pour envisager un essai thérapeutique à partir de cellules
souches embryonnaires pour la transfusion sanguine. Mais les ES nous servent toujours d’outils de recherche
fondamentale. Nous avons pu décortiquer l’énucléation des érythroblastes grâce au modèle des cellules souches
embryonnaires humaines. Je vais vous montrer quelque chose qui relève plus de la recherche fondamentale, mais qui
est un point important de la recherche sur les ES.
En reprenant ce protocole de culture cellulaire à partir des ES, nous avons d’abord tâtonné. En faisant varier la durée
de cette première phase de culture cellulaire, cette première phase de corps embryoïdes, les résultats ont été assez
différents. Le schéma standard aboutit à des globules rouges énucléés à 60 %. Si nous réduisons cette première
phase de culture cellulaire à neuf jours, nous obtenons des corps embryoïdes plus petits, mais quand on applique
cette culture de globules rouges jusqu’au bout, nous avons une absence complète d’énucléation. Nous avons alors
une population assez homogène d’érythroblastes acidophiles, plutôt mégaloblastiques. Nous nous sommes demandé
si l’énucléation était liée à l’âge des corps embryoïdes pour connaître les mécanismes impliqués dans cette
énucléation. Nous avons mené des études de transcriptome. Nous avons comparé l’expression des gènes et de
microarrays en fonction de ces différents temps de culture, soit en comparant les corps embryoïdes jeunes et tardifs
et en comparant le produit fini obtenu, soit une population érythroïde énucléée ou une population érythroïde nucléée.
Nous avons passé beaucoup de temps sur les analyses de puces et de données informatiques. Un premier niveau
d’analyse est une simple comparaison entre chaque point de culture. Un certain nombre de gênes était nettement
surexprimé ou sous-exprimé dans les corps embryoïdes jeunes par rapport aux corps embryoïdes plus tardifs.
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De même, en fin de culture entre les deux populations érythrocytères énucléées et non énucléées a été observé un
différentiel d’expression d’un nombre important de gènes. Cela ne nous conduisait pas vraiment dans une direction
précise.
Le deuxième niveau d’analyse statistique croise les gènes surexprimés dans la population énucléée et établit une
comparaison avec les gènes sous-exprimés. À l’intersection de ces deux croisements d’analyses, nous avons obtenu
1 387 gènes. Nous avons déterminé quels étaient les tissus et voies de signalisation impliqués dans cette
différenciation. Nous avons trouvé des voies de signalisation érythroïdes et des mécanismes cellulaires de
l’érythropoïèse. C’était le minimum à attendre. Mais 1 387 gênes, c’est trop pour moduler un ou deux gènes sur les
précurseurs.
Nous avons donc utilisé un troisième niveau d’analyse en intégrant cette fois-ci les micro-ARN. Nous nous sommes
aperçus que 35 micro-ARN étaient surexprimés dans la population érythroïde qui n’énucléait pas. Nous avons croisé
ces résultats avec les gènes cibles de ces micro-ARN. Nous avons identifié ainsi cinq micro-ARN surexprimés dans
cette population qui n’énuclée pas, à savoir le miR-9, le miR-221, le let-7e, le miR-34a et le miR-30a.
À la fin de cette analyse croisée bio-informatique, nous avions cinq miR candidats qui pouvaient être responsables
d’une absence d’énucléation des cellules érythroïdes. Nous avons décidé de réaliser une analyse fonctionnelle. Nous
avons inhibé l’expression de chacun de ces micro-ARN dans les cellules érythroïdes, par des transfections
lentivirales, qui sont ensuite triées sur le marqueur fluorescent en GFP et la culture ciblaire est produite jusqu’en fin de
culture. Les résultats sont déjà partiellement intéressants quand on inhibe le miR-9 ou le miR-34a puisque nous
passons d’une énucléation contrôle à moins de 80 % à 13 %. Quand on inhibe le miR-30a, on restaure une
énucléation à 62 %, comparable avec celle du protocole long standard des corps embryoïdes.
En termes de culture cellulaire, c’est un point important de pouvoir raccourcir la durée de la culture. Quand on produit
des cellules hématopoïétiques, il faut des centaines de litres de milieux de culture. Réduire une culture cellulaire de
10 ou 15 jours facilite la production et la rend plus rapide. Nous n’envisageons pas de nous séparer des cellules
souches embryonnaires humaines au profit des iPS. C’est un modèle d’étude particulièrement intéressant pour
l’hématopoïèse fondamentale. Nous avons ainsi mis le doigt sur un mécanisme de l’énucléation. Une inhibition du
miR-30a est nécessaire pour avoir une énucléation correcte. L’inhibition de ce miR régule positivement un certain
nombre de gènes cibles impliqués dans différents processus d’énucléation. Ces processus d’énucléation sont assez
variables : autophagie, condensation de la chromatine, apoptose et nous allons continuer à les explorer. Le travail va
se poursuivre au sujet de cet aspect à partir des cellules souches embryonnaires humaines. Nous allons essayer
d’identifier précisément quels sont les gènes cibles de ce miR-30a qui jouent et qui influent le plus sur l’énucléation.
Nous allons également reprendre les analyses fonctionnelles de gain ou de perte de fonction. Le miR-30a dans les
cellules de CD34+ de sang de cordon est fortement exprimé dans la cellule souche hématopoïétique et décroît
rapidement dans la cinétique habituelle. En revanche, le miR-30a est fortement exprimé dans les iPS, en début et en
fin de culture. C’est donc peut-être aussi un point à considérer.
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Discussion
Question de la salle
J’ai deux questions. Est-ce que dans les promoteurs des miR qui semblent avoir un effet sauvegarde de l’énucléation
des motifs semblent pointer vers des facteurs de transfection précis, qui seraient masters régulateurs de ce contrôle ?
Et pour revenir à une possible application clinique, est-il envisageable purement pour une production de masse
d’ingénierer une lignée avec une inactivation génique du miR-30a, sachant que ce n’est peut-être pas nécessaire pour
la vie d’un globule rouge d’avoir accès à miR-30a en transcription ? Cela vous simplifierait la vie.
Pr Hélène LAPILLONNE
Oui, c’est envisageable. Quand nous transfusons des globules rouges, a priori il n’y a plus de noyau, nous ne
sommes pas gênés par les modifications nucléaires que nous pouvons apporter. Cela pourrait être fait au niveau des
ES, au niveau des iPS.
Question de la salle
Transitoirement, il n’est pas nécessaire ?
Pr Hélène LAPILLONNE
Non, il s’éteint progressivement au cours de la différenciation. On pourrait donc l’éteindre dès le début. Il faudrait
trouver un équilibre entre prolifération et différenciation, c’est toujours le problème qui se pose en hématologie pour
disposer de suffisamment de cellules à la sortie.
Question de la salle
Quelle est la durée de vie des globules rouges que vous avez produits ?
Pr Hélène LAPILLONNE
Je parle sous le contrôle de Luc DOUAY. Malgré le marquage au chrome 51 de 6 ml de globules rouges, il a fallu que
nous fassions un calcul de dilution du chrome pour aboutir à une demi-vie à peu près correcte. Dans les cas les plus
défavorables, la demi-vie était supérieure à la demi-vie standard actuelle. De façon optimale, nous avions calculé
qu’elle pouvait monter jusqu’à 56 jours. On aurait donc une population plus jeune.
Question de la salle
Je retiendrais de tes commentaires ceux comparant le CD34+, les ES et les iPS qui me parassent très éloquents et
extrêmement intéressants sur des cellules multipotentes et pluripotentes et entre les différentes pluripotentes. Pour
revenir à la comparaison entre ES et iPS, avez-vous fait le même type de comparaison vis-à-vis des 34 dont on peut
imaginer que la régulation des miR est encore différente ?
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Pr Hélène LAPILLONNE
Dans les CD34+ de sang de cordon, le miR-30a est fortement exprimé à l’état basal. En quatre jours, son expression
s’effondre et reste à un niveau quasi nul au cours de la différenciation. En termes de production, pour le moment, le
goal standard reste la cellule souche hématopoïétique de sang de cordon.
Question de la salle
Pour aller un peu plus loin, quelles seraient selon vous les premières indications dans un essai clinique ? Moi, j’avais
pensé au phénotype rare des drépanocytoses.
Pr Hélène LAPILLONNE
Nous avons mené effectivement une analyse sur les applications potentielles auprès des patients allo-immunisés ou à
phénotype rare. Un travail a été mené avec le registre de l’INTS au sujet de ces patients allo-immunisés ou
difficilement transfusables qui seraient notre première cible.
Question de la salle
C’est une question un peu secondaire. Vous avez parlé de développements à partir de l’expansion de la population
cellulaire à partir de corps embryoïdes. Quelques années auparavant, une équipe avait attiré l’attention sur le fait que
l’identification de cellules potentiellement souches germinales se faisait en voisinage relativement étroit dans les corps
embryoïdes avec des cellules CD34+. Au moment de vos expansions, avez-vous été confrontés à des phénotypes qui
auraient pu évoquer la présence de cellules germinales souches ?
Pr Hélène LAPILLONNE
Nous n’avons pas regardé de cette façon. Il est vrai qu’en fin de culture embryoïde nous récupérons un magma
cellulaire avec des cellules mésodermiques, des cellules angioblastiques. Nous avons regardé de façon un peu
égoïste les gènes et les expressions hématopoïétiques. En fin de corps embryoïdes, nous n’avons plus les gènes de
la pluripotence, tous les CD témoignant de la pluripotence. Nous n’avons pas vraiment regardé cet aspect-là.
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La thérapie cellulaire des maladies neuro-dégénératives
Pr Anselme PERRIER, chargé de recherche, Inserm U861, I-Stem, Évry
Je vais vous parler du potentiel thérapeutique des cellules souches pluripotentes humaines dans un contexte très
particulier, celui du traitement de la maladie de Huntington avec une approche de thérapie cellulaire.
Je travaille sur la maladie de Huntington qui est une maladie neurologique dévastatrice. C’est une maladie génétique
à transmission autosomique dominante, causée par la mutation d’un gène, la huntingtine. C’est un gène
multifonctionnel impliqué dans plusieurs fonctions de la cellule. Lorsqu’il est muté, ses fonctions sont perturbées. Cela
aboutit à une dégénérescence neuronale assez massive dans le striatum dès le putamen des patients qui s’étend
ensuite dans le cerveau, dans le cortex. Les symptômes sont massifs, à la fois moteurs, psychiatriques et cognitifs. Ils
sont mortels en une dizaine d’années. Il n’existe malheureusement pas de traitement contre cette maladie. Plusieurs
essais cliniques essaient de savoir si des médicaments pourraient atténuer les symptômes, mais sans succès pour le
moment. Des thérapies cellulaires à partir de cellules souches fœtales ont donné des résultats assez intéressants. La
logique de ce travail mené à partir de cellules souches embryonnaires humaines est d’essayer de voir s’il est possible
de passer d’études cellulaires expérimentales à une application clinique. L’idée est de reprendre des données
publiées après des essais cliniques environ 15 ans auparavant.
Ces recherches partaient de cellules souches fœtales et avaient montré des résultats assez intéressants sur un petit
nombre de patients : récupération prolongée de symptômes à la fois moteurs et cognitifs, jusqu’à six années. Le
nombre de patients était assez limité. C’était très encourageant et montrait que cette approche était valable. Des
problèmes pratiques d’ordre logistique avaient été soulignés : les cellules étaient prélevées sur des fœtus avortés, le
contrôle qualité de la dissection et de la production de ces greffons était problématique, des problèmes
d’immunogénicité de ces greffons étaient apparus plus tard. Dès les résultats de ces essais cliniques, la question
s’était posée d’une source alternative à ces tissus fœtaux qui visiblement n’étaient pas adéquats. Ce papier de 2012 a
été une révolution, car nous avons pensé bien sûr aux dérivés des cellules souches pluripotentes humaines, en
particulier les cellules souches embryonnaires humaines. Plusieurs travaux ont été menés dans cette direction. Un
article de 2012 a établi la première preuve de principe que dans un modèle assez simple de souris qui reproduit
certains symptômes de la maladie on pouvait obtenir des récupérations fonctionnelles, en l’occurrence des mesures
de symptômes moteurs, qui sont sauvés par la greffe très précise d’un type cellulaire, le type cellulaire striatal à
l’endroit où la lésion est la plus importante. Dans plusieurs laboratoires, dont mon équipe, nous nous sommes posé la
question d’étudier ce potentiel thérapeutique dérivé des cellules souches embryonnaires. Ainsi que cela a été très
justement dit au début de cette séance, cette translation vers la clinique ne peut pas être le travail d’une seule équipe
de recherches. Il faut réunir une chaîne d’expertise, souvent dans un contexte de consortium, pour aller vraiment de la
paillasse jusqu’au lit des malades.
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Mon équipe de recherches travaille avec des cellules souches pluripotentes, humaines et de singe. Nous avons
comme source principale des cellules souches embryonnaires humaines, d’abord des cellules de grade recherche
comme les H9 ou les SA01. Plus récemment, nous avons commencé à travailler avec des lignées qui existent aussi
sous forme GMP, grade clinique. Nous les travaillons de la même manière qu’elles le seraient en laboratoire GMP,
mais pour des raisons financières, nous conservons nos laboratoires classiques de recherche. Nous travaillons
également en parallèle avec des cellules pluripotentes de singe, surtout des cellules iPS, reprogrammées de la même
manière que toutes les cellules somatiques sont reprogrammées, avec les mêmes gènes que les gènes humains pour
pouvoir étudier des étapes d’étude fonctionnelle de ces greffons dans des modèles singes, dans un contexte
allogreffe. C’est le contexte le plus proche de ce qui se fera lorsque nous grefferons des cellules issues de cellules
pluripotentes humaines chez les patients.
Nous avons d’abord étudié le contrôle qualité de notre matériel biologique de départ, à savoir les cellules souches
embryonnaires ou iPS. Nous avons réalisé différentes études génomiques systématiques pour savoir si nous avions
affaire à des cellules qui conservaient un caryotype normal ou non. Nous nous sommes rapidement rendu compte
que si c’était très pratique que les cellules pluripotentes soient très autorenouvelables et prolifératives, il fallait tout de
même faire très attention, car 10 % des cultures analysées présentaient des anomalies caryotypiques. Nous étudions
cela au début avec des méthodes comme le G-banding ou le M-fish qui sont des méthodes classiques, qui permettent
de repérer des grosses anomalies. À force d’étudier systématiquement toutes nos ES et toutes nos iPS, nous nous
sommes aperçus que même si le pourcentage d’anomalies semblait équivalent, il y avait quand même des
différences. Des trisomies plus fréquentes que d’autres apparaissaient, des trisomies 12, des trisomies 20. Nous
avons trouvé que globalement le pourcentage d’anomalies était à peu près équivalent entre les ES et les iPS. Mais
dans le détail des types d’anomalies, nous avions plutôt des anomalies numériques dans les ES, c’est-à-dire des
chromosomes en plus, alors que dans les iPS nous avions des anomalies de structure plus fines, des translocations,
duplications, insertions, délétions. Nous avions donc des différences entre les ES et les iPS qui expliqueraient peutêtre certains résultats. Ce travail a été mené dans mon équipe par Nathalie LEFORT.
Elle a également utilisé des techniques plus fines d’analyse des altérations chromosomiques pour voir de toutes
petites altérations complètement non aléatoires, assez systématiques, dans plus de la moitié de nos cultures. Elles
étaient très petites et non détectables par les méthodes classiques. Nous avons étendu ce résultat à l’analyse du
génome différencié. Nous parlons de thérapie cellulaire, il faut donc contrôler la qualité de ce qui est greffé chez les
patients. Dans un cas extrême, quand nous faisons proliférer le plus possible les cellules neurales, nous pouvions
trouver encore d’autres types d’anomalies caryotypiques détectables par M-fish.
Ensuite, la question était de différencier ces cellules pluripotentes vers un phénotype d’intérêt pour la greffe. Nous
nous intéressons aux neurones moyens épineux qui sont les neurones principaux du striatum qui sont perdus chez
les patients. Nous nous sommes intéressés à ce processus qui récapitule le développement humain dans une boîte
de Petri, qui permet de passer à un stade pluripotent à un stade neural, à un stade télencéphalique, puis à une sousrégion du télencéphale qui va produire ces neurones striataux.
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L’intermédiaire de culture, juste avant les neurones, est probablement le stade le plus favorable à greffer pour faire les
greffes chez les patients. C’est l’équivalent de ce qui est disséqué dans les fœtus.
Nous avons travaillé sur l’étude de voies de signalisation qui permettent de contrôler les différentes étapes comme
l’induction neurale, de promouvoir l’identité télencéphalique, la partie antérieure du cerveau, puis promouvoir une
sous-région du télencéphale intermédiaire. Cela permet d’aboutir à des différenciations plus contrôlées. Quand nous
avons travaillé sur le patterning antéropostérieur, nous nous sommes aperçus que la voie Wint était une des voies les
plus importantes. Si on ajoute un agoniste de la voie Wint ou une protéine recombinante qui active la voie Wint, on
postériorise l’identité des cellules neurales que l’on obtient à partir de cellules ES. Si on ajoute un inhibiteur de cette
voie, l’effet inverse se produit. Si on veut obtenir une régionalisation télencéphale, il faut garder cette identité
antérieure et il faut utiliser un inhibiteur de la voie Wint. C’est une des manières d’optimiser les protocoles.
Si nous poussons la différenciation complètement in vitro, au-delà du stade qui nous intéresse pour les greffes,
jusqu’au stade neuronal qui est le stade le plus facile à identifier, nous obtenons des cultures constituées très
majoritairement de neurones et qui expriment des marqueurs très précis et très classiques des neurones de projection
du striatum pour la majorité de ces neurones, mais aussi d’autres types neuronaux plus minoritaires, comme les
interneurones. Nous avons la capacité de contrôler la qualité d’une étape intermédiaire en poussant la différenciation
in vitro.
Nous nous sommes ensuite intéressés à la conversion pour la production clinique. Nous avons repris le protocole
principal. Nous nous sommes posé la question de l’échelle et de la manière d’arrêter la production. Pour l’approche
de la maladie de Huntington, l’idée est de produire des produits de thérapie cellulaire congelés. Pour traiter un
maximum de patients, il faudrait pouvoir standardiser la production, découpler la phase de production initiale GMP
d’une phase de contrôle qualité et ensuite d’une phase d’exploitation. Il suffirait d’écouter le chirurgien et lui fournir le
jour demandé par décongélation le produit de thérapie cellulaire en quantité souhaitée, sans risque d’aléas lors de la
phase finale de production du greffon. Chaque étape a été examinée pour voir si sa conversion en grade clinique
posait problème. Cela peut être des questions très simples de standardisation dans la manière de passer les cellules
par la standardisation des outils, le fait d’utiliser des produits, des matrices et des milieux qui sont de grade GMP ou
qui existent sous forme GMP, ce qui permet d’être sûr de pouvoir convertir le protocole de recherche vers un
protocole de production clinique. Il y a aussi la mise en place de contrôles et la manière de congeler les cellules. Pour
nous, c’est 21 jours. Peut-on les congeler, les décongeler facilement ? Utilise-t-on des appareils pour maîtriser cette
congélation progressive ? Il existe également des questions d’échelle de production. Un patient a besoin de 50 ou 100
millions de cellules, c’est assez important. Il faut s’assurer dès le début que ce qui est faisable à petite échelle dans
un laboratoire de recherche serait faisable à une échelle plus importante, dans des suites de production GMP. Pour
nous, un passage en flask suffirait. Une dizaine de flasks permettrait de produire quatre milliards de cellules pour une
vingtaine de patients. C’est raisonnable pour un essai de phase 1-2. Il fallait s’assurer de ne pas se tromper en
passant à la clinique.
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Il faut également veiller au contrôle de la qualité et de la fonctionnalité des greffons qui pourraient être produits in vivo.
Nous avons accès à différents modèles animaux. Nous utilisons des rats nude, c’est-à-dire des rats athymiques qui
tolèrent des greffes humaines sans problème pendant plusieurs mois. Nous utilisons une toxique qui tue les neurones
du striatum de ces animaux. Cela permet de reproduire une forme de maladie de Huntington chez ces animaux. Une
semaine après, nous pouvons intervenir avec une greffe. Nous pouvons greffer chez les rongeurs entre 150 000 et un
million de cellules et observer à plus ou moins long terme la destinée de ces cellules. Survivent-elles ? Migrent-elles ?
Se différencient-elles et en quoi ? Interagissent-elles avec l’hôte ?
Ces expériences ont été réalisées sur des rats nude avec des cellules dérivées d’iPS de macaques. Le marqueur de
prédilection est un marqueur très spécifique des neurones striataux qui sont les neurones perdus chez les patients et
que nous essayons de retrouver. Nous avons également un anticorps qui ne reconnaît que la forme humaine de cet
antigène, de ce marqueur. Nous voyons un greffon qui est positif pour plus de la moitié pour ce type de marqueur.
Nous avons des marqueurs pour le striatum de l’hôte et des marqueurs qui sont encore faibles ou inexistants au bout
de trois mois et qui augmentent si nous attendons plus longtemps. La maturation va être lente, puisque le
développement humain et primate est relativement lent. À plus long terme, 10 mois après la greffe, le greffon survit et
il grossit un peu. Des zones sont fortement positives pour des marqueurs striataux. Au sein de sous-zones de ces
zones positives, on a des zones positives pour un autre marqueur striatal qui montre que nous avons des neurones
striataux. Les autres zones qui n’étaient pas positives pour ces neurones de projection sont positives pour des
marqueurs d’interneurones striataux. C’est intéressant, car quand nous reprenons des articles d’une quinzaine
d’années qui utilisaient des greffes de tissus humains sur le rat et de tissus de rat chez le rat, avec ce type de greffon
patch, il y avait des zones striatales soit de neurones de projection soit d’interneurones.
Nous avons étendu l’étude à des greffons issus de ES humaines, pas que de singes. Les résultats sont un peu
différents. Nous avons de très bons résultats sur les marqueurs de neurones de projection, mais nous avons eu des
problèmes avec des croissances trop importantes spécifiquement de ces cellules humaines en opposition aux cellules
de singe. Nous avons donc développé un programme qui essayait de sécuriser davantage les greffons en ajoutant
une étape de transgénèse et qui viserait à exprimer un gène suicide. Ce serait comme avoir un interrupteur de
sécurité dans des greffons problématiques. Intrinsèquement, les greffons fœtaux pour la maladie de Huntington sont
des greffons très prolifératifs. Nous ne pouvons pas exclure le fait que le bon greffon soit prolifératif. Les agences
réglementaires pourraient être amenées à demander ou exiger un système de sécurité particulier. Nous avons testé
un gène suicide thymidine kinase, celui du virus de l’herpès, qui a la particularité de pouvoir être couplé à une
prodrogue qui est utilisée pour traiter certaines maladies. Lorsque les cellules saines sont en présence de cette
prodrogue, il ne se passe rien. Mais lorsque des cellules expriment cette enzyme, cette prodrogue est incorporée
dans l’ADN et induit l’apoptose des cellules, uniquement celles en prolifération. En faisant une transgénèse des
cellules souches embryonnaires humaines avec ce gène, la thymidine kinase, nous pouvions observer une forte
sensibilité de ces cellules à la prodrogue, sans problème lorsqu’elles sont prolifératives et une relative insensibilité à
un stade post-mitotique. Les neurones ne sont donc pas sensibles, sauf à des doses extrêmes qui ne sont pas
utilisables chez les patients. Les cellules ES ou les cellules intermédiaires, quelles qu’elles soient, sont sensibles.
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Des cellules neurales par exemple qui sont encore prolifératives sont sensibles au produit Valaciclovir. Dès que la
cellule passe post-mitotique, elle perd cette sensibilité.
Nous avons voulu tester la faisabilité de ce système in vitro dans un contexte de thérapie cellulaire dans le cerveau.
Pourra-t-on donner une dose suffisante de Valaciclovir au patient pour qu’il se trouve suffisamment de cette
prodrogue dans le cerveau pour affecter les cellules hyperprolifératives ? Nous avons choisi de collaborer avec le
CEA et de nous positionner directement dans un système macaque. Nous avons mis en place un greffon
artificiellement surprolifératif, avec des cellules neurales très prolifératives, qui prolifèrent pendant deux mois. Lorsque
les cellules sont modifiées génétiquement pour modifier l’ATK et la GFP, pour bien reconnaître quelles cellules font
partie du greffon, nous nous apercevons qu’aux doses maximales tolérées par un humain que l’on peut fournir à un
singe par injection intrastomacale, on a bien une capacité réelle à complètement maîtriser la prolifération des
greffons. Nous passons donc d’un greffon hyperprolifératif à un greffon qui se stabilise dès que l’on commence à
injecter le Valaciclovir à des doses tolérables par des humains. Des études histologiques post-mortem ont montré qu’il
existait bien des différences importantes de taille entre un greffon traité et un greffon non traité.
Avec le CEA, nous avons également travaillé sur des questions de fonctionnalité des greffons. C’est un cas plus
classique. Il existe un modèle singe de la maladie, une lésion qui touche le caudé et le putamen, qui est bilatérale et
qui permet d’induire des symptômes moteurs et cognitifs proches de la maladie de Huntington chez le singe. Nous
avions des singes non greffés et des singes lésés et greffés en utilisant des cellules issues de cellules iPS de
macaque, GFP positif, pour pouvoir mieux les repérer après la greffe. Cette étude a été menée au CEA par Philippe
HANTRAYE et Romina ARON BADIN. Des études d’imagerie fonctionnelle ont été réalisées en parallèle. L’intérêt de
ce modèle singe est de pouvoir utiliser les mêmes techniques d’imagerie que celles utilisables pour les patients. Ce
sont déjà des études précliniques pour s’entraîner à monitorer l’effet d’un greffon. Deux traceurs sont utilisés, dont le
FDG qui mesure l’activité métabolique. Après lésion, nous avons une très forte métabolique dans les zones lésées.
Dans les zones symétriques des zones lésées, il y a des compensations, ainsi qu’ailleurs dans le cortex. Lorsque l’on
greffe bilatéralement dans le caudé et unilatéralement dans le putamen, la récupération s’observe sur l’ensemble du
cerveau. Si nous regardons plus précisément les marqueurs des récepteurs dopaminergiques, qui sont des
récepteurs portés par les neurones striataux que nous souhaitons voir apparaître dans nos greffons, nous voyons
qu’après lésion on perd les cellules striatales qui portent les récepteurs. Quand nous greffons dans le caudé et le
putamen, nous récupérons un signal qui semble indiquer qu’à cet endroit-là on retrouve ces récepteurs
dopaminergiques qui sont normalement portés par le greffon. Ces résultats sont assez intéressants.
Ces résultats sont corrélés par un certain nombre d’études cognitives chez le singe qui ont permis de montrer qu’une
perte de score se produisait lorsque l’on lésait des groupes de singes et que ce score pouvait être sauvé par la greffe.
Ce n’est pas ma spécialité, mais les études cliniques cognitives chez le singe sont plus poussées que celles menées
chez le rongeur. Les singes ont accès à des tests avec des écrans tactiles, ils doivent trouver des règles de formes et
de couleurs. Les patients Huntington comme les singes ont du mal à s’adapter à ces changements de règles. Ce
défaut se retrouve en cas de lésion en particulier du caudé. Nos greffons semblaient corriger correctement ce défaut.
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Malheureusement, quand nous avons mené des analyses histologiques plusieurs mois après ces études, dans la
majorité des cas, nous ne retrouvions plus nos greffons. Soit les greffons n’ont jamais survécu, ce qui est peu
probable vu les études d’imagerie, soit ils avaient fini par être rejetés. Nous nous sommes interrogés à propos d’une
incompatibilité immunologique des greffons avec les receveurs. Deux hypothèses ont été posées.
La première est celle d’une incompatibilité expérimentale. Nous avions voulu bien faire en mettant de la protéine
fluorescente dans nos cellules transgéniques pour mieux les repérer. Mais nous savons que cette protéine est
immunogénique. Des articles ont montré entre temps que ce n’était pas forcément une bonne chose d’exprimer ainsi
les cellules, même dans des contextes d’autogreffe. Parmi la série de singes greffés, deux singes avaient dans leur
sang des anticorps contre la GFP. Cela n’explique pas le rejet, mais c’est une cause possible. Des collaborateurs en
Italie spécialisés dans les greffes d’organes nous ont aidés à mener cette étude. Dans ce cas, il suffirait de ne pas
utiliser la GFP. Cette question n’est pas pertinente pour la clinique, puisqu’il n’a jamais été envisagé de mettre la GFP
dans les greffons cliniques.
Se pose également la question de l’allo-immunisation dans le cerveau. Les études fœtales se sont basées sur le fait
qu’il existait un certain immunoprivilège du cerveau. Si on mettait des allogreffons dans le cerveau, on pouvait se
passer d’immunosuppression soit totalement soit partiellement. Certaines études de patients greffés avec des tissus
fœtaux qui ont conservé leur greffon sans immunosuppression pendant des dizaines d’années semblent indiquer que
cela devait être en partie vrai. Mais d’autres études, dans le contexte des greffes pour Huntington, ont montré qu’un
très grand nombre de patients qui avaient été greffés présentait des anticorps anti HLA. Il a démontré dans un cas
qu’un rejet du greffon était en cours à cause de ces anticorps, rejet qui avait été arrêté en plaçant le patient sous
immunosuppression. La question de l’immunosuppression doit donc être remise à l’ordre du jour. Il faut réaliser la
balance entre les effets secondaires majeurs de l’immunosuppression chez le patient et le fait d’en arriver à perdre la
greffe.
Nous en sommes encore au stade de la recherche. Nous étudions la possibilité de matcher les greffons au moins
pour les complexes majeurs d’histocompatibilité. Il y a eu des initiatives internationales sur la création d’haplobanques
iPS. Nous aimerions étudier cette question expérimentalement. Nous travaillons avec le CEA sur des singes qui ont
une particularité, ce sont des singes cynomolgus, des macaques fascicularis, connus pour avoir une hétérogénéité
génétique assez faible. Les singes disponibles en France proviennent tous de l’île Maurice. Cette île a une population
importante de macaques, mais fondée par l’homme. Il n’y avait pas de singes sur l’île. Ce sont les marchands et
explorateurs hollandais du XVIIe siècle qui ont amené une toute petite population de singes. Cette population a donc
des haplotypes très particuliers. Des singes ont été identifiés comme étant monozygotes pour les marqueurs des
complexes majeurs d’histocomptabilité.
Nous avons pu organiser une expérience avec des autogreffes, des allogreffes complètement dispatchées et des
greffes semi-similaires (par exemple un animal reçoit des cellules d’un animal matché partiellement au moins pour les
complexes majeurs). Cette expérience est en cours. Des singes ont été sélectionnés, leur sang a été prélevé, nous
avons récupéré les cellules sanguines circulantes.
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Des iPS ont été faites pour chacun de ces singes. Des cellules striatales ont été produites. Un contrôle qualité a été
réalisé in vitro et in vivo chez le rongeur, avant de regreffer chez le singe. Ce sont des expériences très lourdes, mais
nous avons pu tout faire en moins de trois mois. Les statistiques disponibles à partir d’expériences chez le singe sont
très limitées, mais nous devrions avoir une réponse pour savoir si nous pouvons greffer des dérivés d’ES en nous
contentant d’un contexte allogreffe ou si les problèmes sont plus importants : rester avec des ES, mais il faut
immunosupprimer, ou s’il faut des greffons semi-similaires.
M. Arnaud DE GUERRA
J’imagine que dans le monde il y a d’autres travaux de ce type, pas forcément à propos de la maladie de Huntington,
mais de greffes de neurones différenciés à partir de cellules embryonnaires ou d’iPS. Le fait de greffer pour des
pathologies du cerveau pose-t-il un problème ?
Pr Anselme PERRIER
Trois grosses équipes travaillent sur Parkinson et sont très avancées : il y a un pôle au Japon, un pôle européen en
Suède et un pôle à New York. Ils travaillent sur la thérapie cellulaire de la maladie de Parkinson à partir de
précurseurs de neurones dopaminergiques. Ils ont de gros financements et les essais cliniques interviendront dans
quelques années. Les agences réglementaires ne signalent pas de problème particulier lié à des greffes dans le
cerveau. Se posent toujours les mêmes problèmes de sécurité, pour savoir si les cellules contiennent des cellules
dangereuses. Pour Parkinson, les greffons équivalents fœtaux sont des greffons post-mitotiques, donc la question ne
se pose pas.
Discussion
Question de la salle
J’ai une question concernant l’hyperproduction. Ce sont des sortes de kératome. Comment l’expliquez-vous ? On ne
retrouve pas ce problème dans d’autres essais avec d’autres dérivés de cellules embryonnaires.
Pr Anselme PERRIER
Ce ne sont pas des kératomes. C’est une propriété normale pour des cellules neurales qui ne se trouvent pas à un
stade assez avancé. Les cellules neurales prolifèrent beaucoup pour produire un gros cerveau. Si on greffe ces
cellules, généralement elles continuent à proliférer et elles s’arrêtent spontanément. Mais elles prolifèrent trop par
rapport à la taille du cerveau du rat. Ce n’est pas certain que le problème se produise à l’échelle humaine. Mais ce
n’est pas acceptable pour les agences réglementaires. Il faut trouver les signaux pour passer de ces progéniteurs très
prolifératifs vers les progéniteurs juste post-mitotiques qui tolèrent bien la greffe, mais qui sont spontanément
capables de se différencier en neurones sans proliférer.
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