M. Jacques Pilet, journaliste, fondateur de L`Hebdo - La Tour-de

Transcription

M. Jacques Pilet, journaliste, fondateur de L`Hebdo - La Tour-de
Discours du 1er Août 2006, La Tour-de-Peilz
Monsieur le Président du Conseil communal,
Madame le Syndic,
Mesdames et Messieurs représentants des autorités,
chers Boelands,
chers visiteurs de ce lieu,
bonjour et merci de votre accueil.
Le sujet à la mode, ces jours, c’est le «renouveau patriotique» que connaîtrait la Suisse. Mais permettez à un
journaliste de dire sa méfiance devant les formules médiatiques. Je ne suis pas sûr que l’amour du pays se mesure au
nombre de drapeaux collés à nos balcons et de jeunes gens vêtus de t-shirts à croix blanche sur fond rouge. Je ne
suis pas sûr qu’il faille à tout prix des victoires au foot pour faire vibrer cet amour. Bien sûr la fête du sport fait plaisir.
Mais, bien heureusement, le patriotisme va bien au-delà de ces moments de fièvre. C’est un beau sentiment à ne pas
confondre avec le nationalisme cocardier.
Agiter des petits drapeaux est un peu court. Le patriotisme trouve aussi des expressions tranquilles et profondes. On
le perçoit si bien dans cet endroit merveilleux, si paisible, comme béni des dieux !
Mon métier m’amène à beaucoup voyager. Comme beaucoup d’entre vous sans doute, à chaque retour sur ces rives,
j’éprouve le bonheur d’une sorte de retrouvailles intimes. Oui, le mot racines a un sens. Et il me plaît de le rappeler
dans cette commune où je suis né.
Et puis le patriotisme, c’est aussi l’attachement à une communauté où à la fois on respecte l’individu dans toutes ses
libertés et où l’on tente aussi d’œuvrer ensemble, de cultiver la solidarité. L’équilibre qu’a trouvé la Suisse entre ces
aspirations parfois contradictoires est pas mal réussi, disons-le.
Faut-il parler de fierté ? Pourquoi pas ? Mais peut-être faut-il se méfier de ce mot, de ce sentiment un peu court et
ambigu. Nous sommes allergiques aux cocoricos excessifs de nos voisins. Alors ne tombons pas à notre tour dans ce
piège.
J’aime mieux le mot confiance. Nous avons des raisons d’avoir confiance en nous. Qui dit confiance dit aussi force
intérieure. Il y a, au plus profond de ce pays, une grande force qui nous aide à rester sereins.
Mais alors la question se pose: que faire de cette force ?
Certains la voient comme un moyen de camper dans notre coin, de nous barricader face au tumulte, de célébrer le «y
en a point comme nous» en baissant le rideau de la fenêtre.
Cette Suisse-là existe: ouverte au monde pour les bonnes affaires, mais sourde à ses clameurs. Nous avons pour
justifier cette attitude un si bel alibi: la neutralité ! Ni pour ni contre bien au contraire... On connaît çà dans ce bon
canton de Vaud. Et pour donner une noble allure à cette position de retrait, on se raconte que nous serons utiles à
l’humanité à travers les «bons offices». Argument un brin naïf, non ?
Si le patriotisme va au-delà des flons-flons et des vantardises, s’il est un attachement à nos convictions
démocratiques, alors il faut en faire autre chose. Nous avons, nous aussi, droit à la parole.
Aujourd’hui, nous avons le droit de dire, par exemple, que la guerre entre Israël et le Liban est non seulement
choquante mais elle est une aberration: cette violence favorise le lit des extrémistes. Ce qui désastreux à la fois pour
Israël, pour tout le Moyen-Orient et pour nous, Européens, qui vivons si près du champ de bataille. Le sort d’Israël
nous concerne tous, mais aussi celui du Liban, ce pays multiculturel, si proche en cela du nôtre, qui s’était enfin
réconcilié avec lui-même au lendemain d’une guerre civile atroce et qui aujourd’hui se trouve une nouvelle fois ruiné.
Nous, Suisses, avons le droit et le devoir de réaffirmer qu’avant de bombarder, il faut dialoguer, négocier, négocier
sans cesse. Se parler à tout prix, même si c’est difficile, avant de s’entre-tuer ! Que l’appel soit entendu ou pas, peu
importe, c’est une façon de nous respecter nous-mêmes que de faire entendre notre voix. Non pas celle de
l’angélisme, mais celle de la raison.
Dans les prochains mois, nous aurons d’autres occasions de dire quel sens nous voulons donner à notre patriotisme.
Nous devrons dire oui ou non au milliard de la solidarité avec les pays d’Europe centrale et de l’est. Je suis souvent là-
bas et je peux vous dire que les regards sont braqués sur nous. La question que j’entends est celle-ci: sommes-nous
pour vous seulement des partenaires de business, demandent mes amis hongrois, polonais ou tchèques, ou des amis
auxquels vous apportez un coup de pouce dans l’immense tâche de reconstruction entreprise après le cauchemar
communiste ?
Si nous disons oui à cette solidarité, alors là, oui, nous pourrons être fiers de nous.
Et puis il y a cette autre échéance que l’on ne peut pas passer sous silence en un tel jour. Le référendum à propos
des lois sur les étrangers et les requérants d’asile. Là aussi, pas question de tomber dans l’angélisme. Nous sommes
tous excédés par les agissements de certains profiteurs et criminels étrangers. Mais faut-il vraiment, pour combattre
ces abus, violer les principes internationaux sur l’accueil des réfugiés ? N’y a-t-il pas de quoi être troublé quand les
Eglises protestantes, l’Eglise catholique et les communautés israélites, unanimes, condamnent les nouvelles
dispositions? Etrange tout de même que tant de personnes attachées, disent-elles, aux valeurs chrétiennes de notre
culture, se détournent des porteurs de la foi quand on entre dans le concret... Bien heureusement de grands esprits
libéraux vaudois, aussi peu suspects de mollesse patriotique que Suzette Sandoz ou Claude Ruey, s’engagent contre
la dérive administrative du pouvoir bernois.
Rejeter des milliers de requérants déboutés dans la clandestinité, fermer la porte aux persécutés qui n’ont pas de
papiers propres en ordre, ce n’est pas de la fermeté, c’est de la facilité. Punir de prison des citoyens, souvent des
chrétiens engagés, parce qu’ils hébergent des personnes en plein désarroi est une idée intolérable, contraire à toutes
les traditions de ce pays.
Se sentir forts, c’est aussi avoir le courage de refuser des lois mal fichues même si elles vont dans le sens souhaité.
Elle est là, la dignité, la maturité de notre démocratie.
Se sentir forts, c’est enfin préférer la lucidité à la mythologie.
Osons dire par exemple que l’équilibre entre Alémaniques d’un côté, Romands et Tessinois de l’autre n’est pas aussi
idyllique que le proclament les discours auto-satisfaits. Ceux qui fréquentent les deux rives de la Sarine savent bien
que le poids de notre culture ne cesse de diminuer au cœur des pouvoirs politiques et économiques. C’est un fait. Que
nous devons nous tenter de corriger dans le meilleur esprit.
Et pis, bien sûr, gardons les yeux grand ouverts sur le monde. Le regarder en face, c’est voir ses dangers... et ses
chances aussi. Ainsi la construction européenne, aussi hésitante et imparfaite soit-elle, est un cadeau historique pour
la Suisse. Parce qu’elle conforte la paix, parce qu’elle bâtit un espace de liberté et, malgré les jérémiades de certains
pays qui tardent à se réformer, un espace de bien-être.
Il faudra bien qu’un jour nous nous décidions à participer à ce chantier. En décidant avec les autres. En cessant de
jouer les suiveurs, les bricoleurs d’accords à rallonges. En quittant notre modeste rôle de pays satellite. C’est une
question de dignité. Nous ne pouvons pas rester éternellement les spectateurs de l’histoire européenne: tôt ou tard
nous en deviendrons aussi les acteurs. Pour le bien de notre espace de vie qui dépasse largement le Léman et le
Rhin.
Il y a dans la douceur de ce paysage, dans l’agrément de la vie quotidienne, dans les chiffres réconfortants de la
croissance générale, il y a un danger: celle de la somnolence douce, du nombrilisme pépère. Il est si facile de se
laisser bercer par le contentement de soi. Or la planète est agitée de soubresauts, de retournements, de surprises qui
nous touchent par vagues par toujours visibles. De nouvelles puissances émergent. Les concurrents se multiplient.
Avec encore une fois un lot d’opportunités et de dangers.
C’est dire que le patriotisme, au sens de la défense des intérêts du pays, exige que nous gardions l’esprit vif. De nous
remettre en question, de changer certaines de nos habitudes, parfois un peu plus vite que nous ne le souhaiterions !
Il y a tant de défis devant nous. Simplement conserver ce qui existe n’est pas une perspective d’avenir. La Suisse doit
moderniser ses institutions, revoir son fédéralisme, réviser ses trop lourdes administrations, élaguer la jungle de ses
réglementations, secouer son économie domestique qui maintient dans tant de secteurs des prix trop élevés... Et on
pourrait allonger la liste des sujets sensibles.
Beaucoup de Suisses vivent dans la peur. Peur d’ailleurs excessivement entretenue par les médias, je dois le dire.
Peur des oiseaux grippés, peur des chiens méchants, peur de ceci, peur de cela. Peur du monde, peur des étrangers,
entretenue par un courant politique qui en fait son fonds de commerce. Or la peur n’aide pas à nous adapter. Elle
nous ratatine. Elle nous crispe. Elle nous rend grincheux.
Pour changer, il faut en avoir envie. Pour la stimuler, cette envie, permettez cette suggestion toute simple: allons voir
ce que font les autres. Voyageons ! Pas seulement pour la bronzette. De l’Europe de l’est en pleine renaissance à
l’Asie bouillonnante, il y a tant d’horizons qui dispensent de l’énergie au visiteur curieux. Ce qui frappe là-bas, c’est
que tous, malgré ou à cause de leurs dures conditions de vie, sont persuadés que leurs enfants vivront mieux demain
qu’aujourd’hui. L’avenir leur apparaît comme une promesse. Ici, nous n’avons plus cette conviction. Et pourtant, nous
avons les moyens de la retrouver. Oui, demain nous pourrons faire mieux encore, oui, nous pourrons vivre mieux... et
pas seulement au sens matériel.
Confiance en soi, ouverture, réformes... Voilà trois mots qu’un journaliste-voyageur, de passage dans ce coin de pays
bien aimé, a envie de soumettre à votre réflexion patriotique. Avec une dernière note encore: menons-la, cette
réflexion, sans trop nous prendre au sérieux, avec un brin de recul et d’humour ici et là. La légèreté aide aussi à vivre.
Que la journée vous soit douce.
Jacques Pilet

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