Est Républicain du 25 juillet 2014 : "Un héros dans

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Est Républicain du 25 juillet 2014 : "Un héros dans
Maillot jaune (5/5)
Octave Lapize a gravé sa légende dans le Tour 1910, qui abordait la très haute
montagne pour la première fois, avant de mourir au combat près de Toul (54), abattu par un biplan allemand
Un héros dans les Pyrénées
IL Y A QUELQUES JOURS, le Tour lui a rendu
hommage, à Flirey, près de Toul. Décédé le
14 juillet 1917, en combat aérien, abattu par un
avion allemand, Octave Lapize est en effet l’un
des trois vainqueurs de la Grande Boucle
morts au combat, lors de la Première guerre
mondiale, avec François Faber (Tour 1909) et
Lucien Petitbreton (Tours 1907-1908)
Ce Parisien est pour certains « le plus grand
des coureurs dont on a le moins parlé ». Fort
sur la piste, la route et derrière moto, un phénomène auquel l’ancien coureur pro Jean Bobet, le frère de Louis (triple vainqueur du
Tour), a consacré un livre incroyablement documenté. Sacré champion de France amateur
à Nancy en 1907, Lapize passe pro chez Biguet, une modeste équipe, et décroche ses
premiers lauriers à la barbe des ténors d’Alcyon. Dans sa besace, en 1909, Paris-Roubaix
ou encore Milan-Varèse. L’année suivante, il
double la mise dans Paris-Roubaix puis, pour
sa seconde participation, celui que l’on surnomme « Tatave » ou « le Frisé » remporte le
Tour !
« Il a été le premier à apprivoiser le passage
du pignon fixe à la roue libre », explique Jean
Bobet. Lors de ce Tour 1910, marqué pour la
première fois par la haute montagne, Alcyon,
qui a recruté Lapize, ne compte que de cracks
qui veulent remporter l’épreuve : Faber et
Trousselier, respectivement vainqueurs
en 1909 et 1905, mais aussi Garrigou, deux fois
deuxième. La bataille fait rage, certains, qui
soupçonnent leurs coéquipiers de trafiquer
leur vélo, dorment même avec leur machine…
Lapize écrit sa légende dans les Pyrénées,
franchies pour la première fois. Le 19 juillet
1910, il remporte l’étape Perpignan-Luchon.
Deux jours plus tard, les coureurs, qui se préparent à avaler 326 km, partent à 3 h 30 du
matin. Lapize passe Peyresourde et Aspin en
tête, Garrigou le rejoint dans le Tourmalet. La
pente est tellement rude qu’Octave met pied à
terre. L’image est passée à la postérité : dans
les cimes enneigées, le coureur pousse son
vélo sur le chemin de terre.
Réformé pour le service, il s’engage
Seul Garrigou parviendra à achever la montée sur son vélo. Lapize cale encore dans
l’Aubisque, franchi avec 16 mn de retard. Au
sommet, il s’adresse aux organisateurs :
« Vous êtes des assassins ! Vous êtes des criminels ! ». Il remporte malgré tout l’étape à
Bayonne, après 14 heures et 2 minutes passées sur le vélo…
« Lapize a adopté un braquet plus grand que
les autres », reprend Jean Bobet. « Il a mis pied
à terre dans le Tourmalet mais il avait surtout
remarqué qu’après l’Aubisque, il restait
K Octave Lapize à pied au sommet du Tourmalet, dans le Tour 1910, et devant son avion.
Photos fonds personnel Jean BOBET
120 km jusqu’à l’arrivée. Sur le plat et dans les
descentes, ce braquet l’a avantagé… ».
Trois fois champion de France, trois fois
vainqueur de Paris-Roubaix et Paris-Bruxelles, Lapize, un brin affairiste, délaissera la
Grande Boucle (4 abandons) au profit de juteux contrats sur piste. « Pour lui, il y avait
d’autres courses importantes. Il était attiré
non pas par l’argent mais par la réussite. Il a
géré sa carrière. C’est en effet le premier coureur cycliste à avoir signé un double contrat
avec son équipe : contrat de coureur et un
contrat de commercial ».
Le Tour 1914 s’achève, la Guerre commence.
Réformé du service pour surdité, Lapize s’engage en août, juste après la naissance d’Yvonne, sa fille. « Il était patriote, se sentait vraiment français ». Affecté au 19e Escadron du
train, il est détaché à l’état-major du général
Foch dont il conduit la voiture, puis rejoint le
en septembre 1915 le centre d’aviation militaire d’Avord, où il formera près de 130 pilotes.
Lapize, qui veut aller au front, se forme au tir
aérien puis est affecté en janvier 1917 à Bar-
le-Duc (escadrilles N504 et N203). En
mai 1917, il arrive à la Toul à la N90, dirigée par
le lieutenant Weiss. L’emblème de l’escadrille
est un profil de coq chantant.
Au matin du 14 juillet 1917, Lapize s’envole
avec son Nieuport affronter un biplan allemand qui effectue un réglage d’artillerie audessus du bois de Mort-Mare, à Flirey. A 4.500
mètres d’altitude, Lapize est frappé par une
rafale. Cinq balles dans la poitrine. Il sera
enterré au cimetière militaire de Toul puis sa
dépouille rejoindra Villiers-sur-Marne. Son
second avion sera utilisé pour l’entraînement
des jeunes pilotes. Sur la carlingue de l’appareil, le lieutenant Weiss a fait peindre le N°4 dossard de Lapize dans le Tour 1910 - et ces
quelques mots : « Ce vieux N° 4 a été piloté par
notre cher et regretté O. Lapize. Qui que tu
sois, ne monte pas dans ce zinc sans avoir une
pensée pour son brillant pilote tombé glorieusement au champ d’honneur ».
EricNICOLAS
« Lapize, celui-là était un as », de Jean Bobet,
aux Editions de La Table ronde.
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