Allocution - Diane Lavallée au IIe congrès mondial des infirmières et

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Allocution - Diane Lavallée au IIe congrès mondial des infirmières et
DISCOURS DE DIANE LAVALLÉE PRÉSIDENTE DU CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME PRONONCÉ LORS DU IIe CONGRÈS MONDIAL DES INFIRMIÈRES ET DES INFIRMIERS FRANCOPHONES ORGANISÉ PAR LE SECRÉTARIAT INTERNATIONAL DES INFIRMIÈRES ET DES INFIRMIERS DE L’ESPACE FRANCOPHONE 25 au 28 mai 2003 à Montpellier (France) Discours de Mme Diane Lavallée prononcé lors du IIe congrès mondial des
infirmières et des infirmiers francophones organisé par le Secrétariat
international des infirmières et des infirmiers de l'espace francophone à
Montpellier
Discours de Mme Diane Lavallée prononcé lors du IIe congrès mondial des infirmières et des
infirmiers francophones organisé par le Secrétariat international des infirmières et des infirmiers
de l'espace francophone à Montpellier
Date de publication : 2003-05-01
Auteur : Conseil du statut de la femme
Mesdames,
Messieurs,
C’est avec énormément d’enthousiasme que j’ai accepté de m’adresser aux infirmières et
infirmiers de la Francophonie dans le cadre de leur IIe Colloque international. Je remercie le
Secrétariat international des infirmières et des infirmiers de l’espace francophone de m’avoir
invitée, pour l’occasion, à échanger avec vous sur mon parcours de femme engagée. Je vous
raconterai donc mon cheminement de carrière, j’illustrerai par le fait même comment il faut
prendre la parole pour tenter d’influencer tant l’avenir d’une profession que le devenir d’une
société. Lorsque nous avons le privilège d’être soignant, nous avons le devoir, non seulement
d’être préoccupé de la santé des individus, mais aussi de la santé de notre société.
D’ailleurs, c’est un honneur d’être la première conférencière à cette plénière et c’est un plaisir
très égoïste de renouer avec cette profession qui fut mon premier choix de carrière.
Bien qu’aujourd’hui j’exerce des fonctions officielles de conseil auprès du gouvernement du
Québec pour l’amélioration des conditions de vie des femmes de tout âge et de tout horizon, je
fais partie des féministes d’État, celles qui cherchent l’égalité femmes/hommes, la justice sociale
et favorisent la démocratie. Je demeure toujours aussi satisfaite d’avoir choisi la profession
d’infirmière, il y a plus de 25 ans déjà.
Ce choix m’a conduite vers une profession des plus enrichissantes sur le plan personnel et m’a
permis de me réaliser comme professionnelle de la santé. Je suis toujours aussi convaincue du
rôle primordial et essentiel que jouent les infirmières dans les milieux de la santé. Sans elles, on
ne parlerait pas autant de l’importance de l’humanisation des soins. En Europe, en Amérique et
comme partout dans le monde, les infirmières réclament, à juste titre, plus d’autonomie et une
plus grande reconnaissance de la valeur de leur travail.
N’est-ce pas la rançon d’une profession qui a obtenu ses lettres de noblesse, une profession
majoritairement composée de femmes qui s’est affranchie du pouvoir des médecins? Je vous
rappelle le serment que prêtaient les infirmières au Québec dans la première moitié du XXe
siècle :
« Je promets de toujours tenir à la pratique de ma foi catholique, source des vertus
de ma vocation. De donner au médecin l’aide, l’obéissance et le respect auxquels
il a droit. D’être toujours au poste où le service de Dieu, de mon pays, ou la
souffrance humaine m’appelleront. »
Les temps ont changé, la vocation a laissé place à la profession.
Avant de vous parler de mon parcours, permettez-moi de saluer la persévérance et le courage de
ces femmes et de ces hommes, toujours en marche vers un renouveau et constamment en mode
« innovation » pour s’adapter aux nouvelles réalités de leur milieu de travail.
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Je pense à l’explosion des nouvelles technologies médicales et de communication, aux nouveaux
modes d’organisation du travail, aux récentes découvertes scientifiques, aux complexités des
approches biomédicales, aux amendements aux lois professionnelles, aux approches
multidisciplinaires, à la spécialisation de la pratique, sans parler d’ultra-spécialisation dans
certains domaines. Ces transformations apportent, sans contredit, de nombreux défis à la
profession surtout dans un contexte de coupures budgétaires, de privatisation de certains services
et de pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans nos sociétés occidentales.
Mais imaginons le défi de celles qui notamment travaillent dans des dispensaires en Afrique,
près du Cercle polaire, dans des conditions encore plus difficiles, sans médicaments et matériel
adéquat en quantité et en qualité, dans des conditions d’hygiène déplorables – souvent les seules
ressources en matière de santé pour un grand territoire. Ces infirmières sont là pour nous rappeler
que plus de 500 000 femmes meurent en couches, chaque année, dans les pays pauvres faute
d’infrastructures minimales de services de santé, mais aussi à cause de mutilations génitales dont
sont victimes encore trop de femmes.
Elles jouent le rôle de femmes orchestres à la fois infirmières, médecins, pharmaciennes, sagesfemmes, psychologues, physiothérapeutes, ambulancières, et j’en passe. Ces femmes, dont
plusieurs sont sans doute parmi nous aujourd’hui, méritent toute notre admiration.
C’est dans cet esprit de « la passion du soin infirmier au défi d’une plus grande humanité » (le
titre est bien choisi) que se déroulera, j’en suis convaincue, l’ensemble des activités de ce
colloque.
Vous explorerez et ouvrirez de nouvelles voies à la profession dans vos divers milieux de travail
tout comme dans le domaine de la recherche et vous créerez sûrement de nouvelles alliances,
plus que nécessaires dans le cadre de la mondialisation.
Je poursuis donc en revenant aux propos de ma présentation qui tentera, à travers mon
cheminement de carrière, de vous amener sur la route du militantisme, celui de l’engagement
syndical, social, politique et féministe pour améliorer, non seulement le sort des infirmières, mais
celui des femmes en général.
Je commencerai l’histoire avec ma première expérience de travail. Jeune diplômée en soins
infirmiers, je quitte, à 21 ans, le Québec pour la Suisse la tête remplie d’idéaux. C’est donc dans
la francophonie et, en particulier, en Valais, à l’Hôpital Général de Sion, que je fais mes
premières armes au travail. Nous sommes en 1978. Audacieuse autant que naïve, je plonge dans
l’aventure, jeune infirmière sans expérience qui croit qu’en Suisse romande, parce qu’on y parle
le français, tout sera tellement plus facile.
J’avais oublié que « les accents » et « les expressions spécifiques » à nos milieux d’origine
peuvent faire toute la différence. C’est ce qui explique que je serais restée de glace quand, dans
une situation d’urgence, on me demande d’apporter rapidement des « moltex » et un « statif » car
la personne est en hémorragie et on doit lui installer une « perf ».
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Une autre fois, toute l’équipe de soins éclatera d’un fou rire incroyable lorsque, au rapport
matinal, après une nuit de veille, j’explique qu’un patient n’a pas pu prendre ses médicaments de
la nuit car, bien que je l’aie « branlé » à plusieurs reprises, il ne s’éveilla point…. Depuis ce
temps, j’ai plutôt « secoué les patients pour les réveiller ».
C’est avec raison que les étrangères intriguent, amusent et, à certains moments, font craindre le
pire. Le pire a sûrement été le moment où j’ai demandé une rencontre avec le directeur des soins
infirmiers, accompagnée d’une collègue yougoslave, aide-soignante, pour laquelle je réclamais
une augmentation de salaire puisqu’elle effectuait des tâches d’infirmière depuis quelques mois.
Le pire a été aussi lorsque j’organisais des rencontres quasi clandestines dans mon appartement
pour donner naissance à un embryon de syndicat afin qu’on puisse mettre fin aux contrats
individuels de travail des infirmières tous très différents, injustifiés et inéquitables.
Le soulagement, lui, est venu près de deux ans plus tard... pour l’employeur… avec l’annonce de
mon départ.
De mon côté, j’y ai appris beaucoup, entre autres, sur l’importance de la solidarité, sur l’entraide
entre collègues, sur l’humilité qu’on se doit d’avoir quand on est « nouvelle » et sur le pouvoir
relatif que je possédais comme « étrangère ». J’y ai retenu la satisfaction d’avoir osé prendre la
parole pour dénoncer des injustices et défendre des causes que je croyais justes.
C’est forte de ces premières expériences que je reviens au Québec pour travailler au Centre
hospitalier universitaire de l’Hôtel-Dieu de Montréal. J’y ai travaillé de nuit pendant quatre ans
aux soins intensifs et aux urgences, trois années de soir dans « l’équipe volante » aux mêmes
départements ainsi qu’auprès des grands brûlés. Durant ce temps, afin de parfaire mes
connaissances professionnelles, j’ai poursuivi comme plusieurs collègues une formation
universitaire en soins infirmiers. Attirée par l’humanisation des soins autant que par les
médecines alternatives, j’ai terminé une formation en acupuncture en 1986. En même temps, je
m’impliquais au sein de mon syndicat local (je n’avais pas encore d’enfants à l’époque).
Cette implication a été déterminante pour tout le reste de mon parcours sur la scène publique,
tant syndicale que politique. Je dois vous avouer que c’est avec passion que j’ai vécu toutes les
étapes qui se sont succédé depuis.
J’ai compris par expérience qu’il valait mieux s’engager, plutôt que de laisser à d’autres le soin
de décider ce qui est bien pour nous. J’ai donc apprivoisé le pouvoir et je suis passée à l’action
avec les risques que cela comporte.
De présidente de mon syndicat local, je suis devenue, en 1986, présidente de la Fédération
québécoise des infirmières et infirmiers (FQII), une des trois fédérations d’infirmières
représentant 12 000 membres. Par la suite, convaincue de l’importance d’unir nos forces pour
améliorer de façon significative les conditions salariales et de travail des infirmières, à négocier
auprès du gouvernement québécois, j’ai initié le projet de fusion des trois fédérations
d’infirmières existantes en une seule, la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec
(FIIQ). C’est en 1987 que la FIIQ, la plus importante organisation de femmes syndiquées
d’Amérique du Nord, fut créée. Elle compte aujourd’hui dans ses rangs plus de 45 000
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infirmières. En 1989, une première négociation a lieu, réunissant, sous une même bannière, trois
fédérations. Les moyens de pression, allant du refus de faire du temps supplémentaire à la grève
générale illimitée, se sont terminés par l’adoption d’une loi spéciale de retour au travail,
accompagnée de multiples sanctions (loi très répressive).
Cette lutte, fortement médiatisée même hors de nos frontières, a reçu de larges appuis de toute la
population et a contribué à une meilleure reconnaissance des nombreuses responsabilités qui
incombent aux infirmières.
Tout n’a pas été gagné, mais nous avons contribué à revaloriser, de façon significative, cette
profession très largement féminine. Pour une première fois, une échelle salariale pour les
infirmières détenant un niveau universitaire de formation a été introduite et la rémunération des
infirmières avec un niveau d’études collégiales a été améliorée substantiellement. À cela, se sont
ajoutés la création de plus de 3 000 postes à temps complet, seulement en convertissant le
nombre d’heures supplémentaires qu’avaient effectuées les infirmières dans la dernière année.
Ceci a mis fin, pour plusieurs, à une situation d’emploi précaire. C’est avec autant de force, de
militantisme et de crédibilité que la FIIQ, encore aujourd’hui, poursuit son action de défense des
intérêts de ses membres. La négociation de 1999 s’est avérée elle aussi une lutte épique qui a pris
fin après environ un mois de grève et, à nouveau, avec de fortes sanctions pour les syndiquées,
leur organisation et leurs dirigeantes. N’étant plus à la barre de cette organisation depuis 1993,
j’avais l’impression de revivre, mais à distance cette fois, cette épreuve d’endurance, de
résistance et d’audace que ces femmes du Québec savent relever avec tant de dignité et de
solidarité.
Dès sa création, la FIIQ s’est impliquée socialement et a été solidaire de la cause des femmes.
Elle s’est rapidement positionnée en faveur du libre choix en matière d’avortement et pour la
reconnaissance professionnelle des sages-femmes. À ce jour encore, elle est une des
organisations syndicales les plus liées et actives au sein du mouvement des femmes québécoises
les accompagnant dans des luttes féministes. Cette organisation a aussi rapidement développé
des liens de solidarité avec des ONG de différents pays où des infirmières québécoises effectuent
des stages ou bien apportent de l’aide humanitaire comme la mise sur pied de pharmacies
populaires.
De plus, la participation active de la FIIQ à tous les débats qui entourent l’organisation et le
financement du système de santé en fait un acteur incontournable en la matière lors de
consultations publiques. La place privilégiée qu’occupent les infirmières dans tous les secteurs
d’activité du milieu de la santé est un fort levier d’influence. Pour ce faire, il faut envahir les
tribunes publiques, parler haut et fort. Je vous dirais qu’au Québec, tant les syndicats
d’infirmières que leur ordre professionnel excellent dans l’art d’influencer. Les infirmières osent
foncer et prendre leur place car elles ont compris que c’est la seule façon de faire bouger les
choses. Oui, les infirmières, quand elles unissent leurs voix et coordonnent leurs actions, sont
une force politique redoutable pour tout gouvernement et c’est tant mieux!
La négociation, les représentations et les relations publiques de toutes les sortes, l’analyse
stratégique, le travail d’équipe, la défense de nos idées et cette capacité à débattre et à convaincre
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qui se développe dans l’action syndicale, tous ces apprentissages, jumelés à la recherche de
nouveaux défis, m’ont dirigée vers la politique active.
En fait, j’ai été prise à mon propre discours, celui qui, d’ailleurs, encore aujourd’hui, fait la
promotion des femmes dans les divers postes de pouvoir. Je considère que les femmes, qui
représentent plus de 50 % de la population, sont largement sous-représentées, notamment dans
nos parlements. C’est ce qui m’a amenée à me présenter comme candidate aux élections
provinciales de 1994, dans le but de proposer un projet de société plus juste et plus équitable
reposant sur une véritable solidarité sociale. Cette expérience fut tout aussi brève qu’intense.
Brève, car j’ai perdu par 24 voix après un mois du recomptage judiciaire et intense parce que j’ai
eu à relever deux grands défis de front, celui de ma première campagne électorale et de donner
naissance, à 37 ans, à mon premier fils, Hubert, né une semaine avant le début de la campagne
électorale et que j’ai allaité. J’en ai eu un deuxième, deux ans plus tard, Thomas. C’est sans
regret aucun et avec le sentiment d’avoir mené une chaude lutte que j’ai regardé en avant pour
canaliser mes énergies vers la poursuite de mes engagements, mais de façon différente.
Toutes ces expériences m’ont amenée au sein de la haute direction de la fonction publique
québécoise, là où les femmes sont comme l’oxygène en montagne, c’est-à-dire de plus en plus
rares, plus on monte en altitude.
En 1994, je fus nommée Secrétaire générale à la Condition féminine. Ce poste consiste à assister
la ministre responsable de la Condition féminine dans l’ensemble de ses fonctions, tant sur la
scène gouvernementale québécoise que canadienne, au sein de la francophonie et dans tous les
dossiers internationaux. Et ma responsabilité m’a amenée à coordonner les actions du
gouvernement en matière de soutien ou de promotion des droits des femmes. Ensuite, j’ai été
nommée sous-ministre adjointe dans un ministère d’hommes, « le ministère des Affaires
municipales et de la Métropole ». Ce mandat dura trois ans et demi. Tout en cumulant diverses
responsabilités dans des dossiers relatifs aux politiques municipales, au soutien aux élus, à
l’aménagement du territoire et à la régionalisation des actions du gouvernement, j'ai géré une
enveloppe de 45 millions de dollars (plus de 28 millions d’Euros) qui était distribuée en
subventions aux organismes nationaux et régionaux de loisir et de sport.
À ce niveau, je me suis assurée que le gouvernement porte une attention au soutien du
développement du sport de haut niveau chez les femmes et que le Ministère, par son réseau en
région, s’engage à sensibiliser les femmes à la politique municipale en les incitant ainsi à se
présenter à des postes électifs. Puis, en 1999, j’ai été nommée, par le Conseil des ministres,
présidente du Conseil du statut de la femme que je préside depuis. Au Québec, on accède à ce
poste à la suite d’une vaste consultation auprès des partenaires socioéconomiques, des groupes
de femmes, des milieux de la recherche et des syndicats.
Je suis très fière de cet organisme qui, depuis 30 ans cette année, accompagne les femmes dans
leur longue marche vers l’égalité. Le Conseil est un organisme d’étude et de consultation qui a
pour mission de conseiller le gouvernement et d’informer le public sur toutes les questions
touchant l’égalité et les droits des femmes. Pour ce faire, il produit des études qu’il rend
publiques et des avis destinés au gouvernement et aux instances régionalisées. Il présente des
mémoires en commission parlementaire sur des sujets aussi diversifiés que les lois du travail, la
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réforme de la santé et de l’éducation, la loi visant l’élimination de la pauvreté, etc. Il produit
également des guides d’information sur des sujets variés, voire d’animation, notamment pour
souligner annuellement la Journée internationale des femmes, le 8 mars, dans les divers milieux
de travail et de vie.
Le Conseil produit également le seul magazine féministe au Québec – tiré à 30 000 exemplaires
pour 7 millions d’habitants – la Gazette des femmes qui, tous les deux mois, diffuse à ses 15 000
abonnées et au public des informations d’actualité concernant la situation des femmes, tant du
Québec que d’ailleurs. Il vise à changer les mentalités et à faire cheminer les opinions au regard
des diverses inégalités que vivent malheureusement encore trop de femmes. Il a reçu de
nombreux prix journalistiques. Faisant preuve d’audace dans le choix des sujets abordés, il
couvre des dossiers chauds de l’actualité. Je pense notamment à la situation des femmes en Irak,
à la prostitution, à la situation des femmes amérindiennes, aux relations femmes/hommes après
30 ans de révolution féministe.
D’ailleurs, un numéro spécial, réalisé en septembre dernier et qui a fait l’objet d’un lancement à
Paris, portait sur « vaut-il mieux être femme au Québec ou en France? Match nul! ». On y
apprend que les Québécoises envient le système social français où la maternité est davantage
soutenue. Des prestations de maternité très généreuses, des réductions de tarif dans les services
de transport en commun pour les familles sont autant de mesures qui les soutiennent et facilitent
l’articulation travail/famille.
Les Françaises, quant à elles, envient la vigueur et la force du mouvement des femmes au
Québec et l’apparente acceptation plus grande des femmes en politique. Les rapports
femme/homme dans le privé semblent plus égalitaires au Québec et la séduction moins présente
dans tous les rapports avec l’autre sexe (avec ses avantages et ses inconvénients). On y remarque
surtout que nous avons beaucoup à apprendre les unes des autres pour mieux tracer le chemin de
l’égalité.
Après 30 ans d’actions militantes pour l’avancement des droits des femmes, la société
québécoise récolte avec fierté bien des fruits et c’est ce que nous venons de fêter pendant trois
jours remplis d’activités de toutes les sortes. Nous sommes heureuses d’avoir participé à édifier
une société démocratique, solidaire et égalitaire. Nous nous sommes attaquées, dès le début des
années 1980, à la publicité sexiste par la remise des Prix Méritas qui récompensaient les pubs
contribuant le plus à briser les stéréotypes sexistes et des Prix Déméritas qui dénonçaient les plus
sexistes. Bien qu’il y ait encore des récalcitrants, de façon générale, l’industrie des
communications s’est autorégularisée depuis. Sauf les grandes brasseries de bière qui croient
toujours qu’il faut partout une blonde dénudée, de préférence, pour vendre « leur blonde »! Il
faut de ce côté accroître notre vigilance.
Dans la recherche d’une plus grande autonomie économique des femmes, nous avons aussi brisé
le carcan des stéréotypes en emploi, pour que les femmes accèdent autant que les hommes à tous
les types de travail, à tous les paliers hiérarchiques.
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Nous avons contribué à ce que les manuels scolaires soient exempts de stéréotypes qui ne
valorisaient les filles que dans l’espace privé du foyer et les garçons, que dans la sphère
publique.
À cet égard, nous sommes heureuses de constater que la réussite scolaire des filles soit telle que
le Québec se retrouve dans le peloton de tête avec la Nouvelle-Zélande, la Norvège, l’Espagne et
le Canada pour ce qui est du taux de diplomation universitaire de ses filles. Elles portent
d’ailleurs tout aussi fièrement les titres de médecins que d’avocates, écrivaines, ingénieures…
N’en déplaise à l’Académie française au pouvoir, elles sont madame la Ministre, la VicePremière Ministre… Malheureusement, nous n’avons pu, à ce jour, nous réjouir d’interpeller
notre « Première Ministre ».
En devenant des compagnes et des conjointes autonomes, capables d’assurer avec leur conjoint
la charge économique d’une famille, les femmes ont contribué à l’enrichissement des familles et
de toute la société tout en soulageant les hommes de leur rôle d’unique gagne-pain. Les pères ont
pu aussi se rapprocher de leurs enfants et de nouvelles figures parentales ont été inventées, ce
dont nous sommes fières.
La conciliation ou l’harmonisation des responsabilités familiales et professionnelles nous tient à
cœur. Afin de s’assurer que les parents puissent pleinement se réaliser tant sur le plan
professionnel que personnel, nous avons réclamé depuis les années 1980 des services de garde de
qualité, accessibles et peu coûteux. Nous avons maintenant un véritable réseau de services de
crèche à faible coût (3 Euros par jour).
Nous avons aussi lancé depuis deux ans les Prix ISO familles qui honorent les entreprises qui
mettent de l’avant des mesures permettant à leurs employés de mieux harmoniser leur rôle de
parents et de travailleurs sans se sentir coupables de devoir quitter pour un rendez-vous chez le
dentiste, le médecin ou l’école. Nous y avons découvert de nombreuses mesures innovatrices
adaptées à la réalité de tous les types d’entreprises et toutes les tailles.
Toutes savent faire rimer productivité avec humanité. De la diminution de la semaine de travail,
aux banques de congés rémunérés pour responsabilités parentales, à la prolongation des heures
de repas et de pauses pour permettre l’allaitement, aux crèches en milieu de travail, aux priorités
de choix de congés annuels pour les parents de l’entreprise, nous avons découvert des milieux où
le climat de travail est empreint de confiance et de respect et où la famille est une richesse qui
compte.
La diminution du taux d’absentéisme, la stabilité du personnel, tout comme la rentabilité des
entreprises primées, font l’envie de bien des gestionnaires. Comme quoi participer à
l’accroissement du « bonheur intérieur brut » est rentable pour tous.
De plus, les femmes ont dénoncé sur la place publique les gestes qui étaient autrefois considérés
du domaine du privé, comme la violence conjugale, le harcèlement sexuel, l’inceste –
aujourd’hui condamné dans notre société.
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L’égalité des époux dans le mariage, entre eux ou à l’égard de leurs enfants, est chose acquise.
Depuis 1981, le Code civil a été modifié pour que la femme conserve son nom après le mariage
et qu’elle puisse le transmettre à ses enfants. D’ailleurs, toutes nos lois ont été épurées de clauses
discriminatoires.
Plusieurs ont même été votées en recherche d’une plus grande égalité. Pensons au partage
obligatoire du patrimoine familial lors d’une rupture (gains obtenus durant le mariage partagés à
parts égales), à la perception automatique, par l’État, des pensions alimentaires pour les mauvais
payeurs, aux services de médiation familiale gratuits pour les couples en instance de séparation,
aux lois concernant le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite avec le maintien
d’une rémunération équivalente à 90 % du salaire et à la Loi sur l’équité salariale.
Dernièrement, initiée par un collectif largement soutenu par les femmes, une loi des plus
progressistes a été votée pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, munie d’un plan
d’action que nous espérons avoir bientôt. Ceci fera du Québec une des sociétés les plus solidaires
face à la partie de sa population la plus démunie, composée en majorité de femmes. Oui, il est
possible pour les femmes et les hommes de se réaliser pleinement tant sur le plan personnel que
professionnel dans cette société que, j’espère, j’aurai contribué à vous faire connaître et apprécier
dans cet exposé.
Malgré toutes ces avancées, des enjeux majeurs nous interpellent, femmes du Québec et
d’ailleurs.
J’aimerais maintenant revenir sur le thème de la santé, un domaine qui vous concerne au premier
chef en tant qu’infirmières et qui nous interpelle toutes en tant que femmes, que ce soit à titre
d’utilisatrices des services de santé, en raison de notre rôle dans la famille ou comme citoyennes.
Très tôt, la recherche de l’autonomie dans toutes les dimensions de leur vie a amené les femmes
à réclamer également cette autonomie dans le domaine de la santé.
C’est ainsi que le Conseil du statut de la femme a appuyé plusieurs des batailles qui ont été
menées en vue de permettre aux femmes d’obtenir la maîtrise de leur corps et de leur bien-être :
humanisation des soins à la naissance, reconnaissance des sages-femmes, accès à la
contraception, droit à l’avortement libre et gratuit, remise en question du pouvoir médical et de la
surmédicalisation en santé physique et mentale et notamment au moment de la ménopause,
promotion de la prévention et de l’autosanté, etc.
En matière de procréation médicalement assistée, le CSF a abordé dès les années 1980 les
questions de la fécondation in vitro, des mères porteuses, du droit de l’enfant à connaître ses
origines, du diagnostic prénatal, des thérapies fœtales. Nous avons fait état des inquiétudes
soulevées par les effets de ces technologies sur la dignité des personnes et sur l’évolution de
l’humanité. Par exemple, les dangers de l’eugénisme, le risque de voir les femmes servir de
cobayes dans des expériences scientifiques non éprouvées (recours à l’hormonothérapie
préalable à la technologie in vitro, grossesses multiples, etc.) et l’éventualité d’une exploitation
commerciale du corps des femmes avec la mise sous contrat des mères porteuses.
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Ma position à la présidence du Conseil du statut de la femme, depuis bientôt quatre ans, a aiguisé
mon sens de l’observation et de l’analyse. Cette expérience a aussi renforcé l’une de mes
certitudes : celle de poser systématiquement un regard différencié sur les réalités des femmes et
des hommes. Sur le plan biologique, les femmes vivent des expériences qui leur sont propres
comme la grossesse, l’accouchement et la ménopause. De plus, comme vous le savez, certaines
maladies touchent les femmes et les hommes différemment comme l’arthrite, l’ostéoporose, les
maladies cardiaques, les maladies transmises sexuellement et les incapacités qui accompagnent
la vieillesse.
Ce n’est donc pas étonnant que la Journée internationale de l’infirmière 2003 soit consacrée à
l’importance de combattre le sida, une réalité dévastatrice que vous connaissez pour l’avoir
sûrement côtoyée.
Les statistiques accablantes publiées en 2002 dans le Rapport sur l’épidémie globale du VIH/sida
font frémir. Comment rester indifférente devant ce fléau qui a tué 2,4 millions d’adultes, dont 1,1
million de femmes, sans compter les 580 000 enfants décédés, en 2001.
Les projections mondiales sont terrifiantes. Dans les pays les plus touchés, l’espérance de vie
chutera de 70 à 30 ans; 10,3 millions de jeunes entre 18 et 24 ans sont infectés dans le sud de
l’Afrique. Au Botswana, une jeune fille sur trois est séropositive où le sida a fait 16 millions
d’enfants orphelins. En 2010, ce chiffre atteindra 44 millions dans les 34 pays les plus touchés.
En Afrique du Sud, 23 % des futures mères sont séropositives et un bébé sur cinq naît infecté.
Depuis le début de l’épidémie, 60 millions de personnes ont été infectées par le VIH, devenant la
maladie la plus dévastatrice que l’humanité ait connue.
Si l’ensemble de ces questions nous intéresse, il nous faut, bien sûr, établir des priorités d’action.
Par exemple, l’essor fulgurant du génie génétique et des techniques de reproduction nous
amènera, cette année, à refaire le point sur le sujet en fonction de considérations médicales,
juridiques et éthiques. Afin d’éviter les dérives, il importe, en effet, de garder un œil ouvert sur
ces développements qui risquent d’influencer, sinon de transformer le processus de la
reproduction humaine et qui font craindre une instrumentalisation du corps des femmes, appelées
à fournir le matériel génétique à la base des expérimentations.
Nous nous pencherons également sur la santé des jeunes filles et des jeunes femmes, notamment
sur le problème de la détresse psychologique et sur ses différentes manifestations comme les
désordres alimentaires, les problèmes scolaires, les tentatives de suicide, etc., avec l’objectif de
mieux en comprendre les déterminants et de suggérer des pistes d’action.
L’avenir de notre système de santé nous interpelle également, mais je crois que les inquiétudes à
ce sujet ne sont pas exclusives au Québec. Notre système de santé et de services sociaux a subi
des tensions importantes ces dernières années dont tous les pays ne sont pas à l’abri.
Je pense à la pression occasionnée par les déficits budgétaires dus en partie à la montée des coûts
occasionnée par l’apparition de technologies, de thérapies et de médicaments nouveaux, mais
onéreux, et par le vieillissement de la population. Je pense à l’augmentation de l’épuisement
professionnel, aux débordements à l’urgence, à la concentration en milieu hospitalier des cas les
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plus graves, au raccourcissement des séjours, à la pénurie du personnel soignant et à l’évolution
constante et rapide des méthodes thérapeutiques; etc.
Chez nous, ces pressions multiples se sont répercutées sur les patients eux-mêmes et le personnel
soignant, comme vous avez pu le constater, mais aussi sur les proches des malades.
Les femmes, surtout, ont été appelées en renfort pour prendre soin d’un conjoint, d’un enfant,
d’un parent ou d’une ou d’un ami malade, sorti tôt de l’hôpital ou, encore, traité en services
externes ou à domicile. Elles ont finalement fait les frais de cette transition rapide, de
l’organisation souvent déficiente des soins externes et du manque de ressources humaines et
budgétaires consacrées à cette fin.
Pour améliorer la situation, nous attendons des investissements majeurs afin d’améliorer les
soins de première ligne, réduire les listes d’attente, soutenir le développement des soins à
domicile et la création de places d’hébergement pour les personnes âgées en perte d’autonomie,
et ce, en portant une grande attention à la prévention. Pour cette remise sur les rails du système
de santé, l’apport des infirmières est essentiel en qualité et en nombre. Ce qui fait que le Québec,
pour pallier la pénurie de main-d’œuvre, veut intensifier son recrutement des infirmières à
l’étranger. Donc, bienvenue chez nous!
Si l’avenir du système de santé dans nos pays vous interpelle comme soignantes, il nous
interpelle également en tant que citoyennes. En effet, dans les pays développés, le système de
santé représente sans doute la réalisation sociale à laquelle la population est la plus attachée. En
choisissant des régimes qui donnent un accès aux services selon les besoins et non selon la
capacité de payer, nos pays ont opté pour l’égalité et la solidarité des citoyens et des citoyennes
devant la maladie. Ils ont ainsi tourné la page sur une période de leur histoire où les services de
santé n’étaient accessibles qu’aux plus riches, laissant la population à faible et moyen revenu
dans l’obligation de se priver de soins ou de s’endetter pour les obtenir, comme c’est le cas pour
plus de 50 millions d’habitants aux États-Unis.
Or, nos systèmes de santé subissent maintenant des pressions qui font craindre des reculs. Ils
doivent, en effet, arriver à fournir des services médicaux de qualité et dans des délais
raisonnables, sous peine de voir des citoyens, de plus en plus nombreux, se diriger vers des
ressources privées. Le risque est grand de voir ces derniers remettre en question l’appui qu’ils
donnent au système public par l’intermédiaire de leurs taxes et impôts.
À ce moment, le contrat social, qui fait en sorte que chacun contribue au système public de santé
selon ses capacités financières et y reçoit des soins selon ses besoins, serait battu en brèche.
Il faut également se soucier de l’avenir de nos systèmes publics de santé dans le contexte où nos
gouvernements s’engagent dans une libéralisation accrue des échanges dans le cadre des accords
de commerce internationaux.
Chez nous, la libéralisation des échanges se négocie dans la perspective d’une extension à tout le
continent américain de la zone de libre-échange qui réunit actuellement les États-Unis, le
Mexique et le Canada. Cependant, des accords similaires sont discutés à l’échelle planétaire sous
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l’égide de l’Organisation du commerce internationale (OMC) et, en ce sens, nous sommes toutes
concernées par les enjeux en cause.
Une intégration économique plus grande dans certains secteurs n’est pas une mauvaise chose en
soi si elle permet d’améliorer les conditions sociales de tous. Cependant, il ne faut pas s’en
cacher, des secteurs comme la santé et l’éducation, mais aussi la culture, l’environnement,
l’exploitation des ressources naturelles de même que les brevets et la propriété intellectuelle –
pensons aux brevets accordés sur les médicaments ou sur le vivant, – attisent l’appétit de ceux
qui y voient des occasions d’affaires et de profits. Pour l’instant, grâce à la vigilance des
éléments les plus actifs de la société civile, nos pays ont soustrait les secteurs névralgiques
comme la santé, les services sociaux et l’éducation publique de la portée de ces accords.
Cependant, la liste des exclusions et des secteurs protégés n’est pas immuable et des
négociations sont engagées dans le but d’élever progressivement le niveau de libéralisation.
De plus, les négociations en cours souffrent d’un déficit démocratique parce qu’elles se déroulent
derrière des portes closes, sans consulter la population, entre des acteurs masculins appartenant
principalement au milieu de la finance affaiblissant ainsi la souveraineté des États.
Aussi, je me rallie, et je vous invite à le faire vous aussi, à l’appel lancé par l’économiste Susan
George pour éviter que nos identités nationale et culturelle ne soient livrées aux transnationales.
Selon elles, « … il est grand temps que les citoyens exigent de leurs pouvoirs publics un
engagement sans ambiguïtés : la santé, l’éducation, l’environnement, la culture et les services
publics essentiels sont des domaines dans lesquels l’OMC ne saurait avoir la moindre
compétence et donc où les gouvernements et les Parlements doivent conserver les pleins
pouvoirs » … Il en va de la santé de nos sociétés.
Avec cet appel, en final, à participer aux grands débats de société qui marqueront le XXIe siècle,
voilà donc mon itinéraire qu’il m’a fait plaisir de partager avec vous, à travers une carrière qui
m’a apporté bien des joies : d’infirmière à présidente d’un organisme public dédié à la promotion
des femmes en passant par mon engagement dans le syndicalisme, en politique et dans la haute
fonction publique. De Québécoise par la naissance à résidente du Valais en Suisse et à citoyenne
du monde, une identité que nous sommes appelées à partager dans un monde de plus en plus sans
frontières, je vous invite à garder le cap sur nos valeurs fondamentales, celles qui depuis toujours
ont guidé les infirmières et les ont engagées dans cette quête d’une plus grande humanité.
Je crois fermement, qu’avec nos voix rassemblées et nos activités concertées, un autre monde est
possible pour les populations du globe avec l’apport, sans conteste, des femmes et des
infirmières … Et, ce colloque en ouvre la voie…
Je vous souhaite pour ces trois jours de fructueux échanges.
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