Musique rituelle de Tunisie : le stambali

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Musique rituelle de Tunisie : le stambali
Musique rituelle de Tunisie : le stambali
Mercredi, 24 Octobre 2012 00:00
Le stambali est à la fois une musique rituelle et un culte de possession qui puise ses racines
dans l’Afrique subsaharienne. En effet, de l’Afrique jusqu’au Maghreb en passant par
l’Amérique latine ou l’Océan indien, un culte des esprits lié à une musique rituelle se répand le
long de la route de trafic des esclaves noirs. Appelés Gnawa au Maroc, Diwan en Algérie,
Macary en Libye, Stambali en Tunisie mais aussi culte des orishas à Cuba ou rumbu aux
Comores, ce culte témoigne de l’histoire d’une pratique thérapeutique et de la richesse d’un
patrimoine musical.
Ainsi en Tunisie, l’histoire du stambali remonte à l’arrivée des premiers esclaves noirs venus du
Mali, de Tombouctou plus précisément. Pratiquant leur musique et leur culte au sein des
maisons de leurs maîtres, ces esclaves et leurs traditions musicales survivent en 2012 à travers
le stambali. Cependant ce patrimoine tant musical que rituel pourrait bien disparaître. En effet
s’il y a encore quelques dizaine d’années, Tunis comptait quatre grandes « maisons » du
stambali (Dar Bernou, Dar Couffa, Dar Jmaa et Dar Sidi Ali Lasmar) et à Sfax deux maisons
(Zaouia Leila Samra et Sidi Mansour), il n’en demeure plus qu’une seule actuellement, Dar Sidi
Ali Lasmar. Cette dernière héberge depuis une vingtaine d’années une troupe de stambali
dirigée par Riadh Ezzawech et qui perpétue ces traditions africaines et tente de les promouvoir
à travers des représentations festives entre tradition et modernité.
Il faut savoir qu’à Tunis comme à Sfax ces maisons d’esclaves avaient été offertes à ceux-ci
par leur maître afin qu’ils puissent y vivre en communauté. Chaque demeure était tenue par un
«maître» de la communauté appelé Baba Guelledina. Ainsi à Tunis, Baba Nasser gérait les
affaires de Dar Couffa, Baba Saïd Bernou celles de Dar Bernou, Umma Zinebou celles de Dar
Jmaa et Baba Abdou Kinkara celles de Dar Sidi Ali Lasmar. Au lendemain de l’Indépendance,
Habib Bourguiba dans son souci de moderniser le pays s’est évertué à faire fermer ces
maisons puis à les détruire. N’a survécu que Dar Sidi Lasmar qui, dans un état avancé de
vétusté, fut rachetée par un particulier en 1964 et accueille de nouveau une confrérie stambali
depuis 1989.
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Pour en revenir au rite stambali en lui-même, comme nous avons déjà pu le dire, il s’agit d’une
musique rituelle et d’un culte de possession qui puisent ses origines de la présence africaine
des esclaves et descendants d’esclaves noirs auxquelles se sont mêlées des croyances locales
liées aux cultes des saints dans l’Islam populaire (wali).
Au Dar Sidi Ali Lasmar, trois cérémonies stambali ont lieu chaque année : une première avant
le Ramadan pendant le mois de Chaabâne (cérémonie Chaabânia), une deuxième le 27 du
mois de Ramadan et enfin la dernière la nuit du Mouled (Mouloudia). Celles-ci, orchestrées par
le Arrifa c’est-à-dire le « saint-patron » de la confrérie, Riadh Ezzawech, se déroule de 14h à
l’aube du lendemain matin. A une partie introductive (de 14h à environ 20h) axée sur les
instruments (Qraqeb, castagnettes en fer, guembri, guitare à 3 cordes d’origine africaine
auxquels peut s’ajouter le Tbal, le courcoutou et les chants en fonction des cérémonies)
succède un répertoire sacré caractérisé par des chants rituels en langue Haoussa qui, faisant
référence au culte Bori, en appellent à un panthéon de djinn ou mlouk (génie, esprit). Alors les
adeptes et les danseurs s’adonnent à la transe. Cette danse et cette pratique de possession
rituelle, où les adeptes en état de transe incarnent des entités surnaturelles, ont pour effet de
traiter certains maux, d’exorciser les démons, de conjurer le mauvais oeil et d’apaiser le
courroux des esprits. Le «maître-musicien», Arrifa, lui enchaîne, de minuit jusqu’au petit matin,
une série de devises chantées, qui fait référence à chaque entité du panthéon bori.
Quel avenir pour ce patrimoine tant musical que rituel dans la Tunisie du XXIème siècle ? Alors
que des sites archéologiques et naturels sont classés et préservés quand est-il de ce
patrimoine immatériel qui nous rappelle musicalement et rituellement l’apport africain du peuple
tunisien ? Riadh Zawech, saint patron de la confrérie a bien compris l’urgence de garder
mémoire de ce qu’il fait c’est pourquoi il propose parallèlement à des cérémonies intimistes
purement rituelles des spectacles/cérémonies plus festifs et événementiels. Identifié par
l’ONTT, il reçoit parfois des groupes de touristes ou des délégations de marque afin de parler
de son art. Il y a quelques années, il avait même eu l’envie de mettre sur pieds à Ghar el melh,
dans la zaouïa Sidi Ali Mekki, un Festival du Stambali réunissant des troupes internationales
comme il existe un Festival du Gwana à Essaouira au Maroc depuis 15 ans. Le ministère de la
Culture n’en a jamais vu l’intérêt et le projet est resté à l’état de projet faute de soutien financier.
En attendant la troupe de Sidi Ali Lasmar est invité un peu partout sur la planète pour jouer et
faire connaître cette tradition et ce patrimoine tunisien. Elle se produira le 27 mars 2013 au
théâtre de Grasse en France au Festival des musiques du monde.
Alors que les zaouïas liées au culte des saints ou au soufisme se font attaquer dans notre pays
ces derniers temps (Sidi Abdelkhader, Lella de la Manoubia) et que le culte des saints ainsi que
tout ce qui ne se conforterait pas une vision wahabite de l’Islam semble être rejeté avec
violence, quel avenir pour le stambali ? Alors que le Maroc a fait du gnawa, l’équivalent
marocain du stambali, un produit culturel et touristique qui pèse dans la balance économique du
pays, la Tunisie regarde son patrimoine disparaître. Un vrai gâchis pour les générations futures.
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Pour en savoir plus : www.stambalisidialilasmar.com
La prochaine soirée stambali à Tunis au Sidi Ali Lasmar aura lieu le 2 février 2013 (Mouloudia).
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