Jodi et la place du Net Art.

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Jodi et la place du Net Art.
Jodi et la place du Net Art.
Pourquoi le net art peine à trouver sa
place dans l’histoire de l’art?
Éléonore Euzenes - MM2 - Histoire de l’art - Décembre 2016
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Internet, réseau informatique mondial ayant connu un boom dans les années
2000, comptait en 2014 2,9 milliards internautes avec un taux de pénétration
supérieur à 80% dans une vingtaine de pays. Développé à partir de la fin des
années 60 ce n’est qu’au début des années 90 qu’internet devint commercialisé
au grand public. Internet a alors suscité l’intérêt de tout type de personnes
notamment un petit groupe d’artistes (Vuk Ćosić, Jodi.org, Alexei Shulgin,
Olia Lialina et Heath Bunting) se rassemblant sous la bannière d’un nouveau
mouvement artistique : le Net art. Comme tout nouveau médium, l’art sur
internet ainsi que le mouvement Net art furent un terrain d’expérimentation,
innovation et de questionnement des conventions dans l’art.
Cependant le web est- il un médium?
Dans l’introduction de son livre ‘Net.art 2.0’ Tilman Baumgärtel, sociologue des
médias et journaliste, questionne la définition du net en tant que médium “ Le
Net Art n’est pas un médium, comme la peinture pourrait l’être, mais rassemble
plutôt la simulation de toute sorte de médias. ”
Le réseau Internet bouleverse les codes établis dans l’art dès la tentative
de définir ce dont il s’agit. Est- il un médium, un matériau, un support, un
environnement ou tout cela à la fois ? Est-ce la seule raison pour laquelle le net
art peine à trouver sa place dans l’histoire de l’art ?
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Délimiter l’oeuvre de net art.
S’il est difficile de définir internet par rapport à l’art, est-il simple de définir une
oeuvre de net art?
L’oeuvre de Net art prend forme sur le web qui est son matériel, mais également
son support de diffusion. Les net artistes ont détourné les outils du web et les
datas afin de créer leurs oeuvres sans se soucier de l’esthétisme de leurs oeuvres.
Certaines oeuvres font également appel à des sites extérieurs non créés par
l’artiste ce qui interroge où se trouve la limite de la forme de l’oeuvre de net art.
Ces liens externes peuvent-ils être considérés comme un collage ou l’oeuvre doitelle être délimitée par seulement le site où il est hébergé?
Pour Julian Stallabrass, historien de l’art, “ écrire à propos de l’art sur Internet
c’est essayer de fixer des mots sur un phénomène instable et changeant. Cet
art est inextricablement lié au développement d’Internet lui-même, dévalant le
torrent furieux du progrès technologique qui ramène en lumière les anciennes
visions du modernisme, arraché de la matière et jeté dans l’éther, et ainsi rendu
soudainement et curieusement nouveau. ”
Les oeuvres de Net Art pâtissent donc de l’instabilité d’internet pour se définir.
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Conservation d’une oeuvre
Dans le monde digital dont internet fait partie, tout devient obsolète en un
temps record. Web 2.0, HTML5, CSS3, les technologies pour afficher les sites
internet n’ont cessé d’évoluer depuis les années 90, passant de pages statiques
à des pages en mouvement, s’adaptant aux différents supports où également
l’internaute n’est plus simple lecteur de la page internet qui consulte, mais peut
fréquemment interagir et contribuer à celles-ci. Les oeuvres de net art subissent
irrémédiablement ces changements et deviennent des oeuvres autonomes,
évoluant au-delà de la volonté de leurs créateurs. C’est à l’artiste de choisir
de modifier son oeuvre afin de retrouver une forme proche de l’original ou au
contraire de laisse vivre l’oeuvre. Cependant il est parfois impossible d’effectuer
ces changements. On peut prendre en exemple http://oss.jodi.org du collectif
Jodi composé de Joan Heemskerk et Dirk Paesmans , oeuvre qui en 1996 a dû
enrager plusieurs internautes.
http://oss.jodi.org
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En effet le site ouvrait de nouvelles fenêtres web toutes les secondes jusqu’à
faire beuger le navigateur web qui s’arrêtait de fonctionner. Créé dans la lignée
des farces sur internet, Jordi ne peut plus agacer les internautes en aujourd’hui
car les navigateurs web récents bloquent l’ouverture de ces fenêtres web.
wwwwwwwww.jodi.org , leurs plus célèbres créations quant à elle souffrent de
liens vers des sites extérieurs dont les pages n’existent plus.
wwwwwwwww.jodi.org
Comme tout site web, l’oeuvre de net art peut être conservée via une copie
locale. Néanmoins les moyens de stockages, disquettes, CD-ROM, disque
dur, stockage en ligne, sont sujet également à une obsolescence programmée
ne garantissant pas la pérennité de l’oeuvre. L’oeuvre de Net Art doit-elle
être restaurée comme on restaure une église ou une peinture ancienne ?
Les Net artistes n’avaient pas prévu que leurs oeuvres évolueraient, mais ce
changement ne fait-il pas parti de l’essence de l’art internet ? Encore une fois Le
Net Art bouscule les codes de l’art.
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Contournation, circuit des galeries et musées
Exposer une oeuvre de Net Art dans un musée nous confronte à des
problématiques similaires à sa conservation. L’oeuvre doit-elle être montrer via
un modèle d’ordinateur de son époque ? Doit-on montrer une version actuelle
en ligne ou une copie locale sur l’ordinateur ? Que faire des liens extérieurs ne
fonctionnant pas ?
Mais plus important encore, pourquoi exposer l’oeuvre de net art au musée
alors qu’elle est accessible directement sur le web ?
L’oeuvre de Net Art peut vivre et être vu sans passer par les circuits habituels
de l’oeuvre d’art cependant certaines oeuvres en ont bénéficié, et cela dès
les années 90. En effet, en 1997, la 10e édition du festival quinquennal d’art
contemporain allemand La documenta, exposa le travail du collectif Jodi.
Cependant il semble que l’exposition ne plût pas au collectif. Dans une interview
avec le journaliste Tilman Baumgaertel, Jodi déplora la façon dont était exposé
les oeuvres de net art lors du festival dans une pièce ressemblant à un bureau
“ La métaphore est beaucoup trop clichée. Il s’agit d’une blague, mais cela
n’est pas drôle. Et ce sera répéter [par d’autres expositions] […] Beaucoup de
personnes ont leurs ordinateurs à côté de leurs lits. L’idée que les ordinateurs
ne se trouvent que dans des bureaux est périmée d’il y a 20ans. Aujourd’hui il
est habituel de voir un ordinateur dans une salle à manger. Le bureau crée une
distance. Je n’aime pas ça ”. Ils regrettèrent de n’avoir pas été impliqués dans
le processus de mise en scène. Le collectif refusa également de modifier sont
oeuvres pour faciliter la vue lors de La documenta que ça soit en changeant des
liens ou en portant les pages du site sur un CD ROM.
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Le Net Art remet également en question le marché de l’art. Internet est devenu
un des acteurs du Village planétaire dépeint par Mc Luhan dans les années 60,
où les informations sont accessibles à tous en temps réel. Qui voudra donc se
procurer une oeuvre disponible à tous gratuitement sur le web ? Comment
l’acheteur acquerrait l’oeuvre ? Sous la forme de copie ? En recevant un certificat
d’achat? Le Net Artist ne semble pas pouvoir vivre de ses oeuvres elles-mêmes,
mais d’intervention lors de festivals sous forme de conférence ou workshops.
conclusion
Internet et son art évoluant plus rapidement que l’histoire de l’art ce qui
pourrait expliquer cette fracture entre les deux. Les artistes d’art en ligne
peinent à être reconnu et beaucoup d’entre eux comme Jodi refusent de se plier
aux codes établis. En dehors de la diffusion via des musées et d’une entrée sur le
marché de l’art, l’art sur internet aurait besoin de plus d’écrit sur le sujet. Deux
possibilités s’offrent au Net Art et l’art en ligne en général. Soit le domaine de
l’art évoluera dans le sens de ce mouvement et reprendra ses codes soit de par
son ancrage dans une époque spécifique et la non-prérénité de ses oeuvres, le
mouvement garderont un statut de phénomène de seconde zone.
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(7616 caractères)
Bibliographie :
- Interview de Jordi - 6 octobre 1997 par Tilman Baumgärtel
- Julian Stallabrass, The Online Clash of Culture and Commerce, Tate Publishing,
Londres, 2003
- Tilman Baumgärtel , Net Art 2.0, 1999
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