L`indemnisation automatique des victimes d`accidents de la
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L`indemnisation automatique des victimes d`accidents de la
RGAR_10_2004.fm Page 31 Monday, December 20, 2004 2:59 PM Indemnisation des usagers faibles — F.322/3 page Indemnisation des usagers faibles — WEGGEF.322/3 VERGOEDING VAN ZWAKKE BRUIKERS — VERKEERSONGEVAL IN BOSNIË — SLECHTS ÉÉN BETROKKEN VOERTUIG MET BELGISCHE NUMMERPLAAT — GEWONDE PASSAGIER MET DE BELGISCHE NATIONALITEIT — TOEPASSING VAN HET VERDRAG VAN DEN HAAG VAN 4 MEI 1971 — BELGISCH RECHT VAN TOEPASSING INDEMNISATION DES USAGERS FAIBLES DE LA ROUTE — ACCIDENT DE LA CIRCULATION SURVENU EN BOSNIE — IMPLIQUANT UN SEUL VÉHICULE IMMATRICULÉ EN BELGIQUE — PASSAGER BLESSÉ DE NATIONALITÉ BELGE — APPLICATION DE LA CONVENTION DE LA HAYE DU 4 MAI 1971 — DROIT BELGE APPLICABLE. Het Verdrag van Den Haag van 4 mei 1971 inzake de wet welke van toepassing is op verkeersongevallen op de weg bepaalt zowel de wet die van toepassing is op de burgerlijke aansprakelijkheid als deze die van toepassing is op de modaliteiten en de omvang van de schadevergoeding voor een verkeersongeval, ongeacht welke de grondslag is, op voorwaarde dat deze buitencontractueel is. La Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière détermine tant la loi applicable à la responsabilité civile que celle qui est applicable aux modalités et à l’étendue de la réparation des dommages découlant d’un accident de la circulation, quel qu’en soit le fondement, à condition qu’il soit extracontractuel. Het toepassingsgebied van dit Verdrag omvat dus ook de vordering gebaseerd op artikel 29bis van de wet van 21 november 1989 op de verplichte aansprakelijkheidsverzekering voor motorrijtuigen. Le champ d’application de cette Convention englobe dès lors l’action fondée sur l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs. COUR DE CASSATION — 19 MARS 2004 re 1 ch. — Siég. : MM. Parmentier (prés. sect.), Batselé, Fettweis, Plas et Mme Velu (cons.); Min. publ. : M. Werquin (av. gén.); Plaid. : MMes De Bruyn et Simont. — En cause : Etat belge c. M... K... CONCLUSIONS DU MINISTÈRE PUBLIC Le moyen semble ne pouvoir être accueilli. 1. — Qualification de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs. a) Les travaux préparatoires. L’article 47 du projet de loi portant des dispositions sociales, déposé le 9 février 1994, avait pour objectif, notamment, d’améliorer le sort de la victime de lésions corporelles résultant d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule automoteur, victime sur laquelle repose la charge de la preuve de la responsabilité du conducteur du véhicule automoteur et, en particulier, de faciliter la réparation du dommage qu’elle subit (1). (1) Sénat, exposé des motifs, Doc. parl., 980-1, sess. 1993-1994, p. 9. Il tendait à mettre en place un système dans lequel celui qui met en circulation un véhicule automoteur, à savoir le propriétaire ou le détenteur, est responsable pour les lésions corporelles résultant d’un accident dans lequel son véhicule est impliqué sans qu’il soit nécessaire de prouver l’existence d’une faute dans son chef (2). L’article 47 du projet de loi tendait à insérer un nouvel ar ticle, l’ar ticle 1385 bis , au livre III, titre IV, chapitre II, du Code civil, qui traite des délits et des quasi-délits. Cet emplacement était d’autant plus approprié qu’il suit immédiatement l’article 1385, qui établit une présomption de faute dans le chef du propriétaire d’un animal ou de celui qui s’en sert et se rapporte donc notamment à la traction animale (3). (2) Sénat, op. cit., p. 10. (3) Sénat, op. cit., p. 31. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2004) 139411 RGAR_10_2004.fm Page 32 Monday, December 20, 2004 2:59 PM Il fallait avoir égard au risque créé par la mise en circulation d’un véhicule automoteur (4). La logique qui sous-tendait le projet était avant tout d’assurer, en toute circonstance, l’indemnisation des personnes qui, à l’inverse des conducteurs, sont victimes d’une situation qu’elles n’ont pas voulu créer. Ces personnes ne constituent pas ou seulement dans une faible proportion un danger pour les autres usagers de la route. Par contre, le conducteur d’un véhicule met en œuvre une énergie cinétique telle qu’elle crée un risque inéluctable même si ce conducteur fait preuve de toute la prudence voulue (5). Ce texte introduisait une responsabilité objective du fait de la mise en circulation d’un véhicule automoteur, au profit des usagers faibles (6). Etant donné que les dispositions légales proposées concernent l’un des fondements de notre droit, à savoir le dogme de la responsabilité civile, plusieurs membres déplorèrent la procédure consistant à traiter le problème de la responsabilité objective en cas d’accidents de la circulation dans le cadre d’une loi-programme sociale (7). En outre, se posait la question fondamentale, de savoir si l’article 1385bis du Code civil en projet était bien le meilleur moyen de réaliser l’objectif poursuivi (8). Un membre estimait que, le moyen utilisé, à savoir l’article 1385 du Code civil en projet, était disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi. Un autre membre se disait lui aussi défavorable à l’idée de régler le problème de l’indemnisation des usagers vulnérables dans le cadre des dispositions relatives à la responsabilité civile (9). Un membre s’est posé la question de savoir si l’on n’arriverait pas à mieux atteindre notamment l’objectif de l’amélioration de la situation de l’usager vulnérable sans recourir à la notion de « responsabilité objective » (4) Sénat, op. cit., p. 33. (5) Sénat, op. cit., p. 34. (6) Sénat, rapport fait au nom de la commission de la justice par M. Arts, Doc. parl., 980-3 (1993-1994), p. 4. (7) Sénat, op. cit., p. 6. (8) Sénat, op. cit., p. 16. (9) Sénat, op. cit., p. 17. e n p r o p o s a n t l a fo r m u l e a l t e r n a t i ve suivante : « Les dommages résultant des lésions corporelles (...) sont indemnisés par la compagnie d’assurance de celui qui est tenu d’assurer le véhicule qui a causé le dommage ». On passerait ainsi d’un système de responsabilité objective à un système d’indemnisation automatique (10). L’article 1385bis a fait, dès lors, l’objet d’une proposition alternative du ministre qui présentait l’avantage de ne pas prévoir que la responsabilité des conducteurs de véhicules automoteurs était engagée même alors qu’ils n’ont pas commis de faute. Il était difficile, politiquement, de convaincre l’opinion publique de l’équité d’un régime qui rend une personne responsable de dommages dont elle n’est pas fautive. La proposition alternative mettait, au contraire, l’accent sur l’aspect « indemnisation ». L’opinion publique acceptera plus facilement l’idée selon laquelle l’assureur du conducteur dont le véhicule est impliqué dans un accident de la circulation est tenu d’indemniser les dommages corporels encourus par la victime (11). Une majorité se dégageant au sein de la commission en faveur du régime de l’indemnisation obligatoire des usagers vulnérables qui sont victimes d’un accident de la circulation, un amendement visant à intégrer les dispositions nouvelles dans la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs et d’en faire un chapitre intitulé « De l’indemnisation de certaines victimes d’accidents de la circulation » fut adopté (12). S u i v a n t l ’ i n t e n t i o n d u l é g i s l a t e u r, l’article 29 bis de la loi du 21 novembre 1989, ne peut être considéré comme une règle relevant de la responsabilité civile. b) La doctrine. La doctrine s’est divisée sur la question de la qualification de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989. Certains auteurs reconnaissent que cet article se borne à affirmer le droit à indemnisation de la victime protégée à l’égard de l’assureur qui couvre la responsabilité du (10) Sénat, op. cit., pp. 21-22. (11) Sénat, op. cit., p. 24. (12) Sénat, op. cit., pp. 40-42. RGAR_10_2004.fm Page 33 Monday, December 20, 2004 2:59 PM Indemnisation des usagers faibles — F.322/3 page - propriétaire, du détenteur ou du conducteur, sans rien dire de la règle de responsabilité qui justifierait l’intervention de cet assureur (13). D’autres auteurs soutiennent qu’il s’agit d’une assurance de la responsabilité objective de l’assuré résultant de l’implication de son véhicule dans un accident de la circulation, même si le responsable s’efface complètement derrière le véritable débiteur de l’indemnité, c’est-à-dire l’assureur (14). (13) Dubuisson, « Questions diverses : l’application de la loi dans le temps et dans l’espace, le préjudice par répercussion, la situation du conducteur », in « L’indemnisation des usagers faibles de la route », Les dossiers du J.T., 2001, p. 145; Fagnart, « Le Fonds commun de garantie automobile devant la Cour d’arbitrage », Bull. ass. , 2000, p. 661; Frédéricq, « Belgique - Assurance automobile - Protection des piétons et des cyclistes - Une loi révolutionnaire : la loi du 30 mars 1994 », Bull. inform. A.I.D.A., 1994, no 45, pp. 70-71; Bocken et Geers, « De vergoeding van letselschade en schade door overlijden bij verkeersongevallen - Belgisch recht », T.P.R., 1996, pp. 1235 et s., de même que Simoens, « De nieuwe vergoedingsregel ten voordele van voetgangers en fietsers », R.W., 1991-1995, p. 114; du même auteur, « De gewijzigde vergoedingsregel ten voordele van voetgangers, fietsers en passagiers », R.W., 1995-1996, p. 218, selon lesquels il s’agirait d’un système d’assurance de personnes à caractère indemnitaire, du même type que l’assurance des accidents du travail; notons que dans son premier article, Simoens parlait d’une assurance de dommages à caractère indemnitaire et qu’il parle maintenant d’une assurance de personnes à caractère indemnitaire; De Temmerman, « De nieuwe wetgeving inzake vergoeding van bepaalde slachtoffers van verkeersongevallen », in « Nieuwe wetgeving inzake echtscheiding, cessie schuldvordering, medeëigendom, immuniteit bij beslag, politierechtbank, telefoonaftap, vergoeding verkeersslachtoffers - Een eerste commentaar », 205, pp. 207-208. (14) Dubuisson, dans un premier commentaire, « La loi sur l’indemnisation automatique de certaines victimes d’accidents de la circulation ou l’art du “ clairobscur ” », dans L’indemnisation automatique de certaines victimes d’accidents de la circulation, Academia-Bruylant, 1995, p. 16, nos 39 et s.; Fagnart, dans un premier commentaire, « L’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation après la réforme bâclée du 30 mars 1991 », R.G.A.R., 1994, no 12388; R.O. Dalcq, « L’indemnisation des dommages corporels des piétons et des cyclistes », J.T., 1991, pp. 665-672; du même auteur, « La loi du 13 avril 1995 remplaçant l’article 29bis et abrogeant l’article 29ter inséré par la loi du 30 mars 1994 dans la loi du 21 novembre 1989 », R.G.A.R. , 1995, n o 12181; Fontaine, Verzekeringsrecht , 1999, p. 398; Cornelis, « De objectieve aansprakelijkheid voor motorrijtuigen », R.W., 1998-1999, p. 521, qui, s’appuyant sur une conception extensive de la règle de responsabilité civile conçue comme une simple règle d’imputation des coûts liés à la réparation, estime que l’article 29bis contient bien une règle de responsabilité objective, mais que cette règle lie uniquement l’assureur à la victime, sans qu’elle soit Un auteur estime que l’article 29bis serait la source d’une obligation sui generis à laquelle il conviendrait d’appliquer par conséquent toutes les règles de droit commun des obligations (15). c) Jurisprudence de votre Cour. Dans un arrêt du 28 mars 2000, votre Cour a décidé que le juge de police compétent pour connaître uniquement, en tant que juge répressif, des actions civiles fondées sur l’action publique, est incompétent pour connaître de l’action fondée sur l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs. Votre Cour a considéré, notamment, que la compétence en matière civile du juge de police, saisi en vertu de l’article 138bis, 6o, du Code d’instruction criminelle, demeure limitée à l’action civile fondée sur les infractions visées à cet article et à l’intervention de l’assureur ou du Fonds commun de garantie automobile fondée sur cette action, que la recevabilité de ces interventions devant le juge pénal est subordonnée à l’existence d’un lien quelconque avec l’appréciation de la faute, qui est à l’origine des actions publique et civile exercées contre le prévenu et que l’obligation d’indemniser les lésions corporelles ou le décès, imposée par l’article 29bis, alinéa 1er, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs à l’assureur couvrant la responsabilité du propriétaire, du conducteur ou du détenteur du véhicule automoteur impliqué dans un accident de la circulation, ne présente aucun lien avec une faute quelconque de l’assuré (16). Dans ses conclusions précédant l’arrêt précité, M. le procureur général du Jardin avait dit en substance, notamment, que la soutenue par une dette de responsabilité propre à l’assuré; l’assureur serait donc responsable objectivement par le fait même qu’il exerce une activité d’assurance, et c’est à ce titre uniquement qu’il serait obligé à la réparation des dommages; Tuerlinckx, « Artikel 29bis W.A.M.-wet : toepassing in de praktijk na de wetswijziging van 13 april 1995 », T.P.R. , 1996, p. 8, nos 4 et 5. (15) Schoorens, « Verkeersongevallen met “ zwakke weggebruikers ”; het nieuwe vergoedingssysteem van artikel 29bis W.A.M.-wet - Het kwalificatieprobleem », R.G.A.R., 1995, no 12.443. (16) R.G. P.99.0274.N, no 206. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2004) 139412 RGAR_10_2004.fm Page 34 Monday, December 20, 2004 2:59 PM demande d’indemnisation fondée sur l’article 29bis a un caractère spécifique... Le système classique de la responsabilité du chef d’une faute est remplacé dans les cas prévus par la loi par un système ou une technique d’indemnisation automatique. On peut parler d’indemnisation automatique parce que la question de la faute du propriétaire, conducteur ou détenteur du véhicule impliqué dans l’accident, ne se pose pas. Le régime d’indemnisation élaboré par l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 n’est dès lors pas fondé sur la constatation d’une quelconque responsabilité, de sorte que l’absence de responsabilité dans le chef de l’assuré est sans influence sur l’obligation d’indemnisation par son assureur. Dans le cadre de l’article 29bis, la victime doit uniquement apporter la preuve de ses lésions physiques, de « l’implication » du véhicule de l’assuré dans un accident du roulage et du lien de causalité entre l’accident et le dommage physique. Si ces conditions sont remplies, l’assureur du véhicule « impliqué » dans l’accident de la circulation est tenu d’indemniser sur la base d’une obligation légale d’indemnisation. En instaurant la règle spéciale de l’article 29bis et sans toucher au droit de la responsabilité, le législateur a voulu régler de manière différente le droit à l’indemnisation de la soi-disant victime faible. Le système d’indemnisation de la « victime faible » se présente dès lors comme une technique d’indemnisation qui complète le système légal de l’assurance de la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs, qui reste néanmoins applicable. Le législateur a même jugé utile de rappeler que les règles de la responsabilité civile restent d’application « pour tout ce qui n’est pas régi expressément » (art. 29bis, § 5). Dans un arrêt du 21 juin 2000, votre Cour a considéré que l’obligation d’indemnisation instituée par l’ar ticle 29 bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière d e v é h i c u l e s a u t o m o t e u r s ex i s t e e n l’absence de preuve d’une responsabilité quelconque de l’assuré et n’est pas fondée sur une infraction commise par celui-ci (17). (17) R.G. P.00.0368.F, no 388; 12 décembre 2001, R.G. P.01.1236.F, n o 695, 29 mai 2002, R.G. 2. — Application de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière. Le jugement attaqué constate qu’il s’agit d’un accident impliquant un unique véhicule, immatriculé en Belgique, conduit par un Belge, ayant à son bord deux passagers belges et circulant sur un territoire étranger, à savoir la Bosnie. Suivant le rappor t explicatif de M e Eric W. Essen (18), le champ d’application de la Convention est de déterminer la loi applicable à la responsabilité civile extracontractuelle découlant d’un accident de la circulation routière, quelle que soit la nature de la juridiction appelée à en connaître. La Convention n’a trait qu’à la loi applicable à la responsabilité civile, par opposition à la responsabilité pénale. La Convention ne s’applique qu’à la responsabilité extracontractuelle. Le terme utilisé signifie que la Convention couvre dans son domaine non seulement la responsabilité civile qu’encourt une personne pour tout dommage qu’elle cause à autrui par sa faute, sa négligence ou son imprudence, mais également la responsabilité fondée sur le risque. C’est ainsi que lorsque l’article 4, alinéas a et b, qui déterminent les cas de dérogation à la règle de l’application de la loi interne de l’Etat sur le territoire duquel l’accident est survenu, se réfère à des véhicules ou à des personnes impliquées dans l’accident, le P.02.0323.F, no 326; voy. aussi 8 octobre 2002, R.G. P.01.0999.N, no 511 qui a considéré que, lorsque la victime, sur la base de l’article 29bis a demandé et obtenu réparation de l’assureur d’un conducteur impliqué dans un accident, elle peut sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil, demander réparation à l’assureur du conducteur responsable de l’accident du dommage non encore indemnisé relatif à un même poste de dommage; dans un arrêt du 23 janvier 2002, Bull. Ass., 2002, p. 251, la Cour d’arbitrage a estimé que l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 organisait un système de responsabilité objective des conducteurs de véhicules automoteurs dérogatoire au droit commun de la respons ab i l i t é c i v i l e , l e c on d u c t eu r d ’ u n v é h i c u l e automoteur impliqué dans un accident ne pouvant pas s’exonérer de son obligation de réparation des dommages corporels subis par les victimes en invoquant l’absence de faute dans son chef. (18) Conférence de La Haye de droit international privé, « Actes et documents de la 11e session », 7 au 26 octobre 1968, t. III, Accidents de la circulation routière, 1970, p. 200. RGAR_10_2004.fm Page 35 Monday, December 20, 2004 2:59 PM Indemnisation des usagers faibles — F.322/3 page - terme « impliqué » est pris dans son sens neutre, objectif; dans ce sens, un véhicule impliqué dans l’accident est un véhicule « inclus dans l’accident », « concerné par l’accident », « ayant pris part à l’accident » ou « y ayant joué un rôle » — dès lors que la « responsabilité d’un véhicule » est dans certaines lois une responsabilité objective et qu’en cas de collision, on ne peut pas savoir si la responsabilité d’un véhicule peut être mise en cause avant d’avoir consulté la loi applicable établissant par exemple une responsabilité objective. Suivant le rapport explicatif, comme la Convention se limite à la responsabilité extracontractuelle, le problème de la qualification surgit. La Conférence n’a pas estimé utile d’inclure une règle à cet effet dans la Convention; par conséquent, c’est aux règles générales de conflits de chacun des Etats contractants de s’appliquer à cet égard et dans la plupart des cas, la qualification se fera donc selon la loi du for. Bien que le terme « responsabilité » soit utilisé dans l’article 1er, il ne semble pas, en lui-même, exprimer une exigence particulière. En effet, le but des rédacteurs était d’élaborer des règles de conflits destinées à tous les litiges portant sur l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, quel que soit le contenu des lois en cause (19). Sa présence s’explique surtout pour deux motifs. Le premier provient du contexte juridique des travaux de la Conférence de La Haye : à l’époque, toutes les législations faisaient appel aux règles classiques de responsabilité et aucune n’avait encore instauré dans le domaine des accidents de circulation un véritable mécanisme d’indemnisation de plein droit. Puisque la responsabilité servait universellement de fondement au dro it à ré parat ion , le s réd act eurs n’avaient certainement envisagé aucune restriction en usant de ce terme. En fait et c’est le second motif s’ils ont employé ce nom dans le groupe de mots : « responsabilité civile extracontractuelle », c’est avant tout pour qu’il tienne lieu de support aux deux épithètes qui imposent incontestablement des conditions bien précises. La première épithète révèle que la convention (19) Légier, « Sources extracontractuelles des obligations, Conventions internationales », 1993, J.C.P., « Droit international », fasc. 553-3, p. 6. n’englobe pas la responsabilité pénale et l’autre écarte tous les problèmes de responsabilité liés à un contrat. Hormis ces deux réserves, les règles que les rédacteurs ont élaborées avaient sans doute dans leur esprit une portée générale et devaient, dans un but évident d’uniformité, s’appliquer indépendamment des différences de fondement, quand bien même serait-il indemnitaire, que peuvent adopter les lois étatiques (20). Tant que les accidents de la circulation routière étaient soumis au droit commun des articles 1382 et suivants du Code civil, textes de responsabilité délictuelle et quasi délictuelle, aucune difficulté ne pouvait s’élever : les règles belges internes avaient indubitablement la nature de celles que vise la Convention. Mais, à partir du jour où l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 est devenu le droit positif, on peut se demander si cette identité de nature existe encore, dès lors que cet article crée un système d’indemnisation automatique, éloigné de toute idée de responsabilité. Sur le fondement d’une conception large de la notion de la responsabilité civile extracontractuelle, ne pourrait-on pas dire que la Convention de La Haye régit l’application dans l’espace de toute règle de droit matériel dont l’objet est d’organiser la réparation des dommages résultant des accidents de la circulation et d’en distribuer les coûts entre les personnes qui créent ce risque? Il ne semble pas qu’une telle opinion heurterait le texte ou l’esprit de la Convention tel qu’il transparaît dans le rapport explicatif. Pour éviter toute difficulté de qualification de textes d’inspiration pourtant identique faisant l’objet de qualifications différentes, il paraît préférable d’universaliser la catégorie de rattachement de façon à ce qu’elle puisse englober des règles dont la structure est certes différente, mais dont l’objectif est identique, à savoir la réparation des dommages résultant de la mise en circulation des véhicules automoteurs (21). (20) Légier, note sous Cass. fr. 1re ch. civ., 4 février 1992, Dall., 1993, juris., p. 13. (21) Dubuisson, « Questions diverses : l’application de la loi dans le temps et dans l’espace, le préjudice par répercussion, la situation du conducteur », in « L’indemnisation des usagers faibles de la route », Les dossiers du J.T., 2001, pp. 148-149. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2004) 139413 RGAR_10_2004.fm Page 36 Monday, December 20, 2004 2:59 PM Raisonner autrement porterait atteinte à la raison d’être de la Convention entrée dans la sphère juridique belge. Ses auteurs ont voulu instituer des règles destinées à désigner le droit compétent pour toutes les hypothèses dans lesquelles la victime d’un accident de circulation, tel que défini dans l’article 1er, réclame une indemnité au conducteur ou gardien du véhicule impliqué. La Convention a une vocation générale à régler les conflits s’élevant sur ces questions et ne plus s’y référer lorsque les plaideurs sont belges la priverait d’une grande partie de son efficacité. C’est en ce sens que s’est prononcée la Cour de cassation de France dans un arrêt du 4 février 1992 en considérant que la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière détermine tant la loi applicable à la responsabilité civile que celle applicable aux modalités et à l’étendue de la réparation, quel qu’en soit le fondement, à condition qu’il soit extracontractuel (22). La Cour de cassation de France s’est prononcée de la sorte dans le cadre de l’application de la loi française du 5 juillet 1985 qui compor te trois groupes de raison qui feraient sortir cette loi du domaine de la responsabilité et donc l’affranchiraient de tout lien avec la Convention de La Haye. En premier lieu, les ter mes mêmes de la loi seraient révélateurs : ni dans son intitulé ni dans ses dispositions relatives aux conditions de la réparation, elle ne fait état de responsabilité ou de responsable. En revanche, elle parle de droit à indemnisation et désigne, non un responsable, mais celui qui doit indemniser, c’est-à-dire l’assureur du véhicule impliqué. En second lieu, l’article 2, qui interdit au conducteur ou gardien du véhicule d’opposer aux victimes la force majeure est une disposition notable qui paraît bien délier le droit à indemnisation de toute idée de causalité. En troisième lieu, l’implication, notion clé introduite par le législateur dans le but d’éviter les discussions délicates à propos du rapport causal, semble se distinguer de la causalité dite « classique » (23). (22) Dall., 1993, jurisp., p. 13. (23) Légier, op. cit., p. 14; voy. aussi, Larroumet, « L’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation : l’amalgame de la responsabilité civile et de l’indemnisation automatique », Dall. , 1985, Par ailleurs, l’article 2 de la Convention énumère six groupes de questions qui sont exclues du domaine de la Convention. Elles se justifient pour des raisons diverses, mais on peut distinguer deux types de motivations. Le premier groupe englobe une série de responsabilités particulières qui pouvaient entrer dans le champ de la Convention mais qu’il a été préférable d’écarter, en raison des problèmes propres qu’elles posent. L’autre rassemble des matières qui, de toute manière, n’appartiennent pas au domaine de la responsabilité et s’intègrent plutôt au droit des assurances ou de la sécurité sociale. Néanmoins, comme elles ont quand même un lien avec le droit de la responsabilité, les rédacteurs de la Convention, soucieux d’éviter toute discussion sur ce point, ont tenu à formuler explicitement leur exclusion (24). Dans le premier groupe, l’exclusion vise la responsabilité des fabricants, vendeurs et réparateurs de véhicules, la responsabilité du propriétaire de la voie et de la personne chargée de son entretien ou de la sécurité des usagers, la responsabilité du fait d’autrui, sauf celle du propriétaire du véhicule et celle du commettant, les recours entre personnes responsables. Dans le second groupe, l’exclusion vise les recours et les subrogations concernant les assureurs, les organismes de sécurité sociale et les fonds de garantie. Ces matières exclues dans les articles 2-5 et 2-6 ont pour caractère commun d’être situées à l’extérieur du droit de la responsabilité. Tel est ainsi le cas des recours et subrogation concernant les assureurs. Ces actions dépendent souvent d’une loi autre que la lex loci delicti . Quant au recours exercé par un assureur de responchron., 237; Groutel, « Le fondement de la réparation instituée par la loi du 5 juillet 1985 », J.C.P., 1986, I, 3244; « L’implication du véhicule dans la loi du 5 juillet 1985 », Dall., 1987, chron., p. 1; Wiederkher, « De la loi du 5 juillet 1985 et de son caractère autonome », Dall. , 1986, chron., p. 255; Viney, « Réflexions après quelques mois d’application des articles 1er à 6 de la loi du 5 juillet 1985 modifiant le droit à indemnisation des victimes d’accidents de la circulation », Dall., 1986, chron., 209; Bigot, « Les trois lectures de la loi Badinter », J.C.P., 1987, I, 3278; Chartier, « Accidents de la circulation », no spéc. Rec. Dalloz, 1986; Chabas, Le droit des accidents de la circulation, 2e éd., 1988; Legeais, Circulation routière - L’indemnisation des victimes d’accidents, 1986. (24) Voy. 19, p. 7. RGAR_10_2004.fm Page 37 Monday, December 20, 2004 2:59 PM Indemnisation des usagers faibles — F.322/3 page - sabilité contre un coauteur ou l’assureur de celui-ci, l’exclusion s’imposait d’autant plus que la Convention avait déjà écarté les recours entre coauteurs eux-mêmes : il devait donc en être de même pour les recours concernant leurs assureurs. En revanche, l’action directe contre un assureur, intimement liée à la mise en œuvre des règles de responsabilité, entre dans le domaine de la Convention, qui contient à son sujet des règles spécifiques (art. 9) (25). 3. — Conclusions. L’article 29 bis de la loi du 21 novembre 1989 créant un système d’indemnisation automatique des lésions physiques des victimes d’accidents de la circulation, détaché de toute idée d’une responsabilité quelconque du conducteur ou détenteur impliqué dans l’accident, le jugement attaqué ne décide pas légalement que cet article contient une règle de responsabilité. Cependant, le jugement attaqué justifie légalement sa décision que l’article 4, a , de la Convention de La Haye du 4 mai 1971, qui prévoit l’application de la loi interne de l’Etat d’immatriculation, à savoir la loi belge, en l’espèce l’article 29 bis précité, trouve à s’appliquer, dès lors que cette Convention détermine tant la loi applicable à la responsabilité civile que celle applicable aux systèmes qui accordent à la victime d’un accident de la circulation un droit à l’indemnisation du préjudice subi indépendant de toute responsabilité à condition qu’il soit extracontractuel et que l’article 2.5 de la Convention ne vise pas l’action ou le recours de la victime contre un assureur. III. — Le moyen de cassation Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants : Dispositions légales violées — articles 1er, 2.5, 3 et 4, a de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière, approuvée par la loi du 10 février 1975; — article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs, tel qu’il a été inséré par la loi du 30 mars 1994 et modifié par la loi du 13 avril 1995; — articles 3, alinéa 1er, 1382, 1383 et 1384, alinéa 3, du Code civil. Décisions et motifs critiqués Le jugement attaqué, confirmant sur ce point le jugement dont appel, a estimé qu’il y avait lieu d’appliquer en l’espèce non pas l’article 3, alinéa 1er, du Code civil consacrant l’applicabilité des lois de police du lieu de l’accident mais l’article 4, a, de la Convention de La Haye relative à la loi applicable en matière d’accidents de la circulation qui prévoit qu’il faut appliquer à la responsabilité du conducteur du (seul) véhicule impliqué dans l’accident la loi de l’Etat d’immatriculation, soit en l’occurrence l’article 29bis de la loi belge du 21 novembre 1989 instituant une indemnisation automatique de l’usager dit « faible » par l’assureur de la responsabilité civile « auto » du conducteur. Je conclus au rejet du pourvoi. Griefs ARRÊT I. — La décision attaquée L’article 1 er de la Convention de La Haye sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière dispose en son alinéa 1er que : Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 20 juin 2002 par le tribunal de première instance de Marche-enFamenne, statuant en degré d’appel. « La présente Convention détermine la loi applicable à l a responsabilité civile extracontractuelle découlant d’un accident de la circulation routière, quelle que soit la nature de la juridiction appelée à en connaître » II. — La procédure devant la Cour tandis que l’article 2.5 stipule que : Le conseiller Albert Fettweis a fait rapport. L’avocat général Thierry Werquin a conclu. « La présente Convention ne s’applique pas aux recours et aux subrogations contre les assureurs... ». (25) Voy. 19, p. 8. L’article 3 prévoit que : Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2004) 139414 RGAR_10_2004.fm Page 38 Monday, December 20, 2004 2:59 PM « La loi applicable est la loi interne de l’Etat sur le terr itoire duquel l’accident est survenu ». Cette disposition est similaire à la règle de droit international privé contenue dans l’article 3, alinéa 1er, du Code civil belge qui prévoit l’applicabilité des lois de police d’un Etat aux faits commis sur le territoire de cet Etat, quelle que soit la nationalité de leur auteur. L’article 4 déroge à cette règle générale : « Sous réserve de l’article 5, il est dérogé à la disposition de l’article 3 dans les cas prévus ci-après : » a ) lorsqu’un seul véhicule est impliqué dans l’accident et qu’il est immatriculé dans un Etat autre que celui sur le territoire duquel l’accident est survenu, la loi interne de l’Etat d’immatriculation est applicable à la responsabilité; » b) [...] » c) [...] ». Le jugement attaqué a décidé que puisque dans l’accident litigieux était impliqué un seul véhicule immatriculé en Belgique conduit par un Belge et ayant à son bord deux passagers belges, dont le défendeur, il y avait lieu de faire application, pour la réparation du dommage causé à celui-ci, de l’ar ticle 29 bis de la loi du 21 novembre 1989, cette disposition ayant trait à la responsabilité du conducteur du véhicule impliqué dans l’accident litigieux et devant être appliquée en vertu de l’article 4, a précité de la Convention de La Haye. « Concernant l’applicabilité de l’ar ticle 29bis, le tribunal estime que celui-ci contient une règle de responsabilité et qu’en conséquence, il ne constitue pas une exception au sens de l’article 2.5 de la Convention de La Haye; en effet, cet article, modifié par l’article 1er de la loi du 13 avril 1995, crée le recours aux règles de responsabilité pour tout ce qui n’est pas régi par la loi du 21 novembre 1989 ». En d’autres ter mes, au motif que l’article 29bis contiendrait une règle concernant la responsabilité du conducteur du véhicule impliqué dans l’accident et que ce véhicule est immatriculé en Belgique, le jugement a écarté l’application de la règle générale contenue dans l’ar ticle 3, alinéa 1er, du Code civil et dans l’article 3 de la Convention de La Haye, selon laquelle la loi applicable est la loi du pays dans lequel l’accident est survenu. A l’estime du demandeur, cette décision n’est pas légalement justifiée. L’obligation d’indemnisation instituée par l’article 29bis en faveur des usagers dits « faibles » existe en l’absence de responsabilité quelconque de l’assuré, ce qui implique que l’article 29bis n’est pas fondé sur la responsabilité, serait-elle même seulement objective, du conducteur du véhicule assuré mais sur la règle de l’indemnisation « automatique » par l’assureur. L’article 29 bis de la loi du 21 novembre 1989, dont le but est de protéger les victimes dites « faibles » des accidents de la route, organise à cette fin un système d’indemnisation directe et automatique en dotant la victime d’une action contre l’assureur impliqué dans l’accident. Il s’agit d’un système d’assurance de personne, à caractère indemnitaire, indépendant de toute responsabilité. Ainsi, pour que l’assureur doive indemniser l’usager « faible », il n’est pas nécessaire que celui-ci établisse une faute du conducteur et sa responsabilité. L’examen des travaux préparatoires de la loi confirme ceci. Dans l’exposé introductif de l’auteur de la proposition de la loi modificative du 13 avril 1995, on peut lire : « La loi-programme de mars 1994 a déjà instauré une forme de responsabilité objective pour les véhicules automoteurs. Sur le plan légistique, le principe a été mis en œuvre par l’insertion d’un article 29bis dans la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs. » Au départ, l’intention du gouvernement était d’insérer le principe de la responsabilité objective dans le Code civil sous le chapitre relatif aux quasi-délits (art. 1382 et s.). » Les sénateurs se refusèrent toutefois à modifier les fondements du droit civil et optèrent pour un système d’indemnisation automatique qui serait instauré dans le cadre de la loi relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité ». Dans le commentaire du paragraphe 1er de l’article 1er (de la loi du 13 avril 1995), on peut lire : « (Le représentant du ministre) suggère (..) de prévoir une exception à l’intervention du RGAR_10_2004.fm Page 39 Monday, December 20, 2004 2:59 PM Indemnisation des usagers faibles — F.322/3 page - Fonds commun de garantie automobile, à savoir le cas où l’accident résulte d’un cas fortuit. » En cas d’accident dû à un cas fortuit, c’est également l’assureur et non le Fonds commun de garantie automobile qui doit intervenir. » Dans un régime d’assurance basé sur la faute, il est normal que l’assureur n’intervienne pas lorsque l’accident résulte d’un cas fortuit. » Dans le système d’indemnisation automatique, on ne raisonne plus en termes de faute, de sorte qu’il n’est plus logique de prévoir une exception pour ce cas, d’autant que l’assuré et l’assureur sont connus (cf. Pasin., 1995, spéc. p. 2027, 2e col.) ». La circonstance que l’assureur tenu en vertu de l’article 29bis d’indemniser les victimes « faibles » est l’assureur « R.C. Auto » du conducteur et que l’article 29bis s’inscrit dans la loi sur l’assurance automobile obligatoire de la responsabilité du conducteur, n’empêche pas que l’article 29bis a instauré un régime d’indemnisation « automatique » qui ne suppose aucune responsabilité, même objective, du conducteur du véhicule. L’article 29 bis n’est donc pas une règle impliquant une quelconque responsabilité d u c o n d u c t e u r o u « a p p l i c a bl e à s a responsabilité » au sens de l’article 4, a, de la Convention de La Haye. Le fait qu’il instaurerait « une forme » de responsabilité objective ne l’apparente pas à une loi « applicable à la responsabilité » puisqu’il institue précisément un régime d’indemnisation indépendant de toute responsabilité. La Haye précité mais l’article 3, alinéa 1er, du Code civil. Il s’ensuit que la décision selon laquelle il y a lieu en vertu de l’article 4, a, de la Convention de La Haye d’appliquer la loi belge, l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 plus précisément, au motif que cette disposition contiendrait une règle de responsabilité, n’est pas légalement justifiée et viole l’ensemble des dispositions légales citées en tête du moyen et plus particulièrement les articles 29bis de la loi du 21 novembre 1989 et 3, alinéa 1er, du Code civil, et aussi les articles 3 et 4, a de la Convention de La Haye dans la mesure où cette dernière régit le recours du défendeur. IV. — La décision de la Cour Attendu que l’article 1er de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière dispose que cette Convention détermine la loi applicable à la responsabilité civile extracontractuelle découlant d’un accident de la circulation routière, quelle que soit la nature de la juridiction appelée à en connaître; Qu’aux termes de l’article 4, a, de ladite Convention, lorsqu’un seul véhicule est impliqué dans l’accident et qu’il est immatriculé dans un Etat autre que celui sur le territoire duquel l’accident est survenu, la loi interne de l’Etat d’immatriculation est applicable à la responsabilité, notamment envers une victime qui était passager, si elle avait sa résidence habituelle dans un Etat autre que celui sur le territoire duquel l’accident est survenu; Etant une exception à la règle générale de l’application de la loi de l’accident, la dérogation prévue par l’article 4, a, de la Convention de La Haye doit être interprétée restrictivement. Attendu que cette Convention détermine tant la loi applicable à la responsabilité civile que celle qui est applicable aux modalités et à l’étendue de la réparation des dommages découlant d’un accident de la circulation, quel qu’en soit le fondement, à condition qu’il soit extracontractuel; Il résulte de ces considérations que, contrairement à ce qu’a affirmé le jugement, l’article 29bis ne contient pas de règle de responsabilité. L’action du défendeur contre [le demandeur] en réparation de son dommage peut être comparée, de fait, à un recours concernant l’assureur, tel que visé par l’ar ticle 2.5 de la Convention de La Haye, et auquel, par conséquent, ne s’appliquait pas l’article 4, a, de la Convention de Que le champ d’application de la Convention englobe dès lors l’action fondée sur l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs, qui impose aux assureurs couvrant la responsabilité des propriétaires, conducteurs ou détenteurs de véhicules automoteurs impliqués dans un accident de la circulation, d’indemniser certains dom- Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2004) 139415 RGAR_10_2004.fm Page 40 Monday, December 20, 2004 2:59 PM mages subis par les victimes de pareil accident, autres que les conducteurs des véhicules impliqués; Attendu qu’il ressort de l’article 9 de la même Convention que l’article 2.5, suivant lequel celle-ci ne s’applique pas aux recours et aux subrogations concernant les assureurs, ne vise pas l’action directe des personnes lésées contre l’assureur; Attendu que le jugement attaqué constate que l’accident litigieux a impliqué un seul véhicule, immatriculé en Belgique, conduit par un Belge, ayant à son bord deux passagers belges, dont le défendeur, et circulant sur le territoire de la Bosnie; Qu’il décide légalement, quoique pour un motif erroné, de faire application de la loi belge, en vertu de l’article 4 de la Convention de La Haye, et de condamner le demandeur à indemniser le défendeur, sur la base de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989; Que le moyen ne peut être accueilli; Par ces motifs : La Cour, Rejette le pourvoi; Condamne le demandeur aux dépens. NOTE : L’INDEMNISATION AUTOMATIQUE D’ACCIDENTS DE LA CIRCULATION EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ 1. — Les circonstances de l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2004 sont les suivantes : un véhicule immatriculé en Belgique, conduit par un Belge et ayant à son bord deux passagers belges, a un accident sur le territoire de la Bosnie. Les cours et tribunaux belges sont saisis (1). Face à un accident de la circulation routière présentant un élément d’extranéité, les juges du fond se dirigent vers la Convention de La Haye du 4 mai 1971 (ci-après, « la Convention ») (2). (1) On peut supposer que le juge belge avait été saisi sur la base de la localisation en Belgique du domicile du défendeur; nous ne traiterons pas de la compétence dans cette note. (2) Convention sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière, ratifiée par la loi du L’article 4, a, de cet instrument désigne la loi du pays d’immatriculation du véhicule, donc en l’espèce, la loi belge. A ce titre, le tribunal de première instance de Marchee n - Fa m e n n e fa i t a p p l i c a t i o n d e l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs, qui stipule que les dommages corporels subis par les victimes sont « réparés solidairement par les assureurs » (3). L’assureur, qui était l’Etat belge, se pourvoit en cassation, soutenant que cette décision n’était pas légalement justifiée au motif qu’elle énonçait : « concernant l’applicabilité de l’article 29bis, le tribunal estime que celuici contient une règle de responsabilité ». Selon lui, au contraire, aucune règle de responsabilité ne découle de cette disposition, ce qui écarterait la possibilité d’appliquer la l o i d é s i g n é e p a r l a C o nve n t i o n , q u i , d’ailleurs, exclut expressément, en son article 2,5 o les « recours et subrogations concernant les assureurs »; par conséquent, en ce qui concerne la question de l’indemnisation automatique, seul le droit commun de l’article 3, alinéa 1er, du Code civil, aurait pu s’appliquer. La Cour de cassation rejette le pourvoi, statuant par substitution de motifs, énonçant que la Convention de La Haye « détermine 10 février 1975, M.B., 7 mai 1975; cet instrument unifie les règles de conflit de lois en matière de responsabilité découlant d’un accident de la circulation routière. Voy. égalem. infra, no 5. (3) Cette formulation résulte de la loi du 19 janvier 2001, modifiant diverses dispositions relatives au régime de l’indemnisation automatique des usagers de la route les plus vulnérables et des passagers de véhicules (M.B., 21 févr. 2001). Il est toutefois probable que, dans l’affaire commentée ici, l’accident ait eu lieu avant le 3 mars 2001, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de cette loi. Auparavant, l’article 29bis était libellé comme suit : « (...) tous les dommages (...) sont indemnisés par l’assureur qui couvre la responsabilité du propriétaire, du conducteur ou du détenteur de ce véhicule automoteur conformément à la présente loi ». Sur cette récente réforme, voy. notam., N. Estienne, « La nouvelle réforme du régime d’indemnisation automatique des usagers faibles de la route », R.G.A.R. , 2001, p. 13392; B. Dubuisson, « La loi du 19 janvier 2001 modifiant le régime d’indemnisation des usagers faibles de la route. “ Cent fois sur le métier... ” », J.T., 2001, pp. 585 et s., également publié in P. Jadoul et B. Dubuisson (dir.), L’indemnisation des usagers faibles de la route, Bruxelles, Larcier, 2002, pp. 207 et s.; D. Simoens, « Het verkeersongevallenartikel 29bis W.A.M. : stand van zaken na de wijzigingswet van 19 januari 2001 », R.W., 2000-2001, pp. 1577 et s. RGAR_10_2004.fm Page 41 Monday, December 20, 2004 2:59 PM Indemnisation des usagers faibles — F.322/3 page - tant la loi applicable à la responsabilité civile que celle qui est applicable aux modalités et à l’étendue de la réparation des dommages découlant d’un accident de la circulation, quel qu’en soit le fondement, à condition qu’il soit extracontractuel ». L’argument tiré de l’exclusion des recours contre les assureurs est également repoussé au motif que l’action directe des victimes contre l’assureur est, elle, expressément visée par la Convention. 2. — Dans la présente note, nous commencerons par rappeler très brièvement les règles de la Convention de La Haye usitées dans la présente affaire. Face aux controverses insolubles de la doctrine belge quant à la qualification de l’article 29bis, nous tenterons ensuite d’apporter une solution plus claire en droit international privé, en nous concentrant, en particulier, sur la question du champ d’application matériel de cette Convention, et, en général, sur celle de l’étendue de la catégorie de rattachement qui englobe les obligations extracontractuelles, afin de vérifier si l’on peut analyser l’article 29bis sous cet angle. 3. — La règle de conflit de principe de la Convention de La Haye a recours au rattachement traditionnel en matière extracontractuelle du lieu de survenance de l’accident, autrement dit de la lex loci delicti commissi. En cela, la Convention consacre do nc le mêm e c r itè re qu e l’a r t ic l e 3 , alinéa 1er, de notre Code civil (4). Cependant, les auteurs de la Convention ont eu à cœur d’éviter les désavantages de ce facteur de rattachement, qui est susceptible de désigner dans certains cas une loi qui ne présente que très peu de liens avec la situation. Ainsi en était-il en particulier des accidents où un seul véhicule est impliqué, qui est immatriculé dans un Etat autre que celui de la survenance de l’accident (5). Après de longues discussions au sein de la Conférence de La Haye, il fut décidé de consacrer (4) Cette disposition est désormais abrogée par le nouveau Code de droit international privé (Loi 16 juill. 2004 portant le Code de droit international privé, M.B., 27 juill. 2004, p. 57344), qui est entré en vigueur le 1er octobre 2004. Pour les facteurs de rattachement consacrés par la nouvelle loi, voy. infra, no 7. (5) Ou lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans l’accident, qui sont tous immatriculés dans le même Etat, qui n’est pas celui du lieu de survenance de l’accident (art. 4, b). un rattachement à la loi du pays d’immatriculation du véhicule, qui, en principe, serait aussi celui de la résidence habituelle du conducteur et/ou du propriétaire du véhicule. Outre la sécurité juridique apportée par ce facteur, celui-ci avait donc « le mérite d’opérer une concentration d’un certain nombre d’éléments de rattachement » (6). Pour les victimes, cette même loi ne s’appliquera cependant que sous certaines conditions de résidence, destinées précisément à s’assurer du lien entre la situation juridique et chacune de ces victimes (7). C’est ainsi que dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt ici rapporté, les juges du fond ont fait application de la loi belge, alors que l’accident était survenu en Bosnie. Nous ne nous étendrons pas plus avant sur cette question qui ne posait pas de difficulté particulière en l’espèce, et renvoyons pour le surplus aux nombreux commentaires dont la Convention a déjà fait l’objet (8). (6) Rapport explicatif de M. Eric W. Essen, « Actes et documents de la onzième session », Conférence de La Haye, 1970, t. III, Accidents de la circulation routière, pp. 200 et s., spéc. p. 206 (ci-après, le « Rapport Essen »). (7) Ainsi, la loi du pays d’immatriculation sera également écartée, au profit de la loi du stationnement habituel, si ni le propriétaire, ni le détenteur, ni le conducteur du véhicule n’avaient, au moment de l’accident, leur résidence habituelle dans ce pays (art. 6). Sur la volonté de choisir une règle de rattachement rigide, mais inspirée du système de groupement des points de contact, voy. notam. H. Batiffol, « La onzième session de la Conférence de La Haye de droit international privé », Rev. crit. d.i.p., 1969, pp. 215 et s., spéc. pp. 230 et s. (8) Y. Loussouarn, « La Convention de La Haye sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière », Clunet, 1969, pp. 5 et s.; L. Forget, Les conflits de lois en matière d’accidents de la circulation routière, Paris, Librairie Dalloz, 1973, spéc. nos 83 et s.; M.-L. Stengers, « Commentaire de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière », R.G.A.R., 1975, p. 9503; B. Dutoit, « La lex loci delicti à travers le prisme des deux Conventions de La Haye sur les accidents de la circulation routière et la responsabilité du fait des produits », L’unificazione del diritto internazionale privato e processuale, Studi in memoria di Mario Giuliano, Padova, C.E.D.A.M., 1989, pp. 417 et s.; C. Perin-Lovens, « Le droit international privé de la responsabilité et les récentes Conventions de La Haye », Ann. dr. Liège, 1980, pp. 373 et s., spéc. pp. 380 et s., G. Légier, « Sources extracontractuelles des obligations - Conventions internationales », Juris-Classeur, Droit international privé français, fasc. 553-3, 1993, pp. 4 et s.; H. Batiffol, « La onzième session de la Conférence de La Haye de droit international privé », op. cit., pp. 226 et s.; L. F. Ganshof, « La Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière », J.T., 1974, pp. 257 et s. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2004) 139416 RGAR_10_2004.fm Page 42 Monday, December 20, 2004 2:59 PM 4. — Les lecteurs de cette revue ne peuvent ignorer les controverses dont l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 a fait l’objet, notamment quant à sa qualification. Il ne serait que de peu d’intérêt de les reprendre dans le détail, tant la doctrine est abondante (9). Nous nous limiterons ici à en faire un très bref rappel dans l’unique but de mettre en évidence certains éléments qui pourraient se révéler pertinents quant au raisonnement à tenir en droit international privé. L’on sait que le législateur a tout d’abord envisagé d’inclure dans le Code civil un nouvel article 1385bis créant une responsabilité objective dans le chef de tout conducteur dont le véhicule est impliqué dans un accident de la circulation, pour les dommages résultant de lésions corporelles (10). L’objectif était en premier lieu budgétaire (11), ce qui, semble-t-il, suscita soudain l’intérêt pour une certaine amélioration du sort des victimes (12). Cette responsabilité sans faute était motivée par le risque créé par la mise en circulation d’un véhicule automoteur. Les discussions parlementaires mirent en évidence des critiques nombreuses, notamment liées au fait qu’une telle responsabilité objective serait difficilement acceptée par l’opinion publique (13). Le ministre proposa dès lors une nouvelle formulation de l’article 1385bis, où n’apparaissaient plus les ter mes de « re spo ns abilité », re mplacé s pa r un « système d’indemnisation automatique » (14). Ce n’est que dans un troisième temps (9) Voy. la bibliographie exhaustive établie par J.-F. Van Drooghenbroeck, « L’indemnisation automatique des usagers faibles de la route : une émancipation difficile », in Les indemnisations sans égard à la responsabilité , Kluwer, 2001, pp. 23 et s., spéc. notes 1 et 2. Sur les modifications apportées par la loi du 19 janvier 2001, voy. réf. cit. supra, note 2. (10) Projet de loi portant des dispositions sociales, Doc. parl., Sén., sess. 1993-1994, no 980-1, 9 févr. 2004. (11) Rapport fait au nom de la commission de la justice par M. Arts, Doc. parl., Sén., sess. 1993/1994, no 980/3, notam. pp. 11 et 16. (12) Voy. notam. R.O. Dalcq, « L’indemnisation des dommages corporels des piétons et des cyclistes », J.T. , 1994, pp. 665 et s., spéc. pp. 667 et 672; J.-L. Fagnart, « L’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation après la réforme bâclée du 30 mars 1994 », R.G.A.R. , 1994, 12388, spéc. nos 11 et s.; G. Schoorens, « Verkeersongevallen met “ zwakke weggebruikers ”; het nieuwe vergoedingssysteem van art. 29 bis W.A.M.-wet - Het kwalificatieprobleem », R.G.A.R., 1995, p. 12443, spéc. no 74. (13) Rapport fait au nom de la commission de la justice par M. Arts, op. cit., pp. 17 et 24. que deux sénateurs proposèrent de ne plus inclure la disposition dans le Code civil, mais dans la loi du 21 novembre 1989, sans discuter plus avant des implications d’une telle modification d’un point de vue juridique (15). Comme on pouvait s’y attendre face à l’indécision du législateur, son manque de réflexion approfondie, et ses nombreuses confusions (16), la doctrine s’est déchirée sur la nature juridique de ce nouveau régime. Malgré les modifications qui se sont succédé à un rythme soutenu (17), aucune des formulations nouvelles de l’article 29bis n’a permis de mettre fin aux hésitations. Pour résumer très brièvement, l’on rappellera que les positions exprimées se répartissent grosso modo en deux ensembles : d’une part, une qualification de responsabilité objective (18), d’autre part, celle d’assu(14) Ibid., pp. 21-22. (15) On peut lire ainsi que l’amendement proposé par MM. Erdman et Vandenberghe (ibid., pp. 40 et s.) est « justifié comme suit : il est préférable d’intégrer les dispositions nouvelles dans la loi du 21 novembre 1989 » (nous soulignons). (16) B. Dubuisson souligne ainsi l’« amalgame constant entre la responsabilité et l’indemnisation, d’une part, entre l’indemnisation et la garantie d’indemnisation, d’autre part (...) Un tel amalgame s’inscrit difficilement dans les mécanismes de droit commun où il est d’usage de distinguer clairement la responsabilité et l’assurance, celle-ci n’étant qu’une technique de garantie. Il révèle en tout cas d’entrée de jeu le caractère hybride du nouveau système d’indemnisation », « La loi sur l’indemnisation automatique de certaines victimes d’accidents de la circulation ou l’art. du “ clair-obscur ” », in B. Dubuisson (dir.), L’indemnisation automatique de certaines victimes d’accidents de la circulation - Loi du 30 mars 1994, Academia/Bruylant, 1995, p. 10. (17) Après que la loi du 30 mars 1994 portant des dispositions sociales (M.B., 31 mars 1994) a introduit l’article 29bis, cette disposition a été modifiée par une loi du 13 avril 1995 modifiant l’article 29bis et abrogeant l’article 29ter de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs (M.B., 27 juin 1995), puis par celle du 19 janvier 2001 modifiant diverses dispositions relatives au régime de l’indemnisation automatique des usagers de la route les plus vulnérables et des passagers de véhicules (M.B., 21 févr. 2001). (18) Voy. notam. B. Dubuisson, « La loi sur l’indemnisation automatique de certaines victimes d’accidents de la circulation ou l’art du “ clair-obscur ” », op. cit., spéc. nos 8 et s.; du même auteur, « La loi du 19 janvier 2001 modifiant le régime d’indemnisation des usagers faibles de la route - “ Cent fois sur le métier... ” », op. cit. , spéc. n o 5; R.O. Dalcq, « L’indemnisation des dommages corporels des piétons et des cyclistes », op. cit. et « La loi du 13 avril 1995 remplaçant l’article 29 bis et abrogeant l’article 29ter inséré par la loi du 30 mars 1994 dans la loi du 21 novembre 1989 », R.G.A.R. , 1995, RGAR_10_2004.fm Page 43 Monday, December 20, 2004 2:59 PM Indemnisation des usagers faibles — F.322/3 page - rance de personnes à caractère indemnitaire (19) (20) (21), détachée de toute conception sous-jacente de responsabilité, même sans faute. Nous noterons avec certains auteurs qu’il est par ticulièrement malaisé de trancher, eu égard aux arguments pertinents invoqués dans les deux camps, ainsi qu’aux incohérences qui accompagnent chacune des interprétations possibles. De plus, s’il peut apparaître des plus surprenant de pencher en faveur d’une in t e r p r é ta t i o n — c e l l e de c o n si d é r e r l’article 29bis comme un cas de responsabilité — qui a été expressément rejetée par le législateur, l’on ne peut s’empêcher concomitamment de souligner que son intention est loin d’être limpide (22). p. 12484; B. Tuerlinckx, « Artikel 29bis W.A.M.-wet : toepassing in de praktijk na de wetswijziging van 13 april 1995 », T.P.R., 1996, pp. 3 et s., spéc. nos 4 et 5; J.-L. Fagnart, « L’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation après la réforme bâclée du 30 mars 1994 », op. cit. (qui change cependant d’opinion dans ses contributions postérieures); L. Cornelis, « De objectieve aansprakelijkheid voor motorrijtuigen », R.W., 1998-1999, pp. 521 et s., spéc. pp. 534 et s. (19) Voy. notam. D. Simoens, « De gewijzigde vergoedingsregel ten voordele van voetgangers, fietsers en passagiers », R.W., 1995-1996, pp. 218 et s.; J.-L. Fagnart, « Rapport introductif », in Les indemnisations sans égard à la responsabilité, op. cit., p. 8; du même auteur, « Le Fonds commun de garantie automobile devant la Cour d’Arbitrage », note sous C.A., 15 juillet 1999, Bull. Ass., 2000, pp. 655 et s., et « Introduction générale au droit de la responsabilité », vol. 1, in Responsabilités - Traité théorique et pratique, partie préliminaire, dossier 1, éd. Story-Scientia, 1999, spéc. no 49; H. Bocken et I. Geerts, « De vergoeding van letselschade en schade door overlijden bij verkeersongevallen. Belgisch recht », T.P.R., 1996, pp. 1199 et s., spéc. pp. 1250 et s. (20) Selon J.-L. Fagnart, cette division de la doctrine suivrait la frontière communautaire/linguistique du pays (« Rapport introductif », in Les indemnisations sans égard à la responsabilité , op. cit. , p. 8; « Introduction générale au droit de la responsabilité », vol. 1, op. cit., no 49). Sur les controverses qui se sont élevées en France sur la loi no 85-677 du 5 juillet 1985 relative à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, dite loi Badinter, dont le législateur belge s’inspira, voy. réf. cit. par B. Dubuisson, « La loi sur l’indemnisation automatique de certaines victimes d’accidents de la circulation ou l’art. du “ clair-obscur ” », op. cit., p. 9, note 1. (21) D’autres qualifications ont également été envisagées; voy. G. Schoorens, « Verkeersongevallen met “ zwakke weggebruikers ”; het nieuwe vergoedingssysteem van art. 29 bis W.A.M.-wet. Het kwalificatieprobleem », op. cit. ,; L. Cornelis, « De objectieve aansprakelijkheid voor motorrijtuigen », op. cit., pp. 533 et s.; D. Simoens, « De nieuwe vergoedingsregel ten voordele van voetgangers en fietsers », R.W., 1994-1995, pp. 114 et s. 5. — Face à cette impossibilité d’imposer de façon incontestable une qualification à cet article 29bis, quelle attitude adopter en droit international privé? De nombreux auteurs ont souligné que la controverse était loin d’avoir un intérêt purement académique, mais emportait au contraire des conséquences pratiques importantes (23). En est-il de même pour le raisonnement de conflit de lois? La logique nous pousserait en principe à analyser en tout premier lieu l’application éventuelle de la Convention de La Haye. En effet, en tant que Convention universelle, c’est-à-dire qui s’applique même si la loi désignée est celle d’un Etat non contractant, elle est devenue le droit commun en matière de règle de conflit pour les accidents de la circulation qui rentrent dans son champ d’application (24). A titre de lex specialis, elle déroge en outre à tout instrument plus générique dans le domaine des obligations délictuelles ou quasi délictuelles (25). Nous commencerons néanmoins par analyser la possibilité de ranger le mécanisme de l’article 29bis dans la catégorie de rattachement réservée aux obligations extracontractuelles, en droit commun, avant de nous pencher sur le champ d’application de cette Convention. Les arguments avancés dans l’examen de la première question pourront en effet s’avérer pertinents lors de l’analyse de cette seconde; en outre, si la Convention ne peut s’appliquer, le problème de la catégorie de rattachement dont pourrait relever cette disposition belge ne serait pas pour autant réglé. (22) J.-F. Van Drooghenbroeck, « L’indemnisation automatique des usagers faibles de la route : une émancipation difficile », op. cit., spéc. nos 8 et 28; B. Dubuisson, « La loi du 19 janvier 2001 modifiant le régime d’indemnisation des usagers faibles de la route - « Cent fois sur le métier... ” », op. cit., no 33. (23) B. Dubuisson, « La loi sur l’indemnisation automatique de certaines victimes d’accidents de la circulation ou l’art. du “ clair-obscur ” », op. cit., nos 39 à 41; J.-F. Van Drooghenbroeck, « L’indemnisation automatique des usagers faibles de la route : une émancipation difficile », op. cit., p. 30. (24) Le Code de droit international privé y renvoie désormais expressément en son article 99, § 2, 5o. (25) Aucun instrument de ce type n’a été ratifié à ce jour par la Belgique. De lege ferenda, l’on peut citer le futur règlement communautaire sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, dit « Rome II » (Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, du 22 juillet 2003, COM(2003) 427 final), s’il est adopté. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2004) 139417 RGAR_10_2004.fm Page 44 Monday, December 20, 2004 2:59 PM 6. — L’on sait que, comme dans toute branche du droit, le raisonnement en droit international privé débute par une opération de qualification, qui consiste à rechercher la nature de la situation, sa traduction en termes juridiques. Elle y a toutefois un sens tout particulier, puisque cette opération poursuit ici l’objectif de classer la situation juridique en cause dans une catégorie de rattachement, qui elle-même déterminera la règle de conflit à prendre en considération. Une catégorie de rattachement correspond en droit international privé « aux notions désignant l’hypothèse d’une règle de droit matériel. Toutefois, alors que cette hypothèse est visée à l’aide de concepts définis, aux contours arrêtés, les catégories de rattachement sont souvent des concepts génériques, dont les limites sont vagues et imprécises » (26). En effet, leur élaboration remonte pour l’essentiel à la théorie italienne des statuts des XIIe et XIIIe siècles (27), où elles furent inspirées par les grandes divisions traditionnelles du droit. En outre, elles ne sont pratiquement jamais définies par le législateur (28); le nouveau Code de droit international privé (29), n’y fait pas exception puisque, quoique définissant de façon assez détaillée le domaine de la loi applicable dans chaque matière, il n’en tranche pas pour autant tous les problèmes susceptibles de se poser antérieurement à la désignation d’une loi, ne traitant pas de la qualification. (26) F. Rigaux, « Droit international privé », t. 1, Théorie générale, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 1987, no 303. Voy. égalem. B. Ancel, L’objet de la qualification, Clunet, 1980, pp. 227 et s., spéc. p. 228, qui souligne qu’une catégorie de rattachement est « un concept-cadre, assurément doté d’une certaine généralité, mais surtout offrant un caractère synthétique. C’est ce caractère synthétique qui, permettant d’assembler sous la même enseigne des données relativement différenciées, rend en même temps plus délicate, plus difficile la vérification concrète de ce concept par une espèce particulière, difficulté qui n’est pas propre à la règle de conflit mais qu’évite en droit interne le recours fréquent à des notions plus analytiques; ainsi le droit civil détaille par une généreuse profusion de dispositions ce que le droit international privé regroupe dans des catégories, statut personnel, statut réel, forme des actes... ». (27) Voy. Y. Loussouarn et P. Bourel, Droit international privé, Paris, Dalloz, 6e éd., 1999, nos 85 et s.; H. Batiffol et P. Lagarde, Droit international privé, t. I, Paris, L.G.D.J., 8e éd., 1993, nos 214 et s. (28) W. Wengler, « Réflexions sur la technique des qualifications en droit international privé », Rev. crit. d.i.p., 1954, pp. 661 et s., spéc. p. 685. (29) Cité supra, note 4. Ainsi, la catégorie de rattachement des obligations non contractuelles englobe-t-elle traditionnellement les différents types de responsabilité. Bien entendu, ces catégories traditionnelles n’ont pu prendre en compte des mécanismes qui n’avaient pas vu le jour à l’époque de leur conception. Ainsi en est-il de l’indemnisation automatique des usagers faibles de la route. Plusieurs arguments militent cependant en faveur de l’inclusion de ce type de mécanisme dans ce qu’on appelle parfois le « statut délictuel ». 7. — Tout d’abord, quoique la qualification s’opère lege fori (30), cette opération ne saurait faire abstraction du caractère nécessairement international des situations qu’elle sera amenée à appréhender. Les impératifs du droit international privé ne sont pas les mêmes que ceux du droit interne, et, par conséquent, les qualifications dans cette matière ne doivent pas nécessairement se superposer à celles du droit interne, les épouser scrupuleusement : « Plutôt que d’aligner exactement les contours de la catégorie du for sur les qualifications données par le droit matériel du for, il est préférable de chercher une clef de répartition entre les domaines respectifs des règles de rattachement du for, dans l’analyse des objectifs et de l’adéquation des contenus de celles-ci » (31). A cet égard, il nous semble qu’il serait nettement plus cohérent de faire régir par une même loi tous les types de réparation des dommages causés à une victime, quel que soit le fondement de cette réparation, pour autant (30) La qualification lege fori s’impose pour des motifs pragmatiques, puisque l’opération est antérieure à la désignation de la loi applicable, et pour des motifs juridiques, le droit international privé faisant partie du droit national : « Le juge, démuni de tout autre secours, ne peut se dégager des ténèbres qu’avec les seuls moyens dont il dispose : ceux que lui procure sa propre législation. Disposerait-il d’autres secours qu’il devrait encore appliquer sa propre loi car la qualification soulève une question de principe qu’il ne peut trancher que suivant les conceptions de base de son propre pays » (P. Louis-Lucas, « Qualification et répartition », Rev. crit. d.i.p., 1957, pp. 153 et s., spéc. p. 156). (31) F. Rigaux et M. Fallon, « Droit international privé », t. II, Droit positif belge, Bruxelles, Larcier, 2e éd., 1993, no 1541. Dans le même sens, voy. notam. Y. Loussouarn et P. Bourel, Droit international privé, op. cit., no 190 : « les catégories dans lesquelles l’institution doit être classée ne sont pas nécessairement les catégories du droit interne, ces dernières pouvant être, le cas échéant, adaptées ou déformées ». RGAR_10_2004.fm Page 45 Monday, December 20, 2004 2:59 PM Indemnisation des usagers faibles — F.322/3 page - qu’elle ne découle pas d’un contrat. L’on sait en effet que, comme le prévoit expressément l’article 29bis, § 5, les règles de la responsabilité civile restent d’application pour tout ce qui sort du champ d’application de cette disposition. Quoique le droit international privé n’hésite parfois pas à dépecer une institution pour en faire régir différents aspects par des lois distinctes, il est également soucieux de préserver la cohérence interne d’une législation (32). C’est à cet argument que semble avoir fait référence notre Cour de cassation dans l’arrêt rapporté, reprenant ainsi la formulation d’un attendu de la Cour suprême française (33), en estimant que la Convention de La Haye « détermine tant la loi applicable à la responsabilité civile que celle qui est applicable aux modalités et à l’étendue de la réparation des dommages découlant d’un accident de la circulation, quel qu’en soit le fondement, à condition qu’il soit extracontractuel » (34). Elle statue, en outre, par substitution du motif invoqué par (32) Comp. rapport Essen, concernant le domaine de la loi applicable, défini très largement par la Convention de La Haye : « La Commission a voulu éviter de scinder les lois applicables car il y a souvent un lien entre l’exigence de la faute et l’étendue de la réparation. Par exemple, une loi qui exige la preuve de la faute accordera une réparation intégrale, tandis qu’une autre loi dispensant de prouver la faute limitera le montant de la réparation. Dépecer la loi applicable ne pourrait aboutir qu’à une cote mal taillée », « Actes et documents de la onzième session », op. cit., p. 76. (33) Cass., 1re ch. civ., 4 février 1992, Soulié c. Segura, D., 1993, jur., p. 13, note G. Légier; Cass., 1re ch. civ., 12 juillet 2001, Domeyne c. Gallo, Bull., 2001, I, no 219, p. 13, où la Cour casse une décision qui, pour écarter la loi désignée par la Convention de La Haye, avait énoncé que la loi Badinter n’était pas une loi de responsabilité mais une loi tendant à l’amélioration de la situation des victimes et à l’accélération des procédures d’indemnisation. Par ailleurs, la jurisprudence dominante de la Cour de cassation française semble pourtant s’en tenir au caractère autonome de la loi Badinter par rapport au droit de la responsabilité (voy. les références citées dans Lamy - Droit de la responsabilité, ouvrage sur feuillets mobiles, étude 310 « L’action en indemnisation des victimes d’accidents de la circulation », 2004, no 310-9). (34) L’on rappellera également que, de très longue date, la Cour estimait que tant les règles relatives aux éléments du fait générateur de la responsabilité que celles concernant le mode et l’étendue de la réparation étaient des « lois de police » au sens de l’article 3, alinéa 1 er , du Code civil (voy. notam. Cass., 29 avril 1996, Pas., 1996, I, p. 139; Cass., 15 mars 1993, R.G.D.C. , 1994, p. 138, note L. Barnich; Cass., 10 mars 1988, Pas. , 1988, I, p. 829; Cass., 12 avril 1985, Pas., 1985, I, p. 979; Cass., 30 octobre 1981, Pas., 1982, I, p. 306). l e j u g e d u fo n d q u i ava i t e s t i m é q u e l’article 29 bis contenait une règle de responsabilité. Elle maintient donc la solution au problème de droit international privé, telle qu’appliquée par le tribunal de première instance, tout en l’appuyant sur une autre argumentation : la Convention de La H ay e s ’ a p p l i q u e n o n p a r c e q u e l’article 29 bis consacre une règle de responsabilité mais bien parce que cet instrument régit tous les cas de réparation des dommages causés par des accidents de la circulation. Par conséquent il semble tout à fait clair que d’une part, la Cour considère que cette disposition n’est pas une règle de responsabilité en droit interne (35), et d’autre part, qu’elle en donne, pour les besoins du droit international privé, une qualification distincte. Notons que le nouveau Code de droit international privé parle de façon générale des obligations « non contractuelles » (36), tandis que l’article 99 est le siège de la règle de conflit de principe pour les « obligations dérivant d’un fait dommageable ». Le Code explicite en outre, de façon exemplative, le domaine de la loi applicable, citant, comme le faisait la Cour, « les modalités et l’étendue de la réparation » (37). La terminologie usitée semble démontrer l’intention du législateur belge de donner un champ très large à cette catégorie de rattachement, et il est des plus heureux que les termes de « responsabilité civile » n’aient pas été choisis (38). Il est vrai que l’expression « fait dommageable » peut évoquer la matière de la responsabilité; elle nous semble cependant suffisamment large pour englober le cas de l’indemnisation automatique, et devrait, pour les besoins du droit international privé, être vue comme un concept neutre, autonome de toute question de responsabilité. Le deuxième argument est intimement fié au premier : même les auteurs qui considèrent que l’article 29 bis n’est qu’une assu(35) Conformément à sa jurisprudence antérieure, citée par l’avocat général Werquin, dans ses conclusions précédant l’arrêt rapporté. (36) Art. 96, qui traite de la compétence internationale. (37) Art. 103, 6o. (38) Même si en édictant les facteurs de rattachement, les termes de « personne responsable » sont utilisés (art. 99, § 1er, 1o), ce qui est regrettable, vu l e u r d i f fi c u l té d ’ a pp l i c at i o n da n s l e c as d e l’article 29bis... Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2004) 139418 RGAR_10_2004.fm Page 46 Monday, December 20, 2004 2:59 PM rance de personnes ne prétendent pas qu’aucune notion de responsabilité ne reste sous-jacente, ne fût-ce qu’en raison de l’inconséquence du législateur (39). Par conséquent, ces « vestiges » de responsabilité, ces concepts latents liés à la causalité, au risque, et au dommage, constituent une raison supplémentaire pour, en droit international privé, ranger cette disposition dans la catégorie de rattachement des obligations extracontractuelles (40). 8. — Deux autres éléments peuvent encore être avancés pour renforcer notre argumentation. Tout d’abord, à supposer que l’on considère que l’article 29bis ne peut entrer dans ce « statut délictuel », quel facteur de rattachement lui appliquer? L’on pourrait tout d’abord imaginer de considérer cette disposition belge comme une loi de police, qui s’appliquerait d’office, indépendamment de tout raisonnement de conflit de lois, à toutes les situations qui rentrent dans son champ d’application, même présentant des éléments d’extranéité. Or il nous semble qu’aucun argument valable n’est susceptible de plaider en faveur d’un tel raisonnement, rien dans la loi ou les travaux préparatoires n’apportant d’indices de l’intention du législateur à cet égard (41) (42). Dans le (39) Voy. notam. G. Schoorens, « Verkeersongevallen met “ zwakke weggebruikers ”, het nieuwe vergoedingssysteem van art. 29bis W.A.M.-wet - Het kwalificatieprobleem », op. cit.; J.-F. Van Drooghenbroeck, « L’indemnisation automatique des usagers faibles de la route : une émancipation difficile », op. cit., pp. 39 et s.; B. Dubuisson, « La loi sur l’indemnisation automatique de certaines victimes d’accidents de la circulation ou l’art. du “ clair-obscur ” », op. cit. , n o 7 et s.; du même auteur, « La loi du 19 janvier 2001 modifiant le régime d’indemnisation des usagers faibles de la route. « Cent fois sur le métier... » », op. cit., nos 4 et 5. En ce sens, concernant la loi Badinter, G. Légier, note sous Cass., 1re ch. civ., 4 févr. 1992, op. cit., p. 15. (40) En ce sens, en droit français, P. Bourel, note sous Cass., 1re ch. civ., 6 juin 1990, L’Union et le Phénix espagnol c. Beau, Rev. crit. d.i.p. , 1991, pp. 356 et s., spéc. no 13. (41) En ce sens, B. Dubuisson, « L’assurance automobile obligatoire et le droit international privé », R.G.A.R., 2000, 13284, no 12. Comme le rappelle bien opportunément le Code de droit international privé, en son article 20, les lois ne peuvent être qualifiées de « règles spéciales d’applicabilité » (selon la nouvelle terminologie adoptée par le Code) que « en vertu de la loi ou en raison de leur but manifeste ». Voy. égalem. Cass. (France), 1 re ch. civ., 6 déc. 1988, Bull., 1988, I, no 346, p. 235, où est cassée une décision qui n’avait pas répondu au moyen des parties fondé sur l’application de la Convention de La Haye, appliquant directement la loi Badinter, La Cour souligne qu’à défaut d’accord exprès des parties sur même ordre d’idée, l’article 29bis ne pourrait, selon nous, être considéré comme d’ordre public international, c’est-à-dire comme concernant des objectifs fondamentaux au point de juger inacceptable l’application d’une loi moins protectrice des victimes (43). L’autre rattachement envisageable pourrait être d’inclure l’article 29bis dans le statut contractuel, en raison du lien qu’entretient l’indemnisation de la victime avec le contrat d’assurance conclu entre « l’auteur », c’està-dire le propriétaire du véhicule impliqué dans l’accident, et son assureur. Un tel rattachement ne nous semble cependant pas approprié. En effet, aucun lien contractuel ne lie les victimes à cet « auteur », ni, a fortiori, à l’assureur de ce dernier. Si la réparation du dommage causé aux victimes n’est pas en tant que telle l’exécution d’une oblila loi applicable, aucune autre loi que celle désignée par la Convention ne pouvait s’appliquer, ce qui, implicitement, indique que la loi Badinter n’est pas considérée par la Cour comme une loi d’application immédiate. Sur le concept des lois de police dans le cadre de la Convention de Rome, voy. « Observations sur la transformation de la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles en instrument communautaire ainsi que sur sa modernisation », par l’Unité de droit international privé de l’Université libre de Bruxelles et le Département de droit international privé de l’Université de Liège, disponibles sur www.dipulb.be, spéc. no 16 et s. (42) Il ne pourrait selon nous en être autrement que des législations qui ont instauré un mécanisme d’indemnisation comparable à la sécurité sociale, comme celles de la Nouvelle-Zélande ou du Québec (voy. pour ces exemples J.-L. Fagnart, « L’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation après la réforme bâclée du 30 mars 1994 », op. cit., no 8), qui s’apparenteraient à du droit public, applicable dès lors sur le seul territoire national. En ce sens, P. Bourel, note sous Cass., 1re ch. civ., 6 juin 1990, op. cit., no 13. Comp. Cass. (France), 2 e ch. civ., 3 juin 2004, disponible sur wwwlegifrance.gouv.fr, qui qualifie de loi de police les dispositions de l’article 706-3, 3 du Code de procédure pénale qui prévoit que toute victime d’un accident présentant le caractère matériel d’une infraction pénale, de nationalité française, est en droit de demander à être indemnisée par le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et autres infractions, même commises à l’étranger. (43) La jurisprudence de la Cour de cassation de France est en ce sens, puisqu’elle refuse de considérer la loi Badinter comme d’ordre public international, susceptible par conséquent d’écarter une loi étrangère fondée sur la faute (Cass., 1re ch. civ., 4 avril 1991, Clunet, 1991, p. 981, note G. Légier; Cass., ch. crim., 26 avril 1990, Gaz. Pal., 1990, jur., p. 513; voy. égalem. P. Bourel, note sous Cass., 1re ch. civ., 6 juin 1990, op. cit.; G. Légier, note sous Cass., 1re ch. civ., 4 févr. 1992, op. cit., pp. 16-17). (44) Par l’article 10 de la loi. RGAR_10_2004.fm Page 47 Monday, December 20, 2004 2:59 PM Indemnisation des usagers faibles — F.322/3 page - gation contractuelle entre ces victimes et la personne qui les indemnise, nous ne pensons pas qu’un rattachement au statut contractuel soit pertinent. Par ailleurs, il est des cas où aucun contrat d’assurance n’existera, soit que « l’auteur » n’en ait pas conclu malgré l’obligation légale, soit qu’il soit exempté de l’obligation d’assurance (44), soit encore que le véhicule impliqué soit « lié à la voie ferrée » (45). Reste alors la possibilité, certes très à la mode, de créer une catégorie de rattachement propre. Cela ne nous apparaît pas indispensable, pour un motif très simple, qui est que l’on n’aperçoit pas quel autre critère de rattachement plus adapté que celui qui prévaut en matière quasi délictuelle pourrait être imaginé. L’on ne peut en effet trouver, nous semble-t-il, d’élément plus significatif pour rattacher le mécanisme d’indemnisation des victimes que celui de l’accident de la circulation qui est à l’origine de cette obligation d’indemniser. Par conséquent, le rattachement applicable à la question de la responsabilité, quel qu’il soit (loi de la résidence commune des parties, loi du lieu de survenance du fait dommageable (46) ou loi du pays d’immatriculation par exemple), nous paraît être un rattachement qui désignera toujours une loi présentant des liens étroits avec la situation, tout en préservant la cohérence de la loi applicable, puisqu’il s’agira de la même législation qui régira la réparation des autres dommages subis par ces mêmes victimes. 9. — Enfin, l’on ajoutera que toute autre solution entraînerait de fréquents conflits de qualifications en raison de la grande diversité de systèmes existant en droit comparé pour améliorer la réparation des dommages subis par les victimes d’accidents de la circulation : présomptions de faute, responsabilités objectives, voire systèmes hybrides (47). Ces conflits sont, certes, une conséquence inhérente au caractère national du droit international privé de chaque Etat (48); ils sont néanmoins un problème qui (45) Auquel cas c’est le propriétaire de ce véhicule qui est tenu, en vertu de l’alinéa 2 de l’article 29bis. (46) Voy. art. 99, § 1er, 1o et 2o du Code de droit international privé. (47) R.O. Dalcq, « L’indemnisation des dommages corporels des piétons et des cyclistes », op. cit. , p. 667. (48) Y. Loussouarn et P. Bourel, Droit international privé, op. cit., no 184. n’a jamais trouvé de solution réellement satisfaisante. Cela ne peut donc être ignoré au moment de choisir une qualification, puisque son objet même sera d’appréhender des situations transnationales (49). 10. — Nous avons examiné dans les lignes qui précèdent la possibilité d’inclure le mécanisme de l’article 29bis dans la catégorie de rattachement des obligations non contractuelles. Or, la Convention de La Haye sur les accidents de la circulation routière prime sur les solutions du droit commun. Cet examen n’en était pas pour autant purement théorique d’une part, les arguments invoqués précédemment pourront en grande partie être réitérés ici, et d’autre part, l’on espère avoir convaincu le lecteur du fait que, si l’article 29bis ne rentrait pas dans le champ d’application de cette Convention, il devrait néanmoins être régi par les règles de conflits applicables aux obligations extracontractuelles. Concentrons-nous à présent sur le champ d’application de cette Convention. Différents arguments plaident pour une inclusion de l’article 29bis dans ce champ, même à considérer que cette disposition est totalement détachée de la matière de la responsabilité. Tout d’abord, comme le souligne à juste titre l’avocat général Werquin, le ter me « responsabilité » usité dans la Convention ne peut être considéré comme excluant d’office le mécanisme d’indemnisation automatique dès lors qu’à l’époque où la Conférence de La Haye a rédigé cet instrument, aucun autre système que celui de la responsabilité n’existait pour réparer un dommages (50). L’on notera en outre, d’une (49) Voy. H. Batiffol et P. Lagarde, Droit international privé, op. cit., t. I, no 270 : « Enfin, on pensera à l’harmonie internationale des solutions qui exprime, à travers l’intérêt direct de l’ordre international, un intérêt non moins certain des parties ». Voy. égalem. les considérations de l’avocat général Werquin, précédant l’arrêt annoté. (50) L’on notera cependant avec beaucoup d’intérêt que dans le « Questionnaire à l’intention des gouvernements », était posée la question suivante : « Conviendrait-il d’adopter un système de dédommagement de la victime qui fasse abstraction, totalement on partiellement, de la responsabilité de l’auteur du dommage ou qui consacre une responsabilité indépendante de toute faute? » (« Actes et documents de la onzième session », op. cit., pp. 31 et s., spéc. p. 34; nous soulignons). Le Mémorandum relatif aux actes illicites en droit international privé, document préliminaire aux travaux de la onzième session, soulignait en effet combien le fait qu’une Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2004) 139419 RGAR_10_2004.fm Page 48 Monday, December 20, 2004 2:59 PM part, que le rapport Essen souligne que la responsabilité visée est tant celle fondée sur la faute, la négligence ou l’imprudence que celle fondée sur le risque (51), et, d’autre part, que le projet initial a été modifié quant à la terminologie, afin de viser la responsabilité extracontractuelle, et non plus les responsabilités délictuelle et quasi délictuelle comme prévu initialement, afin de pouvoir englober, le cas échéant, les responsabilités qui ne sont ni contractuelles, ni (quasi) délictuelles (52). L’on constate donc à quel point les rédacteurs de la Convention ont souhaité lui donner le champ d’application le plus large, excluant uniquement la responsabilité pénale et la responsabilité contractuelle (53). Une simple interprétation idée de faute restait omniprésent en droit de la circulation routière en faisait une branche « archaïque » du droit (« Actes et documents de la onzième session », op. cit., pp. 9 et s., spéc. no 107). Les Gouvernements ont toutefois massivement répondu non à cette question, parce qu’elle relevait du droit matériel uniforme et non des conflits de lois, auxquels la future Convention se limitait. Même si cette idée a été écartée, il nous semble que l’on puisse en tirer une réponse positive à la question qui nous préoccupe ici : les rédacteurs de la Convention n’ont pas voulu exclure un système d’indemnisation de plein droit qui n’existait pas encore dans les législations internes des Etats membres de la Conférence, mais on écarté cette question précisément parce que, le mécanisme n’existant pas, il importait de le créer par des dispositions de droit matériel. En outre, comme cela fut souligné, la question était déjà à l’étude au sein d’autres organisations internationales. En effet, le 14 mai 1973 était signée une Convention européenne sur la responsabilité civile en cas de dommages causés par des véhicules automoteurs, sous l’égide du Conseil de l’Europe ( Série des Traités Européens, no 79), qui a finalement consacré un système de responsabilité objective. Cet instrument n’a toutefois rencontré aucun succès, et n’est jamais entré en vigueur dans l’ordre international. (51) « Actes et documents de la onzième session », op. cit., p. 203. (52) Procès-verbaux et Documents de travail de la deuxième Commission, Procès-verbal n o 11, « Actes et documents de la onzième session », op. cit., p. 158. (53) Y. Loussouarn, « La Convention de La Haye sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulat ion routière », n o s 13 et 14; G. Lé gier, « Sources extracontractuelles des obligations - Conventions internationales », op. cit., no 22; du même auteur, note sous Cass., 1re ch. civ., 4 févr. 1992, op. cit., p. 15. L’on se souviendra également que le but initial de la Conférence de La Haye était d’élaborer une convention sur les « actes illicites » en général, tandis que finalement seuls deux domaines spécifiques ont été choisis, à savoir les accidents de la circulation, et la responsabilité du fait des produits («Actes et documents de la dixième session », Conférence de La Haye, 1964, t. I, p. 78). Comme le souligne B. Dutoit, les « actes illicites » ont un champ d’application moins vaste que « la responsabilité ex- évolutive des termes de la Convention, basée sur l’intention de ses auteurs, permet donc manifestement d’y inclure les systèmes d’indemnisation automatique. Rappelons également que, après certaines hésitations, la question de la qualification a été laissée de côté par les auteurs de la Convention (54). 11. — Mais le droit à voir ses dommages corporels indemnisés « automatiquement », conféré par l’article 29bis à la victime, ne rentre-t-il pas dans une des matières expressément exclues du champ de la Convention en son article 2, en particulier en son point 5 o , qui vise notamment les recours concernant les assureurs? A nouveau, en consultant les travaux préparatoires de la Convention, l’on constate que ce n’est pas le sens que ses auteurs ont voulu donner à cette disposition. Le rappor t Essen indique un effet que ces recours ont été exclus parce qu’il sont de nature contractuelle : sont visées les actions de l’assuré contre son assureur, ou inversement, de ce dernier contre son assuré. Ces différentes actions sont directement fondées sur le contrat d’assurance (55), elles sont en outre étrangères à la réparation du dommage proprement dit. Au contraire, lorsqu’une victime invoque l’article 29bis, son action ne se base pas sur le contrat d’assurance, mais directement sur la loi. Comme nous le mentionnions supra, il se peut d’ailleurs qu’aucun contrat d’assurance n’existe. En outre, comme le rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt rapporté, l’action directe de la victime contre l’assureur du responsable, est, elle, régie par la Convention. Selon la qualification que l’on donne à l’article 29 bis en droit interne, l’action en indemnisation de la victime pourra, ou non, être qualifiée d’action directe. Mais ce qui importe à nouveau, ce n’est pas tant la qualification « nationale » de cette action que la volonté du législateur international, qui était d’exclure les recours, basés sur le contrat d’assurance, entre le responsable et son tra-contractuelle » qui vise aussi les obligations légales et celles issues des quasi-contrats (« Mémorandum relatif aux actes illicites en droit international privé », « Actes et documents de la onzième session », op. cit., Travaux préliminaires, pp. 9 et s., spéc. no 5). (54) Rapport Essen, op. cit., p. 203. (55) Ibid., p. 205. RGAR_10_2004.fm Page 49 Monday, December 20, 2004 2:59 PM Indemnisation des usagers faibles — F.322/3 page - assureur, et non les actions intentées par les victimes (56), que la Convention a, au contraire, tenté de favoriser par les règles de rattachement alternatives édictées en son article 9. Comme l’a très justement formulé la Cour de cassation de France, la loi désignée par la Convention de La Haye régit tous les rapports « entre la victime du dommage et la personne tenue à indemnisation, à l’exclusion des actions et recours contre des tiers, qui, selon l’article 2 de la même Convention, n’entrent pas dans son champ d’application » (57). On peut encore ajouter, pour emporter définitivement la conviction, que, à défaut d’adopter cette vision des choses, la Convention serait évincée dans une part non négligeable de litiges en matière de circulation routière, perdant ainsi la vocation générale qu’elle avait voulu se donner dans les contentieux portant sur la réparation des préjudices subis par les victimes de tels accidents (58). 12. — En conclusion, les mécanismes d’indemnisation de plein droit tels ceux de l’article 29 bis doivent être considérés, en droit international privé, comme relevant de la catégorie de rattachement des obligations extracontractuelles en général, et de la Convention de La Haye en particulier (59). Les différences de nature ou de degré qui existent entre ces mécanismes et la responsabilité civile « classique » ne sont pas susceptibles d’avoir un caractère (56) L’on notera qu’au départ, les termes « action directe » avaient été évités, « car ce sont des termes techniques qui ne sont pas utilisés partout et qui ne couvrent peut-être pas toutes les hypothèses » (« Actes et documents de la onzième session, op. cit., p. 141). On préférait avoir recours à l’expression « droit propre » (voy. l’article 6.7o de l’avantprojet de Convention, adopté par la Commission spéciale le 4 mai 1968, ibid., p. 62). Par la suite, cette terminologie a été modifiée, sans raison apparente. (57) Cass., ch. crim. 23 avril 1992, Bull. criminel, 1992, no 175, p. 461; nous soulignons. (58) En ce sens, G. Légier, « Sources extracontractuelles des obligations. Conventions internationales », op. cit., no 22; du même auteur, note sous Cass., 1re ch. civ., 4 févr. 1992, op. cit., p. 15, et note sous Cass., 1re ch. civ., 4 avril 1991, op. cit., p. 989. (59) Contra, B. Dubuisson, « L’assurance automobile obligatoire et le droit international privé », op. cit., no 12, qui estime plus traditionnellement que, si l’on retient en droit interne la qualification d’assurance de personnes à caractère indemnitaire, la règle de conflit applicable sera celle prévue dans la loi relative au contrôle des entreprises d’assurance du 9 juillet 1975, en ses articles 28ter et suivants. déterminant quant au raisonnement dans cette branche du droit (60). Les aléas politiques ou culturels qui peuvent pousser les législateurs nationaux à donner tel ou tel autre fondement à ce droit à l’indemnisation ne peuvent raisonnablement s’accompagner de la volonté de modifier l’organigramme des règles de conflits, qui se doit de faire cas de sa nécessaire confrontation à des législations étrangères : « Depuis le déclin de la théorie des statuts, une tendance marquée se manifeste vers une spécialisation toujours plus poussée des règles de conflit (...). On justifie cette tendance par la volonté de trouver le rattachement qui convient le mieux à la nature des rapports juridiques ou — plus exactement — aux particularités des règles de droit privé. Mais, en sens opposé, il faut que les règles de conflit soient suffisamment générales pour saisir toutes les règles matérielles et tous les rapports juridiques prévus par les différentes législations du monde » (61). Les législations nationales se recentrent de plus en plus sur la réparation du préjudice, et sur la victime en général, au lieu de prendre comme auparavant le fait générateur, et l’auteur, comme centre de gravité. Le droit international privé ne peut ignorer cette évolution. La catégorie de rattachement des obligations extracontractuelles peut donc être définie comme celle qui désigne le facteur de rattachement pertinent pour toute question por tant sur l’indemnisation des victimes pour les préjudices qu’elles subissent et qui ne résultent pas de l’inexécution de conventions entre elles et la personne qui répare ces préjudices. Il en est de même pour la Convention de La Haye, dans le domaine plus (60) Comp. avec la résolution sur les obligations délictuelles en droit international privé, adoptée le 11 septembre 1969 par l’Institut de droit international, à Edimbourg « Considérant que la différence entre l’obligation résultant de la faute et l’obligation résultant du risque, et que la différence entre les finalités de prévention et de répartition des risques, sont des différences de degré et non de nature, qu’il est impossible d’établir des principes de droit international privé distincts pour les deux genres de responsabilité et pour les deux genres de buts poursuivis et que les mêmes règles doivent s’appliquer aussi bien aux règles de prévention qu’à celles de répartition des risques »; disponible sur www.idi-iil.org. (61) W. Wengler, « Réflexions sur la technique des qualifications en droit international privé », op. cit., p. 690. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2004) 1394110 RGAR_10_2004.fm Page 50 Monday, December 20, 2004 2:59 PM circonscrit des accidents de la circulation routière. L’arrêt de la Cour de cassation ici rapporté ne peut donc être qu’approuvé en ce qu’il fait une application évolutive des termes de la Convention de La Haye, tout en respectant la volonté de ses auteurs, et en ce qu’il offre aux praticiens une solution plus aisée que de scinder la loi applicable à l’indemnisation de plein droit des dommages corporels d’une part, et la réparation des autres dommages d’autre part. Enfin, il a le mérite de s’aligner sur la jurisprudence de la Cour de cassation de France, ce qui permet, malgré l’absence de juridiction supranationale pour interpréter les termes de cette Convention, de lui garder un champ d’application identique dans ses différents Etats contractants. Candice BARBÉ Assistant à l’U.L.B. www.dipulb.be