chapitre 10 - Les Éditions L`Arbre de vie

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chapitre 10 - Les Éditions L`Arbre de vie
CHAPITRE 10
Le Vinland
Vinland, qui en français veut dire terre de vignes,
est le nom donné par les Vikings du Groenland à
une grande terre située au sud-ouest de leur île. Son
emplacement fait encore débat. Des historiens le
placent dans le Maine, d’autres dans la vallée du
Saint-Laurent. À la lumière des récits laissés par les
explorateurs scandinaves et des noms qu’ils ont donnés
aux lieux qu’ils ont fréquentés, nous allons tenter de
situer le Vinland.
Les Vikings au Canada
En 985, un marin norvégien du nom de Bjarni
Herjolfsson se rendit en Islande visiter son père.
Arrivé à destination, il apprend que ce dernier avait
quitté le pays avec Érik le Rouge et qu’il s’était établi
au Groenland. Bjarni Herjolfsson reprit la mer pour
le Groenland, mais son navire fut dévié à l’ouest par
une tempête. Il aperçut alors une grande terre peuplée
d’arbres, mais n’y fit pas escale.
En se basant sur le récit du Norvégien, le fils
d’Érik le Rouge, Leif Eriksson, entreprit vers l’an 1000
d’explorer ces nouvelles terres qu’il nomma Helluland,
Markland et Vinland. Helluland ou terre de pierres
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plates correspond à l’île de Baffin. Markland s’applique
au Labrador et à Terre-Neuve et veut dire terre de forêts,
ainsi nommée en raison de la forêt boréale canadienne
qui se déploie sur ces deux régions. Vinland, nous le
savons, signifie terre de vignes.
Selon les sagas islandaises, Leif Eriksson ne passa
qu’un hiver au Vinland. Dès le printemps, il retourna au
Groenland, ses navires pleins à ras bord de vignes et de
bois. Quelques années plus tard, en 1010, un Islandais
du nom de Thorfinn Karlsefni prit la tête d’une petite
expédition à laquelle participèrent 160 personnes. Le
groupe de colons quitta le Groenland avec la ferme
intention de s’installer à demeure sur les terres initiale­
ment explorées par le fils d’Érik le Rouge.
L’Anse aux Meadows
Avant de quitter le Groenland, les colons norvégiens
demandèrent à Leif Eriksson de leur faire don de sa
maison au Vinland. Ce dernier leur répondit qu’il
consentait à leur prêter, mais qu’il ne désirait pas s’en
départir. Il y avait donc au Vinland une habitation
pouvant accueillir les Vikings groenlandais. Or en
1960, des Norvégiens découvrirent, à la pointe de la
péninsule Northern sur l’île de Terre-Neuve, un site de
peuplement viking composé d’environ huit bâtiments
dont des maisons couvertes de tourbe, une forge et
quatre ateliers. Était-ce à cet endroit que Leif Eriksson
construisit sa maison? C’est possible.
Aujourd’hui appelé l’Anse aux Maedows, le site
a sûrement dû servir de base aux colons norvégiens
de la deuxième expédition. Mais nous pouvons aussi
envisager qu’ils ne résistèrent pas longtemps au désir
de remonter le fleuve qui s’offrait à eux et qu’ils le
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parcoururent dans sa totalité puisque nous avons
retrouvé leurs traces jusqu’en Ontario.
Le Vinland
Le Vinland était-il une région ou un simple campe­
ment comme les historiens l’ont tout d’abord cru? C’est
ce que nous allons tenter de découvrir en nous fiant
une fois de plus aux noms des lieux. Nous l’avons dit
plus haut, les Vikings étaient des navigateurs aguerris.
Aucun fleuve, aucune rivière ne leur résistaient. Et
nous avons tout lieu de croire que durant leurs années
passées au Vinland ils ne restèrent pas inactifs.
Découvrons d’abord à quelle région correspond
le Vinland. L’appellation fut donnée par les Vikings
à un territoire où la vigne poussait en abondance. Or,
grâce aux écrits de Jacques Cartier et de Samuel de
Champlain, nous savons que les rives et les îles du
Saint-Laurent – de Québec à Montréal – regorgeaient
de vignes. Des vignes sauvages, appelées vignes des
rivages ou vitis riparia qui, selon les archéologues,
poussaient également au Nouveau-Brunswick, dans la
baie des Chaleurs. Voyons ce que les deux navigateurs
français ont écrit à ce sujet.
L’île de Bacchus
En 1535-1536, à l’occasion de son second voyage,
Jacques Cartier nota ses rencontres et ses impressions
dans un ouvrage intitulé Relation originale de Jacques
Cartier. Lors de sa remontée du Saint-Laurent,
l’explorateur fut particulièrement impressionné par la
diversité des arbres ainsi que par la profusion de vignes
qui croissaient sur l’île d’Orléans. À tel point qu’il pensa
donner à l’île le nom de Bacchus, en l’honneur du dieu
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romain du vin. Ancrée dans le Saint-Laurent, face à la
ville de Québec, l’île fut finalement baptisée Orléans
en l’honneur du duc d’Orléans, fils du roi de France,
François 1er.
Durant ce même voyage alors qu’il se dirigeait vers
Hochelaga (Montréal), Jacques Cartier écrivit que non
seulement les terres des deux rives du Saint-Laurent
étaient belles et bonnes, mais qu’elles débordaient de
vignes et que ces vignes étaient chargées de gros raisins.30
Champlain et les vignes
En 1608, quand Samuel de Champlain prit posses­
sion de Québec, il fit construire une habitation sur le
promontoire du cap Diamant où il y avait, écrivit-il,
profusion d’arbres et de vignes. Plus tard, à l’occasion
d’un voyage vers Montréal, Champlain découvrit avec
étonnement le grand nombre d’îles du lac Saint-Pierre
et nota la « quantité de vignes sur le bord desdites îles;
mais quand les eaux sont grandes, la plupart d’entre
elles sont couvertes d’eau; et ce pays est encore meilleur
qu’aucun autre que j’eusse vu ».31
Il est donc vraisemblable que les Vikings, séduits
par l’abondance de la végétation de cette région, lui
aient donné le nom de Vinland. Comme ils demeurèrent
quelques années dans l’est du Canada, Vinland désigna
aussi bien leurs colonies que tout l’est du pays.
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30
1535-1536 — Relation originale de Jacques Cartier :
canadachannel.ca/HCO/index.php/1535-36_-_Relation_
originale_de_Jacques_Cartier
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CHAMPLAIN, Des Sauvages, texte établi, présenté et annoté
par BEAULIEU Alain et OUELLET Réal, Montréal, Éditions
Typo, 1993, p. 138.
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Les colonies vikings
Dans la Saga d’Érik le Rouge, il est fait mention
de deux colonies implantées au Vinland, Straumfjord
et Hope. Nous allons tenter de les retracer à partir de
leurs noms respectifs et de ce qui nous est révélé à leur
sujet dans les Sagas du Vinland.
Straumfjord
La première colonie se nomme Straumfjord. Nous
avons compris qu’il existait un fjord à proximité de leur
campement et pas n’importe lequel puisqu’il s’agissait
d’un fjord environné d’un fort courant d’eau. En vieux
norrois, straum signifie courant.
Il n’existe pas de fjord près de l’Anse aux Maedows,
à l’exception de celui situé en eau douce dans le Parc
national du Gros-Morne. Par contre, la côte sud de TerreNeuve, entre Port-aux-Basques et la péninsule de Burin,
abrite un grand nombre de fjords. Et à proximité de la
péninsule de Burin se croisent deux grands courants, le
Courant du Labrador et le Gulf Stream.
Nous pourrions présumer que les Vikings instal­
lèrent une de leurs bases dans cette région, ce qui leur
permettait d’explorer à la fois les rives du Saint-Laurent
et la côte est des États-Unis. Toutefois à cette hauteur les
vignes ne poussent pas. Mais les Vikings qui n’aiment
rien tant que les voies maritimes eurent tout le loisir
d’explorer leur environnement à commencer par le
Nouveau-Brunswick où, dans la baie des Chaleurs,
crois­saient de grandes quantités de vignes sauvages.
Hope, la seconde colonie
Dans la Saga d’Érik le Rouge, il est mentionné
que le chef de l’expédition Karlsefni, accompagné de
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ses hommes, navigua jusqu’à un estuaire et nomma
l’endroit Hope. Or, selon les traducteurs des Sagas du
Vinland, Hope veut dire Tidal Lake ou, en français, lac
des marées. Qui pourrait bien être le lac Saint-Pierre.
Le lieu du deuxième emplacement repose sur des
indices intéressants, à savoir la position de l’estuaire, le
lac Saint-Pierre et ses vignes ainsi que le nom d’origine
norroise de Québec.
Le lac Saint-Pierre
D’abord un mot sur l’estuaire du Saint-Laurent
qui est l’endroit où se mélangent les eaux douces
et les eaux salées et qui s’étend du lac Saint-Pierre à
Pointe-des-Monts, là où le fleuve s’élargit. Tenons pour
acquis que les Vikings s’engagèrent dans l’estuaire du
Saint-Laurent jusqu’au lac Saint-Pierre, un lac animé
par les marées du fleuve. Nous retrouvons ici le lac
des marées (Tidal Lake) dont parlent les Sagas du
Vinland. Rappelons que Champlain fut agréablement
surpris par le grand nombre de vignes qui couvraient
les abords des îles du lac Saint-Pierre. Des vignes qui,
comme il le soulignait, disparaissaient sous l’eau dès
que les marées se manifestaient.
Outre le fait que l’île d’Orléans regorgeait de vignes
ainsi que toutes les îles du lac Saint-Pierre, ce qui nous
amène à penser que les Vikings du Groenland passèrent
un certain temps dans cette région est le nom qu’ils
donnèrent à un lieu depuis toujours très fréquenté,
Québec.
Québec
Le nom de Québec est d’inspiration norroise et
non pas amérindienne. Un fait qui se vérifie dans la
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toponymie de la Normandie, une région française
colonisée au IXe siècle par les Vikings. Leur influence
dans le pays normand se manifeste notamment dans
les noms des villes et des villages dont ceux qui se
terminent en bec.
Bec découle du mot bekkr qui, en vieux norrois,
désigne un cours d’eau. À titre d’exemple, mentionnons
Bricquebec, Bec, Orbec et Robec respectivement ville,
village, commune et rivière de Normandie. D’autres noms
en bec figurent au patrimoine normand tels que Houlbec,
Trottebec, Fulebec, Hirebec, Dambec, Brébec.
Québec découle de deux mots norrois kjerr et
bekkr. Bekkr nous l’avons vu signifie cours d’eau. Or,
il existe à Québec une rivière qui prend sa source
dans le lac Saint-Charles et qui se jette dans le fleuve
Saint-Laurent. Les Vikings ont sans doute remonté la
rivière Saint-Charles jusqu’au lac du même nom où ils
découvrirent un marais habité par une faune et une
flore exceptionnelles, d’où le mot kjerr qui devint ké.
Kjerr signifie sol humide et par extension marais. La
traduction du nom Québec serait la suivante : le cours
d’eau qui mène au marais.
Québec et Kebik
Qui donna ou redonna le nom de Québec à la
capitale de la province? Probablement les Innus qui
portent également le nom de Kebik. Installés aux
avant-postes sur la côte nord du Saint-Laurent, ils
entretinrent sans doute des relations suivies avec les
colons groenlandais.
Rappelons-nous qu’en 1534 lorsque Jacques Cartier
remonta le Saint-Laurent, Québec était habité par les
Iroquois qui avaient nommé leur village Stadaconé.
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En 1608, quand Champlain fonda Québec, les Iroquois
avaient quitté Stadaconé. Champlain n’a toutefois pas
nommé Québec.
Les toponymes norrois
Les Vikings ou leurs descendants ont navigué
jusqu’aux Grands Lacs. C’est ce que tend à démontrer
une récente découverte faite à proximité du lac Nipigon
situé à l’extrême ouest de la province : « En Ontario,
en 1931, à Beardmore, non loin du lac Nipigon, un
employé ferroviaire qui occupait ses temps libres à
la prospection, met à jour une épée, une hache et un
crochet que les spécialistes identifient comme des objets
d’origine viking. Plus récemment, dans la baie d’Ungava,
sur le territoire du Nouveau-Québec, des archéologues
ont identifié des sites d’occupation européenne
correspondant aussi à l’époque normande. »32
Soulignons enfin que les racines de la ville de
Toronto, tor, découlent du mot thorp qui en vieux
norrois veut dire hameau.
Le Maine
Il existe dans le Maine, un État américain voisin
du Nouveau-Brunswick, une grande rivière de 240 km
qui se jette dans l’océan dont le nom est Kennebec. Une
fois de plus le bekkr des Scandinaves revient. Non loin
de là, on a retrouvé une pièce de monnaie à l’effigie du
roi Olaf III de Norvège (1050-1093) qu’on a appelée le
Norse Coin du Maine. Ce qui signifie que les Vikings
continuèrent leur exploration du continent même après
avoir officiellement quitté le Vinland.
32 LACOURSIÈRE Jacques, Histoire populaire du Québec, Des
origines à 1791, Sillery, Les éditions du Septentrion, 1995, p. 11.
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Le Mexique
Enfin Rio Bec, un nom étrange pour un site dé­cou­
vert au Mexique sur le territoire des Mayas. Dé­com­
posons d’abord le nom. Rio peut provenir des lan­gues
portugaise ou espagnole, mais aussi de langues amérin­
diennes. Par exemple, Onta-rio est d’origine iroquoise
et signifie beau lac. Quelle que soit la langue, rio parle
d’eau.
Il en est de même pour Bec ou bekkr qui, nous le
savons, signifie cours d’eau. Grâce à la deuxième partie
du nom, nous pouvons dire que des Scandinaves sont
descendus jusque dans le golfe du Mexique. Et il semble
avoir été nombreux à s’y rendre compte tenu du grand
nombre de monuments érigés sur ce site, des monuments
à l’architecture fort distincte de celle des Mayas.
Le départ
Au début de leur séjour, les Vikings entretinrent
des relations cordiales avec ceux qu’ils nommèrent les
Skrælings, mais avec le temps ces relations s’enveni­
mèrent. Leur vie dans cette région du monde fut beau­
coup plus compliquée que dans leur grande île de
l’Arctique où ils vivaient en autarcie sans apport exté­
rieur, sauf celui des navires en provenance d’Islande
ou de Norvège. Quand ils mirent les pieds au Labrador,
à Terre-Neuve et sur les rives du Saint-Laurent, ils
pénétrèrent dans les terres des Tunits, des Innus, des
Béothuks et des Micmacs.
En butte à l’hostilité des Amérindiens, les
Groenlandais quittèrent le Vinland quand le fils de
Thorfinn Karlsefni, né au Vinland, eut trois ans. Leurs
descendants continuèrent leur exploration de la région.
Des archéologues ont, en effet, retrouvé des objets
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vikings sur des sites inuits et amérindiens datant de
1100 à 1200.
Le Vinland, les sources
Outre les sagas islandaises dont nous avons parlé
plus haut, il existe d’autres documents faisant état du
Vinland. Au XIe siècle, un chanoine géographe du nom
d’Adam de Brême, originaire d’Allemagne, rapporta
dans son livre Description des îles septentrionales qu’il
avait reçu des confidences du roi Svein II du Danemark
au sujet d’une île dans l’océan appelée Vinland où
croissait des vignes et du blé sauvage. Le Vinland est
également mentionné dans plusieurs ouvrages islandais
dont l’Islendingabók rédigé entre 1122 et 1133 par
le prêtre historien Ari Thorgilsson. Ces annales font
état de la colonisation du Groenland par des colons
norvégiens et de leur découverte du Vinland.
Il est vrai que peu de personnes eurent accès à
ces sources. Retenons toutefois que le Vinland, situé
au nord-est du continent américain, n’était pas un
lieu inconnu des souverains d’Europe et de l’Église de
Rome. Par conséquent, les terres explorées 500 ans plus
tard par Christophe Colomb étaient loin de leur être
étrangères.
La Carte du Vinland
Contestée par les chercheurs, la Carte du Vinland
aurait été réalisée au XIIIe siècle. L’intérêt de cette carte
réside dans le fait qu’elle nous fait voir le Groenland
ainsi que la partie nord-est du continent américain. Le
tracé du territoire est minimaliste à l’exception de deux
importants cours d’eau qui pénètrent à l’intérieur des
terres du continent.
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Le premier cours d’eau pourrait être le fleuve
Churchill. Situé au Labrador, le fleuve prenait jadis sa
source dans une multitude de lacs nettement illustrés
sur la carte. Cette région, constituée de marécages et
de lacs, a aujourd’hui été convertie en un immense
réservoir d’eau douce. Le second serait le fleuve SaintLaurent, plus large que le fleuve Churchill. Ceux qui
dessinèrent la carte ne connaissaient toutefois pas la
source du fleuve, à savoir les Grands Lacs.
La carte originale a été perdue. Mais une copie,
réalisée à partir de l’originale et datée du XVe siècle,
est conservée à la bibliothèque de l’Université Yale
(Connecticut). Ce document attesterait que les Euro­
péens connaissaient l’existence du continent américain
et les voyages des Vikings au XIe siècle sur ces terres.33
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Carte du Vinland : fr.wikipedia.org/wiki/Carte_du_Vinland
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