Mineurs délinquants : le rôle de la famille
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Mineurs délinquants : le rôle de la famille
VIEDESLABOS Actualités ÉCOLOGIE SOCIOLOGIE Mineurs délinquants : le rôle de la famille Les plantes de la garrigue unies pour le meilleur C e résultat aurait enchanté Marcel Pagnol. Des chercheurs ont démontré comment la biodiversité favorise la productivité des plantes dans la garrigue chère à l'artiste provençal : plus il y a d’espèces, et plus les plantes se développent ! Cette étude 1, dirigée par Nicolas Montès, de l’Institut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie 2 de Marseille, n’est pas la première du genre, mais elle comporte deux nouveautés : une expérimentation en milieu naturel et sur des espèces ligneuses (le ciste blanc, le chêne kermès, l’ajonc de Provence et le romarin). Pour Nicolas Montès, « l’un des objectifs de ces recherches est de préciser le rôle fonctionnel de la biodiversité dans un contexte où il devient de plus en plus urgent de la protéger ». C’est sur les collines surplombant Marseille, dans la chaîne de l’Étoile, que les scientifiques ont trouvé des parcelles correspondant à leurs exi- gences expérimentales. C’est-à-dire différents terrains comportant soit les quatre espèces étudiées, soit trois d’entre elles, soit deux ou même une seule, en passant par toutes les combinaisons possibles. La productivité de la végétation – l’accroissement relatif des plantes par rapport à leur taille initiale – a donc été suivie sur soixante-quatre parcelles de 0,5 à 1 hectare durant une saison. Leur conclusion est sans appel : les emplacements où une seule espèce est présente montrent une productivité inférieure aux autres. L’équipe de Nicolas Montès explique ce résultat par le phénomène de complémentarité : « Les espèces ne prélèvent pas les mêmes ressources ou simplement pas au même endroit. Les richesses du milieu sont alors mieux exploitées. » Cette relation positive n’exclut pas les phénomènes de compétition. Mais ils deviennent insignifiants. Mesure de biomasse d’une touffe de bruyère dans la garrigue des calanques de Marseille. Toutefois, le changement climatique pourrait bien perturber cette bonne entente… Si la course pour la lumière n’existe quasiment pas en garrigue (il y en a assez pour toutes les plantes), celle pour l’eau est déjà réelle. De manière à simuler un futur réchauffement climatique, les chercheurs marseillais ont renouvelé leur protocole, mais cette fois dans une zone plus aride, près des calanques de Cassis. Et le stress hydrique change quelque peu la donne. Les phénomènes de complémentarité entre espèces ne font alors plus le poids face à la compé- tition pour l’eau, et l’écosystème devient moins productif. La conclusion rejoint les priorités environnementales actuelles : pour préserver nos écosystèmes, il faut protéger la biodiversité et limiter tant que possible le réchauffement climatique. Caroline Dangléant 1. Publication dans la revue Oïkos, vol. 117, n° 9, septembre 2008, pp. 1345-1350. 2. Institut CNRS / IRD / Université de Marseille. CONTACT ! Nicolas Montès Institut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie, Marseille [email protected] P H YS I Q U E Q UA N T I Q U E Des photons en flagrant délit E st-il possible d’immobiliser une flèche en plein vol, rien qu’en la regardant fixement ? Drôle de question. C’est pourtant, en substance, ce que viennent de réaliser à l’échelle quantique des scientifiques, avec un puits de lumière dans le rôle de la flèche. Les chercheurs du laboratoire Kastler Brossel (LKB) 1 ont en effet fabriqué un puits qui cesse de s’emplir de lumière dès qu’on regarde dedans de façon répétée. Autrement dit, ils sont parvenus à figer la lumière en l’observant 2 ! Ce qui n’est pour l’instant qu’une pure curiosité de laboratoire représente néanmoins un véritable exploit. Pour le réaliser, Michel Brune et ses collègues ont tiré profit de l’« effet Zénon ». Cet effet tient son nom d’un paradoxe de l’Antiquité : si une flèche vole vers le talon d’Achille, à un instant donné, Le journal du CNRS n° 230 mars 2009 elle est sûrement quelque part, donc à cet instant elle ne bouge pas. Mais puisqu’elle ne bouge pas, elle devrait ne plus avancer et donc ne jamais atteindre sa cible. Le philosophe grec Zénon avait inventé ce paradoxe pour montrer aux hommes la difficulté à manipuler les notions de temps et d’espace. Quel lien avec la mécanique quantique ? D’après les lois quantiques, si l’on effectue une mesure sur un système physique à l’échelle quantique, le système « gèle » momentanément dans un état donné. Imaginons qu’on puisse réaliser plusieurs mesures à des intervalles de temps ultracourts, alors le système sera emprisonné dans l’état en question, exactement comme la flèche du paradoxe était « bloquée » dans une position précise le long de sa trajectoire. Ce qui était un paradoxe dans notre monde de tous les jours est ainsi devenu un phénomène physique : l’effet Zénon. Le puits de lumière auquel les physiciens ont transposé ce principe est une cavité micro-onde, une sorte de boîte réfléchissante censée s’emplir de photons dès qu’elle baigne dans un champ micro-onde. Et effectivement, dès qu’ils ont plongé la cavité dans un tel champ, les chercheurs ont vu, via un jet d’atomes qui fait office de sonde et qui traverse le puits, la cavité se peupler, petit à petit, de photons. Rien de plus normal, donc. Mais tout a changé lorsqu’ils ont raccourci l’intervalle de temps entre deux recensements du peuplement en photons. Pour un intervalle de 0,2 seconde, le nombre de photons a cessé d’évoluer. En somme, en regardant fréquemment le puits, les chercheurs venaient de figer son état. Un, deux, trois, soleil, version physique quantique ! Si l’effet Zénon est une curiosité de laboratoire, les techniques expérimentales développées pourraient avoir des retombées en informatique quantique. Ainsi, les parois de la cavité sont si bien polies qu’un photon micro-onde qui entre dans le puits y reste piégé en moyenne 0,13 seconde ! Une « stabilité » recherchée par les spécialistes de l’informatique quantique. Xavier Müller 1. Laboratoire CNRS / Université Paris-VI / ENS Paris. 2. Résultat publié dans Physical Review Letters. CONTACT ! Michel Brune Laboratoire Kastler Brossel (LKB), Paris [email protected] C’est une étude qui contredit bien des idées reçues. Selon des sociologues, il n’y a quasiment pas de lien entre le comportement délinquant d’un mineur et la structure de sa famille. Par contre, cette dernière aurait une influence sur la sanction judiciaire. E n 2006, 57 000 mineurs ont été condamnés et, selon les statistiques, plus de la moitié d’entre eux retourneront devant le juge d’ici à cinq ans. En 2007, 32 enfants de moins de 13 ans ont été jugés pour des crimes. Et régulièrement, bon nombre d’affaires remettent le comportement délinquant de certains jeunes sur le devant de l’actualité. Pour tenter de mieux comprendre l’implication des parents dans ces phénomènes, le sociologue Sebastian Roché, en poste au laboratoire « Politiques publiques, action politique, territoires » (Pacte) 1, s’est appuyé avec son équipe de recherche sur des enquêtes réalisées en 1999, 2002 et 2005 auprès d’échantillons représentatifs de jeunes de 13 à 19 ans scolarisés ou placés dans des établissements spécialisés dans deux grandes aires urbaines françaises, Grenoble et Saint-Étienne. Et les conclusions qu’il en a tirées 2 sont parfois surprenantes. S’agissant des relations entre famille et délinquance, son analyse prend clairement à rebroussepoil l’idée toute faite selon laquelle la déstructuration de la cellule familiale « classique » (divorce, monoparentalité, famille recomposée) serait la principale responsable du comportement délictueux de certains jeunes. « Il y a bien une relation de cause à effet entre la désorganisation de l’unité familiale et la délinquance, mais il s’agit là d’un effet de “petite taille” responsable, selon nos résultats, de 1 % à 3 % du phénomène délinquant imputable à des mineurs. De même, quand on cherche un lien entre la structure familiale et le niveau socio-économique du foyer, et le comportement délinquant des jeunes, on n’obtient guère de résultats probants. Le fait d’avoir des parents ouvriers ou employés augmente un peu la délinquance pour les familles monoparentales, mais un peu seulement (bien qu’un peu plus nettement pour les délits les plus sérieux), explique Sebastian Roché. En revanche, le quartier de résidence a un effet plus marqué sur la délinquance que la catégorie socioprofessionnelle des parents. » Mais bien d’autres variables se révèlent encore plus importantes : la qualité des relations avec les autres membres de la famille, le nombre de copains délinquants côtoyés, la présence de désordres dans le voisinage, l’insertion scolaire et, surtout, la « supervision » des mineurs par les parents (le fait, pour ces derniers, de contrôler la scolarité de leurs « chers petits », leur emploi du temps, leurs fréquentations…). Tous ces facteurs, non réductibles à la seule famille et valables aussi bien pour les filles que pour les garçons, se combinent évidemment à l’envi. « De même que la prise simultanée de médicaments peut aggraver les effets indésirables de chaque molécule, une faible supervision des parents va amplifier la délinquance chez les enfants qui sont mal insérés à l’école », dit Sebastian Roché. Quid, maintenant, de l’impact de la structure familiale sur le processus pénal lui-même ? Pour disposer d’une base de données aussi large que possible, les chercheurs ont informatisé tous les dossiers judiciaires des mineurs (environ 1 600) jugés en Isère pour faits graves (vols avec armes, homicides, coups et blessures volontaires, délits sexuels…) entre 1985 et 2007. Il ressort qu’à délit grave comparable, les jeunes qui résident avec leurs deux parents sont en général moins sévèrement condamnés que ceux qui habitent seuls. Et que, si la structure familiale joue un rôle protecteur, celui-ci décroît à proportion des condamnations antérieures du mineur. Lorsque le jeune n’a pas d’antécédents judiciaires connus, et grandit dans un cadre parental « classique », cet effet modérateur est très fort. À l’opposé, la justice se montre nettement moins clémente avec les délinquants qui ont des antécédents et qui sont privés de structure familiale classique. « Il est probable que le juge pense qu’un cadre familial classique soit susceptible d’encadrer les comportements erratiques de l’adolescent et prononce alors une sanction légère, commente Sebastian Roché. Mais devant l’accumulation de délits, le juge estime qu’il n’a plus d’autre recours que de renforcer la sanction. » La délinquance des mineurs s’avérant multifactorielle, « il est souhaitable d’intégrer cette réflexion pour agir efficacement, conclut le même expert. La prévention de ce phénomène passe d’abord par une intégration scolaire réussie. Par ailleurs, il semble paradoxal que l’absence de famille classique joue “contre” les mineurs qui se retrouvent devant la justice alors qu’ils n’en sont pas responsables ». Philippe Testard-Vaillant 1. Laboratoire CNRS / IEP Grenoble / Universités Grenoble-I et II. 2. Résultats publiés dans Délinquance et socialisation familiale : une explication limitée, recherches et prévisions, CNAF, 2008, n° 93, septembre 2008. CONTACT ! Sebastian Roché Laboratoire « Politiques publiques, action politique, territoires » (Pacte), Grenoble [email protected] © J.-P. Rey/Fedephoto VIEDESLABOS © T. Gauquelin, IMEP-Univ. de Provence 10 La structure familiale ne rend pas compte, à elle seule, de la délinquance des mineurs. Bien d’autres facteurs entrent en jeu. Le journal du CNRS n° 230 mars 2009 11