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HL053_013-016_Dossier-Entretien_4p:H&L-actu 24/01/14 13:54 Page13
CORÉE
©DR
Entretien avec Kang Chol Hwan*
Kang Chol Hwan au Forum pour la Liberté à Oslo en avril 2010
Histoire & Liberté: Depuis la publication des Aquariums de Pyongyang, plus de treize ans
ont passé. Pensez-vous qu’un réfugié ou un « transfuge » nord-coréen d’aujourd’hui puisse
raconter la même histoire que la vôtre ou une histoire analogue? Pour le dire autrement: la
Corée du Nord a-t-elle changé depuis 2000 et dans quels domaines?
Kang Chol Hwan: La structure organisationnelle de la Corée du Nord a connu des changements significatifs depuis la mort de Kim Jong Il. Il y a eu un transfert de pouvoir, de
l’armée au Parti, au sein de la direction nord-coréenne. Mais, déjà, dans le passé, ce pouvoir
militaire excessif avait été prudemment réduit, sous l’impulsion de Jang Song Taek, dont le
rôle auprès de Kim Jong Il fut important avant 2004 et après 2008.
* Journaliste au Chosun Ilbo.
Après avoir passé dix ans dans le camp de Yodok, Kang Chol Hwan avait fui en Chine et de là, rejoint la Corée du
Sud. Il a raconté son histoire à Pierre Rigoulot dans Les Aquariums de Pyongyang (Éditions Robert Laffont, 2000).
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HISTOIRE & LIBERTÉ
Histoire & Liberté: Y a-t-il eu d’autres changements marquants ces derniers temps?
Kang Chol Hwan: Le régime nord-coréen a mis en place des mesures de contrôle strictes
pour rendre hermétique la frontière avec la Chine, afin de décourager les candidats au
départ. C’est l’une des mesures radicales prises pour éviter l’effondrement du régime.
Malgré tout, le nombre de passeurs qui aident des Nord-Coréens à fuir a augmenté et de
nouveaux itinéraires pour les conduire jusque dans les pays du sud-est de l’Asie ont même
été inaugurés.
Le mode de répression a aussi changé. Voyez les camps: le système concentrationnaire s’est
modifié. Par exemple, le camp pour détenus politiques de Hoeryong a été fermé. C’est une
conséquence de l’intérêt qu’a porté et que porte à cette question la communauté internationale et de ses protestations pour obtenir la fermeture des camps pour prisonniers politiques. Il
est moins facile de critiquer les prisons ordinaires que les camps de concentration. Résultat: le
nombre de camps a diminué, mais celui des prisons ordinaires s’est accru au contraire.
Autre changement d’importance: alors que dans le passé, le régime nord-coréen a pu se
maintenir grâce à l’aide de certains présidents du Sud, tels Kim Dae Jung ou No Moo Hyun,
l’interruption de cette même aide, inaugurée par l’administration de Lee Myung Bak, a fait
évoluer le mode d’exercice du pouvoir en Corée du Nord. La mort de Kim Jong Il n’a pu
que renforcer cette tendance.
Histoire & Liberté: Les tenants de la Sunshine policy ont-ils vraiment permis au régime nordcoréen de se maintenir?
Kang Chol Hwan: Mais oui! Au milieu des années 1990, la Corée du Nord s’est enfoncée
dans la pire crise économique qui soit et elle était au bord de l’effondrement. Le régime
n’avait plus d’autre choix que d’entreprendre des réformes sur le modèle chinois. Mais
grâce au soutien de la Sunshine policy, mise en œuvre par le président Kim Dae Jung, la
Corée du Nord a pu maintenir son régime autoritaire et éviter les changements nécessaires.
Certes, le pays était confronté à une famine et à une malnutrition sévères, mais envoyer de
l’aide à ce régime n’a fait que prolonger les peines et les souffrances de la population
puisque la nourriture n’était pas distribuée à ceux qui en avaient le plus besoin et alimentait
surtout les réserves des militaires. C’est le soutien du Sud, pendant cette période – la pire
qu’ait connue le Nord –, qui a permis que le régime du Nord se maintienne et se prolonge.
J’ajoute que l’actuel système économique nord-coréen a connu de graves échecs pendant
ces dernières années, des échecs qui progressivement ont mis à mal la direction.
Auparavant, Kim Jong Il gouvernait en appliquant sa politique du songbun, c’est-à-dire de
l’«armée d’abord». Il confiait la direction du pays et le pouvoir effectif aux militaires, qui
décidaient de tout et pas seulement dans la stricte sphère militaire. C’est pour cette raison
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ENTRETIEN AVEC KANG CHOL HWAN
que la gestion de l’économie se trouve aujourd’hui entre les mains du haut commandement
de l’armée.
Il y a d’autres facteurs responsables de la détérioration de la situation économique. C’est le
cas de l’inflation chinoise, qui touche les capacités des dirigeants nord-coréens à répondre
aux demandes de consommation de la population. 95 % des produits utilisés en Corée du
Nord viennent de Chine. Du fait de l’inflation élevée que connaît ce pays, le coût de l’importation de ces marchandises a également augmenté. J’y vois au moins deux conséquences: tout d’abord, les citoyens nord-coréens commencent à réaliser l’importance d’un
salaire sur lequel on peut compter, comme cela se passe en Chine. Cette préoccupation est
particulièrement vive chez les officiers de haut rang. Par ailleurs, pour contrebalancer les
effets de cette inflation, la population tente davantage d’échapper aux circuits commerciaux
normaux, accroissant ainsi les échanges souterrains entre les deux pays – et donc la corruption qui va avec.
Les rapports de la Corée du Nord avec la Chine ont un autre effet négatif sur le plan économique: le gouvernement chinois perçoit ce pays comme une source de produits accessibles
à bas prix, comme un importateur de produits industriels made in China, et au total
comme un moyen de stabiliser ses propres déficits économiques régionaux. Au point que
les avantages qu’apportait auparavant l’aide dispensée par la Chine sont aujourd’hui
complètement annulés.
En tout cas, après ces échecs économiques, des corrections, des réformes ont été tentées,
auxquelles se sont fortement opposés les dirigeants de l’armée.
Celle-ci perd peu à peu de sa toute-puissance. Mais la récente exécution de Jang Song Taek
montre bien les mesures radicales que peut prendre le régime nord-coréen et fait la preuve
que cette diminution du pouvoir de l’armée n’ira pas sans à-coups.
Histoire & Liberté: Comment analysez-vous l’exécution de Jang Song Taek?
Kang Chol Hwan: Il peut s’agir là de l’un des aspects de la restructuration de l’organisation
et de l’administration du Parti. On peut y voir une lutte de pouvoir entre Kim Jong Eun et
Jang Song Taek. Dans celle-ci, Jang a été trahi par son proche allié, Choe Ryong Hae, qui a pu
ainsi rester à la direction de son département[1]. Néanmoins, ce n’est peut-être pas fini: Kim
Jong Eun pourrait bien voir son pouvoir confronté à une nouvelle menace.
Histoire & Liberté: Que sait-on de ce Choe Ryong Hae ? Peut-on parler désormais de lui
comme du n° 2 dans la hiérarchie du pouvoir?
1. Choe Ryong Hae dirige le département politique de l’armée. Il est en quelque sorte le Commissaire politique en
chef de l’armée nord-coréenne (NDLR).
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Kang Chol Hwan: Le pouvoir de Choe Ryong Hae était éclipsé par celui de Jang Song
Taek. Aussi les Nord-Coréens ne l’ont-ils pas reconnu comme le nouveau n° 2. Néanmoins,
l’exécution de Jang Song Taek a pu avoir lieu grâce à Choe Ryong Hae. Par conséquent, il est
possible qu’il devienne le n° 2. Mais il faudra bien étudier les décisions prochaines de Kim
Jong Eun pour déterminer le futur statut de Choe Ryong Hae.
Histoire & Liberté: A-t-il de bonnes relations avec le gouvernement chinois?
Kang Chol Hwan : Choe Ryong Hae travaillait au département politique de l’armée ; il
n’était pas directement engagé dans les relations entre la Corée du Nord et la Chine. Il est
donc difficile de prévoir la confiance que le gouvernement chinois lui accordera. Les relations futures entre Choe et la Chine dépendent complètement des décisions que prendra
Kim Jong Eun.
Histoire & Liberté: La femme de Jang, Kim Kyung Hee, a été épargnée lors de la purge qui a
frappé son mari. Pourquoi?
Kang Chol Hwan: Elle s’est opposée à l’exécution, en vain, et elle-même aurait pu être
passée par les armes. Mais elle a échappé à la mort parce qu’elle est la sœur cadette de Kim
Jong Il. Cependant, son pouvoir politique a diminué et elle a été rétrogradée dans l’organigramme de l’État/Parti.
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