CONCLUSION par Noëlle LENOIR Ministre déléguée aux Affaires
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CONCLUSION par Noëlle LENOIR Ministre déléguée aux Affaires
CONCLUSION par Noëlle LENOIR Ministre déléguée aux Affaires européennes Les sciences de la vie sont, parmi les sciences dites « dures », celles qui touchent au plus près notre vie intime, en tant qu’individu, au sein de notre famille ou de la société. Leurs avancées ne peuvent se concevoir d’un point de vue totalement utilitariste en fonction des simples commodités qu’elles apportent. Force est d’avoir sur elles un point de vue moral. Ceci est dû à la spécificité de l’objet même de la biologie et des sciences qui en sont dérivées : le vivant, en particulier le vivant humain, ne peut en effet être assimilé à la matière inerte. Si mystérieuse que soit la vie humaine, elle mérite respect. Tel est le sens à mon avis de la bioéthique qui conjugue deux concepts, celui de vivant et celui de comportement social et individuel à adopter face aux situations humaines conflictuelles engendrées par les avancées de la science. D’autres sciences que la biologie ou la génétique, de même que d’autres technologies que la biotechnologie sont susceptibles d’engendrer des situations difficiles. Par exemple, la physique nucléaire donne lieu, avec les armes de destruction massive qu’elle permet de construire, à des applications mettant en cause la survie de la planète. Et ce, d’une façon sans doute encore plus radicale que le bioterrorisme. Biologie et physique nucléaire sont comme la langue d’Esope : la meilleure des choses lorsque leurs applications servent à améliorer le sort des hommes, et la pire lorsqu’elles ont une portée destructrice. Pourtant, nul n’a l’idée de parler de l’éthique ou du droit de la physique nucléaire ! Si le droit est spécialement convoqué pour aider à définir les repères qui permettront d’encadrer les pratiques biomédicales et de recherche, c’est en raison des valeurs qui les sous-tendent. Ces valeurs sont celles des droits de l’homme — dignité, liberté, égalité ou non-discrimination et fraternité ou solidarité. Toutefois, elles doivent être revisitées à la lumière des avancées de la science, et en particulier des conséquences à plus ou moins long terme qui leur sont attachées. 576 Rev. trim. dr. h. (54/2003) • Tu ne te cloneras point et tu ne cloneras point ton prochain ; • Tu ne traiteras point comme simples choses du commerce les éléments et partie du corps humain ; • Tu ne violeras pas la conscience de ton prochain et recueilleras son consentement éclairé en cas d’atteinte à son intégrité physique ou intellectuelle dans des buts médicaux ou de recherche ; • Tu ne feras pas prendre à autrui de risques inutiles et tu recourras avec précaution aux techniques biomédicales mises à ta disposition par la science... Tels sont parmi d’autres, quelques commandements essentiels de la bioéthique. Ils sont aujourd’hui repris dans la majorité des législations adoptées en la matière à travers le monde. L’objectif est clair : l’homme doit être traité comme une fin et non comme un moyen. Alors que le pouvoir de la science conduit à manipuler le vivant humain comme un véritable matériau, ce principe kantien est plus indispensable que jamais. Le méconnaître serait faire de l’homme, un « homme machine », dans le sens de l’animal machine de Descartes. Ce serait la négation de notre civilisation humaniste. Pour autant, tous ces préceptes sont à manier avec subtilité, car dans la réalité, ils ne sont pas si simples à mettre en pratique. Ainsi faut-il englober dans l’interdiction du clonage celui dit à but « thérapeutique » dont les perspectives sont présentées comme extraordinaires ? Comment concilier l’interdiction de la commercialisation du corps humain avec la brevetabilité des gènes humains comme moyen d’encourager la recherche ? Peut-on raisonnablement parler de consentement « libre et éclairé » de la part d’un patient qui non seulement est dans une situation de grande faiblesse, mais qui n’a pas en outre le même niveau d’information et de compréhension de cette information que le médecin ? Quant au principe de précaution, si bien ancré maintenant dans le droit français et communautaire en particulier, ne risque-t-il pas d’entraver la recherche et de dissuader les médecins de pratiquer des soins éventuellement salvateurs, au motif qu’ils comportent des risques ? C’est à la loi, complétée par la jurisprudence, de répondre à ces interrogations. Le projet de loi français de bioéthique en cours de discussion est une tentative de résoudre ces dilemmes qui sont « le propre de l’homme », pour reprendre la formule bien connue. Le texte soumis par le gouvernement au Parlement est nuancé. Il traduit le souci de ne pas empêcher la science d’avancer malgré les risques inhérents qu’elle comporte. Mais dans le même temps, il vise à éviter l’irréversible et l’irréparable, comme le clonage. Noëlle Lenoir 577 Il est évident cependant que le droit national est impuissant à réguler des pratiques qui peuvent facilement se délocaliser, en toute impunité pour leurs auteurs, dans des pays refuges. C’est pour éviter cet écueil et plus encore pour que la communauté internationale prenne clairement ses responsabilités que la France et l’Allemagne ont conjointement pris l’initiative de proposer aux Nations Unies une Convention pour interdire universellement le clonage reproductif. Ce clonage représenterait le degré zéro du respect de l’homme. L’affaire est urgente. C’est pourquoi il est fort dommageable que la proposition de la France et de l’Allemagne n’ait pas encore pu aboutir. Le Président de la République, Jacques Chirac, a annoncé, à l’occasion du vingtième anniversaire du Comité consultatif national d’éthique, son souhait d’aller plus loin en promouvant une véritable Convention internationale sur la bioéthique. La diversité culturelle du monde ne doit pas en effet dispenser la communauté internationale d’expliciter les principes juridiques sur lesquels elle entend fonder les rapports entre les sciences de la vie et la société. « Tout homme est tout l’homme », a dit Jean-Paul Sartre. Il serait impensable que les droits de l’homme universels issus de la Déclaration de 1948 n’intègrent pas cette dimension humaniste de la bioéthique. La Déclaration sur le génome humain et les droits de l’homme de 1997 de l’UNESCO a déjà tracé la voie. Elle a été approuvée en 1998 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Il est temps qu’elle débouche sur un texte de portée obligatoire. L’Europe, quant à elle, joue un rôle pionnier. Qu’il s’agisse de la Convention du Conseil de l’Europe de 1996 que la France s’apprête à ratifier, ou de la Charte sur les droits fondamentaux des citoyens européens — qui proclame la dignité humaine en son article premier et dont l’article 3 est tout entier dédié à la bioéthique — destinée à être intégrée dans la future Constitution de l’Union européenne, l’arsenal juridique européen existe. La jurisprudence qui en résultera ne fera qu’accentuer encore le degré de conscience collective des Européens pour qui la bioéthique est un sujet certes compliqué, mais relativement familier. C’est à travers le droit et les cas humains qu’il résout que cette prise de conscience va aller croissant. Au moment où les citoyens de l’Union européenne reconstruisent la maison dans laquelle ils ont vécu depuis cinquante ans afin d’y accueillir de nouveaux habitants venus de l’Europe centrale et orientale, et alors que le Groupe européen d’éthique de la Commission européenne est en passe lui-même de s’élargir à de nouveaux membres issus de ces pays, le droit de la bioéthique a vocation à jouer un rôle structurant pour l’Europe réunifiée. Ce rôle est de faire vivre les valeurs qui unissent les Européens. Sans acte de foi en ces 578 Rev. trim. dr. h. (54/2003) valeurs, il n’aurait pas valu la peine de s’être lancé dans cette incroyable — et exaltante — aventure de la construction européenne. « Union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe », l’Union européenne doit s’affirmer comme un espace commun de la recherche aussi dynamique et compétitif que possible, mais également comme un espace de débat sur les grandes questions du monde contemporain liées à cette recherche. Je salue donc les auteurs de ce numéro spécial. Ils apportent une importante contribution à un débat qui est à la fois éthique et juridique. Et qui nous met face à nos responsabilités collectives. ✩