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Martine Aubry: le repli local comme renaissance politique
Notes de l’essentiel des entretiens réalisés
Benoît Hamon (député européen, chef de file de la sensibilité Nouvelle Gauche et du
courant NPS, ancien collaborateur d’Aubry au ministère de l’Emploi)
«J’ai commencé à travailler avec elle en 1995, lors de la campagne de Lionel Jospin, puis à
son cabinet au ministère de l’emploi de 1997 à 2000. Au moment de son départ, elle était
objectivement épuisée, politiquement et physiquement, après une séquence de dingue (CMU,
35h, emplois-jeune…). A cette époque, la sensibilité Nouvelle Gauche était très mobilisée
autour d’elle. On est resté en contact, mais nos rapports se sont distendus au moment de la
création du courant NPS avant le congrès de Dijon. On aurait été encore plus fort si elle nous
avait rejoint alors, comme il en a été question. Mais notre ton sur l’endormissement de la
gauche au gouvernement a pu lui paraître sévère. Si elle partageait certains éléments de notre
diagnostic, elle a choisi de rester légaliste. Je ne suis pas sûr qu’elle a été très à l’aise, en
voyant beaucoup de ses amis mobilisés alors qu’elle se retrouvait au milieu de l’aréopage des
présidentiables de la motion Hollande. Mais ses résultats locaux décevant la contraignaient à
la tambouille majoritaire. Aujourd’hui, son image de femme cassante s’estompe. On a pu voir
qu’il y avait pire. Mais elle, au moins, ajoute du fond à la colère.
Eric Quiquet (troisième adjoint, tête de liste des Verts)
«Je ne suis pas dans l’affectif mais dans le rapport de force politique. Et il est très bon avec
elle. Nous savons comment travailler ensemble et avons établi une relation de confiance. Elle
nous a vécu comme une ressource sur laquelle elle pouvait s’appuyer, sachant que dans les
moments difficiles elle pourrait compter sur notre loyauté. Elle a toujours veillé à une gestion
collégiale. Sur tout le mandat, elle a changé l’encadrement municipal à 100%. L’instabilité de
son cabinet lui a été préjudiciable un temps, mais s’est finalement avérée utile et payante.
C’est vrai qu’elle mène son action avec une équipe étroite et que j’ai pu lui reprocher une
gestion ministérielle de la ville, mais elle a depuis su montrer sa capacité d’adaptation. Elle
sait qu’on ne renonce pas à notre liberté de parole, mais si nous ne sommes pas dans
l’idolâtrie, nous savons être loyaux. Au final, on a pris notre pied pendant sept ans».
Marc-Philippe Daubresse (député UMP, ancien premier vice-président de Pierre
Mauroy à la LMCU)
«Si l’élection avait eu lieu en septembre 2007, je suis persuadé que les résultats électoraux
auraient été tout autres, tant on observe la désertion des voix de droite face au maintien de la
mobilisation électorale de gauche. Le fait que son parti ne l’investisse pas aux législatives lui
a finalement rendu service, tout comme son absence des débats nationaux de premier plan.
Repliée sur sa base, elle a fait le job qu’elle n’avait pas fait jusque-là et elle a changé son
image autoritaire, en démontrant combien c’est une femme intelligente. Elle a parfaitement
réussi sa stratégie de digestion du MoDem et le retrait de son challenger officiel UMP
Christian Decocq l’a bien aidé [Il s’est retiré de la tête de liste après sa défaite aux dernières
législatives]. La morale de cette élection, c’est qu’on ne peut prétendre être élu à Lille sans y
avoir vécu pendant au moins six ans à temps plein. A la communauté urbaine, si elle décide
de revenir à la logique majorité/opposition, je serai au rendez-vous, même si je suis à 90%
d’accord avec son programme. Nous avons le mérite de se reconnaître intelligents l’un l’autre.
Enfin, elle ne me trouve “pas nul”, ce qui dans sa bouche est déjà pas mal.»
Didier Fusillier (délégué général de Lille 2004, capitale européenne de la culture)
«Martine Aubry s’est emparée du projet Lille 2004 dès sa naissance, alors qu’elle était
première adjointe et que Pierre Mauroy s’en désintéressait. Elle m’a appelé en 1999. C’était
déjà assez tard, d’autant plus qu’elle travaillait dans un gros ministère. On s’est vu une fois
par semaine pendant trois ans. D’emblée, elle n’était pas du tout orientée vers les “grands
noms” de la culture, mais plutôt sur la façon de construire un tissu de relations sociales et
urbaines. Mon job était de trouver les nœuds gordiens de sa volonté politique axée sur les
quartiers populaires. La création des Maisons folie s’inscrit dans cette logique d’utilisation de
la culture comme levier de lutte contre les inégalités sociales. La réhabilitation de friches
industrielles avait pour but d’amener la puissance publique aux acteurs locaux. Tous ces lieux
ont été pensés avec les associations de quartier. D’où la mise en œuvre d’un hammam à
Wazemmes et d’un studio d’enregistrement à Moulins. Pendant ces années, j’ai connu une
femme passionnée de culture, qui vous oblige à un effort de certitude dans vos dossiers et qui
vous impose sa force de travail. Mais quand elle est libérée de la pression de l’observation
médiatique et publique, c’est quelqu’un de très marrant et libéré.»
Pierre de Saintignon (premier adjoint de Martine Aubry depuis 2001)
«Cette campagne, c’était des vacances. On n’a rencontré que des gens chaleureux et
franchement, on s’attendait à un score très positif, car la qualité des débats avec la population
n’a cessé de s’améliorer depuis 2001. Ici, la démocratie participative n’est pas qu’un slogan.
Les élus prennent leurs responsabilités et après, en discute avec les habitants. Ce n’est pas
“dites ce que vous voulez, on va le faire!” La recette de la victoire de Martine, c’est qu’elle a
très vite reconnu et intégré sa défaite aux législatives de 2002. On lui a fait beaucoup de
mauvais procès et beaucoup de gens qui n’ont jamais accepté son arrivée lui ont savonné la
planche, entretenant la caricature d’une mal-aimée autoritaire. Mais elle est juste une femme
de caractère à l’exigence légitime. Le suffrage universel a rendu justice à une femme de
gauche qui fédère toutes les gauches. Car l’accord passé avec le MoDem est une alliance avec
le centre-gauche. Je pense souvent à ce que me disait Michel Delbarre quand on était de
jeunes militants : “quand t’es paumé, tu prends le Mauroy, tu le jettes en l’air, et il retombe
toujours à gauche”. Avec Martine, c’est pareil. On a beaucoup glosé sur les relations avec
Pierre Mauroy. Il y a eu un moment de tension il y a un an mais il s’est réglé très rapidement.
Dans une famille, il y a toujours des coups de gueule. Nous sommes dans une fidélité absolue
envers tout ce qu’il représente, mais Martine a mis sa patte, installant des méthodes qui ont
fait avancer la ville. La méthode Aubry, c’est: ténacité, proximité, rigueur.
Bernard Roman (député et vice-président du conseil régional Nord-Pas-de-Calais)
«Franchement, je ne souhaite pas parler de cette époque. C’est évident que nous ne passerons
jamais nos vacances ensemble. Ses accusations lors de la sortie du bouquin de Philippe
Alexandre ont marqué un tournant dans notre relation et la fin de notre amitié. J’espère qu’un
jour elle présentera ses excuses sur ce qu’elle a dit sur moi. J’ai toujours gardé le silence et
tiens à rester loyal. Mais en dépit de ces histoires, je vous assure sincèrement que ce qu’elle a
réussi à Lille est exceptionnel».
Frédéric Sawicki (professeur de Science politique, directeur du Ceraps de Lille II)
«La part d’agressivité qu’on lui a reproché s’explique aussi par le stress politique. En 2001,
elle est présidentiable à moyen terme et elle enchaîne les difficultés électorales et son début
de mandat est marqué par l’inexpérience municipale (par exemple, l’épisode des halles de
Wazemmes). Son impopularité s’explique aussi en grande partie par les tensions avec le
personnel municipal, soit 3.000 personnes qui peuvent faire fuiter des informations ou
alimenter une mauvaise réputation. Et puis elle n’est pas très forte en clientélisme partisan.
Elle a du mal à se constituer des fidèles en dehors de son premier cercle. Dans son équipe, peu
d’adjoints socialistes lui sont proches et elle mise beaucoup sur les “personnalités” ou les
Verts. Depuis, elle a mis de l’huile dans les rouages et su être diplomate. J’en suis le meilleur
exemple, même si mon combat sur le stade n’était pas personnel. En me confiant une mission
sur le développement des pôles universitaires, elle fait preuve d’habileté et montre sa capacité
à nourrir du lien entre politique et chercheurs. Un truc impensable avec Mauroy.
Elle a du fond, de vraies convictions et un attachement réel à la ville. Après, le cynisme et la
dureté sont liés à tous les hommes politiques. La remise à plat du dossier grand stade, comme
des politiques de transport et de logement, seront un test sur sa capacité à renégocier et à
bouleverser les équilibres politiques. La LMCU paie encore 50% du total des “amendes SRU”
des communes. Va-t-on en finir avec cette logique?»
Walid Annah (maire-adjoint de Lille, ancien président des conseils de quartier de
Faubourg de Bétune et Bois-Blanc)
«Après les réunions, il y avait toujours une deuxième réunion. Martine est une visionnaire à
visage humain, qui a axé son projet urbain sur la renaissance des quartiers populaires quand
Mauroy se focalisait sur les grands projets, qui étaient un préalable sans doute nécessaire. La
concertation n’est pas vraiment non plus dans la culture de Mauroy. La tenue de conseils de
quartier a permis la permanence d’une présence de terrain, rompant avec l’image d’une venue
rien qu’au moment des élections, comme ça a pu être ressenti en 2001. En ce temps-là, c’était
houleux et on ne finissait pas les réunions. Je ne la trouve pas cassante, même si c’est vrai
qu’elle peut hausser la voix. Juste, elle n’est pas hypocrite. Mais la méthode du dynamisme
sans pause, c’était nouveau à la mairie de Lille. Alors, c’est vrai que ça a pu brusquer».
Gilles Pargneaux (premier secrétaire de la Fédération PS du Nord)
«Vis-à-vis des socialistes du Nord, Martine a rencontré une difficulté de départ, en prenant la
place du successeur désigné de Pierre Mauroy, le premier fédéral Bernard Roman. Ce
changement de dauphin s’explique par l’enchaînement de défaites subies par le PS (régionales
92, cantonales et législatives 93). Mauroy a vu son dispositif s’effondrer et a alors décidé de
susciter un électrochoc. Le deuxième moment de tension eut lieu en 2002, après la défaite du
21 avril et la défaite d’Aubry aux législatives, quand la majorité des militants du Nord ont
contesté l’autorité de Pierre Mauroy et que Marc Dolez a emporté la fédération sur une ligne
gauchiste contre tous les ténors locaux. Il y a eu ensuite quelques crispations lors des
investitures pour les législatives de 2007, quand elle a voulu être candidate dans la
circonscription de Derosier (président du conseil général), puis lors de la primaire quand elle
s’est opposée au soutien à Ségolène Royal par la fédération. Désormais, les choses sont
rentrées dans l’ordre. En 2001, la victoire de Martine l’a fait accepter par les Lillois et en
2008, elle s’est fait aimer par eux. De fait, le PS est à l’image de l’évolution sociologique du
Nord. La tradition ouvrière, voire ouvriériste, laisse peu à peu la place au rajeunissement de la
population et à l’émergence de classes intermédiaires. Aubry est l’héritière démocratique de
Mauroy, mais elle n’est pas dans l’héritage. D’ailleurs Mauroy n’a pas passé le relais, il reste
sénateur jusqu’en 2011 et continuera à jouer son rôle de sage. Seulement, on change
d’époque, et elle est à l’image de ce changement. Elle est désormais l’une des leaders du
socialisme du Nord, au même rang que Roman, Derosier ou Delbarre. Mais elle n’en est pas
la porte-parole. Si elle me le demandait, je lui déconseillerais d’être candidate à la direction
du PS lors du prochain congrès. Elle ne doit pas oublier qu’elle a réussi à se faire aimer grâce
à sa présence de tous les instants. Je lui rappellerai aussi ce qu’avait répondu Mauroy en 1994,
après le retrait de Delors dans la course à la présidentielle, quand Mitterrand lui avait
demandé d’être le candidat du PS: “Je ne peux pas, car je dois me consacrer à Lille”. Son
élection probable à la communauté urbaine doit d’ailleurs permettre d’ouvrir un cycle
nouveau où les forces en présence seront clarifiées, après la politique rassembleuse et
consensuelle de Mauroy.»
Rémi Lefebvre (professeur de science politique à Reims chercheur au Ceraps de Lille II)
«Les salles sont bien mieux contrôlées ces derniers temps et la présence militante du PS lillois
est bien plus importante qu’en 2001. On peut estimer le nombre de militants vraiment actifs
dans la ville à 200. Ce qui n’est pas mal. Elle a modifié à la marge le système Mauroy. Elle a
beaucoup joué sur la rupture avec le clientélisme au début de son mandat, mais elle a aussi
mis en place un réseau d’obligés. Toutefois, celui-ci s’est basé sur la compétence et non plus
sur le copinage. Son rapport à la fédération PS a de grande chance de s’améliorer, car le PS
local est avant tout électoraliste. Ça allait surtout mal car la ville et la communauté urbaine
étaient menacées. Si elle rapporte des succès aux socialistes, ceux-ci ne l’embêteront plus. Les
critiques sur l’autoritarisme sont déjà celles que l’on faisait à Mauroy dans les années 1970. Il
faut comprendre qu’elle n’était pas bien préparée à ce rôle de maire et qu’elle est arrivée en
ministre. Les logiques d’intériorisation et de sociabilisation prennent du temps. Elle a pris
conscience de certaines de ses erreurs. Par exemple, elle a été touchée par l’article que j’avais
rédigé sur elle dans Politix et elle m’a dit avoir travaillé dessus».
Jacques Richir (tête de liste MoDem, conseiller municipal)
«Elle est devenue authentiquement lilloise, y compris dans sa vie privée avec son mariage et
l’établissement d’un réseau d’amis. Elle a profité de l’évolution sociologique de la ville, plus
encline à voter à gauche ou MoDem qu’il y a quelques années, tout en se réinvestissant en
profondeur les quartiers populaires. Notre relation a toujours été courtoise depuis son arrivée.
Elle travaille beaucoup et vite: il vaut mieux être prêt dans ses dossiers. Son arrivée à la
communauté urbaine va faire avancer les choses, en rompant avec le consensus mou et
paralysant de la fin de règne Mauroy. Elle va y apporter sa culture du projet et y insuffler un
état d’esprit de chef d’entreprise. Notre accord avait pour but de conforter le MoDem au
niveau communautaire. Au niveau local, elle est dans une ligne plus sociale-démocrate
qu’ultra-gauche et possède de meilleurs contacts avec les chefs d’entreprise que la plupart des
leaders de droite. Et nous sommes sur la même ligne critique envers le gouvernement… Elle
était la Dame des 35h comme Mauroy était l’homme des nationalisations. Certes elle ne
transige pas avec la médiocrité et peut parfois paraître sévère, mais elle y met de plus en plus
les formes. En même temps, sa franchise change de Mauroy qui disait parfois “cher ami” en
pensant “gros con”…»