Georges Oltramare et l`Italie fasciste dans les années trente

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Georges Oltramare et l`Italie fasciste dans les années trente
Georges Oltramare et l'Italie fasciste
dans les années trente
La propagande italienne à Genève à l'époque des sanctions
et de la crise de la Société des Nations
Par Mauro Cerutti
Les relations entre Georges Oltramare et l'Italie fasciste, plus particulièrement avec Mussolini, ont déjà été évoquées par Roger Joseph dans
son ouvrage consacré à l'Union nationale1, mouvement fondé en 1932,
dont Oltramare fut le chef unique à partir de 1935.
Cependant, la seule source dont a pu disposer Joseph pour la reconstitution de ces relations - la presse de l'époque mise à part - est constituée
par les souvenirs d'Oltramare publiés par lui en 19562, auxquels s'ajoutent tout au plus les témoignages de quelques anciens militants de
l'Union nationale. Utilisant avec prudence le récit d'Oltramare, Joseph
arrive à une seule certitude, à savoir qu'«Oltramare eut des contacts
personnels, peut-être fréquents, avec le maître de l'Italie».3 Ce qui est
certain aussi, c'est que ces contacts furent particulièrement intenses à
l'époque des sanctions, le chef de l'Union nationale se plaisant à
rappeler que Mussolini lui «savait gré d'avoir lutté, seul en Suisse,
contre les sanctions»4, sans toutefois préciser si la gratitude du Duce
s'était traduite par des gestes concrets à son endroit ou à celui de son
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mouvement. Autrement dit, Oltramare et son mouvement touchèrentils une récompense quelconque de la part de Mussolini pour l'action
vigoureuse menée à Genève contre la Société des Nations et ses
partisans genevois?
Dans son ouvrage sur la Suisse de l'entre-deux-guerres, R. Ruffieux est
affirmatif. Selon lui, «la propagande italienne se montra la plus active
dans notre pays et ... elle soutint les fascistes suisses comme elle
appuyait les francistes français. Oltramare et Fonjallaz, Bucard et
Doriot s'allaitaient tous aux mamelles de la Louve».5
A propos d'Oltramare, R. Joseph est en revanche plus réservé; certes, il
est conscient, après avoir analysé le budget de l'Union nationale, que les
seules cotisations des militants ne pouvaient pas couvrir les frais entraînés par l'organisation. Il est cependant de l'avis que si ce mouvement
reçut des apports financiers extérieurs, ceux-ci étaient probablement de
provenance genevoise.6
Quant à nous, nous sommes persuadé que la propagande italienne, et
Mussolini personnellement, surent se montrer particulièrement généreux envers leurs amis et partisans en Suisse. Nous avons déjà montré
ailleurs7, à partir de sources italiennes, que la Fédération fasciste suisse,
mouvement fondé par le colonel A. Fonjallaz en 1933, a été très
généreusement financée par l'Italie avec le feu vert de Mussolini. On
peut même dire que la subvention octroyée au colonel vaudois entre
1932 et 1936, au total plus de 600 000francs de l'époque, est l'une des
plus grosses sommes accordée par le Duce à un mouvement fasciste
étranger.
En 1935, l'étoile de Fonjallaz avait déjà sérieusement pâli au firmament
italien et les autorités de Rome commencèrent à s'intéresser sérieusement à l'action d'Oltramare et de son mouvement. Cet intérêt apparaît
dans quelques dossiers, couvrant pour l'essentiel la période 1935-1938,
déposés à Y Archivio centrale dello Stato et surtout à Y Archivio storicodiplomatico del Ministero degli Affari esteri, à Rome.8
Deux de ces dossiers proviennent des fonds du Ministero della Cultura
popolare'', organisme chargé de l'œuvre de propagande en Italie et à
l'étranger. Cependant, le fascicule le plus intéressant que nous avons pu
consulter fait partie d'un fonds intitulé Carte di Gabinetto10, comprenant
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les dossiers les plus importants ainsi que ceux de caractère confidentiel
dont eut à s'occuper la direction du Ministère italien des affaires
étrangères depuis la fin des années vingt. Le caractère particulièrement
délicat de cette documentation explique pourquoi les fonds regroupant
la correspondance échangée entre les diplomates italiens à l'étranger et
la centrale à Rome n'en font pas mention. Rien d'étonnant dès lors que
dans la correspondance entre la légation de Berne et Rome", il n'y ait
aucune trace des liens confidentiels noués entre Mussolini et le chef de
l'Union nationale. Le dossier des Carte di Gabinetto ouvert au nom de
G. Oltramare couvre seulement les années 1937-1938; il n'y est pas
question de l'activité du Genevois à l'époque des sanctions, soit d'octobre 1935 à juillet 1936. Nous savons cependant qu'en 1936 il fut reçu à
plusieurs reprises par le Duce, vraisemblablement à partir du mois de
février;12 or, toute audience accordée par Mussolini était nécessairement
précédée d'un échange de correspondance, en l'occurrence entre les
représentants italiens à Genève et la direction du Ministère des affaires
étrangères, aboutissant à la création d'un dossier. C'est le cas pour les
entretiens accordés par le Duce à Oltramare en 1937-1938, mentionnés
dans le dossier qu'il nous a été donné de dépouiller.13 Il est certain qu'un
deuxième dossier «Oltramare» a dû exister dans les fonds des Carte di
Gabinetto;''* ce fascicule est malheureusement introuvable aujourd'hui.15
L'hypothèse la plus vraisemblable est qu'il a dû être endommagé par
l'humidité et rendu inutilisable à la suite du déménagement des Carte di
Gabinetto du siège du ministère aux caves du Palazzo Lancellotti, au
lendemain de l'armistice du 8 septembre 1943.'" C'est en tout cas la
mésaventure qui est arrivée à bon nombre de papiers faisant partie de la
documentation confidentielle du Ministère des affaires étrangères.
Le contenu des deux dossiers concernant Oltramare, faisant partie des
fonds du Ministero della Cultura popolare, permet toutefois de reconstituer en partie les relations entre le chef de l'U.N. et les autorités
italiennes à l'époque des sanctions. Comme nous le verrons, il y est
notamment question d'une manœuvre ignorée jusqu'à ce jour, conçue
par Oltramare et visant le Journal de Genève.
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1. La propagande italienne et la presse genevoise
à l'époque des sanctions. G. Oltramare et l'achat d'actions
du Journal de Genève
II nous semble que les contacts de plus en plus étroits noués entre
Oltramare et Mussolini à partir de l'automne 1935 peuvent s'expliquer
par deux facteurs principaux. Tout d'abord par la perte de prestige et de
crédibilité aux yeux des autorités romaines et du Duce lui-même du
colonel vaudois A. Fonjallaz. C'était pourtant sur lui que Rome avait
misé, dès 1933, au point d'en faire le représentant quasi officiel du
fascisme dans la Confédération. L'aide considérable accordée à Fonjallaz poursuivait plusieurs objectifs:17 outre évidemment le développement de l'idée et du mouvement fascistes en Suisse, elle visait à lutter
contre le socialisme (qui, avec Nicole à Genève venait de conquérir
pour la première fois la majorité dans un exécutif cantonal) et contre la
menace représentée par les fronts derrière lesquels se profilait le danger
hitlérien. Il s'agissait en outre d'appuyer le colonel dans sa campagne
vigoureuse contre la franc-maçonnerie; sur ce point, on constate que si
les subsides octroyés à Fonjallaz furent coupés en janvier 1936 à cause
de l'échec qu'avait connu sa fédération fasciste, ils furent tout de même
repris dans les mois suivants avec l'espoir que son initiative antimaçonnique serait couronnée de succès. Mais, comme on le sait, le
28 novembre 1937 le peuple suisse rejettera avec une nette majorité
l'initiative Fonjallaz.18
Face à l'échec total de l'action multiforme entreprise par le colonel,
dont le résultat le plus évident est d'avoir nui à l'image du fascisme dans
la Confédération, Rome fut amenée, dans le climat de la crise éthiopienne, à se rapprocher d'Oltramare. Fier de ses lointaines origines
italiennes, Oltramare n'avait jamais caché sa vive admiration pour le
Duce. L'Union nationale, le mouvement dont il avait pris seul la tête en
avril 1935, était de loin le groupe le plus puissant et dynamique, a
caractère nationaliste, dans l'ensemble de la Suisse romande. Qui plus
est, de nombreux points communs existaient entre l'Union nationale et
le fascisme italien, comme l'a montré R. Joseph;" la présence d'un chef
unique, d'une sorte de duce à l'échelle genevoise ainsi que la militarisation de l'organisation, étaient des preuves de sa fascisation.
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Le deuxième facteur expliquant l'appui fourni par le Duce à Oltramare
est évidemment lié à la situation toute particulière de Genève, du fait de
la présence sur son sol de la Société des Nations et d'autres institutions
internationales. Genève est, en effet, une sorte de tribune internationale où, durant les réunions de l'Assemblée de la SdN, les principaux
journaux du monde envoient leurs correspondants. Dans le contexte de
la période des sanctions qui commence, alors que l'Italie se sent
terriblement isolée au point de rechercher le moindre appui d'où qu'il
vienne, il n'est pas négligeable pour elle d'avoir à Genève un allié tel
qu'Oltramare. Ce dernier va effectivement organiser toute une série de
manifestations dans le but de combattre ou de ridiculiser l'activité de la
SdN en général et les mesures sanctionnistes en particulier.
L'existence, depuis novembre 1933, d'un exécutif cantonal à majorité
socialiste dirigé par l'ardent antifasciste Léon Nicole, ne laisse pas non
plus Mussolini indifférent. En décembre 1933, dans un entretien avec
G. de Reynold2", le Duce avait déjà manifesté son inquiétude à cet
égard. A l'instar d'autres socialistes suisses, Nicole a abandonné son
hostilité du début à rencontre de la SdN; il s'en fait même le défenseur,
tout particulièrement depuis que le Japon et l'Allemagne l'ont quittée et
que l'Union soviétique y a adhéré.21
Nicole, qui dirige le dicastère de la police, s'est déjà signalé en tant que
protecteur et ami de quelques réfugiés politiques italiens installés à
Genève; l'un d'eux intéresse particulièrement les autorités italiennes: le
socialiste Carlo E. a Prato, réfugié à Genève depuis 1926. Il est aussi le
principal collaborateur du Journal des Nations, proche de la Petite
Entente et défenseur systématique des principes du Pacte de la SdN. On
comprend dès lors l'intérêt que peut représenter pour l'Italie fasciste le
soutien sur place d'un allié comme Oltramare, dont on connaît l'hostilité envers Nicole; et puis, le chef de l'U.N. est un allié qui n'est pas
isolé: en 1935, il participe à la création de l'Entente bourgeoise entre
tous les partis qui s'opposent au gouvernement Nicole, au sein de
laquelle il va jouer par la suite un rôle non négligeable, certainement
supérieur à la force réelle du mouvement qu'il dirige.22
Après ces considérations introductives de caractère général, il vaut la
peine de revenir à la documentation offerte par les archives italiennes,
pour suivre pas à pas le développement des rapports entre l'Italie
fasciste et Oltramare.
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A notre connaissance, le premier contact entre le chef de l'U.N. et un
représentant de l'Italie nouvelle - bien qu'il s'agisse là d'un représentant
officieux - se situe au mois d'octobre 1934. En vue de l'organisation du
premier congrès international des Comités d'action pour l'universalité
de Rome (C.A.U.R.)23 qui doit avoir lieu en décembre à Montreux, un
des dirigeants de cet organisme, Guido Baroni, effectue une tournée en
Suisse. Le ministre d'Italie à Berne, Giovanni Marchi, lui signale les
différents mouvements à caractère nationaliste existant dans la Confédération24, en particulier l'Union nationale de G. Oltramare. Dans le
rapport qu'il envoie au président des C.A.U.R. après son séjour en
Suisse25, Baroni formule des appréciations fort élogieuses sur le compte
d'Oltramare qui a d'ailleurs accepté bien volontiers d'adhérer aux
Comités. Il y est aussi question des contacts que le Genevois avait eu
auparavant avec des émissaires de Hitler dans le but de créer un
nouveau journal en français et en allemand intitulé La Patrie suisse. Ce
projet n'ayant pas abouti26, tout laisse croire, poursuit G. Baroni,
«qu'aujourd'hui Oltramare soit plus orienté vers Rome que vers
Berlin».
En conclusion, le délégué des C.A.U.R. exprime un certain nombre de
suggestions:
«Sarà bene . . . da parte nostra di curare subito e abilmente questo giovane
deputato di Ginevra [G.O.] che è alla testa, e questo è l'importante, del
movimento nazionalista più efficiente della Svizzera.
L'Unione nazionale potrà essere per noi, se sapremo trarre nella nostra
influenza l'Oltrarnare, il movimento più deciso a propagandare praticamente
il fascismo in un cantone dove il socialismo di Léon Nicole governa.
Oltramare mi ha espresso il desiderio di visitare l'Italia, Roma ed alcune fra
le più importanti opere del Regime.
In questa occasione riterrei opportuno che l'Oltrarnare venisse ricevuto
possibilmente dal Capo del Governo, visto il precedente ricevimento del
Col. Fonjallaz.27
Questo varrebbe a ristabilire l'equilibrio dato che in diversi ambienti politici
si pensa che solo il Fonjallaz sia ben visto e considerato dal Duce.»
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Cependant, ces conseils ne seront pas écoutés - probablement parce
qu'à Rome on continue à vouloir tout miser sur le mouvement de
Fonjallaz - et on écartera l'idée d'une rencontre entre Oltramare et
Mussolini.
Si l'on s'en tient aux sources italiennes actuellement disponibles, les
rapports entre le chef de l'U.N. et les représentants italiens reprendront
en octobre 1935, au moment du déclenchement de l'offensive italienne
en Ethiopie.
Selon une information parvenue au Service italien de renseignements
militaires (S.I.M.)28, Oltramare se présente le 1er octobre au fascio
italien de Berne pour demander l'aide du gouvernement de Rome en
vue des élections aux Chambres fédérales des 26 et 27 octobre. Sans une
telle aide, chiffrée par Oltramare entre 5000 et 10000francs, l'U.N. ne
pourra pas obtenir de siège au Conseil national.
Cet appel sera entendu; le 7 octobre, le ministre des affaires étrangères,
F. Suvich, autorisera le consul d'Italie à Genève à verser une somme de
5000 francs au secrétaire de la Délégation italienne auprès de la SdN,
Renato Bova Scoppa, chargé lui-même de la remettre à Oltramare.29
Notons entre parenthèses que, par la suite, Bova Scoppa et le consul
Augusto Spechel seront les intermédiaires habituels utilisés par Rome
pour ses contacts avec le chef de l'U.N.
Pour revenir aux élections nationales d'octobre 1935, on peut estimer
que l'aide italienne fut utile à l'U.N.; elle lui permit de renforcer sa
propagande électorale, ce qui aboutit à l'élection au Conseil national
d'un candidat figurant sur sa liste. Toutefois, ce n'est pas Géo qui ira
représenter son propre mouvement à Berne, mais l'avocat Théodore
Aubert, fondateur et président de l'Entente internationale contre la
Troisième Internationale.30 Qui plus est, Aubert a été accepté dans la
liste de l'U.N. au titre d'«indépendant», n'étant pas membre du mouvement ... Profondément vexé, Oltramare réagira par un de ses coups de
tête habituels en décidant de renoncer à son mandat de député au
Grand Conseil et à celui de membre du Conseil municipal genevois.31
Une autre démarche entreprise par Oltramare au mois de septembre
1935 auprès des représentants de l'Italie en Suisse concerne la presse
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genevoise, et plus particulièrement le Journal de Genève. A différentes
reprises, en effet, le chef de l'U.N. a fait savoir à la Délégation italienne
auprès de la SdN qu'il a la possibilité d'acquérir 120 actions de la société
du grand quotidien genevois et ce pour le prix modique de 6000 francs
(environ 25 000lires). Ces actions garantiraient selon Oltramare l'obtention d'un siège au Conseil d'administration; elles seraient mises à la
disposition de l'Italie qui pourrait ainsi chercher à influer sur la ligne
politique du journal.12 La réaction de Rome à la proposition d'Oltramare est d'abord négative: le 3 octobre le Ministero per la stampa e la
propaganda (qui deviendra en 1937 le Ministero della cultura popolare),
fait savoir à sa Délégation à Genève que «la chose ne l'intéresse pas».33
Dans les semaines suivantes, alors que l'Italie est condamnée par la SdN
pour son agression contre l'Ethiopie, les autorités italiennes sont amenées à reconsidérer la proposition d'Oltramare. Luciano Mascia, un
fonctionnaire du Ministero per la stampa e la propaganda qui effectue de
fréquentes missions à Genève pour prêter main forte à la Délégation
auprès de la SdN, est chargé d'étudier l'affaire de plus près.
Dans un rapport datant de la fin octobre34, Mascia n'aborde pas seulement le projet d'Oltramare, mais dresse un tableau d'ensemble sur la
présence des correspondants de la presse internationale à Genève,
mettant en évidence la faiblesse de la représentation italienne par
rapport à celle des autres puissances, France et Grande-Bretagne en
tout premier lieu:
«La presenza di giornalisti di fama internazionale crea attorno alla S.d.N. e
alle Delegazioni un cerchio di risonanza immediata che ha indubbiamente la
sua influenza sull'operato dei vari Delegati e che si traduce in seguito in
orientamenti positivi dei più grandi organi della stampa internazionale.
I contatti personali di Saint Brice, Pertinax, Geneviève Tabuis, Kayser,
Bassée (direttore politico dell'Agenzia Havas) per quanto riguarda la stampa
francese; di Scott, Gordon Lennox, Vernon Bartlett, Ewer, per la stampa
inglese, costituiscono un elemento politico di effettiva importanza negli
ambienti societari, contro il quale noi non possiamo opporre nulla di
altrettanto concreto ed influente.»
Pour remédier, au moins partiellement, à cette situation, Mascia propose l'envoi à Genève de correspondants compétents et influents,
capables de bien expliquer la position italienne, non seulement dans les
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colonnes de leurs journaux respectifs, mais surtout dans les milieux
internationaux proches de la SdN.
Passant à l'analyse du rôle des journaux genevois, Mascia attire l'attention de ses supérieurs sur deux quotidiens qui jouissent d'un large écho
auprès des délégués à la SdN:
«II <Journal de Genève> e il <Journal des Nations> sono gli organi letti da tutte
le delegazioni alla mattina e che perciò hanno per noi un'importanza
particolare.»
Or, selon Mascia, la possibilité s'offre maintenant à l'Italie d'intervenir
pour chercher à modifier la ligne politique de ces deux influents
quotidiens. Dans le cas du Journal des Nations, qui connaît de sérieuses
difficultés financières, elle a même la possibilité de l'acquérir, car l'offre
en a été faite par un intermédiaire à l'ambassadeur d'Italie à Paris.35
Nous savons que cette opération ne sera pas effectuée36 et que le Journal
des Nations restera fidèle à sa ligne antifasciste. Il vaut la peine
cependant, avant d'aborder de près les tractations concernant le Journal
de Genève, d'ouvrir une parenthèse sur le Journal des Nations et sur son
principal rédacteur, le socialiste italien Carlo E. a Prato.
Ce quotidien a été fondé en 1931 par un journaliste polonais, W.
Oryng, qui en sera le directeur responsable jusqu'en 1934. Après son
départ, aucun nouveau directeur ne sera nommé, la rédaction étant dès
lors conçue comme une «communauté sans hiérarchie».37 Le départ du
polonais Oryng coïncide avec la prise de participation majoritaire par
les Etats de la Petite Entente - la Tchécoslovaquie en particulier - au
capital-actions de la société qui édite le journal. Le «fuoruscito» a Prato,
qui collabore au quotidien depuis sa fondation tout en étant propriétaire
d'une partie de ses actions, devient de facto le directeur du journal.
Cependant, afin de conserver sa totale indépendance d'esprit face aux
Etats de la Petite Entente, a Prato refuse de toucher une quelconque
rémunération pour sa collaboration au Journal des Nations, tirant ses
moyens d'existence des correspondances qu'il envoie à d'autres journaux internationaux.3*
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Le journal se veut fidèle à l'esprit du Pacte de la SdN. Il est tout
naturellement porté à adopter une ligne antifasciste dirigée contre des
Etats comme l'Italie et l'Allemagne qui combattent la SdN et son Pacte.
Ecrit dans un style irréprochable, le Journal des Nations ne contient
aucune injure à l'adresse des dirigeants politiques étrangers dont il
critique fermement l'action politique. C'est ce qui le rend difficilement
attaquable d'un point de vue suisse, mais c'est aussi ce qui rend les
autorités italiennes littéralement furieuses, car, comme on l'a vu, ce
quotidien est très lu par les délégués à la SdN. Avant même le conflit
éthiopien, mais bien plus à partir d'octobre 1935, d'innombrables
pressions diplomatiques sont exercées sur Motta par les diplomates
italiens et par le chef de cabinet de Mussolini, le baron Aloisi, très
monté contre a Prato et le journal qu'il inspire.3'
Après la défaite électorale de Léon Nicole, ami et protecteur du
journaliste, en novembre 1936, les pressions italiennes seront finalement couronnées de succès, en partie grâce à l'intervention d'Oltramare: le 12 décembre 1936, Oltramare publie en effet dans Y Action
nationale la preuve du versement de 10 000 francs effectué par le consul
de l'Espagne républicaine, Rivas Chérif, en faveur d'à Prato.4" Celui-ci
admet publiquement la chose, précisant toutefois qu'il a destiné cet
argent au Journal des Nations. Cette explication ne suffit pas à arrêter le
processus désormais engagé contre lui. Le nouveau responsable du
Département de police genevois, P. Balmer, après s'être entretenu à
plusieurs reprises avec le consul d'Italie qui lui a même fourni de la
documentation sur a Prato41, obtient du Conseil d'Etat le retrait du
permis de séjour délivré au journaliste.
L'action se poursuit à Berne où le chef du Département politique,
Motta, en veut personnellement à a Prato, considérant que son activité
a une influence négative sur les relations italo-suisses. Finalement, en
janvier 1937, la décision adoptée auparavant par le gouvernement
genevois sera étendue à l'ensemble du territoire de la Confédération42,
et a Prato devra quitter la Suisse. Incontestablement, il s'agit là d'une
décision purement politique, et les différentes enquêtes menées précédemment par le Ministère public de la Confédération montrent bien
l'inconsistance des griefs adressés au «fuoruscito» italien.43
Comme nous l'avons vu, avant d'ouvrir une parenthèse sur le Journal
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des Nations, Luciano Mascia avait été chargé en octobre 1935 d'étudier
de près la proposition d'Oltramare concernant le Journal de Genève.
A cette époque, le grand quotidien libéral est dirigé par Jean Martin,
tandis que René Payot en est le rédacteur en chef. Depuis janvier 1933,
une plume célèbre avait quitté la rédaction du journal: celle de William
Martin, chargé depuis 1924 de la politique étrangère. A ce poste,
W. Martin s'était souvent manifesté par des prises de position assez
critiques envers la politique menée par l'Italie fasciste, tant sur le plan
interne qu'au niveau international.44 De plus, W.Martin, porte-parole
du courant de gauche au sein de la rédaction, avait systématiquement
cherché à défendre la SdN et son Pacte.
Le départ volontaire de W. Martin en 1933 avait été d'ailleurs un
symptôme évident de la crise au sein de la rédaction et au Conseil
d'administration du quotidien libéral. Selon le professeur William Rappard, lui-même actionnaire de la société éditrice du journal et représentant du courant de gauche, «cette crise était due à un conseil divisé, à
une rédaction divisée et à une doctrine incertaine.»45 S'il voulait
résoudre cette crise interne, toujours selon W. Rappard, le Journal de
Genève devait clairement prendre position sur deux questions précises:
voulait-il être «en première ligne un grand organe d'opinion internationale, ou une feuille de politique locale? En second lieu devait-il s'inspirer d'une philosophie politique libérale, tendant au maintien d'une
démocratie sincère à l'intérieur et d'une véritable concorde internationale, ou devait-il faire du nationalisme autoritaire?»46
Rappard aurait naturellement souhaité que le journal accorde un plus
grand soutien aux valeurs authentiquement démocratiques et défende
davantage la SdN et son Pacte, ce qui aurait inévitablement conduit à
une attitude plus critique à l'égard des Etats totalitaires de type fasciste.
Cependant, c'est le courant opposé à Rappard et à W. Martin qui devait
l'emporter et influer sur la ligne politique du journal au cours des
années suivantes. Le départ de William Martin en 1933 avait d'ailleurs
déjà montré la victoire de ce courant de droite au sein de la direction du
Journal de Genève. Dans une lettre à Rappard, W. Martin précisait bien
que sa démission n'était due que dans une faible mesure à la possibilité
d'obtenir la chaire d'histoire à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich,
où il devait d'ailleurs décéder en 1934:
161
«Vous savez quel faible rôle tout ceci a joué dans ma décision. Le vrai motif
a été la nomination de Jean Martin, à laquelle on donnait le sens d'une
unification de la politique du Journal - évidemment contre moi.»47
Après le départ de W.Martin, le courant conservateur majoritaire au
sein de la direction devait se renforcer sous la pression d'une part des
événements internes à Genève et de la lutte contre le gouvernement de
Léon Nicole; sur le plan international, d'autre part, le Journal de
Genève allait accentuer sa méfiance à l'égard de l'action de la SdN,
surtout après l'admission de l'Union soviétique en septembre 1934.4*
En octobre 1935, lorsque débute la crise éthiopienne, la traditionnelle
italophilie49 du Journal de Genève ne suffit pas à le mettre à l'abri de la
censure sourcilleuse que l'Italie a instituée à ses frontières. Le 1er
octobre, à la veille de l'agression italienne contre l'Ethiopie, le Ministero per la stampa e la propaganda décide la saisie du numéro du
30 septembre et interdit l'entrée du journal en Italie de façon permanente.5" Le motif invoqué par Rome est un article d'un ethnologue
français, Marcel Griaule, bon connaisseur de l'Ethiopie pour y avoir été
en mission; l'auteur ne formule aucune critique directe contre l'Italie,
mais se limite à souligner les obstacles sérieux que les populations
éthiopiennes et la géographie montagneuse du pays seraient en mesure
d'opposer à tout agresseur futur.
Mais l'article de Griaule est d'abord un prétexte permettant aux autorités italiennes, en frappant un organe de l'importance du Journal de
Genève, d'exercer une pression sur la Suisse qui tolère sur son territoire
des journalistes hostiles à la politique fasciste du genre Carlo a Prato.51
C'est là aussi l'impression qu'a retirée G. Motta des entretiens qu'il a
eus à Genève avec P. Aloisi, le chef de cabinet de Mussolini:
«... la raison véritable de la mesure prise contre le <Journal de Genève>
réside dans l'exaspération des Autorités italiennes contre le Journal des
Nations> et contre le fuoruscito Aprato, qui trouve dans les circonstances
actuelles un aliment très favorable à la campagne d'hostilité contre l'Italie
qu'il poursuit sournoisement depuis des années dans ce quotidien.»52
Cette réflexion confirme ce que nous avons écrit plus haut, à savoir que
la collaboration d'à Prato au Journal des Nations constitue une véritable
pierre d'achoppement pour les relations diplomatiques italo-suisses. A
tel point qu'il faudra des interventions répétées53 de René Payot et de
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Motta auprès d'Aloisi à Genève, ainsi que du ministre Wagnière à
Rome, pour que Mussolini accepte enfin, le 19 octobre, de lever l'interdiction d'entrée du Journal de Genève.54
Fin novembre, alors que les sanctions décidées par le Comité de
coordination de la SdN commencent à entrer en vigueur, les autorités
italiennes s'intéressent à nouveau à la proposition faite par G. Oltramare, en septembre, concernant le Journal de Genève. Depuis quelques
semaines, le chef de l'U.N. a entrepris dans les colonnes de Y Action
nationale une vigoureuse campagne en faveur de l'Italie fasciste, s'en
prenant à la «perfide Albion», à la «vieille Europe libérale et parlementaire, (à) toutes ses forces révolutionnaires et maçonniques» qui sont
liguées contre Rome. Le 22 novembre, l'Union nationale organise au
Victoria Hall une assemblée en faveur de l'Italie fasciste, avec la
participation de représentants de l'extrême-droite française, assemblée
à laquelle participe une foule énorme.55 En s'engageant aussi ouvertement, Oltramare fournit aux Italiens la preuve de sa «foi fasciste»; il est
devenu un interlocuteur en qui on peut avoir confiance. Ainsi, avec
l'approbation de Mussolini, le Ministero per la Stampa e la propaganda
décide de consentir à la transaction proposée par le chef de l'U.N.
concernant le Journal de Genève.
L'opération est mise au point par un fonctionnaire italien auquel nous
avons déjà fait allusion, L. Mascia, au cours de trois entretiens avec
Oltramare à Genève.
Sans préciser de qui il les tient, Oltramare déclare à son interlocuteur
qu'il est en mesure de disposer immédiatement de 100 actions nominatives de la société du Journal de Genève50, qu'il peut acquérir au prix
d'environ 30 francs pièce57, actions qu'il s'engage à mettre à la disposition de l'Italie. Il a bon espoir de s'en procurer encore 150, ce qui
devrait garantir, lors de la prochaine assemblée générale de la société,
l'élection d'une personne favorable à la politique italienne au Conseil
d'administration du journal, qui compte alors 11 membres.58 Le candidat à ce poste est tout désigné: il s'agit de René-Louis Piachaud, poète
et critique dramatique au Journal de Genève. Ami de longue date
d'Oltramare59 et membre de l'U.N., Piachaud est bien entendu au
courant de la transaction avec l'Italie. Cependant, aux termes des
163
Statuts de la société, chaque actionnaire ne peut posséder que 50actions
nominatives au maximum.60
On cherche alors à contourner l'obstacle en désignant comme actionnaire, en plus de Piachaud, une cousine d'Oltramare, ces deux personnes devant acquérir, chacune, 50 actions.61 Pour le reste des titres,
Oltramare s'engage à désigner des actionnaires de son choix. Comme
l'écrit L. Mascia dans un mémorandum destiné au chef du Ministero per
la propaganda:
«II Sig. Oltramare è d'avviso di far intestare queste azioni [les 150 qui restent
à acheter] a più di tre persone, possibilmente una diecina o quindicina del
suo partito, in modo da avere, se non altro, una maggioranza numerica alla
prossima Assemblea della Società. Non mi sono opposto a questo piano per
due ordini di ragioni:
1. La presenza di numerosi nuovi azionisti contribuirà a mascherare sempre
meglio il nostro intervento dando all'operazione sempre più il carattere di
politica interna.
2. Quanto maggiori saranno le ricevute che l'Oltrarnare ci consegnerà, tanto
più forte sarà la nostra posizione nei suoi confronti. (Cosa che del resto
ritengo superflua, dato che il Signor Oltramare ha già rilasciato una
ricevuta al Console Generale d'Italia per frs. 5000 quale nostro contributo
alle elezioni federali).
La nostra prossima azione deve quindi tendere a far eleggere al Consiglio
d'Amministrazione il Signor Piachaud alla prossima Assemblea generale.»62
On le voit, les représentants italiens - tout au moins L. Mascia - ne
semblent pas encore nourrir une confiance absolue dans la loyauté de
leur allié genevois.
Les espoirs italiens de pouvoir influer par la suite sur la ligne politique
du Journal de Genève, se basent aussi sur le fait qu'un des membres du
Conseil d'administration, le docteur Hugo Oltramare est, suivant les
déclarations de son cousin Géo, «déjà complètement gagné à la cause
italienne, bien qu'il ignore tout ce qui concerne l'achat des actions [par
l'Italie]».63
164
Dans l'hypothèse de l'élection de L. Piachaud, l'Italie pourrait alors
disposer de deux voix favorables au sein du Conseil d'administration du
journal.
D'ailleurs, afin de mieux gagner son cousin Hugo à la cause italienne,
G. Oltramare recommande à L. Mascia d'intervenir en haut lieu pour
que le «Conseil héraldique» du Royaume reconnaisse que la famille
Oltramare est bien issue de l'ancien patriciat génois64; c'est en tout cas ce
que Hugo Oltramare cherche à obtenir depuis un certain temps.65
Effectivement, et ce détail montre bien l'intérêt que porte Mussolini à
toute l'affaire, la demande des deux Oltramare est transmise par ordre
du Duce au commissaire royal près le «Conseil héraldique», le sénateur
P. Fedele.66 Après des recherches assez sérieuses dans les archives
génoises, celui-ci communique au ministre G. Ciano que la requête des
Oltramare n'est pas recevable et qu'il lui est impossible de leur conférer
le titre de patricien génois.67
Pour revenir à l'accord intervenu entre G. Oltramare et L. Mascia au
sujet du Journal de Genève, le mémorandum rédigé par Mascia le
résume en ces termes:
«...ampia libertà di politica interna per quanto riguarda l'influenza che egli
[G.O.] potrà esercitare a vantaggio del suo partito. E su ciò ho tenuto a
marcare il nostro disinteresse per dissipare qualsiasi sospetto di una nostra
inframettenza nella politica interna svizzera;
per quanto riguarda la politica internazionale, sviluppare ed intensificare la
campagna antisanzionista ed in generale ottenere un più equo, sereno ed
amichevole atteggiamento del giornale nei nostri riguardi.»
En guise de reconnaissance pour l'activité qu'Oltramare mène en faveur
de Rome, le gouvernement italien entend lui conférer un titre honorifique; c'est ce que L. Mascia apprend au chef de l'U.N. en lui donnant à
choisir entre le titre de Commandeur de la Couronne d'Italie et celui
d'Officier des SS. Maurice et Lazare.68 C'est ce deuxième titre, choisi
par Oltramare, qui lui sera attribué par décret royal le 27 décembre.69
La documentation dont nous disposons ne permet pas de préciser le
nombre exact des actions du Journal de Genève achetées par le chef de
l'U.N. sur mandat italien. En revanche, ce que nous savons de façon
165
certaine, c'est qu'en décembre, deux versements d'un total de
25 000 lires (plus de 6000 francs suisses) sont effectués par Rome en
faveur d'Oltramare, par l'intermédiaire du consul général à Genève,
A.Spechel.™ Si l'on s'en tient au chiffre communiqué par Oltramare à
Mascia - 30 francs par action -, on peut estimer qu'environ 200 actions
du Journal de Genève passent en main des personnes de confiance du
gouvernement italien. Le principal objectif visé par l'Italie en procédant
à cette opération, soit l'élection de L. Piachaud au Conseil d'administration, ne sera cependant pas atteint. Faute d'un procès-verbal ou d'un
compte rendu de presse de la première assemblée générale du Journal
de Genève1' qui a lieu après l'accord Oltramare-Mascia, nous ignorons si
la question de l'élection de Piachaud y a réellement été débattue.
Quoi qu'il en soit, nous croyons pouvoir attribuer la non-élection de
Piachaud à un malentendu qui s'est glissé dans les discussions entre
Oltramare et son interlocuteur italien. Suivant les indications fournies
par le chef de l'U.N., en achetant environ 200 actions de la société du
journal, les autorités italiennes ont en effet l'impression d'avoir quasiment acquis le tiers du total du capital-actions. Selon Oltramare, ce
capital se monte alors à 380 000 francs, réparti en 760 actions nominatives d'une valeur nominale de 500francs.72 Or, ces chiffres correspondent
bien à ceux indiqués dans les statuts adoptés en 1922" par la société du
journal, mais ces statuts, ainsi que le capital social, ont été modifiés en
1930.74 Comme le confirme Y Annuaire suisse du Registre du commerce75,
en 1935 le capital du journal se monte à 480000 francs, divisé en
2400 actions ayant chacune une valeur de 200 francs. On peut donc voir
que l'achat de 200 actions effectué à bon compte par l'Italie ne lui
confère en définitive qu'une faible part du capital de la société, et limite
considérablement la possibilité pour ses hommes de confiance de se
faire entendre dans le cadre d'une assemblée générale. Cela explique,
probablement, la non-élection de Piachaud au Conseil d'administration.
Est-ce là finalement le résultat d'une confusion volontairement entretenue par Oltramare afin de mieux persuader les Italiens de l'intérêt de
l'opération? Certes, le Genevois pouvait difficilement ignorer la teneur
exacte des statuts de la société. Néanmoins, compte tenu de la loyauté
d'Oltramare envers l'Italie, on a de la peine à comprendre pour quelle
raison il aurait choisi de proposer à ses partenaires italiens une opération dans laquelle il ne croyait pas lui-même. Faute de pièces plus
explicites, force est d'admettre que des points obscurs subsistent quant à
166
la motivation réelle du chef de l'U.N. De toute façon, Mussolini n'avait
pas engagé une bien grosse somme dans l'affaire, ce qui contribue peutêtre à expliquer pourquoi, malgré la non-élection de Piachaud, les
rapports entre le Duce et Oltramare deviendront par la suite encore plus
confiants.
Certes, la disparition d'un dossier sur Oltramare tenu à jour par le
Cabinet italien des affaires étrangères - auquel nous avons fait allusion
plus haut - ne permet pas de reconstituer dans le détail les rapports
entre le chef de l'U.N. et Mussolini pendant la période des sanctions.
L'ampleur de l'aide fournie par le Duce à Oltramare est cependant
clairement montrée par le témoignage d'un diplomate italien en poste à
Genève durant les années qui nous intéressent ici. Il s'agit de Valfré di
Bonzo, vice-consul d'Italie à Genève de septembre 1934 à juin 1937.76
Vers la fin du deuxième conflit mondial, alors qu'il est attaché militaire
à Bucarest et qu'il est entré en opposition assez ouverte avec le Régime
fasciste, le colonel di Bonzo se confie au chargé d'affaires de Suisse dans
la capitale roumaine, Beat de Fischer. Comme il l'apprend à son
interlocuteur suisse, sous le couvert d'une fonction consulaire à
Genève77, di Bonzo «travaillait pour le 2e bureau de son pays [le S.I.M.],
qui l'avait chargé spécialement de recueillir des informations d'ordre
militaire sur ce qui ce passait dans les régions françaises avoisinantes».78
Qui plus est, pendant ces années, il avait eu de fréquents contacts avec
G. Oltramare. Sur ce point, la lettre confidentielle écrite le 24 octobre
1945 par le chargé d'affaires de Fischer au Procureur général de la
Confédération est très explicite:
«a) Der in Frage stehende Diplomat [V. di Bonzo] hat mir in der Tat
anlässlich eines besonders vertraulichen Gespräches mitgeteilt, dass er
Georges Oltramare und andern Journalisten in Genf erhebliche Summen im Auftrage seiner Regierung habe zukommen lassen;
b)
der Zweck dieser Geldüberweisungen sei es gewesen, Georges Oltramare und den andern Journalisten in Genf den Dank der italienischen
Stellen für die Vertretung italienischer Thesen in ihrer Zeitungen zum
Ausdruck zu bringen;
c)
die Geldüberweisungen fallen in die Jahre 1934 und 1935, das heisst in
die Zeit, wo der besagte Diplomat in Genf amtierte; über genauere
Daten hat er sich nicht geäussert;
167
d)
Was die Höhe der Geldbeträge betrifft, so sagte mir mein Gewährsmann, dass es sich um bedeutende Summen gehandelt habe; in Betreff
Oltramare sprach er von über Fr. 100000.-. Mein Gewährsmann sagte
mir aber nicht, ob diese Summe auf einmal oder allmählich bezahlt
worden und in welcher Form dies geschehen sei; es war aber, soviel ich
mich erinnern kann, auch von Reiseunkosten die Rede.»"
A noter que ce témoignage de B. de Fischer est transmis au Procureur
général dans le cadre de l'enquête ouverte contre Oltramare pour son
œuvre de collaboration en France pendant la Deuxième Guerre mondiale, enquête qui débouchera comme on le sait sur le procès et la
condamnation d'Oltramare à trois ans de réclusion.80 Lors de ce procès,
cependant, on ne retiendra contre lui que l'activité menée en faveur du
Reich à Paris; le témoignage fourni par de Fischer, se référant à une
période couverte par le délai de prescription, ne sera pas retenu et ne
fera pas l'objet d'investigations plus poussées.81
Ce témoignage n'en reste pas moins important pour l'historien, qui peut
le tenir pour crédible, étant donné ce qu'on sait par ailleurs de l'engagement d'Oltramare en faveur de l'Italie fasciste. Il faut cependant
s'interroger sur l'exactitude de la période indiquée, 1934-1935, pendant
laquelle di Bonzo, suivant le récit de B. de Fischer, aurait fait parvenir
d'importantes sommes d'argent au chef de l'U.N., mais aussi à d'autres
journalistes à Genève.
Il est vrai que di Bonzo a été en poste à Genève, en qualité de viceconsul, à partir de septembre 1934, mais nous avons vu plus haut qu'en
1934 il n'existait pas encore de liens privilégiés, confidentiels, entre
Oltramare et Mussolini. En octobre 1934, Rome avait écarté la proposition de Baroni, délégué des C.A.U.R., qui suggérait que le chef de
l'U.N. soit reçu par le Duce.
C'est seulement à la faveur de la crise éthiopienne, après son engagement ouvert en faveur de l'Italie et l'opération concernant le Journal de
Genève, qu'Oltramare deviendra véritablement l'allié de Rome dans la
ville de la SdN, et qu'il sera reçu par Mussolini à plusieurs reprises. Il
nous paraît donc évident qu'il faille corriger les dates indiquées dans le
témoignage de B. de Fischer, et qu'au lieu de «1934-1935», on doive y
lire «1935-1936».
168
Quant à la somme totale remise au Genevois par V. di Bonzo sur
mandat du gouvernement italien, elle frappe évidemment par son
importance, mais nous verrons qu'elle est confirmée par les sources
italiennes que nous avons consultées. En fait, cette somme n'est pas si
étonnante, dès lors que l'on connaît les subsides considérables distribués
par la propagande fasciste à l'étranger et en Suisse, et quand on se
souvient de l'aide plus importante encore octroyée au colonel Fonjallaz.
Reste l'allusion contenue dans le témoignage de B.de Fischer aux
«autres journalistes à Genève», également récompensés par Rome pour
avoir défendu les thèses italiennes dans leurs journaux; si elle intrigue
l'historien, cette allusion confirme par ailleurs le très grand intérêt porté
par l'Italie à la presse paraissant dans la ville de la SdN pendant la
période sanctionniste.
Cette attention est évidente dans le cas du Journal de Genève, dont les
articles relatifs à l'Italie et au conflit des sanctions sont régulièrement
signalés au Ministero per la stampa e la propaganda par le consul à
Genève. De toute façon, la plupart des prises de position du quotidien
libéral sur la question, et tout particulièrement celles signées par le
rédacteur de politique étrangère, P.-E. Briquet, manifestent généralement une italophilie nettement marquée.
Un article publié dans le Journal de Genève du 10 mai 1936, peu après
l'entrée des troupes italiennes à Addis Abeba, suscite cependant la
réaction immédiate du Consul d'Italie, A. Spechel82, qui semble curieusement s'arroger une sorte de droit de regard dans la ligne politique du
journal... L'article en question, signé par P.-E. Briquet, critique la
volonté de l'Italie d'annexer purement et simplement l'Ethiopie vaincue. Le consul s'en plaint auprès d'un membre du Conseil d'administration, le docteur Hugo Oltramare, qu'il qualifie d'«influent représentant
italophile du journal», et auprès de l'auteur de l'article. Il apprend ainsi
que ce papier a été rédigé à la suite d'une séance mouvementée du
Conseil d'administration, au cours de laquelle certains membres avaient
critiqué Briquet pour une série d'articles écrits pendant l'absence du
directeur Jean Martin, particulièrement favorables à la cause italienne,
le menaçant même de licenciement. Pour rétablir la situation en sa
faveur, le journaliste avait alors réagi en publiant l'article qui avait
déplu à Spechel.
169
Relatant dans un télégramme l'entretien avec Briquet, le consul résume
ainsi la réaction du journaliste à ses critiques:
«Egli riconosce suo torto e mi assicura essere desideroso e disposto rimediare spalleggiato da membri Consiglio [d'administration] a noi amici.
Stamane l'ho messo in contatto con Delegazione italiana [à la SdN] per
direttive del caso [souligné par moi].»81
En outre, toujours d'après le télégramme du consul, le docteur Hugo
Oltramare lui a déclaré que le Journal de Genève «devra bientôt se
décider pour une tendance nette et cohérente en faveur de l'Italie».
Quant à la réaction de P.-E. Briquet aux critiques du consul italien, elle
paraît pour le moins curieuse. On est frappé par la facilité avec laquelle
11 semble s'être plié aux pressions du diplomate visant à censurer son
activité journalistique, et par la promesse de remédier dans le futur à sa
«faute», comme s'il avait des comptes à rendre au consul Spechel...
Toujours est-il qu'après ses entretiens avec le consul et avec un membre
de la Délégation italienne, Briquet publie dans le Journal de Genève du
12 mai un article sur «les sanctions moribondes», qui, selon Spechel,
«rectifie l'impression défavorable du précédent [article]».84
Enfin, mis en contact par le consul Spechel avec Renato Bova Scoppa,
secrétaire de la Délégation italienne à la SdN, Briquet assure le diplomate que son journal sera toujours disposé à faire paraître des démentis
afin de corriger des nouvelles précédemment publiées, qui auraient
déplu à l'Italie; le mieux serait, d'après lui, de charger le correspondant
à Rome du Journal de Genève, Th. Vaucher, d'envoyer au journal les
démentis ou mises au point jugés utiles.85 Le 26 mai, R. Bova Scoppa
assure le ministre Ciano qu'il «garde les contacts les plus étroits avec le
directeur et le rédacteur de politique étrangère du Journal de Genève
pour les orienter dans un sens favorable [à l'Italie]».86
L'impression qui se dégage est que des contacts de nature confidentielle
sont progressivement établis, à la faveur de la crise éthiopienne, entre
P.-E. Briquet et les représentants italiens à Genève.87 Impression confirmée par une lettre du Département politique fédéral du 22 juin 193888,
d'après laquelle ce journaliste aurait été à l'époque le gérant de
l'Agence Telepress à Genève. Or, les Archives italiennes montrent à
170
l'évidence que cette agence fondée en 1937 dépendait directement du
gouvernement italien, avant d'être financée par l'ensemble des Puissances de l'Axe.89 Il est nécessaire de préciser, toutefois, qu'en 1938 Briquet
n'est plus rédacteur fixe au Journal de Genève, bien qu'il continue d'y
collaborer de façon irrégulière.
En conclusion, nous avons là un faisceau convergent d'informations qui
semblent prouver que, même si elle n'est pas parvenue à faire élire un
homme de confiance au Conseil d'administration du Journal de Genève,
l'Italie a tout de même réussi à différentes occasions à influer sur la ligne
politique du quotidien, en particulier par des pressions multiples de ses
représentants à Genève. En outre, elle a pu compter sur la présence au
sein de la rédaction du journal d'un rédacteur particulièrement attentif à
ses thèses, vraisemblablement parce que lié à elle par des rapports de
nature confidentielle.
2. Mussolini et ses appuis à l'Union Nationale
de G. Oltramare en 1937-1938
Le dossier Oltramare tenu à jour par le Cabinet du Ministère italien des
affaires étrangères, auquel nous avons déjà fait allusion, nous permet de
suivre de près les relations entre le chef de l'U.N. et le Duce pendant
l'année 1937 et la première moitié de 1938; à partir de l'été 1938 ces
rapports semblent s'être interrompus. Ce dossier nous apprend que
pendant cette période, des appuis considérables sont fournis par Rome
à Oltramare, appuis qui ne visent pas simplement à soutenir la lutte
contre la SdN dans la ville même de l'institution internationale, mais
aussi à favoriser le renforcement de l'U.N. en tant que telle, pour lui
permettre de mener à bien ses campagnes sur le plan genevois, romand,
ou suisse. Cette deuxième constatation est d'autant plus intéressante
qu'en 1937 le mouvement dirigé par Oltramare, par ailleurs en plein
développement, n'est pas simplement un groupe d'extrême-droite qui
s'est signalé notamment par son hostilité au gouvernement Nicole et à la
SdN. L'U.N. est aussi un des partis qui composent l'Entente nationale
bourgeoise, née en 1935 et définitivement constituée pendant l'été 1936
par tous les partis opposés au gouvernement cantonal à majorité socialiste. En vue des élections cantonales de novembre 1936, comme le
171
montre R. Joseph1"', Oltramare et son mouvement ont été associés aux
négociations qui ont conduit à la mise au point de la liste commune des
candidats de l'Entente pour le Conseil d'Etat. L'U.N. a demandé à ses
membres et sympathisants de voter cette liste commune, tout en renonçant à y faire porter l'un de ses représentants. Il est vrai qu'avant
d'annoncer son appui à la liste commune de l'Entente, Oltramare avait
exigé de pouvoir disposer d'un droit de veto quant à la désignation des
candidats. On ignore cependant si cette exigence avait été satisfaite.
Ayant énergiquement participé à une campagne électorale dominée par
des mots d'ordre anticommunistes, l'U.N. a donc contribué dans une
mesure non négligeable à la victoire de l'Entente nationale. D'ailleurs,
au lendemain du triomphe sur Nicole, tous les partis bourgeois, y
compris les radicaux, donneront acte publiquement à Oltramare de la
part qu'il a prise à la victoire commune. Ils n'en seront pas quittes pour
autant, Oltramare ne se privant pas par la suite de demander à ses alliés
le compte pour l'aide fournie en novembre 1936. C'est la remarque que
fait aussi R.Joseph:'"
«Bien plus que ses dix députés [au Grand Conseil], dont une impossible
coalition avec les quarante socialistes n'eût fait qu'équilibrer les forces en
présence'2, c'est cette participation à l'entente bourgeoise qui lui permit [à
l'U.N.] de faire entendre sa voix. Elle avait aidé à la victoire. Elle n'allait pas
manquer de le rappeler.»
Ceci sera à l'origine de nombreux tiraillements entre l'ensemble des
partis bourgeois d'un côté et un allié gênant et remuant comme le chef
de l'U.N. de l'autre. Malgré ces antinomies et les critiques adressées
parfois à Oltramare par les radicaux, les partis membres de l'Entente
n'iront pas jusqu'à couper les ponts avec le chef de l'U.N., son appui
contre la gauche sur le plan local leur paraissant trop important. A cette
raison d'ordre tactique, s'en ajoutent d'autres qui touchent aux programmes mêmes des alliés politiques d'Oltramare: lors de la campagne
électorale de 1936, un rapprochement assez sensible s'est effectué entre
les positions des partis bourgeois et celles déjà défendues par l'U.N.,
dans le domaine des corporations notamment ou en ce qui concerne la
demande, reprise par les radicaux, visant à interdire les organisations
communistes.93 Ce rapprochement est particulièrement frappant dans le
cas du parti démocrate"4, devenu en 1935 le parti national démocratique,
dont les dirigeants accepteront de négocier à l'automne 1938 un accord
172
de fusion avec l'Union Nationale. Les négociations seront poussées fort
loin, comme le rappelle R. Joseph*5, et un accord de principe sera signé
en novembre, mais peu après les discussions seront rompues, Oltramare
ayant refusé de faire des concessions aux dirigeants démocrates.
En mai 1937, à l'occasion du premier anniversaire de l'Empire, Oltramare et un groupe de membres de l'U.N. se rendent à Rome. L'audience que leur accorde Mussolini fournit non seulement à la gauche
genevoise l'argument rêvé pour s'en prendre au chef de l'U.N., mais
elle provoque aussi de fortes dissensions au sein de l'Entente nationale.
Suivant les témoignages concordants d'anciens membres de l'U.N. que
cite R. Joseph*5, cette audience n'a «absolument pas été prévue» avant
le départ de Genève. Or, cette version est contredite par un échange de
télégrammes entre le Cabinet des affaires étrangères et la Délégation
italienne à Genève; un télégramme envoyé de Rome le 7 mai97 et
adressé à la délégation signale en effet que l'audience a été en principe
accordée, mais qu'il est nécessaire de savoir combien de jours le groupe
de l'U.N. séjournera à Rome. Entre-temps, la délégation de l'U.N. est
déjà arrivée à Rome, où seront réglés les derniers détails en vue de la
réception au Palazzo Venezia. Le 8 mai, Oltramare et 45 de ses hommes
en uniforme, accompagnés par deux dirigeants du fascio italien de
Genève, sont reçus par le Duce qui leur exprime sa reconnaissance pour
l'action déployée dans leur ville contre les sanctions.98
Le 11 mai, alors que ses hommes étaient déjà de retour à Genève, le
chef de l'U.N. est reçu par Mussolini."9 Ce n'est pas là le premier
entretien privé accordé à Oltramare, déjà reçu à différentes reprises
l'année précédente.100 Comme le signale la presse italienne101 lors de la
rencontre du 11 mai, il est question de la requête d'Oltramare tendant à
obtenir une escale à Genève de la ligne aérienne Turin-Paris.102 Le Duce
s'y montre favorable, mais il préfère pour le moment soumettre le
projet aux responsables de l'aviation civile.
Ce «succès», dont Oltramare espère obtenir un surcroît de prestige pour
lui et son mouvement, va en définitive se retourner contre lui, car ses
adversaires à Genève vont l'utiliser comme preuve des liens privilégiés
entre le chef de l'U.N. et le dictateur italien. Qui plus est, malgré la
réelle bonne volonté de Mussolini de satisfaire le vœu du Genevois, le
173
projet d'escale à Genève devra être abandonné quelques mois plus tard,
en raison des difficultés d'ordre technique soulevées par le gouvernement français.101
Selon toute vraisemblance, lors de l'entretien du 11 mai il est aussi
question entre les deux hommes de la poursuite de l'activité de l'U.N. à
Genève; nous savons en effet qu'au mois d'avril une aide financière a
déjà été octroyée1"4 par le Duce à Oltramare, aide qui sera renouvelée
pendant les mois suivants.
Le voyage à Rome se révèle être en définitive une faute tactique du chef
de l'U.N., à cause surtout des critiques qu'il suscite au sein même des
partis de l'Entente nationale, tout particulièrement chez les radicaux.
Quant au Journal de Genève du 14mai, sous la plume de René Payot, il
parle d'«une erreur de l'Union Nationale». A noter que toutes ces
différentes réactions négatives sont minutieusement communiquées à
Rome par le consul d'Italie à Genève et par le ministre à Berne."15
Dans un rapport du 3 juin à Mussolini"" relatif à l'action menée au mois
de mai, Oltramare résume ainsi les conséquences du voyage à Rome:
«A notre retour de Rome, nous avons constaté que la grande presse
d'information (La Tribune de Genève et le Journal de Genève) et la presse
radicale (Le Genevois), ainsi que les quotidiens vaudois et le <Bund>, à
Berne, avaient mené pendant nos quelques jours d'absence la campagne la
plus acharnée contre nous. La Franc-Maçonnerie et le radicalisme ont cru
trouver l'occasion de se débarrasser de ma personne. On voulait décapiter
l'Union Nationale.
J'ai répondu à cette campagne dans les numéros de l'Action Nationale et du
Pilori que je joins à cette lettre. J'ai donné l'ordre à nos députés de ne plus
participer aux réunions des groupes nationaux du Grand Conseil.
La crainte d'une rupture de l'Entente, avant le vote des lois anticommunistes, a fait réfléchir les chefs de partis qui ont fait une démarche auprès de
moi pour qu'une collaboration soit reprise entre eux et nous. La campagne a
aussitôt cessé.»
Comme on le voit, la votation populaire sur l'interdiction des organisations communistes à Genève, prévue pour les 12-13juin, fournit à
Oltramare de nouveaux moyens de pression sur ses alliés de l'Entente.
174
Lors de la discussion suscitée au Grand Conseil par l'interpellation de
Léon Nicole sur le voyage de l'U.N. à Rome, ces derniers ont réduit au
minimum les critiques à rencontre d'Oltramare, pour éviter la rupture
et pour s'assurer de son appui dans leur campagne contre le Parti
communiste. Comme le relève R. Joseph107, cette campagne sera menée
«dans un esprit de pleine collaboration» par un comité où sont représentés tous les partis de l'Entente, y compris l'U.N. Quelques semaines
après son voyage à Rome, Oltramare est ainsi parvenu à rétablir la
situation et, suivant ses propres paroles, le grand public ne songe plus à
le lui reprocher.108
Mais revenons au rapport du 3 juin adressé à Mussolini; il est le premier
d'une série de bilans mensuels rédigés par le chef de l'U.N., vraisemblablement à la suite d'accords pris lors de l'entretien du 11 mai avec le
Duce. Il y est régulièrement question de l'action menée par l'U.N. au
niveau cantonal genevois et de son développement au plan romand,
mais aussi des campagnes qui visent à attaquer et à ridiculiser la SdN.
Sur ce dernier point, une notice préparée le 5 juin par le Cabinet des
affaires étrangères et destinée au chef du gouvernement, nous apprend
que:
«In conformità degli ordini ricevuti, è stato suggerito a Giorgio Oltramare di
organizzare qualche manifestazione, del genere delle precedenti, intesa a
porre in ridicolo la S.D.N.»"19
Cette «suggestion» a été transmise à Oltramare par l'intermédiaire de
Renato Bova Scoppa de la Délégation italienne à Genève, qui est un des
intermédiaires préférés de Rome dans ses contacts avec le chef de
l'U.N.110
L'allusion à la «suggestion» faite à Oltramare soulève naturellement une
question intéressante, celle de l'éventuel «téléguidage» depuis Rome de
l'action de l'U.N. à Genève, tout au moins en ce qui concerne ses
campagnes contre la SdN. Ce qui est certain c'est qu'à une occasion au
moins, en juin 1937, des directives venant de Rome ont invité Oltramare à s'en prendre à l'institution internationale genevoise. Compte
tenu de la référence «aux précédentes [manifestations]» contenue dans
le texte que nous venons de citer, on doit légitimement se demander si
une partie au moins des farces et campagnes conduites par l'U.N. contre
175
la SdN à l'époque des sanctions n'avaient pas été suscitées par des
«suggestions» venant du Cabinet du Ministère italien des affaires étrangères... De même, il nous paraît tout à fait vraisemblable qu'une partie
de l'action déployée par l'U.N. en 1936 ait répondu à des conseils, voire
à des directives données par Mussolini à Oltramare à l'occasion de leurs
divers entretiens.
Début juin 1937, après que Bova Scoppa lui ait communiqué la «suggestion» romaine, le chef de l'U.N. fait savoir à Mussolini que le
moment lui paraît peu opportun pour organiser la manifestation souhaitée; il s'en explique ainsi:
«Comme les farces organisées par l'Union Nationale au moment des sanctions (celle, par exemple, du faux-Négus ou celle du mannequin John Bull
flottant dans la rade) ont toutes brillamment réussi, nous cherchons un
nouveau moyen de jeter le ridicule et le discrédit sur l'esprit sociétaire.
L'occasion se présentera certainement dès que les lois anticommunistes
auront été votées.
Nous sommes forcés d'attendre jusqu'au 15 [sic] juin, date du scrutin, car les
radicaux de gauche cherchent le moindre prétexte pour trahir l'Entente
nationale contre le communisme, et il ne faut pas leur en donner.
Le 15 juin, la Conférence [internationale] du Travail n'aura pas encore
clôturé sa session et il est possible que le Conseil de la S.d.N. se réunisse à ce
moment-là.
Il est question déjà de faire intervenir une fausse «Passionaria» ou de jeter le
trouble dans les débats officiels. De toutes façons, nous ferons tout ce qui est
en notre pouvoir pour enlever à la S.d.N. le peu de prestige qu'elle garde
encore.»"1
Des considérations de politique locale, jointes à la faible activité internationale avant la mi-juin, poussent donc Oltramare à renvoyer à plus
tard la manifestation que souhaitent les autorités italiennes. A cette
occasion, le chef de l'U.N. paraît agir en bon tacticien; en effet, aucun
incident ne viendra troubler l'union étroite des partis de l'Entente
nationale pendant la campagne pour l'interdiction du Parti communiste.
C'est en ces termes qu'Oltramare dresse le bilan de la campagne dans un
rapport destiné au Duce:
176
«L'Union nationale a mené cette campagne en liaison avec les partis
nationaux et pour son compte, aussi.
Elle a fourni des orateurs aux assemblées communes et elle a organisé des
réunions aux cours desquelles un film de propagande sur le Rassemblement
devant le Palais fédéral (23 mai) a été projeté avec un grand succès.
L'U.N. a fait apposer, huit jours avant le scrutin, une proclamation et de
nombreuses affiches illustrées, signées de notre camarade Fontanet.
Le 13 juin, le communisme a été déclaré hors la loi: C'est là une victoire que
nous avons préparée depuis des années. »"2
Les 12 et 13juin, l'interdiction des organisations communistes a été
acceptée par le peuple genevois par 18278 voix contre 12076. Genève
est ainsi le deuxième canton à prendre une telle décision, après Neuchâtel en avril et avant Vaud en janvier de l'année suivante.113
On peut considérer que l'aide financière fournie par Mussolini à Oltramare a contribué à la victoire commune de l'Entente contre les communistes et la gauche en général. Le chef de l'U.N. écrira lui-même au
Duce que,
«l'appui qui nous a été accordé a permis à l'Union nationale de faire
interdire le communisme à Genève...».'"1
Il est vrai que dans ce passage Oltramare tend à exagérer le rôle qu'a
joué son mouvement dans le vote du 13 juin. 11 n'en reste pas moins
que, pour obtenir la mise hors la loi d'un parti - fort petit au demeurant
- accusé d'être au service de l'étranger, Oltramare ne s'est pas privé à
son tour de se servir de l'aide étrangère.
L'année 1937 est celle du plus grand développement de l'U.N. Dans des
lettres adressées à Mussolini en juin et juillet, Oltramare s'efforce de
souligner et d'illustrer la croissance du mouvement qu'il dirige, à
Genève et dans l'ensemble de la Suisse romande. A lire ces lettres
imprégnées du plus bel optimisme, on a l'impression que tout sourit à
l'Union Nationale et qu'aucun obstacle n'est plus en mesure d'arrêter sa
progression dans les cantons francophones... 11 est évident qu'Oltramare prend en partie ses désirs pour des réalités et qu'il exagère les
succès que connaît son mouvement, afin d'impressionner le dictateur
italien et de lui prouver que les appuis reçus ont été bien utilisés.
177
On peut s'interroger, par exemple, sur le chiffre de 3900 participants dont 2300 militants - qui, selon Oltramare, ont assisté le 26 juin à la fête
marquant le cinquième anniversaire de la fondation de l'U.N., fête
organisée dans la propriété de famille d'Oltramare à la Servette."5 Si
l'on s'en tient toujours aux propos du chef de l'U.N., la brochure
illustrée qui marque le cinquième anniversaire du mouvement, intitulée
La Suisse en mouvement, aurait été tirée à 50000exemplaires."6 11 est
vrai que la poussée des effectifs de l'U.N. jusqu'à l'été 1937 est bien
réelle; reste que le nombre de plus de 2000 militants avancé par Oltramare paraît nettement exagéré si on le compare à celui de 1300 membres
environ en juin 1937, que propose R. Joseph."7 Même avec «seulement»
1300membres, l'U.N. reste cependant, et de loin, le plus important
mouvement nationaliste sur le plan romand.
Dans la première moitié de 1937, non content de la position de force
qu'il détient au plan genevois, Oltramare cherche systématiquement à
étendre son audience aux autres cantons francophones. Le 12 février, un
accord est conclu entre le chef de l'U.N. et celui du Front national, Rolf
Henne"8, dans le but d'intensifier la collaboration entre les deux mouvements qui entendent se partager le territoire suisse en zones d'influence
selon les langues. L'U.N. se voit ainsi attribuer, en quelque sorte, le
monopole sur les mouvements «rénovateurs» en Suisse romande; il en
va de même pour le Front national en ce qui concerne les cantons
alémaniques. Selon les termes de l'accord, «Henne s'engage à dissoudre
toutes les sections du Front National en Suisse romande et à ordonner à
tous les membres de ces sections d'adhérer à l'Union Nationale.» Pour
sa part, «Oltramare s'engage à faire, dans l'U.N., à tous les membres du
F.N. qu'il aura agréés une place en rapport avec leurs mérites et leurs
compétences.» A noter que le texte de l'accord qui, en principe, doit
rester confidentiel, est remis par le chef de l'U.N. au consul d'Italie à
Genève, qui le transmet au Ministère des affaires étrangères.
Sur le plan romand, l'accord du 12février ne produit pas les résultats
escomptés par Oltramare, car les membres des sections du Front
national dissoutes par R. Henne, ne vont pas tous grossir les rangs de
l'U.N. Sur le plan fédéral, les deux mouvements parviennent cependant
à organiser quelques manifestations communes, comme le rassemblement du dimanche 23 mai à Berne, devant le Palais fédéral, où affluent,
178
selon Oltramare, «70 autocars, 100 automobiles et plus de 3ÖÖÖparticipants.»"9
En matière de fédéralisme, comme le relève d'ailleurs le ministre
d'Italie à Berne, Attilio Tamaro120, Front national et Union nationale
ont des positions sensiblement divergeantes. Alors que le premier est
plutôt centralisateur et cherche à unifier les cantons alémaniques, le
second, à l'instar des autres mouvements nationalistes romands, se
caractérise par une vision des choses «rigoureusement fédéraliste». Aux
yeux de Tamaro, le fédéralisme constitue évidemment un obstacle
majeur à la diffusion des idéaux fascistes dans l'ensemble de la Confédération. Le ministre d'Italie estime tout de même que l'U.N. est le
groupe le plus proche, en Suisse, du fascisme italien; même si elle a
déclaré pour des raisons d'opportunité qu'elle entendait rester dans la
légalité et refuser toute dictature, l'U.N., selon Tamaro, «est disposée
en réalité à ne pas refuser la violence s'il était nécessaire de l'employer».
Certes, Oltramare ne possède pas des dons d'orateur, mais grâce à son
«instinct et [à sa] foi» il a fait échouer les tentatives des partis de
l'Entente nationale genevoise qui avaient cherché à l'«apprivoiser».121
Parallèlement à la collaboration avec le Front national, dont il a obtenu
le désistement sur le plan romand, Oltramare s'emploie à créer de
nouvelles sections de l'U.N. dans les cantons de Vaud, Valais, Neuchâtel et Fribourg. Pour ce faire, il cherche à attirer dans l'orbite de son
mouvement les survivants de la Fédération fasciste de Fonjallaz, comme
c'est le cas en Valais, ou les mouvements à caractère nationaliste déjà
existants. Il résume ainsi ses efforts dans une lettre à Mussolini de juin
1937:122
«Pendant les deux dernières semaines de mai, j'ai organisé définitivement les
sections de Fribourg, de Bulle, de Neuchâtel, de La Chaux-de-Fonds,
d'Yverdon, de Lausanne, de Sion et de Sierre. Toutes ces sections ont
aujourd'hui des chefs responsables.»
Le 3 juillet, lors d'une réunion qui rassemble à Yverdon les chefs des
sections cantonales de l'U.N., le problème des différents Services
d'ordre est abordé; des directives sont données afin que l'organisation
de ceux-ci soit unifiée sur le plan romand. En expliquant au Duce les
tentatives faites pour militariser les sections romandes de l'U.N., Oltramare précise même:
179
«Le 4 juillet, j'ai assisté à des manœuvres des Services d'Ordre de Neuchâtel et
de La Chaux-de-Fonds sur les Hauts-Geneveys, la crête de montagne qui
sépare Neuchâtel de La Chaux-de-Fonds. La préparation des hommes est
satisfaisante.»121
En réalité, malgré le bel optimisme affiché par Oltramare dans ses
rapports à Mussolini, les sections romandes de l'U.N. connaîtront une
existence éphémère et ne joueront pas de véritable rôle politique.
Comme l'écrit R.Joseph124, mis à part le cas du Valais, les U.N.
romandes tiennent «plus de la fiction que de la réalité». Elles vont
cependant renforcer la position d'Oltramare sur le plan genevois, en
faisant croire à ses concitoyens qu'il est à la tête d'un mouvement qui
étend son influence sur l'ensemble de la Romandie. D'autre part, la
simple existence «sur le papier» de ces sections romandes, permet au
chef de l'U.N. d'enfler les résultats de son activité dans sa correspondance avec le Duce, ce qui amènera ce dernier à lui renouveler son aide
financière.
En juillet 1937, les rapports de confiance entre Oltramare et Mussolini
sont à un point tel que le Genevois ne craint pas de déranger le dictateur
italien pour lui faire part de son intention de ... se marier. Il lui écrit en
effet le 19 juillet:
«Que Votre Excellence me permette aujourd'hui une communication
d'ordre personnel: estimant que l'Union Nationale est arrivée à un point de
développement où la vie privée de son chef doit être à l'abri des campagnes
de dénigrement et de calomnies, j'ai décidé de me marier.»125
Ce qui ne suscite nullement l'étonnement du Duce, qui charge le
ministre G. Ciano d'adresser au Genevois un télégramme de félicitations ... C'est que le chef du gouvernement italien n'entend rien négliger
pour soigner les bons rapports avec un allié qui, à Genève, rend des
services non négligeables à la propagande menée par l'Italie fasciste, en
s'en prenant à la SdN, aux républicains espagnols et aux dirigeants du
Front populaire français.
Ainsi, l'U.N. avait prévu de marquer à sa façon la venue à Genève de
Léon Blum, comme l'apprend Oltramare au Duce:
«Les 18 et 19 juin, nous avions préparé d'énormes farces pour l'arrivée de
Blum à Genève: le banquet officiel eût été servi par des garçons grimés en
180
chefs bolchévistes. Des hauts-parleurs, dissimulés dans les arbres aux alentours du monument d'Albert Thomas et dans la salle du banquet eussent fait
entendre de solides vérités au moment des discours.
Blum n'est pas venu. Nous nous sommes contentés de distribuer à profusion
une carte postale illustrée par Fontanet...».12''
Quant à la propagande menée par l'U.N. contre les républicains espagnols - qui doivent faire face chez eux aux forces nazies et fascistes
alliées à Franco -, elle fait suite, en partie au moins, à des directives
venant de Mussolini. C'est ce qui ressort d'une lettre d'Oltramare au
Duce, du 18 septembre:127
«Selon votre désir, rien n'a été négligé pour combattre la propagande du
Frente Popular à Genève.
Par des farces d'abord: des centaines de bouteilles de Chianti vogueront au
fil de l'eau de Nyon à Genève. Chacune des fiasques portera un écriteau avec
ces mots: L'entrée des Soviets dans la Méditerranée? Un fiasco?
Et l'on verra encore sur le lac flotter un croiseur-flacon, avec, dans ses
flancs, une énorme torpille aux couleurs de Valence. (...)
Une manifestation plus sérieuse aura lieu le 24septembre, au Victoria-Hall,
sous les auspices de l'Union Nationale, avec le concours de Charles Maurras
qui parlera d'HORACE ET LA VRAIE PAIX. L'esprit sociétaire sera
violemment combattu par le grand écrivain français.»128
L'allusion dans la lettre d'Oltramare au «désir» du Duce, jointe à la
«suggestion» transmise au chef de l'U.N. par l'intermédiaire de R. Bova
Scoppa, dont nous avons parlé plus haut, prouve que les manifestations
menées par l'Union nationale n'ont pas toujours été spontanées; à
différentes occasions, en effet, l'action visant à combattre la SdN ou les
républicains espagnols a été commanditée par Rome.
En outre, dans la suite de sa lettre à Mussolini du 18 septembre, et dans
un rapport qui y est annexé, Oltramare abandonne le ton optimiste de
ses lettres précédentes pour souligner les oppositions que rencontre
l'U.N. à Genève et dans l'ensemble de la Suisse romande; il va même
jusqu'à parler d'une «terrible coalition des Rouges, du monde officiel et
de la Franc-Maçonnerie». Dans l'Action Nationale datée du même jour,
dont un exemplaire est envoyé à Mussolini, le chef de l'U.N. fait
181
paraître un editorial intitulé: «Les persécutions commencent». Il est vrai
que dans quelques cantons, Neuchâtel et Vaud notamment, les autorités
cantonales ont décidé d'entraver ou d'empêcher carrément des manifestations prévues par l'U.N. D'autre part, au Grand Conseil de Genève,
Léon Nicole s'apprête à interpeller le Conseil d'Etat pour lui demander
d'étendre au mouvement d'Oltramare les mesures prises en juin contre
les communistes.'2''
La situation paraît si critique que le chef de l'U.N. croit nécessaire de
lancer un véritable appel au secours au chef du gouvernement italien:
«Les ressources dont nous disposons ne suffisent point à neutraliser la
campagne de dénigrement et de calomnie qu'on a déclenché contre nous.
Il faudrait que nous puissions compter, ces prochains mois, sur les mêmes
moyens financiers qui ont été mis à notre disposition au mois d'avril, de mai
et de juin.
Il y va de la vie même de notre mouvement.»11"
En même temps, Oltramare prie le Duce de bien vouloir lui accorder
une nouvelle audience particulière, si possible dans la première quinzaine d'octobre. Malgré l'accord de principe donné par Mussolini,
l'audience devra être renvoyée au 2 novembre en raison des nombreuses
occupations du chef du gouvernement italien.131
Alors que Rome n'a pas encore répondu de façon précise à sa requête,
Oltramare revient à la charge par une lettre au Duce du 16 octobre."2
Cette fois, l'accent est mis sur la campagne en faveur de l'initiative
Fonjallaz pour l'interdiction des sociétés secrètes et de la maçonnerie,
sur laquelle le peuple suisse se prononcera le 28 novembre. Dans un
premier temps, Oltramare - adversaire de longue date des loges maçonniques - s'était montré sceptique sur les chances de succès de l'initiative
qu'il avait jugée «mal conçue et mal présentée». C'est l'avis qu'il avait
exprimé à Mussolini lors de l'entretien privé du 11 mai.
Depuis cette date, cependant, le chef de l'U.N. a modifié quelque peu
son opinion:
182
«Aujourd'hui, un peu plus d'optimisme est permis et nous pourrons mener la
lutte sur le terrain cantonal et sur le terrain fédéral tout ensemble.
Comme notre mouvement a pris pied dans tous les cantons de la Suisse
romande, j'ai pu me rendre compte que l'initiative Fonjallaz était capable de
réunir, sinon la majorité, du moins une forte minorité de suffrages. L'expérience vaut donc la peine d'être tentée. Les chrétiens-sociaux, les jeunes
conservateurs et les jeunes libéraux se joindront à nous. Le parti libéral et le
parti conservateur et le parti agrarien laisseront la liberté de vote à leurs
adhérents.
Si la Suisse se délivrait du Pouvoir occulte, l'impression en Europe serait
profonde et les démocraties bolchévisantes s'en trouveraient moralement
affaiblies.
Mais avant d'entreprendre cette nouvelle lutte, je voudrais que Votre
Excellence m'accordât la grande faveur d'une audience particulière. Des
entretiens que j'ai déjà eu le bonheur d'avoir avec Vous, Duce, j'ai tiré une
force exaltante qui m'a permis de vaincre deux fois.»133
Mussolini ne peut que se montrer d'autant plus réceptif aux arguments
d'Oltramare que c'était déjà, en grande partie, grâce à l'argent italien
que Fonjallaz avait pu mener dès 1934 sa campagne pour l'interdiction
de la franc-maçonnerie en Suisse. Il est donc logique que le Duce
accepte de faire un ultime effort en faveur d'un projet dans lequel le
trésor italien a déjà investi des sommes considérables.
A la suite de l'audience accordée par le Duce à Oltramare le
2 novembre, une somme d'argent, dont nous ignorons l'importance, est
amenée par courrier diplomatique au consul à Genève, A. Spechel, luimême chargé de la remettre au chef de l'U.N.134 Cette somme doit avant
tout permettre au mouvement d'Oltramare d'intensifier sa campagne en
faveur de l'initiative Fonjallaz. Peine perdue car, comme nous l'avons
déjà rappelé plus haut, l'initiative est rejetée le 28 novembre avec une
nette majorité par l'ensemble du peuple suisse.135 Aussi, le 30 novembre,
Oltramare fait savoir à Rome, par le canal du consulat d'Italie, qu'il
dispose encore d'environ 10 000 francs, résidu du dernier versement
reçu, et qu'il attend des instructions au sujet de leur utilisation.136
Le 11 décembre 1937, un mois environ après avoir signé le Pacte
Antikomintern avec le Reich et le Japon, l'Italie fasciste décide de
quitter la SdN; c'est là la conclusion logique et attendue d'un long
183
combat mené contre l'esprit et les organes de l'institution genevoise,
accentué depuis par la crise sanctionniste.
La décision italienne est l'événement qui va décider Motta, déjà sceptique sur l'efficacité de l'activité de la SdN et sur le système des sanctions,
à entreprendre le désengagement de la Suisse de l'organisation genevoise, de moins en moins populaire au sein de la population helvétique.
Le 22 décembre, dans un discours au Conseil national, le chef du
Département politique, après avoir rappelé la décision du gouvernement italien, expose ses intentions: la Confédération doit recouvrer au
plus vite sa neutralité intégrale137, sans pour cela quitter la SdN.'3s En
clair, la Suisse doit chercher à être exonérée de toute obligation
sanctionniste découlant de l'article 16 du Pacte, tout en s'associant aux
efforts des autres petits pays qui demandent la réforme de ce même
Pacte. D'une façon générale, selon Motta, «le système des sanctions est
désormais pratiquement irréalisable. L'article 16 du Pacte est frappé de
paralysie.»13'
Début janvier 1938, le projet du Tessinois est définitivement mis au
point avec l'aide de différents experts, pour être adopté le 21 janvier
par le Conseil fédéral.140 Mais, comme on le sait, la manœuvre helvétique échoue peu après devant le Conseil de la SdN. En mars, la crise de
l'Anschluss fournira cependant à la diplomatie helvétique de nouveaux
arguments qui lui permettront finalement de faire aboutir sa démarche:
le 14 mai, le Conseil de la SdN reconnaîtra la neutralité intégrale de la
Confédération, non plus liée par l'article 16 du Pacte, mais toujours
membre de l'organisation genevoise.
Depuis le discours de Motta en décembre 1937, la démarche de la Suisse
est suivie avec beaucoup d'intérêt par les autorités italiennes, favorables
à toute initiative pouvant affaiblir encore l'autorité politique et morale
de la SdN.141 Le ministre Tamaro qui, à l'époque de la crise éthiopienne
a même nourri l'espoir de parvenir à attirer la Confédération dans
l'orbite italienne, cherche concrètement à appuyer la manœuvre helvétique. Le 4février, après s'être entretenu avec son collègue allemand, il
propose à son gouvernement d'adresser à Berne, conjointement avec
Berlin, une déclaration officielle garantissant le respect de la neutralité
intégrale de la Suisse.142 Une telle déclaration, selon le diplomate, aurait
184
des répercussions favorables pour la politique italienne et, en favorisant
l'éloignement de la Suisse de Genève, exercerait «une influence infectieuse dans un sens anti-SdN sur d'autres Etats.» Remarquons que de
telles considérations n'ont vraisemblablement pas été étrangères à la
décision prise par Rome et Berlin le 21 juin suivant, de reconnaître par
deux notes diplomatiques la neutralité intégrale de la Confédération.
Si nous avons fait cette digression sur la manœuvre entreprise par Berne
en janvier 1938, c'est que cela peut nous aider à situer et à comprendre
une démarche faite par Oltramare à la même époque.
Dans un télégramme du 10 janvier143, transmis au Duce par les soins de
Bova Scoppa, le chef de l'U.N. demande à être reçu au plus vite par le
chef du gouvernement italien, afin de pouvoir lui exposer «une question
importante de politique internationale concernant la Suisse». Il précise
même que l'entretien devrait pouvoir avoir lieu avant le 17 janvier, jour
où doit commencer la session du Conseil de la SdN. Mussolini donne
immédiatement son approbation et fixe l'audience pour l'après-midi
du 15.144 Nous ne possédons aucune trace écrite des propos échangés lors
de cet entretien confidentiel145, mais il est clair, après ce que nous avons
vu plus haut, qu'il a dû y être question de l'initiative helvétique tendant
à recouvrer la neutralité intégrale. Il est vrai que la décision du Conseil
fédéral ne date que du 21 janvier et est donc postérieure au télégramme
d'Oltramare à Mussolini, mais il est vrai aussi qu'une telle décision était
déjà pratiquement acquise depuis le discours de Motta au Conseil
national du 22 décembre 1937. En se rendant à Rome, le chef de l'U.N.
a probablement cherché à obtenir l'aval du Duce avant de faire campagne en Suisse en faveur d'une rupture totale entre Berne et la SdN, et
de s'en prendre très vivement au Conseil fédéral, accusé de ne pas oser
aller assez loin et de faire traîner les choses.
Toujours est-il qu'une semaine après son entretien avec Mussolini,
Oltramare adresse une sorte d'ultimatum au gouvernement central, à
l'occasion d'une assemblée publique, mais aussi dans les colonnes de
YAction nationale:
«Prenons date: il est aujourd'hui le 22janvier. Nous invitons les autorités
responsables à procéder à une rupture immédiate avec la S.D.N.
185
Si l'on néglige en haut lieu cet avertissement solennel, nous retiendrons les
noms de ceux qui nous auront entraînés, par leur stupide attachement à
l'institution wilsonienne, dans les remous d'une guerre sans merci et nous
ferons subir à chacun d'eux des sanctions foudroyantes et implacables.»146
Avec le feu vert de Mussolini, Oltramare entame donc une campagne
contre les autorités fédérales, dont le «stupide attachement» à la SdN
risque, selon lui, d'entraîner la Suisse dans une guerre. Par cette
campagne, il fait d'abord le jeu de la propagande menée par l'Italie
fasciste, dont nous avons déjà montré les efforts multiples pour affaiblir
l'institution genevoise.
Il est vrai que le résultat recherché par Oltramare est au fond assez
proche de celui que poursuivent Motta et ses collègues du Conseil
fédéral. Mais, tandis que ceux-ci, tout en demandant que la Suisse ne
soit plus liée par les dispositions du Pacte relatives aux sanctions,
désirent garder à la Confédération le statut de membre de la SdN, le
chef de l'U.N. exige une rupture totale entre Berne et l'institution
wilsonienne.
Le 18 février, prenant position sur les propos publiés par Oltramare
dans l'Action nationale, le Conseil fédéral147 minimise la gravité et les
conséquences de ces menaces. Il estime qu'il ne peut les prendre au
sérieux, et qu'en aucune façon il ne se sent intimidé par de telles
pressions. Il décide que les propos publiés par Oltramare relèvent tout
au plus du droit cantonal genevois, et qu'ils ne justifient pas le recours
au droit pénal fédéral.
Après l'entretien avec Mussolini du 15 janvier, les contacts entre le chef
de l'U.N. et Rome sont interrompus pendant quelques mois. C'est
seulement le 21 mai qu'Oltramare s'adresse une nouvelle fois au chef du
gouvernement italien, par l'intermédiaire du diplomate R.Bova
Scoppa.148 II lui demande la faveur d'un nouvel entretien particulier, qui
devrait avoir lieu entre le 14 et le 21 juin. Mussolini donne tout de suite
son accord de principe149 mais, comme nous le verrons, ce n'est pas le
Duce qui recevra Oltramare le 20 juin, mais son beau-fils, Galeazzo
Ciano. Comme de coutume, la lettre à Mussolini est accompagnée d'un
rapport plus détaillé, dans lequel le Genevois analyse à sa façon la
situation qui s'est créée en Suisse à la suite des événements autrichiens
186
du mois de mars. Oltramare y développe la thèse que l'U.N. ne cesse de
diffuser à Genève depuis l'Anschluss: la nécessité pour la Suisse d'adhérer à l'Ordre nouveau «qui est en train de conquérir le monde».
«La situation présente - écrit Oltramare - nous fait songer à celle de 1798.
La Suisse n'a pu résister aux idées françaises d'alors. La constitution de la
République helvétique fut dictée comme un pensum au Bâlois franc-maçon
Pierre Ochs.
Notre pays n'eût pas eu à subir le joug étranger, s'il avait liquidé lui-même
les erreurs de l'ancien régime et choisi librement, avec prudence, dans les
idées révolutionnaires, ce qui pouvait lui être profitable.»
Pour expliquer à Mussolini les arguments qui à ses yeux doivent décider
la Confédération à adhérer à l'Ordre nouveau, Oltramare reprend
textuellement un tract que l'U.N. a distribué à Genève le 19 mars:
)
Le seul moyen de salut, c'est d'accepter les idées nouvelles, les grands
principes du fascisme: autorité, discipline, sacrifice, dévouement, collaboration des classes, l'argent au service du travail et le citoyen au service de la
communauté.
Mais ces principes, il faut les adapter, les assimiler dans un esprit vraiment
suisse, avec des méthodes suisses et les rendre conformes à notre nature
profonde.
Quand nous aurons changé les vieilles équipes et ce personnel de politiciens
avachis et roublards, nous pourrons apporter à l'Europe de demain une
collaboration précieuse et montrer les bienfaits du corporatisme dans un
pays dont la richesse s'alimente à la petite épargne et à la petite propriété.
Ou nous participerons à l'Ordre nouveau ou l'Ordre nouveau nous passera
sur le ventre.»150
Texte étonnant et ambigu, car Oltramare y présente l'Ordre nouveau
comme une réalité menaçante pour la Suisse, en oubliant peut-être que
la personne à laquelle il s'adresse est précisément un des partisans et un
des responsables de cet Ordre nouveau qui est en train de s'installer en
Europe. Oltramare oublie, ou feint d'oublier, que le Duce avec qui il est
en fort bons termes, est l'allié de Hitler et qu'il l'a laissé faire en
Autriche ... Il nous paraît évident qu'un tel plaidoyer en faveur de
187
l'adhésion de la Suisse à l'Ordre nouveau, dans un rapport destiné au
dictateur italien, ne peut pas servir les intérêts véritables de la Confédération, mais risque au contraire de fournir des arguments aux puissances
de l'Axe.151
D'autant plus que, dans le même rapport, Oltramare signale au Duce le
discours qu'a tenu à Paris le 17mai le ministre de Suisse, W. Stucki; à
cette occasion, le diplomate a dit notamment:
«... plus que jamais, les regards de mon pays - qui est décidé à défendre ce
qui est le plus cher, la liberté - se dirigent vers l'ouest, vers la frontière de la
démocratie française.»
Or, selon le chef de l'U.N., une telle déclaration viole la neutralité
helvétique et constitue une «provocation intolérable». D'ailleurs, l'Action Nationale du 21 mai, dont un exemplaire est joint au rapport, n'a
pas manqué de demander le rappel du ministre Stucki.
Passant à la situation de l'U.N., Oltramare prétend que l'attitude
adoptée par son mouvement face à l'Ordre nouveau, lui a permis de
maintenir ses positions et même d'augmenter depuis mars le nombre de
ses adhérents; en revanche, et sur ce point on ne peut que partager l'avis
d'Oltramare, en Suisse allemande le Front national a été durement
affecté par les contrecoups de 1'Anschluss.
La satisfaction et l'optimisme du chef de l'U.N. se fondent aussi sur le
fait que depuis peu un accord a été conclu entre le mouvement qu'il
dirige et le parti chrétien-social, partisan depuis longtemps des corporations. La collaboration établie entre les deux forces politiques au niveau
du Grand Conseil permettra ainsi au nouveau groupe de disposer d'un
total de 22sièges, alors que l'U.N. en possède seulement 10. Le 1ermai,
à l'occasion de la «fête du travail national» organisée par l'U.N., cette
collaboration s'est traduite par la participation à ce rassemblement de
quelques dirigeants chrétiens-sociaux, dont René Leyvraz.
En fait, l'optimisme affiché par Oltramare dans son rapport à Mussolini
ne paraît pas tenir compte de la réalité des faits, si l'on considère qu'à
l'époque l'U.N. est déjà entrée dans sa phase de déclin, déclin qui
interrompt la croissance numérique de l'année précédente.152 La période
188
de régression que connaît le mouvement d'Oltramare est bien perçue
par le ministre d'Italie à Berne; son rapport du 6mai au Ministère des
affaires étrangères153, où le diplomate manifeste un évident scepticisme
sur le futur de l'U.N., est probablement un des facteurs qui vont décider
Mussolini à refuser de nouveaux appuis financiers au mouvement
d'Oltramare.
Le 15 juin, lorsqu'on lui signale que le Genevois est arrivé à Rome, le
Duce charge le ministre Ciano de le recevoir à sa place. Cela peut
paraître un détail, mais nous croyons y voir plutôt un changement dans
l'attitude du dictateur italien à l'égard d'Oltramare, le signe en somme
d'une moins grande disponibilité à son égard. Car, non seulement la
position de l'U.N. paraît s'affaiblir comme l'a écrit Tamaro, mais
l'utilité même de son action à Genève ne doit plus sembler si évidente
au dictateur italien. La Société des Nations n'est plus que l'ombre d'ellemême; qui plus est, son Conseil général a accédé le 14 mai aux requêtes
de la Suisse, reconnaissant que la neutralité intégrale de la Confédération n'est pas incompatible avec les dispositions du Pacte. S'étant ainsi
quelque peu éloignée de Genève, la Suisse paraît avoir amorcé un pas
en direction des puissances de l'Axe. Celles-ci s'apprêtent d'ailleurs à
remettre à Berne, le 21 juin, deux notes conjointes exprimant leur
satisfaction de voir la Suisse se libérer d'engagements de nature à
compromettre sa neutralité; en même temps Rome et Berlin reconnaissent la neutralité intégrale de la Confédération, qu'ils s'engagent à
respecter.154
Ces considérations, ainsi que les requêtes trop gourmandes exprimées
par Oltramare lors de son entretien avec G. Ciano du 20 juin, contribuent à expliquer le refus opposé par Mussolini au chef de l'U.N. Sur
l'entretien du 20 juin, nous disposons d'une notice rédigée par le ministre des affaires étrangères, dont voici le texte intégral:
«Giorgio Oltramare mi ha fatto presente che sarebbe sua intenzione fondare
a Ginevra un quotidiano ispirato ai principi del suo movimento (lotta contro
la Società delle Nazioni e contro la Massoneria, propaganda del Fascismo),
quotidiano decisamente favorevole all'Italia e che metterebbe a nostra
disposizione. A tal uopo gli occorrerebbero i fondi necessari, calcolati in
420 000 franchi svizzeri, che potrebbero essergli versati entro un biennio.
189
Per meglio potenziare, poi, la sua opera politica in seno alla Confederazione,
ha espresso il desiderio che gli vengano corrisposti altri 110 000 franchi
svizzeri.»155
Ainsi, le projet d'Oltramare de fonder un quotidien à la solde de Rome
ne rencontre pas l'approbation du Duce, qui n'accepte pas non plus de
subventionner à nouveau l'Union Nationale. Il n'en reste pas moins que
la notice de Ciano est un document intéressant; il nous renseigne sur
l'«appétit» du Genevois en matière financière: la gourmandise manifestée par Oltramare à cette occasion est une confirmation indirecte de
l'importance des sommes qu'il avait reçues dans le passé. En effet, nous
avons déjà montré que des subsides avaient été versés par Rome au chef
de l'U.N., en avril, mai, juin et novembre de l'année précédente.
D'autre part, nous avons vu plus haut, en lisant le témoignage de V. di
Bonzo transmis par de Fischer, que l'Italie fasciste avait aussi subventionné Oltramare à l'époque des sanctions; si l'on en croit le témoignage
de di Bonzo, ce dernier avait lui-même fait parvenir plus de
100 000 francs au Genevois en 1935-1936. D'où notre conviction que
Mussolini avait généreusement financé une première fois le chef de
l'U.N. à l'époque des sanctions, pour sa propagande en faveur des
thèses italiennes et contre la SdN; une deuxième série de versements,
destinés avant tout à développer l'Union Nationale, avaient été effectués en 1937.15(1 Après l'entretien avec Ciano du 20 juin 1938, les contacts
paraissent s'être interrompus entre Oltramare et Rome. Le dernier
document qui se trouve dans le dossier que nous avons dépouillé aux
Archives du Ministère italien des affaires étrangères, est une lettre de
l'Ambassade d'Italie à Paris, du lónovembre 1942.l57 Par ce biais,
Oltramare s'adresse à Mussolini lui demandant de le recevoir pour lui
permettre d'exposer «ses impressions et ses jugements sur la situation
française», après deux ans passés à Paris. Mais de Rome on fait savoir
au Genevois, par le truchement de l'Ambassade à Paris, qu'il n'est pas
possible pour le moment de satisfaire sa requête.158
190
Conclusion
L'action menée par Oltramare à Genève pendant la période étudiée
résulte donc de différents facteurs, de différentes motivations étroitement imbriquées entre elles. Cette action poursuivait d'abord des
objectifs relevant du cadre genevois et romand, en particulier la lutte
contre la gauche de Nicole, les communistes et la franc-maçonnerie; elle
poursuivait d'autre part des objectifs dépassant largement ce cadre, en
s'associant à la lutte menée par l'Italie fasciste contre la Société des
Nations.
L'appui considérable fourni par Mussolini à Oltramare a cherché
d'abord à récompenser, puis à encourager, voire à téléguider, le chef de
l'U.N. dans ses campagnes contre l'institution wilsonienne et son Pacte.
Dans un deuxième temps, cet appui a eu avant tout comme but d'aider
l'Union Nationale dans l'activité qu'elle menait sur le plan genevois, où
elle représentait en quelque sorte le fer de lance de l'Entente nationale
bourgeoise. Indirectement, et tout en ignorant les appuis fournis par le
Duce à Oltramare, l'Entente a elle-même bénéficié de cette aide,
notamment lors de la campagne pour l'interdiction des organisations
communistes. De plus, en permettant de renforcer l'U.N. et sa propagande, les appuis italiens ont profité à l'ensemble des forces de l'Entente dans leur lutte contre la gauche.
Certes, les sympathies d'Oltramare pour Mussolini et le fascisme sont
antérieures aux appuis reçus de Rome. Cependant, dès octobre 1935, le
chef de l'U.N. a recherché et accepté ces aides financières, devenant
bon gré mal gré un instrument de la politique de l'Italie fasciste dans la
ville de la Société des Nations.
Preuve en est qu'en juin 1938, lorsque la crise de la Société des Nations
jointe à d'autres considérations de politique internationale ne semblait
plus justifier aux yeux de Mussolini la poursuite des financements à
Oltramare, le Duce coupa les ponts avec son allié genevois.
191
Notes
L'Union Nationale 1932-1939. Un fascisme en Suisse romande, Neuchâtel, 1975.
Les souvenirs nous vengent, Genève.
Ibid., p. 183.
G. Oltramare, Réglons nos comptes, Genève, 1949, p. 19.
La Suisse de l'entre-deux-guerres, Lausanne, 1974, p. 353.
R. Joseph, op. cit., p. 134.
M. Cerutti, «Mussolini bailleur de fonds des fascistes suisses. Les relations entre le
colonel Arthur Fonjallaz et le Duce à la lumière de nouveaux documents italiens»,
Revue suisse d'histoire, vol. 35, 1985, no 1, pp. 21—46. Cf. aussi Le Tessiti, la Suisse et
l'Italie de Mussolini. Fascisme et antifascisme 1921-1935, Lausanne, 1988, pp. 519 ss. et
annexe X.
Nous indiquons ci-dessous les abréviations utilisées dans les notes de cet article, avec
leur signification:
- AMAE: Archivio storico-diplomatico del Ministero degli affari esteri, Rome
- ACS: Archivio centrale dello Stato, Rome
- AF: Archives fédérales, Berne
- DPF: Département politique fédéral (actuellement: Département fédéral des
affaires étrangères)
- MAE: Ministero degli affari esteri
- MCP: Ministero della cultura popolare
Cf. AMAE, MCP, voi. 471, fase: Journal de Genève (Oltramare Giorgio), et ACS,
MCP, voi. 171bis, fase. 69: Spechel Augusto (Journal de Genève). Nous remercions
vivement Philippe Burrin de nous avoir signalé l'existence de ce dernier fascicule.
A noter que les fonds du Ministère de la culture populaire ont été divisés en deux
parties à peu près égales qui sont déposées aujourd'hui à l'Archivio centrale dello
Stato et à l'Archivio storico-diplomatico del Ministero degli affari esteri.
AMAE, Carte di Gabinetto, Serie Udienze, fase: Oltramare Giorgio. Nous remercions vivement le prof. Pietro Pastorelli, responsable de la réorganisation du fonds, de
nous avoir autorisé à consulter ce dossier.
Cf. AMAE, Serie Affari politici/Svizzera; nous y avions déjà consulté, pour nos
recherches précédentes, les vol. 1—27, équivalents aux années 1931-1943.
192
12
Cf. R. Joseph, op. cit., p. 181, et G.Oltremare, Les souvenirs ..., pp. 141ss. Nous
disposons en outre d'une note établie par un haut fonctionnaire du Ministero per la
stampa e la propaganda (devenu en 1937 le Ministero della cultura popolare), datée du
6 février 1936, faisant état du déjeuner offert le 1er février à G. Oltramare dans un
grand hôtel de Rome. Selon toute vraisemblance, cette date doit correspondre au
séjour du chef de l'U.N. dans la capitale italienne à l'occasion de son premier entretien
avec Mussolini. (AMAE, MCP, vol.471, fase, cité.)
13
Soit trois entretiens en 1937 et un en 1938 (janvier); le 20 juin 1938, G. Oltramare fut
en outre reçu par le ministre G. Ciano. R.Joseph (op. cit., note 42, p. 346), cite le
témoignage de la femme d'Oltramare, suivant lequel son mari avait été reçu par le
Duce à onze reprises. On peut donc estimer que le Genevois rencontra sept fois le
dictateur italien durant l'année 1936.
14
On trouve effectivement une référence à ce dossier dans les inventaires du fonds. Il y
est aussi fait référence («V. anche I. II/12 Etiopia») sur la couverture du dossier
Oltramare que nous avons pu consulter à l'AMAE.
15
C'est ce que nous a assuré le prof. P. Pastorelli.
16
Le déménagement dans les caves du Palazzo Lancellotti (d'où la dénomination
souvent utilisée de «Fondo Lancellotti»), permit de soustraire ces documents de
première importance aux recherches des Allemands, puis à celles des Alliés. Les
«Carte di Gabinetto» ne furent tirées de leur cachette qu'en septembre 1947, après
l'entrée en vigueur du traité de paix entre l'Italie et les Alliés. Cf. Mario Toscano,
Storia dei trattati e politica internazionale. I. Parte generale, Torino, 1963 (2C édit), p.
331.
17
Pour plus de détails sur cette question, nous renvoyons le lecteur à notre article publié
dans la Revue suisse d'histoire, déjà cité à la note7 (surtout pp. 39 ss.).
18
Par 513553 voix contre 232 466 voix favorables, et par tous les cantons, celui de
Fribourg excepté. Cf. à ce propos l'article de Boris Schneider, «Die FonjallazInitiative. Freimauerei und Fronten in der Schweiz», Revue suisse d'histoire, 1974,
pp.666-710.
19
Op. cit., en particulier le chap. IV consacré à l'idéologie du mouvement.
20
Cf. les Documents diplomatiques suisses, vol. 10 (1930-1933), Berne, 1982, doc.
no 367.
21
Dans le vol. 11 des Documents diplomatiques suisses, couvrant les années 1934-1936
(paru en 1989), plusieurs documents sont consacrés au débat suscité par l'admission de
l'Union soviétique à la SdN en septembre 1934, et surtout à la position de la Suisse.
Nous nous permettons de renvoyer en outre à notre article paru dans le no 7 d'Etudes
et sources (1981, pp. 119-147), sous le titre: «Politique ou commerce? Le Conseil
fédéral et les relations avec l'Union soviétique au début des années trente».
193
22
Cf. R. Joseph, op. cit., en particulier le paragraphe5 du chap. VI, consacré à «l'allié
des partis bourgeois», pp. 236ss.
23
Fondés en juillet 1933 et rattachés d'abord au Ministère des affaires étrangères, les
C.A.U.R. étaient présidés par le général Eugenio Coselschi. Ils étaient chargés de la
propagande du fascisme et du regroupement des mouvements européens à caractère
nationaliste, fasciste ou corporatif qui devaient constituer une sorte d'Internationale
fasciste. Comme le montre leur date de fondation, légèrement postérieure à la
création en Allemagne d'un ministère de la propagande confié à Goebbels, à travers
les C.A.U.R. Rome voulait contrecarrer la diffusion de la propagande nazie sur le
plan international.
Cf. à ce propos Michael A.Ledeen, L'Internazionale fascista, Bari, 1973 (edit. orig.
anglaise, Universal Fascism, New York, 1972). Le meilleur ouvrage consacré aux
C.A.U.R. est cependant celui d'un historien polonais, Jerzy W. Borejsza, II fascismo e
l'Europa
orientale.
Dalla propaganda
all'aggressione,
Bari, 1981 (edit. orig. en ital.).
21
Marchi au Sottosegretariato per la Stampa e la Propaganda, 20 octobre 1934.
(AMAE, MCP, voi. 466.)
25
Rapport daté du 27 octobre 1934 («Missione in Svizzera dal 13 al 18 ottobre 1934 XII»). Ibid.
26
Cette information fournie par Baroni après sa rencontre avec Oltramare, semble donc
confirmer les accusations adressées en octobre 1933 par le Travail de Léon Nicole,
selon lesquelles le chef de l'U.N. s'était entretenu avec Goebbels à Genève en vue de
la création d'un quotidien financé par le Reich. Cf. R. Joseph, op. cit., p. 199.
27
Au sujet du colonel Fonjallaz, le texte de Baroni confirme la tiédeur des rapports
existant entre Oltramare et le chef du fascisme helvétique: «I rapporti con il fascismo
svizzero non sono né buoni, né cattivi. L'Oltramare rimprovera al Fonjallaz di non
essersi messo su un terreno d'attività pratica, restando un po' troppo nel campo
idealistico.» Cf. aussi R.Joseph, op. cit., pp.212-213.
28
Et transmise par le S.I.M, le 14 octobre, au Ministero per la Stampa e Propaganda.
(AMAE, MCP, vol.471, fase, cité.)
29
AMAE, Carte di Gabinetto, fase. Oltramare G.
Le versement de la somme est confirmé d'autre part par un «Pro memoria» signé par
L. Mascia et destiné au sous-secrétaire G. Ciano, non daté mais rédigé certainement à
fin octobre 1935 (Ibid.): «... il Signor Otramare ha già rilasciato una ricevuta al
Console d'Italia per fr. 5000 quale nostro contributo alle elezioni federali.»
'"
A partir de l'année 1937, l'Entente internationale sera généreusement financée par le
gouvernement italien. D'autre part, en 1927 déjà, Th. Aubert avait passé des accords
avec le Ministère italien de l'Intérieur pour l'échange d'informations confidentielles
sur le compte des militants communistes. Cf. M. Cerutti, Le Tessin, la Suisse ...,
p. 261, note 62.
194
31
R. Joseph, op. cit., p. 232.
32
L. Mascia (Délégation italienne à la SdN), au Ministero per la Stampa e Propaganda,
1" octobre. (AMAE, MCP, vol.471, cité.)
33
Annotation manuscrite sur le télégramme de Mascia cité à la note précédente.
34
AMAE, MCP, vol. 471, cité. Ce texte n'est pas signé mais il est sans doute de L.
Mascia, l'écriture étant identique à celle d'un autre rapport portant sa signature et
faisant partie du même dossier. Il n'est pas daté, mais il doit remonter à la deuxième
moitié du mois d'octobre, car il reprend et développe des arguments déjà exposés dans
un télégramme de Mascia du 19 octobre.
35
Ibid.Ct. aussi le télégramme de Mascia au MAE, du 19 octobre: «In seguito ad
indagini eseguite con tutto il tatto che la materia delicatissima richiedeva, è risultato
che l'Amministratore del <Journal des Nations> tale Raoul Buccianti ... aveva dato
opzione al Signor Frangulis per vendita azioni che sono detenute da persona tuttora
ignota (probabilmente un rappresentante della Piccola Intesa).» (AMAE, MCP,
vol.471, cité.)
3
" La preuve en est qu'en 1936 les Etats de la Petite Entente, qui possèdent depuis 1934
la majorité du capital-actions du Journal des Nations, deviendront propriétaires de la
totalité du même capital. Cf. l'article de Nanda Torcellan, «Per una biografia di Carlo
a Prato». Italia contemporanea, no 124, juillet-septembre 1976, pp. 3-48. Nous avons
consulté aussi le «Fondo a Prato», déposé auprès de l'Istituto nazionale per la storia
del Movimento di liberazione, à Milan. (Carteggio, vol. 5, fase. 3.)
37
Attestation de l'administrateur du Journal des Nations, G. Duckert, du 26 juin 1936.
(Fondo a Prato, Carteggio, vol.3, fase. 4, sfasc.41.)
38
Cf. attestation de Guglielmo Ferrerò et du comte Sforza, ami du journaliste. (Ibid.,
vol. 1, fase. 5, sfasc. 15.)
En 1936, les représentants de la Petite Entente exercent de sérieuses pressions sur a
Prato afin qu'il leur cède sa participation au Journal des Nations dans le but de mieux
le contrôler. A ce propos, la réponse envoyée le 24 août 1936 par a Prato à Jan Hajek,
directeur du Bureau de presse au Ministère tchèque des affaires étrangères, montre
bien l'indépendance d'esprit de ce journaliste:
«...vous voudrez bien, je n'en doute point, comprendre que toute offre de rachat, de
cession ou autre devient inutile, tout aussi inutile d'ailleurs que les offres d'honoraires.
Vos excellents informateurs et vos très hauts amis vous ont toujours dit, j'en suis
certain, mon incompréhension totale des avantages matériels que la vie peut offrir.
Dédain, si l'on veut préciser.
Très heureux et très fier de collaborer avec vous dans ce que j'estime être une œuvre
d'idéalisme réaliste je crois très profondément que toute autre réponse à vos lettres
serait indigne de la glorieuse lutte des grands hommes politiques que vous défendez et
de l'amitié desquels je m'honore. Permettez que j'ajoute qu'elle serait même indigne
de moi.»
195
(Ibid., vol. 5, fase. 3.)
Malgré l'opposition de a Prato, la Petite Entente étendra cependant son emprise sur la
totalité du capital-actions du journal, laissant au journaliste italien une partie des
actions à titre fiduciaire.
39
Sur ces pressions, et sur les réactions des autorités helvétiques et de Motta en
particulier, cf. le vol. 11 (1934—1936) des Documents diplomatiques suisses, dans lequel
plusieurs documents sont consacrés à l'affaire a Prato. Pour de plus amples renseignements sur toute l'affaire, voir, du côté suisse, AF, E2001 (D) 1, vol. 9 et E4320, 1974/
47, vol.35, et du côté italien, AMAE, vol. 13 (Svizzera/1937), fase: Espulsioni.
40
Sous le titre: «Le Journal des Nations» VENDU au «Frente Popular». Voici d'autre
part la conclusion du commentaire de G. Oltramare: «... le gouvernement de Genève
a un devoir national à remplir, c'est de prendre tout de suite les mesures nécessaires
pour interdire la publication d'un torchon à la solde des révolutionnaires, pour faire
rappeler le consul corrupteur Chérif, beau-frère d'Azana, et pour signifier au crapuleux A Prato qu'il ait à quitter immédiatement notre territoire.» Comme le signale le
consul d'Italie à Genève, A. Spechel, dans une lettre au MAE du 7janvier 1937, le
document publié par VAction nationale avait été transmis à Oltramare par le viceconsul d'Espagne, A. Espinosa, passé au service du gouvernement de Franco.
(AMAE, vol. 8 (Svizzera/1936.)
41
Sur l'aide fournie par le consul Spechel au magistrat genevois pour obtenir l'éloignement de a Prato, cf. les nombreuses lettres envoyées par le même consul au MAE, en
particulier celle du 20janvier 1937 (ibid.).
42
La décision de renvoi, prise officiellement par la Police fédérale des étrangers, est
datée du 9 janvier. Une reconstitution à nos yeux exemplaire de l'affaire a Prato, est
celle publiée par E. Bovet dans le no du 15 mars 1937 de La Société des Nations.
Bulletin de l'Association suisse pour la Société des Nations.
43
II est d'ailleurs frappant de constater qu'à plus d'une reprise le Ministère public de la
Confédération et le chef du Département fédéral de Justice et Police, Baumann, se
sont opposés aux pressions du Département politique fédéral et de Motta, tendant à
obtenir l'éloignement d'à Prato de la Confédération. Cf. le vol. 11 des Documents
diplomatiques suisses, notamment le document no254.
44
Ce qui n'avait pas plu au ministre de Suisse à Rome, G. Wagnière, lui-même ancien
directeur du Journal de Genève, comme le montre sa lettre à G. Motta du 9février
1931: «Je vous ai souvent dit que ce journaliste de talent (W.Martin) que j'ai fait
entrer moi-même au J(ourn)al de Genève, m'avait causé des ennuis par ses expressions
souvent inamicales à l'égard de l'Italie. Il a créé à ce journal une réputation
d'italophobie, du reste absurde, mais qu'il n'a rien fait pour détruire.» (AF, E 2300
Rom, Archiv-Nr. 31.)
45
Lettre de W. Rappard à W. Martin, alors en voyage en Chine, du lOmars 1933 (AF,
J.1.149, Fonds W. Rappard, vol. 6). Rappard y faisait un compte rendu détaillé de
196
l'assemblée générale du Journal de Genève qui venait d'avoir lieu, et à l'occasion de
laquelle «toute la droite était mobilisée et s'était assuré une représentation prépondérante aux votes.» {Ibid.) Il y avait été question aussi de la démission de W. Martin et à
ce propos, selon le compte rendu de Rappard, l'avocat Théodore Aubert avait déclaré
notamment que «dans les milieux patriotiques qui se donnaient pour tâche essentielle
de combattre à Genève la révolution, on avait toujours regretté de ne pas trouver
auprès de vous [W.M.] l'appui voulu.»
46
Ibid.
47
«Vous avez parfaitement senti - poursuivait W. Martin - ce qu'il y avait d'étouffant
dans l'atmosphère du Journal: sa mesquinerie et son insincérité. Je n'ai jamais redouté
la lutte; mais au Journal je n'ai jamais eu à combattre que des adversaires masqués.
C'est cela qui, à la longue, était intolérable.» Lettre datée de Shanghai, le 9 avril 1933
(ibid.); il s'agit de la réponse à la lettre de Rappard citée à la note 45.
48
En 1934, le Journal de Genève fut même un des principaux porte-parole du «front du
refus» genevois à l'entrée de l'URSS à la SdN, allant jusqu'à exiger le départ de la
Suisse au cas où l'Union soviétique était admise (numéro du 27mars 1934). Cf. notre
article «Politique ou commerce? ...», déjà cité à la note 21, p. 137.
49
Selon le ministre G. Wagnière, ancien directeur du journal, celui-ci «fut italophile de
tous temps». Lettre à G. Motta du 18 octobre 1935, citée dans les Documents
diplomatiques suisses, vol. 11, no 168, note 3.
50
AMAE, MCP, vol. 471, fase. cité.
51
C'est ce que laisse entendre la notice de P. Aloisi du 18 octobre 1935 (ibid.).
52
Lettre de la Division des affaires étrangères du DPF, du 16 octobre 1935, au ministre
G. Wagnière (AFE2001 (C)4, vol. 101, fase: «Journal de Genève»),
53
Cf. fase, cité à la note précédente.
54
AMAE, MCP, vol. 471, cité.
55
Cf. R. Joseph, op. cit., p. 177.
56
Nous avons reconstitué le «contrat» conclu entre Oltramare et L. Mascia, à partir d'un
télégramme de Mascia à son ministère, du 27 novembre, qui porte l'approbation du
Duce, et d'un «Pro memoria per S. E. il Sottosegretario di Stato», écrit également par
Mascia, non daté, mais qui a dû être rédigé un ou deux jours après le télégramme du
27novembre. A ce «Pro memoria» est jointe une notice (datée par erreur du
29octobre, mais qui doit être du 29 novembre 1935), dont voci le texte:
«II Duce ha approvato l'accluso Promemoria ed ha deciso per il momento soltanto
l'acquisto delle 120 azioni del «JOURNAL DE GENÈVE».
197
Sono stati presi gli accordi con il Gabinetto [du Ministère des affaires étrangères] per
l'erogazione finanziaria.» (AMAE, MCP, vol.471, cité.)
57
Suivant l'édition de 1935 de Y Annuaire suisse du registre du commerce, (p. 544), le
capital-actions de la Société anonyme du Journal de Genève est de 480000 francs,
divisé en 2400 actions nominatives, ayant chacune une valeur nominale de 200 francs.
58
II est présidé par Raymond Vernet. Ibid.
59
Sur cette longue amitié, cf. par exemple G. Oltramare, Les confidences du Pilori,
Genève, 1935, pp. 131-132. Sur la «Weltanschauung» de Piachaud pendant la deuxième moitié des années trente, on peut lire son Discours sur l'éternelle Anarchie, paru
à Genève en 1937: après avoir dénoncé les «méfaits» de l'esprit nouveau, personnifie
surtout par Le Corbusier, et les «amis de l'Anarchie» comme André Gide, l'auteur
demande à ses contemporains de combattre le communisme, forme actuelle de la
doctrine de l'anarchie éternelle, ainsi que ses auxiliaires. Pour Piachaud, il faut que
catholiques et protestants cessent d'être divisés pour lutter ensemble contre l'ennemi
commun. Pour sa part, R.Joseph (op. cit., p. 108), signale une conférence prononcée
par Piachaud en 1938, intitulée «Les Juifs et l'éternelle anarchie».
Ml
Art. 8 des Statuts de la S.A. du Journal de Genève de 1922 (Bibliothèque Publique et
Universitaire de Genève). Cet article précise en outre que «les actions ne sont
transmissibles que si le nouveau titulaire est préalablement agréé par le Conseil
d'administration...».
61
«II Signor Piachaud e la vedova Tramonti [il s'agit justement de la cousine d'Oltramare] rilascerebbero al Sig. Oltramare una ricevuta di franchi 1500 ciascuno per
l'acquisto di 50 azioni del <JOURNAL DE GENÈVE>, con le indicazioni dei numeri
delle azioni stesse, ricevute che l'Oltramare darebbe a noi.» Télégramme de Mascia du
27 novembre, cité à la note 56.
62
«Pro Memoria» cité à la note 56.
63
Ibid.
H
Ibid.
(5
'
Voir à ce propos la brochure intitulée Origine génoise de la Famille Oltramare de
Genève, mise au point par Hugo Oltramare et offerte par lui en 1947 à la Bibliothèque
Publique et Universitaire de Genève. Cette brochure comprend notamment des
extraits de documents retrouvés en janvier 1934 dans les Archives d'Etat de Genève
par l'archiviste R. Campiche; elle cherche à montrer l'origine génoise de la famille
Oltramare, à partir d'un ancêtre, Antoine Oltramare, reçu bourgeois de Genève
en 1608.
66
Comme le prouve la lettre de G. Ciano à P. Fedele, du 7 janvier 1936: «D'ordine del
Duce Le segnalo la pratica araldica relativa alla famiglia OLTRAMARE di Ginevra.
198
Per ragioni di carattere politico [souligné par moi] è nostro interesse che tale pratica
venga risolta in modo favorevole, sempre che non esistano gravi e seri argomenti in
contrario.» (AMAE, MCP, vol.471, cité.)
P. Fedele à G. Ciano, 17janvier 1936 (ibid.). Le sénateur Fedele ajoute cependant
qu'il lui serait possible de proposer au roi, avec l'accord du Duce, la concession aux
deux Oltramare du titre transmissible de marquis. Cette proposition est cependant
écartée par Mussolini, comme nous l'apprend une lettre de G. Ciano à P. Fedele, du
23 janvier 1936 (ibid.).
«Pro Memoria» de Mascia, cité à la note 56.
Ministero per la stampa e propaganda à la Direzione generale per la stampa estera,
ófévrier 1936 (AMAE, MCP, vol.471, cité).
Ces versements sont minutieusement documentés dans ACS, MCP, vol. 171bis,
fase. 69: Spechel, console generale/Journal de Genève.
Selon une information que nous a fournie son administration, le Journal de Genève ne
possède pas d'archives sur la période qui nous intéresse. Un dépouillement des
numéros du journal de janvier à mars 1936, ne nous a pas non plus permis de retrouver
de compte rendu sur une éventuelle assemblée générale.
Télégramme de Mascia du 27 novembre, cité à la note 56.
Cf. note 60.
Lors des deux assemblées générales extraordinaires des 14 février et 1er mai. Feuille
officielle suisse du commerce, 1" semestre 1930, no 114, p. 1054.
Cf. note 57.
Cf. AF, E 2001 (C) 3, vol. 56, fase: Valfré di Bonzo.
A noter que la nomination d'un vice-consul (c'est le cas pour di Bonzo), ne doit pas
être précédée de la concession de l'exequatur de la part du Conseil fédéral, comme
c'est le cas en revanche pour les consuls et autres diplomates. Une telle nomination
n'est donc pas précédée de l'habituelle enquête menée par le Département politique
sur le passé du candidat.
Lettre du ministre René de Week au DPF, du 21 janvier 1947 (AF, E 2001 (D)3,
vol. 38, fase: «Union nationale» Genève). Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le
ministre de Week avait été en poste à Bucarest, où il était le supérieur de B.de
Fischer, qui lui avait fait part des confidences de di Bonzo.
Ibid.
199
811
Cf. R. Joseph, op. cit., pp. 297ss.
81
Lettre de de Week, citée à la note 78.
82
Cf. son télégramme du 11 mai au Ministero per la stampa e la propaganda (AMAE,
MCP, vol.471, cité).
83
Ibid.
84
Spechel au M A E , 12 mai 1936 ( A M A E , Svizzera, vol.9 (1936), fase. 1, Stampa).
85
Télégramme de Bova Scoppa, du 26mai 1936, au Min. St. e Prop, {ibid.); ce dernier
lui communique le 16 juin suivant que: «Questo Ministero, che si mantiene a contatto
con il Sig. Vaucher, si varrà opportunamente della di lui opera per inviare al Journal
de Genève le smentite o <messe a punto» che si rendessero necessarie.» {Ibid.)
86
Télégramme cité à la note précédente.
"' Cf. aussi l'allusion assez claire contenue dans une lettre du consul Spechel au Min. st. e
Prop., du 25 septembre 1936: «... il Sig. P.E. BRIQUET, redattore di politica estera
del <JOURNAL DE GENÈVE> - noto a codesto superiore Dicastero sia personalmente (soul, par moi), sia per i suoi articoli generalmente ispirati a simpatia per l'Italia
fascista...». (AMAE, MCP, vol.471, cité.)
w
Envoyée à la Légation de Suisse à Rome (AF, E 2001 (D)3, vol. 10, dossier:
«Presseagentur Telepress», Genf.)
89
Sur cette question, nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage Le Tessin, la
Suisse et l'Italie ..., pp. 523-524.
*' Op. cit., pp. 233ss.
91
Ibid., pp. 235-236.
92
A l'issue des élections législatives de novembre 1936, les partis composant l'Entente
nationale ont obtenu ensemble 60 sièges (sur un total de 100), dont 24 pour les
radicaux, 14 pour les démocrates, 12 pour les chrétiens-sociaux et 10 pour l'U.N.
93
R. Joseph, op. cit., p. 233.
94
C'est le docteur Hugo Oltramare, par ailleurs membre du conseil d'administration du
Journal de Genève et appartenant au groupe des «Equipes», qui avait fait ajouter le
mot «national» à la dénomination de son parti. Cf. Richard-Olivier Gautier, Les
Equipes. Un mouvement de renouveau national à Genève, 1933-1936, Genève, 1974
(multigraph.; mémoire lie. lettres), annexe I, p. 17.
95
Op. cit., pp. 241-244.
200
%
Ibid., p. 179.
97
Ce télégramme constitue la réponse à une dépêche envoyée précédemment par la
Délégation italienne à la S.d.N. au Cabinet des affaires étrangères, dont nous ignorons
la date exacte. (AMAE, Carte di Gabinetto [dorénavant: Gab.], fase: G. Oltramare.) Le 7 mai, répondant au télégramme reçu le même jour, la délégation à la
S.d.N. signale au cabinet du MAE que «nota persona [G. Oltramare] trovasi Albergo
Quirinale» {Ibid.).
98
Le dossier sur Oltramare cité à la note précédente contient une liste avec les noms des
membres de l'U.N. reçus par le Duce, datée du 7mai, vraisemblablement rédigée par
Oltramare. Les deux Italiens accompagnant le groupe de l'U.N. étaient Antonio
Baccelli, secrétaire du «fascio» de Genève, et Aroldo Zanoni (ibid.).
99
Lettre de Luigi Vidau, directeur des «Affari riservati» au Cabinet du MAE. à
G. Oltramare, qui se trouve à l'«Albergo Quirinale», du lOmai 1937 (ibid.).
11X1
Cf. note 13.
101
Cf. p. ex. // Popolo d'Italia du 12 mai (coupure de presse dans le fase, cité à la
note 78).
1112
Malheureusement, le dossier consacré à cette question a été retiré du dossier sur
Oltramare que nous avons pu consulter, où il ne subsiste plus qu'un renvoi («Sosta
dell'aereo Torino-Parigi a Ginevra. Progetto Oltramare»).
"" «II Governo francese non ha... ritenuto opportuno di dover dar seguito alla richiesta
rivoltagli da parte nostra di consentire allo scalo intermedio a Ginevra, sopra tutto in
base alla considerazione che, a norma della convenzione in vigore, la linea avrebbe
dovuto svolgersi con uno scalo regolare a Lione e che solo per aderire ad una nostra
specifica richiesta era stato consentita l'ammissione di detto scalo. La Società <Avio
Linee Italiane> che, vivamente interessata da questo Ministero e da quello dell'Aeronautica, aveva già predisposto, nonostante le note difficoltà tecniche, ogni provvedimento esecutivo, si è vista in tal modo costretta a soprassedere, per ragioni estranee al
nostro volere, all'istituzione dello scalo in questione.» Télégramme du ministre des
affaires étrangères, G. Ciano, du 7 sept. 1937, envoyé à la Délégation italienne à
Genève avec prière d'en communiquer le contenu, à titre confidentiel, à G. Oltramare
(AMAE, Svizzera, vol. 17 (1937), fase: Aviazione).
"M Comme le prouve un rapport intitulé «Résumé de la situation, au 18octobre [en
réalité: septembre] 1937», envoyé le 18 septembre par Oltramare au Duce: «II
faudrait que nous puissions compter, ces prochains mois, sur les mêmes moyens
financiers qui ont été mis à notre disposition au mois d'avril, de mai et de juin.»
(AMAE, Gab., fase: G. Oltramare.)
m
Ibid.
201
106
Ibid.
107
Op. cit., p. 256.
108
Rapport du 3 juin à Mussolini, cité à la note 106.
109
Ce que confirme une autre notice datée du 7 juin, rédigée par L. Vidau du Cabinet du
MAE: «In seguito alle istruzioni impartite è stata fatta presente al Bova Scoppa
l'opportunità di organizzare a Ginevra qualche cosa più che una semplice beffa per
mezzo del noto Oltramare. Il Bova Scoppa ha comunicato che avrebbe subito
riferito.» (AMAE, Gab., fase. G. Oltramare.)
110
Cependant, lorsqu'il a fait paraître en 1961 un livre de souvenirs largement consacré à
la crise éthiopienne et à sa propre activité à Genève (La pace impossibile, Turin),
R. Bova Scoppa s'est bien gardé de rappeler ses contacts passés avec Oltramare, qui
n'est d'ailleurs mentionné qu'une seule fois dans son ouvrage (p. 170).
'" Lettre datée du 3juin (AMAE, Gab., fase. G. Oltramare).
112
Rapport daté du 5 juillet (ibid.).
111
Cf. R.Joseph, op. cit., p. 84, et R. Ruffieux, op. cit., p. 322.
114
Rapport du 18 sept. 1937, déjà cité à la note 104.
" s Rapport du 5 juillet à Mussolini (AMAE, Gab., fase. G. Oltramare).
116
Ibid.
'" Op. cit., p. 104.
"" Pour le texte de cet accord, cf. M.Cerutti, Le Tessin, la Suisse ..., p. 517.
119
Rapport du 3 juin à Mussolini, déjà cité à la note 106.
120
Rapport du 8juin 1937 au MAE (AMAE, vol. 12 (Svizzera/1937), fase.: Iniziativa
antimassonica).
121
Ibid.
122
Rapport du 3 juin (AMAE, Gab., fase. G. Oltramare).
123
Rapport du 5 juillet (ibid.).
124
Op. cit., 228.
125
AMAE, Gab., fase. G. Oltramare.
202
126
Rapport du 5juillet (ift/rf.)-
127
Ibid.
128
Pour un compte rendu de la conférence de Maurras, cf. la Suisse du 25septembre.
L'exposé du leader de l'Action française a été suivi d'un «éloge de Maurras»,
prononcé par Louis Darquier de Pellepoix.
129
R. Joseph, op. cit., p. 257.
130
Rapport déjà cité à la note 104.
131
Lettre de L. Vidau, du MAE, à R. Bova Scoppa, du 19octobre (AMAE, Gab., fase.
G. Oltremare).
132
Ibid.
133
Ibid.
134
Lettre de L. Vidau au consul Spechel, du 17novembre (ibid.). Pour des raisons de
prudence, l'auteur de la lettre ne parle pas explicitement de la somme d'argent
destinée à Oltramare, mais se borne à utiliser une sorte de langage codé, qui devait
être connu du consul Spechel. Les autres éléments dont nous disposons, nous
permettent cependant d'affirmer que la lettre de Vidau fait bel et bien allusion à une
subvention financière (Cf. note 136).
135
Cf. note 18.
136
Lettre du consul Spechel à L. Vidau, du MAE (AMAE, Gab., fase. G. Oltramare).
137
Bulletin sténographique officiel de l'Assemblée fédérale. Conseil national, 1937,
pp. 919-921. Sur le processus de retour à la neutralité intégrale, cf. naturellement
Edgar Bonjour, Geschichte der schweizerischen Neutralität, t. Ill 1930-1939, Bale,
1970, surtout pp. 203 ss.
138
... Personne ne devrait songer à demander que la Suisse quittât la Société des Nations.
Nous sommes le pays de son siège. [...]
Il serait malheureux de déserter un champ d'activité que nous avons appris, en dix-huit
ans, à mieux connaître. Nous avons été parmi les ouvriers les plus ardents de
l'arbitrage international.» Bulletin sténographique..., p. 921.
139
Ibid.
140
Pour le texte de la proposition de Motta au Conseil fédéral, datée du 18 janvier, cf.
AF, E2001 (D) 4, vol. 2.
203
141
Cf. par exemple ce que relate G. de Reynold dans une lettre à Motta du 12janvier
1938 (AF, E2001 (D) 4, vol. 1), après avoir rencontré à Lausanne un «messager»
italien, que l'aristocrate fribourgeois ne nomme pas: «II m'a demandé si je croyais
qu'une déclaration catégorique et solennelle, de la part de l'Italie et de l'Allemagne,
reconnaissant, au nom de tous les dieux de l'Olympe et d'Asgard (c'est moi qui ajoute
cela), notre neutralité absolue et inconditionnelle, et s'engageant à la respecter, serait
la bienvenue en Suisse.»
Dans la marge de la lettre, Motta a noté: «A mon avis il vaudrait mieux que Rome et
Berlin se tinssent entièrement tranquilles. On veut évidemment nous considérer un peu
comme <balle de jeu>. 13.1.38».
142
Lettre de Tamaro à G. Ciano (AMAE, vol. 18, Svizzera/1938, fase: Neutralità
integrale svizzera).
143
AMAE, Gab., fase. G.Oltramare.
144
Télégramme secret du MAE au Consulat général de Genève, du 13 janvier (ibid.).
145
Cependant, le consulat général du Reich à Genève a été mis au courant, vraisemblablement par Oltramare, de l'entretien du 15 janvier. A cette occasion, si l'on en croit
la lettre du consulat allemand à la Légation du Reich à Berne du 25 janvier (citée par
E. Bonjour, op. cit., p. 246), Mussolini a dit au chef de I'U.N., «dass in Kürze,
jedenfalls noch im Laufe dieses Jahres, ernstlich mit einem italienisch-französischen
Krieg zu rechnen sei».
146
R. Joseph, op. cit., pp. 173-174.
147
Cf. le procès-verbal de la séance du Conseil fédéral du même jour, no 270 (AF,
E10041, vol. 370). La décision du gouvernement suisse est relatée le même jour par la
Légation d'Italie à Berne au MAE (AMAE, Gab., fase. G. Oltramare).
148
Ibid.
149
Télégramme de G. Ciano au Consulat général de Genève, du 24mai (ibid.).
150
Rapport d'Oltramare à Mussolini, du 21 mai, intitulé «Examen de la situation. Après
l'Anschluss» (ibid.).
151
II n'est pas inutile, pour apprécier le sentiment profond de Mussolini à l'égard de la
Suisse, de rappeler le commentaire formulé immédiatement après l'Anschluss par le
Duce à G. Ciano, et annoté parce dernier dans son journal, à la date du 13 mars: «...
L'evento fatale si à compiuto. Non è stato un piacere per noi: certamente no. Ma un
giorno il mondo realizzerà che tutto ciò era inevitabile. Il Duce ha detto che si è tolto
un equivoco dalla carta europea. Ed ha elencati i tre che ancora esistono e che, a suo
avviso, dovranno, in questo ordine, seguire la stessa sorte: Cecoslovacchia, Svizzera e
Belgio.» G. Ciano, Diario 1937-1943, Milano, 1980, p. 112.
204
152
Cf. R. Joseph, op. cit., p. 104.
153
«... L'Union Nationale di Ginevra ha fatto ripetuti tentativi per uscire dal Cantone e
Oltramare ha parlato anche nel Vallese, ma senza ottenere apprezzabili successi. Il
che del resto è dovuto anche alla natura del movimento che, essendo rigorosamente
federalista, presuppone una vita del tutto autonoma per ogni Cantone e per ogni
Cantone la sua specialità politica. [...]
Anche a Ginevra i nazionali di Oltramare non hanno progredito: hanno mantenuto
una staticità non utile ai loro fini e alcune mosse politiche hanno reso difficile la loro
alleanza coi partiti dell'ordine, che spesso tra di loro hanno discusso l'eventualità di un
distacco. Comunque Oltramare è rimasto sulla breccia e s'è battuto bene nella
disperata battaglia contro la Massoneria.» (AMAE, Gab., fase. G.Oltramare.)
154
Sur cette question, cf. notamment E. Bonjour, op. cit., pp. 279-280.
155
La notice de G. Ciano («Appunto per il Duce») porte l'annotation suivante: «II Duce
ha deciso oggi - 21 giugno - negativamente». (AMAE, Gab., fase. G. Oltramare.)
156
En effet, la confusion n'est pas possible entre les subventions apportées par Di Bonzo
à Oltramare, et celles versées au chef de l'U.N. en 1937 et documentées dans le dossier
des «Carte di Gabinetto» du MAE: d'une part, le nom de V. Di Bonzo ne figure
jamais dans le dossier susmentionné, et, d'autre part, un dernier versement est
effectué en novembre 1937, alors que Di Bonzo a déjà quitté Genève au mois de juin
de la même année.
157
Ibid. Nous reproduisons cette lettre en annexe.
158
Par lettre datée du 30novembre 1942 (ibid.).
205
Annexe
L'ambassadeur d'Italie à Paris au Ministère italien des Affaires étrangères.
Paris, le 16 novembre 1942/XXI"
Oggetto: Giornalista Georges Oltramare - Richiesta di udienza col
DUCE
Si è presentato a questa Ambasciata il giornalista svizzero Georges
Oltramare, ben noto a codesto Ministero come fondatore del movimento fascista «Union Nationale» di Ginevra.
Egli ha detto che sarebbe molto riconoscente al Duce, che altra volta gli
ha fatto l'onore di riceverlo, se volesse accordargli un'udienza nella
quale intenderebbe esporgli le sue impressioni e i suoi giudizi sulla
situazione francese, in base all'esperienza derivante da oltre due anni di
soggiorno a Parigi.
Ha vagamente accennato ad elementi in suo possesso circa i «veri
obiettivi» della politica di Lavai, soprattutto nei confronti dell'Italia.
A proposito del suo soggiorno a Parigi il Signor Oltramare ha chiarito
che, dopo aver dovuto lasciare la Svizzera nel maggio del 1940 a causa di
difficoltà politiche delle quali codesto Ministero sarebbe a conoscenza,
egli ha soggiornato per breve tempo in Italia, da dove è partito l'8giugno dello stesso anno per la Germania, con passaporto tedesco rilasciatogli dal Consolato Generale del Reich a Genova, su domanda delle
S.S.
Il passaporto, del quale egli tuttora si serve, è intestato al nome di
Diodati Carlo, nato a Vienna.
Da Berlino, sempre secondo le sue dichiarazioni, l'Oltramare è stato
inviato nello stesso mese di giugno 1940 a Parigi dove ha per lungo
tempo diretto il periodico «La France au Travail», periodico che ha
206
dovuto lasciare in seguito a beghe interne provocate, a suo dire, dallo
stesso Lavai.
Per interessamento dell'Ambasciata di Germania gli è stato successivamente affidato uno dei servizi della Radio di Parigi (Le rythme du
temps), servizio che tuttora dirige e nell'ambito del quale egli ha
commemorato il 28 ottobre u.s. il Ventennale della Marcia su Roma.
Pur non avendo fornito sugli obiettivi della sua richiesta di udienza
elementi più precisi di quelli che, per debito di ufficio, riferisco nel
presente telespresso, il Signor Oltramare ha dato chiaramente l'impressione di nutrire verso Lavai vivo risentimento personale.
Egli ha anche chiesto che della sua domanda di essere ricevuto dal
Duce, non venisse informata, almeno per ora, questa Ambasciata di
Germania.
207
Zusammenfassung
Dieser Artikel untersucht die Beziehungen, die Georges Oltramare, der
Führer der «Union Nationale», in den Jahren 1935-1938 mit dem
faschistischen Italien und besonders mit dem Duce unterhielt. Die
Arbeit stützt sich auf bisher nicht ausgewertete Dokumente im Schweizerischen Bundesarchiv und in italienischen Archiven, hauptsächlich im
Archivio storico diplomatico del Ministero degli Affari esteri in Rom.
Die Analyse dieser Quellen zeigt deutlich das grosse Interesse, das die
italienische Propaganda und der Duce persönlich an der öffentlichen
Meinung in Genf, dem Sitz des Völkerbundes, hatten. Besonders
lebhaft war dieses Interesse während des Konfliktes zwischen Italien
und Abessinien. Damals verhängte der Völkerbund gemäss Art. 16
seiner Charta Sanktionen über das faschistische Italien, das mit seinem
Angriff auf ein anderes Mitglied des Bundes klar gegen die Satzungen
verstossen hatte. In dieser Situation, unter zunehmender Isolierung auf
der internationalen Bühne, entdeckte Rom im Oberhaupt der «Union
Nationale» einen besonders kämpferischen Wortführer, den es bei
seinen Propagandaaktionen gegen den Völkerbund zu fördern suchte.
Die Unterstützung Oltramares richtete sich besonders auch gegen die
Genfer Sozialisten unter der Führung von Léon Nicole, der seit November 1933 der kantonalen Exekutive vorstand und der als Vorsteher des
Polizeidepartements politischen Flüchtlingen aus Italien wie dem
bedeutenden Redaktor des «Journal des Nations», Carlo Emanuele a
Prato, Schutz gewährte. Mussolini leistete sogar finanzielle Hilfe, als
Oltramare sich im November 1935 daran machte, einen Teil der Aktien
des «Journal de Genève» zu erwerben, um anschliessend einen Vertrauensmann in den Verwaltungsrat der grossen Genfer Tageszeitung wählen zu lassen. Der Plan misslang. Italien bemühte sich aber weiterhin
hartnäckig, Einfluss auf die öffentliche Meinung in Genf zu nehmen und
die Unternehmungen Oltramares zu fördern.
Den Tätigkeiten Oltramares in Genf während der fraglichen Zeit lagen
verschiedene eng verknüpfte Ursachen und Motive zugrunde. Indem
sich die Aktion gegen die Linke Nicoles, die Kommunisten und die
Freimaurerei richteten, bezogen sie sich zunächst und in erster Linie auf
das Genfer und Westschweizer Umfeld; dann aber, in enger Verbin208
dung mit dem Kampf des faschistischen Italien gegen den Völkerbund,
verfolgten sie Ziele, die weit über diesen Rahmen hinausgingen.
Die beträchtliche Unterstützung Oltramares durch Mussolini war
hauptsächlich darauf ausgerichtet, den Führer der «Union Nationale»
auf seinen propagandistischen Feldzügen gegen den Völkerbund
zunächst zu belohnen, dann aber auch anzutreiben, ja gleichsam fernzusteuern. Ausserdem sollte diese Unterstützung die «Union Nationale»
auf lokaler Ebene stärken, wo sie im Kampf gegen die Regierung Nicole
gewissermassen den Stosstrupp der bürgerlich-nationalen Einheitsfront
bildete. Indirekt und ohne Kenntnis der Hilfe durch den Duce profitierte die gesamte bürgerliche Einheitsfront bei ihrem Vorgehen gegen
die Linke davon, insbesondere bei der Kampagne für das Verbot der
kommunistischen Organisationen. Gewiss, die Sympathien Oltramares
für Mussolini und den Faschismus bestanden schon vor den Hilfeleistungen aus Rom. Indessen hat das Oberhaupt der «Union Nationale» seit
Oktober 1935 diese finanzielle Unterstützung gesucht und angenommen
und ist so wohl oder übel ein Werkzeug der Politik des faschistischen
Italien in der Völkerbundsstadt geworden. Dies erweist sich darin, dass
1938 die Krise des Völkerbundes, verbunden mit anderen Überlegungen zur internationalen Politik, die weitere Finanzierung Oltramares in
den Augen Mussolinis nicht mehr zu rechtfertigen schien und den Duce
bewog, seinen Genfer Verbündeten fallen zu lassen.
209
Compendio
L'articolo verte sulla natura dei rapporti, creatisi nel periodo 1935-1938,
tra il capo dell'Unione nazionale, Georges Oltramare, e l'Italia fascista,
con il duce in prima fila. Si basa su una documentazione a tutt'oggi non
ancora sfruttata, giacente negli archivi italiani - soprattutto nell'Archivio storico-diplomatico degli Affari esteri, a Roma - nonché nell'Archivio federale. L'analisi di queste fonti evidenzia il grande interesse con
cui la propaganda italiana e il duce stesso seguono l'evolversi dell'opinione pubblica nella città sede della Società delle Nazioni: un interesse
che è particolarmente vivo nel periodo del conflitto italo-etiopico,
quando l'istituzione wilsoniana adotta, conformemente all'articolo 16
del proprio Patto, misure di sanzione contro l'Italia fascista, rea di avere
aggredito un altro Stato membro. In tale contesto, vedendosi sempre
più isolata sulla scena politica internazionale, Roma scopre nel capo
dell'Unione nazionale un portavoce particolarmente combattivo e
cerca, da quel momento, d'incoraggiarne l'azione di propaganda contro
la SdN.
Gli appoggi forniti a Oltramare mirano anche a controbilanciare
l'azione dei socialisti ginevrini, il cui leader, Léon Nicole, dal novembre
1933 dirige il governo cantonale e cerca, nella sua veste di capo del
Dipartimento di polizia, di proteggere i rifugiati politici italiani (come il
giornalista Carlo Emanuele a Prato, principale redattore del Journal des
Nations).
Nel novembre 1935 Mussolini accetta perfino di aiutare finanziariamente Oltramare, quando questi, acquistando parte del pacchetto azionario del Journal de Genève, tenta di fare eleggere un proprio uomo di
fiducia nel consiglio d'amministrazione del grande quotidiano ginevrino. Benché l'operazione non riesca, l'Italia non desiste affatto dalla
sua azione tenace, mirante da un lato a influenzare il pubblico di
Ginevra, dall'altro ad assecondare l'attività di Oltramare.
L'azione condotta da quest'ultimo a Ginevra durante il periodo in
esame à la risultante, in definitiva, di vari fattori, di varie motivazioni
strettamente intrecciate fra loro. Tale azione persegue, anzitutto, obiet210
tivi legati al contesto ginevrino e romando, in particolare la lotta contro
la sinistra di Nicole, i comunisti e la massoneria; essa ha anche, peraltro,
finalità riferibili a un quadro ben più ampio, associandosi alla lotta
dell'Italia fascista contro la SdN.
Il notevole appoggio offerto da Mussolini a Oltramare cerca prima di
ricompensare, poi di incoraggiare e persino di teleguidare il capo
dell'Unione nazionale nelle sue campagne contro il Patto e la Società
delle Nazioni. In un secondo tempo, tale appoggio mira ad aiutare
l'Unione nazionale nell'attività che quest'ultima - sorta di punta avanzata dell'Entente nationale bourgeoise, che riunisce i partiti contrari al
governo Nicole - conduce sul piano ginevrino. Indirettamente, e benché
all'oscuro del sostegno fornito dal duce a Oltramare, l'Entente beneficia
anch'essa di quell'appoggio, segnatamente durante la campagna per il
divieto delle organizzazioni comuniste; rafforzando l'Unione nazionale
e la sua propaganda, inoltre, gli aiuti italiani risultano utili a tutte le
forze dell'Entente nella loro lotta contro la sinistra.
Certo, le simpatie di Oltramare per Mussolini e per il fascismo sono
anteriori ai sussidi concessi dall'Italia fascista; a partire dall'ottobre
1935, tuttavia, il capo dell'Unione nazionale cerca e accetta questi
appoggi finanziari, divenendo, volente o nolente, uno strumento della
politica di Roma nella città lemanica. Lo prova il fatto che nel 1938,
quando la crisi della SdN, unita ad altre considerazioni di politica
internazionale, non sembra più giustificare per il duce ulteriori finanziamenti ad Oltramare, Mussolini decide di tagliare i ponti con l'alleato
ginevrino.
211
Schweizerisches Bundesarchiv, Digitale Amtsdruckschriften
Archives fédérales suisses, Publications officielles numérisées
Archivio federale svizzero, Pubblicazioni ufficiali digitali
Georges Oltramare et l'Italie fasciste dans les années trente. La propagande italienne à
Genève à l'époque des sanctions et de la crise de la Société des Nations
In
Studien und Quellen
Dans
Etudes et Sources
In
Studi e Fonti
Jahr
1989
Année
Anno
Band
15
Volume
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Autor
Cerutti, Mauro
Auteur
Autore
Seite
151-212
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Ref. No
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