Pr David Hall, f.m.s Doyen, La Salle Academy for Faith Formation

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Pr David Hall, f.m.s Doyen, La Salle Academy for Faith Formation
FEDERATION INTERNATIONALE DES UNIVERSITES CATHOLIQUES MELBOURNE, AUSTRALIE, 14th Juillet 2015 Comprendre le Monde en Mutation d’un Point de Vue chrétien PROFESSOR DAVID HALL FMS Doyen, La Salle Academy, Australian Catholic University Je suis né à l’époque de la contreculture dans le monde occidental et lorsque j’ai fait ma première Communion à l’Eglise catholique versus populum avait été adopté comme la nouvelle orientation liturgique. Le prêtre faisait face aux fidèles, le Latin avait disparu et les remplacements vernaculaires étaient solidement ancrés. Dans le monde occidental anglophone, l’hymne national de la décennie était la ballade évocatrice de Bob Dylan, The Times They Are A-­‐Changin et alors que nombre de personnes grinçaient des dents aux accents anticonformistes du mouvement de la contreculture, l’envie de changement était beaucoup plus forte que la résistance à celui-­‐ci. La ballade de Dylan demandait aux politiques de ne pas freiner ce dynamisme, et la dernière strophe réclamait un changement profond et durable. Elle rentrait dans la vie de chaque femme et de chaque homme, amenait la révolution de la contreculture dans leur salon et jouait avec les relations les plus intimes et influentes entre parents et enfants: Venez pères et mères De tous les coins du pays Et arrêtez de critiquer Ce que vous êtes incapables de comprendre Vos fils et vos filles échappent à votre autorité Votre vieille route prend Rapidement de l'âge S'il vous plait sortez de la nouvelle Si vous êtes incapables de donner un coup de main Car les temps sont en train de changer.1 L’envie de changement, plus désiré que décrié, allait en s’amplifiant. Le discours emblématique de Martin Luther King le 28 août 1963 à la Marche pour les Droits civiques à Washington DC a incarné le mouvement de la contreculture. “J’ai un rêve”, répétait-­‐il à l’envi et les foules l’acclamaient.2 Il semblerait que la notion de changement ne séduise plus comme le mouvement social qui a commencé voici plus de cinquante ans. Le changement était associé à une révolution qui avait trop tardé, mais aujourd’hui, si réel, inévitable et irréversible soit-­‐il, il est moins souhaité; nous sommes soit fatigués, soit méfiants de sa rapidité et de l’incertitude dans laquelle il nous plonge. En effet, nous sommes nombreux à nous voir comme les victimes d’une locomotive incontrôlée qui fonce sur nous avec sa destruction inévitable à laquelle nous avons peu de chance d’échapper. Le mouvement de la contreculture a réussi à déconstruire notre culture et nous nous retrouvons sans repères dans cet espace liminaire de reconstruction. L’analyse de Terry Eagleton est poignante: “La culture n’est pas seulement ce par quoi on vit. Elle est aussi, dans une grande mesure, ce pour quoi nous vivons.”3 Nous avons perdu notre sens 1
Bob Dylan, “The Times They Are A Changin”, Lyrics Freak, http://www.lyricsfreak.com/b/bob+dylan/the+times+they+are+a+changin_20021240.html (accessed 21 June 2015) 2
Martin Luther King, Jr., “I Have A Dream Speech”, Youtube, https://www.youtube.com/watch?v=3vDWWy4CMhE (accessed 21 June 2015) 3
Terry Eagleton, The Idea of Culture (Oxford: Blackwell, 2000), 131. 1 | P a g e de l’objectif, notre idée de sens, beaucoup d’entre nous éprouvons un sentiment de découragement, voire même de désespoir. Patrick Hederman nous situe dans un “siècle morne et commercial”.4 Morne suggère la désolation et commercial ôte tout ce que nous aimons dans l’humanité qui est par sa propre nature générative. Peter Senge (et al) explique comment cela nous plonge dans le désespoir: Nous sommes dans les entrailles de cette machine géante, l’économie moderne mondiale, utilisés comme des instruments pour servir ses fins. Nous avons créé cette machine ensemble, mais chacun de nous se sent piégé. Nous avons tant transféré ce poids à la machine que nous voyons peu de choix, même s’ils existent. Nous ne pouvons aller dans les bois et vivre de la terre de façon heureuse. Alors nous ‘congelons’ notre capacité de sentir ce qui se passe. Nous nions les graves conséquences de ce que nous faisons.5 Dans son analyse de Senge, Hederman affirme qu’: “Il n’y a pas de repères fixes à l’horizon.”6 Parmi les “dix commandements du postmodernisme radical” avancés par Michael Gallagher, plusieurs confirment la conclusion de Hederman: 1.
Vous ne croirez pas en l’histoire; 2.
Vous ne raconterez pas de meta-­‐histoires; 3.
Vous ne vous torturerez pas avec les valeurs; 4.
Vous ne ferez pas confiance aux institutions; 5.
Vous ne vous soucierez pas de Dieu; 6.
Vous ne chercherez pas l’uniformité.7 David Ranson conclut que nous sommes dans une période où “. . . le passé est connu mais n’est plus instrumental et le futur est pressenti mais doit encore se concrétiser de façon efficace.”8 Nous sommes fragiles dans cette incertitude. Nous voulons de tout cœur saisir l’opportunité, mais nous sommes très conscients de la possibilité d’être engloutis par un “paradigme techno-­‐économique” (Laudato Si, 53), qui, mélangée notre tendance à l’inhumanité, pourrait s’avérer, comme le conclut Jonathan Glover dans son livre Humanity: A Moral History of the 20th Century, une combinaison fatale qui nous verrait répéter les atrocités de notre passé.9 Le conseil de Glover est rassurant. Mais comment trouver un sens à ce que Gerald Arbuckle appelle “des temps chaotiques” ?10 Margaret Wheatley décrit avec précision à quoi ressemblent ces temps chaotiques: 4
Mark Patrick Hederman, The Boy in the Bubble: Education as Personal Relationship (Dublin: Veritas, 2012), 30. P. Senge, O. Scharmer, B. Flowers, J. Jaworski, Presence: Exploring Profound Change in People, Organizations and Society (New York: Doubleday, 2004), 232. 6
Hederman, 31. 7
Michael Paul Gallagher, Clashing Symbols: An Introduction to Faith and Culture (London: Darton, Longman & Todd, 2003), 100-­‐103. 8
David Ranson, “Forming a New Generation of Catholic School Leaders,” Australasian Catholic Record 83, no.4 (2006): 421. 9
th
Jonathan Glover, Humanity: A Moral History of the 20 Century (London: Yale University Press, 2012), 414. 10
Gerald Arbuckle, Catholic Identity or Identities?: Refounding Ministries in Chaotic Times (Collegeville, MI: Liturgical Press, 2013). 5
2 | P a g e Lorsque notre point de vue sur le monde n’est plus pertinent et que nous plongeons dans la confusion, bien sûr, nous avons peur. Soudain, nous n’avons plus de repères. Les solutions qui marchaient ne marchent plus. Le monde paraît incompréhensible, chaotique, irrationnel. Nous répondons à cette incohérence en appliquant aveuglément les vielles solutions. Nous devenons rigides dans nos croyances. Nous nous appuyons sur nos habitudes plutôt que de créer de nouvelles réponses. Nous finissons par nous sentir frustrés, épuisés et impuissants devant tant d’échecs. Ces frustrations et ces peurs créent plus d’agression. Nous essayons de faire marcher les choses par la force plutôt que par l’intelligence et la collaboration.11 Elle poursuit “. . . le chaos est nécessaire à un nouvel ordre créatif.”12 C’est là où, par notre foi chrétienne, nous pourrions donner un sens à notre monde changeant, turbulent, chaotique, et parfois sombre. Du chaos, du vide et des ténèbres Dieu crée la vie (Gen 1:1-­‐25), Dieu crée la vie humaine (Gen 1:26-­‐27), où naît son Fils unique (Lk 1:38). Nous pouvons faire sens du chaos avec Dieu et la personne de Jésus Christ. Non seulement on peut chercher à comprendre notre monde changeant à partir d’une perspective chrétienne, mais notre participation à la co-­‐créativité de Dieu peut donner un sens à notre monde, voire même le sauver. Une vue laïque du monde tend à nous faire rejeter la possibilité de la présence de Dieu dans l’histoire et pourtant c’est sa présence qui nous aide à faire sens de la confusion dans laquelle nous nous trouvons.13 Si nous devions croire à un Dieu qui habite notre monde, rendu visible en la personne de Jésus Christ, nous pourrions plus facilement dire “Non” à: 1.
une économie d’exclusion; 2.
la nouvelle idôlatrie de l’argent; 3.
un système financier qui domine plutôt que de servir; 4.
l’inégalité qui engendre la violence; 5.
l’égoïsme et l’indolence spirituelle; 6.
un pessimisme stérile; 7.
la mondanité spirituelle; 8.
les guerres entre nous. La liste ci-­‐dessus est composée de titres de section/paragraphe du Evangelii Gaudium -­‐ La Joie de l’Evangile –I du Pape François où il préconise qu’ils dominent dans notre monde parce que nous avons oublié que: “Chaque chrétien et chaque communauté sont appelés à être instruments de Dieu pour la libération et la promotion des pauvres, de manière à ce qu’ils puissent s’intégrer pleinement dans la société.” (EG, 187). Pour mieux comprendre la notion de “chaque individu et chaque communauté” visitons La Cathédrale de Notre Dame des Anges à Los Angeles, Etats-­‐Unis. 11
Margaret Wheatley, Leadership and the New Science: Discovering Order in a Chaotic World (San Francisco: Berrett-­‐Koehler Publishers, 2006), xi-­‐xii. 12
Wheatley, 13. 13
Richard Lennan, “Looking into the Sun: Faith, Culture and the Task of Theology in the Contemporary Church”, Australasian Catholic Record 84, no.4 (2007):459-­‐471. 3 | P a g e Une grande réflexion et un grand discernement ont participé à la création de cette cathédrale située au cœur de Los Angeles et qui est l’église mère d’un diocèse de quelque cinq millions de Catholiques. Chaque aspect de l’architecture et du matériau dit quelque chose sur ce que en quoi nous croyons en tant que Catholiques et sur ce que nous sommes en tant que peuple de Dieu au sein de l’Eglise et du monde. De sa grande place où se rassemblent les fidèles jusqu’au design et détail du sanctuaire nous pouvons apprendre quelque chose sur nous-­‐mêmes en tant que membres d’une croyance. Elle est belle et intelligente. Caché parmi les magnifiques tapisseries qui ornent les murs de chaque côté de la nef se trouve un message qui est au cœur de ce que nous croyons en tant que Chrétiens mais qui n’est peut-­‐être pas tout à fait compris ni pleinement adopté et pourtant si fondamental si la Chrétienté doit avoir un impact sur notre monde turbulent et chaotique. Promenez-­‐vous le long de cette nef sublime, gorgée de lumière qui est adoucie par l’albâtre qui remplit les espaces entre les fenêtres et imprégnez-­‐vous de tous ces panneaux de ceux qui nous ont précédés, les Saints de l’Eglise. “Leurs noms font écho au passé”: des femmes et des hommes, jeunes et vieux par qui “nous nous rappelons des vies et des héritages de ceux qui ont semé et renforcé les graines de la foi.”14 Cent trente cinq saints et bienheureux du monde entier. 14
Michael Downey, The Cathedral: At the Heart of Los Angeles (Collegeville, MI: Liturgical Press, 2003), 26. 4 | P a g e Créé par l’artiste John Nava, aucun détail ne manque, jusqu’à la gravure délicate du nom de chaque Saint à côté de son image. Où que vous vous asseyez, ils sont à vos côtés, devant vous et derrière vous– nous sommes entourés par la Communion des Saints, comme enveloppés dans leur sainteté. Mais la brillance de cette théologie picturale va plus loin. En créant les visages de certains d’entre eux dont les traits, contrairement à Ste Therèse de Calcutta par exemple, nous sont inconnus, Nava a choisi comme modèles des hommes et des femmes de l’Archidiocèse. Ici, un artiste local, Gerd Koch, est le visage de St Nicolas. 5 | P a g e Cette technique artistique n’est pas nouvelle avec les statues, les vitraux et les peintures qui ont traversé les siècles. Elle est incorporée dans nombre d’oeuvres et n’est parfois pas née d’une motivation noble, encore moins d’une motivation humble. Mais ce qu’il y a de particulier, voire même d’unique, dans ces tapisseries des Saints est l’apparition de quelques figures anonymes. Douze en fait. Femmes et hommes de tout âge. C’est un rappel rafraichissant que nous sommes tous appelés à la même sainteté et que, par le baptême, nous sommes appelés à être des disciples de Jésus dans le monde. Cela nous aide à comprendre notre vocation de Chrétiens si bien décrite par la bien aimée auteur irlandaise, Alice Taylor: “Nous sommes une création divine et l’étincelle de la créativité divine et de l’imagination est ancrée en nous. Si nous faisons jaillir cette étincelle nous pourrions réveiller le monde. Le voyage commence avec chacun de nous.”15 Si les Chrétiens devaient vivre dans cette croyance ils apporteraient sûrement un espoir à ce monde chaotique et turbulent qui serait certainement transformé si nous vivions comme des gens d’espoir. “Maudire les ténèbres est facile”, conseille Andrew Hamilton,16 mais ce qui nous est demandé est l’espoir et l’espoir est activité divine. Karl Rahner offre une belle synthèse de cette façon fort mal comprise d’appréhender le monde: L’espoir n’est pas simplement l’attitude d’un faible qui recherche un épanouissement à venir, mais de celui qui cherche plutôt le courage de s’engager en pensée et en action envers l’incompréhensible et l’incontrôlable qui emplissent notre existence et qui, comme l’avenir sur lequel il est ouvert, le nourrit.17 15
Alice Taylor, “Wake up the World”, 2 May 2015, Sisters of St Joseph of the Sacred Heart, http://www.sosj.org.au/news-­‐events/view_article.cfm?id=2386&loadref=0 (consulté le 21 juin 2015) 16
Andrew Hamilton, “Turning the Anzac Myth to Society’s Good, 22 April 2015, Eureka St, http://www.eurekastreet.com.au/article.aspx?aeid=43722#.VYaQtKN-­‐_IU (consulté le21 juin 2015) 17
Karl Rahner, “On the Theology of Hope”, Theological Investigations-­‐10, tr. David Bourke (New York: Seabury, 1977), 259. 6 | P a g e Tournons-­‐nous vers celle qui nous a enseigné l’espoir, donner l’espoir avec son grand OUI à l’invitation de faire entrer Dieu dans le monde en tant que mère de Jésus. Celle au nom et en l’honneur de laquelle la cathédrale de Los Angeles est nommée. Elle se tient paisible, gracieuse et confiante au-­‐dessus de l’entrée et nous regardons vers le ciel à travers son auréole. ¨Par elle, avec elle, et en elle le ciel rejoint la terre et la terre rejoint le ciel. C’est là la clé de ce que signifie être chrétien et de ce que la Chrétienté peut apporter à notre monde. En comprenant Marie, tournons-­‐nous vers une source improbable – l’Ascension de Jésus au ciel. “L’icône de l’Ascension est le reflet de la plus ancienne croyance des Chrétiens catholiques qui remonte au quatrième siècle”.18 Les personnages de l’icône sont les croyants qui restent sur terre après que Jésus soit monté vers son Père. Parmi les apôtres, il y a Pierre, car nous savons qu’il était là (Lk 24:50), ainsi que le disciple bienaimé qui figure au premier rang en rouge, la couleur de la sainteté, mais il y en a douze dans l’icône et à cette époque il n’y en avait que onze (Mk 28:16), Judas devant être remplacé par Mathias. Alors qui est le douzième? C’est Paul. Mais il n’était pas là. Et on ne peut être sûr que Marie y était et pourtant elle est placée au centre. Ce n’est pas un tableau historique de l’événement, mais une déclaration de comment se voyait la toute première incarnation de l’Eglise, de comment nous devrions nous voir; l’Eglise telle qu’elle était comprise au début. Une communauté de croyants du monde et pour le monde. 18
Craig Larkin, “The Icon of the Ascension: We must begin a new Church”, unpublished work. 7 | P a g e Dans cette icône Marie est placée au centre en-­‐dessous du Christ Ressuscité et c’est pour cela qu’elle peut prendre place au centre des Apôtres. L’axe horizontal de l’icône la met au coeur des Apôtres et l’axe vertical l’aligne sur Jésus Christ comme Premier Disciple. Elle est en même temps Christocentrique et apostolique; Disciple et Apôtre. Il n’existe aucune hiérarchie parmi les Apôtres de l’icône. Marie rassemble tout ceci, l’unifie, non de façon hiérarchique, mais de façon assez linéaire. “Les éléments clés sont les disciples chrétiens, la communauté chrétienne et Dieu incarné en ciel venant à la terre et la terre qui part vers le ciel”.19 Si nous devons comprendre notre monde en mutation et avoir un impact sur lui, c’est cette perspective que nous devons donner à notre mission en tant qu’enseignants d’universités catholiques. Ces trois éléments: disciples, communauté et incarner Dieu dans le monde forment le Marianisme. Dans la conclusion d’Evangelii Gaudium, le Pape François nous dirige vers Marie: Car, chaque fois que nous regardons Marie nous voulons croire en la force révolutionnaire de la tendresse et de l’affection. En elle, nous voyons que l’humilité et la tendresse ne sont pas les vertus des faibles, mais des forts, qui n’ont pas besoin de maltraiter les autres pour se sentir importants. En la regardant, nous découvrons que celle qui louait Dieu parce qu’« il a renversé les potentats de leurs trônes » et « a renvoyé les riches les mains vides » (Lc 1, 52.53) est la même qui nous donne de la chaleur maternelle dans notre quête de justice. Elle contemple le mystère de Dieu dans le monde, dans l’histoire et dans la vie quotidienne de chacun de nous et de tous. (EG, 288) Cette “dynamique de justice et de tendresse, de contemplation and de marche vers les autres” (EG, 288) est ce qui transformera notre monde, tout comme elle a transformé la vie et le monde de Marie. L’icône de l’Ascension nous offre une autre leçon; l’expression de l’Eglise telle qu’elle se voyait dans les temps les plus anciens. Entre autres, cela nous rappelle ‘qu’être Eglise’ est important pour la transformation du monde. Lorsque Jésus quitte la terre, ses disciples ne se dispersent pas par peur mais, au contraire, se rassemble en un collectif, une communauté, une église. Dans notre monde occidental, et surtout dans le monde occidental anglophone, l’église institutionnelle est fragile, et cela vaut pour presque toutes les dénominations de la Chrétienté et surtout le Catholicisme. En réfléchissant sur le plebiscite irlandais qui a dit “Oui” au mariage pour tous, l’Archevêque de Dublin Diarmuid Martin a dit: “L’Eglise doit faire un examen objectif general, a nalyser ce qu’elle fait de bien, analyser les domaines où nous devons nous dire ‘Nous sommes-­‐nous totalement coupés de la jeunesse?’.”20 D’autres Catholiques irlandais mettent en garde que l’Eglise ne va pas assez loin, assez vite, et a peut-­‐être bien perdu sa voix dans les vies morales des Irlandais. Réfléchissant plus largement sur des thèmes similaires, Richard Lennan dans un chapitre de son livre, Risking the Church, intitulé“The Church in Peril”, dit: “L’église ne bouge pas alors que le monde bouge à toute vitesse – elle est inaudible, alors que le monde communique avec ferveur.”21 A l’heure où les églises sont jugées dépassées, faut-­‐il abandonner la notion, laisser les individus faire leur part pour le monde et abandonner les constructions institutionnelles? Dans l’épilogue de son livre, Lennan arrive à une conclusion différente: “Si l’église symbolise la présence de l’Esprit qui attire l’humanité vers la communion avec Dieu, c’est aussi l’église qui offre les moyens de rencontrer Dieu qui ne se dérobe devant aucun aspect de la vie humaine, pas même l’échec, la maladie ou la mort.”22 En 19
Michael Green, “Selecting a Council for the Marist Association of St Marcellin Champagnat: Some Pointers from our Marian Intuitions and our Marist Experience”, 1 December 2014, non publié. 20
Diarmuid Martin, “Referendum on Gay Marriage”, The Tablet, 30 May 2015, 5. 21
Richard Lennan, Risking the Church: The Challenges of Catholic Faith (New York: Oxford University Press, 2004), 12. 22
Lennan, 247. 8 | P a g e comprenant notre monde en mutation d’après une perspective chrétienne, il importe de préserver la notion que, alors que les églises, et plus particulièrement l’église catholique, ont besoin de réformer leur mode d’opération et de s’identifier au monde, faire respecter le règne de Dieu dépend de l’engagement de chaque femme et de chaque homme et de leur effort collectif comme ‘église’. Le Pape François enseigne que l’Eglise que nous devrions chercher à incarner doit être mariale et il la résume ainsi: “ Chaque fois que nous regardons Marie nous voulons croire en la force révolutionnaire de la tendresse et de l’affection.” (EG, 288) Parce que Marie est si importante pour comprendre notre place dans le monde, nous y reviendrons à la fin de cette intervention, mais revenons maintenant à une autre dimension importante, à quelque chose de fondamental dans notre compréhension et notre identité chrétienne. “L’idée centrale de la théologie chrétienne est que les humains, tout en occupant une place privilégiée dans la création de Dieu, sont néanmoins des créatures déchues. Laissés à nous-­‐mêmes, nous avons une capacité infinie de faire le mal”.23 C’est là une constatation qui porte à débat et qui est traitée de façon générale dans le Catechism of the Catholic Church.24 St Paul adopte une position claire dans son Epitre aux Romains. Il insiste sur le fait qu’il n’existe aucune distinction entre nous en tant que tous, et ayant péché, nous n’atteindrons pas à la gloire de Dieu. (Rm 3:23) En analysant la notion of communion, St Paul enseigne au peuple de Corinthe que: “Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui, si un membre est honoré,tous les membres se réjouissent avec lui.” (1Cor 12:26) Dans son exposé “Healing and Creating in History”, Bernard Lonergan se débat avec le concept et tout particulièrement avec comment il se rapporte au besoin d’une nouvelle économie globale. Sommes-­‐
nous intelligents mais mauvais, ou bons mais stupides?25 Nous pouvons essayer de trouver un réconfort dans l’idée que les actions ouvertement maléfiques de notre monde sont les pêchés d’un petit nombre, alors que le reste d’entre nous sommes foncièrement bons et aimants, mais la conclusion d’ Alexandre Solzhenistyn dans ses écrits sur l’inhumanité des goulags soviétiques est glaçante: “La ligne de partage entre le bien et le mal traverse le cœur de chaque homme . . . après tout, c’est à cause de la façon dont les choses ont tourné qu’ils étaient les exécuteurs et pas nous.”26 Nous nous rappelons l’écrit souvent cité du prêcheur évangélique du 16ème siècle, John Bradford, rendu populaire avec la génération actuelle par le chanteur-­‐compositeur country, Keith Urban: There but for the grace of God go I.27 Mais il y a de l’espoir. Le Pape François nous rappelle que: “Nous sommes tous des pêcheurs mais Dieu nous guérit avec l’abondance de sa grâce, de sa miséricorde et de sa tendresse.”28 Nous partageons tout avec nos sœurs et nos frères. En tant que Chrétiens, nous croyons que: “Chacun de nous a été créé par le même Dieu triune. C’est pourquoi il existe une relation fusionnelle entre nous, forgée par la structure même de la création.”29 Nous avons toujours été des êtres relationnels et nous 23
Roy Williams, Post God Nation? (Sydney: Harper Collins, 2015), 252-­‐253. “The Fall”, Catechism of the Catholic Church, http://www.vatican.va/archive/ccc_css/archive/catechism/p1s2c1p7.htm (consulté le 22 juin 2015) 25
Bernard Lonergan, “Healing and Creating in History”, in The Lonergan Reader, ed. Mark D. Morelli and Elizabeth A. Morelli (London: University of Toronto Press, 1997), 566-­‐576. 26
Alexander Solzhenitsyn, The Gulag Archipelago, 1918-­‐56, tr. Thomas P. Whitney and Harry Willetts (London, 1988), 319. 27
Keith Urban, “But for the Grace of God, 21 April 2014, Youtube, https://www.youtube.com/watch?v=u7PWVJ5KjUk (consulté le 23 juin 2015) 28
Pope Francis, https://twitter.com/pontifex/status/394829810028929025 (consulté le 23 juin 2015) 29
Kyriaki Karidoyanes Fitzgerald, “Mary the Theotokos and the Call to Holiness”, in Mary: Mother of God, ed. Carl Braaten and Robert Jenson (Grand Rapids, MI: William B. Eerdmans, 2004), 98. 24
9 | P a g e devons travailler ensemble pour nous aider à rester des êtres relationnels. Mary Ann Fatula le formule ainsi: Prendre au sérieux notre foi en un Dieu trinitaire d’amour interpersonnel aurait aussi des conséquences radicales pour nos relations avec le monde autour de nous. Cela voudrait dire, tout d’abord, une conversion: ne plus chérir les choses plus que les gens. Notre foi trinitaire de par sa nature nous ordonne de nous identifier à chaque personne humaine, du plus insignifiant ou du plus pauvre, du plus déformé ou sans défense, au plus faible d’entre nous, d’après la vision trinitaire et les valeurs d’amour et de solidarité interrelationnels.30 Livrés à nous-­‐mêmes, nous échouerons certainement dans cette aspiration. Nous ne l’atteindrons que par la grâce de Dieu. Revenons vers notre modèle et guide, celle qui est ‘pleine de grâce’. Marie est la Theotokos; la porteuse de Dieu, celle qui fait naître le Dieu-­‐vie dans le monde. L’“Hymne au Theotokos, Mère de Dieu”, dans les Divines Liturgies de St Jean Chrysostome et St Basile le Grand nous aide à comprendre ce que signifie ‘pleine de grâce: En toi se réjouissent , ô pleine de grâce, toute la création, la hiérarchie des anges et la race des hommes, O Temple sanctifié, ô Jardin spirituel, ô Gloire virginale, c’est en toi que Dieu s’est incarné, en toi qu’est devenu petit enfant celui qui est notre Dieu avant tous les siècles. De ton sein il a fait un trône, Il l’a rendu plus vaste que les cieux. O Pleine de grâce, toute la création se réjouit en toi.31 En tant que disciples, et avec Marie comme Première Disciple, nous sommes appelés à être comme Marie, les porteurs de Dieu dans le monde. Chaque Chrétien a la responsabilité et la possibilité de réaliser ce que Marie a réalisé. Pouvons-­‐nous ouvrir notre cœur à Dieu de sorte qu’il sera ‘plus vaste que les cieux’? Le grand mystique allemand du 14ème siècle, Meister Eckhart, l’a formulé ainsi: “A quoi cela aurait-­‐il servi si Marie avait donné naissance au Fils de Dieu il y a de cela des siècles, si je ne donne pas aussi naissance au Fils de Dieu à mon époque et dans ma culture? Nous sommes tous appelés à être des mères de Dieu. Dieu a toujours besoin de naître.”32 Si nous le faisons individuellement, puis collectivement, nous créerons une 30
Mary Ann Fatula, “The Challenge of Trinitarian Faith Today: Implications for a World Transformed”, in The Triune God of Christian Faith, ed. Monica K. Hellwig (Collegeville, MI: Liturgical Press, 1990), 113. 31
“Hymn to the Theotokos, Mother of God”, in The Divine Liturgies of St John Chrysostom and St Basil the Great (Calgary: Aquila Books, 2015). 32
Meister Eckhart, quoted in “Hail Mary, Full of Grace”, Patheos: Hosting the Conversation on Faith, http://www.patheos.com/blogs/carlgregg/2011/12/%E2%80%9Clet-­‐it-­‐be%E2%80%9D-­‐a-­‐progressive-­‐christian-­‐
lectionary-­‐commentary-­‐for-­‐the-­‐4th-­‐sunday-­‐of-­‐advent/ (accessed 23 June 2015) 10 | P a g e ‘façon’ mariale d’amener le règne de Dieu dans le monde. L’Archevêque Francis Carroll, Président de la Conférence australienne des Evêques catholiques à l’époque, a présenté à ses frères évêques et aux fidèles présents à une Messe de dévotion de Marie Secours des Chrétiens le défi et l’opportunité du Marianisme. Il rêvait d’une Eglise et d’un monde plus tendre et plus clément: Une Eglise marianiste glorifie Notre Seigneur et s’émerveille de l’amour tout-­‐puissant que Dieu offre à l’humanité. Elle s’émerveille de la fidélité de l’amour de Dieu et de son don généreux de pardon. Elle cherche à vivre cet amour et à être le conduit de ce pardon. L’amour maternel apporte une éthique de soin et il est forgé par la compassion. Marie ne parle jamais de ses besoins mais cherche ceux des autres. Tout comme la mère de Jésus soignait, lavait, nourrissait et s’occupait de son fils, et tout comme Jésus soignait, nourrissait et s’occupait des siens, l’humble service est le signe de l’amour dans le règne de Dieu. Le seul conseil de Marie est de faire ce que nous demande Jésus. Et Jésus lava les pieds de ses disciples. Une mère connaît ses enfants et les comprend tous dans son amour. L’Eglise Mariale connaît aussi ses enfants et continue à les aimer, les respecter et les reconnaître même quand ils ne la reconnaissent pas. Elle fera preuve de la tendresse maternelle de Dieu, même envers ses fils et ses filles rebelles. La mère aimante a toujours le temps d’écouter ses enfants. L’Eglise doit être prête à écouter les siens, les autres Chrétiens et la voix de l’humanité. Elle doit tout particulièrement écouter les clameurs des pauvres et la douleur du monde.33 Et écouter, c’est ce qu’a fait Marie. Les Ecritures utilisent le terme ‘Elle gardait fidèlement toutes ces choses dans son cœur.’ (Lk 2:19, 51) En venant à comprendre ce terme, Francis Moloney dit: “Ce qu’il faut noter, c’est que dans tous les contextes où l’expression ‘garder fidèlement dans son cœur’ est mentionnée, il y a aussi des indications que Marie ne comprenait pas tout ce qui lui arrivait à elle ou à son fils.”34 Pouvez-­‐vous imaginer la confusion intérieure, voire même la tourmente, d’être sollicitée pour être la Mère de Dieu? Marie n’était pas partie à la recherche de l’ange, c’est l’ange qui est venu à elle. Pouvez-­‐vous imaginer la confusion intérieure, voire même la tourmente, de la conversation avec Joseph, son future époux? Il entend dire qu’elle est enceinte et il propose de divorcer de façon informelle. Devant l’intensité de ces événements elle décide de rechercher la compagnie et le réconfort de sa parente Elisabeth. Le poète et théologien irlandais, John O’Donohue, réfléchit sur ce qui s’est 33
Francis Carroll, “Homily: Mass of Devotion of our Lady Help of Christians”, 3 May 2000, Australian Catholic Bishops Conference, https://www.catholic.org.au/acbc-­‐media/downloads/permanent-­‐committee/622-­‐homily-­‐by-­‐
archbishop-­‐francis-­‐p-­‐carroll-­‐president-­‐of-­‐the-­‐australian-­‐catholic-­‐bishops-­‐conference-­‐1/file (consulté le 23 juin 2015) 34
Francis Moloney, Mary: Woman and Mother (Eugene, OR: Wipf & Stock, 1988), 24. 11 | P a g e passé dans l’esprit et le cœur de Marie cette nuit là après la visite de l’ange et sur ce qui l’a poussée à partir dans les montagnes vers la maison de sa cousine ainée. The Visitation35 Le matin il faut du temps pour que l’esprit retrouve Le monde, perdu après que le rêve ait emmené son Cœur aux enfers pour jouer avec les ombres de vies non choisies. Elle se réveille étrangère à sa vie Son souffle bruyant dans la chambre pleine d’écoute. Prise sans être touchée, sa chair ressent la douleur d’appartenir à l’invisible. Elle ne supporte plus d’être seule. Elle prend la route vers les collines au crépuscule. Une lune anxieuse la reflète dans la pierre. Une porte s’ouvre, les yeux de l’ainée se remplissent. Deux femmes enfermées dans une histoire de naissance. Chacune reflète le secret que l’autre a entendu. Quel monde merveilleux, si dans tout son chaos et dans toute sa tourmente, chaque Chrétien adoptait comme tâche le désir de réveiller en l’autre l’image de Dieu que nous sommes. Le Pape François nous y appelle: “Chaque Chrétien, chaque communauté sont appelés à être instrument de Dieu pour la libération et la promotion des pauvres, de manière à ce qu’ils puissant s’intégrer pleinement dans la société.” (EG, 187) Adoptons ceci avec véhémence et nous verrons ainsi le véritable règne de Dieu dans notre monde. 35
John O’Donohue, Conamara Blues (London: Bantam Books, 2000), 63. 12 | P a g e