7.5. L`incapacité de travail peut-elle constituer un cas

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7.5. L`incapacité de travail peut-elle constituer un cas
7.5. L’incapacité de travail peut-elle constituer un cas de force
majeure?
Introduction
L’incapacité de travail doit, dans la relation entre employeur et travailleur, être entendue
comme l'impossibilité d'effectuer le travail convenu au moment où l'incapacité surgit (Cass., 5
janvier 1981, J.TT., 1981, p. 184; Cass., 15 février 1982, Pas., 1982, l, p. 745; Cass., 2
octobre 2000, J.TT, 2000, p. 456).
Quelle que soit sa durée, l'incapacité n'a en principe qu'un effet suspensif. La Cour de
cassation a cependant estimé que l'incapacité définitive de travail pouvait être constitutive
d'un cas de force majeure au sens de l'article 32, 5° de la loi du 3 juillet 1978.
Le législateur a, ces dernières années, pris différentes dispositions afin de protéger les
travailleurs considérés comme incapables. Des obligations de reclassement ou d'adaptation de
poste ont ainsi été mises à charge de l'employeur par:
- l'arrêté royal du 28 mai 2003,
- la loi du 10 mai 2007 interdisant toute discrimination fondée notamment sur l'état de santé,
- l'article 34 de la loi du 3 juillet 1978 inséré par la loi du 27 avril 2007, dont l'entrée en
vigueur est cependant conditionnée par la prise d'un arrêté royal.
Incapacité temporaire de travail
L’incapacité temporaire de travail est l'incapacité pour le travailleur de fournir temporairement
les prestations pour lesquelles il a été engagé.
Le travailleur temporairement incapable d'exercer ses fonctions doit en aviser au plus vite son
employeur. Il est en outre conseillé aux employeurs de prévoir dans le règlement de travail
l'obligation de remise d'un certificat médical dans un délai, par exemple, de 24 heures.
Confronté à une incapacité temporaire:
- L’employeur peut faire contrôler la réalité de celle-ci, à ses frais, par un médecin-contrôleur
(Loi du 13 juin 1999), même en dehors de la période couverte par le salaire garanti.
- Il n'a aucune obligation d'adapter les fonctions ou le temps de travail du travailleur. Ainsi, si
le médecin conseil de la mutuelle autorise une reprise partielle, l'employeur a le choix
d'accepter ou de refuser cette reprise partielle. En cas d'adaptation (modification de
fonction/modification du régime de travail, etc.), il est recommandé aux parties de reprendre
dans un avenant conclu pour une durée limitée, les conditions temporaires d'exécution du
contrat.
- L'employeur doit dénoncer au médecin du travail toute incapacité de plus de quatre
semaines.
- Un examen de reprise doit en outre être organisé pour les travailleurs occupant un poste à
risque (poste de sécurité, poste de vigilance, activité à risque défini, activité liée aux denrées
alimentaires).
Le travailleur en incapacité temporaire bénéficiera dans un premier temps du salaire garanti
et, ensuite, pour autant que son incapacité soit reconnue dans le cadre de l'article 100 des lois
coordonnées du 14 juillet 1994, de l'intervention de la mutuelle.
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Pour bénéficier des indemnités maladies invalidité, il faut:
- que le travailleur ait cessé toute activité;
- que cette cessation soit la conséquence directe du début ou de l'aggravation de lésions ou de
troubles fonctionnels;
- que ces lésions ou troubles entraînent une réduction de sa capacité de gain, de minimum
66% au regard:
- des 6 premiers mois de l'activité professionnelle qu'il exerçait avant son incapacité;
- ensuite, de toute profession qu'il est susceptible d'exercer du fait de sa formation
professionnelle.
Lorsque l'incapacité temporaire de travail est établie par un médecin traitant, sans qu'elle
n'atteigne une perte de capacité de gain de 66 % au moins, le travailleur ne peut prétendre
aux allocations AMI. Dans cette hypothèse:
- soit, l'employeur accepte la reprise du travail moyennant adaptation de ses fonctions et
éventuellement de sa rémunération. Il n'y est cependant pas tenu, dès lors qu'aucune
obligation de reclassement n'a été mise à charge de l'employeur en cas d'incapacité
temporaire (C. trav. Liège, 26 mars 2012, RG 2011/AR/294 qui confirme qu'aucune
obligation de reclassement n'existe en cas d'incapacité temporaire);
- soit, l'employeur refuse la reprise et doit dans ce cas délivrer au travailleur concerné les
formulaires ad hoc (www.onem.be) pour permettre au travailleur de bénéficier des allocations
de chômage temporaire pour cause de force majeure.
Incapacité définitive de travail – Etat de la législation
Comme précisé ci-avant, l'incapacité est en principe une cause de suspension et non de
rupture du contrat de travail.
L'article 32, 5° de la loi du 3 juillet 1978 prévoit cependant que le contrat de travail peut
également prendre fin pour cause de force majeure, laquelle s'apprécie au regard du travail
convenu au moment où surgit l'obstacle.
Conformément à la position de la Cour de cassation, une incapacité de travail permanente, par
laquelle le travailleur se trouve définitivement dans l'impossibilité de reprendre partiellement
ou totalement le travail convenu, constitue une situation de force majeure mettant fin au
contrat de travail (v. nombreux arrêts de la Cour de cassation et not.: Cass., 5 janvier 1981,
Pas., I, p. 474; Cass., 2 octobre 2000, Pas., I, n° 504).
L'arrêté royal du 28 mai 2003 a introduit à charge de l'employeur, dans certaines
circonstances, une obligation de reclassement.
A notre estime, cet arrêté royal n'a cependant pas modifié la notion même de force majeure,
de sorte que l'employeur qui est confronté à une incapacité définitive de travail peut:
- constater la force majeure, sans devoir en conséquence payer d'indemnité de rupture;
- être condamné au paiement de dommages et intérêts s'il n'a pas respecté la possibilité
d'aménager les conditions de travail du travailleur définitivement incapable d'exercer ses
fonctions.
De même, si le travailleur peut, sur pied de la loi du 10 mai 2007 visant à lutter contre la
discrimination notamment fondée sur l'état de santé, solliciter des mesures d'aménagement de
travail, encore faut il que pareille demande soit formulée. Si pareille demande est formulée
mais qu'aucune suite n'y est réservée, la question de la responsabilité de l'employeur se
posera en termes de dommages et intérêts et non en termes de régularité de la rupture
opérée.
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L'article 34 de la loi du 3 juillet 1978 a pour sa part modifié la notion même de force majeure,
prévoyant que la rupture pour force majeure ne pourra plus être constatée:
- S'il existe une possibilité de reclassement pour le travailleur concerné via l'adaptation de son
travail ou l'octroi de nouvelles fonctions. L'employeur aura selon cette disposition l'obligation
de maintenir le travailleur déclaré définitivement inapte au travail, conformément aux
recommandations émises par le médecin du travail.
- Lorsqu'une adaptation des conditions de travail est techniquement ou objectivement
impossible, ou lorsque cela ne peut être raisonnablement exigé, l'employeur devra obtenir
avant toute rupture une attestation de l'incapacité définitive par le médecin-inspecteur social
compétent de la Direction générale Contrôle bien-être au travail du SPF Emploi, travail et
concertation sociale.
Cette disposition insérée par la loi du 27 avril 2007 a fait l'objet de nombreuses critiques,
notamment par les représentants patronaux du Conseil national de prévention et protection au
travail. En toute hypothèse, un arrêté royal d'exécution était nécessaire pour que cette
disposition entre en vigueur. Faute d'arrêté royal en ce sens, la disposition n'est toujours pas
en vigueur à ce jour et compte tenu des positions développées de part et d'autre, risque de ne
jamais entrer en vigueur en l'état.
Preuve de l'incapacité définitive
Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, la preuve de l'incapacité définitive
peut être établie par toute voie de droit. Il n'est donc pas indispensable, théoriquement, de
disposer d'une attestation du médecin du travail, la simple constatation du médecin traitant du
caractère définitif et permanent de l'incapacité pouvant suffire à établir l'existence d'une
incapacité définitive (Cass., 2/2/2009, C.D.8., 2010, p. 55, qui estime que les juridictions de
fond apprécient souverainement la preuve de l'incapacité définitive. Dans le même sens: C.
trav. Bruxelles, 23 avril 2012, J.T.T, 2023, p. 282).
Cependant, dans la mesure où une décision médicale peut toujours être remise en cause par
toute partie y ayant un intérêt (travailleur, employeur, ONEm, etc.) , il est vivement conseillé
à celui qui souhaite constater la force majeure de disposer d'au minimum deux attestations,
dont une établie régulièrement par le médecin du travail.
Décision du médecin du travail et procédure
La validité des constatations du médecin du travail suppose le respect de deux conditions:
- L'évaluation doit être faite durant une période autorisée:
- soit, durant les horaires de travail, hors période de suspension du contrat de travail ou de
dispense de travail, lors d'un examen régulièrement organisé à pour le personnel soumis à
l'obligation de surveillance: évaluation de santé, examen de reprise, surveillance prolongée/à
pour le personnel non soumis à l'obligation de surveillance: à la demande du travailleur) ;
- soit, à tout moment, et donc même en cas de suspension du contrat de travail, lorsque
l'incapacité définitive est constatée par le médecin traitant et que le travailleur introduit par
lettre recommandée une demande pour bénéficier d'une mesure d'accompagnement. Dans la
mesure où le législateur n'a prévu aucun délai pour l'introduction de cette demande, il est
vivement conseillé à l'employeur qui reçoit un certificat d'incapacité définitive d'informer par
écrit le travailleur de la possibilité de solliciter son reclassement et de fixer le délai endéans
lequel pareille demande doit être formulée, à défaut de quoi il sera considéré comme ne
souhaitant pas être reclassé.
Le non-respect de cette condition entache la décision du médecin du travail de nullité absolue.
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- Le médecin du travail doit avoir respecté la procédure prévue par l'arrêté royal du 28 mai
2003, soit:
-
procéder aux examens complémentaires appropriés,
s'enquérir de la situation sociale du travail,
renouveler l'analyse des risques,
examiner sur place les mesures et les aménagements susceptibles de maintenir à son poste
ou à son activité le travailleur compte tenu de cette possibilité,
- inviter l'employeur et le travailleur, éventuellement assisté, à une concertation pour
examiner les possibilités d'aménagement,
- informer ensuite le travailleur des possibilités de recours qui s'offrent à lui.
Si la procédure n'a pas été respectée, la décision du médecin du travail est annulable. Le
travailleur pourra la remettre en cause et contester dans l'année suivant la fin des relations
contractuelles, le bien-fondé de la rupture pour force majeure et ce, même si aucun recours
n'a été introduit contre la décision du médecin du travail dans le délai de 7 jours (C. trav.
Bruxelles, 21 septembre 2011, RG 2010/AB/00525).
Au terme de l'examen médical, le médecin du travail pourra compléter le formulaire
d'évaluation de santé, en constatant soit que le travailleur est apte au travail, soit que le
travailleur est temporairement inapte au travail, soit qu'il convient de procéder à une mutation
définitive du travailleur ou encore que le travailleur est définitivement inapte au travail. Le
formulaire d'évaluation ne prévoit par contre pas l'hypothèse d'un travailleur définitivement
inapte à ses fonctions, avec toutefois des recommandations pour l'aménagement des
conditions de travail.
La décision du médecin du travail n'est définitive que pour autant qu'aucun recours n'ait été
introduit dans un délai de sept jours ouvrables. La décision deviendra donc définitive soit au
terme des sept jours ouvrables suivant la date d'envoi ou de remise au travailleur du
formulaire d'évaluation de santé si aucun recours n'est introduit, soit au terme de la décision
définitive qui sera prise suite au recours diligenté.
Durant la période de recours, la décision n'est pas définitive. Si le travailleur n'est pas occupé
à un poste à risque, l'employeur doit donc continuer à lui fournir des prestations de travail
telles qu'elles étaient initialement convenues. Le travailleur pourra cependant produire un
certificat médical attestant de son incapacité. Si celle-ci n'est pas d'au moins 66% le travailleur
pourra prétendre au chômage force majeure.
Incapacité définitive et reclassement
Lorsque la décision définitive conclut à une mutation définitive ou que le médecin du travail
conclut
à
une
inaptitude
définitive
tout
en
remplissant
la
case
«recommandations/aménagement des conditions de travail», l'employeur est tenu à une
obligation de reclassement. Il ne pourra y échapper que s'il peut établir:
- Soit qu'il ne peut être raisonnablement exigé des aménagements, pour des motifs dûment
justifiés.
- Soit que les aménagements sollicités ne sont techniquement ou objectivement pas possibles.
Par contre, si le médecin du travail constate l'inaptitude définitive sans formuler la moindre
recommandation, la question de savoir si l'employeur est tenu à une obligation de
reclassement fait l'objet de nombreuses discussions:
- Selon certains, il existerait une obligation générale de reclassement à charge de l'employeur,
et ce nonobstant l'absence d'entrée en vigueur de l'article 34 de la loi du 3 juillet 1978.
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- Selon d'autres - que nous rejoignons, l'arrêté royal du 28 mai 2003 n'a pas pu modifier la
notion de force majeure, laquelle peut être constatée dès qu'il existe une incapacité définitive
d'exercer la fonction convenue et n'est soumise à aucune condition ou procédure préalable
(En ce sens not : C. trav. Bruxelles, 23 avril 2012, J.T.T., 2012, p.282).
Aucune obligation ne nous semble être mise à charge de l'employeur en matière de
reclassement lorsque le médecin du travail n'a pas formulé de recommandation. Le travailleur
pourrait par contre se prévaloir de la loi du 10 mai 2007 pour solliciter une demande
d'aménagement raisonnable. Si aucun aménagement n'est envisagé, sans que l'employeur ne
puisse en justifier, le travailleur pourrait solliciter l'octroi de dommages et intérêts sur base de
la loi du 10 mai 2007, sans pour autant que la rupture en elle-même ne doive être considérée
comme irrégulière.
Conclusion
Vu les incertitudes légales et les développements jurisprudentiels récents, nous ne pouvons
qu'inciter les employeurs qui souhaitent constater la rupture pour cause de force majeure à la
plus grande prudence.
Les recommandations suivantes devront être strictement suivies:
1) L'employeur ne peut se contenter d'un certificat médical du médecin traitant. S'il reçoit
pareil certificat, il invitera le travailleur à formuler une demande de reclassement indiquant
qu'avant défaut de l'avoir fait dans un délai de x jours (par exemple 15 jours), le travailleur
sera censé renoncé à ce reclassement.
2) Il veillera à disposer de toute manière d'une attestation du médecin du travail,
régulièrement rédigée. Ainsi, l'employeur devra :
- S'assurer que la vérification faite par le médecin du travail l'a bien été dans l'une des
circonstances dans lesquelles pareille constatation peut être faite. Pour rappel, lors de la
suspension du contrat de travail, et notamment en cas de maladie, le médecin du travail ne
peut constater l'incapacité définitive, sauf si ces constatations se font dans le cadre d'une
demande de reclassement du travailleur.
- Vérifier en outre que la procédure prévue par l'arrêté royal du 28 mai 2003 a bien été
respectée par le médecin du travail: y a-t-il bien eu concertation? Le médecin du travail a-t-il
bien tenu compte de la situation sociale du travailleur? ...
- Vérifier la cohérence de la décision: le médecin du travail qui fait état d'une incapacité
définitive n'a-t-il pas également émis des recommandations pour le reclassement? La décision
a-t-elle bien été communiquée au travailleur?
- Veiller à disposer d'une décision définitive, ce qui signifie qu'il ne peut constater la rupture
pour force majeure avant l'expiration du délai de sept jours ouvrables prévu pour d'éventuels
recours.
A noter que la responsabilité du médecin du travail pourrait dans certaines hypothèses être
recherchée et donner lieu à des dommages et intérêts.
3) Eu égard à la jurisprudence des cours du travail de Liège et Bruxelles notamment, il y a lieu
de considérer, bien que cela soit discutable, qu'une obligation de reclassement pourrait être
mise à charge de l'employeur, même si le médecin du travail conclut à une incapacité
définitive sans émettre de recommandation pour un aménagement des conditions de travail.
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En conséquence, l'employeur veillera à se réserver la preuve raisonnable de ce que soit, aucun
aménagement des conditions de travail n'était possible; soit, il a émis des propositions de
reclassement (même à conditions financières moindres - C. trav. Mons 21 décembre 2011, RG
2010/32), lesquelles n'ont pas été acceptées par le travailleur.
Si le travailleur refuse en toute hypothèse l'aménagement de ses conditions de travail,
l'employeur veillera à s'en réserver la preuve.
La constatation de la rupture pour force majeure se fera, de préférence, dans un écrit signé
par les deux parties, dans lequel il sera du reste constaté que le travailleur soit est assisté d'un
permanent syndical ou d'une personne de son choix, soit a eu la possibilité d'y avoir recours.
Gaëlle JACQUEMART & Michel STRONGYLOS
Elegis, Hannequart & Rasir
PACIOLI N° 351 – 12 – 25 novembre 2012
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