L`accompagnement et les trajectoires d`insertion des
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L`accompagnement et les trajectoires d`insertion des
Présentation de l’étude : « L’accompagnement et les trajectoires d’insertion des jeunes bénéficiaires d’un contrat dans la vie sociale »1 Bernard Gomel (CEE), Sabina Issehnane (DREES), François Legendre (UPEC) Introduction A l’heure de la mobilisation nationale contre le chômage des jeunes, en particulier celui massif des jeunes non ou peu qualifiés, dans le cadre de la mise en œuvre des contrats d’avenir, il est opportun de tirer les leçons d’une étude réalisée sur l’accompagnement des jeunes dans les missions locales, particulièrement lorsqu’ils sont peu qualifiés. En effet, les difficultés mais aussi les impacts positifs de l’accompagnement des jeunes en Civis (contrat d’insertion dans la vie sociale) que révèle cette étude apportent des éclairages utiles sur les défis à relever pour une meilleure insertion des jeunes non qualifiés. L’accompagnement des jeunes en Civis Le Civis est un dispositif créé par le Plan de cohésion sociale de 2005, qui a pris le relais du Programme Trace (Trajet d’accès à l’emploi) qui datait de la loi de lutte contre les exclusions de 1998. Dans la continuité du Programme Trace, il vise les jeunes de 18 à 25 ans auxquels il offre un accompagnement personnalisé qui est orienté vers l’acquisition de qualification et d’expériences professionnelles. Cet accompagnement est renforcé pour les jeunes les moins qualifiés de niveau de formation V bis (sans diplôme et 1e année CAP/BEP) et de niveau VI (2e année de CAP ou de BEP sans diplôme et classe de seconde ou de première de lycée). Le Civis renforcé se caractérise par des entretiens plus nombreux auprès de la conseillère ou du conseiller en insertion sociale et professionnelle et par la possibilité pour le jeune de 1 http://fj.legendre.free.fr/ 1 renouveler son contrat jusqu’à l’atteinte de son objectif d’insertion professionnelle. Lorsqu’il n’est pas rémunéré du fait d’un emploi ou d’un stage, le Civis permet au jeune de percevoir une allocation d’un faible montant, avec un maximum de 1 800 euros par an ou 15 euros par jour (en 2010). Enfin, dans la tradition des missions locales, l’accompagnement en Civis est global au sens où il prend en compte l’ensemble des problématiques qui, pour le jeune, peuvent constituer des obstacles à son insertion dans la vie sociale telles que logement, santé, qualification… etc. Le faux paradoxe selon lequel accompagner plus les jeunes c’est les insérer moins L’accompagnement des jeunes en Civis, depuis leur entrée dans le dispositif jusqu’à leur sortie, fait l’objet d’un suivi de gestion dans le cadre de l’application informatique Parcours 3, mise en place également en 2005. L’étude réalisée sur l’accompagnement des jeunes en Civis, notamment sur leur accompagnement renforcé, a utilisé ces données de gestion en les transformant en données de panel afin de pouvoir mobiliser des techniques statistiques adaptées à son objectif. Ce dernier trouve son point de départ dans un faux paradoxe qui fait apparaître que, lorsqu’on utilise les données de Parcours 3, plus le jeune est accompagné, en bénéficiant d’un plus grand nombre d’entretiens individuels, moins bonne est son insertion professionnelle. A en rester aux données brutes, on en conclut donc que l’accompagnement plus intense est contreproductif puisque ses résultats en terme d’insertion professionnelle sont moins satisfaisants que ceux associés à l’accompagnement de base. Ce paradoxe est un artefact statistique vérifiant ce qu’aimait à dire Alfred Sauvy, économiste du XXe siècle et fondateur de l’Ined, à savoir que « les chiffres sont des innocents mais que sous la torture, ils peuvent tout avouer ». En effet, tout acteur de terrain, tout(e) conseiller(ère) en insertion sociale et professionnelle sait qu’il s’agit là d’un faux paradoxe dont l’origine est la suivante. Les jeunes les plus accompagnés étant les jeunes les plus éloignés de l’emploi (les auteurs de l’étude parlent à ce propos d’effet Matthieu II selon le passage de l’évangile éponyme « Ainsi les premiers seront les derniers, et les premiers seront les derniers »), leur insertion professionnelle est une course avec handicap. L’objectif de l’étude est alors d’arriver à prendre en compte l’hétérogénéité des jeunes, c’està-dire leur plus ou moins grande distance à l’emploi, afin de pouvoir mesurer l’effet net de l’accompagnement sur l’insertion des jeunes toutes choses égales par ailleurs. A cette fin, l’étude doit d’abord construire une mesure de la distance à l’emploi des jeunes, qui n’est pas directement observable, pour ensuite comparer les effets de l’accompagnement sur l’insertion 2 des jeunes en tenant compte de leur plus ou moins grande distance à l’emploi. L’économétrie des données de panel est l’une des méthodes adaptées à ces exigences. La modélisation de l’étude L’étude couvre la période du premier trimestre 2005 au troisième trimestre 2008 au cours de laquelle plus de 500 000 trajectoires individuelles pourront au total être suivies, informées de manière trimestrielle par près de 3 millions d’observations. Dans Parcours 3, les situations individuelles sont décrites à l’aide d’une nomenclature très détaillée que l’étude ramène, selon une convention déjà établie, à seulement six degrés d’insertion professionnelle. D’autre part, l’étude mesure l’intensité de l’accompagnement en tenant compte du nombre d’entretiens dont le jeune a bénéficié lors du trimestre précédent. Le tableau ci-dessous récapitule les 6 degrés de l’insertion professionnelle et les 5 niveaux de l’intensité de l’accompagnement, avec l’idée de tester si un accompagnement plus intense favorise l’insertion professionnelle du jeune. Degré d’insertion professionnelle Inactivité (hors formation) Chômage Formation Contrat aidé ou alternance Emploi précaire Emploi durable Total % 2,5 39 22 7,2 16 14 100 Niveau de l’intensité de l’accompagnement Aucun entretien en t-1 Un entretien en t-1 Deux entretiens en t-1 Trois entretiens en t-1 Quatre entretiens et plus en t-1 Total % 29 22 17 12 20 100 Dès lors que la modélisation ne tient pas compte des différences existantes entre les jeunes les plus suivis et ceux les moins suivis, l’étude économétrique confirme l’artefact statistique selon lequel plus un jeune est accompagné moins il s’insère dans la vie professionnelle. Pour tenir compte de l’effet Mathieu II qui explique ce faux paradoxe, l’étude va alors prendre en compte l’hétérogénéité entre les jeunes suivis en Civis. L’étude choisit de capter les différences interindividuelles en privilégiant deux canaux : le degré initial d’insertion du jeune et le degré d’insertion au trimestre précédent. Le premier estime que l’accompagnement d’un jeune entré en Civis en situation de chômage n’est pas la même chose que l’accompagnement d’un jeune entré en Civis en emploi précaire. La distance plus courte à l’emploi du second fait qu’un accompagnement allégé de ce dernier pourra produire une meilleure insertion que celle du premier bénéficiant pourtant d’un 3 accompagnement plus intensif. Le second canal est encore plus important pour mesurer les différences entre les jeunes. Il traduit la très grande inertie de la distance à l’emploi d’un jeune au cours de son accompagnement. Le modèle « préféré » des auteurs, modèle autorégressif calé en outre sur le degré initial d’insertion, tient compte de ces deux sources de différence entre les jeunes pour tester l’effet de l’intensité de l’accompagnement sur leur insertion. Succès et difficultés de l’accompagnement des jeunes Lorsque la modélisation tient compte de l’hétérogénéité des jeunes, alors les résultats du modèle établissent que l’intensité de l’accompagnement a un effet positif sur l’insertion professionnelle du jeune. Cet effet est d’autant plus positif que l’accompagnement est intensif, toutes choses égales par ailleurs. L’artefact statistique est déconstruit. Le modèle montre, par ailleurs, que les deux types de différence entre les jeunes, leur degré initial d’insertion et l’inertie de leur situation, jouent chacun un rôle dans leur plus ou moins grande facilité d’insertion. Et ces deux rôles se renforcent, handicapant d’autant plus les jeunes ayant à la fois une grande distance initiale à l’emploi et une forte inertie de leur éloignement à l’emploi. Avec une dernière sophistication de leur modèle, les auteurs montrent que la crise a eu dès le troisième trimestre 2008 un impact négatif sur l’insertion des jeunes de l’ordre de 4% qu’un accompagnement intensif de l’ordre de trois entretiens lors du précédent trimestre aurait pu contrebalancer, puisque son effet positif sur l’insertion est de l’ordre de 4,6%. Enfin, le modèle permet d’établir les facteurs le plus pour l’insertion professionnelle des jeunes. Le faible niveau de formation initiale est un facteur particulièrement négatif. De même les jeunes femmes dans la mesure où elles ont la charge d’enfants ou vivent en couple ont une insertion rendue plus difficile. Enfin, l’hébergement précaire handicape très fortement l’insertion des jeunes alors que les problèmes de mobilité n’exercent qu’un rôle secondaire. En assurant un salaire et une formation aux jeunes non ou peu qualifiés, les emplois d’avenir forcent les verrous de l’insertion que notre société met pour les jeunes les plus éloignés de l’emploi. Il n’est pas sûr que les associations aient les épaules assez solides pour en supporter la charge, y compris avec 75% du salaire des contrats d’avenir socialisé. 4