l`aide!internationale!au!développement!!

Transcription

l`aide!internationale!au!développement!!
!
!
!
!
!
!
!
L’AIDE!INTERNATIONALE!AU!DÉVELOPPEMENT!!
EST2ELLE!EN!DANGER?!!
Quel avenir pour l’aide dans le contexte de la fusion
de l’Agence canadienne de développement international (ACDI)
et du ministère des Affaires étrangères et
du Commerce international (MAECI) ?
Par Yves Pétillon
Janvier 2014!
Département de management et technologie
!
École des sciences de la gestion
Université du Québec à Montréal
!
!
Chronique!éditoriale!
_______________________________________________________________________!
!
L’AIDE INTERNATIONALE AU DÉVELOPPEMENT EST-ELLE EN
DANGER?
Quel avenir pour l’aide dans le contexte de la fusion de
l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et
du ministère des Affaires étrangères et du Commerce
international (MAECI) ?
Par Yves Pétillon
Chercheur associé, OCCAH
Ancien directeur général, CECI
Ancien directeur de programme, ACDI
!
!
!
!
!
!
!
!
©2014!Observatoire!canadien!sur!les!crises!et!l’action!humanitaires!
!
!
!
!
!!!!!!!!!!!L’AIDE INTERNATIONALE AU DÉVELOPPEMENT EST-ELLE EN DANGER? !
!
Le 21 mars 2013, le gouvernement conservateur annonçait la fusion de l’ACDI et du
MAECI. Plus récemment, les modalités pratiques de cette fusion furent précisées, tout
comme l’énoncé de mission et l’organigramme du nouveau Ministère des affaires
étrangères, du commerce international et du développement (MAECD). Que signifie
cette fusion pour l'avenir de l’aide au développement ? Plusieurs s'interrogent sur le
sens de cette mesure, notamment l’Observatoire canadien sur les crises et l’action
humanitaire (OCCAH) de l'UQAM qui organisait une conférence sur ce thème le 3
décembre dernier1. La présente contribution à ce débat situe cette fusion dans son
contexte historique. Elle analyse les raisons de cette décision, ses avantages et ses
inconvénients, pour ensuite conclure sur les perspectives pour l’avenir.
Évolution historique de l’ACDI
L’ACDI voit le jour en 1968 à partir du Bureau de l’aide extérieure qui existait au sein
du ministère des Affaires extérieures. Le gouvernement libéral de l’époque souhaitait
ainsi octroyer une large liberté d'action à une agence distincte, chargée de mettre en
œuvre l’aide au développement. La nomination de plusieurs présidents successifs
jouissant d’une grande notoriété tels Maurice Strong, Paul Gérin-Lajoie ou Marcel
Massé confortait cette idée d'une relation à distance ( at arm’s length ) avec le
gouvernement, même si le ministre des Affaires extérieures en restait ultimement
responsable.
C’est en 1979 que le gouvernement progressiste-conservateur de Joe Clark nomma un
ministre spécifiquement responsable de l’ACDI. Cette modalité fut ensuite la règle pour
les gouvernements qui se succédèrent, conservateurs comme libéraux. A l’époque,
certains voulurent voir dans cette décision la volonté de renforcer l’ACDI et l’aide au
développement en lui donnant un meilleur accès au Conseil des Ministres et permettre
ainsi de réduire l’influence des intérêts liés aux politiques étrangères et commerciales.
Rapidement, on se rendit compte que cette décision avait l’effet inverse espéré en
rendant l’aide canadienne plus dépendante des priorités politiques et commerciales,
bien qu’elle conservât sa personnalité et ses valeurs.
Au cours des dix dernières années et plus récemment avec l’arrivée des conservateurs
au pouvoir, on a assisté à une érosion de la marge de manœuvre de l’ACDI. Les
ministres successifs ont eu tendance à imposer de plus en plus leurs points de vue et à
affirmer ainsi leur pouvoir au détriment de celui du président de l’Agence et de ses
fonctionnaires. Graduellement, le profil des présidents qui se sont succédé est devenu
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1
À l’occasion de cette conférence, les panélistes étaient Jean-Guy Saint-Martin, Président, Conseil d’administration
OXFAM-Québec, Ancien Ambassadeur du Canada, Ancien Vice-président, ACDI ; Olga Navarro-Flores, Professeure,
Département management et technologie de l’ESG UQAM, Membre du comité scientifique OCCAH ; Julia Sanchez,
Présidente-directrice générale, Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI).
L’aide internationale au développement est-elle en danger?
Quel avenir pour l’aide dans le contexte de la fusion de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et du ministère des
Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) ?
Par Yves Pétillon
Janvier 2014
!
1!
!
!
!!!!!!!!!!!L’AIDE INTERNATIONALE AU DÉVELOPPEMENT EST-ELLE EN DANGER? !
!
plus modeste. Par ailleurs, au fil des ans, les niveaux de délégation dans l’approbation
des programmes et projets, dont bénéficiaient la présidence et les cadres supérieurs,
ont été réduits radicalement jusqu’à devenir symboliques.
En fait, l’appellation « Agence » ne correspondait tout simplement plus à la réalité,
l'ACDI étant devenue un ministère comme les autres sans marque distinctive, si ce n'est
l'engagement indéfectible de ses employés à travailler à réduire la pauvreté. Dans ces
circonstances, il n’est pas étonnant que le gouvernement ait pris la décision de créer
un nouveau ministère des Affaires étrangères, du Commerce international et du
Développement (MAECD).
Raisons invoquées pour la fusion
C’est dans le cadre du Plan d’action économique de mars 2013 que le gouvernement
annonça la fusion. Faisant valoir les aspects positifs de la fusion entre le ministère des
Affaires étrangères et celui du Commerce international en 2006, le ministre des
Finances justifia la fusion en précisant que « les objectifs en matière de développement
sont désormais à multiples facettes et font plus appel à ses relations bilatérales et
multilatérales, et à ses intérêts commerciaux2 ».
Dans son discours au « Canadian International Council » de Toronto en juin 2013,
l’ancien ministre de la Coopération, Julian Fantino, élabora davantage sur les raisons et
les objectifs de la fusion3. Il expliqua que le contexte du développement a changé: l’aide
publique au développement ne représente plus que 15 % des flux monétaires vers les
pays en développement qui demanderaient des appuis plus diversifiés via des
partenariats privés et des échanges commerciaux. Ainsi, en mettant en commun les
expertises des ministères et en plaçant sur le même pied les questions de
développement, de politique étrangère, de promotion commerciale, voire de sécurité,
l'action du Canada à l'étranger serait plus cohérente et permettrait de répondre avec
des outils complémentaires aux sollicitations des pays en développement. Par ailleurs,
le ministre plaide pour une implication plus forte
du secteur privé dans le
développement, en faisant valoir qu’un approfondissement de l’engagement du
gouvernement avec le secteur privé jouera un rôle clef pour le succès des objectifs de
développement.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
2
!Canada. Ministère des Finances. 2013. Emplois, Croissance et Prospérité à long terme : Plan d’action économique de
2013. Déposé à la Chambre des communes par le ministre des Finances l’Honorable James Flaherty. Ottawa : Ministère
des Finances, pp. 267-269
3
!Fantino, J. (2013, 21 juin). Notes pour une allocution du ministre de la Coopération internationale, l’Honorable Julian
Fantino, au Conseil international du Canada. Toronto. 21 juin 2013. Récupéré de
http://www.international.gc.ca/media/dev/speeches-discours/2013/06/21a.aspx?lang=fra
L’aide internationale au développement est-elle en danger?
Quel avenir pour l’aide dans le contexte de la fusion de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et du ministère des
Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) ?
Par Yves Pétillon
Janvier 2014
!
2!
!
!
!!!!!!!!!!!L’AIDE INTERNATIONALE AU DÉVELOPPEMENT EST-ELLE EN DANGER? !
!
Facteurs potentiellement positifs de la fusion
La Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement a été préservée dans
la fusion4. Elle stipule que : « l’aide officielle ne peut être fournie que si le ministre
compétent est d’avis qu’elle contribue à la réduction de la pauvreté et qu’elle tient
compte des points de vue des pauvres ». Cette loi ne fait aucune mention des intérêts
commerciaux du Canada. Le MAECD devrait donc rendre compte annuellement de
l’application de la loi qui prévoit aussi une série de consultations des Canadiens et des
bénéficiaires de l’aide. Le gouvernement conservateur a toujours montré de la réticence
vis-à-vis de cette législation issue d’une initiative privée en 2008.
L’ACDI était relativement isolée au sein du gouvernement et avait très peu d’influence
sur les autres ministères. Une hypothèse optimiste serait que la partie
« développement » ne se contente pas de subir les directives des autres composantes
du ministère, mais ait une réelle influence sur les politiques étrangères et de commerce
international. Les déclarations du ministre Fantino, dans son discours au « Canadian
International Council » de Toronto, laisse entrevoir cette possibilité puisqu’il évoque la
mise sur le même pied des questions de développement, de diplomatie et de commerce.
Il est en effet reconnu que la réduction de la pauvreté dans le monde ne se fera pas
seulement par l’aide au développement, mais aussi par des investissements et des
politiques internationales qui favorisent ces pays ou du moins qui ne leur nuisent pas. La
création du MAECD permettrait éventuellement une meilleure prise en compte des
intérêts des pays en développement dans les politiques économiques et commerciales,
climatiques, environnementales et migratoires notamment.
Par ailleurs, concrètement la répartition des responsabilités au sein du nouveau
ministère est assez favorable aux cadres de l’ACDI. En effet, sur 10 postes de sousministres adjoints, responsables des politiques et des programmes, 5 sont occupés par
d’anciens hauts cadres de l’ACDI, dont le poste clef de la politique stratégique. Il s’agit là
d’un bon début. Reste à voir si les considérations liées au développement et à la
réduction de la pauvreté imprégneront les politiques étrangères en général et
commerciales en particulier.
Facteurs potentiellement négatifs
La fusion s’est faite sans qu’une politique étrangère et une stratégie d’ensemble n'aient
été élaborées pour le nouveau ministère. Par contre, en novembre 2013, le ministre du
Commerce international, Ed Fast, a rendu publique une nouvelle politique de commerce
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
4
!Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement. (2008). L.C. ch. 17. Récupéré de http://lawslois.justice.gc.ca/fra/lois/O-2.8/TexteComplet.html
!
L’aide internationale au développement est-elle en danger?
Quel avenir pour l’aide dans le contexte de la fusion de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et du ministère des
Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) ?
Par Yves Pétillon
Janvier 2014
!
3!
!
!
!!!!!!!!!!!L’AIDE INTERNATIONALE AU DÉVELOPPEMENT EST-ELLE EN DANGER? !
!
international5. Il mentionne en particulier que tous les moyens diplomatiques canadiens
seront mobilisés pour appuyer le succès commercial des compagnies et investisseurs
canadiens. Le moment choisi pour lancer cette politique et les moyens qui seront mis en
œuvre pour la concrétiser laissent songeurs quant à la prise en compte des intérêts des
pays en développement.
Parmi les 20 pays ciblés prioritairement pour recevoir de l’aide canadienne, plusieurs ne
figurent pas vraiment parmi les plus pauvres, comme la Colombie, le Pérou, les pays
anglophones des Caraïbes, le Vietnam et l’Ukraine notamment. Ces pays prioritaires
tendent d’ailleurs à changer au gré des administrations6. Par ailleurs, l’ACDI s’est
désengagée de plusieurs pays parmi les plus pauvres en Afrique. L’intérêt commercial
ou politique a sans doute primé dans le choix de ces pays. Les nombreuses déclarations
gouvernementales, en particulier celles du ministre Fantino, à l’effet que l’aide doit
contribuer à promouvoir les intérêts économiques du Canada, dont ceux de l’industrie
minière canadienne, laissent prévoir que d'autres pays pourraient être désignés comme
prioritaires, cela davantage pour leur intérêt commercial que pour combattre la pauvreté.
On pourrait donc assister à un plus grand éparpillement de l’aide contrairement à ce qui
est préconisé par l’Organisation de coopération pour le développement économiques
(OCDE).
Au delà des intérêts commerciaux, l’intégration de l’ACDI au sein des affaires
étrangères pourrait accentuer l’influence de facteurs d’ordre idéologique du même ordre
que l’augmentation importante du financement d’organisations religieuses, mise en
évidence par des recherches récentes de l’Observatoire canadien sur les crises et
l’action humanitaires.
Un bon « outil » au service de politiques étrangères à définir.
Plusieurs pays d’Europe du nord en particulier ont intégré ces dernières années leur
agence d’aide au développement à leur ministère des Affaires étrangères. Il n’y a pas
pour le moment d’évidence que cela soit meilleur pour l’efficacité de l’aide. Les revues
périodiques des programmes d’aide effectuées par l’OCDE pourraient éventuellement
clarifier cette question dans le futur.
Pour le moment, il semble que la fusion en soi n’est ni bonne ni mauvaise. Le Canada
dispose ainsi d’un bel « outil » pour ses politiques étrangères, de commerce
international et d’appui au développement. Mais cet « outil » a besoin de politiques
claires qui n’existent pas officiellement, même si implicitement on sent que la priorité est
de servir les intérêts politiques et économiques du Canada en premier lieu. Ainsi, sous
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
5
!Fast, E. (2013, 27 novembre). Allocution du ministre du Commerce international, l’Honorable Edward Fast, devant le
Club économique du Canada. Ottawa. 27 novembre 2013. Récupéré de
http://www.international.gc.ca/media/comm/speeches-discours/2013/12/11a.aspx?lang=fra
6
!Canada. Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement. (2013). Où nous travaillons en matière
de développement international. Récupéré de www.acdi-cida.gc.ca/payscibles
L’aide internationale au développement est-elle en danger?
Quel avenir pour l’aide dans le contexte de la fusion de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et du ministère des
Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) ?
Par Yves Pétillon
Janvier 2014
!
4!
!
!
!!!!!!!!!!!L’AIDE INTERNATIONALE AU DÉVELOPPEMENT EST-ELLE EN DANGER? !
!
le gouvernement actuel, le développement risque d’être le parent pauvre du nouveau
ministère même si l’ancienne ACDI a semblé bien tirer son épingle du jeu dans la fusion.
Il pourrait cependant en aller tout autrement si l'aide au développement était une priorité
importante du gouvernement. En complément de sa composante financière, l’appui au
développement pour la réduction de la pauvreté dans le monde se ferait aussi par des
politiques économiques, environnementales, climatiques, migratoires et de promotion de
la paix. De plus, on peut rêver que le Canada devienne un leader mondial pour
influencer les autres pays dans ces domaines.
La Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement pourrait être amendée
pour inclure ces autres dimensions de l’appui au développement. Le rapport que le
gouvernement est tenu de présenter chaque année au Parlement selon cette loi pourrait
inclure les mesures de politiques adoptées en faveur de la réduction de la pauvreté, en
plus de la reddition de comptes concernant le budget de l’aide.
Jean-Guy Saint-Martin, ancien haut fonctionnaire de l’ACDI et ancien ambassadeur,
panéliste lors de la conférence organisée par l’Observatoire canadien sur les crises et
l’action humanitaires, concluait très justement sa présentation de la façon suivante:
« Si la formulation de nos politiques extérieures et intérieures réussit à tenir compte de
la lutte à la pauvreté, on pourra conclure que cette réforme administrative est une fusion.
Si le budget d’aide publique au développement n’est qu’une petite caisse au service de
nos objectifs politiques et commerciaux, on vivra alors une simple prise de contrôle. ».
L’aide internationale au développement est-elle en danger?
Quel avenir pour l’aide dans le contexte de la fusion de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et du ministère des
Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) ?
Par Yves Pétillon
Janvier 2014
!
5!