autorité à l`école

Transcription

autorité à l`école
L’autorité à l’école
Sous la coordination de Benoît Galand
Décembre 2006
Avec le soutien du Service de l’Éducation Permanente,
Direction Générale de la Culture de la Communauté Française.
CGé asbl - Chaussée de Haecht, 66 - 1210 Bruxelles - Tél.: 02/2183450 ou 02/2233857 - Fax: 02/2184967
courriel : [email protected] - site internet : www.changement-egalite.be
N° Compte : 000-0325295-54
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SOMMAIRE
Introduction
p.3
Chapitre 1 : L’autorité à l’école, de quoi parle-t-on ? Récits d’acteurs
p.4
Chapitre 2 : Les représentations de l’autorité à l’école
p.17
Chapitre 3 : Eclairages théoriques sur l’autorité à l’école
p.23
Chapitre 4 : Comment travailler la question de l’autorité dans la relation éducative en
formation continue ?
p.32
Conclusions
p.38
Références
p.40
Annexes
p.42
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3
Introduction
« L’école entre autorité et zizanie » (LIFE, 2003), « Autorité ou éducation ? »
(Houssaye, J., 1996), « Y’a plus d’autorité ! » (Petitclerc, 2003), « Une éducation sans
autorité ou sanction ? » (Jacquard et al., 2003) ou encore « L’autorité en éducation : Sortir de
la crise » (Guillot, 2006)… Au vu de la multitude d’ouvrages traitant de ce thème (auxquels
on pourrait ajouter tous ceux concernant la violence et la discipline à l’école), on peut penser
que la question de l’autorité en éducation – et singulièrement à l’école – est une des grandes
préoccupations de notre époque. De fait, glissez le thème de l’autorité à l’école dans une
conversation, et vous avez de bonnes chances de susciter des réactions de la part de votre
interlocuteur, quel qu’il soit : enseignant, parent, jeune, médiateur, éducateur, etc.
Visiblement l’autorité fait aujourd’hui question.
Soulignons cependant que cette préoccupation n’est pas vraiment neuve, comme
l’indique par exemple le titre d’ouvrages publiés dans les années 70 : « L’école à la recherche
d’une nouvelle autorité » (Imbert & Imbert, 1973) ou « L’autorité à la dérive » (Gloton,
1974). Comme le rappelle utilement Gérard Mendel (2002), l’autorité est une préoccupation
commune à toutes les sociétés humaines, même si ses formes changent.
Face à l’abondance des écrits sur ce sujet, on peut aussi s’interroger sur l’opportunité
d’une étude supplémentaire. Il nous semble néanmoins que, si de nombreuses « paroles
d’experts » se font entendre à propos de l’autorité à l’école, la parole des acteurs éducatifs
eux-mêmes (parents, enseignants, directeurs, animateurs, …) est peu présente dans cet
ensemble de publications et est peu analysée. Et si de nombreuses recommandations ou pistes
d’action sont formulées, la manière de les travailler concrètement en formation est
généralement peu développée.
ChanGements pour l’égalité (CGé), mouvement socio-pédagogique pluraliste, s’est
donc engagé dans une réflexion approfondie sur cette thématique, à travers plusieurs activités
liées à l’éducation permanente (formations, stage, publication, journée d’étude, …). Le
présent document est le fruit de cette réflexion et s’articule en quatre chapitres.
Les deux premiers chapitres visent à dégager ce que les acteurs éducatifs entendent par
autorité à l’école. A partir de récits de divers acteurs éducatifs, le premier chapitre tente
d’analyser quelles sont les situations concrètes et les enjeux auxquels les acteurs se réfèrent
quand ils parlent de l’autorité à l’école. Le deuxième chapitre cherche à analyser plus
directement les représentations qu’ont différents acteurs de l’autorité à l’école, à partir de
productions réalisées par ces acteurs eux-mêmes.
Le troisième chapitre présente une synthèse de plusieurs écrits théoriques concernant
l’autorité à l’école. Cette synthèse permet de replacer la thématique de l’autorité dans le
contexte des évolutions sociales actuelles et de confronter ces perspectives théoriques avec les
témoignages des acteurs éducatifs.
Enfin, le quatrième chapitre s’interroge sur la manière d’aborder la question de
l’autorité en formation continue. À partir de la démarche expérimentée par des formatrices de
CGé dans plusieurs formations et des réactions des participants, une série de pistes et
d’observations sont discutées et mises en perspective.
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Chapitre 1 : L’autorité à l’école, de quoi parle-t-on ?
Récits d’acteurs
Benoît Galand
Afin d’aller au-delà des idées reçues ou des discours d’experts sur l’autorité à l’école,
il nous a paru important de redonner la parole aux acteurs éducatifs directement confrontés à
cette question. Pour ce faire, nous avons cherché à analyser les situations et les enjeux
auxquels ces acteurs se réfèrent quand ils parlent d’autorité à l’école.
Méthode
Procédure
Afin de mieux cerner les situations concrètes auxquelles les acteurs éducatifs se
réfèrent quand ils parlent d’autorité à l’école, différentes catégories d’acteurs ont reçu une
consigne semblable à la suivante, à l’occasion de formations ou de colloques : « Vous êtes
invité(e) à écrire le récit d’un incident critique en lien avec une situation scolaire difficile sur
le plan de l’autorité et dans laquelle vous avez été impliqué(e). Il s’agit de décrire ce qui s’est
passé avec détails : lieu, moment, acteurs (en modifiant le nom des personnes), enchaînement
des faits, réactions engendrées, … Par contre, il ne s’agit ni de donner d’interprétation, ni de
rechercher les erreurs commises, ni même de proposer des solutions : seulement un récit des
évènements à l’état brut. »
Echantillon
A travers différentes activités, nous avons recueilli 57 récits d’un évènement qui
touche à une question d’autorité et que nous pouvons exploiter dans le cadre de cette étude.
Parmi les auteurs de ces récits, les enseignants en fonction constituent la catégorie d’acteurs
éducatifs la plus représentée (une vingtaine), suivis par les parents (une quinzaine), puis par
les animatrices d’écoles de devoirs. D’autres catégories d’acteurs sont également présents,
comme les stagiaires des écoles normales ou de l’agrégation, les médiateurs, etc. Il s’agit
majoritairement de femmes, ce qui correspond à la réalité professionnelle actuelle pour les
métiers de l’éducation, et du côté des parents, souligne l’implication des mères dans la
scolarité de leur enfant, leur disponibilité ou leur rôle social.
Les récits couvrent presque toutes les années de la scolarité, de la maternelle à la fin
du secondaire (avec même un témoignage dans l’enseignement supérieur). Ces récits
concernent une grande diversité de matières scolaires et plusieurs situations scolaires
différentes (cours ex-cathedra, travail en groupes, cour de récré, photo de classe, surveillance,
etc.). Chacune des filières du secondaire, y compris l’enseignement spécial, est représentée
par un récit au moins.
Cet échantillon de récits n’a, bien entendu, aucune valeur représentative d’un point de
vue statistique. Néanmoins, d’un point de vue qualitatif, il rencontre le principe de saturation,
c’est-à-dire qu’il recouvre une large étendue de la diversité de profils de témoins que l’on peut
définir sur base de l’âge, du genre, du niveau d’enseignement, de la filière, de la matière
enseignée et du type d’acteur concerné. Une analyse statistique approfondie sur un échantillon
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aussi réduit et constitué de cette manière n’aurait aucun sens. L’analyse a donc consisté à
extraire de manière plus qualitative les grandes tendances et différences qui émergent de ces
récits.
Analyse
Les récits collectés ont été analysés en fonction :
- de la nature de l’évènement décrit,
- des personnes impliquées dans l’évènement,
- du type de réaction rapportée par l’auteur.
Chaque récit a été codé sur ces différentes dimensions, de manière à pouvoir faire ressortir les
points communs et les différences, les tendances majoritaires et les exceptions (voir tableau
1). Nous avons ensuite examiné si des différences de contenu entre les récits étaient liées aux
caractéristiques de leurs auteurs (voir échantillon ci-dessus). Les résultats de ces divers
analyses sont présentés ci-dessous. Vu la nature ouverte des consignes utilisées pour le recueil
des récits, certains détails sont manquants pour quelques-uns d’entre eux, mais les éléments
clés ont à chaque fois pu être codés.
Un exemple de récit pour chacune de catégorie principale d’acteurs figure en annexe.
Résultats
Quelle est la nature des évènements qui mettent en jeu l’autorité d’après
ces acteurs éducatifs ?
S’agit-il de situations de violence, comme pourrait le laisser penser l’attention
médiatique portée à ce type de problèmes ? S’agit-il de situations où l’intégrité des personnes
est en jeu de manière symbolique et sans intention agressive ? S’agit-il plutôt de situations
liées aux règles et conventions propres à l’organisation scolaire ? Ou s’agit-il de situations
mettant en jeu des questions d’ordre personnel ou privé ?
Une première observation est la grande diversité des situations décrites. Comment dès
lors organiser cette diversité de récits ? Selon de nombreux chercheurs qui étudient les règles
sociales et leurs transgressions, nous donnerions du sens à un évènement en nous basant sur le
domaine social auquel appartiendrait cet évènement. Notre compréhension des phénomènes
sociaux serait ainsi fondée sur la distinction entre trois domaines sociaux renvoyant chacun à
un cadre d’interprétation différent : le domaine moral, le domaine conventionnel et le
domaine personnel (Casalfiore, 2002, Turiel, 1983). Chacun de ces domaines serait fondé sur
des notions différentes et répondrait à des critères de jugement différents. Le domaine moral
comprend les évènements liés aux notions de justice, de bien-être et de droit des personnes.
Le domaine conventionnel recouvre les évènements touchant des concepts relatifs à
l’organisation sociale et au fonctionnement collectif. Le domaine personnel intègre les
évènements relatifs à soi, à l’identité des personnes et aux modes de fonctionnement
individuel.
Le meurtre, l’inceste, le viol, la discrimination ou tout autre atteinte à l’intégrité
physique des personnes constituent des exemples de transgressions habituellement
considérées comme relevant du domaine moral. Les règles perçues comme appartenant au
domaine moral sont vécues comme des obligations incontournables régissant les relations
sociales, indépendamment des lois et des règlements propres à une institution, un groupe ou
une culture. Ces règles ont un caractère intangible et ne peuvent donc être modifiées par une
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procédure de décision collective ou sur la base de préférences personnelles. Les transgressions
de ces règles sont généralement jugées négativement. Ce jugement négatif est justifié par le
fait que ces transgressions ont par nature des conséquences néfastes sur le bien-être des
personnes et le respect de leurs droits.
Par ailleurs, les règles de politesse ou de bienséance, entre autres, sont généralement
considérées comme relevant du domaine conventionnel. Les règles perçues comme
appartenant au domaine conventionnel servent à coordonner les contacts entre individus à
l’intérieur d’un système social donné et portent sur les actes à mettre en œuvre afin d’assurer
le bon fonctionnement du système dans lequel elles s’appliquent. Ces conventions se fondent
sur un consensus social, qui peut être plus ou moins clairement exprimé ou tacite. Elles sont
établies à l’intérieur d’un système social qui détermine leur utilité, et qui peut dès lors décider
de les modifier. Ainsi, les règles conventionnelles ont un caractère arbitraire et peuvent varier
d’un système social à l’autre. Le caractère transgressif d’un acte ne vient donc pas de sa
nature, mais du fait qu’il enfreigne une directive énoncée par la figure d’autorité ou une règle
établie par et pour le système social concerné. Par conséquent, certains actes peuvent être
proscrits dans un contexte et permis dans un autre.
Enfin, l’habillement ou les hobbies sont par exemple souvent considérés comme
relevant largement du domaine personnel. Les règles perçues comme appartenant au domaine
personnel concernent les principes que les individus désirent suivre dans leur vie privée. Ces
règles se fondent sur des choix personnels qui ne dépendent ni des prescriptions ou d’interdits
moraux, ni de régulations sociales. Il ne s’agit cependant pas ici d’une revendication à une
liberté d’action débridée qui ne tiendrait pas compte d’autrui. Les règles personnelles
participent plutôt à la délimitation des frontières entre l’espace social et l’espace privé. Elles
sont donc construites à travers une négociation sociale, compte tenu des règles appartenant
aux autres domaines, mais leur enjeu est directement centré sur l’auteur de l’acte et pas sur le
bien-être d’autrui ou l’organisation du système social.
De nombreuses recherches scientifiques indiquent que la distinction entre ces trois
domaines apparaît très tôt chez l’enfant et reste stable avec l’avancée en âge, et ce dans des
populations très diversifiées du point de vue culturel, religieux ou socio-économique. Dès les
premières années de vie, les enfants font des distinctions entre les trois domaines en fonction
des règles qui s’y appliquent et des critères utilisés pour juger de la gravité des transgressions.
Bien entendu, certaines situations peuvent se situer à l’intersection de plusieurs domaines ou
être perçues comme relevant de domaines différents, ce qui accroît le risque de conflit
d’interprétation.
Comment se répartissent les récits collectés dans ces divers domaines ? L’analyse
montre que les récits des différents professionnels travaillant au sein des écoles (enseignant,
stagiaire, directeur, surveillant, bibliothécaire et formateur) présentent de nombreuses
similitudes. Ils seront donc décrits de manière groupée. Les situations rapportées par ces
agents scolaires (acteurs éducatifs travaillant dans les écoles) relèvent dans la plupart des cas
du domaine conventionnel : bavardage, déplacement intempestif, refus d’une consigne,
réplique, retard, chahut, tenue vestimentaire, sanction, cohésion des adultes, etc. D’autres
situations relèvent à la fois du domaine conventionnel et du domaine moral, quand un conflit
à propos d’une règle scolaire dégénère en manifestations d’agressivité verbale. Aucun récit ne
concerne uniquement le domaine personnel et très peu de récits concernent uniquement le
domaine moral (atteinte directe au respect de l’intégrité physique et psychologique des
personnes). Ces récits sont donc largement dominés par la question de l’application des règles
scolaires ou du rôle de chacun des acteurs. Quelques récits font plus directement apparaître la
question du respect des personnes, que ce soit par un élève, par un autre professionnel ou par
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un parent. Seuls deux de ces récits mentionnent des violences physiques, entre élèves dans les
deux cas.
Les situations rapportées par les animatrices d’écoles de devoirs portent quant à elles
majoritairement sur le domaine conventionnel, parfois mêlé aux autres domaines : régularité,
participation, respect du cadre et des personnes. Deux récits font état de difficultés dans les
contacts avec l’école dans l’accompagnement d’un élève (maladie de longue durée et
orientation).
Du côté des parents, la majorité des récits recouvrent à la fois le domaine moral et le
domaine conventionnel : sanctions humiliantes ou disproportionnées, manque de transparence
et iniquité des procédures d’exclusions. D’autres, moins nombreux, relèvent plus clairement
du domaine conventionnel (mesure d’accompagnement d’un élève, communication entre
enseignant et parent) et quelques-uns du domaine moral (harcèlement, négligence). Beaucoup
de ces récits ne remettent pas en cause la nécessité de la sanction ni la légitimité de l’école à
prendre des décisions, mais mettent en avant l’impact de décisions scolaires sur le bien-être
des enfants et la difficulté d’un dialogue avec l’institution scolaire.
Finalement, les récits des médiateurs concernent le domaine conventionnel connecté à
l’un ou l’autre des autres domaines. Ils reflètent des situations très diversifiées qui ont en
commun d’illustrer la difficulté d’un dialogue constructif entre différents acteurs.
Qui sont les personnes impliquées dans les incidents rapportés ?
Une autre manière d’aborder notre thématique est d’examiner quels sont les
interlocuteurs en présence dans les situations qui mettent en jeu l’autorité à l’école. S’agit-il
uniquement des élèves et des enseignants, ou d’autres professionnels voire des personnes
extérieures à l’institution sont-elles impliquées ? S’agit-il plutôt de situations
interpersonnelles ou de confrontations à un groupe ? S’agit-il surtout de situations
concernant des garçons, qui concentrent généralement la majorité des problèmes
disciplinaires à l’école ?
Chez les acteurs travaillant dans l’école, la majorité des incidents rapportés portent sur
des interactions entre « enseignant » et « élève », mais la catégorie « collègue » (autre
enseignant, surveillant, direction) est également présente dans bon nombre de situations et la
catégorie « parent » est parfois impliquée. Les situations n’impliquant pas directement un
élève sont peu représentées dans les récits. Quand les collègues sont mentionnés, c’est
généralement en négatif, pour pointer un manque de cohérence ou de soutien entre membres
de l’équipe éducative, presque jamais pour souligner un apport positif. Les références aux
parents sont plus nuancées : ils apparaissent tour à tour coopératifs, ouverts au dialogue,
envahissants, menaçants ou impuissants. Deux tiers des situations se réfèrent à un, deux ou
trois élèves bien identifiés, un tiers met en jeu un collectif (groupe ou classe). La grande
majorité des situations interindividuelles rapportées concernent des élèves de sexe masculin.
Les animatrices d’école de devoirs font état de situations impliquant surtout « élève »
et « animatrice », auxquelles s’ajoute parfois une autre catégorie d’acteurs. Il s’agit de
situations interindividuelles, mais qui ont parfois une incidence sur le groupe. Les élèves
concernés sont surtout des filles, sans doute parce qu’elles constituent le public privilégié des
écoles de devoirs.
Chez les parents, la majorité des récits concernent sans surprise des situations
impliquant « élève », « enseignant » et « parent ». Les autres récits font écho soit à une
interaction entre « élève » et « enseignant », soit à une situation impliquant aussi la direction
de l’école. Ces interventions de la direction sont souvent décrites comme inappropriées ou
inefficaces, plus rarement comme constructives. Les situations rapportées concernent toutes
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des élèves pris de manière individuelle, ces élèves étant un peu plus souvent de sexe masculin
que féminin.
Les médiateurs quant à eux rapportent des situations concernant au moins trois
catégories d’acteurs en plus d’eux-mêmes : « élève », « parent » et « professionnel membre de
l’école ». Il s’agit généralement de situations individuelles impliquant aussi bien des filles que
des garçons.
Quelles stratégies les auteurs ont-ils mis en œuvre ?
Finalement, on peut s’interroger sur la manière dont les acteurs éducatifs ont fait face
aux situations qu’ils nous ont rapportées. Ces réactions sont-elles dominées par des actions
unilatérales visant à imposer son point de vue ? Quelle est la place laissée au dialogue et à la
négociation ? Quelle a été la réaction de leur interlocuteur ? Dans quelle mesure les acteurs
manifestent-ils de l’autoritarisme, du laxisme, de l’agressivité ? Certaines formes de
réactions ont-elles abouti à des dénouements plus satisfaisants que d’autres pour les parties
en présence ?
Soulignons tout d’abord que le désaccord, le malentendu, la confrontation ou le conflit
ne sont pas négatifs en soit. Ils peuvent être l’occasion de stimuler la prise en compte d’autres
points de vue que le sien, les habiletés d’écoute et de négociation, ainsi que les capacités à
gérer ses émotions et à réguler ses comportements, bref de favoriser le développement social
des jeunes. Ils peuvent également permettre l’émergence de nouvelles idées et de compromis
plus respectueux de chacune des parties en présence. Bien entendu, ils peuvent aussi
dégénérer, n’aboutir à rien, déboucher sur l’affirmation de pouvoir ou l’usage de la force,
susciter la soumission, renforcer un sentiment d’impunité ou blesser certains interlocuteurs.
En fait, l’impact d’un désaccord ou d’un conflit sur les personnes impliquées dépendra en
grande partie de la manière dont chacune y réagit. On peut donc se demander quelles sont les
réactions rapportées dans les récits que font différents acteurs éducatifs autour de la question
de l’autorité à l’école.
Les chercheurs en psychologie qui se sont penchés sur la manière dont les gens
réagissent à un conflit distinguent habituellement quatre stratégies de négociation
interpersonnelle différentes, de la plus primaire à la plus élaborée (Casalfiore, 2003 ; Selman
et al., 1986).
Stratégies de niveau 0 : réactions impulsives, agression physique pour atteindre ses propres
buts , d’une part, ou retrait et conduites de protection, d’autre part.
Stratégies de niveau 1 : réactions de type autoritaire ou assertif comme des requêtes simples,
des avertissements ou des menaces, d’une part, réactions de résistance, d’opposition nonargumentées ou de soumission docile, d’autre part.
Stratégies de niveau 2 : réactions basées sur l’influence psychologique, recours à la
persuasion, au marchandage ou à la conciliation.
Stratégies de niveau 3 : réactions de recherche de collaboration, adaptation de chacune des
parties en vue d’un accord mutuel.
Les deux premières stratégies sont considérées comme des réactions unilatérales, qui ne
tiennent pas compte du point de vue d’autrui. Ces réactions unilatérales n’ont aucun effet
stimulant sur le développement social. Les deux dernières stratégies sont considérées comme
des réactions réciproques, qui tentent d’articuler les différents points de vue. Les réactions
réciproques sont susceptibles de favoriser le développement social des acteurs en présence.
Quelles sont les stratégies rapportées dans les récits recueillis ? Dans les récits des
professionnels travaillant dans les écoles, c’est la stratégie de niveau 1 qui prédomine
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largement. Avec la stratégie de niveau 0, qui est beaucoup plus rare, les réactions unilatérales
représentent les deux tiers des réactions rapportées par ces professionnels. Le reste des
réactions est principalement constitué de stratégies de niveau 2, celles de niveau 3 étant très
peu fréquentes. Les réactions unilatérales des professionnels paraissent avoir des effets très
variables. Dans certains cas, elles mettent fin à un débordement excessif ou à une situation
potentiellement dangereuse. Dans d’autres, elles ne sont suivies d’aucun effet, conduisent à
une escalade ou suscitent une soumission très temporaire. Il est à noter que certaines réactions
suivies de l’effet attendu sont néanmoins vécues comme un échec. Ce genre de réactions
unilatérales est parfois explicitement justifié par un souci de préserver sa réputation, de ne pas
perdre la face vis-à-vis d’autres acteurs.
Les réactions rapportées par les animatrices d’école de devoirs se situent quant à elles
pour la plupart au niveau 2, les autres se situant en niveau 1. Ces réactions semblent donc
empreintes d’une recherche de dialogue, de construction d’un cadre commun qui prend en
compte des intérêts diversifiés, avec les tensions que cela peut susciter.
Parmi les récits des parents, ce sont les réactions unilatérales qui sont majoritaires
(niveau 1 et rarement niveau 0), mais ces réactions sont présentées comme étant surtout le fait
de professionnels de l’école. Pour leur part, les parents rapportent souvent des réactions
réciproques sous-tendues par une recherche de négociation avec l’école, ou parfois des
réactions de niveau 1 en réponse à des réactions d’agents scolaires vécues comme des abus de
pouvoir (renvoi, exclusion, …). Les parents soulignent d’ailleurs les différences de réactions
qu’ils rencontrent d’un acteur à l’autre ou d’une école à l’autre, et ne comprennent pas bien le
pourquoi de ces variations. Ce constat amène certains d’entre eux à demander qui a autorité
sur les enseignants.
Les situations rapportées par les médiateurs sont caractérisées par des réactions
unilatérales d’acteurs scolaires. Ces réactions amènent les médiateurs à intervenir pour tenter
de rétablir un dialogue au moyen de stratégies de niveau 2.
Les récits qui font état d’une résolution satisfaisante pour les deux parties en présence
mentionnent tous l’usage de stratégie de niveaux 2 et/ou 3 (réactions réciproques).
L’usage de stratégies de niveau 2 ne garantit cependant pas une évolution vers davantage de
dialogue, car ces stratégies se heurtent parfois à des réactions unilatérales, que ce soit de la
part d’un élève, d’un parent ou d’un agent scolaire. Contrairement à d’autres études, on
n’observe pas de lien entre le domaine social concerné et le niveau de stratégie de négociation
interpersonnelle. On peut également noter que plusieurs récits font état d’un sentiment
d’impuissance, le plus souvent face à une situation dont la personne est témoin et dans
laquelle elle ne sait pas comment intervenir. Enfin, au-delà du niveau de la stratégie utilisée, il
semble que la manière de communiquer sa réaction soit aussi un aspect important pour
l’évolution du conflit. Malheureusement, la forme des récits collectés ne permet généralement
pas une analyse aussi détaillée des interactions entre les personnes en présence.
Discussion
Avant de débattre plus en profondeur des implications de ces résultats, il nous semble
intéressant de pointer quelques limites de la méthode utilisée. Les auteurs peuvent tout
d’abord avoir choisi un récit qui leur donne le « beau » rôle et éviter les situations qui
pourraient les mettre en cause. De nombreux récits décrivent cependant des situations où
l’auteur est mis en difficulté. Le mode de recueil des récits et la liberté qui est donnée aux
auteurs de présenter la situation comme ils le souhaitent fait aussi que certaines informations
peuvent être manquantes, par exemple certains détails sur les protagonistes en présence.
Néanmoins, le nœud de la situation est toujours bien décrit dans tous les récits recueillis.
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Enfin, les consignes données aux auteurs font que les récits mettent surtout l’accent sur les
problèmes rencontrés plutôt que sur des situations qui se passent bien. Mais nous avions jugé
que ces situations problématiques seraient plus révélatrices des enjeux tournant autour de
l’autorité à l’école.
Justement, que nous apprend l’analyse des récits recueillis auprès de divers acteurs ?
Notons tout d’abord la quasi-absence de récits concernant des conduites délictueuses ou
délinquantes. Il semble donc que pour les acteurs interrogés, la question de l’autorité à l’école
ne réfère pas d’abord ni principalement à la question des « violences à l’école »,
contrairement à ce que tendrait à laisser croire un certain discours sécuritaire (Galand et al.,
2004). Soulignons également la grande diversité des situations mises en jeu dans ces récits.
Pour les acteurs éducatifs interrogés, la question de l’autorité à l’école est loin de se limiter à
l’un ou l’autre enjeu bien délimité, mais concerne de nombreux aspects de la scolarité dans
son ensemble.
Les différences entre acteurs éducatifs.
Au-delà de cette diversité de situations, un des éléments frappant à la lecture des
résultats est de constater les différences entre les catégories d’acteurs interrogés. Comme nous
l’avons signalé, les récits des professionnels travaillant dans l’école présentent de nombreux
points communs, au-delà de la fonction ou du statut des uns et des autres, sans que l’on puisse
mettre en évidence des effets liés au niveau d’enseignement. Ils portent le plus souvent sur
des incidents ponctuels, de portée assez limitée, qui tournent surtout autour du respect des
consignes et des règles scolaires, bref qui relèvent largement du domaine conventionnel. Ces
récits mettent en jeu des individus, le plus souvent une enseignante et des élèves masculins,
mais aussi des groupes-classes, et parfois un manque de cohérence entre collègues. Les
réponses apportées par ces agents sont majoritairement de type unilatéral, fondée sur
l’affirmation d’un rapport de pouvoir établi.
Les situations rapportées par les animatrices des écoles de devoirs sont celles qui se
rapprochent le plus de celles rapportées par les professionnels travaillant dans les écoles. Elles
sont assez ciblées, touchent principalement au domaine conventionnel, concernent des
individus et parfois des groupes. Cependant, les élèves mentionnés sont généralement des
filles, et les réactions sont davantage réciproques qu’unilatérales.
Les récits réalisés par les parents et les médiateurs se distinguent par leur centration
sur des situations individuelles, avec un équilibre entre filles et garçons, ainsi que par la
diversité des acteurs et domaines concernés. Il s’agit souvent de situations de plus longue
durée, moins ciblées sur un incident particulier, et qui ont des répercussions à long terme. Les
réactions des parents et des médiateurs sont majoritairement de type réciproque. Une
particularité des récits des parents est l’accent mis sur des considérations morales relatives à
l’impact de décisions scolaires sur le bien-être de leur enfant.
Pour comprendre ces différences, il est sans doute utile de rappeler que le milieu
scolaire se caractérise par une forte prégnance du domaine conventionnel. La structure sociale
de l’école repose sur un grand nombre de règles conventionnelles et la place laissée à la
sphère personnelle y est peu importante. Une bonne part de ces conventions sont en outre
spécifiques au milieu scolaire et ne font pas l’objet d’une régulation sociale en dehors de
l’école (ex. : habillement, déplacements, prises de parole, …). L’emprise du domaine
conventionnel se retrouve dans les récits des agents scolaires, mais aussi dans ceux des écoles
de devoirs, qui mettent en place des situations formelles d’apprentissage. Le caractère
unilatérale des réactions des agents scolaires pourrait également refléter l’emprise de ce cadre
très formalisé couplée au pouvoir associé à l’évaluation scolaire. Dès lors, les réactions plus
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réciproques des animatrices d’école de devoirs seraient liées à un cadre moins rigide et une
absence de pouvoir formel qui inciterait à plus d’ouverture.
Le rôle de parent est quant à lui plus marqué par des considérations morales associées
au fait de prendre soin de son enfant. Les parents auraient donc un point de vue plus dégagé
des impératifs conventionnels de l’école et plus teinté par le souci du bien-être et de l’avenir
de leur progéniture. Le peu de pouvoir formel (promotion, sanction, recours, …) dont ils
disposent à l’égard des agents scolaires les pousserait à privilégier la négociation pour faire
entendre leur point de vue.
Quant aux médiateurs, leur fonction même les inciteraient à considérer plusieurs
enjeux et points de vue et à tenter de faire partager cette perception via le dialogue.
Rappelons qu’il s’agit là de tendances générales qualifiées de nombreuses exceptions,
même parmi le nombre limité de récits recueillis, qui n’épuisent pas la diversité et la
spécificité des situations particulières. Néanmoins, il est frappant de constater à travers ces
récits la difficulté des nombreux acteurs – et singulièrement d’acteurs scolaires – à accepter
d’entrer en dialogue et de prendre en considération d’autres points de vue que le leur. Sans
que l’on puisse douter de leur bonne volonté, beaucoup reste bloqué dans une vision légitime
mais unilatérale de la situation. La lecture de ces récits suscite dès lors un sentiment de
rencontre ratée, de mésententes stériles.
Le point de vue des élèves
Il peut être intéressant de mettre ces résultats en parallèle avec ceux d’une étude qui
portait sur une centaine de récits d’élèves de l’enseignement secondaire ordinaire à propos
d’évènements ayant suscité un conflit avec un(e) enseignant(e) (Casalfiore, 2002, 2003).
Parmi les évènements sources de conflit, 70% concernaient des transgressions liées au
domaine conventionnel (plus de la moitié portant sur des conventions spécifiques au milieu
scolaire, principalement mener une activité parallèle à celle demandée au groupe classe :
bavarder, étudier un autre cours, etc. ; puis répliquer ou contester de manière argumentée
l’enseignant sans agressivité marquée). Cette étude ne fait pas apparaître de différence suivant
l’âge des élèves.
D’après cette étude, face à une même situation, les enseignants adopteraient souvent
un point de vue conventionnel liée à la légitimité de leur autorité et à la responsabilité qui y
est liée, tandis que les élèves leur opposeraient une lecture en termes personnels liée à des
enjeux d’ordre privé. Cette confrontation est d’autant plus probable que la situation renvoie à
des questions se situant au croisement du domaine conventionnel et du domaine personnel.
Dans des situations relevant clairement du domaine conventionnel, ce n’est pas
nécessairement l’autorité de l’adulte qui est mis en question par les élèves, mais bien le
caractère obligatoire de l’obéissance à cette autorité. Dans des situations perçues comme
relevant du domaine moral, tant la légitimité de l’autorité que l’obéissance à celle-ci semblent
généralement aller de soi.
Cette étude souligne également que la relation enseignant-élève serait marquée par un
contrôle unilatéral et une certaine méfiance. Les réactions coercitives et les stratégies de
retrait sont très fréquentes entre élèves et vis-à-vis des enseignants (Johnson & Johnson,
1996). Les réactions unilatérales et autoritaires sont également très fréquentes de la part des
enseignants (Tirri, 1999). Un tel contexte relationnel rend donc peu probable l’apparition, en
cas de conflit, de comportements interpersonnels stimulants pour le développement des
compétences sociales (décentration, gestion des émotions, coopération, …) et la prise
d’autonomie. Une interprétation proposée est que la relation enseignant-élève constitue une
structure fermée, faite d’une relation obligatoire, stable et hiérarchique, structure qui ne
favorise pas la considération mutuelle (Laursen & Collins, 1994). Autrement dit, il s’agirait
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12
d’une relation trop procéduralisée, imposant des rôles contraignants qui feraient obstacle à
l’émergence de la négociation.
On retrouve donc dans les récits des élèves cette prédominance des aspects
conventionnels et des réactions unilatérales que nous avons relevée dans les récits des
professionnels travaillant dans l’école. Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette
prédominance ne se limite pas aux enseignants, mais paraît s’étendre aux autres acteurs
oeuvrant au sein des écoles.
Pour conclure…
Ces études, ainsi que nos propres résultats, invitent donc à nuancer fortement le cliché
simpliste voulant que les jeunes « d’aujourd’hui » ne respectent plus l’autorité. Les élèves
sont loin d’être les seuls acteurs mis en cause dans les récits récoltés. En fait, c’est pour une
bonne part entre adultes que l’autorité paraît poser question. Par contre, ces résultats font
apparaître que « (…) les élèves remettent en cause l’autorité des enseignants comme légitime
en soi. Pour être acceptée, l’autorité des enseignants doit se fonder sur une compétence
reconnue dans leurs actes et sur la valeur intrinsèque de ceux-ci. A travers les épisodes
conflictuels vécus dans la relation enseignant-élèves et la résistance de ces derniers, nous
pensons qu’il est possible de lire un rejet de l’autorité fondé sur la critique d’une structure
socio-scolaire dont les aspects organisationnels sont jugés trop envahissants, étouffant la libre
expression de l’individualité, et sur des revendications basées sur la recherche du sens
intrinsèque des règles et des actes posés par l’autorité. » (Casalfiore, 2003, p.22). En milieu
scolaire, la quantité de règles conventionnelles semble constituer un cadre pesant dont les
acteurs ont du mal à (faire) percevoir le sens, et qui est contesté par les élèves dans le registre
personnel et par les parents dans le registre moral. D’une part, les récits d’élèves mettent en
relief une revendication de davantage d’autonomie, d’une sphère personnelle plus large.
D’autre part, les récits de parents dénoncent le fait que certains agents scolaires privilégient le
fonctionnement sans heurt du système au détriment des missions qu’il est censé remplir et de
considérations morales liées au bien-être des personnes.1 Les récits de professionnels extrascolaires combinent les deux types d’interpellations. De plus, de nombreux récits
d’enseignants et d’animatrices en école de devoirs montrent la difficulté de ces acteurs euxmêmes à donner du sens à ces conventions scolaires et les dilemmes éthiques auxquels cela
les confronte. Pour nombre d’entre eux, l’arbitraire propre à toute organisation sociale semble
difficile à assumer, à un moment où l’école est invitée à prendre en compte la légitimité des
domaines moral et personnel en plus de celle de ses propres conventions. A cet égard, les
récits recueillis font apparaître la difficulté à trouver des lieux de régulation collective ou des
interlocuteurs pouvant jouer le rôle de tiers suffisamment neutre, la responsabilité retombant
dès lors sur les individus impliqués. Peut-être pour des raisons structurelles, cette démarche
concertée semble un peu plus aisée en école de devoirs que dans l’enseignement obligatoire.
Au total, ces études indiquent que l’autorité fait question pour chaque catégorie
d’acteurs éducatifs et les conduit à s’interpeller les uns les autres. En ce sens, les paroles des
acteurs soulèvent davantage la question de la conception et du mode d’exercice de l’autorité
que la question de l’obéissance à l’autorité. La nécessité de l’autorité dans l’enseignement est
très largement partagée ; là où les avis divergent, c’est concernant la forme et les fondements
de cette autorité. Les propos des acteurs conduisent à se demander dans quelle mesure les
préoccupations actuelles à propos de l’autorité à l’école sont liées à une multiplication des
conflits, renvoyant à une difficulté à éviter le conflit, et/ou à la gestion infructueuse des
1
On peut noter ici un parallèle avec certaines critiques adressées à l’institution judiciaire (rigidité, respect de la
lettre plutôt que de l’esprit, manque de considération pour les victimes).
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13
conflits, renvoyant à une difficulté à réagir au conflit de manière à en faire surgir des
bénéfices éducatifs. Ainsi, un des défis principaux autour de la question de l’autorité à l'école
est-il sans doute de savoir comment outiller les acteurs éducatifs pour faire face à cette
demande accrue de négociation et de sens dans l’usage de l’autorité, sans tout faire retomber
sur les individus.
Le chapitre suivant se propose d’explorer plus avant cette question des représentations
de l’autorité.
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14
Tableau 1 : Codage des récits relatifs à l’autorité à l’école.
Récit
2
36
20
Auteur
Niveau
Bibliothécaire 3-4 primaire
maternelle
Directeur
Ecole devoirs
Personnes
E+I
E+P+I+D
E+A
21
22
23
24
Ecole devoirs
Ecole devoirs
Ecole devoirs
Ecole devoirs
Ext + A + P
E+A+C
E+A
E+C
47
Ecole devoirs 3 secondaire
50
Cours
Genre
E+I+D+A
Nbre
3
2
1+
gr
1
1
1
1+
gr
1
Ecole devoirs 6 primaire
E+P+D
1
M
38
46
Formateur
Formateur
primaire
secondaire
E+I+A
I+D+A
25
26
27
40
15
16
28
29
30
37
43
44
Médiateur
Médiateur
Médiateur
Médiateur
Parent
Parent
Parent
Parent
Parent
Parent
Parent
Parent
secondaire
primaire
1 primaire
secondaire
1 primaire
3 secondaire
primaire
primaire
secondaire
primaire
secondaire
maternelle
E+D+P
E+I +P+A
E+I+P+A
E+P+D
E+I
E+I
E+I+P
E+I+P
E+I
E+I+P+D
E+I
D+P
récré
2
langue
1
1
1
2
1
3
1
2
1
1
1
franç
M
F
F
F
F
F
F
M
F
M
F
F
M
M
M
F
M
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Nœud
Elèves turbulents
Parents accusateurs
Régularité
Domaine
C
C/M
C
Stratégie
1
2-0-1
2
Horaire
Respect du cadre
Refus de participer
Respect
C
C
C
M/C
1
2
2
1
Elève malade, titulaire
refuse d’aider
Elève sportif mais
orientation « poussée »
Non intervention
Direction impose thème
et groupes
recours
cantine
Argent sous enveloppe
Agression + renvoie
Au coin
Boucs émissaires du prof
Carnet de bord
Changer de classe
Punitions
Non assistance
Exclusion inéquitable
Parents exclus de la
classe
M
2-1
C/P
2-1
M
C
0-1
1
C
C/P
C
M/C
C /M
C/M
C
C
C/M
M
C/P
C
1-2
1-2
1-2
0-1
1
1
1-2
2-1
0-1
2-0-2
1
1
15
48
49
52
53
55
Parent
Parent
Parent
Parent
Parent
maternelle
primaire
secondaire
secondaire
1 secondaire
56
Parent
secondaire spécial
E+I+P
E+I
E+D+P
E+I
E+I+C+D+
P
E+I+P
57
1
Parent
Professeur
6 secondaire TT
1 secondaire
E+I+D
E+I
3
8
9
10
11
12
13
14
17
18
19
31
Professeur
Professeur
Professeur
Professeur
Professeur
Professeur
Professeur
Professeur
Professeur
Professeur
Professeur
Professeur
primaire
4 secondaire TQ
Supérieur
2 secondaire G
1 secondaire G
2 primaire
secondaire
primaire
4 secondaire P
secondaire P
5 secondaire TQ
maternelle
E+I+C
E+I
E+I
E+I+D
E+I
E+I+P
E+I
E+I
E+I
E+I
E+I+C
E+I+P
32
33
Professeur
Professeur
2 primaire
maternelle
I+P
E+I+P
1
2+
cl
photo
cl
1
2-3
math
1
étude
gr
math
gr
récré
3
récré
gr
rang
gr
pratique 1
3
1+
gr
1
2
35
39
41
42
Professeur
Professeur
Professeur
Professeur
3 secondaire P
primaire
secondaire spécial
secondaire
E+I
E+I+P
E+I
I+D
cl
2
menuis 1
franç
1
math
éduc
1
1
M
M
1
1
M
1
Sc soc
F
M
M
F
M
M
M
M
F
M
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Renvois à répétition
Elève hyperactif
Etude imposée
Punition excessive
Etiquetage négatif >
exclusion
Agression mutuelle >
exclusion
Harcèlement par un prof
Elèves perturbent le
cours
Groupe « ingérable »
Retard + perturbe
Bavardage
Confisquer gsm
Bruit
Chahut
Bataille d’eau
Mêlée
Tenue, cigarette, manger
Retard
Déambulations
Agressif
M/C
C
C
C
C/M
1-3
3
1-2
1
1-2
C/M
0-0
M
C/M
2-1
1
C
C
C
C
C
C
C
C
C
C
C
C/M
0
1
1
2
2-1
2
1
2
1
2
1
2-3
Mère envahissante
Règlement de compte
entre parents
Chahut
Parent menaçant
Refus d’une consigne
Conseil de classe pas
soutenu par direction
C/P
C/M
2-1
2-1-0
C/M
C
C
C
2-0-1
1
2-0
1
16
5 secondaire
E+I+P
langue
1
45
Professeur
54
Professeur
4
5
7
Stagiaire
Stagiaire
Stagiaire
2 secondaire G
secondaire G
3 primaire
E+I
E+I
E+I
edm
philo
math
cl
3
1
34
51
Stagiaire
Stagiaire
4 secondaire P
E+I
E+I+C
langue
cl
cl.
6
Surveillant
primaire
G = général
TT= technique de
transition
TQ = technique de
qualification
P = professionnel
E+I+C
E = élève
I = instituteur ou
enseignant
P = parent
C = collègue
D = directeur
A = animateur
ou médiateur
M
I+C
1
M
M
M
M=
masculin
F=
féminin
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Marche sur la tête de sa
mère
Concertation avec
surveillants
Chahut
Moquerie
Refus d’une consigne par
un élève
Discipline + respect
Professeur pas
respectueux
Uniforme
C
2-0
C
3
C
C/M
C
1
1
1
C/M
M
1
0-1
C
C=
conventionnel
M = moral
P = personnel
1
Niveau
INS
Chapitre 2 : Les représentations de l’autorité à l’école
Anne Chevalier
avec la collaboration de Danielle Mouraux et Olivier Van Overstraeten
Une chose est de savoir à quelles situations les acteurs éducatifs font référence quand
ils parlent d’autorité à l’école, comme nous l’avons fait dans le chapitre précédent. Une autre
chose est de savoir comment ces acteurs se représentent l’autorité. Quelle est leur vision de
l’autorité à l’école ? Sur quoi se fonde celle-ci ? A quoi sert-elle ? Existe-t-il une
représentation dominante ? Y a-t-il des différences de représentation suivant les catégories
d’acteurs ? Telles sont les questions que nous avons cherché à approfondir dans ce chapitre.
Matériel d’analyse
Pour analyser les représentations de l’autorité à l’école des différentes catégories
d’acteurs, nous nous sommes basés sur des panneaux, fruits de productions collectives lors de
journées de formation dans quatre situations différentes qui se sont déroulées entre août et
novembre 2006.
a. Stage d’été de trois jours intitulé « Réinventer l’autorité » réunissant 18 enseignants et
futurs enseignants du primaire, du secondaire, du supérieur pédagogique ; production
de 4 affiches.
b. Séminaire intitulé « relations interpersonnelles et gestion de groupe » organisé dans le
cadre de l’agrégation de l’enseignement secondaire supérieur réunissant 20 étudiants
universitaires de diverses facultés ; production de 4 affiches.
c. Formation pédagogique de formateurs théoriques (6) dans le cadre des formations de
réinsertion professionnelle ; production de 2 affiches.
d. Journée de rencontre entre des parents, des animateurs et des enseignants autour de la
question de l’autorité à l’école ; production de 2 affiches de parents, 2 affiches
d’enseignants, 1 affiche d’animateurs d’écoles de devoirs et médiateurs scolaires et 1
affiche de directeurs.
Les panneaux ont été confectionnés en sous-groupes de 3 à 7 personnes appartenant à
une même catégorie d’acteurs après avoir échangé entre eux à partir des consignes suivantes :
- Choisissez une image, une photo qui exprime ce qu’est pour vous l’autorité à
l’école et présentez-la au groupe
- Echangez autour des questions : A quoi sert l’autorité ? Qu’est-ce qui favorise
l’autorité ?D’où vient l’autorité ?
Méthode d’analyse
Toutes les affiches collectées ont d’abord été regroupées selon la catégorie d’acteurs qui
l’avait constituée. Chaque affiche a ensuite été examinée une à une, en cherchant à pointer les
similitudes et les différences avec les autres. Ce travail d’analyse a permis de faire émerger
certains modèles ou portraits-types de l’autorité à l’école. Chaque affiche a ensuite été
réexaminée individuellement pour déterminer si elle rentrait dans un des portraits-types mis
en évidence, le nuançait ou faisait apparaître un nouveau modèle de l’autorité. Cette démarche
Les représentations de l’autorité 18
de va-et-vient a abouti à dégager quatre figures correspondant chacune à un type de
représentation de l’autorité à l’école, et qui semblent recouvrir l’ensemble des panneaux
réalisés :
• le manager,
• le chef de chantier,
• le bon parent,
• le socio-pédagogue.
Dans un premier temps, nous allons décrire chacun de ces portraits à partir des mots et des
images utilisés. Nous tenterons ensuite d’analyser et de comparer plus finement ces différents
modèles-types.
Les portraits-types
Le manager
Il est compétent, sûr de lui, met de l’ambiance, gère les conflits et fait apprendre.
« La position d’autorité est complexe et liée à un contexte. Il s’agit de trouver la bonne
distance sans être au sommet de l’échelle.
Le professeur est un chef d’orchestre qui doit permettre l’harmonie entre les individus d’un
groupe. Il est un guide qui met chacun à sa place et permet à chacun de faire du chemin. Il
doit être garant du bon fonctionnement du groupe : poser le cadre, établir les règles qui
semblent justes à tout le monde, faire respecter les règles, être médiateur.
Il tire le meilleur du groupe, encourage la reconnaissance mutuelle, respecte les besoins
fondamentaux.
Il construit un contrat social autour d’un projet.
Il doit faire du lien, créer le contact, développer l’autonomie, faire rire.
Ce qui fonde l’autorité du professeur, c’est sa compétence en termes de savoirs, de
transmission des savoirs et de gestion des relations, sa capacité d’être juste et cohérent.
Avoir de l’autorité est du registre du charisme. Toutefois, pour renforcer son autorité, il peut
travailler son attitude, sa voix, sa personnalité, sa confiance en lui, sa façon de
communiquer. »
Le chef de chantier
Il fait en sorte que les différents acteurs puissent travailler ensemble. Il s’appuie sur deux
ressources : les règles et les sanctions qui existent en dehors de lui et sa capacité d’aviser en
fonction des situations.
« C’est un policier : il doit prendre position, faire respecter les règles et sanctionner ‘C’est
comme ça !’
Il doit toutefois jongler entre souplesse et rigidité ; ce qui exige de la confiance en soi.
Comme un chef d’orchestre, il met en accord les différents acteurs et fait en sorte que ce soit
juste.
Il maintient le cap, favorise un climat d’apprentissage où chacun est respecté. »
Les représentations de l’autorité 19
Le bon parent
Il assure la sécurité, transmet des expériences en vue de faire grandir l’enfant.
« Il fait avancer et grandir, il donne des repères. Il guide et inspire confiance en vue de la
réussite. Il est bienveillant et complice. Il accompagne l’enfant.
Il est dynamique, donne de l’entrain et éveille l’envie d’apprendre.
Il est responsable, respecte et fait respecter les lois.
Il apprend les règles et enseigne les savoirs pour que l’enfant puisse devenir autonome.
Il intervient quand les chefs de bande font la loi.
Il écoute et donne la parole à tous. Il aide à construire la paix. Il veille à l’harmonie dans le
groupe en respectant les différences de chaque enfant.»
Le socio-pédagogue
Il est porteur d’un idéal démocratique qu’il veut mettre en œuvre au sein de la classe dans la
mise en place d’un cadre de vie négocié et la construction des savoirs.
« Respect, justice, démocratie et construction des savoirs fondent l’autorité dans la classe.
Il s’agit de construire quelque chose (le monde) ensemble, de reconnaître chacun et de
prendre en compte sa parole.
Le professeur est sous tension. La discipline, la réforme, les outils, la réalité scolaire, être
juge, l’épanouissement de l’élève, le temps lui posent question.»
Comparaison des portraits-types
Afin d’affiner et de pouvoir comparer ces représentations de l’autorité, nous avons tenté
de situer chacune d’entre elles sur les cinq dimensions qui suivent :
1. Qu’est-ce qui fonde l’autorité ? Sur quoi s’appuyer ?
a. des outils externes (l’institution, les règles, …)
b. des outils internes (la personnalité, des façons de communiquer, …)
2. Quel est le rapport à la norme, à la règle
a. cadre imposé
b. règles négociées
3. Quelle conception du rapport à l’élève ?
a. collectif : l’élève fait partie du groupe
b. individuel : la relation interpersonnelle prime
4. Quelle est sa visée éducative ?
5. Quelles sont les classes d’acteurs qui proposent ce modèle ?
Les résultats de cette analyse sont présentés dans la tableau 2.
Les représentations de l’autorité 20
Tableau 2 : Comparaison de quatre portraits-types de l’autorité à l’école
Qu’est-ce
qui
l’autorité ?
Sur
s’appuyer ?
Le manager
fonde b. des outils liés à sa
quoi personne :
attitude,
personnalité,
communication
Quel est le rapport à la b. tout se négocie
règle, à la norme ?
l’intérieur du groupe
Le chef de chantier
a. Les règles, la position
hiérarchique
b. la capacité personnelle
de conduire des personnes,
l’expérience et le savoir
faire
à a. le cadre préalable au
vivre ensemble est imposé
par l’extérieur ;
Le bon parent
a.
la
nécessité
de
transmission
b. la capacité d’écoute et
d’empathie
Le socio-pédagogue
a. le modèle démocratique,
ses valeurs et ses règles de
fonctionnement
b. la capacité personnelle
de mettre ce modèle en
œuvre dans la classe
a. les règles de vie et les a. le modèle démocratique
bons comportements sont est imposé
imposés par celui qui sait
b. la parole de chacun est
b. il y a de la place pour prise en compte
l’écoute des besoins de
l’enfant
Quel est le rapport à a. c’est le groupe qui a.
l’essentiel,
c’est a. l’individu et la relation b. on mise sur la capacité
l’élève ?
apprend ensemble
d’assurer
le
vivre interpersonnelle priment
du groupe à se mettre
ensemble du groupe
d’accord sur les règles du
vivre ensemble et à
construire collectivement
ses savoirs
Quelle est
éducative ?
la
visée Apprendre dans une bonne Vivre ensemble
ambiance
Quelles sont les classes 4 groupes d’étudiants
2 groupes de formateurs
d’acteurs qui expriment ce 3 groupes de profs Rpé d’adultes
en
milieu
portrait ?
populaire
(dont 2 partiellement)
1 groupe de profs Rpé
Donner des repères et faire Former
des
grandir
démocrates
citoyens
2 groupes de parents
2 groupes de profs (11/11)
1 groupe d’animateurs et
médiateurs
2 groupes de profs Rpé
(partiellement)
Les représentations de l’autorité 21
A partir de ce tableau, on peut pointer ce qui est spécifique et frappant dans chacun
des modèles.
Ce qui frappe dans le modèle du manager :
- rien n’est dit sur l’institution (la direction, l’équipe) ;
- tout ou presque se négocie et se gère au coup par coup ;
- le professeur ne peut compter que sur lui-même : écoute, personnalité ; c’est un
équilibre permanent à trouver ;
- rien n’est institutionnalisé, tout est personnalisé ;
- ce modèle apparaît massivement chez les futurs enseignants et partiellement chez les
enseignants de terrain.
Ce modèle d’autorité est à l’opposé d’une vision hiérarchique où tout repose sur la place
des acteurs et la supériorité des uns par rapport aux autres. Il fait partie de la mouvance
actuelle du fonctionnement en réseaux dans différentes organisations. Le responsable doit être
en permanence présent, vigilant, à l’écoute, motivant ; il s’appuie sur les ressources du groupe
pour le faire avancer. Il négocie les modalités de fonctionnement interne. L’autorité n’est pas
liée à la place mais à la capacité d’agir et de communiquer, aux compétences. L’enseignant
est centré sur le bon fonctionnement du groupe plutôt que sur le respect des règles.
Avec ce modèle, l’autorité est une affaire de professionnels de la gestion de groupe. Ce
n’est pas du bon sens communément partagé, c’est de la compétence hyper spécialisée, ce qui
s’inscrit dans la mouvance de la professionnalisation des métiers de l’éducation.
Ce qui frappe dans le modèle du chef de chantier :
- les règles sont centrales ; ce sont elles qui fondent le vivre ensemble ;
- les règles existent en dehors du groupe, elles ne se négocient pas avec le groupe ; le
responsable doit les édicter, les utiliser et les gérer ;
- ce modèle apparaît chez les formateurs d’adultes en milieu populaire.
Ce modèle d’autorité repose sur l’expérience, le savoir et la position hiérarchique des
acteurs ; l’enseignant a la responsabilité de faire fonctionner le groupe (et non l’individu) en
faisant respecter les règles. Toutefois, contrairement à un modèle hiérarchique traditionnel
strict, il lui est demandé d’intervenir avec souplesse, de faire jouer son expérience.
Ce qui frappe dans le modèle du bon parent :
- c’est le seul modèle dans lequel le mot ‘enfant’ intervient ;
- ce modèle est essentiellement celui des acteurs extérieurs à l’école.
Ce modèle d’autorité repose sur la vision familiale de l’autorité : l’enseignant est un
adulte responsable qui fonde son autorité sur le bon sens avec sa composante masculine de
transmission des règles, des savoirs et des savoir-faire et sa composante féminine de
bienveillance et d’écoute. C’est la relation interpersonnelle qui prime sur la relation d’un
adulte avec un groupe.
Ce qui frappe dans le modèle du socio-pédagogue :
- il ne se retrouve que chez les enseignants ayant fait des choix pédagogiques engagés ;
- il est accompagné de beaucoup de tensions internes et d’interrogations ;
Les représentations de l’autorité 22
Ce modèle d’autorité s’appuie sur un idéal : le respect des règles démocratiques. Le
professeur n’est pas l’acteur principal du groupe par qui tout passe. Il est le garant du vivre
ensemble et de la mission d’apprentissage.
Toutefois, les acteurs soulignent que ce modèle est difficile à mettre en place, car pour
être opérationnel dans la classe, il doit reposer sur des règles de vie et de travail extrêmement
claires et construites avec le groupe. C’est le pouvoir des procédures et des institutions qui
remplacent le pouvoir de l’enseignant. C’est la mission que veut remplir la pédagogie
institutionnelle.
Que nous disent ces quatre modèles de l’autorité à l’école
aujourd’hui ?
Un premier constat que l’on peut tirer de cette analyse est l’absence, dans les
productions des acteurs éducatifs, d’un modèle de l’autorité fondé uniquement sur la position
hiérarchique et le respect inconditionnel des règles. Sans doute ce type d’autorité est-il
rapidement qualifié aujourd’hui de tyrannique, anti-démocratique et abusif (c’est d’ailleurs ce
modèle que dénoncent souvent les parents quand ils doivent faire face à des situations
d’exclusion de leur enfant, voir chapitre précédent).
Le deuxième constat qui saute aux yeux est la multiplicité des modèles d’autorité
adoptés par les acteurs. Loin d’être dominées par un modèle consensuel, les représentations
évoquées sont diversifiées. De plus, cette diversité paraît se structurer selon la fonction
occupée par l’acteur.
Chez les futurs enseignants, la référence à l’institution est absente et aux règles quasi
absente. C’est la professionnalisation de la gestion de groupe qui domine. Cette représentation
indique une orientation vers une autorité négociée, voire charismatique.
Chez les enseignants en fonction, on sent la quête de support extérieur, de fondement à
l’autorité mais rien n’est évident. Certains vont imposer et faire respecter des règles venues de
l’extérieur, d’autres vont les construire ensemble avec le groupe suivant des procédures très
précises, d’autres encore vont agir selon leur bon sens d’adulte.
Les intervenants extérieurs font davantage appel au bon sens du parent, mais gomme
de cette façon la dimension collective de la classe et de l’école.
On peut faire un parallèle entre ces différentes représentations et les différents points
de vue qui ressortent des récits analysés dans la chapitre précédent. Les enjeux, les
représentations et les points de vue concernant l’autorité à l’école sont multiples et parfois
conflictuels. Le thème de l’équilibre à trouver entre plusieurs préoccupations est d’ailleurs
présent dans plusieurs représentations décrites ci-dessus. De plus, chaque portrait-type de
l’autorité mis en évidence à son propre système de légitimité. Cependant, comme nous
l’avons vu, chacun a ses limites. En fait, aucun modèle-type ne semble offrir un guide efficace
pour faire face à la diversité des situations qui mettent en jeu l’autorité à l’école. Sans doute le
défi est-il de pouvoir varier ou combiner ces représentations dans un cadre institutionnel qui
accompagne un tel processus.
Chapitre 3 : Eclairages théoriques sur l’autorité à l’école
Annick Bonnefond
Jusqu’ici, nous nous sommes surtout appuyés sur ce que les enseignants, les parents,
les médiateurs, etc., nous ont dit à propos de l’autorité à l’école. Nous allons maintenant nous
tourner vers la littérature spécialisée sur ce sujet dans un double objectif. D’une part, il s’agit
de synthétiser des idées qui peuvent nous éclairer sur la question de l’autorité à l’école.
D’autre part, il s’agit d’examiner dans quelle mesure ces écrits sont compatibles avec les
analyses que nous venons de présenter.
L’autorité en crise
«Les enseignants manquent d’autorité » se plaignent les parents. «Les parents
démissionnent. » renchérissent les profs. La crise de l’autorité semble partout présente.
D’après plusieurs auteurs, cette crise de nature politique aurait atteint depuis quelques
décennies les sphères de l’éducation, là où elle paraissait jadis acceptée comme une nécessité
naturelle. C’est la logique même de la modernité qui ferait se démanteler le modèle. Autrefois
les maîtres s’identifiaient à des valeurs et des principes forts, ils étaient investis d’une mission
noble et haute, l’institution était un lieu protégé, un sanctuaire à l’écart de la société. Tel ne
serait plus le cas.
L’école, qui devrait être un lieu séparé, est moins préservée de l’influence de
l’extérieur. Elle souffre, d’après André Comte-Sponville (2003), de deux modèles importés :
le modèle démocratique et le modèle consumériste. Or, les élèves ne sont ni des citoyens ni
des consommateurs. A croire que tout se négocie, se discute, se vote, on en vient à oublier
qu’il y a des lois fondatrices du vivre ensemble qui ne sont pas du domaine du négociable et
que s’il faut éduquer au choix en s’y exerçant pour accéder à la liberté, celle-ci ne consiste pas
à choisir ce qui plaît ou à rejeter ce qui ne plaît pas.
Le courant novateur est accusé d’avoir trop laissé la question de côté en voulant bâtir
une école au service des apprentissages. Pourtant nombreux sont ceux qui ont pris le
problème à bras le corps et cherché les moyens de vivre une autorité éducative au service du
vivre ensemble Mais l’image d’une école qui renonce s’est propagée.
Le professeur ne jouirait plus du prestige de l’institution pour asseoir son autorité.
Celle-ci ne reposerait plus sur ce que le professeur représente mais sur ses compétences. Elle
serait devenue performative, se construisant peu à peu dans une relation personnelle sur base
de négociation permanente. Quoi qu’il en soit, il apparaît nécessaire d’apprendre à en faire
une aventure moins solitaire, plus collective, dans l’établissement et dans la classe et de
réfléchir au rôle de chacun dans l’institution.
Il est temps de se mettre à repenser l’autorité et de l’inscrire dans les processus de
formation comme une des dimensions des professions de l’éducation. « Il ne s’agit pas
d’entreprendre une restauration impossible que de chercher à savoir quelles formes
d’autorité pourraient convenir à des individus, adolescents ou adultes, épris de liberté et peu
soucieux de rétrograder vers des formes archaïques d’exercice du pouvoir. » (Ferry, 2003,
p.51). Il faut s’interroger non seulement sur les effets qu’elle produit mais aussi sur les fins
Comment travailler l’autorité en formation 24
qu’elle poursuit et sur quoi elle décide de s’appuyer pour les atteindre afin de choisir
clairement l’autorité éducative contre l’autoritarisme ou le laxisme. C’est à ce prix que
l’exercice de l’autorité pourra participer à une véritable éducation.
Qu’est-ce que l’autorité et d’où vient-elle ?
Définir l’autorité
Quand les mots s’usent et ont perdu de leur sens, le retour à leurs origines
étymologiques apportent souvent un éclairage intéressant. Raphaël Draï (2000), dans un effort
d’anamnèse radicale, explore les diverses racines du mot.
La racine grecque du mot se rapporte à kraino/krainen, soit la position de la divinité
qui approuve telle formule ou tel acte humain par un signe de tête. Kraino signifie
« exécuter » au sens opératoire du terme et « accomplir » au sens de parachever. L’autorité se
rapporte donc à l’action, au faire, au faire-faire ; elle habilite, consacre, autorise. C’est une
autorité de caractère prophétique, qui suscite l’avenir. Ainsi conçue, elle n’enferme pas dans
l’obéissance passive des règles, elle ouvre des perspectives.
La racine latine du terme autorité, « auctoritas » est double. Elle conduit à « auctor » :
auteur et se rattache à « augere » : augmenter, faire croître, faire grandir. Ainsi conçue, toute
autorité détermine un changement, crée, ajoute quelque chose de nouveau à ce qui est déjà.
On peut dire que parce qu’il s’est lui-même autorisé, l’auctor (celui qui possède l’autorité) a
le souci de faire croître l’autre. Il produit une autorité qui l’augmente, «l’ élève », le fait
accéder à l’autonomie, l’autorise à poser lui-même des actes lui permettant de devenir auteur.
La racine hébraïque, « smikh’a », renvoie à l’habilitation par le maître, le rav, de son
élève, le talmid, lui permettant d’enseigner à son tour. Smikh’a est bâti sur la racine smkh, qui
désigne l’appui, le soutènement, le soutien physique, intellectuel, affectif. Elle s’accompagne
du geste de l’imposition des mains, symbolique de l’ouverture et du lien avec, non pas le
maître, mais la source de l’autorité.
Quelques points communs apparaissent dans ces différentes origines du mot : d’une
part l’autorité se rapporte à une instance qui ouvre à une loi dont elle procède, d’autre part elle
implique une création effective qui la valide en retour.
Les formes de l’autorité
Le langage courant confond souvent autorité et pouvoir. Ils se distinguent pourtant,
puisque le pouvoir est fondé sur la fonction, le grade ou le statut. C’est le pouvoir légal,
reconnu de prendre des décisions et de commander, d’exiger l’obéissance dans un domaine
donné en recourant à la contrainte, le cas échéant. L’autorité, elle, ne dépend d’aucune
instance. On n’investit pas quelqu’un d’une autorité, elle émane de la personne. Comme
l’explique la philosophe Hannah Arendt (1972, p.121) : « L’autorité exclut l’usage de moyens
extérieurs de coercition comme la force, l’oppression ou la contrainte physique : là où la
force est employée, l’autorité proprement dite a échoué. ». Elle va plus loin en ajoutant
qu’elle est « incompatible avec la persuasion qui suppose l’égalité et procède par un
processus d’argumentation. ». L’autorité n’est donc, selon elle, ni contrainte, ni persuasion,
Comment travailler l’autorité en formation 25
mais influence. Autrement dit, pour qu’un individu ait de l’autorité, il faut que ceux qui lui
obéissent le fassent par une libre adhésion de leur part et non par l’effet d’une contrainte.
Max Weber (1959) lui, distinguait trois formes d’autorité : la forme traditionnelle,
qui repose sur le respect sacré des coutumes et de ceux qui détiennent le pouvoir en vertu de
la tradition ; la forme légale qui se fonde sur la validité de la loi, établie rationnellement par
voie législative ou bureaucratique ; la forme charismatique qui repose sur le dévouement
des partisans pour un chef en raison de ses talents exceptionnels.
On voit émerger aujourd’hui une nouvelle forme d’autorité, plus diffuse, plus
partagée, reposant à la fois sur les connaissances et les capacités relationnelles et faisant
l’objet de négociations permanentes. C’est ce que certains appellent la forme « rationnelle
négociée ». Les auteurs qui aujourd’hui s’essaient à définir l’autorité se réfèrent davantage à
cette nouvelle conception de l’autorité :
Selon François Dubet (2000, p.138), « L’autorité, c’est le pouvoir plus la légitimité. Le
pouvoir, c’est la capacité de déterminer le comportement d’autrui ; la légitimité, c’est le fait
qu’autrui accepte ce pouvoir, trouve à la fois fondé et désirable d’obéir à ce pouvoir. »
Pour Bruno Robbes (2006), « L’autorité est une relation statutairement asymétrique dans
laquelle l’auteur, disposant de savoirs qu’il met en action dans un contexte spécifié, manifeste
la volonté d’exercer une influence sur l’autre, reconnu comme sujet, en vue d’obtenir de sa
part et sans recours à la contrainte physique, une reconnaissance que cette influence lui
permet d’être à son tour auteur de lui-même. »
Les chercheurs Jacques Pain et Alain Vulbeau (2000, p.140), qui préfèrent le terme
d’autorisation, écrivent : « L’autorité n’est plus seulement une donnée instituée qui précède
le dispositif, la structure ou l’établissement, il s’agit d’une construction, provisoire et
instable, résultat d’une mise en œuvre collective. »
-
Ces conceptions de l’autorité amènent quelques remarques :
L’autorité se présente comme une qualité qui s’exerce dans la relation entre un
individu et un autre ou plusieurs autres.
Elle se caractérise par la puissance et la reconnaissance. La puissance renvoie à une
position et à des effets, c’est une influence exercée. La reconnaissance, mutuelle et
négociée, constitue l’élément essentiel du processus de légitimation de l’autorité.
De nouvelles figures et formes émergent aujourd’hui où l’autorité n’est plus perçue
comme une menace pour la liberté individuelle.
Une approche de l’autorité comme phénomène à la fois psychique et social nous permet
de la définir sous trois formes indissociables (Robbes, 2006) :
Être autorité ou l’autorité statutaire :
C’est le pouvoir dont sont investies certaines personnes à cause de leur fonction dans un cadre
institutionnel déterminé. On est dans l’ordre du statique, de l’état, du préalable. À l’École,
c’est la transmission des savoirs qui fonde l’autorité statutaire de l’enseignant. Elle ne suffit
plus à garantir l’exercice d’une autorité effective, sauf à basculer dans un raidissement vers la
force.
Avoir de l’autorité ou autoriser :
Comment travailler l’autorité en formation 26
Avoir de l’autorité, c’est avoir cette confiance suffisante en soi, être suffisamment maître de
sa propre vie pour accepter de se confronter à l’autre avec son savoir et ses manques, en ayant
le souci de lui ouvrir les voies vers l’autonomie, de l’aider à poser des actes lui permettant
d’être auteur lui-même. Rien de naturel dans cette autorité-là. C’est par des actes posés tout
au long d’une vie que l’individu devient sujet et auteur de sa propre vie. Parce qu’il s’est luimême autorisé, il peut produire une autorité qui augmente, qui fait croître l’autre, qui l’élève
et l’autorise à être auteur de sa vie.
Faire autorité ou l’autorité des compétences :
Le « faire autorité » passe à la fois par l’opérationnalisation des modalités de transmission des
connaissances et par le mode de communication. Il s’agit d’une capacité fonctionnelle et
contextualisée qui s’appuie sur des dispositifs pédagogiques et qui considère le conflit comme
un moment d’apprentissage essentiel en même temps qu’ordinaire des relations humaines.
Mutuelle, négociée, la reconnaissance constitue le processus essentiel de légitimation de cette
forme d’autorité.
On le voit, cerner ce qu’est l’autorité ne semble pas aller de soi. Les conceptions
théoriques et les formes décrites sont multiples, sans que l’une d’entre elles soit aujourd’hui
reconnue comme prédominante. On rejoint bien ici la diversité des enjeux et des
représentations dégagée dans les deux précédents chapitres.
A quoi sert l’autorité ?
Plusieurs personnes ont exercé sur nous une autorité au tout début de notre vie pour
nous faire venir au monde et nous y aider à grandir. Ces énigmatiques débuts de la vie nous
rappellent que notre vie n’est possible que par le concours d’autorités multiples. Puis, nous
éprouvons plus tard une autorité fondamentale, celle de la parole de la mère, du père, des voix
qui permettent, interdisent, indiquent, conseillent, reprochent… L’autorité s’enracine dans ces
expériences fondamentales. Avec les apprentissages, vient le temps de l’autorité sociale et
éducative. L’autorité de l’enseignant est là pour permettre la formation d’une génération,
pour ouvrir les esprits à la découverte du monde. Il n’y a pas de transmission sans une
intervention répétée d’individus qui ont reçu autorité pour faire entrer dans l’expérience du
monde reçu de nos prédécesseurs. L’autorité serait ce qui permet la transmission d’une
génération à l’autre. Il n’y aurait pas de transmission sans autorité.
Dans l’acte éducatif qui vise la structuration de la personne et sa socialisation, l’enfant
se trouve confronté aux limites que son désir de toute-puissance va vouloir transgresser. Il n’y
a rien de plus inquiétant, affirme le psychiatre Jacques-Antoine Malarewicz (2003) que de ne
pas sentir la réponse de l’adulte au moment où il transgresse. Cela le laisse dans une solitude
qu’il va chercher à combler par la provocation ou la violence. Si l’autorité des parents est
défaillante, l’enfant cherchera toujours plus loin les limites qui lui manquent. De la même
façon, pour un adolescent, se trouver face à une limite est quelque chose de rassurant. En
même temps qu’il rencontre une limite, il éprouve le sentiment d’être protégé et découvre
qu’il peut compter sur son parent.
Au sein des familles depuis trente ans, plusieurs éléments ont contribué à modifier la
donne et ont bousculé le modèle de l’autorité dans l’éducation : les changements de
législation (disparition de la puissance paternelle, autorité conjointe, nouveaux droits de
l’enfant) ; les nouvelles trajectoires familiales (fragilisation du lien conjugal, familles
Comment travailler l’autorité en formation 27
monoparentales ou recomposées). L’expression de l’autorité paraît en retrait par rapport à
l’épanouissement de chaque membre. Tout est fait pour répondre aux besoins de l’enfant et
même pour les devancer, pour faire de lui un enfant parfait et lui assurer à tout prix le
meilleur développement de toutes ses capacités. Les parents de cet enfant devenu roi ont peur
de lui dire non par peur de le frustrer ou de perdre son affection. Pourtant, comme le rappelle
le pédopsychiatre Daniel Marcelli (2003), lorsque l’enfant ne rencontre pas de limite à son
besoin d’opposition, il ne gagne pas forcément en force de caractère. Fortifié par un sentiment
trompeur de toute-puissance, il recevra la moindre contradiction comme une menace pour sa
propre existence, comme un danger de non-reconnaissance. Ainsi il deviendra dépendant du
besoin constant que les autres acceptent son désir, son caprice, son envie. Les autres seront
rapidement perçus comme des empêcheurs de plaisir, comme des persécuteurs dont l’autorité
ne peut être qu’une entrave à rejeter.
L’autorité prend aujourd’hui de nouveaux chemins pour les parents: à l’autorité par les
statuts, à celle par l’expérience, le charisme ou la supériorité du mérite, s’ajoute l’autorité
par l’argumentation. Tout doit pouvoir se discuter, se négocier, parce qu’il y a toujours un
copain qui, lui, a le droit … Si on pose une règle, il faut dire pourquoi. Vouloir passer en
force n’est plus possible ou ne mène à rien. Le parent moderne doit savoir négocier pour
obtenir l’adhésion du jeune. Mais il faut se souvenir et rappeler qu’il y a des exigences qui ne
sont pas négociables comme le respect de l’autre par exemple.
J. Pain et P. Béranger (1998) ont repéré la façon dont les textes officiels récents émanant
du Ministère de l’éducation nationale en France définissent les fonctions de l’autorité en
classe :
- La socialisation et l’éducation au « vivre ensemble » au moyen de règles et de lois.
- La garantie d’une protection physique et morale du groupe.
- Le respect de l’individu, ce qui suppose l’exclusion de toute violence physique ou
verbale, de toute mesure discriminatoire ou vexatoire.
- La libération « accompagnée » de l’enfant en vue de son autonomie et de sa
responsabilité (autorisation).
- La décentration progressive de l’autorité personnelle du maître en faveur des règles et
les lois qui demeurent les seuls appuis permanents.
Réinventer l’autorité
L’autorité est donc nécessaire, ce qu’aucun des acteurs que nous avons rencontré ne
conteste. Parmi les nombreux référents et modes d’action possibles, la question est bien de
savoir quelle autorité, sous quelle forme et pour faire quoi. Différents auteurs suggèrent
plusieurs pistes pour répondre à cette question (Imbert, 1994 ; Meirieu, 2002 ; Pain &
Vulbeau, 2003 ; Renaut, 2004 ; Timmermans, 2005). Nous les avons résumé ci-dessous selon
trois axes.
1) Se défaire de l’autoritarisme
L’autorité a souvent été confondue avec le pouvoir et a couvert, dans le passé, des
pratiques de contrainte, de domination. Vu de près on constate qu’il s’agit d’abus de pouvoir,
de dérives autoritaires. Cette forme d’autorité qu’on peut qualifier d’autoritariste use de la
force physique mais aussi des pressions psychologiques, de la séduction, de la culpabilisation,
du chantage. Si elles renvoient à un passé plus ou moins proche, ces figures d’autorité restent
néanmoins opérantes dans l’imaginaire des enseignants et risquent, dans certaines
Comment travailler l’autorité en formation 28
circonstances, de resurgir. C’est le maître qui obtient l’ordre en usant du mépris, du rejet, de
l’indifférence, de l’humiliation. Il faut bien reconnaître que ce pouvoir s’exerce encore dans
les salles de classe et que la peur d’y avoir recours n’est pas infondée. En effet, quand un
enfant s’oppose à l’adulte, celui-ci a spontanément envie de le soumettre et l’enfant en sort
souvent meurtri. Il faut aussi avoir la lucidité de reconnaître que ce genre de pouvoir est
parfois favorisé par le fonctionnement de l’institution. Rappelons au passage la dénonciation
lucide et perspicace de la violence à l’école par Bernard Defrance (2000) comme découlant
d’une violence de l’école, inscrite dans ses procédures et son fonctionnement (notes et
sanctions). Ajoutons qu’aujourd’hui un certain nombre de discours revendiquent la
restauration d’un modèle d’autorité autoritariste à l’école (présence de policiers dans les
établissements scolaires, rétablissement de la punition collective, etc…). La nostalgie du
passé est toujours à l’œuvre.
Si l’autorité, comme le rappelle Marcelli (2003), est au fondement du rapport social, il
faut reconnaître qu’elle a un lien originel avec la violence. Mais elle est là pour la contenir,
l’empêcher, la canaliser. Elle a pour rôle de protéger le groupe contre sa propre violence. Elle
le fait en créant une distance, un contrôle, en rappelant les limites, les règles, la loi et en
inscrivant la vie du groupe dans une histoire.
Ce lien de l’autorité avec la violence doit rappeler à toute personne détentrice d’une
forme quelconque d’autorité l’interdit primordial de la violence destructrice, celle qui
humilie, qui blesse, qui casse l’image de l’autre. En n’oubliant pas que l’indifférence et
l’ignorance sont aussi des formes de violence faites à autrui. En acceptant aussi qu’il y a une
violence symbolique nécessaire dans l’exercice juste d’une autorité qui pose des limites, qui
rappelle la loi, qui dit non, qui sanctionne, qui met des exigences pour faire grandir, pour que
l’autre n’en reste pas là où il est… comme ce professeur qui s’adresse à un élève n’ayant pas
appris sa leçon : « Tu savais que tu devais apprendre cette leçon, tu es capable de
l’apprendre, tu vas le faire et tu la réciteras devant tout le monde la prochaine fois ! ». Cette
exigence-là « élève », tire vers le haut et ne s’exerce que pour le bien d’autrui, pas pour
écraser ni satisfaire une soif de pouvoir. Cette autorité-là, les jeunes ne la refusent pas, ils la
demandent, en ont besoin. C’est une autorité libératrice et non dominatrice.
Parallèlement aux rapports entre autorité et pouvoir, les relations entre autorité et
savoir sont à considérer, car « l’autorité de l’enseignant ne doit pas le conduire à utiliser
l’argument d’autorité pour imposer le savoir » (Rey, 2004). L’accès de l’élève au savoir
véritable ne peut passer par la domination et la soumission. Il s’agit de rendre désirable le
savoir. L’enseignant aura réussi s’il a su donner goût aux apprentissages, s’il a transmis le
plaisir et la joie d’apprendre.
2) Sortir du laxisme et accepter d’intervenir
La crise de l’autorité aurait entraîné un profond mouvement d’évacuation des
contraintes sociales. L’individu érigé en valeur souveraine serait devenu la cellule de base de
la société et sa liberté, la valeur suprême. La norme collective aurait tendance à être remise en
question et ce serait à chacun de définir ses propres lois et repères.
En matière d’éducation, il en va de même, l’effacement des limites et le brouillage des
frontières a entraîné une difficulté pour l’enfant à situer sa place dans la succession des
générations (Marcelli, 2003). Une compréhension renouvelée de l’autorité demande
d’assumer l’asymétrie relationnelle inhérente à la situation de transmission. Elle réclame que
Comment travailler l’autorité en formation 29
les adultes reprennent leur place d’adultes. Cela passe d’abord par la présence (la parole, le
regard) : être là, intervenir, … par la constance : être ferme, tenir bon et la cohérence : faire ce
qu’on a dit. Cela signifie que l’on renonce au laxisme. Cela suppose qu’on accepte que les
conflits font partie de la relation et qu’ils peuvent être un moyen de grandir, parce qu’ils
permettent aussi à l’enfant et au jeune de s’affirmer, de dire non.
Il s’agit aujourd’hui de faire preuve de créativité pour inventer de nouvelles formes
d’autorité compatibles avec notre sens de la liberté et qui délivrent l’enfant de la tyrannie de
son désir.
3) Construire une relation d’autorité
Comme le soulignent de nombreux acteurs rencontrés, la question fondamentale est
celle de la légitimité de l’autorité à l’école. Or, cette légitimité se construit semble-t-il à la
fois en remettant du cadre, de la loi, et instaurant une relation de confiance, de
bienveillance, qui « autorise ». Voici quelques pistes qui émergent tant d’exemples positifs
rapportés par des acteurs que d’écrits théoriques, pour oeuvrer dans ces deux directions à
(ré)inventer l’autorité aujourd’hui à l’école.
Définir les règles, contrats et sanctions
L’autorité passe par des règles clairement établies, connues de tous, discutées et
critiquées parfois, évaluées et actualisées ; par des contrats qui définissent les comportements
et les résultats attendus et les délais. Elle passe aussi par la réhabilitation des sanctions, des
sanctions justes et éducatives, dans le cas où le contrat et les règles ne sont pas respectés
(Traube, 2002).
Une construction provisoire liée au contexte
A chaque changement (de cadre, de professeur, de situation), il faut recréer la
confiance et redéfinir les règles. Il s’agit chaque fois, dans chaque contexte, de faire du sens,
de mettre en projet, de responsabiliser, de rendre l’apprenant acteur de ses apprentissages, de
donner un cadre pour assurer la sécurité, contenir et permettre…
Motiver et donner du sens
Le regard, la voix, le rappel de la loi ne suffisent pas s’il n’y a pas de motivation pour
les apprentissages et si ceux-ci ne font pas sens. Peut-on contraindre quelqu’un à travailler ?
Au nom de quoi ? Avec quels résultats ? Il faut bien admettre que le désir d’apprendre n’est
pas toujours là et que chez certains élèves, c’est la peur d’apprendre, la peur de grandir qui
est prédominante. Or, toute peur cache un besoin à entendre et à prendre en compte.
Accepter de rencontrer l’autre sur son terrain
L’autorité est liée à la capacité d’accompagnement, de présence, d’écoute et à la
capacité de s’opposer. On ne peut pas s’en sortir en disant « arrête de bouger », « concentretoi ». Il s’agit de mettre des mots, nommer les difficultés, entrer dans la relation, sans colère
ni vengeance, utiliser l’imprévu, le nœud comme une occasion de faire du lien, accepter d’être
surpris, de devoir se déplacer. Il faut travailler la défaite, les moments d’opposition, les
moments de violence. Souvent les situations d’urgence, si on ne les rate pas, permettent
d’asseoir son autorité et lui permettent de « prendre ».
Dépersonnaliser la défaite
Le manque d’autorité est souvent vécu comme un échec personnel. Il faut arrêter de
croire que parce qu’ils n’obéissent pas , ils ne nous aiment pas, ils nous en veulent. Savoir que
la défaite n’est pas personnelle et qu’on n’en porte pas seul, la responsabilité. La crise de la
transmission, la faillite des institutions rendent les situations d’autorité difficiles.
Comment travailler l’autorité en formation 30
Tenir bon
Les récits de pratique renvoient à une autorité devenue plus « horizontale ». Toutefois,
il apparaît que cette autorité doit tenir bon, ne pas abandonner. Elle peut faire des erreurs,
mais elle doit oser la confrontation sans peur. Ne pas faire semblant de ne pas voir, de ne pas
entendre, ne pas minimiser, mais nommer, reconnaître les responsabilités, traiter les
problèmes jusqu’au bout, faire réparer, c’est permettre au jeune de trouver sa propre
consistance et lui donner l’occasion de retrouver sa place dans le groupe. L’image de l’adulte
qui ressort est celle de quelqu’un à la fois de fort et faible, normatif et protecteur, consistant et
fragile, qui garde le lien, pousse, accompagne, qui prend des risques et ne cède pas.
Prendre sa place d’adulte
Dire « je », habiter son rôle d’autorité, assumer sa place d’adulte. Se savoir investi
d’une autorité et donc autorisé soi-même à intervenir ; faire preuve parfois d’une autorité
franche, qui ne soit pas ambivalente, sans besoin de la justifier car elle est ressentie comme
nécessaire, juste, vitale.
Mettre en place des lieux de parole et des médiations
Utiliser les outils proposés par les méthodes de gestion non-violente des conflits ;
mettre en place des institutions comme le Conseil de classe et autres lieux de parole pour
aider à intégrer la loi et prendre sa place dans le groupe, se construire à la fois comme
personne et comme citoyen.
En fait, on se rend compte, comme le souligne Daniel Marcelli (2003), que « ce n’est
pas l’autorité qui pose problème, car elle est constitutive du rapport humain aussi bien social
que familial. Le problème de l’autorité, c’est son mésusage, qu’il s’agisse d’un abus ou d’un
défaut. (…) Le défi d’une éducation « démocratique » est bien de retrouver le sens de ce lien
d’autorité horizontale, autorité de régulation pour le bénéfice des deux partenaires, l’enfant
comme l’adulte. » La figure ci-dessous illustre ce propos en situant l’autorité éducatrice dans
un espace qui se démarque des extrêmes que nous avons analysées, à savoir l’autoritarisme et
le laxisme et où se cherche un juste équilibre entre la loi et l’amour, l’interdiction et
l’autorisation, la fermeté et le respect, la justice et la bienveillance…
Comment travailler l’autorité en formation 31
Figure 1 : Les figures de l’autorité
AUTORITÉ
-
+
-
Inter - dire
Imposer
Contraindre
Domination
Humiliation
Violence
Révolte
Soumission
Loi du plus fort
ET
Loi
Limites
Règles
Rigueur
Fermeté
Justice
Devoirs
Discipline
Père
Confrontation
Opposition
Rapport autoritaire
Rapport négocié
Autoritarisme
Autorité éducative
+
Auto - riser
Amour
Écoute
Empathie
Ouverture
Tolérance
Bienveillance
Droits
Liberté
Mère
Intégration
Adhésion
Céder
Manque de
repères
Laisser faire
Violence
Confusion
Enfant roi
Rapport
mou,
aléatoire
Autorité
évacuée
32
Chapitre 4 : Comment travailler la question de l’autorité
dans la relation éducative en formation continue ?
Anne Chevalier
Les chapitres qui précèdent montrent à souhait qu’aujourd’hui, l’autorité dans la
relation éducative ne va pas de soi, qu’il n’y a plus de référence commune et qu’elle n’est pas
attribuée en même temps que la fonction d’enseignant, d’éducateur, d’animateur, de parent, ...
Chacun est amené à la repenser et la construire en tenant compte de sa personne, de
l’institution et du public auxquels il fait face.
Aujourd’hui, les acteurs éducatifs doivent donc apprendre à fonder et à exercer leur
autorité. Comment dès lors peut-on travailler l’autorité en formation ? C’est à cette question
que se propose de réfléchir ce dernier chapitre, à partir d’une démarche élaborée et
expérimentée par des formatrices de notre équipe.
L’autorité n’apparaît pas comme quelque chose qui s’enseigne. Aussi pertinentes que
peuvent paraître les pistes évoquées à la fin du chapitre précédent, les nommer et les expliquer
ne suffit pas à les adopter et à pouvoir les mettre en œuvre. Plus que des recettes, les deux
premiers chapitres montrent bien que ce sont la rencontre de différentes représentations, de
différents point de vue et de leurs légitimités qui est au cœur du problème. Il nous semble
donc essentiel pour une démarche de formation de partir de là où sont les gens, à savoir leur
vécu et leurs représentations. C’est pourquoi, dans notre démarche de formation, nous
proposons aux participants de s’appuyer sur l’analyse de récits pour prendre conscience de la
part sur laquelle ils peuvent agir pour induire et conduire un changement d’attitude dans leur
groupe. Ce qui importe à nos yeux, c’est le déplacement que chacun va opérer pour et par luimême, plutôt que le « contenu » précis qui est transmis.
C’est ce travail que nous nous proposons de faire au cours des formations d’adultes en
veillant à donner aux participants l’occasion de :
- partager des situations vécues en lien avec l’autorité face à un groupe d’enfants ou
de jeunes ;
- confronter leurs expériences à celles d’autres à travers des récits, des échanges, des
témoignages et des apports théoriques ;
- prendre distance par rapport à leur vécu et l’interroger en utilisant des grilles
d’analyse ;
- pointer les pièges et les obstacles de l’autorité ainsi que des pistes pour les
surmonter ;
- identifier ce qui va leur permettre de faire autorité c’est-à-dire d’être auteur et acteur
face et au sein du groupe.
Pour décrire les étapes de ce processus, nous nous baserons essentiellement sur
l’expérience concrète de deux formations d’adultes organisées et animées par des formatrices
de CGé :
- trois jours de formation destinées à des enseignants, éducateurs et animateurs ,
intitulée « Réinventer l’autorité dans la relation éducative » (du 16 au 18 août 2006,
Rpé) ;
33
-
quatre journées de formation destinées à des animateurs et responsables d’écoles de
devoirs de Bruxelles (EDD), intitulée « De la loi à la parole et de la parole à la loi »
(entre octobre 2005 et février 2006).
Etape 1 : Se présenter – Faire le groupe – Poser le cadre
Le premier temps de la formation est essentiel : il doit permettre d’une part de créer du
lien et de la confiance entre participants et formateurs et d’autre part de poser clairement le
cadre du travail qui va occuper le groupe. Ce qui est important, c’est de créer un climat de
sécurité dans le groupe en apportant des réponses aux questions incontournables : qui est là,
que va-t-on faire et comment ?
Par la présentation, chaque participant prend la parole pour se situer : d’où il vient, ce
qu’il fait et avec quoi il vient, ce qui l’habite en lien avec son travail et la formation. C’est un
temps d’écoute où chacun peut se poser.
Ainsi, lors de la formation d’été sur l’autorité, certains participants ont d’entrée de jeu
exprimé ceci ;
« Je me sens toujours en danger ! » (régente récemment diplomée)
« J’ai plus de difficulté à avoir de l’autorité avec mon fils qu’avec mes élèves ! » (institutrice
maternelle dans le spécialisé)
«J’ai des problèmes avec quelques grosses têtes qui me déstabilisent. » (étudiant agrégation)
« Le problème est récurrent – changement de transmission » (inspectrice)
« J’ai des problèmes d’autorité, de respect. » (jeune enseignante 2e primaire)
« Je donne cours de religion, qui est un lieu de parole libre, c’est la galère ! Je me sens
incompétente. On pense savoir mais on ne sait pas.» (psychologue, récemment enseignante)
« J’ai des problèmes avec les enfants. Les collègues semblent avoir une autorité innée et
d’autres inappropriée ! » (institutrice primaire)
« Que mettre en place quand on n’a qu’une heure avec les enfants ? » (professeur de religion)
Et dans la formation des animateurs EDD :
« C’est le bazar ! Comment installer des limites dans le groupe pour que chacun ait une
place ? » (responsable soutien scolaire)
« Comment faire pour qu’une école de devoirs soit à la fois un lieu convivial et un lieu pour
travailler ? Quelle est la place du règlement ? » (coordinatrice EDD)
« J’habite le quartier. Je n’arrive pas à être strict. Ils ne me prennent pas au sérieux. Je suis
plus respecté dans la rue qu’à l’EDD. » (animateur EDD)
« Quand je suis là, j’obtiens le silence mais quand je ne suis pas là …C’est le problème des
adultes : c’est quoi être une référence ? » (coordinatrice EDD)
Poser le cadre, signifie présenter les objectifs, la méthodologie ainsi que l’horaire et
les règles nécessaires au bon fonctionnement d’un groupe.
La question « De quoi avez-vous besoin pour que la formation se passe bien pour
vous ? » est intéressante à travailler individuellement et en sous-groupe en début de
formation. Elle permet que les règles de fonctionnement du groupe ne soient pas uniquement
exprimées par les formateurs mais aussi par les participants.
34
Quelles que soient les modalités de démarrage de la formation, il importe que dès le
début, ce qui se passe dans la formation soit en cohérence avec la problématique abordée et
les objectifs poursuivis.
Ainsi, quand il s’agit d’accompagner des adultes sur la question de l’autorité face à un
groupe dans une situation d’apprentissage, il est essentiel qu’ils vivent pour eux-mêmes, la
nécessaire mise en place d’un climat de sécurité indispensable à tout apprentissage.
Etape 2 : Représenter – Décrire – Problématiser
Les activités qui sont proposées à cette étape ont pour objectifs d’explorer la
problématique qui nous occupe, de se la représenter et de pointer les questions. Dans un
premier temps, les participants sont invités à poser un regard plus global, plus extérieur sur la
thématique et ensuite, il leur est demandé de s’impliquer plus personnellement.
Dans la formation sur l’autorité, les participants ont partagé en sous-groupes sur leurs
représentations de l’autorité en s’appuyant sur des images proposées. Ensuite, ils ont échangé
à partir de trois questions : « A quoi sert l’autorité ? », « D’où vient l’autorité ? » et
« Qu’est-ce qui favorise l’autorité ?». Enfin, pour synthétiser leurs réflexions et les
transmettre au groupe, ils ont produit une affiche avec des images et des mots-clés.
Dans la formation des animateurs des EDD, nous leur avons demandé de dessiner
comment se passe leur école de devoirs en veillant à y représenter les différents acteurs.
A partir des différentes affiches présentées, on observe ce qui est commun, ce qui est
différent, on pointe les problèmes et les questions.
Cette phase de travail en sous-groupes et en grand groupe permet de se construire une
culture commune relative au thème, de mettre des mots sur les problèmes et fait souvent
naître le besoin d’aller voir de plus près comment ça se passe dans le quotidien de la classe ou
du groupe. C’est le moment d’inviter les participants à écrire des récits relatifs à la
problématique travaillée.
Dans tous les cas, il s’agit de décrire ce qui s’est passé avec détails : lieu, moment,
acteurs, enchaînement des faits, réactions engendrées, émotions comme lorsqu’on raconte une
histoire. Par contre, il faut éviter les interprétations, les jugements, les solutions.
Chacun est ensuite invité à lire son récit devant le groupe. Ceci achève la phase 2
nécessaire pour bien poser le problème et les questions qui vont nous occuper.
A titre d’exemple, nous proposons en annexe le récit de Cécile (Rpé) et celui de Marie
(EDD).
Etape 3 : Comprendre – Analyser – Eclairer – Fonder
Si à l’étape 2, on passe progressivement d’une problématique générale à des récits
particuliers, à l’étape 3, on fait le contraire : on s’attache à comprendre ce qui se passe au
cœur d’une histoire pour prendre du recul et petit à petit porter un regard plus global sur la
situation en vue d’envisager des solutions.
Dans l’analyse des récits, nous nous appuyons sur la grille proposée par l’Entraînement
Mental dont les quatre étapes essentielles sont les suivantes :
- se représenter la situation problématique envisagée de la façon la plus objective
possible : De quoi s’agit-il ?
35
-
poser le problème après s’être interrogé sur les points de vue des différents acteurs
et rechercher au cœur du récit les contradictions, les oppositions, les paradoxes ;
Quel est le problème ?
- analyser les causes et les conséquences et comprendre la situation : Pourquoi estce ainsi ?
- proposer des pistes de solutions et décider ensemble pour répondre à la question
Que faire ?
Le travail à partir de la grille de l’entraînement mental est exigeant. Il n’autorise pas à
se complaire dans la plainte et dans l’étalage des émotions. Il invite à la rigueur en passant par
des étapes précises qui obligent à prendre de la distance par rapport à l’histoire et à se
décentrer en envisageant les points de vue des différents acteurs. L’objectif de la méthode est
d’éviter de passer trop vite à l’action sans avoir pris le temps de répondre à la question « Mais
au fait quel est le problème ? » L’idée est de sortir de la dynamique « Action – réaction »
parfois nécessaire dans l’urgence mais souvent stérile dans la durée.
Il sort du cadre de cette étude de faire l’analyse détaillée des récits. Il s’agit plutôt ici de
présenter quelques pistes de travail qui émergent de leur analyse.
- La juste place de l’affectif et de l’émotion dans le cadre d’un travail pédagogique ;
- Avoir une place – prendre sa place face à la classe ;
- Le nécessaire besoin de justice de la part de l’adulte ressenti par les élèves ;
- Les différentes attitudes de l’éducateur (enseignant ou animateur) et ce qu’elles
peuvent induire sur les élèves et sur le groupe ;
- Comment prendre en compte la parole des apprenants ?
- Quelles sont les règles qui régissent la vie du groupe ? D’où viennent-elles ? Qui les
garantit ? A quoi sert un règlement ?
- Comment sanctionner de façon efficace ?
On peut distinguer trois aspects importants à travailler dans la mise en place de l’autorité :
- la gestion de soi, de ses émotions en lien avec son histoire personnelle ;
- la façon de communiquer et de gérer les transactions ;
- la gestion du groupe et donc du cadre institutionnel à savoir les règles, les sanctions
et les responsabilités.
On peut se demander s’il fallait faire un tel détour pour arriver à ces trois pistes de
travail évidentes aux yeux des formateurs.
Pédagogiquement, il y a dans la démarche un enjeu essentiel : le stagiaire est d’abord
entendu et reconnu dans ses difficultés, ensuite le groupe s’investit dans la situation avec
l’objectif de mieux la comprendre. Mis de cette façon sous le regard des autres, celui dont on
travaille le récit reçoit du soutien et non du jugement. Pris dans cette dynamique, il est invité à
prendre du recul et à se décentrer ; c’est cette attitude qui va lui permettre de concevoir
d’autres options que celles qu’il a envisagées jusqu’à présent. De plus, en travaillant
collectivement à partir de l’histoire vécue d’une personne, chacun s’investit personnellement
et travaille pour lui-même également.
Nous soutenons que l’objectif du travail de formation n’est pas d’expliquer pourquoi
telle attitude n’est pas favorable à la mise en place de l’autorité en classe, ni de dire à l’autre
comment il faut faire pour savoir s’imposer, auquel cas, il suffirait d’inviter les éducateurs à
lire un bon livre à ce sujet.
36
Néanmoins, nous invitons les participants à un détour théorique afin de confronter leurs
représentations et leurs expériences à l’avis des experts, de trouver un éclairage pour
comprendre les difficultés rencontrées et des arguments pour fonder de nouvelles pratiques.
Nous proposons un choix d’articles de fond et organisons au cours du stage un temps
d’échanges et de débat à la suite de ces lectures.
.
Etape 4 : Agir – Appliquer – Innover
A partir du moment où l’on a formulé des pistes, il est important d’en développer l’une
ou l’autre afin de donner des outils aux participants pour agir.
Les outils développés dépendent du groupe et du temps dont on dispose.
Dans le cadre de la formation des animateurs en EDD, nous avons travaillé sur les
règles de vie et de travail en EDD qui lient les enfants et les animateurs entre eux.
Dans le cadre de la formation sur l’autorité, nous avons pris du temps pour mieux
comprendre ce qu’on entend aujourd’hui par « autorité éducative », nous avons travaillé
l’aspect des transactions dans la classe à l’aide des Etats du Moi proposés par l’Analyse
transactionnelle, nous avons également identifié la nécessité d’être très clair sur le cadre.2
Etape 5 : Evaluer
La phase d’évaluation d’une formation est également importante et nous l’envisageons
souvent sous deux formes : une forme orale qui invite chaque participant à exprimer au
groupe ce qu’il emporte dans sa nouvelle boîte à outils et ensuite un questionnaire écrit qui
donne l’occasion aux participants de donner leur avis sur différents aspects de la formation.
A la fin de la formation d’été (Rpé), nous avons invité chaque participant à réfléchir et
à s’exprimer sur les questions suivantes : Parmi les différentes étapes et outils de cette
formation, pointez
- un outil ou une pratique qui vous est familier et sur lequel vous vous appuyez ;
- un outil ou une pratique qui vous avez découvert et que vous trouvez important ;
- un outil ou une pratique qui vous souhaitez affiner, expérimenter.
Les réponses des participants sont présentées dans le tableau 3.
Si on ne regarde que la troisième colonne, on peut observer qu’une grande partie des
participants (11) souhaite prendre du temps de l’analyse de leurs comportements à partir des
différents Etats du Moi ou en se basant sur l’écriture et l’analyse de situations. Ils ont perçu, à
travers les activités proposées, l’apport de la prise de distance et de l’analyse critique.
Les autres souhaitent travailler sur l’ambiance du groupe, la mise en place du cadre et
du contrat.
Globalement, on peut dire que la première catégorie se dit qu’on peut avoir du pouvoir
sur soi et sa façon de communiquer et que la deuxième pense avoir du pouvoir sur la situation,
en particulier le cadre institutionnel de la classe et éventuellement de l’école.
2
Pour approfondir les outils de l’analyse transactionnelle au service de l’autorité dans la classe :
- B.André, Motiver pour enseigner, Hachette Education
- M.J. Chalvin, Enseignement et Analyse Transactionnelle, Nathan pédagogie
37
Tableau 3 : Réponses des participants à la formation
un outil ou une pratique qui
vous est familier
un outil ou une pratique qui
vous avez découvert
Construction de règles
Poser les règles avec les enfants
S’appuyer sur la relation
Créer un climat de confiance
Dialogue - écoute – humour –
bienveillance (2)
Définir un cadre (2)
Les outils de l’analyse
transactionnelle (3)
un outil ou une pratique qui
vous souhaitez expérimenter
Les outils de la pédagogie
institutionnelle
Place des émotions dans la
classe
Travailler le contact, le cadre et
contrat CCC (5)
Les Etats du Moi (11)
La méthode de l’entraînement
mental (2)
L’analyse de récits
Prendre le temps de construire
un climat de confiance
Mettre plus de cadre
Mettre en place CCC (3)
Etablir le contrat (2)
Travailler les EM
Développer l’Adulte (2)
Oser puiser dans l’Enfant libre
Analyser comment je suis
Ecrire et faire de l’analyse
d’incidents critiques pour prendre
de la distance (6)
S’autoriser à avoir de l’autorité
Réorganiser ma rentrée
Partir de l’émergence des
représentations
L’autorité nécessite du
professionnalisme
Diversification didactique
Dans tous les cas, on peut mesurer de façon globale et instinctive la distance parcourue
par les participants, si on compare ce qui est dit ici avec les paroles spontanées partagées en
tout début de formation. C’est ici que se mesure le déplacement que chacun a opéré au cours
du processus de formation.3
D’après les réactions des participants et d’après nos observations, il nous semble que
la démarche de formation proposée s’est révélée très constructive et fructueuse. Les
participants ont apparemment pu s’ouvrir à d’autres points de vue sur l’autorité, mettre au
clair leurs propres conceptions et positionnements, et se réapproprier des outils pour l’action.
3
Ce qui serait intéressant de faire également en fin de formation (et que nous n’avons pas encore essayé), c’est
de reprendre les panneaux du début avec les représentations de l’autorité et de voir avec les stagiaires ce qu’ils y
ajouteraient, supprimeraient afin de percevoir si il y a réellement une conscience et une intégration d’un
changement de représentation de l’autorité.
38
Conclusions
Que retenir de ce parcours sur l’autorité à l’école ? Une première observation est la
multiplicité et la diversité des représentations, des modèles et des points de vue concernant
l’autorité à l’école. Parmi les différents acteurs éducatifs interrogés, on constate une absence
de cadre de référence unique ou dominant. Bien sûr ils dénoncent ce qui leur paraît être des
abus de pouvoir autoritaristes ou des démissions laxistes, mais l’analyse des récits et des
représentations des acteurs fait surtout apparaître que, face à une même situation, plusieurs
registres d’interprétation peuvent cohabiter ou se heurter. En ce sens, ce qui semble poser
problème n’est pas seulement le manque ou l’excès d’autorité, mais aussi – et peut-être
surtout – la reconnaissance de la légitimité des points de vue de chacun des interlocuteurs.
Une deuxième observation frappante est que le point de vue adopté ou le modèle
mobilisé est largement fonction du rôle social occupé par chacune des catégories d’acteurs.
Autrement dit, la diversité constatée est fortement liée à des différences entre enseignants,
animatrices, parents, élèves et médiateurs, comme si chaque rôle amenait à prendre une
perspective différente. Face à cet état des choses, il n’est pas étonnant que la pratique de
l’autorité à l’école soit souvent décrite comme difficile, exigeante, traversée par des tensions.
Celle-ci ne va pas de soi, et un besoin s’exprime de repenser l’autorité de manière collective.
Néanmoins, contrairement à certains auteurs cités dans le troisième chapitre, nous ne
sommes pas convaincus que la priorité réside dans l’établissement d’un consensus social
autour d’un nouveau modèle de l’autorité. La plupart des acteurs s’accordent sur l’importance
de trouver un équilibre entre autoritarisme et laxisme, ce qui ne les empêche pas de se référer
à des principes de légitimité différents, voire contradictoires. Face à la multiplicité des enjeux
concernés par l’autorité à l’école, peut-on vraiment proposer « la » bonne représentation,
« la » forme la plus efficace, « la » position légitime ? Ne serait-il pas plus porteur de
reconnaître la pluralité des cadres de références, et de développer chez les acteurs la capacité
à savoir jouer dans plusieurs registres et à s’ouvrir à d’autres points de vue, suivant les
situations auxquelles ils sont confrontés ?
En d’autres mots, avoir de l’autorité et faire autorité seraient des choses qui peuvent
s’apprendre, et qui gagneraient à être plus clairement inscrites dans la formation initiale et
continue des professionnels de l’enseignement, mais peut-être également dans le contenu de
l’enseignement. Cependant, il s’agit de choses qui vont au-delà des connaissances et qu’il ne
suffit sans doute pas d’enseigner. Les observations résumées ci-dessous soulignent
l’importance, en formation, de partir des représentations et des points de vue des participants.
Elles pointent aussi la nécessité de faire dialoguer les acteurs, en formation, mais également
en dehors. Pour rester cohérent, promouvoir le dépassement de réactions unilatérales
demande, en formation, d’utiliser des démarches plus réciproques. Le quatrième chapitre
proposait une démarche de formation qui va dans ce sens et qui semble prometteuse. Nous
nous sommes d’ailleurs inspirés de cette démarche pour organiser une rencontre entre
enseignants, parents et animateurs extra-scolaires le 11 novembre 2006, rencontre dont les
participants ont souligné l’utilité et la richesse.
Pour sortir de l’affrontement, de la déresponsabilisation ou de la dévalorisation
réciproque qui entache trop souvent les questions d’autorité à l’école, il apparaît dès lors
crucial de favoriser un dialogue plus clair et plus ouvert, une logique plus participative et plus
réciproque entre les acteurs. Certes, certains points de vue sont irréconciliables, mais au
moins pourra-t-on reconnaître et éclairer la position de chacun. Mais ce défi ne doit pas
reposer sur les ressources des seuls individus, d’autant que celles-ci risquent de varier suivant
l’origine socio-culturelle. Que met-on en place pour accompagner les acteurs dans cette voie,
39
pour instituer des lieux de régulation collective, pour permettre à certains de pouvoir jouer le
rôle de tiers ? Quels temps, quels outils, quelles modalités de fonctionnement, etc. ? Voilà
sans doute qui demande un vrai travail de collaboration.
40
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42
Annexe : Exemples de récits
Enseignante
J. 13 ans entre en classe avec tous les autres. Il garde sa casquette, ses lunettes de soleil et
chante comme un rocker. Il pousse des sortes de cris, tarde à s’asseoir. Je lui fais des
remarques qu’il fait semblant de ne pas entendre. Je soupire intérieurement, « ça ne va pas
recommencer ». Il est devant, continue à faire du bruit, parle avec son voisin, il ne prend pas
son cours. Je lui fais une remarque « Mais attendez hein Madame ».
Le cours commence, D. bavarde, je lui fais une remarque plus sèche et d’autres élèves
réagissent en disant « Madame c’est dégueulasse, J. il fait des choses mille fois pires et vous
ne lui dites rien ». Vous n’êtes pas juste.
(J. est un enfant sans parents, placé en IMP, sans personne qui s’occupe de lui. Je connais un
peu son histoire et je sais à quel point il est paniqué à l’idée d’être exclu.) Je me sens
impuissante, j’ai envie qu’il arrête ses bêtises mais en vain. Je ne parviens pas à me décider à
le mettre dehors. Une fois de plus, je me sens coincée. En plus, J. est super intelligent, et
malgré son comportement, je sais qu’il écoute tout ce qui se passe au cours. J’ai peur de le
stigmatiser encore plus.
Toute la classe est contre moi et m’attend au tournant, j’ai l’impression d’être tellement mal
embarquée que je m’accroche à mon cours même si ce que je raconte ne m’intéresse plus. Je
termine le cours « au forcing ». Je déteste ce métier. Circonstance aggravante : au cours, nous
parlons de l’injustice !
Stagiaire
J’étais stagiaire dans une classe de 6e année primaire, dans une école à discrimination
positive. L’instituteur de cette classe avait déjà 30 ans de carrière. Je ressentis, dès ma
première visite, une difficulté à m’imposer et à trouver ma place.
Le jeudi après-midi, donc mon 4e jour en tant que stagiaire, mon maître de stage était absent.
Comme j’avais moi-même demandé à rester seule avec les élèves, je démarre ma leçon de
math sur les suites directement proportionnelles et j’envoie un élève au tableau ou du moins je
l’y invite… parce que l’élève n’y est jamais allé me répondant : « tu n’es pas mon
instituteur » « non » « tu n’es pas ma mère ? » « non » « alors je t’écoute pas, t’as rien à me
dire ! »
Après quelques secondes où je suis restée sans voix, j’ai à nouveau tenté de le faire travailler
en prenant un ton sévère… Aucun résultat.
J’ai donc continué ma leçon avec le reste des élèves de la classe, voyant que chacun
commençait à se déconcentrer.
Animatrice d’école de devoirs
Il est plus ou moins 17h15, je fais le tour des jeunes pour prendre leur présence. En passant, je
rappelle à l’un ou l’autre qu’ils ne sont pas réguliers, que je ne peux pas l’accepter car j’ai une
liste d’attente de 20 personnes et que je ne garderai pas leur place longtemps s’ils ne viennent
pas plus souvent.
43
S. réagit très brusquement : « Mais c’est quoi cette règle ? Nous, on vient ici quand on en a
besoin, pourquoi doit-on venir régulièrement ? »
Je réponds : « C’est le règlement, il faut venir ici 2 fois par semaine au moins, si on ne vient
pas pendant 15 jours, on ne vient plus, car on prend la place d’un autre pour rien ! »
A trois, ils répondent :
- « Du temps de J., ce n’était pas comme cela ! »
- « On est ancien, on s’est inscrit avant eux, on est prioritaire ».
- « C’est même pas écrit sur le règlement ! »
J’essaie de leur répondre en ré-expliquant l’utilité de cette règle de régularité. Mais ils ne
comprennent absolument pas ma logique.
Tous ensemble, ils se mettent à me dire :
« C’est quoi ces règles ? »
« C’est pire qu’à l’école, ici ! »
« Avec J., c’était clair au moins… »
Je suis décontenancée car il me semblait n’avoir fait que reprendre les règles de Julie, n’avoir
rien inventé, car toutes ces règles étaient évidentes pour l’équipe d’animateurs…
La discussion part dans tous les sens. Finalement, je m’impose. Je leur dis que ce n’est pas le
moment de parler de ça et je charge S., la plus revendicative, de m’aider à organiser une
réunion avec moi où l’on pourrait reparler de tout ça tous ensemble.
Elle a l’air d’accord, on a perdu 1 heure facilement et on verra la suite.
Parent
J. est un enfant de 13 ans et il suit une 1° année du premier degré. Il a réussi ses primaires
avec satisfaction. Néanmoins, en primaire, il a rencontré des problèmes de comportement. Le
C.P.M.S a assuré auprès de l’enfant et avec ses parents un suivi.
J. souffre d’obésité. Une demande d’inscription est faite dans un centre spécialisé, mais
l’enfant doit attendre l’année scolaire suivante.
Le passage en secondaire se fait avec difficultés. Des données relatives aux problèmes de
comportement vécus en 6° primaire, ont été communiquées aux enseignants du secondaire.
Dès le début de l’année, des professeurs font référence à ces problèmes auprès de l’enfant et
lui demandent « un comportement irréprochable ». L’enfant est régulièrement puni. Des
remarques relatives à l’élève sont faites devant la classe et même dans la classe de la sœur. J.
vit mal la situation, car il souhaiterait pouvoir être traité comme les autres enfants et non
comme un enfant problématique en référence avec son passé. Il ne veut plus aller à l’école.
De plus, il souffre des remarques des autres élèves et a l’impression que les remarques faites
par les enseignants devant les autres élèves rendent ses relations avec les enfants encore plus
difficiles (ils lui disent : « tu es fou, tu es dangereux, gros lard, … »). J. va parle de ses
problèmes avec la direction et va voir le P.M.S., mais les tensions augmentent, l’échec
scolaire se marque et les problèmes de comportement posent problèmes. J. reçoit des
punitions continuellement.
Les parents souhaitent parler avec la direction de l’école des problèmes relationnels que
l’enfant rencontre avec deux enseignants. Mais la direction ne souhaite pas aborder cette
problématique et se focalise uniquement sur les problèmes de comportement de l’enfant. Les
parents expliquent l’échec scolaire par le contexte négatif dans lequel l’enfant a été accueilli.
Une procédure d’exclusion définitive est entamée, alors que le P.M.S. qui suit l’enfant n’a pas
le temps de pouvoir agir. Un dialogue de sourds s’installe entre l’école et les parents. Les
rapports de confiance sont rompus et l’exclusion définitive de l’enfant est décidée.
44
La Commission d’inscription va réinscrire l’enfant dans une autre école (alors que l’école où
l’enfant était inscrit, proposait le SAS, refusé par les parents). Une communication positive va
s’installer entre la direction et la famille. Le jeune est accueilli dans un esprit positif et
reprend goût à « l’école ». Il est cadré et les adultes restent vigilants aux aspects relationnels
avec les autres enfants, que l’obésité peut rendre difficile.
Médiatrice
Une institutrice surveille la cantine de midi. Un garçon d’une dizaine d’années lui dit qu’il ne
mange pas parce qu’il fait le ramadan. L’institutrice s’étonne auprès de ses collègues : les
enfants ne sont quand même pas obligés de faire le ramadan ? Que se passe-t-il avec cet
enfant ? Que se passe-t-il dans cette famille ? Est-ce que la montée de l’islamisme exagéré ne
fait pas du tort dans les familles ?
Le lendemain, l’institutrice interpelle la maman, assez agressivement : « Dites vous devez
m’écrire dans le journal de classe si votre fils fait le ramadan. »
La maman n’en revient pas. Pourquoi cette institutrice vient-elle contrôler si son fils fait le
ramadan ou pas ? Cette maman dit ne jamais avoir eu d’ennuis ni de contrôle pour le
ramadan, dit aussi qu’on fait quand même ce qu’on veut dans la famille. Elle est choquée,
fâchée. Elle a vécu cette demande comme une agression et se demande pour qui l’école se
prend !
Après discussion d’une médiatrice avec elle, la maman s’est calmée. Elle n’avait pas du tout
pensé que l’institutrice demandait ça simplement parce qu’elle était responsable pendant le
temps de midi du fait que les enfants se nourrissent. Certains pourraient dire qu’ils font le
ramadan, simplement parce qu’ils n’ont pas envie de manger à ce moment-là.
Et la maman de se demander pourquoi alors l’institutrice ne lui avait pas expliqué ça et
pourquoi elle avait pris un ton aussi agressif et fait le patron.