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HISTOIRE ULM - LYON (épreuve n° 277)
ANNEE 2014
Epreuve conçue par ESCP Europe
Voie littéraire
De Lincoln à Truman comment s’est construit le patriotisme américain ?
Les résultats de l’épreuve d’histoire BEL sont assez proches de ceux qui avaient pu être
enregistrés les années précédentes. Sur un échantillon assez large de copies la moyenne est
de 10,2 avec un écart type de 3,2. Peu de candidats n’ont pas fait l’effort nécessaire pour
disposer des connaissances permettant de traiter le sujet qui embrassait très largement de
nombreux aspects du programme, de l’économique au culturel. Les candidats qui ont
obtenu d’excellentes notes sont ceux qui ont été capables de répondre à la question posée
avec le plus de rigueur possible. D’autres se sont lancés dans des devoirs beaucoup trop
longs sans réfléchir au contenu du sujet lui-même. Beaucoup de copies sont hors sujet en
dépit de l’accumulation de faits et de chiffres. D’autres encore sont très déséquilibrées et
accordent à une période limitée (en général la guerre de Sécession) des développements
interminables qui laissent au correcteur le soin de faire le tri entre ce qui peut se rapporter
au sujet et ce qui est de toute évidence à côté de la question posée. Les deux guerres
mondiales assez curieusement n’ont pas suscité de réflexions très pertinentes, beaucoup
de candidats étant pris par le temps pour traiter du Second conflit mondial et de la
présidence Truman. Encore une fois les introductions semblent trop longues et affectées
parfois de citations d’ouverture qui entendent « faire effet » mais qui, malheureusement,
se répètent d’une copie à l’autre. La première exigence d’une introduction est d’analyser le
sujet posé, d’en fixer les contours et les problèmes afin de tracer la route à la dissertation
elle-même. Dans l’ensemble les copies ont révélé un recul dans le souci de construire un
plan bien marqué, préoccupation très présente chez les candidats il y a quelques années.
Il était indispensable de s’interroger sur la signification du terme « patriotisme » dans
l’histoire américaine, préalable nécessaire pour fixer le contenu du sujet. Il fallait donc
faire référence aux « Patriots » de « l’American patriot party », nom que se donnèrent les
colons britanniques des treize colonies dans la « révolution américaine ». Il était important
de souligner le fait que cette révolution était d’abord une guerre d’indépendance qui
donnait tout son sens ultérieurement à la notion même de patriotisme. Au-delà, on
pouvait attendre des candidats qu’ils fassent état de la particularité des principes et des
mythes fondateurs sur lesquels s’est construit, aux Etats-Unis, le sentiment national (idéal
républicain et démocratique, référence constante à la déclaration d’indépendance et à la
constitution, importance fondamentale de la référence religieuse, de la Bible…) ce qui
distingue le sentiment national américain du cas de figure français né d’une rupture
politique et sociale avec l’Ancien Régime. On pouvait aussi remarquer les contradictions
d’un sentiment national partagé entre les tenants d’un Etat central puissant et ceux qui, au
contraire, resteront attachés à un « patriotisme » associé à l’autonomie des états fédérés.
Enfin on se devait de souligner que dans une position protégée à l’écart des grands conflits
internationaux jusqu’à la Grande Guerre, le patriotisme ne s’était pas construit autour
d’une armée qui a longtemps joué un rôle mineur dans la nation. A l’opposé, on pouvait
insister sur le fait que le patriotisme américain s’est d’abord construit sur la conquête du
territoire intérieur, la « Frontière » et l’élaboration d’une mythologie américaine associée
plus à l’effort individuel qu’à une identité collective.
Il fallait bien sûr accorder de l’importance à la guerre civile américaine qui est d’abord la
démonstration, derrière le mythe unitaire et patriotique américain, de l’existence de deux
sociétés profondément différentes, conflit qui a fini par menacer l’existence même de
l’Union. En revanche beaucoup de candidats ont traité sur plusieurs pages une histoire
évènementielle de la Guerre de Sécession, se plaçant alors hors sujet. On pouvait par
contre souligner la priorité accordée à l’Union sur tout autre considération pour les
nordistes et la redéfinition du « patriotisme » américain qui prit alors, grâce au charisme
de Lincoln, une dimension présidentielle plus affirmée et accorda au pouvoir fédéral une
représentation plus claire de la souveraineté du peuple américain.
Au-delà, s’impose la perspective d’une construction originale de la nation américaine sur
la base d’un développement économique sans équivalent des années 1880 à la grande
crise. On pouvait analyser ce mouvement qui consolide les valeurs fondatrices des EtatsUnis par la valorisation du génie technique américain et de la réussite de l’entrepreneur.
Ce dernier
qui devient un modèle de la société américaine dans un contexte de
darwinisme social, participe aussi à la consolidation d’un patriotisme sur le terrain social
(l’exemple classique des cours d’anglais aux ouvriers immigrés pour « devenir un bon
Américain »), contrepartie de la faiblesse de la protection des travailleurs. Une seule limite
alors, celle de la concentration excessive du capitalisme qui ruinerait le principe fondateur
de la liberté d’entreprendre, question prise en compte dans la politique des Progressistes
dont il fallait souligner sur ce point l’importance comme mouvement de refondation d’une
nation américaine par un retour à l’idéal jeffersonien et jacksonien entretenu dans les
classes moyennes urbaines et rurales. Peu de candidats ont pensé à souligner l’importance,
dans la construction d’un patriotisme à dimension économique, des expositions
universelles (Chicago, Philadelphie…) et de toute la mise en valeur internationale de la
modernité américaine.
En contrepoint de ce nouveau souffle « patriotique » et de l’idéologie du « melting pot »
qui l’accompagnait, il fallait insister sur les contradictions et les failles d’un patriotisme né
chez les Américains de vieille souche. Le rejet des immigrants qui ne sont pas protestants,
ne parlent pas anglais, vivent dans leurs quartiers, ne font pas référence aux institutions,
« nuisent à l’esprit national » et dénaturent la culture américaine. De là, la panoplie des
lois contre l’immigration des années 1880 aux années 1920. Un nombre important de
candidats ont à juste titre insisté sur l’échec d’une intégration des noirs après la guerre
civile et l’installation dans le Sud d’une ségrégation raciale accompagnée d’un
nationalisme exclusif des blancs.
La guerre contre une Espagne catholique a contribué par des campagnes inédites de la
presse à faire apparaître un nouveau nationalisme « libérateur ». Mais beaucoup de
candidats se sont trompés en assimilant cet « impérialisme » américain à celui des années
1960. La Grande Guerre constitue par contre un véritable tournant dont la complexité n’a
pas toujours été mise en valeur dans les copies. Il était nécessaire d’expliquer la
permanence d’un patriotisme très particulier générateur en fait d’un sentiment
isolationniste. Les EU ne sont pas une nation comme les autres, ils repoussent le
machiavélisme des vieilles nations, l’âpreté aux gains, l’esprit de conquête des puissances
européennes, autant d’idées qui tiennent longtemps les EU à l’écart de toute flambée
patriotique et expliquent le peu d’engagements de volontaires dans le conflit. Mais on
pouvait insister sur l’émergence d’un autre patriotisme que Wilson a très bien utilisé, celui
d’une nation agressée, patriotisme qui a pu se transformer au fil des campagnes des
journaux en croisade contre les pacifistes pour réaffirmer l’esprit américain. Peu de copies
ont souligné les progrès d’un
« revival » religieux dans l’Amérique en guerre
(l’évangéliste Billy Sunday) et le fait que le conflit, par ce réveil puritain, a pu alimenter le
rejet de l’étranger dans la « red scare » des années 1920. Le New Deal a été trop souvent
tenu à l’écart des explications. Il joue pourtant un rôle important dans une redéfinition du
patriotisme américain associé à un relèvement national face à la crise (campagnes sur les
produits, valorisation des grands projets…) mais aussi dans la redéfinition de l’identité
nationale sur une base sociale plus juste qui n’est plus fondée seulement sur
l’entrepreneur mais sur l’engagement collectif du peuple américain.
L’entrée dans la guerre en 1941 a dans l’ensemble été assez bien expliquée mais par contre
les transformations de la société américaine en guerre n’ont été qu’esquissées. Désormais
une responsabilité internationale nouvelle pour la nation américaine associe le sentiment
national à la conviction d’une supériorité morale. Elle est liée au fait que les EU ont le
sentiment d’être devenus à l’échelle du monde, les champions du droit, de la justice, de la
démocratie. Des copies ont évoqué le rôle du cinéma patriotique classique. Il aurait aussi
été utile de montrer les effets du cinéma antifasciste, puis prosoviétique (Mission to
Moscow) qui a contribué à modifier momentanément le contenu politique du sentiment
national. Les bonnes copies ont fait le point ensuite sur la période Truman et le
raidissement anticommuniste de l’entrée dans la Guerre froide. Peu de copies ont pensé à
mettre en valeur les lieux de mémoires américains qui ont joué un grand rôle dans la
construction du sentiment national : Boston et le Freedom Trail, Philadelphie foyer de
l’idée républicaine, l’Independance Hall, le Federal National Hall Memorial de New York,
le Capitole et les peintures patriotiques de John Trumbull, le culte des champs de bataille,
Saratoga, Yorktown, le cimetière national d’Arlington… mais aussi l’histoire de l’hymne
national Star Spangled Banner (écrit en 1814) en usage officiel dans l’armée depuis 1889, à
la Maison Blanche en 1916 et hymne officiel en mars 1931.