Présentation du Château de Kafka par Stéphane Michaka

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Présentation du Château de Kafka par Stéphane Michaka
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Présentation du Château de Franz Kafka par Stéphane Michaka
Écrit après Amerika et Le Procès, Le Château est le dernier des trois grands
romans de Franz Kafka (1883-1924). À son ami Max Brod, qui publiera cette
oeuvre inachevée en 1926, deux ans après la mort de l’écrivain praguois, Kafka
avait confié que Le Château n’existait « que pour être écrit, pas pour être lu. » Il y
travaille de janvier à septembre 1922, pour se soustraire à l’angoisse et à la
maladie. Atteint de tuberculose pulmonaire, Kafka sait que sa mort est proche.
Écrire Le Château est pour lui un acte de survie. Les pas étouffés par la neige de
l’arpenteur K. (un double anonyme de Kafka) frémissent d’attente et de désir, et
leur avancée opiniâtre sur un paysage blanc évoque la plume de l’écrivain
creusant un sillon dans les ténèbres.
« Il était tard le soir lorsque K. arriva. Le village était enfoui sous la
neige. On ne pouvait voir la colline du château, le brouillard et la
pénombre l’environnaient. Il n’y avait pas la moindre lueur indiquant
le grand château. K. resta un moment sur le pont de bois qui relie la
route au village, les yeux levés vers ce qui semblait être le vide.
Puis il se mit en quête d’un gîte pour la nuit. »
Brouillard, obscurité, et peut-être le vide : le premier paragraphe du Château
pose d’emblée les motifs obsédants du roman. Aux prises avec une
administration dont les voies sont impénétrables, l’arpenteur K. va cheminer
dans le village jusqu’à l’épuisement, croyant percer à chaque étape le mystère
d’un pouvoir qui se tient caché. Mais Le Château est aussi un grand roman
d’amour. Sous les traits de Frieda on reconnaît Milena Jesenska, la traductrice
tchèque de Kafka, avec laquelle il vivra un amour impossible. Milena est l’épouse
d’un certain Ernst Pollak, qui a inspiré le personnage de Klamm. En 1920,
l’écrivain célibataire confie à Milena : « Cet échange de lettres n’amènera jamais
qu’à conclure que tu es liée à ton mari par un mariage indissoluble, positivement
sacramentel, et moi, par un mariage exactement semblable, à... je ne sais à qui,
mais le regard de cette épouse terrifiante se pose souvent sur moi, je le sens. » Et
de fait, tout le monde épie tout le monde dans Le Château, dont un autre motif
souterrain est le panoptique, dispositif de surveillance qui permet de voir sans
être vu.
Théâtrales, cinématographiques, radio ou BD, les adaptations du Château sont
innombrables. Chaque fois, le même dilemme se pose à l’adaptateur : comment
terminer cette histoire laissée inachevée par Kafka ? Et qui d’ailleurs oserait clore
ce récit auquel l’inachèvement, l’errance perpétuelle, vont si bien ?
Plutôt que dans la fiction, la réponse se trouve peut-être dans la réalité : celle de
la République tchèque à la fin du vingtième siècle. Václav Havel, l’écrivain
dissident et figure emblématique de la Révolution de velours, a raconté
comment, élu Président en 1989, il s’efforça de faire passer son pays du système
totalitaire à la démocratie. Dans À vrai dire : Livre de l’après-pouvoir (Editions de
l’aube 2007), l’écrivain-Président revient sur son parcours singulier : « Mon
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histoire ressemble à un conte de fées, à la conclusion kitsch : alors que tout le
monde lui dit que cela n’a pas de sens, le brave Jeannot tchèque tape sans
relâche avec sa tête contre le mur jusqu’à ce que celui-ci s’écroule, pour devenir
le roi qui a régné, règne et régnera pendant treize longues années. Pourquoi ne
pas attirer l’attention précisément sur des happy ends de ce genre ? Ne peuventils pas devenir source d’espoir pour d’aucuns qui continuent encore à taper contre
le mur ? »
À Prague, le palais présidentiel est appelé le Château. Ce n’est sans doute pas
celui que Kafka avait en tête en rédigeant son roman. Et les happy ends n’étaient
pas sa tasse de thé. Mais on peut penser qu’il aurait apprécié, s’il avait pu la
connaître, cette ironie de l’Histoire.
Stéphane Michaka