Conséquences économiques et sociales
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Conséquences économiques et sociales
DOSSIER Nouvelles formes de travail Conséquences économiques et sociales Des fluctuations accrues, des formes de temps de travail flexibles et une nette augmentation des activités professionnelles indépendantes ont modifié le marché du travail de façon irréversible. Des réformes profondes dans les domaines de la formation et du social sont dès lors nécessaires pour éviter une déstabilisation et une précarisation de la population active. Le marché suisse du travail a connu de profondes mutations au cours des dernières années. Ces changements ne constituent pas de simples accidents conjoncturels mais ils représentent des phénomènes de long terme qui vont marquer le paysage économique et social de manière indélébile. Ces mutations se sont traduites en particulier par l’apparition de nouvelles formes d’emploi qui répondent à une volonté des entreprises de flexibiliser le marché du travail. La flexibilité gagne du terrain Si la première forme de flexibilité de caractère purement quantitatif n’est pas nouvelle, il faut néanmoins constater que, depuis le début de la décennie, les entreprises ont modifié leur comportement de licenciement en recourant beaucoup moins que par le passé à une politique de thésaurisation de la main-d’œuvre en période de ralentissement conjoncturel. Cette attitude démontre en même temps que les employeurs réduisent actuellement leurs efforts en matière de formation continue. La deuxième forme de flexibilité devient, elle aussi, de plus en plus fréquente de nos jours. Elle concerne la flexibilité fonctionnelle qui peut être appréhendée par le biais de la mobilité professionnelle des personnes actives. Selon les données du recensement fédéral de la population utilisées pour construire la figure ci-contre, la part des personnes actives ayant changé de profession par rapport à celle qu’elles Yves Flückiger, professeur à l’Université de Genève, Département d’économie politique et membre du bureau de direction du Laboratoire d’économie appliquée (LEA) et de l’Observatoire universitaire de l’emploi (OUE). Adresse:102, boulevard Carl Vogt, 1211 Genève. [email protected] PANORAMA 2/2000 Personnes actives ayant achevé une formation différente de celle qu’elles exercent effectivement (1970-1990) Berufstätige mit einer Ausbildung, die ihrer effektiven Tätigkeit nicht entspricht (1970-1990) Total 55-64 ans/Jahre 45-54 ans/Jahre 35-44 ans/Jahre 25-34 ans/Jahre 1970 1980 1990 15-24 ans/Jahre 0% 10% 20% 30% avaient apprise n’a cessé de croître au cours des vingt dernières années pour toutes les classes d’âges (voir figure). Le travail à temps partiel s’étend On assiste également, depuis le début des années 90, à un recours de plus en plus systématique à la flexibilité chronologique. Cette évolution est particulièrement perceptible au niveau du travail à temps partiel qui s’est régulièrement accru depuis la fin des années 60. En 1970, 12 pour cent seulement des actifs occupés travaillaient à temps partiel (taux d’occupation inférieur à 90 pour cent). Ce pourcentage s’est accru à 15 pour cent en 1980 pour atteindre, selon les données du dernier recensement fédéral de la population, 19 pour cent en 1990. Depuis lors, ce mouvement semble s’être encore accéléré puisque, selon l’enquête 19 40% 50% 60% Source/Quelle: RFP, OFS, Berne Yves Flückiger 70% suisse sur la population active (ESPA), la proportion des personnes occupées à temps partiel s’élève à 29,4 pour cent en 1999. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que la reprise économique s’est traduite, entre 1998 et 1999, par une hausse des emplois à temps partiel (+ 41 000) alors que dans le même temps le nombre de personnes occupées à temps plein diminuait (- 12 000). Pénalisations Le travail à temps partiel est associé, aujourd’hui encore, à toute une série de pénalités subies par les personnes qui choisissent ou qui subissent ces formes d’emploi. Tout d’abord, il apparaît que la maind’œuvre occupée à temps partiel a une probabilité beaucoup plus faible d’accéder à des postes de direction. Selon les données DOSSIER de l’ESPA pour l’année 1999, 17 pour cent seulement des salariés exerçant une fonction de chef ou occupés dans la direction de l’entreprise travaillaient à temps partiel alors que ces emplois représentaient pourtant 30,1 pour cent de tous les actifs. Ce désavantage est encore accentué par les pénalités salariales qui affectent souvent les personnes occupées à temps partiel. Finalement, on relèvera encore que certaines conventions collectives excluent le personnel dont le taux d’occupation est inférieur à 50 pour cent et que les emplois à temps partiel1 sont également discriminés en matière d’assurances sociales puisque le deuxième pilier ne couvre pas les personnes dont le revenu annuel est inférieur au salaire de coordination. Les indépendants: un statut en pleine expansion Le développement du nombre des indépendants traduit la même volonté de flexibilisation du travail. Elle reflète la politique «d’outsourcing» pratiquée par un nombre de plus en plus important d’employeurs qui cherchent à externaliser des tâches qu’ils confiaient auparavant à des personnes salariées intégrées à l’entreprise. Même si ce phénomène reste encore modeste, le revirement de tendance à long terme est significatif. En effet, historiquement, on observe que le pourcentage d’indépendants a constamment diminué depuis le début du siècle. Cette tendance séculaire s’est renversée aux Etats-Unis tout d’abord, dès le début des années 70, puis dans les pays de l’Union européenne pour toucher plus récemment la Suisse. De ce point de vue, notre pays n’a qu’un léger temps de retard sur le reste du monde (voir figure en bas de la page). Il est évident que les nouvelles formes de travail ne se limitent pas au temps partiel et aux indépendants. Elles se concrétisent également par le développement du travail sur appel, des formes de rémunérations atypiques, des contrats à durée déterminée ou des contrats parallèles (plusieurs employeurs), du télétravail ainsi que par des emplois impliquant des horaires inhabituels. Formes précaires de travail A ce propos, on relèvera qu’en 1999, 39,6 pour cent des personnes actives en Suisse étaient occupées de manière régulière ou occasionnelle le dimanche et 18,6 pour cent exerçaient un métier où le travail de nuit était normal ou éventuel. En comparant ces données avec celles de 19912 on constate que le pourcentage de personnes employées dans ces conditions atypiques a augmenté de manière très nette puisqu’au début des années 90, on comptait respectivement 27,8 pour cent et 10,4 pour cent de personnes actives employées régulièrement ou occasionnellement le dimanche ou la nuit. Dans un autre domaine, celui des rémunérations, l’enquête sur la structure des salaires met en 1) A ce propos, on peut consulter l’étude de G. Ferro Luzzi et Y. Flückiger, «Analyse des inégalités entre les femmes et les hommes sur le marché du travail à Genève», Rapport no 3 de l’Observatoire de l’Emploi, Université de Genève, Genève, 19962) En premier lieu, il faut remettre en cause la notion de revenu minimum de coordination prévue par la loi sur la prévoyance professionnelle qui fixe à 24 120 francs par an, quel que soit le taux d’occupation, le niveau de revenu professionnel à partir duquel l’assurance devient obligatoire. Les personnes qui n’auront pas contribué au deuxième pilier, en raison d’un taux d’occupation insuffisant qu’elles n’auront pas nécessairement choisi, risquent de se trouver dans une situation très précaire au moment de leur retraite. Les conséquences de cette évolution se traduiront à terme, par un accroissement de la pauvreté (relative ou absolue) et par un accroissement des dépenses d’aide sociale nécessaires pour compléter les retraites insuffisantes des personnes qui ne pourront compter que sur leur premier pilier (voire graphique). Valeurs moyennes de quelques variables caractérisant la population localisée au-dessous du salair minimum de coordination (SMC) LSE 1996 (public et privé ensemble) Au-dessous du SMC Part de femmes 81.7% Taux d’occupation 26.5% Scolarité (en années) 10.3 Age 41.1 Ancienneté (en années) 5.7 Marié(e) 74.1% Secteur puplic 1.6% CCT 25.8% Payé(e) à l’heure 70.9% Secteur secondaire 10.3% N observations 45 396 Taille population 266 852 Pourcentage d’indépendants dans la population active suisse, 1900-1990 Anteil der Selbständigen an der aktiven Schweizer Bevölkerung 1900-1990 0.35 Hommes/Männer Femmes/Frauen Total 0.25 Des réformes qui s’imposent dans le domaine des assurances sociales… Variables 2) Messant-Laurent F., «Travailler la nuit et le week-end?», Edition Seismo, Zurich 1993 0.3 évidence que la proportion de personnes payées sur une base horaire (versus mensuelle ou annuelle) a augmenté de 1994 à 1996, passant de 13,6 à 15,1 pour cent. Au-dessus du SMC 34.1% 94.8% 11.6 39.0 9.5 58.9% 6.1% 41.7% 8.1% 40.5% 504 783 2 223 760 Des réformes à entreprendre 0.15 Parmi les réformes à entreprendre, il conviendrait également de ne pas oublier la population des indépendants dont le nombre croît sans cesse depuis les dix dernières années. A ce sujet, il est frappant de constater qu’un des problèmes majeurs évoqués fréquemment par les services cantonaux ou municipaux d’aide sociale Source/Quelle: 0.2 0.1 0.05 0 1900 1910 1930 1941 1950 1960 1970 20 1980 1990 PANORAMA 2/2000 DOSSIER se réfèrent à l’accroissement des demandes émanant de cette population. Il s’agit donc de revoir la conception des assurances sociales en fonction de l’émergence de cette population dont le taux de cotisation à l’assurance-vieillesse est fréquemment limité au minimum légal de 4,2 pour cent tout en n’ayant aucune couverture contre les risques de chômage ou en matière de deuxième pilier. … et dans celui de la formation Les conséquences du développement des nouvelles formes de travail se font également ressentir dans le domaine de la formation. Selon une enquête menée par l’OFS (1996), la fraction de la population participant à une activité de perfectionnement n’a atteint que 40 pour cent de la population adulte en 1996. Elle tombe même à 25 pour cent si on ne considère que le perfectionnement professionnel. Puisque les employeurs ont tendance à moins investir dans la formation continue, le déficit pourrait être comblé par des inter- ventions de l’Etat. Celles-ci doivent cependant être réfléchies pour éviter qu’une lacune du marché ne soit pas tout simplement remplacée par une autre défaillance émanant cette fois de l’Etat. Pour y parvenir, on peut envisager différentes solutions. Tout d’abord, l’Etat pourrait instaurer une aide publique directe (système de bonus/malus) ou indirecte (par le biais, par exemple, d’une réduction des cotisations chômage) destinées aux entreprises qui mettent sur pied des cycles de formation continue pour leur personnel ou qui instituent, dans le cadre de leurs contrats de travail, des systèmes dans lesquels leurs employés peuvent accumuler des crédits de formation susceptibles d’être valorisés après une période passée au sein du même établissement. Une autre solution consisterait à adopter ce que l’on pourrait appeler le modèle danois basé sur le principe du «congé de formation». Depuis 1994, la population danoise a la possibilité de bénéficier, à certaines conditions, d’un congé de formation qui a pour objectif d’encourager les personnes actives à se former et à se perfectionner tout en favorisant la réinsertion des chômeurs en leur permettant de remplacer temporairement des employés qui ont bénéficié de cette mesure. Une source – mais en même temps un défi Les nouvelles formes de travail constituent sans doute une source d’emploi bienvenue pour notre économie. Elles constituent en même temps un défi pour la politique économique et sociale de notre pays. Il faut en prendre conscience pour élaborer les réformes qui permettront à la Suisse d’affronter ces mutations en évitant les conséquences néfastes qui pourraient les accompagner. VM graphique en couleur / Grafik in Farbe: www.panorama.ch/files/1938.pdf D Wirtschaftliche und soziale Konsequenzen Der schweizerische Arbeitsmarkt hat in den letzten Jahren irreversible Veränderungen erlebt, welche sich in verschiedenen Formen von Flexibilisierung zeigen. Im Gegensatz zu früher tragen die Unternehmen in Phasen konjunktureller Abschwächung wesentlich weniger Sorge zu den Arbeitskräften, was auch in einem Abbau der betriebsinternen Weiterbildungsinvestitionen zum Ausdruck kommt. Im Weiteren nimmt die berufliche Flexibilität stetig zu, haben doch während der letzten zwanzig Jahre immer mehr Personen den erlernten Beruf gewechselt. Auffallend ist sodann die starke Zunahme der Teilzeitarbeit in den Neunzigerjahren. Waren 1980 noch 15 Prozent teilzeitlich tätig (Arbeitsumfang von weniger als 90 Prozent), so kletterte der Anteil 1999 auf 29,4 Prozent. Die wirtschaftliche Entwicklung zwischen 1998 und 1999 äusserte sich in einem Anstieg der Teilzeitarbeitsverhältnisse (+ 41 000), PANORAMA 2/2000 während die Vollzeitstellen um 12 000 zurückgingen. Verbunden mit der Teilzeitarbeit sind immer noch gravierende Nachteile; sei es durch erschwerten Zugang zu Kaderstellen, sei es durch Benachteiligungen bei Lohn und Sozialleistungen. Unverhältnismässig stark hat die Zahl der selbständig Erwerbstätigen zugenommen, zumal immer mehr Unternehmen bestimmte Funktionen auslagern. Mit zeitlicher Verzögerung folgt die Schweiz einem internationalen Trend. Allgemein stellen wir eine Abkehr vom Normalarbeitsverhältnis fest: Arbeit auf Abruf, neuartige Lohnsysteme, zeitlich befristete Einsätze, Telearbeit, um nur ein paar Beispiele zu nennen. Stark zugenommen haben in den letzten Jahren auch die Nacht- und Sonntagsarbeit sowie die Arbeit im Stundenlohn. Diese arbeitsmarktlichen Veränderungen rufen nach Anpassungen bei den Sozialversicherungen. So ist das für den Zugang zur 2. Säule erforderliche Mindest- 21 einkommen in Frage zu stellen; sonst geraten zahlreiche Beschäftigte zum Zeitpunkt ihrer Pensionierung in materielle Not. Im Weiteren sind die selbständig Erwerbstätigen zu berücksichtigen, welche bei der AHV oft bloss den Mindestbeitrag leisten, gegen Arbeitslosigkeit nicht versichert sind und auch über keine 2. Säule verfügen. Reformen sind auch im Bildungswesen nötig. So könnte der Staat durch ein Anreizsystem (z.B. Reduktion der Arbeitslosenversicherungsbeiträge) jene Betriebe belohnen, die die Weiterbildung ihrer Mitarbeitenden systematisch und kontinuierlich fördern. Denkbar wäre auch das dänische Modell, welches die Erwerbstätigen zu Bildungsurlaub ermuntert und gleichzeitig die Reintegration der Erwerbslosen begünstigt. Neue Arbeitsformen sind der Wirtschaft willkommen, gleichzeitig sind sie eine grosse Herausforderung für die Wirtschafts- und Sozialpolitik. VM