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ATELIER SUR LA TRADUCTION APPLIQUEE AU DIALOGUE INTERCULTUREL
FRANCE-ASIE : THEORIES TRADUCTOLOGIQUES ET PRATIQUES TRADUISANTES
Coordination : Wanda DRESSLER ; [email protected]
SYNTHESE
DE L’ATELIER
Cet atelier multidisciplinaire visait à explorer les problèmes posés par les rapports entre traduction
et communication interculturelle, en particulier à travers le dialogue littéraire établi entre
Occident/Orient, et plus précisément le dialogue France/Asie par le biais des différentes pratiques
traduisantes.
Le premier intervenant, Jean-René Ladmiral, philosophe, Pr. émérite de l’U. de Paris X Nanterre,
ancien Directeur du laboratoire de traductologie MODYCO, a évoqué comment la théorie
traductologique qui est tentative de construction d’une épistémologie de la traduction, rend compte
de la diversité des pratiques traduisantes. Cette théorie les légitime, d’une certaine façon, par son
pluralisme et l’esquisse rendue de plus en plus nécessaire d’une typologie de ces pratiques pour que
le traducteur parvienne à situer sa pratique dans un continuum entre une traduction au plus près du
texte source et la recréation d’un nouveau texte qui renvoie le plus fidèlement possible à l’esprit du
texte source et à sa matérialité linguistique ou poétique (si possible). Le but de la traduction étant de
réaliser la meilleure compréhension interculturelle possible c’est à dire, un pont subtil entre deux
cultures, celle-ci est en fait la création d’un « oecumène », au sens profane et religieux du terme, la
traduction sacralisant pour ainsi dire les textes mis en contiguïté. Une bonne traduction se réalise
toujours un peu « à l’aveuglette ». Elle dépend beaucoup du défi sémantique et littéraire que le
traducteur arrive à relever à travers cet exercice complexe de mise en relation de deux textes portés
par des cultures traversées, dans le cas présent par le clivage réel ou présupposé et revisité entre des
cultures asiatiques et européennes.
Rada Ivekovic, philosophe, Pr à l’université de St Etienne, indianiste, a introduit dans la réflexion la
notion de normes des traduction imposées généralement par les commanditaires des traductions qui
de fait établissent un contrôle ou filtrage sur la circulation des textes. C’est encore plus vrai quant
il s’agit de voisins avec lesquels on partage des frontières communes. Ce sont d’ailleurs ces
frontières que la traduction cherche à établir pour qu’il y ait un pont et un espace commun de
compréhension interculturelle sans toutefois produire de l’indifférenciation. Un écart de
différenciation établi selon les procédés de construction nationale (création des nations serbes et
croates par exemple) se crée dans le mouvement de coconstruction de la langue et de la nation,
précise-t-elle. En général, le but de la traduction est de créer ou recréer un espace commun de
compréhension interculturelle pour faciliter le dialogue, la convivialité et éviter les conflits ou la
guerre. Il semble pour Rada Ivekovic très difficile de réduire l’écart qui se produit entre deux
langues, chacune créant son propre système de différenciation nationale et à travers lui l’unité de
chacune des langues. La langue elle-même est traduction d’une réalité qui doit renaître dans une
autre langue, portée à la faveur d’une nouvelle traduction qui doit trouver ce sens commun aux
entités séparées, sans pour autant les réduire à des schèmes simplistes comme ceux qui circulent
par exemple entre Occident et Orient.
C’est aussi de cet écart dont parle Véronique Alexandra-Journeau, musicologue, sinologue, Pr à
l’université de Paris IV(entre autres) , à propos des traductions du chinois en français et en anglais
dont la différence paraît irréductible car elle met en jeu ce qui différencie les langues et les cultures
et qui fait système. Chaque langue utilise différents procédés pour communiquer du sens et
construire le sens de sa culture à travers sa langue. Elle évoque l’exemple de la métaphore souvent
intraduisible car profondément ancrée dans chaque culture, les modes de construction
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grammaticaux (eux –aussi très spécifiques agencements du monde), la polysémie des termes qui fait
qu’une traduction est toujours une traduction intercontextuelle de savoirs normatifs.
Ces écarts qui se voient amplifiés quand l’histoire nationale est par trop différente comme entre la
Chine et la France peuvent être au contraire réduits idéologiquement quand l’ère est au
rapprochement idéologique et politique des peuples comme ce fut le cas au moment de la guerre
froide entre ceux qui ont adhéré au communisme. Intervient alors, en place de l’écart, un
rapprochement idéologique lié à un contexte qui sert de trame commune à la traduction et à la
réception des œuvres, notamment entre
Orient et Occident « rouges ». Cet l’exemple de ce
rapprochement conjoncturel que tend à nous montrer Gulnar Sarsikeyeva, Pr. de langue romane et
traductologue de l’Université d’Astana au Kazakhstan : celui d’un contexte révolutionnaire
spécifique qui fait migrer un texte confiné dans « l’ombre » de la steppe lointaine à la « lumière »
des littératures soviétiques publiées par les communistes enthousiastes de la première heure, tel
Aragon en France. Celui-ci par cette collection fait découvrir à une frange du lectorat français
(relativement préparée –le lectorat communiste) et plus largement à la presse nationale, un grand
auteur et dramaturge kazakh, Mukhtar Aouesov qui retrace la vie du peuple kazakh au travers d’un
long romain fleuve. De multiples écueils attendent ce type de traduction qui nécessitent une re
visitation complète de la part des traducteurs kazakhs contemporains de ces oeuvres généralement
traduites en français à partir de la langue relais du russe pour être admises par un lectorat
contemporain qui a d’autres attentes. Aux difficultés rencontrées pour dépasser ces schématismes
hérités de périodes politiques très spécifiques qui biaisent fortement les traductions de ces époques,
s’ajoutent celles qui naissent de l’ignorance quasi-totale, côté occidental, des spécificités de cette
littérature centrasiatique
contemporaine écrite. Celle-ci est en fait l’aboutissement d’une
fécondation séculaire d’une littérature orale qui a subi elle-même plusieurs transformations ou
mutations contextuelles encore mal étudiés pour les périodes les plus anciennes. La traduction des
oeuvres des auteurs anti coloniaux et acculturés à la culture européenne des nouveaux cadres
kazakhs du début du XXeme siècle ne peuvent en effet se comprendre qu’en resituant le contexte
spatio-temporel de l’écriture de ces œuvres et leur relative continuité avec les formes d’expression
verbales orales qui passent traditionnellement par la poésie avant de migrer vers le roman, l’essai
ou l’article de presse.
Tous ces thèmes abordés disent la complexité des pratiques traduisantes. Celles-ci sont avant tout
une pragmatique qui réalise un travail de connaissance et d’interconnaissance tout à fait
fondamental et visent à suggérer au mieux, au lecteur de l’autre langue un mode de lecture, un
mode de reliance multidimensionnelle qui est loin d’épuiser le sens d’un texte. Elles invitent au
mieux au dialogue, à la découverte de l’autre langue et de l’autre culture et de son univers toujours
polysémique. Elles dépendent à ce titre beaucoup du talent du traducteur.

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