Décision 10752 - Régie des marchés agricoles et alimentaires du

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Décision 10752 - Régie des marchés agricoles et alimentaires du
RÉGIE DES MARCHÉS AGRICOLES ET ALIMENTAIRES DU QUÉBEC
Dossier :
Décision :
10752
Date :
6 octobre 2015
Présidente :
France Dionne
Régisseurs :
Gilles Hains1
Daniel Diorio
OBJET :
215-07-10-93
Demande d’exemption au Règlement sur les quotas des producteurs de lait
FERME PELLETIER HOLSTEIN INC.
et
GUILLAUME PELLETIER
Demandeurs
Et
LES PRODUCTEURS DE LAIT DU QUÉBEC
Mis en cause
DÉCISION
DEMANDE
[1]
Le 9 février 2015, la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (la Régie)
reçoit de Ferme Pelletier Holstein inc. (Ferme Pelletier) et de Guillaume Pelletier une demande
d’exemption au Règlement sur les quotas des producteurs de lait2 (le Règlement) afin qu’ils
puissent fusionner les quotas détenus par chacun d’eux.
[2]
Les demandeurs s’adressent à la Régie après avoir essuyé, le 22 décembre 2014, un
refus de la demande faite aux Producteurs de lait du Québec (les PLQ). Dans leur lettre
1
2
M. Gilles Hains ayant quitté ses fonctions de régisseur le 12 juin 2015, les deux régisseurs qui
demeurent en fonction disposent de l’affaire conformément à l’article 13.1 de la Loi sur la mise en
marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche (RLRQ, chapitre M-35.1).
RLRQ, chapitre M-35.1, r. 208.
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réponse, les PLQ soulignent que la fusion de deux quotas contrevient aux articles 6.1, 28 et 42
du Règlement et que la demande ne peut donc être acceptée.
SÉANCE PUBLIQUE
[3]
La Régie convoque les personnes intéressées par cette demande à une séance
publique qui se tient au palais de justice de Cowansville le 24 mars 2015.
[4]
Daniel et Olivier Pelletier, actionnaires de Ferme Pelletier sont présents lors de la
séance publique de même que Guillaume Pelletier, producteur de lait.
[5]
Me Marie-Josée Trudeau représente les PLQ. Geneviève Rainville, directrice de la
recherche économique et Julie Malo, agente au contingentement et au contrôle technique chez
les PLQ l’accompagnent.
[6]
Le 31 mars 2015, la Régie juge à propos d’interrompre son délibéré afin de recueillir les
observations des parties sur les questions suivantes :
Considérant les faits particuliers de la présente affaire, ne serait-il pas plus fidèle à l’esprit
du Règlement sur les quotas des producteurs de lait de faire en sorte que M. Guillaume
Pelletier et Ferme Pelletier Holstein inc. exploitent un seul quota de lait sur une seule
unité de production?
Qu’elle serait l’importance du précédent de la fusion des deux quotas considérant les
faits particuliers dans cette affaire, soit la durée de production « très conjointe » et la
bonne foi des producteurs au moment où ils ont commencé cette production en 2008
alors que les producteurs de lait font actuellement face à une rareté de quota?
[7]
Le 24 avril 2015, la Régie reçoit les observations écrites des PLQ aux questions posées
par la Régie.
[8]
Le 12 mai 2015, Me Sylvain Unvoy formule par écrit les observations complémentaires
des demandeurs sur ces questions.
[9]
Finalement la Régie reçoit, le 25 mai 2015, la réplique des PLQ sur le sujet.
CADRE JURIDIQUE
- Cadre législatif
[10]
L’article 36 de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la
pêche3 donne à la Régie le pouvoir d’exempter une personne de l’application de dispositions
réglementaires :
3
RLRQ, chapitre M-35.1.
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36.
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La Régie peut, aux conditions et pour la période qu'elle détermine :
1°
exempter de l'application totale ou partielle de l'acte constitutif d'une chambre, d'un plan,
d'un règlement ou d'une convention, toute personne ou catégorie de personnes, ou toute société
engagées dans la production ou la mise en marché d'un produit agricole ou la mise en marché
d'un produit de la pêche ou de toute classe ou variété de ces produits;
2°
exclure d'un plan conjoint ou d'un règlement ou de la compétence d'une chambre, toute
classe ou variété de produits agricoles ou de la pêche.
La Régie publie à la Gazette officielle du Québec toute décision qu'elle prend en application du
paragraphe 2° du premier alinéa.
- Cadre réglementaire
[11]
Les articles 6, 6.1, 28 et 42 du Règlement rappellent certaines règles auxquelles sont
assujettis les détenteurs de quota y compris quant à la façon d’acquérir ou d’aliéner un quota de
lait :
6.
Un producteur ne peut détenir, directement ou indirectement, plus d'un quota.
Un producteur détient indirectement un quota notamment lorsqu'il détient du capitalactions ou une part sociale d'une personne morale ou d'une société détentrice de quota
ou un droit d'acquérir un quota.
Pour l'application du premier alinéa, le producteur qui détient indirectement plus d'un
quota le 2 mai 2008 est réputé détenir un seul quota.
6.1.
Un seul quota peut être exploité sur une unité de production.
28.
Sous réserve de la section IX, nul ne peut acquérir ou céder un quota, en tout ou
4
en partie, autrement qu'en suivant la procédure prévue à la présente section.
42.
Est exempte de l'application de la section VII, la cession de quota qui remplit les
3 conditions suivantes :
1°
elle est faite à la suite d'un changement de régime juridique d'une unité de
production ou lorsqu'un producteur cède tout son quota à un producteur qui, à la suite de
la cession, ne détient que le quota qui lui est ainsi cédé;
2°
le lieu où est exploité le quota ne change pas;
3°
le quota est exploité sur le lieu depuis au moins 5 ans.
Pour bénéficier de l'exemption, le cessionnaire dépose au bureau du conseil régional,
une fois la cession complétée, une demande de transfert de quota dans la forme
prescrite par Les Producteurs, accompagnée des documents établissant cette cession.
[12]
Entre le 29 novembre 2006 et le 6 juin 2007, l’article 42 prévoyait la fusion de quotas
comme mode de transfert, exclu du Système centralisé de vente de quota (SCVQ). Cet article
se lisait alors :
42.
L'acquisition d'une unité de production, notamment par le changement de régime
juridique de l'unité de production ou par la fusion de quotas, constitue une transaction
exempte de l'application de la section VII. On entend par « fusion de quotas », toute mise
en commun de quotas.
4
Cet article se trouve dans la section VII alors que l’article 42 se trouve dans la section IX.
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L'acquéreur doit déposer au bureau du syndicat de sa région, à la suite de cette
transaction, une demande de transfert de quota dans la forme prescrite par la
5
Fédération , accompagnée des documents établissant cette transaction.
Un producteur qui désire vendre toute son unité de production doit s'assurer que la
flexibilité associée au quota offert en vente n'est pas utilisée. À défaut, la Fédération
facture au producteur la différence entre le prix intra et le prix hors quota par composant,
tel que déterminé au Règlement sur le paiement du lait aux producteurs (Décision 6480,
96-08-15), pour la période de paie du mois au cours duquel la demande de transfert est
déposée aux termes de l'article 42, pour le volume de lait produit ou livré que représente
la flexibilité utilisée pour telle période de paie, tel que déterminé au Règlement sur le
paiement du lait aux producteurs.
Tout volume de lait non produit et constituant un déficit cumulatif jusqu'à 30 fois le quota
est exclu de la flexibilité permise pour les fins du présent article.
(Nos soulignements)
[13]
En septembre 2008, lorsque Guillaume Pelletier acquiert son quota, les nouveaux
producteurs ont une priorité quant au partage des quotas disponibles sur le SCVQ :
41.1. Lorsque l'application de l'article 40 fait en sorte que la quantité de quota que la
Fédération devrait vendre à même la réserve d'ajustement excède 4 % de la quantité
totale de quota demandée par les producteurs acheteurs, la Fédération peut annuler la
vente en cours.
Elle peut également procéder à la vente et combler en partie les offres des producteurs
acheteurs à même les quantités de quota offertes par les producteurs vendeurs. Elle peut
ensuite vendre des quantités de quota pour combler en partie les offres des producteurs
acheteurs qui n'ont pas été comblées.
Dans tous les cas, elle impute les quantités de quota mises en vente selon l'ordre
suivant :
1°
à chaque acheteur qui bénéficie du programme d'aide au démarrage, à qui la
Fédération a expédié l'avis prévu à l'article 53.17.1 et qui détient un quota de moins de
10 kg au moment de la vente;
2°
à chaque acheteur qui ne détient pas de quota au moment de la vente;
3°
par tranche de 0,1 kg à chaque acheteur qui ne bénéficie pas des paragraphes 1
et 2, jusqu'à concurrence de la quantité de quota qu'il a offert d'acheter et jusqu'à ce que
la somme des tranches de quota ainsi imputées soit le plus près possible de 50 % des
quantités de quota offertes en vente non imputées selon les paragraphes 1 et 2;
4°
à chaque acheteur qui ne bénéficie pas des paragraphes 1 et 2 en proportion de
la partie du quota qu'il avait offert d'acheter et qui n'a pas été comblée par l'application du
paragraphe 3.
(Nos soulignements)
OBSERVATIONS
[14]
La Régie ne retient des observations entendues que les éléments pertinents à ce
dossier, sans tenir compte de l’ordre dans lequel les observations ont été faites.
5
er
À compter du 1 mai 2014, Les Producteurs de lait du Québec (PLQ) remplacent la Fédération des
producteurs de lait du Québec à titre d’office chargé d’administrer le Plan conjoint (1980) des
producteurs de lait du Québec (RLRQ, chapitre M-35.1, r. 205) en vertu de la Décision 10294.
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- Les faits
[15]
À l’automne 2014, Ferme Pelletier et Guillaume Pelletier entreprennent plusieurs
démarches et demandent aux PLQ de jumeler leur quota. La réponse des PLQ est constante,
ils ne peuvent permettre la fusion car celle-ci n’est pas permise par le Règlement.
[16]
Daniel Pelletier est producteur de lait depuis 1983. Il débute en production laitière avec
un quota de 6 kilogrammes de matières grasses par jour (kg de MG/jour).
[17]
En 2007, ses deux fils Guillaume, 20 ans, et Olivier, 17 ans, sont intéressés par la
production laitière et souhaitent s’impliquer sur la ferme familiale. Pour envisager l’intégration de
trois familles sur la ferme et éviter que l’un des garçons ne doive aller travailler à l’extérieur, les
Pelletier conviennent d’agrandir et de moderniser les installations de la ferme familiale afin
qu’elles puissent accueillir un plus grand nombre de têtes. Le quota détenu étant alors de
53,51 kg de MG/jour, les Pelletier planifient en conséquence acquérir du quota dans le but
d’augmenter les revenus de la ferme. L’objectif poursuivi par les trois hommes est d’exploiter
ensemble une seule et même unité de production laitière.
[18]
Il est également décidé que, en attendant que l’intégration puisse être faite, Guillaume
Pelletier exploitera une entreprise laitière en utilisant le bâtiment loué de la ferme sise au 320,
11e Rang à Sainte-Sabine lequel est situé à environ trois kilomètres à vol d’oiseau de la ferme
de Daniel Pelletier. Ce bâtiment servait au début pour l’élevage des animaux de remplacement
de Daniel Pelletier, en raison d’un manque d’espace à la ferme.
[19]
Les Pelletier soulignent que, au moment où ils planifient leur projet, l’achat par Daniel
Pelletier de quota laitier et la fusion de deux quotas laitiers sont possibles, selon les
informations recueillies le 20 avril 2007 auprès de M. Roch Guay, secrétaire de région.
[20]
En juin 2007, le Règlement est modifié par les PLQ et la fusion de quotas n’est plus
permise. Le premier épisode de rareté de quota sur le SCVQ se produit pour les ventes de
janvier à septembre 2008. Pendant ces mois, les offres d’achat de quota dépassent les offres
de vente de quota, de sorte que les producteurs qui désirent acheter du quota ne peuvent
obtenir qu’une partie de ce qu’ils offrent d’acheter.
[21]
Guillaume Pelletier débute en production laitière le 1er octobre 2008. Il finance son projet
avec la Banque CIBC de Bedford en juin 2008. Il acquiert, en septembre 2008, en priorité sur
les producteurs déjà en activité, un quota de 10 kg de MG/jour auquel s’ajoutent les 5 kg de
MG/jour prêtés par les PLQ dans le cadre du Programme d’aide à la relève en production
laitière prévu au Règlement.
[22]
En mars 2015, toujours sur le même site loué, il exploite un quota de 19,80 kg de
MG/jour, soit le quota qu’il détient de 16,50 kg de MG/jour et un solde de 3,40 kg de MG/jour
sur les 5 kg de MG/jour du prêt d’aide à la relève qu’il a commencé à rembourser.
[23]
Depuis 2008, Daniel Pelletier et par la suite Ferme Pelletier, ont toujours supporté les
opérations de Guillaume Pelletier. Sans cette aide, l’exploitation laitière de Guillaume Pelletier
n’aurait jamais pu survivre. Actuellement les frais de vétérinaire (3 500 $) sont payés par Ferme
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Pelletier qui fournit en plus l’ensilage de maïs (15 500 $) et une grande partie du foin. Toutefois,
Guillaume est en mesure d’acheter lui-même les concentrés et les moulées.
[24]
Guillaume mentionne que, lorsqu’il a besoin d’argent, même pour payer son épicerie,
Ferme Pelletier le lui avance. « C’est toujours la même poche de toute manière », ajoute-t-il.
[25]
Chacune des entreprises possède son propre compte bancaire dans lequel est versée la
paie du lait qu’elle livre. Chaque entreprise est accréditée au programme LCQ de manière
autonome.
[26]
Ferme Pelletier est une société par actions reconnue comme producteur de lait en date
du 1er septembre 2012. Les actionnaires de l’entreprise sont Daniel Pelletier et Olivier Pelletier.
Ils détiennent respectivement 79 % et 21 % des actions ordinaires émises. Les actions d’Olivier
ont été données par Daniel Pelletier lors de l’intégration d’Olivier dans la société. Les décisions
concernant le développement de la société sont cependant prises conjointement avec
Guillaume Pelletier. D’ailleurs, les Pelletier témoignent à l’effet que les décisions d’affaires sont
toujours prises ensemble.
[27]
Les 61,21 kg de MG/jour de quota de la société sont acquis de Daniel Pelletier et celui-ci
est exploité au 192, 9e Rang à Sainte-Brigide. Le 25 mars 2015, le quota détenu totalise
66,81 kg de MG/jour incluant un prêt de quota de 1 kg de MG/jour obtenu en vertu du
Programme d’aide à la relève en production laitière accordé en raison de l’implication d’Olivier
Pelletier et remboursable à compter d’octobre 2021.
[28]
Les travaux prévus aux installations de Ferme Pelletier sont maintenant complétés. Ce
sont plus de 400 000 $ qui ont été investis dans un projet financé par La Financière agricole du
Québec.
[29]
La modernisation des équipements, en 2012, et l’agrandissement des lieux, en 2013,
permettent le retour de Guillaume Pelletier avec le reste de la famille et l’accueil du troupeau
hébergé à Sainte-Sabine.
[30]
Dans l’état actuel du projet des Pelletier, il est en effet important, pour eux, de joindre les
deux quotas pour assurer un revenu suffisant à Ferme Pelletier et permettre aux trois familles
de vivre de l’exploitation laitière.
[31]
En effet, le seul revenu actuel de Ferme Pelletier n’est pas suffisant. Le fait pour
Guillaume Pelletier de vendre son quota et de devenir un employé de la ferme familiale n’ajoute
pas de volume de production à Ferme Pelletier et ne règle rien pour Guillaume Pelletier. Même
s’il ne dépose pas d’états financiers ni d’expertise comptable, Guillaume Pelletier témoigne à
l’effet que s’il est impossible de regrouper les deux quotas, il devra se trouver un deuxième
travail pour être en mesure de poursuivre son rêve d’exploitation laitière. Avec deux jeunes
enfants à la maison, cette avenue entraîne des complications additionnelles.
[32]
La façon d’opérer des Pelletier est également pertinente. Tous les matins, Olivier et
Daniel, d’une part, et Guillaume, d’autre part, font la traite de leur troupeau respectif. Quand
Guillaume a terminé, il aide son père et son frère à terminer la traite de leur troupeau. Ils
prennent ensuite leur petit déjeuner ensemble.
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[33]
Les travaux effectués sur l’une ou l’autre des exploitations sont souvent faits en
commun. Ainsi, les travaux d’agrandissement de Ferme Pelletier et les travaux d’urgence à la
ferme de Guillaume Pelletier sont aussi faits de concert et ce même si l’état de l’emplacement,
qui se voulait temporaire depuis le début, n’incite pas Guillaume à dépenser davantage que les
quelque six mille dollars qu’il y a déjà investis.
[34]
En effet, les installations louées de Sainte-Sabine sont désuètes pour les vaches de type
Holstein et les conditions sont très inadéquates pour la productivité du troupeau. Somme toute,
le présent environnement ne favorise pas la rentabilité des opérations laitières qui y sont faites.
[35]
De plus, le peu de disponibilité d’installations convenables dans la région immédiate de
Ferme Pelletier rend quasiment impossible une relocalisation de l’unité de production laitière de
Guillaume.
[36]
Par ailleurs, depuis janvier 2012, Ferme Pelletier a déposé une offre d’achat sur le
SCVQ onze mois sur douze en 2012, douze mois sur douze en 2013, huit mois sur douze en
2014 alors que quatre ventes mensuelles ont été annulées et quatre mois sur cinq en 2015
alors que la vente de janvier a été annulée. Malgré ses difficultés, Guillaume Pelletier a
également déposé des offres d’achat pour tous les mois où il y a une vente sur le SCVQ en
2014 et en 2015.
[37]
Dans un autre ordre d’idée, il est important de préciser que les producteurs de lait ont
été consultés à de nombreuses reprises sur le fait de permettre ou non les fusions.
[38]
Dans le cadre de l’Accord de mise en commun du lait de l’Est du Canada (P-5), soit
l’entente convenue entre l’Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et
l’Île-du-Prince-Édouard, par laquelle les membres des différentes provinces tentent
d’harmoniser les normes applicables à la production du lait, les représentants du Québec ont
transmis à leurs partenaires le résultat d’une consultation des producteurs québécois qui,
comme les producteurs ontariens, se sont prononcés contre les fusions partielles.
- L’argumentation
Les PLQ
[39]
Pour les PLQ, la demande des Pelletier est contraire à la règlementation en vigueur et
aux orientations que se sont données les producteurs. Les PLQ s’opposent à la demande de
fusion afin d’assurer la crédibilité du Règlement des PLQ face à l’ensemble des producteurs.
[40]
En effet, la fusion des quotas est interdite depuis le 6 juin 2007. L’acquisition de quota,
autrement que par l’achat d’une ferme laitière complète, ne peut se faire que par le SCVQ, à un
prix uniforme, et selon une procédure qui permet de répartir de manière équitable le quota
disponible à tous les producteurs quel que soit le lieu d’exploitation, la taille de l’entreprise et la
capacité de payer.
[41]
Seule la Régie peut faire droit à une demande d’exemption, mais elle ne peut le faire
que dans une situation exceptionnelle, comme elle le souligne dans plusieurs de ses décisions.
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Elle ne peut être accordée simplement parce que les requérants d’une telle exemption sont
sympathiques.
[42]
La rareté actuelle des quotas a empêché la tenue de certaines ventes mensuelles du
SCVQ soit celle de janvier, mars, août et octobre 2014 et celle de janvier 2015.
[43]
Accorder aux Pelletier l’exemption demandée à la règlementation est contraire aux
intérêts des producteurs et de leur plan conjoint. Une telle décision irait à l’encontre de la vision
du conseil d’administration des PLQ et ne respecterait pas la volonté des producteurs.
[44]
Un grand nombre des 5 846 exploitations laitières qui produisait du lait au Québec en
février 2015 aimerait bénéficier de plus de quota. Parmi elles, il y a quelques 850 fermes qui ont
un quota de moins de 20 kg de MG/jour.
[45]
Certaines fermes de taille semblable à celle de Guillaume Pelletier sont rentables
d’après les études déposées par les PLQ.
[46]
Plusieurs articles ou encarts dans la revue Le Producteur de lait, notamment en juilletaoût 2008, avaient pour but d’informer les producteurs de lait des modifications réglementaires
interdisant les fusions des quotas quelles qu’elles soient. Daniel Pelletier ne pouvait ignorer que
le Règlement avait été changé lorsqu’il a établi son fils Guillaume dans une ferme à proximité
de la sienne.
[47]
La question des fusions de quotas a été discutée à maintes reprises depuis 2008, mais
les producteurs, en assemblée générale, ont toujours refusé les fusions qu’elles soient totales
ou partielles.
[48]
S’ils étaient de bonne foi, les Pelletier ont, pour le moins, mal planifié leurs
investissements et cela ne constitue pas une raison valable pour qu’ils puissent être exemptés
de l’application du Règlement. De plus, les Pelletier ne disposent pas d’un droit acquis parce
qu’ils avaient l’intention de fusionner. En effet, rien ne laissait transpirer de leurs intentions
avant la modification du Règlement en 2007, d’autant plus que Guillaume et Olivier n’étaient
pas encore établis en production laitière à cette époque.
[49]
Guillaume Pelletier peut solutionner le problème des conditions inadéquates d’élevage
en demandant un changement du lieu où il exploite son quota, notamment en louant les
installations d’une autre ferme. Les PLQ ne s’opposent généralement pas à de telles requêtes.
[50]
Une autre avenue pour Guillaume Pelletier consisterait à vendre son quota sur le SCVQ.
Il pourrait alors devenir employé de Ferme Pelletier ou même actionnaire éventuellement et
apporter les liquidités du produit de la vente de son quota.
[51]
La Régie ne doit pas donner suite à la demande des Pelletier compte tenu qu’elle devra
pouvoir accorder le même privilège à quiconque se retrouve dans une situation semblable. Les
Pelletier ne sont pas les seuls membres d’une même famille à s’échanger des services et à être
dans une situation comparable.
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[52]
En effet, selon les PLQ, le fait de pouvoir partager l’équipement et les frais encourus
pour la production de lait avec les membres de la famille est un des facteurs de réussite des
personnes qui bénéficient d’un programme d’aide au démarrage en production laitière.
[53]
Les PLQ plaident également que la Régie étant signataire du Plan national de
commercialisation du lait approuvé par le décret 1508-83 du 2 août 1983, de l’Entente globale
sur la mise en commun des revenus du lait approuvée par le décret 797-2002 du 26 juin 2002
et de l’Entente P-5 approuvée par le décret 659-2009 du 10 juin 2009, elle est partie prenante à
un système élargi au-delà des frontières du Québec et elle se doit de respecter les politiques
harmonisées de quota en vertu desquelles les fusions complètes ne sont pas des modes
d’acquisition possibles de quota.
[54]
Finalement, selon les PLQ, le fardeau de la preuve des demandeurs inclut également
celui de démontrer que l’impact du précédent que constituerait une réponse favorable à leur
demande est acceptable et que la Régie serait en mesure d’accorder à tous les demandeurs
qui seraient dans la même situation qu’eux, l’exemption demandée.
[55]
Dans cette évaluation, il faudrait tenir compte du quota qui résulterait de la fusion soit un
quota nettement plus important que celui de la moyenne des producteurs.
[56]
Les PLQ sont d’avis que les Pelletier ont planifié leur projet de manière à mettre la Régie
devant un fait accompli. Ils estiment que les Pelletier n’ont pas fait la preuve que les deux
quotas font l’objet d’une gestion commune. En effet, même s’il y a entraide entre les deux
producteurs, il ne s’agit pas d’un cas qui s’apparente à une fusion déguisée « où il existe une
régie interne serrée et où l’un des détenteurs de quota est un prête-nom pour le second. »
Les demandeurs
[57]
Les demandeurs plaident que quels que soient les termes de P-5 ou les règles
applicables dans les autres provinces, la juridiction de la Régie demeure entière.
[58]
Ils soulignent que dès 2007, alors que la fusion de quotas de lait était encore possible,
leur projet consistait à se regrouper éventuellement sur une ferme familiale agrandie et
modernisée. Des démarches en ce sens ont d’ailleurs été effectuées à cette époque.
[59]
Les Pelletier sont de bonne foi, ils ne savaient pas que la réglementation avait changé
car ce n’est qu’en 2014-2015 qu’ils ont retenu les services d’un fiscaliste pour les conseiller
dans leur projet de fusion. Ils n’ont pas agi de manière à mettre la Régie devant des faits
accomplis.
[60]
Ils soumettent qu’ils exploitent les deux quotas de manière conjointe depuis 2008.
[61]
Ils soulignent le caractère exceptionnel de leur situation, leur mode de gestion des
quotas, l’absence de rentabilité de la ferme de Guillaume Pelletier sans l’aide de Ferme
Pelletier, la désuétude de la ferme de Guillaume Pelletier, notamment le fait qu’elle soit mal
ventilée et qu’elle n’assure pas le confort des vaches Holstein dans des stalles trop étroites.
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[62]
Ils invoquent notamment les précédents que constitueraient la Décision 10388 du 14 mai
2014, la Décision 10371 du 27 mars 2014 et la Décision 10649 du 27 mars 2015 dans
lesquelles la Régie a exempté un producteur de lait de l’application des dispositions du
Règlement concernant les transferts de quota.
[63]
Si la Régie fait droit à leur demande, la gestion de leurs opérations de production laitière
sera grandement facilitée et les trois familles réunies pourront réduire sensiblement le nombre
d’heures qu’elles consacrent présentement à l’exploitation des deux fermes.
[64]
De plus, dans l’éventualité d’une réponse favorable de la Régie à leur demande,
Guillaume Pelletier offre de retourner le quota résiduel du prêt à la relève. La fusion permettrait
donc de retourner 3,40 kg de MG/jour. La transaction profiterait ainsi à l’ensemble des
producteurs de lait du Québec.
[65]
Ils soulignent également que les PLQ sont incapables de démontrer que le fait
d’accorder l’exemption demandée créerait un précédent dangereux qui entraînerait le chaos.
[66]
Ils en appellent finalement à l’esprit du Règlement à l’effet qu’il vaudrait mieux joindre les
deux quotas officiellement que de laisser deux producteurs détenir directement ou
indirectement plus d’un quota ou exploiter deux quotas de lait conjointement.
ANALYSE ET DÉCISION
[67]
La Régie ne doute pas de la bonne foi des Pelletier et ne croit pas qu’ils ont agi de
manière à mettre la Régie devant un fait accompli.
[68]
Les Pelletier pouvaient réaliser leur projet d’exploiter ensemble une entreprise laitière de
plusieurs façons. La plus simple était sans doute d’acheter du quota et de l’exploiter dans le
bâtiment appartenant à Daniel Pelletier et dans celui loué, soit deux exploitations laitières tel
que le permettait le règlement. Cette façon de faire n’était toutefois pas possible en raison de la
rareté de quota qui prévalait à ce moment-là. De février 2008 à août 2008, les offres d’achat de
quota sur le SCVQ n’ont jamais été comblées à plus de 28 %. Daniel Pelletier n’aurait pu
acquérir 10 kg de MG/jour en septembre 2008, seul un nouveau producteur bénéficiant de la
priorité d’achat pouvait le faire.
[69]
La voie choisie, soit celle d’établir Guillaume sur une autre ferme, a permis d’acquérir
10 kg de MG/jour en priorité d’achat sur le SCVQ, un prêt d’aide à la relève pour chacun des
deux frères et, comme il y avait deux producteurs, deux quotes-parts lors du partage des quotas
lorsque sur le SCVQ, les offres d’achat de quota dépassaient les offres de vente de quota. Ce
choix qui permettait de contourner la difficulté d’approvisionnement de quota sur le SCVQ se
justifiait tant et aussi longtemps que la fusion de quotas était permise.
[70]
Les fusions de quotas sont interdites depuis le 6 juin 2007 alors que Guillaume a débuté
en production laitière le 1er octobre 2008.
[71]
La demande des Pelletier de février 2015 est à l’effet que la Régie les exempte de
l’application du Règlement et permette la fusion des deux quotas.
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[72]
La Régie a accordé plusieurs exemptions aux dispositions du Règlement sur les
transferts de quota, notamment quant au transfert de ferme exploitée depuis moins de cinq ans
à la même place comme dans le cas de la Décision 10371 et de la Décision 10649.
[73]
La Régie n’a cependant accordé, dans les dernières années, qu’une seule exemption
pour permettre la fusion de quotas soit celle des quotas de Ferme Denis Scott et fils S.E.N.C. et
de David Bélanger. Elle écrit alors dans la Décision 10388 du 14 avril 2014 :
[21]
La Régie est consciente de la difficulté pour un producteur de lait d’acquérir du
quota. Elle estime que l’équité entre les producteurs est un objectif important et que la
Fédération a raison de défendre ce principe. Elle rappelle à ce sujet ce qu’elle écrivait
dans la Décision 9839 du 27 février 2012 :
Or la Régie doit s’assurer, lorsqu’elle accorde une exemption, que les
autres producteurs qui sont dans la même situation puissent aussi obtenir le
même avantage. Le fardeau d’un producteur qui cherche à convaincre la Régie
de l’opportunité de lui accorder une exemption quant à l’application de
dispositions réglementaires qui s’appliquent à tous les producteurs sera d’autant
plus lourd que la demande d’exemption vise à faire passer l’intérêt de ce
producteur avant celui des autres.
[52]
[22]
Accorder aux demandeurs l’exemption demandée peut sembler soustraire du
quota aux autres producteurs qui misent à tous les mois sur le SCVQ pour obtenir du
quota et qui ne peuvent en obtenir.
[23]
Pourtant la demande de Ferme Scott et de David Bélanger apparaît bien
différente de plusieurs demandes que la Régie a reçues de producteurs qui veulent
obtenir une priorité d’achat sur le SCVQ ou qui veulent contourner le phénomène de
rareté de quota par l’achat d’un quota et le changement du lieu où il est produit.
[24]
En effet, la demande de fusion de quota semble indépendante de la question de
la rareté de quota. Il s’agit ici d’assurer l’implantation d’une relève et la pérennité d’une
exploitation laitière en permettant à deux producteurs de lait d’unir leurs efforts.
[25]
Dans les faits, deux producteurs de lait détiennent actuellement séparément plus
de quota qu’ils n’en détiendraient ensemble si le projet était accepté.
[26]
La Régie constate que le projet élaboré permet l’implantation d’une relève. Si
cette implantation ne se fait pas de la manière habituelle, la Régie n’a aucun doute sur
les intentions des parties et sur leur bonne foi. De plus, ce projet tient compte de la rareté
de quota sur le SCVQ et aucune demande d’exemption n’est présentée pour augmenter
le quota détenu en priorité sur les autres acheteurs qui misent sur le SCVQ, au contraire,
la Régie comprend que près de 2 kg de MG/jour sera vendu sur le SCVQ et que les 5 kg
d’aide à la relève seront retournés à la Fédération.
[27]
Permettre l’implantation d’une relève et donner à un jeune producteur de lait les
moyens de vivre des revenus de son exploitation laitière tout en permettant à un autre
producteur d’avoir l’aide dont il a besoin pour exploiter sa ferme et d’assurer la survie de
cette exploitation laitière apparaissent comme des objectifs raisonnables qui justifient
pleinement l’exemption demandée, surtout que cette exemption n’a pas pour effet de
donner une priorité d’achat sur le SCVQ.
[74]
La situation des Pelletier est différente de celle qui justifie la Décision 10388.
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[75]
Ferme Pelletier est rentable. Elle possède une relève. Les Pelletier ont planifié depuis le
début cette fusion. Guillaume Pelletier, malgré les difficultés financières alléguées, et Ferme
Pelletier ont continué à essayer d’acquérir du quota sur le SCVQ. Ils sont manifestement à la
recherche de quota.
[76]
Les Pelletier ne se seraient pas renseignés sur l’état du droit qui ne permettait plus les
fusions même lorsque Guillaume a commencé à produire du lait en 2008 et demandent
maintenant d’être traités comme si le droit n’avait pas changé. Il ne s’agit pas de régler un
problème ponctuel.
[77]
Dans la Décision 10388, 7 kg de MG/jour étaient retournés aux producteurs. De plus, la
situation exceptionnelle de deux producteurs qui menaçaient de devoir quitter la production
justifiait le recours à l’exemption. La rareté de quota ne semblait pas être le problème. Ce n’est
pas le cas dans la situation actuelle.
[78]
La Régie partage l’opinion des PLQ à l’effet que la fusion de quotas n’est pas une option
dans le présent dossier. Avec la rareté de quota et les choix faits par les producteurs de lait,
accorder à deux producteurs la possibilité de fusionner leur quota, surtout lorsqu’il n’y aucun
problème de relève et que ceux-ci ont agi de manière à maximiser leur acquisition de quota sur
le SCVQ, irait à l’encontre non seulement de la lettre de la réglementation prise dans le cadre
du Plan conjoint (1980) des producteurs de lait du Québec6 mais également de son esprit.
[79]
Les faits qui ont été mis en lumière durant la séance publique et sur lesquels la Régie a
reçu des observations supplémentaires étoffées posent toutefois un autre problème que celui
de permettre ou non la fusion de deux entreprises. La Régie note, comme elle l’a exprimé lors
de la séance publique, l’absence de surprise des PLQ devant la preuve des Pelletier quant à la
façon dont ils exploitent leur quota et devant le début de preuve à l’effet qu’un producteur de lait
détenait plus d’un quota.
[80]
Dans Québec (Régie des marchés agricoles) c. Québec (Fédération des producteurs de
porcs), 1997 CanLII 10706 (QC CA), la Cour écrit :
La Régie a pour mission notamment de favoriser le développement de relations
harmonieuses entre les différents intervenants dans la mise en marché d'un produit visé
par un plan conjoint (article 5). Si la Régie veut s'acquitter des devoirs que la Loi lui
confie, elle doit nécessairement s'interroger sur l'identité des différents intervenants visés
par cet article. Pour ce faire, elle ne peut pas limiter son analyse aux diverses personnes
morales qui se présentent devant elle; elle doit pouvoir aller au-delà de la façade que
présentent ces personnes morales. Les intervenants dans la mise en marché d'un produit
agricole ou alimentaire ont certes le droit de structurer leurs activités comme bon leur
semble sur le plan du droit des sociétés commerciales mais ils ne peuvent toutefois pas
s'attendre à ce que la Régie s'arrête à l'image que cette structure projette, au risque de
ne pas connaître la réalité économique que cette image peut cacher. Or, la mission de la
Régie exige qu'elle connaisse cette réalité économique.
Le fait pour la Régie de s'interroger sur l'identité des actionnaires, et même des bailleurs
de fonds, des intervenants qui comparaissent devant elle, ne met pas en péril le principe
établi dans l'arrêt Salomon et maintenant codifié à l'article 309 C.c.Q., avec les
exceptions développées au fil du temps par la jurisprudence (l'article 317, notamment).
6
RLRQ, chapitre M-35.1, r. 205.
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Dans sa décision 6116 du 4 juillet 1994, la Régie ne conteste pas le principe de
l'immunité que la loi reconnaît aux actionnaires de 2903113. De fait, contrairement aux
tribunaux de droit commun, elle n'est pas chargée d'appliquer le droit civil ou le droit des
sociétés commerciales concernant cette question mais de jouer un rôle de régulateur
économique (voir Wight c. L'office canadien de la commercialisation des œufs,
[1978] 2 C.F. 260 (C.A.); Villetard's Eggs Ltd. c. Canada (Office de commercialisation des
re
œufs), 1995 CanLII 3590 (CAF), [1995] 2 C.F. 581 (1 inst.). La Régie avait donc
compétence, à mon avis, pour s'interroger sur l'identité réelle de l'acheteur qui se
présentait devant elle.
Au surplus, en l'espèce, la Loi autorise expressément la Régie à analyser l'identité des
entreprises engagées dans la mise en marché d'un produit visé par un plan conjoint. En
effet, en vertu de l'article 59, la Régie détermine les droits et les obligations d'une
personne engagée dans la mise en marché du porc en tenant compte du fait que cette
personne « agit par l'entremise [...] [d'une] société dont elle est actionnaire » ou d'une
société qui « procède pour elle à l'opération concernée ».
Finalement, si cela était encore nécessaire pour confirmer la compétence de la Régie, je
rappelle que celle-ci, à l'instar de tout tribunal administratif appelé à trancher un litige ou à
régler un différend, possède non seulement les pouvoirs que la Loi lui confère
expressément mais également tous les pouvoirs qui lui sont raisonnablement
nécessaires à la réalisation de l'objectif visé par la Loi (Chrysler Canada Ltd. c. Canada
(Tribunal de la concurrence), 1992 CanLII 68 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 394, à la page 410).
(Nos soulignements)
[81]
Le principe, qui permet à la Régie d’aller voir au-delà de la façade des sociétés pour
connaître la réalité économique que cette image peut cacher, s’applique non seulement à
l’égard des sociétés et de leurs actionnaires, mais également lorsque des personnes assument
conjointement les risques et les profits d’une aventure commerciale commune. Ce pouvoir n’est
pas limité aux cas où il y aurait usage de prête-nom. Pour paraphraser la Cour d’appel, la
mission de la Régie exige qu'elle connaisse cette réalité économique.
[82]
Les questions importantes posées par le présent dossier sont donc celles posées aux
parties le 31 mars 2015 et qui sont reproduites au paragraphe 6 de la présente.
[83]
Ces questions se posaient alors que la preuve entendue laissait croire que deux
producteurs de lait, Guillaume Pelletier et Ferme Pelletier, exploitaient de façon commune leur
quota. Qu’en est-il vraiment après réception des observations supplémentaires déposées à la
Régie?
[84]
Avant de faire cet examen, la Régie précise que, dans un tel cas, la question du
précédent n’a pas l’importance de celle qu’elle aurait pour une exemption. Il n’y a pas lieu
d’accorder à une personne un statut particulier qui l’exempterait de la réglementation applicable
à tous mais bien de lui appliquer un traitement approprié à la réalité économique de sa situation
particulière quelle que soit l’image qu’un examen superficiel de sa situation pourrait donner.
[85]
Le principe selon lequel la Régie, comme régulateur économique, doit agir en tenant
compte de la réalité économique s’applique en tout temps et n’est pas soumis à une évaluation
de l’impact du précédent comme l’est une demande d’exemption qui, lorsqu’elle est accordée,
doit pouvoir l’être à toutes les personnes qui sont dans une situation identique et qui demandent
une telle exemption.
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[86]
Ceci étant dit, le fardeau de démontrer que les deux fermes ne sont en réalité qu’une
même entreprise repose toutefois sur les épaules des Pelletier.
[87]
La Régie comprend que, selon les PLQ, les deux entreprises sont indépendantes l’une
de l’autre. Deux numéros de producteur, deux adresses différentes, deux inscriptions au LCQ,
deux comptes bancaires, des financements distincts, des vaches et un quota appartenant à
Guillaume Pelletier ou à Ferme Pelletier nommément, etc.
[88]
La Régie partage l’opinion des PLQ. En effet, Guillaume Pelletier s’occupe d’abord de
l’exploitation de son quota comme le font Olivier et Daniel. Ce n’est qu’ensuite que les uns ou
les autres aident l’autre exploitation agricole :
… une fois que Guillaume Pelletier a terminé la traite de son troupeau, il va aider son
frère Olivier et son père Daniel à faire leurs travaux en travaillant tous ensemble. Il a
également précisé que son frère et son père Daniel sont toujours disponibles pour l’aider
quand il a besoin d’eux notamment en cas de maladie, lors du déplacement des vaches,
7
lors des réparations, etc.
[89]
On comprend que cette aide se manifeste particulièrement en cas de maladie ou lors de
situations particulières comme lors de déplacements de vaches ou de réparations etc. Elle se
manifeste également dans le paiement par Ferme Pelletier des frais de vétérinaire de même
que par l’approvisionnement en ensilage de maïs et d’une partie du foin de même que par le
paiement, par Daniel Pelletier, de certaines dépenses encourues par son fils Guillaume et aussi
dans les discussions communes sur la gestion des deux fermes laitières.
[90]
La Régie conclut que l’exploitation des deux quotas est faite par des personnes
différentes même si le niveau d’entraide entre les deux entreprises est très élevé.
[91]
Il n’y a donc pas lieu de conclure que la réalité de la production des quotas de Ferme
Pelletier et de Guillaume Pelletier est différente de ce qu’elle semble être, soit l’exploitation de
deux quotas de lait par deux producteurs, d’un côté, Ferme Pelletier et de l’autre, Guillaume
Pelletier.
[92]
Les demandeurs n’ont pas démontré être dans une situation exceptionnelle qui justifiait
une exemption à l’interdiction de fusion de quotas ni démontré qu’ils exploitaient de façon
commune leur quota et que cette situation de fait justifiait la Régie, pour respecter l’esprit du
Règlement, de déclarer commune leur exploitation des quotas et par voie de conséquence
l’amalgame de ceux-ci.
[93]
Par ailleurs, même si les faits avaient justifié la Régie d’amalgamer les deux quotas, il
aurait fallu tenir compte de la quantité de quota obtenue de manière inéquitable par rapport aux
autres producteurs qui n’ont qu’un seul accès au SCVQ et qui n’auraient pas eu droit à la
priorité de quota accordée aux nouveaux producteurs en 2008 ni à deux prêts d’aide à la relève
et réduire d’autant la somme des deux quotas.
7
Observations additionnelles des demandeurs, paragraphes 22 et 23.
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POUR CES MOTIFS, LA RÉGIE DES MARCHÉS AGRICOLES ET ALIMENTAIRES DU
QUÉBEC :
REJETTE la demande de fusion des quotas de lait de Ferme Pelletier Holstein inc. et de
Guillaume Pelletier.
(s) France Dionne
(s) Daniel Diorio

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