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Mei «Médiation et Information» n°7 - 1997
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Séries "jeunes" et mythe d'amour : Le cas de "Beverly
Hills 90210" ou Les bébés de Californie à l'heure du monde.
Maria Lambri, Maîtrise Infocom, Université de Paris VIII, 1997.
Les séries télévisées américaines font partie des produits vedettes de
la culture de masse. Dans cette étude, nous essayons de comprendre
quelle est leur utilité et pourquoi elles réussissent à une échelle
mondiale. Notre attention s'est portée sur les rapports entre la série
"jeunes" "Beverly Hills 90210", qui représente un nouveau genre, et
le "mythe télévisuel". Les aspects du mythe qui nous ont intéressé
sont sa forme (linéarité, simplification) et sa thématique (en
particulier l'amour comme sujet mythique). Nous avons pu
constater que les séries reflètent la réalité sociale et les valeurs de la
période qui les produit et les consomme. Ainsi la naissance des
séries "jeunes" au cours des années quatre-vingt est liée à la
distinction de ce groupe d'âge en tant que groupe indépendant, qui
possède une certaine autonomie et un pouvoir d'achat. De plus,
l'univers (Dallas, Hollywood, New-York) est choisi en fonction de
sa valeur "mythique" dans la "bourse du temps".
A travers l'analyse systématique des rapports entre les personnages,
et les valeurs projetées par la série "Beverly Hills 90210" nous
avons essayé de comprendre comment fonctionne la "mythologie
télévisuelle". Cette dernière, s'appuie sur des représentations
universelles, marquées par la culture américaine de consommation.
Les deux plus importantes sont d'un coté l'affectivité élémentaire et
de l'autre, la modernité. Nous avons, également, remarqué que,
cette série fonctionne de manière double : les personnages et leur
quotidien sont représentés par des formes stéréotypées, tandis que
l'univers choisi et le fond de base visent directement la partie de
l'imaginaire qui comprend la vie à travers des formes archétypales.
Par conséquent, l'amour, lié à la jeunesse et à la beauté, est la grande
valeur archétypale qui imprègne la thématique de la série d'une
manière permanente. Au sein de la série "Beverly Hills 90210", la
base des récits et des personnages cherche ses racines dans la pensée
mythique. Comme le mythe, elle traite des sujets qui touchent à la
vie relationnelle et aux pulsions humaines qui risquent de perturber
le bon fonctionnement de la société. Elle cherche à donner un sens,
à rassurer ses récepteurs sur l'existence de l'Ordre que l'Amour peut
garantir.
Les séries télévisées véhiculent le même canevas de valeurs.
Cependant, leurs représentations doivent se réadapter à la réalité
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sociale, laquelle change très rapidement. Nous pouvons, alors, dire
qu'elles usent de valeurs mythiques à contenus « jetables »,
dépendants de la période qui les produit, qui ont une courte durée, et
qui meurent aussitôt après l'arrivée de la nouveauté.
Les mutations des dispositifs d’information et la médiation
symbolique des récits événementiels. La guerre du Golfe,
étude comparée de CNN, A2 et la 5. Jocelyne Arquembourg,
Directeur de Recherches : Jean Mouchon, Thèse de doctorat en
sciences de l’Information et de la Communication, ENS de
Fontenay-Saint-Cloud octobre 1996.
L’évolution des technologies relatives à la circulation des nouvelles
et à leurs supports a considérablement transformé l’information
télévisée ces trentes dernières années. Elle a favorisé la rapidité des
contacts et l’autonomie des professionnels et a eu pour
conséquence d’octroyer une importante croissance à la couverture
des grands événements de portée internationale. Dans le cours de
cette évolution, la Guerre du Golfe constitue un événement
charnière pendant lequel deux systèmes d’informations se sont
trouvés confrontés, celui des chaînes généralistes et celui de la
chaîne thématique d’information en direct et en continu, CNN.
L’information
en
direct
soulève un certain
nombre
d’interrogations. En particulier, on peut se demander si les relations
d’événements s’y effectuent de la même manière qu’en différé. Les
mutations technologiques qui affectent les modes de collecte et de
classement des nouvelles ont-elles une incidence sur leur
construction narrative ? L’articulation entre l’étude des récits
médiatiques et celle des pratiques professionnelle qui les produisent
s’effectue ici autour de la notion de dispositif d’information dont le
rôle est essentiel dans le processus de fabrication des nouvelles.
Dans la mesure où la mise en intrigue s’effectue toujours en vue
d’une fin qui organise rétrospectivement ce qui l’a précédée, on est
en droit de se demander comment les médias peuvent relater en
direct un événement inachevé ? Faut-il déduire que l’événement
n’est pas configuré, qu’il s’apparente à une forme de chronique ou
que la mise en intrigue s’élabore par d’autres biais ? Certes, la
couverture médiatique des événements de moyenne durée s’est
toujours accomplie dans l’ignorance du point final qui devait lui
fournir un aboutissement. Mais la relation en direct et en continu
entre un studio et un réseau d’envoyés n’est-elle pas à l’origine
d’une hyperfragmentation des séquences narratives qui bouleverse
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fondamentalement la structure des récits et menace jusqu’à leur
cohérence ?
Or, les couvertures médiatiques mettent en œuvre plusieurs niveaux
narratifs. On observe ainsi l’existence d’un niveau de configuration
général où l’intrigue se compose au fil de relations d’occurrences
successives par des locuteurs divers. Chacune de ces relations
constitue un second niveau, où la narration se dédouble en termes
d’énoncé et d’énonciation. Les assignations de places, les cadres
participatifs, les attitudes de locution, s’y trouvent agencés et mis
en scène au travers de dispositifs spécifiques. Il ne s’agit plus ici de
dispositifs de collecte et de traitement de l’information mais de
procédés techniques, discursifs et visuels de communication, censés
articuler des éléments hétérogènes de manière cohérente. Cette
cohérence fait sens, elle éclaire les systèmes relationnels et les
procédures de légitimation qui sous-tendent la médiation. Il faut
alors se demander si les mutations technologiques ont aussi une
incidence sur les dispositifs télévisuels qui servent de support à
l’énonciation journalistique et par voie de conséquence sur cette
dernière.
A quelque niveau que l’on aborde la question des récits
d’événements publics, il semble que l’on soit confronté au problème
de temps. L’analyse de phénomènes strictement médiatiques
convoque ainsi des perspectives anthropologiques. S’il est vrai que
les mutations observées affectent la médiation symbolique des
événements, cela regarde plus spécifiquement leur orientation
temporelle. En effet, la comparaison des modèles narratifs
concerne avant tout des polarisations distinctement tournées vers
le passé ou le futur. On assisterait ainsi à l’émergence d’une
nouvelle conception de la temporalité événementielle. Si les récits
d’occurrences inachevées n’obéissent pas à la même orientation
temporelle que les relations d’événements échus, cette différence
est peut-être significative d’un changement au niveau de la
compréhension des événements et du rôle traditionnellement
dévolu à l’information. La comparaison de documents
d’information enregistrés pendant la guerre du Golfe sur CNN et
deux chaînes françaises, Antenne 2 et la 5, a permis de mettre en
évidence le lien qui unit les différents types de dispositifs.
- au niveau des dispositifs d’information, le déploiement du réseau
de reporters chargés de collecter l’information en direct consacre la
réduction de la place et du rôle symbolique dévolu au studio, il
privilégie les sources institutionnelles et construit un cadre qui
anticipe les développements futurs de l’événement. D’autre part,
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l’absence de programmation supprime le classement territorial des
nouvelles et leur hiérarchisation. Sur les chaînes françaises,
l’introduction partielle de ces procédés qui se superposent à des
fonctionnements plus traditionnels, provoque l’effritement ce de
qu’H. Brusini et F. James ont appelé le modèle de la télévision
d’examen, c’est-à-dire, d’un système de pédagogie des masses
reposant sur la mise en perspective d’une information destinée à un
usage citoyen.
- La réduction de la place du studio affecte aussi le système
relationnel mis en œuvre par les récits d’information. Elle
s’accompagne d’une diminution de l’importance du présentateur
qui, sur CNN, ne joue plus le rôle d’interface entre le public et les
acteurs. La construction discursive du rapport aux acteurs par les
discours rapportés et du rapport aux récepteurs au travers de ce que
H. Weinrich appelle l’attitude de locution, est aussi différente.
L’ensemble de ces observations révèle que là où la fonction
pédagogique des chaînes françaises requérait un renforcement de
tout ce qui soulignait la médiation, celle-ci tend à s’effacer sur
CNN. Elle laisse place à de nouvelles modalités d’institution d’un
réel qui semble aller de soi au point de se confondre avec « les faits
bruts ».
- Les mutations des dispositifs d’information affectent aussi les
agencements narratifs. L’absence de programmation et la
répétition des nouvelles au cours de la journée produisent une
hyperfragmentation de l’intrigue qui se subdivise en nombreuses
micro-séquences. Chacune de ces séquences s’inscrit dans un procès
en cours dont on ignore le point d’aboutissement au moment où
elle est relatée. La mise en intrigue ne peut alors s’effectuer qu’au
travers d’une anticipation permanente de la fin ou d’une projection
en avant qui intègre les attentes des téléspectateurs. Au contraire,
sur les chaînes françaises, des formes de récapitulation
chronologique scandent la diffusion des nouvelles dans les journaux
télévisés. La dernière nouvelle apparaît comme le point
d’aboutissement d’un procès, le récit continue de s’effectuer au
travers d’un regard rétrospectif sur l’événement.
Les relations qui unissent les différents types de dispositifs font
apparaître une cohérence des systèmes de médiation qui dépasse les
pratiques strictement professionnelles. Les mutations des dispositifs
semblent prendre appui sur des phénomène sociaux plus amples où
l’on distinguera principalement deux aspects : le premier concerne
la valeur et les usages de l’information, le deuxième aborde le
rapport des sociétés démocratiques au temps de l’événement.
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L’imbrication des nouvelles économiques et politiques qui semble
caractériser aujourd’hui l’information anglo-saxonne, répond à de
nouveaux besoins qui font d’elle une aide indispensable à la décision
dans de multiples domaines d’application. Pour se vendre et circuler
aisément, les images et les discours doivent faire l’objet d’un
formatage, d’une normalisation, qui leur garantit une certaine
autonomie et la faculté de s’intégrer à tout type de document.
L’absence de classement des nouvelles et l’effacement des
territoires, la circulation des images par satellite et la sophistication
technologique des outils de postsynchronisation, participent d’une
restructuration profonde du rôle et des usages de l’information plus
qu’ils ne l’engendrent.
Les schèmes temporels qui structurent les relations d’événements
privilégient ce que R. Koselleck nomme l’horizon d’attente par
rapport au champ de l’expérience. L’écart entre ces deux catégories
se creuse ici à l’extrême. L’explication par le retour en arrière
constitue un mode de compréhension des phénomènes où
l’événement et son passé s’éclairent mutuellement. Dans
l’information en direct et en continu, il semble qu’au contraire,
l’événement éclaire son avenir pour initier des actions. La
convergence entre procédés énonciatifs et agencements narratifs
resurgit ici, sous-tendue par des schémas conceptuels qui existent en
amont des dispositifs.
Quand les puces auront mangé les livres, la numérisation
des imprimés à la Bibliothèque Nationale de France1 , Julie
Bouchard, Mémoire de DEA en « Sciences, technologie et
société », Conservatoire National des Arts et Métiers, 1995.
Depuis l’annonce de sa création en 1988, la BNF conçoit et réalise
un programme de numérisation des imprimés. Cent mille «livres
papier » sont transformés en autant de « livres écran », devenant
ainsi consultables sur un poste de lecture assistée par ordinateur et
accessibles à distance. Sujets à d’intenses tractations entre les
différents acteurs impliqués (Présidence de la République,
Ministères, Direction de la BNF, etc.), le programme de
numérisation n’est pas allé « de soi » et a beaucoup évolué entre sa
conception et sa réalisation - à l’image du projet de la BNF en
général. L’objet de notre travail n’est pas de mesurer l’écart entre
le projet initial et la réalisation finale, mais plutôt de tenter de
découvrir les mécanismes qui ont présidé à l’évolution du
1
Certains aspects de ce texte ont été développés dans un article paru dans
Futuribles, octobre 1996.
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programme (représentations, discours, rapports de force,
discussions ou « non-discussions », etc.) Ainsi les seuls progrès
technologiques n’expliquent pas la configuration finale du
programme ; un ensemble de choix, autant techniques
qu’idéologiques et intellectuels, guident activement la réalisation du
programme de numérisation. Les résultats de notre étude montrent
l’ancrage social du programme de numérisation : celui-ci, malgré ses
aspects progressistes et novateurs, s’est peu à peu conformé aux
contraintes traditionnelles d’une diffusion du savoir centralisé et
élitiste. C’est pourquoi l’objectif d’accessibilité à distance des
documents numérisés est passé au second plan, derrière celui de
consultation sur le site même de la BNF; c’est pourquoi également
les choix techniques se sont portés en bloc sur des matériels
« lourds » et dispendieux, malgré l’éventualité d’être rapidement
obsolètes ; c’est pourquoi enfin le programme de numérisation se
heurte, dès avant sa « mise en public », à des problèmes légaux de
diffusion des œuvres numérisées.
Les caractéristiques techniques et intellectuelles du programme de
numérisation trouvent un sens probable dans un « modèle français
de modernisation » : un changement introduit en bloc, des décisions
centralisées une liberté absolue laissée aux « experts », une priorité
à la logique d’offre et au volontarisme d’Etat, et un ensemble de
discours et de représentations politico-intellectuels.
Cette étude montre sans doute les limites du modèle français de
progrès mais met en valeur également les défis relevés par une
poignée d’acteurs. Alors, visionnaire ou casse-cou ? Une autre
façon de questionner le soi-disant déterminisme technologique.
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