TD 6 et 7 dt contrats 2014-15 B Parance

Transcription

TD 6 et 7 dt contrats 2014-15 B Parance
Thème N° 6 :
LA FORCE OBLIGATOIRE DU CONTRAT
L’INTERPRETATION DU CONTRAT ET SON FORÇAGE
LA REVISION DU CONTRAT
LA FORCE OBIGATOIRE DU CONTRAT
Doc 1 : Com. 10 juillet 2007, n° 06-14768 , D. 2007, p. 2839, note Ph. Stoffel-Munck, RDC
2007, p. 1107, obs. L. Aynès.
Doc 2 : Cass. 3ième civ. 9 décembre 2009, n° 04-19923, RDC 2010, p. 561, note Y-M.
Laithier, RDC 2010, p. 564, note D. Mazeaud.
Doctrine : F. Chénédé, Les conditions d’exercice des prérogatives contractuelles, RDC 2011,
p. 709.
II. L’INTERPRETATION DU CONTRAT ET SON FORÇAGE
Doc 3 : Civ. 21 novembre 1911, arrêt Cie générale transatlantique, DP 1913, I, 249, note L .
Sarrut.
Doc 4 : Civ. 1re, 28 oct. 2010, n° 09-16913
Doc 5 : Chb mixte 29 juin 2007, n° 05-21104 et 06-11673, RLDC nov 2007, p. 17, note B.
Parance.
III. LA REVISION DU CONTRAT
Doc 6 : Com. 3 novembre 1992, n° , RTDciv. 1993, p. 124, obs. J. Mestre
Doc 7 : Cass. 1ière civ. 16 mars 2004, n° 01-15804, D. 2004, p. 1754, note D. Mazeaud, D.
2004, p.
2239, L’interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation, J. Ghestin.
Doc 8 : Com. 29 juin 2010, n° 09-67369 , D. 2010, p. 2481, note D. Mazeaud et Th.
Genicon.
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EXERCICES :
1) Lire et comprendre l’ensemble des arrêts de la fiche
2) Résoudre le cas pratique suivant en suivant les conseils méthodologiques qui vous ont
été dispensés :
Monsieur David Gheta est associé majoritaire de la boite de nuit Les bains, et est en même
temps dirigeant social de cette entreprise qu’il exploite avec son épouse Cathy. Par ailleurs, il
est associé minoritaire de la boite le VIP dont il détient 30 % du capital, les 70% restant étant
détenu par Monsieur Jean Roch. Monsieur D Gheta est aussi dirigeant du VIP mais il est très
peu présent sur le site, étant retenu toutes les nuits aux Bains. Le VIP est principalement géré
par Monsieur Jean Roch qui décide de partir pour Saint Tropez et de vendre ses parts dans le
VIP.
En janvier 2008, Monsieur D . Gheta acquière l’ensemble des parts de Monsieur Jean Roch
afin d’avoir plusieurs lieux de distraction dans la capitale. L’acte de cession contient une
garantie de passif qui prévoit notamment qu’en cas de redressement fiscal pour des faits
antérieurs à la cession, Monsieur Jean Roch devra les garantir à hauteur de 3 M d’euros.
Or le risque se réalise en avril 2008 et le VIP subit un redressement fiscal de 2,5 M d’euros.
Monsieur D. Gheta demande donc à Monsieur Jean Roch d’exécuter la garantie de passif et de
lui rembourser le montant du redressement fiscal. Mais ce dernier oppose alors la
connaissance par Monsieur Gheta des pratiques douteuses du VIP dont il était aussi dirigeant
social au moment de la période en cause, et refuse donc de s’exécuter.
Monsieur D. Gheta vient vous consulter pour voir si vous pouvez assurer sa défense et évaluer
quelles sont ses chances de voir Monsieur Roch exécuter la garantie de passif.
3) lire très attentivement l’arrêt de la Civ 1ier du 16 mars 2004 et les commentaires cités pour
prendre conscience du pouvoir d’interprétation de la doctrine !! A exposer à l’oral de manière
détaillée.
DOCUMENTS
I. LA FORCE OBIGATOIRE DU CONTRAT
Doc 1 : Cour de cassation, chambre commerciale, 10 juillet 2007
N° de pourvoi: 06-14768
Publié au bulletin
Cassation
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1134, alinéas 1 et 3, du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par acte du 18 décembre 2000, MM. X..., Y... et Z...,
actionnaires de la société Les Maréchaux, qui exploite notamment une discothèque, ont cédé
leur participation à M. A..., déjà titulaire d'un certain nombre de titres et qui exerçait les
fonctions de président du conseil d'administration de cette société ; qu'il était stipulé qu'un
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complément de prix serait dû sous certaines conditions qui se sont réalisées ; qu'il était encore
stipulé que chacun des cédants garantissait le cessionnaire, au prorata de la participation
cédée, notamment contre toute augmentation du passif résultant d'événements à caractère
fiscal dont le fait générateur serait antérieur à la cession ; que la société ayant fait l'objet d'un
redressement fiscal au titre de l'exercice 2000 et MM. X..., Y... et Z... ayant demandé que M.
A... soit condamné à leur payer le complément de prix, ce dernier a reconventionnellement
demandé que les cédants soient condamnés à lui payer une certaine somme au titre de la
garantie de passif ;
Attendu que pour rejeter la demande de M. A..., l'arrêt retient que celui-ci ne peut, sans
manquer à la bonne foi, se prétendre créancier à l'égard des cédants dès lors que, dirigeant et
principal actionnaire de la société Les Maréchaux, il aurait dû se montrer particulièrement
attentif à la mise en place d'un contrôle des comptes présentant toutes les garanties de
fiabilité, qu'il ne pouvait ignorer que des irrégularités comptables sont pratiquées de façon
courante dans les établissements exploitant une discothèque et qu'il a ainsi délibérément
exposé la société aux risques, qui se sont réalisés, de mise en oeuvre des pratiques irrégulières
à l'origine du redressement fiscal invoqué au titre de la garantie de passif ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que si la règle selon laquelle les conventions doivent être
exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative
contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et
obligations légalement convenus entre les parties, la cour d'appel a violé, par fausse
application, le second des textes susvisés et, par refus d'application, le premier de ces textes ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 mars 2006, entre les
parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état
où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel
de Paris, autrement composée.
Doc 2 : Cour de cassation, chambre civile 3, 9 décembre 2009
N° de pourvoi: 04-19923
Publié au bulletin
Cassation
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1134, alinéas 1 et 3, du code civil, ensemble l'article L. 145- I du code du
commerce ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 8 septembre 2004), que, par acte du 4 août 1999,
la société civile immobilière Pompei (la SCI) a donné à bail pour une durée de neuf ans à la
société La Belle Epoque des locaux à usage commercial de restaurant, bar et brasserie ; que le
15 décembre 1999, la société La Belle Epoque a été mise en liquidation judiciaire ; que
nonobstant l'opposition de la SCI, M. X..., désigné en qualité de mandataire liquidateur, a été
autorisé par le juge commissaire à céder le fonds de commerce de la société La Belle Epoque
à la société HDC ; que la SCI a fait assigner M. X..., ès qualités, et la société HDC aux fins de
voir déclarer inopposable à son endroit la cession intervenue, que soit prononcée la résiliation
du bail et que soit ordonnée l'expulsion de la société La Belle Epoque ainsi que celle de tous
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occupants de son chef ;
Attendu que pour rejeter les demandes de la SCI, l'arrêt retient que l'article 8 du contrat
n'autorisait la cession du bail qu'à l'acquéreur du fonds de commerce, que cette clause ne vaut
et ne peut être respectée que s'il existe ou s'il a pu exister un véritable fonds de commerce de
restaurant, bar ou brasserie, seules activités admises dans les locaux loués, qu'à la date du bail
un tel fonds n'existait pas, le local étant alors la boutique d'un antiquaire, que par la suite la
société La Belle Epoque n'a pas été à même de créer le fonds de restaurant, son gérant de fait
et son gérant de droit ayant été incarcérés le 14 octobre 1999, soit deux mois après la
signature du bail, et que les locaux étant restés fermés jusqu'au prononcé de la liquidation
judiciaire l'objet social de cette société s'est avéré impossible à réaliser, mais que cette
situation était connue de la SCI dont le gérant était également le gérant de fait de la société La
Belle Epoque, lequel n'avait acquis les locaux objet du bail que pour y installer des cuisines
destinées à desservir un local commercial voisin dans lequel la locataire exploitait un
restaurant qui en était dépourvu, que la SCI, dont la mauvaise foi est ainsi caractérisée, est
irrecevable à opposer à la société La Belle Epoque l'absence de fonds de commerce dans les
locaux loués et le fait que les locaux ont été aménagés en cuisine et que dès lors que ni la
régularité de la cession contrôlée par le juge commissaire, ni la moralité, la solvabilité et la
compétence de la société HDC n'étaient en cause, le refus d'agrément de la SCI à la cession
est injustifié ;
Qu'en statuant ainsi, alors que si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées
de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle,
elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement
convenus entre les parties ni à s'affranchir des dispositions impératives du statut des baux
commerciaux, la cour d'appel qui a constaté qu'aucun fonds de commerce n'avait été créé ou
exploité dans les locaux, pris à bail par la société La Belle Epoque et qui n'a pas tiré les
conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 septembre 2004, entre
les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties
dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la
cour d'appel d'Aix-en-Provence
II. L’INTERPRETATION DU CONTRAT ET SON FORÇAGE
Doc 4 : Cour de cassation, chambre civile 1, 28 octobre 2010
N° de pourvoi: 09-16913
Publié au bulletin
Cassation
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :
Vu les articles 1147 et 1315 du code
Attendu que M. et Mme X... ont acheté à la société Ateliers de la terre cuite (la
civil ;
société ATC) divers lots de carrelage ; qu'ayant constaté la désagrégation des carreaux qui
avaient été posés autour de leur piscine, ils en ont informé la société ATC qui a procédé à un
remplacement partiel du carrelage ; que le phénomène persistant, les époux X... ont obtenu la
désignation d'un expert dont le rapport a fait apparaître que les désordres étaient liés à
l'incompatibilité entre la terre cuite et le traitement de l'eau de la piscine effectué selon le
procédé de l'électrolyse au sel, puis, afin d'être indemnisés, ils ont assigné le vendeur qui a
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attrait en la cause son assureur, la société Generali assurances ;
Attendu que pour rejeter la
demande fondée sur l'article 1147 du code civil, la cour d'appel a énoncé que s'il appartient au
vendeur professionnel de fournir à son client toutes les informations utiles et de le conseiller
sur le choix approprié en fonction de l'usage auquel le produit est destiné, en s'informant si
nécessaire des besoins de son client, il appartient également à ce dernier d'informer son
vendeur de l'emploi qui sera fait de la marchandise commandée puis a retenu qu'il n'était pas
établi que le vendeur eût été informé par les époux X... de l'utilisation spécifique, s'agissant du
pourtour d'une piscine, qu'ils voulaient faire du carrelage acquis en 2003, de même type que
celui dont ils avaient fait précédemment l'acquisition ;
Qu'en statuant ainsi alors qu'il
incombe au vendeur professionnel de prouver qu'il s'est acquitté de l'obligation de conseil lui
imposant de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer
quant à l'adéquation de la chose proposée à l'utilisation qui en est prévue, la cour d'appel a
violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la
première branche :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17
mars 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et
les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie
devant la cour d'appel de Toulouse.
Doc 5 : Cour de cassation, chambre mixte, 29 juin 2007
N° de pourvoi: 05-21104
Publié au bulletin
Cassation
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué,
que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre-Est (la caisse) a consenti à M.X...
pour les besoins de son exploitation agricole, entre 1987 et 1988, puis entre 1996 et 1999,
seize prêts ; que des échéances étant demeurées impayées, la caisse a assigné en paiement
M.X... qui a invoqué un manquement du prêteur à ses obligations ;
Attendu que pour écarter ses prétentions, l'arrêt retient que la caisse avait accepté les dossiers
de crédit après avoir examiné les éléments comptables de l'exploitation et l'état du patrimoine
de M.X..., dont il ressortait que ce dernier était, au 30 juin 1998, propriétaire d'un cheptel
d'une valeur dépassant le montant total des emprunts, qu'il était acquis que les trois prêts
octroyés en 1987 et 1988 avaient été régulièrement remboursés jusqu'en 2000 et 2001 et qu'en
dépit de la multiplicité des crédits accordés entre 1997 et 1998 qui n'était pas significative dès
lors qu'elle résultait du choix des parties de ne financer qu'une seule opération par contrat, il
n'était pas démontré que le taux d'endettement de M.X... qui avait d'ailleurs baissé, ait jamais
été excessif, l'entreprise n'étant pas en situation financière difficile, que M.X... ne rapporte pas
la preuve que les crédits auraient été disproportionnés par rapport à la capacité financière de
l'exploitation agricole et que l'établissement bancaire qui consent un prêt n'est débiteur
Qu'en se déterminant ainsi,
d'aucune obligation à l'égard du professionnel emprunteur ;
sans préciser si M.X... était un emprunteur non averti et, dans l'affirmative, si,
conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue à son égard lors de la
conclusion du contrat, la caisse justifiait avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités
financières de l'emprunteur et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts, la cour
d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 septembre 2005 par la cour d'appel de
Dijon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant
ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon, autrement
composée.
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N° de pourvoi: 06-11673
Publié au bulletin
Cassation
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué,
que par acte du 30 janvier 1989, l'Union bancaire du Nord (la banque) a consenti aux époux
Y... (les coemprunteurs) un prêt afin d'acquérir un fonds de commerce ; qu'à la suite
d'échéances impayées, la déchéance du terme ayant été prononcée, la banque a déclaré sa
créance au passif de la liquidation judiciaire de M. Y... et a été autorisée à pratiquer une saisie
des rémunérations de Mme Y... en paiement des sommes restant dues ; que celle-ci s'est
prévalue d'un manquement de la banque à son obligation d'information des risques qu'elle
avait pu encourir alors qu'elle était institutrice et n'avait jamais eu d'activité artisanale ou
commerciale ;
Attendu que pour rejeter la demande en dommages-intérêts présentée par
Mme Y..., l'arrêt retient que les coemprunteurs étaient en mesure d'appréhender, compte tenu
de l'expérience professionnelle de M. Y..., la nature et les risques de l'opération qu'ils
envisageaient et que la banque qui n'avait pas à s'immiscer dans les affaires de ses clients et
ne possédait pas d'informations que ceux-ci auraient ignorées, n'avait ni devoir de conseil, ni
devoir d'information envers eux ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans préciser si Mme Y...
était non avertie et, dans l'affirmative, si, conformément au devoir de mise en garde auquel
elle était tenue à son égard lors de la conclusion du contrat, la banque justifiait avoir satisfait à
cette obligation à raison des capacités financières de Mme Y... et des risques de l'endettement
né de l'octroi des prêts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES
MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 juin
2005, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, remet, en conséquence, la cause
et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les
renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.
III. LA REVISION DU CONTRAT
Doc 6 : Cour de cassation, chambre commercial,e 3 novembre 1992
N° de pourvoi: 90-18547
Publié au bulletin
Rejet.
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 mai 1990), que, le 2 octobre 1970, la Société française
des pétroles BP (société BP) a conclu avec M. X... un contrat de distributeur agréé, pour une
durée de 15 années, prenant effet le 25 mars 1971 ; que, par avenant du 14 octobre 1981, le
contrat a été prorogé jusqu'au 31 décembre 1988 ; qu'en 1983, les prix de vente des produits
pétroliers au détail ont été libérés ; que M. X..., se plaignant de ce que, en dépit de
l'engagement de la société BP de l'intégrer dans son réseau, cette dernière ne lui a pas donné
les moyens de pratiquer des prix concurrentiels, l'a assignée en paiement de dommagesintérêts ;
Attendu que la société BP reproche à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande à concurrence de
150 000 francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, dans son préambule, l'accord de
distributeur agréé du 2 octobre 1970 prévoyait que la société BP devrait faire bénéficier M.
X... de diverses aides " dans les limites d'une rentabilité acceptable " ; qu'en jugeant dès lors
que la société BP était contractuellement tenue d'intégrer M. X... dans son réseau en lui
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assurant une rentabilité acceptable, la cour d'appel a dénaturé cette clause stipulée au profit de
la société pétrolière et non à celui de son distributeur agréé, en violation de l'article 1134 du
Code civil ; alors, d'autre part, que nul ne peut se voir imputer une faute contractuelle de
nature à engager sa responsabilité sans que soit établie l'existence d'une inexécution de ses
obligations contenues dans le contrat ; qu'en ne retenant à l'encontre de la société BP que le
seul grief de n'avoir pas recherché un accord de coopération commerciale avec son
distributeur agréé, M. X..., la cour d'appel n'a relevé à son encontre aucune violation de ses
obligations contractuelles et ne pouvait dès lors juger qu'elle avait commis une faute
contractuelle dont elle devait réparer les conséquences dommageables, en violation de l'article
1147 du Code civil ; et alors, enfin, que nul ne peut être tenu pour responsable du préjudice
subi par son cocontractant lorsque ce préjudice trouve sa source dans une cause étrangère qui
ne peut lui être imputée ; qu'en jugeant dès lors que la société BP devait être tenue pour
contractuellement responsable du préjudice invoqué par M. X..., préjudice tenant aux
difficultés consécutives à l'impossibilité pour ce dernier de faire face à la concurrence, après
avoir pourtant constaté qu'elle était néanmoins tenue, en raison de la politique des prix en
matière de carburants, de lui vendre ceux-ci au prix qu'elle pratiquait effectivement, la cour
d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations de fait, en violation des
articles 1147 et 1148 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt ne dit pas que la société BP était tenue d'intégrer M.
X... dans son réseau " en lui assurant une rentabilité acceptable " ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant relevé que le contrat contenait une clause
d'approvisionnement exclusif, que M. X... avait effectué des travaux d'aménagement dans la
station-service, et que " le prix de vente appliqué par la société BP à ses distributeurs agréés
était, pour le supercarburant et l'essence, supérieur à celui auquel elle vendait ces mêmes
produits au consommateur final par l'intermédiaire de ses mandataires ", l'arrêt retient que la
société BP, qui s'était engagée à maintenir dans son réseau M. X..., lequel n'était pas obligé de
renoncer à son statut de distributeur agréé résultant du contrat en cours d'exécution pour
devenir mandataire comme elle le lui proposait, n'est pas fondée à soutenir qu'elle ne pouvait,
dans le cadre du contrat de distributeur agréé, approvisionner M. X... à un prix inférieur au
tarif " pompiste de marque ", sans enfreindre la réglementation, puisqu'il lui appartenait
d'établir un accord de coopération commerciale entrant " dans le cadre des exceptions
d'alignement ou de pénétration protectrice d'un détaillant qui ont toujours été admises " ; qu'en
l'état de ces constatations et appréciations, d'où il résultait l'absence de tout cas de force
majeure, la cour d'appel a pu décider qu'en privant M. X... des moyens de pratiquer des prix
concurrentiels, la société BP n'avait pas exécuté le contrat de bonne foi ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait dans sa première branche, est mal fondé pour le
surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi
Doc 7 : Cour de cassation, chambre civile 1, 16 mars 2004
N° de pourvoi: 01-15804
Publié au bulletin
Rejet.
Attendu que la commune de Cluses a concédé, en 1974, à l'Association Foyer des jeunes
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travailleurs (AFJT) l'exploitation d'un restaurant à caractère social et d'entreprises ; qu'une
convention tripartite a été signée le 15 octobre 1984 entre la commune, l'AFJT et la société
Les Repas Parisiens (LRP) pour une durée de dix ans ; qu'aux termes de cet accord, l'AFJT,
confirmée en qualité de concessionnaire a sous-concédé l'exploitation à la LRP, avec l'accord
de la commune ; que la LRP, obtenant de ses cocontractantes d'importants travaux
d'investissement, s'engageait à payer un loyer annuel à l'AFJT et une redevance à la commune
; que, par lettre du 31 mars 1989, la LRP a résilié unilatéralement cette convention, au motif
qu'elle se trouvait dans l'impossibilité économique de poursuivre l'exploitation ; que, par
ordonnance de référé du 25 avril 1989, l'AFJT et la commune ont obtenu la condamnation de
la LRP à poursuivre son exploitation ; que cette société a, néanmoins, cessé son activité le 31
juillet 1989 ; qu'invoquant un bouleversement de l'équilibre économique du contrat, elle a
saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande en résiliation de cette convention et,
à défaut, en dommages-intérêts ; que, parallèlement, l'AFJT et la commune ont saisi le
tribunal de grande instance de Bonneville aux fins d'obtention, du fait de la résiliation
unilatérale du contrat, de dommages-intérêts pour les dégradations causées aux installations ;
qu'après saisine du Tribunal des conflits qui, par décision du 17 février 1997, a déclaré
compétente la juridiction judiciaire, s'agissant d'un contrat de droit privé, l'arrêt attaqué
(Chambéry, 5 juin 2001) a jugé que la LRP avait rompu unilatéralement le contrat et l'a
condamnée à payer à l'AFJT les sommes de 273 655,37 francs et 911 729,92 francs, au titre,
respectivement, des loyers et redevances dus au 31 juillet 1989 et de l'indemnité de résiliation,
et à la commune de Cluses la somme de 116 470,17 francs au titre des travaux de remise en
état des installations, et celle de 73 216,50 francs au titre de la redevance restant due ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la LRP fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué alors, selon le moyen, que les parties
sont tenues d'exécuter loyalement la convention en veillant à ce que son économie générale ne
soit pas manifestement déséquilibrée ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans
rechercher si, en raison des contraintes économiques particulières résultant du rôle joué par la
collectivité publique dans la détermination des conditions d'exploitation de la concession, et
notamment dans la fixation du prix des repas, les personnes morales concédantes n'avaient
pas le devoir de mettre la société prestataire de service en mesure d'exécuter son contrat dans
des conditions qui ne soient pas manifestement excessives pour elle et d'accepter de
reconsidérer les conditions de la convention dès lors que, dans son économie générale, un
déséquilibre manifeste était apparu, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision
au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé que la LRP mettait en cause le déséquilibre financier
existant dès la conclusion du contrat et non le refus injustifié de la commune et de l'AFJT de
prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de
renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution
de bonne foi ; qu'elle a ajouté que la LRP ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur
le déséquilibre structurel du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n'avait pas
su apprécier ; qu'elle a, ainsi, légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
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Attendu que la demanderesse au pourvoi reproche encore à l'arrêt de l'avoir condamnée à
payer à l'AFJT une indemnité de résiliation de 911 729,92 francs alors, selon le moyen, que la
garantie assumée par la société LRP rendait indispensable sa participation au choix de son
successeur ainsi qu'à la négociation des conditions de reprise de l'exploitation ; qu'en
appréciant le montant du préjudice indemnisable à partir du manque à gagner mensuel subi
par les concédantes sans préciser dans quelles conditions le choix du successeur et les
conditions du nouveau contrat de concession d'exploitation du restaurant avaient été décidés,
ni rechercher si ces conditions étaient à tout le moins meilleures que celles offertes par le
successeur présenté par la LRP mais que la commune avait refusé d'agréer, la cour d'appel n'a
pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle de l'application des articles
1134 et 1147 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé, d'une part, que, selon le contrat litigieux, tout
éventuel concessionnaire présenté par la LRP devait reprendre l'intégralité des engagements
de cette société, laquelle demeurait solidairement tenue jusqu'à complet remboursement du
prêt, d'autre part, que le successeur présenté par elle ne satisfaisait pas à cette condition ; que
le moyen manque en fait ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi .
Doc 8 : Cour de cassation, chambre commerciale, 29 juin 2010
N° de pourvoi: 09-67369
Non publié au bulletin
Cassation
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société d'Exploitation de chauffage (société SEC) a fait
assigner en référé la société Soffimat, avec laquelle elle avait conclu le 24 décembre 1998 un
contrat d'une durée de 12 ans ou 43 488 heures portant sur la maintenance de deux moteurs
d'une centrale de production de co-génération moyennant une redevance forfaitaire annuelle,
aux fins qu'il lui soit ordonné, sous astreinte, de réaliser, à compter du 2 octobre 2008, les
travaux de maintenance prévus contractuellement et notamment, la visite des 30 000 heures
des moteurs ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 1131
du code civil et 873, alinéa 2 du code de procédure civile ;
Attendu que pour retenir que
l'obligation de la société Soffimat de satisfaire à l'obligation de révision des moteurs n'était
pas sérieusement contestable et confirmer la décision ayant ordonné à la société Soffimat de
réaliser à compter du 2 octobre 2008, les travaux de maintenance prévus et, notamment, la
visite des 30 000 heures des moteurs et d'en justifier par l'envoi journalier d'un rapport
d'intervention, le tout sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard, et ce pendant 30 jours
à compter du 6 octobre 2008, l'arrêt relève qu'il n'est pas allégué que le contrat était dépourvu
de cause à la date de sa signature, que l'article 12 du contrat invoqué par la société Soffimat
au soutien de sa prétention fondée sur la caducité du contrat est relatif aux conditions de
reconduction de ce dernier au-delà de son terme et non pendant les douze années de son
exécution et que la force majeure ne saurait résulter de la rupture d'équilibre entre les
obligations des parties tenant au prétendu refus de la société SEC de renégocier les modalités
du contrat ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si
l'évolution des circonstances économiques et notamment l'augmentation du coût des matières
premières et des métaux depuis 2006 et leur incidence sur celui des pièces de rechange,
n'avait pas eu pour effet, compte tenu du montant de la redevance payée par la société SEC,
9
de déséquilibrer l'économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa
signature en décembre 1998 et de priver de toute contrepartie réelle l'engagement souscrit par
la société Soffimat, ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l'obligation dont
la société SEC sollicitait l'exécution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et
sur le second moyen :
Vu les articles 564 et 566 du code de procédure civile ;
Attendu
que pour déclarer irrecevable la demande d'expertise sollicitée par la société Soffimat, l'arrêt
retient qu'il s'agit d'une demande nouvelle formée en cause d'appel, sans lien avec les
demandes dont le premier juge était saisi ;
Attendu qu'en statuant ainsi alors que cette
demande était destinée à analyser l'économie générale du contrat et tendait par voie de
conséquence aux mêmes fins que la défense soumise au premier juge dès lors qu'elle avait
pour objet d'établir que l'obligation, dont l'exécution était sollicitée, était sérieusement
contestable, compte tenu du bouleversement de l'économie du contrat entre 1998 et 2008, la
cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de
statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt
rendu le 27 mars 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence,
la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit,
les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
DOCTRINE :
DU NOUVEAU SUR L'OBLIGATION DE RENEGOCIER(1)
Denis Mazeaud, Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
Recueil Dalloz 2004 p. 1754
1. Lentement, mais sûrement, précisément tous les six ans, la Cour de cassation rappelle
à tous les observateurs de la planète contractuelle que, si elle n'est toujours pas disposée
à faire sauter le « canal de Craponne », elle concède cependant l'existence d'une mince
ouverture dans le monument jurisprudentiel, édifié en 1876(2), sous la forme de la
reconnaissance d'une obligation de renégocier(3) les contrats devenus profondément
déséquilibrés. Mais l'intérêt du nouvel arrêt rendu, le 16 mars 2004, par la première
Chambre civile ne se réduit pas à la simple réaffirmation d'une solution émise naguère
par la Chambre commerciale ; la Cour profite, en effet, de l'occasion pour apporter des
précisions fondamentales sur le domaine de cette obligation, fondée sur l'exigence de
bonne foi.
2. Aux termes d'un contrat de sous-concession, une société avait obtenu, pour une durée
de dix ans, l'exploitation d'un restaurant à caractère social et d'entreprises et devait, en
contrepartie, verser un loyer annuel au concessionnaire initial, une association, et une
redevance au concédant, une commune. A mi-parcours contractuel, cette société,
invoquant un bouleversement de l'équilibre contractuel, demanda au juge de prononcer
la résiliation du contrat, qu'elle avait cessé d'exécuter. Demande qui fut écartée par la
cour d'appel qui, tout au contraire, la condamna pour rupture unilatérale à payer
diverses sommes à ses partenaires. Jouant alors son va-tout, la société forma un très
audacieux pourvoi dans lequel elle reprochait aux juges du fond de ne pas avoir donné
de base légale à leur décision, au regard des articles 1134 et 1147 du code civil. Selon
elle, puisque « les parties sont tenues d'exécuter loyalement la convention en veillant à
ce que son économie générale ne soit pas manifestement déséquilibrée », la cour d'appel
aurait dû rechercher « si, en raison des contraintes économiques particulières résultant
du rôle joué par (le concédant) dans la détermination des conditions d'exploitation de la
concession, et notamment dans la fixation du prix des repas, (ses cocontractants)
n'avaient pas le devoir de mettre la société (...) en mesure d'exécuter son contrat dans
des conditions qui ne soient pas manifestement excessives pour elle et d'accepter de
10
reconsidérer les conditions de la convention dès lors que, dans son économie générale,
un déséquilibre manifeste était apparu ». En clair, l'inégalité contractuelle, qui se
traduisait par le pouvoir détenu par un des contractants de fixer unilatéralement les
modalités d'exécution du contrat, emportait, au nom du devoir de bonne foi et à la
charge des contractants du demandeur au pourvoi, une obligation de renégocier ce
contrat-cadre de dépendance manifestement déséquilibré.
3. La première chambre civile de la Cour de cassation n'a pas succombé aux charmes de
ce pourvoi, que même les plus fervents partisans du solidarisme contractuel(4)
éprouveraient quelques difficultés à cautionner. Pour le rejeter, elle affirme que les juges
du fond avaient relevé que la société, qui l'avait formé, « mettait en cause le déséquilibre
financier existant dès la conclusion du contrat et non le refus injustifié de la commune et
de l'association de prendre en compte une modification imprévue des circonstances
économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur
obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi ». Puis, la Cour, pour marquer un peu
plus encore son approbation de la solution émise par la cour d'appel, et donner par la
même occasion une sorte de petite leçon de morale contractuelle, souligne que celle-ci
avait ajouté que la société « ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le
déséquilibre structurel du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n'avait
pas su apprécier ».
4. A une époque où les réactions du législateur et du juge contre le déséquilibre
contractuel se multiplient et alimentent le débat entre les zélateurs de la liberté
contractuelle et les adeptes de la théorie du solidarisme, l'arrêt commenté constitue,
nous semble-t-il, une intéressante source de réflexions, dans la mesure où, au moins
implicitement, il trace, à travers la question spécifique de la portée de l'obligation de
renégocier, la frontière entre ce qui relève de la liberté et de la responsabilité des
contractants dans le processus contractuel et ce que ceux-ci sont en droit d'attendre du
devoir de bonne foi que notre droit positif a sensiblement réactivé depuis une trentaine
d'années. A juste titre, pensons-nous, la Cour de cassation rappelle, en définitive, que
l'équilibre des stipulations et des prestations contractuelles est, en principe, l'affaire des
contractants, meilleurs juges de leurs propres intérêts, qui, parce qu'ils le déterminent
librement, doivent ensuite en assumer la responsabilité. En somme, le déséquilibre est,
sauf s'il procède d'un abus de puissance inacceptable et s'il se traduit par un excès
inadmissible, la rançon de la liberté. Néanmoins, la Cour concède, c'est bien le moins,
que lorsqu'un profond déséquilibre économique survient pendant l'exécution du contrat
et qu'il procède d'un changement imprévisible et brutal des circonstances qui ont présidé
à la conclusion du contrat, le devoir de bonne foi prend alors le relais et contraint les
contractants à faire preuve d'un minimum de solidarité.
5. Sans forcer exagérément le trait, ni solliciter excessivement cet arrêt, il semble bien
que c'est cette stimulante leçon de politique contractuelle que la première Chambre civile
a entendu donner, à cette occasion, en réaffirmant, fort opportunément, le principe de
l'obligation de renégocier (I) et en en déterminant, avec précision, le domaine (II).
I - Le principe de l'obligation de renégocier
6. Même si, à l'évidence, il ne s'agit pas de l'apport essentiel de l'arrêt commenté, la
consécration du principe de l'obligation de renégocier par la Cour de cassation nous
paraît digne d'intérêt. Ce faisant, en effet, la première Chambre civile confirme les «
précédents » (a) qui émanaient de la Chambre commerciale et inscrit sa jurisprudence
dans l'environnement (b) européen et international.
a - Les « précédents »
7. En précisant, pour écarter son argumentation, que le demandeur au pourvoi ne
reprochait pas à ses contractants leur « refus injustifié (...) de prendre en compte une
11
modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les
modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne
foi », la première Chambre civile reprend à son compte une jurisprudence initiée, il y a
douze ans, et reprise, six ans plus tard, par la Chambre commerciale.
Dans un premier temps, en effet, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, avait
rendu, le 3 novembre 1992(5), un arrêt, passé à la postérité, dans lequel elle avait
retenu la responsabilité d'une compagnie pétrolière parce que celle-ci n'avait pas
recherché les moyens adéquats d'améliorer la situation contractuelle d'un de ses
distributeurs, dont la situation économique s'était considérablement fragilisée en cours
d'exécution du contrat. Parce qu'elle l'avait, ainsi, privé « des moyens de pratiquer des
prix concurrentiels, la société BP n'avait pas exécuté le contrat de bonne foi » et devait
alors réparer le préjudice subi par son contractant. Six années ayant passé, la Chambre
commerciale réitéra, le 24 novembre 1998(6), cette solution aux dépens de mandants
qui, alors qu'ils étaient informés des difficultés rencontrées par un de leurs agents
commerciaux en proie à la concurrence de centrales d'achat qui s'approvisionnaient
directement auprès d'eux, n'avaient pas pris de mesures concrètes pour lui permettre de
pratiquer des prix concurrentiels. Une fois de plus, le devoir de loyauté fut convoqué au
prétoire pour engager la responsabilité de contractants qui avaient refusé de renégocier
un contrat dont l'exécution était devenue excessivement désavantageuse pour leur
cocontractant.
Sur ce point, donc, la première Chambre civile s'inscrit dans la continuité de la
jurisprudence initiée par la Chambre commerciale. Dorénavant, il est entendu que la
Cour de cassation induit du devoir d'exécuter le contrat de bonne foi, édicté par l'article
1134, alinéa 3, du code civil, une obligation de renégocier les contrats devenus
profondément déséquilibrés au cours de leur exécution, en raison d'un changement de
circonstances.
Par ailleurs, l'arrêt commenté semble, de façon très implicite il est vrai, lever un doute
que les arrêts précédents laissaient planer sur les conditions dans lesquelles une telle
obligation de renégocier est incorporée au contrat.
8. Certains commentateurs avaient, en effet, relevé que, dans les arrêts rendus par la
Chambre commerciale en 1992 et 1998, l'obligation de renégocier s'imposait au
contractant, alors que le changement de circonstances ne résultait pas d'un événement
extérieur à la volonté des parties, mais, bien au contraire, procédait d'un fait imputable à
l'un des contractants(7). Observation qui conduisait à relever la spécificité du contexte
dans lequel l'obligation de renégocier était sortie des limbes et à tempérer la portée de
ces arrêts sur le principe du refus de la révision pour imprévision. Il est, en effet,
entendu qu'une telle révision, lorsqu'elle est admise, suppose que le déséquilibre
contractuel soit le fruit d'un changement de circonstances imprévisible, et, par
conséquent, indépendant de la volonté ou du comportement des contractants. D'où la
tentation d'envisager la jurisprudence de la Chambre commerciale, moins comme un
remède de substitution à l'intangibilité des contrats devenus, en raison d'un changement
de circonstances extérieures aux contractants, profondément déséquilibrés lors de leur
exécution, que comme la sanction de la mauvaise foi d'un contractant qui refuse
obstinément d'aider son cocontractant à sortir de l'impasse économique qu'il a largement
contribué à provoquer.
Sur ce point particulier, on peut se demander si un des mérites de l'arrêt rendu par la
première Chambre civile n'est pas de rectifier le tir et de replacer, ainsi, l'obligation de
renégocier dans l'orbite de la théorie de l'imprévision. Pour rejeter le pourvoi formé par
la société, dans lequel celle-ci reprochait à la cour d'appel de ne pas avoir imposé à ses
contractants une obligation de renégocier leur contrat, la Cour relève, en effet, que le
demandeur ne mettait pas en cause « le refus injustifié de la commune et de
l'association de prendre en compte une modification imprévue des circonstances
12
économiques ». Affirmation qui accrédite, nous semble-t-il, l'idée selon laquelle, pour la
première Chambre civile, l'obligation de renégocier a vocation à prospérer lorsque le
déséquilibre contractuel, auquel elle est sensée remédier, procède d'un événement
indépendant de la volonté ou du comportement des contractants, ce qu'exprime
l'utilisation, par la Cour, du terme « imprévue ».
D'où le sentiment qu'avec cet arrêt, et pour la première fois de façon claire et nette, la
Cour de cassation appréhende l'obligation de renégocier comme un tempérament,
indirect mais général, à l'intangibilité des contrats devenus déséquilibrés lors de leur
exécution, autrement dit au refus de la révision pour imprévision qu'elle a exprimé en
1876. Si l'analyse n'est pas erronée, on doit alors souligner la conformité de la solution
émise, par la Cour, dans l'ordre juridique interne à l'« environnement » contractuel
européen et international.
b - L'environnement
9. Encore dans l'âge de l'adolescence en droit interne, l'obligation de renégocier est déjà
arrivée à pleine maturité dans tous les textes dont l'ambition est d'unifier ou
d'harmoniser le droit des contrats, soit dans un domaine spécifique, soit dans un espace
déterminé. Or, dans ces corps de règles dont la normativité est pour l'heure laissée à la
libre disposition des contractants, elle constitue toujours le prélude incontournable à la
révision judiciaire du contrat devenu excessivement déséquilibré, à la suite d'un
changement imprévu ou imprévisible de circonstances.
Ainsi, dans les Principes d'Unidroit relatifs aux contrats du commerce international(8),
l'article 6.2.3 (1) énonce, en substance, que lorsqu'en cours d'exécution, l'équilibre
contractuel est fondamentalement altéré par un changement de circonstances, que la
partie lésée ne pouvait pas raisonnablement prendre en considération lors de la
conclusion du contrat, cette dernière peut demander l'ouverture de renégociations.
De même, dans les Principes du droit européen du contrat(9), aux termes de l'article 6
:111 (2), une obligation de renégocier s'impose aux contractants « en vue d'adapter leur
contrat ou d'y mettre fin si (son) exécution devient onéreuse à l'excès pour l'une d'elles
en raison d'un changement de circonstances ».
Enfin, l'article 97, al. 1er, de l'Avant-projet de code européen des contrats, élaboré par
l'Académie des privatistes européens de Pavie(10), dispose que, lorsque des événements
extraordinaires et imprévisibles ont rendu excessivement onéreuse l'exécution du
contrat, le débiteur a « le droit d'obtenir une nouvelle négociation du contrat ».
A cet égard, on relèvera donc que l'éventuelle harmonisation européenne du droit des
contrats, qui provoque une très vive anxiété doctrinale en France, n'emporterait pas, sur
ce point particulier, comme sur bien d'autres d'ailleurs, de bouleversement.
10. Reste que, pour l'heure, l'obligation de renégocier « à la française » conserve une
singularité certaine. Alors que, dans les textes européens et internationaux, elle constitue
une étape vers la révision judiciaire, qui interviendra en cas d'échec de la révision
conventionnelle, dans la jurisprudence de la Cour de cassation, elle demeure encore
l'ultime recours pour la victime d'un déséquilibre contractuel excessif, produit d'un
changement de circonstances. On n'encombrera pas les colonnes du Recueil avec un
énième plaidoyer pour la révision pour imprévision qu'un grand nombre d'auteurs, quelle
que soit la philosophie contractuelle à laquelle ils adhèrent, ont déjà entrepris(11). On se
bornera juste à se joindre à ceux qui considèrent, à très juste titre, que « le contexte n'a
jamais été aussi propice au renversement de l'interdiction de la révision pour imprévision
: sur la face inclinée de la force obligatoire du contrat, les juges vivement encouragés par
la doctrine ont planté l'étendard de la bonne foi, lequel leur ouvre une voie royale pour
un revirement opportun »(12). Dans l'attente, et dans l'espoir, de cette petite révolution
13
contractuelle, on reviendra plus prosaïquement à notre arrêt pour s'arrêter sur les
importantes précisions qu'il apporte à propos du domaine de l'obligation de renégocier.
II - Le domaine de l'obligation de renégocier
11. La première information que la Cour de cassation nous livre sur le domaine de
l'obligation de renégocier est relative aux types de contrats dans lesquels le devoir de
bonne foi conduit à l'imposer. Après les arrêts rendus par la Chambre commerciale en
1992 et 1998, certains avaient relevé qu'ils concernaient « le contexte particulier des
contrats de distribution », ce qui rendait « difficile tout élargissement de (leur) portée
(...) »(13).
Manifestement, avec l'arrêt commenté, cette réserve n'est désormais plus de saison. En
effet, le contrat litigieux n'entre dans aucune catégorie classique des contrats de
distribution. Il est donc possible d'affirmer, aujourd'hui, que le devoir de bonne foi
emporte une obligation de renégocier tout contrat devenu profondément déséquilibré à la
suite d'un changement imprévu des circonstances économiques qui avaient présidé à sa
conclusion.
Mais, cette généralisation du champ d'application de l'obligation de renégocier n'est pas
l'information la plus importante transmise par la Cour de cassation dans l'arrêt
commenté. Sa motivation apporte surtout d'utiles précisions sur le moment (a) et l'objet
(2) du déséquilibre contractuel, dans la perspective de la détermination du domaine de
cette obligation.
a - Le moment du déséquilibre
12. En soulignant, pour rejeter le pourvoi et écarter en l'espèce toute obligation de
renégocier, que la société, qui l'avait formé, « mettait en cause le déséquilibre financier
existant dès la conclusion du contrat », la Cour de cassation pose une limite d'ordre
temporel à la vitalité de cette obligation. Concrètement, la « victime » du déséquilibre
contractuel ne peut s'en prévaloir que si celui-ci est intervenu au cours de l'exécution du
contrat. En revanche, toute obligation de renégocier est exclue lorsque le déséquilibre qui
affecte le contrat existait dès sa conclusion. Dans cette hypothèse, le contractant, à qui
profite le déséquilibre financier, n'est aucunement obligé de renégocier le contrat en vue
d'en modifier l'économie générale. En somme, pas plus qu'il ne peut, en principe, être
anéanti, un contrat lésionnaire ne doit être renégocié. Le devoir de bonne foi peut donc
être brandi par un contractant en vue de tempérer le principe de l'intangibilité du contrat,
lorsque celui qui l'a conclu est devenu profondément déséquilibré au cours de son
exécution, mais il n'est d'aucun secours pour le contractant victime d'un déséquilibre
contractuel originel. L'obligation de renégocier ne constitue pas un tempérament au
principe de la validité des contrats lésionnaires.
Peu importe, donc, qu'à l'issue de la négociation du contrat, celui-ci soit profondément
déséquilibré et que son exécution soit, alors, excessivement onéreuse pour l'une des
parties, celle-ci ne pourra pas en réclamer une renégociation. Puisque la liberté préside à
la formation du contrat, les contractants doivent assumer la responsabilité d'un éventuel
déséquilibre originel, quelle qu'en soit la gravité. Le devoir de bonne foi entre les
contractants, que traduit l'obligation de renégocier, ne se déploie que si le déséquilibre
qui affecte le contrat résulte d'un changement des circonstances, au regard desquelles
les contractants avaient déterminé l'équilibre des prestations et des stipulations
contractuelles, postérieur à la conclusion de leur contrat. En revanche, si profond soit-il,
le déséquilibre, fruit d'une négociation libre, sincère et éclairée, n'est pas considéré
comme une injure à la loyauté contractuelle.
13. En entonnant cet hymne vibrant en hommage à la liberté contractuelle, et en
cantonnant l'obligation de renégocier aux seuls déséquilibres imprévus qui surviennent
14
au cours de l'exécution du contrat, la première Chambre civile reprend une nouvelle fois
à son compte les solutions retenues par les textes qui visent à l'unification ou à
l'harmonisation du droit des contrats. En effet, que ce soit dans les principes d'Unidroit
relatifs aux contrats du commerce international, dans les Principes du droit européen du
contrat ou dans l'avant-projet de code européen du contrat, seul le changement de
circonstances « survenu après la conclusion du contrat » fonde l'exigence d'une
obligation de renégocier.
Mais, il convient de souligner qu'en l'occurrence, les mêmes causes ne produisent pas les
mêmes effets, puisque ces corps de règles internationales et européennes sont beaucoup
moins bienveillants que le droit positif français à l'égard des contrats lésionnaires.
Autrement dit, puisque des dispositions spécifiques de ces Principes et de cet avantprojet permettent, dans certaines conditions, la remise en cause des contrats
lésionnaires(14), toute obligation de renégocier un contrat déséquilibré lors de sa
conclusion eût été superflue. Il n'en va pas de même en droit français qui, fidèle à la
lettre et à l'esprit du code civil, maintient le principe de la validité des contrats
lésionnaires ; l'éviction d'une obligation de renégocier revêt alors une tout autre
signification.
Encore que, sur ce point, la portée de la neutralisation d'une telle obligation doit être
relativisée, tant les tempéraments d'origine légale et jurisprudentielle apportés audit
principe se sont multipliés, ces dernières années. Sans souci d'exhaustivité, on
rappellera, d'abord, qu'en droit commun, la notion de cause a été exploitée pour justifier
l'annulation d'un contrat dont les prestations des contractants étaient économiquement
déséquilibrées(15)et que le concept de violence économique, que la jurisprudence a
sensiblement réactivé ces dernières années(16), permet désormais plus, quoiqu'en dise
la Cour de cassation, de lutter contre les déséquilibres contractuels excessifs que de
protéger la volonté du contractant, dans son élément liberté(17). En matière de
cautionnement, ensuite, c'est l'idée très en vogue de proportionnalité que le législateur
a, en droit de la consommation(18) puis en droit commun(19), exploitée pour neutraliser
ces contrats de garantie, lorsque l'engagement du débiteur caution, souscrit auprès d'un
créancier professionnel, est, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses
biens et revenus. En outre, aux termes de l'article L. 132-1, alinéa 7, du code de la
consommation, l'appréciation du caractère abusif d'une clause peut porter sur
l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert, si la
clause n'est pas rédigée de façon claire et compréhensible pour le consommateur. Enfin,
en droit de la concurrence, constitue un abus de dépendance économique, le fait
d'obtenir d'un partenaire un avantage quelconque manifestement disproportionné par
rapport à la valeur du service rendu (art. L. 442-6, I, 2°, du code de commerce)(20).
Autant de règles qui, parmi quelques autres, tempèrent aujourd'hui assez sensiblement
le principe de la validité des contrats lésionnaires et qui, dans une certaine mesure,
modèrent l'impact de l'éviction de l'obligation de renégocier les contrats atteints, dès leur
conclusion, d'un profond déséquilibre économique.
L'arrêt commenté retient, par ailleurs, l'attention pour la précision qu'il apporte à propos
de l'objet du déséquilibre.
b - L'objet du déséquilibre
14. Après avoir écarté toute obligation de renégocier, parce que le déséquilibre financier
existait dès la conclusion du contrat, la Cour de cassation relève, pour conforter la
décision de la cour d'appel, que celle-ci avait ajouté que la société « ne pouvait fonder
son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre structurel du contrat que, par sa
négligence ou son imprudence, elle n'avait pas su apprécier ».
Autrement dit, le contractant ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même de s'être engagé
15
librement dans un contrat affecté d'un déséquilibre structurel, lequel procédait du
pouvoir accordé à un de ses contractants de déterminer unilatéralement les conditions
d'exécution de la convention. En tout état de cause, ce déséquilibre, alors même qu'il
traduisait l'inégalité des parties au stade de la négociation du contrat, n'autorisait le
contractant dominé, ni à rompre unilatéralement le lien contractuel, ni à en réclamer la
renégociation. Une fois, encore, il devait assumer la responsabilité de la faute de
négligence et d'imprudence qu'il avait commise en concluant un contrat déséquilibré, en
toute liberté mais sans grand discernement. Pas question, donc, de se retrancher
derrière le fait que le contenu du contrat conclu était, dans une certaine mesure,
composé par un seul des contractants pour échapper à la loi contractuelle ou en exiger la
réécriture ! Le déséquilibre avéré des pouvoirs contractuels ne confère pas au
contractant dominé et dépendant le droit de révoquer unilatéralement les engagements
qu'il a librement souscrits, ou d'en exiger la renégociation. En tout état de cause, il ne
pourrait invoquer utilement la jurisprudence, inaugurée en 1998(21), qui accorde à un
contractant le droit de résoudre unilatéralement un contrat inexécuté en cas de
comportement grave de son cocontractant. Un tel pouvoir constitue, en effet, une
réplique à une inexécution d'une importance telle qu'elle prive le contrat de tout intérêt
et ne peut donc pas être exercé à titre de remède au déséquilibre structurel qui affecte
un contrat.
15. En définitive, pour bénéficier, dans un tel cas de figure, de la bienveillance du juge,
et être libéré d'un contrat structurellement déséquilibré, le contractant dépendant n'a, en
l'état actuel de notre droit positif tel que les arrêts rendus, le 1er décembre 1995 par
l'Assemblée plénière(22), l'ont façonné, pas d'autre solution que d'apporter la preuve de
l'abus commis par le maître du contrat dans l'exercice de son pouvoir unilatéral. C'est à
cette condition qu'il pourra être libéré, pour l'avenir, du contrat affecté d'un tel
déséquilibre structurel et que la responsabilité de l'auteur de l'abus sera susceptible
d'être engagée.
Mais, en tout état de cause, pas plus que le déséquilibre financier existant dès la
conclusion du contrat, le déséquilibre structurel persistant lors de l'exécution du contrat,
ne saurait fonder une obligation de renégocier, ni a fortiori légitimer le pouvoir de rompre
unilatéralement le contrat. La solidarité contractuelle est ici sèchement repoussée au
profit des impératifs classiques de liberté et de responsabilité qui demeurent, comme on
le constate, les principes directeurs de notre ordre contractuel. En l'occurrence, on ne
saurait s'en émouvoir car, même au nom du solidarisme contractuel, il n'est pas
opportun de venir en aide aux contractants qui pèchent uniquement par incurie ou
incompétence.
Mots clés :
CONTRAT ET OBLIGATIONS * Contrat * Exécution * Déséquilibre contractuel *
Intangibilité du contrat * Circonstance économique
CONCESSION COMMERCIALE * Concédant * Concessionnaire * Sous-concession *
Exécution * Déséquilibre contractuel
(1) Seul le premier moyen fait l'objet du présent commentaire.
(2) Cass. civ., 6 mars 1876, DP 1876, I, Jur. p. 193, note Giboulot.
(3) Sur laquelle, V. L. Aynès, Le devoir de renégocier, Colloque de Deauville, juin 1999,
RJ com. 1999.
(4) Sur lequel, V. L. Grynbaum et M. Nicot (sous la dir. de), Le solidarisme contractuel,
Economica, 2004.
(5) D. 1995, Somm. p. 85, obs. D. Ferrier ; RTD civ. 1993, p. 124, obs. J. Mestre ;
16
Defrénois 1993, p. 1377, obs. J.-L. Aubert ; JCP 1993, II, 22164, obs. G. Virassamy.
(6) D. 1999, IR p. 9 ; Contrats, conc., consomm. 1999, Comm. n° 56, obs. M. MalaurieVignal ; Defrénois, 1999, p. 371, obs. D. Mazeaud ; JCP 1999, I, 143, obs. Ch. Jamin ;
RTD civ. 1999, p. 98, obs. J. Mestre et 646, obs. P.-Y. Gautier.
(7) En ce sens, N. Molfessis, Les exigences relatives au prix en droit des contrats, in Le
contrat : questions d'actualité, LPA, 5 mai 2000, p. 41, spéc. n° 29.
(8) Sur lesquels, V., entre autres, P. Deumier, Les principes Unidroit ont dix ans : bilan
en demi-teinte, RDC 2004, p. 766 ; B. Fauvarque-Cosson, Les contrats du commerce
international, une approche nouvelle : les principes d'Unidroit relatifs aux contrats du
commerce international, RIDC, 1998, 463 ; J. Huet, Les contrats commerciaux
internationaux et les nouveaux Principes d'Unidroit : une nouvelle lex mercatoria ?, LPA
10 nov. 1995, p. 6 ; Ch. Larroumet, La valeur des principes d'Unidroit applicables aux
contrats du commerce international, JCP 1997, I, 4011 ; D. Mazeaud, A propos du droit
virtuel des contrats : réflexions sur les Principes d'Unidroit et de la commission Lando, in
Mélanges M. Cabrillac, Litec, 1999, p. 205.
(9) Sur lesquels,V. B. Fauvarque-Cosson (sous la dir. de...), Pensée juridique française et
harmonisation européenne du droit, Société de législation comparée, 2003 ; Ch. Jamin et
D. Mazeaud (sous la dir. de), L'harmonisation du droit des contrats en Europe,
Economica, 2001 ; C. Prieto (sous la dir. de), Regards croisés sur les principes du droit
européen du contrat et sur le droit français, PUAM, 2003 ; P. Rémy-Corlay et D.
Fenouillet (sous la dir. de), Les concepts contractuels français à l'heure des Principes du
droit européen des contrats, Dalloz, 2003 ; G. Rouhette, I. de Lamberterie, D. Tallon et
C. Witz, Principes du droit européen du contrat, Société de législation comparée, 2003.
(10) Sur lequel, V. A. Debet, RDC, 2003, p. 217 ; J.-P. Gridel, Gaz. Pal. 21-22 févr.
2003, p. 3.
(11) V., entre autres, Ch. Jamin, Révision et intangibilité du contrat ou la double
philosophie de l'article 1134 du Code civil, in Que reste-t-il de l'intangibilité du contrat ?,
Dr. et patrimoine 1998, p. 47 ; H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette, Les grands arrêts de la
jurisprudence civile, Dalloz, 11e éd., 2000, spéc. p. 129, n° 5 et s.
(12) B. Fauvarque-Cosson, Le changement de circonstances, in Durées et contrats, RDC
2004, p. 67 et s., spéc. n° 7.
(13) Cl. Witz, Force obligatoire et durée du contrat, in Les concepts contractuels
français... (préc.), p. 175, spéc. n° 8.
(14) En ce sens, V. art. 3.10 des Principes d'Unidroit ; art. 4 :109 des Principes du droit
européen du contrat ; art. 30, al. 3, de l'avant-projet de code européen des contrats.
(15) En ce sens, Cass. com., 14 oct. 1997, Defrénois 1997, p. 1042, obs. D. Mazeaud ;
D. 1998, Somm. p. 333, obs. D. Ferrier.
(16) Cass 1er civ., 30 mai 2000, Contrats, conc., consomm. 2000, Comm. n° 142, note
L. Leveneur ; D. 2000, Jur. 879, note J.-P. Chazal, ibid. 2001, Somm. p. 1140, obs. D.
Mazeaud ; Defrénois, 2000, p. 1124, obs. Ph. Delebecque ; JCP 2001, II, 10461, obs. G.
Loiseau ; RTD civ. 2000, p. 827, obs. J. Mestre et B. Fages, et 863, obs. P.-Y. Gautier ; 3
avr. 2002, Comm., com., électr. 2002, Comm. n° 89, obs. Ph. Stoffel-Munck ; Contrats,
conc., consomm. 2002, Comm. n° 121, obs. L. Leveneur ; D. 2002, Jur. p. 1860, note J.P. Gridel, note J.-P. Chazal et Somm. p. 2844, obs. D. Mazeaud ; Defrénois, 2002, p.
1246, obs. E. Savaux ; JCP 2002, I, 184, obs. G. Virassamy ; RTD civ. 2002, p. 502, obs.
J. Mestre et B. Fages.
17
(17) En ce sens, Ph. Stoffel-Munck, obs. préc.
(18) Art. L. 313-10 du code de la consommation, issu de la loi du 31 déc. 1989.
(19) Art. L. 341-4 du code de la consommation, issu de la loi du 1er août 2003.
(20) Art. L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, issu de la loi du 15 mai 2001.
(21) Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, D. 1999, Jur. p. 197, note Ch. Jamin et Somm. p. 115,
obs. Ph. Delebecque ; Defrénois 1999, 374, obs. D. Mazeaud ; JCP 1999, II, 10133, obs.
Rzepecki ; RTD civ. 1999, p. 394, obs. J. Mestre ; 20 févr. 2001, D. 2001, Jur. p. 1568,
note Ch. Jamin et Somm. p. 3239, obs. D. Mazeaud ; Defrénois, 2001, p. 705, obs. E.
Savaux ; RTD civ. 2001, p. 363, obs. J. Mestre et B. Fages ; 14 janv. 2003, Contrats,
conc., consomm. 2003, Comm. n° 87, obs. L. Leveneur ; 28 oct. 2003, RDC 2004, p.
273, obs. L. Aynès et 277, obs. D. Mazeaud.
(22) D. 1996, Jur. p. 13, note L. Aynès ; Defrénois, 1996, p. 747, obs. Ph. Delebecque ;
JCP 1996, II, 22565, obs. J. Ghestin ; LPA, 27 déc. 1995, n° 155, p. 11, note D. Bureau
et N. Molfessis ; RTD civ. 1996, p. 153, obs. J. Mestre.
L'INTERPRETATION D'UN ARRET DE LA COUR DE CASSATION
Jacques Ghestin, Professeur émérite de l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Ancien
secrétaire de la conférence du stage des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de
cassation
Recueil Dalloz 2004 p. 2239
L'essentiel
De nombreux commentateurs critiquent l'ambiguïté, l'hermétisme, des arrêts de la Cour
de cassation. Leur concision résulte cependant de son histoire et de sa fonction
normative particulière. Elle s'efforce d'ailleurs aujourd'hui de rendre plus lisible la « ratio
decidendi » de ses décisions, notamment par la mention officielle des précédents cités
lors du délibéré. En revanche, un apprentissage du droit et de la technique de la
cassation devrait être obligatoire pour l'accès aux professions juridiques et judiciaires,
car son absence conduit des praticiens et des universitaires confirmés à de flagrantes
erreurs d'interprétation. Un nouvel exemple significatif en est donné par les multiples
commentaires d'un arrêt du 16 mars 2004, présenté, à tort, comme important, parce
qu'il remettrait en cause la jurisprudence du « Canal de Craponne », en posant une
obligation de renégocier les contrats en cours, déséquilibrés par une modification
imprévue des circonstances économiques.
1 - L'essentiel du droit civil français, spécialement le droit des contrats et de la
responsabilité, résulte actuellement des arrêts de la Cour de cassation(1). A son autorité
hiérarchique, qui lui permet d'imposer sa doctrine aux juges du fond, au moins pour les
affaires importantes qui montent jusqu'à elle, s'ajoutent le nombre de ses arrêts, et,
depuis peu, la consultation facile, via Légifrance notamment, de la masse de ses
décisions inédites. Cette abondance devrait permettre de trouver, dans chaque situation,
la réponse adéquate à la question posée.
Il faut cependant « tenir compte de ce que souvent la règle qui résulte d'un précédent
n'est pas entièrement claire. Le raisonnement juridique particulièrement complexe du
juge à la recherche de la solution juste est rarement explicité »(2). « C'est souvent sa
formulation par la doctrine en termes clairs et convaincants qui lui donnera toute sa
portée »(3). Chaque auteur est naturellement libre d'exposer son interprétation de la
jurisprudence et d'en présenter une synthèse personnelle, traduisant notamment ses
18
valeurs personnelles(4). La diversité légitime des constructions doctrinales, élaborées à
partir d'un ensemble de décisions, suppose toutefois que les auteurs partent tous d'une
compréhension techniquement correcte des arrêts de la Cour de cassation qu'ils utilisent.
Force est alors de constater qu'aujourd'hui, dans la pratique, ils n'y parviennent pas
toujours. Faut-il en imputer la responsabilité à la motivation des arrêts de la Cour de
cassation ou à la formation de leurs interprètes ?
2 - Un incident relativement récent permet d'illustrer l'importance et la difficulté du
problème. Dans un « courrier des lecteurs »(5), M. Paul Grimaldi, usant expressément,
en sa qualité de conseiller-doyen de la Chambre commerciale de la Cour de cassation,
d'un droit de réponse, s'est ému de deux commentaires, publiés dans le Recueil Dalloz,
d'un arrêt du 26 octobre 1999, rendu par la Chambre dont il présidait la formation. Il a
fait état, en particulier, de l'utilisation par M. Larroumet(6), à quatre reprises, de l'emploi
du « terme de « bévue » », celle-ci étant « une fois qualifiée de « lourde » » et de
l'affirmation que « la Chambre a violé « ouvertement » une règle « limpide du code civil
». Il a ajouté que l'autre commentateur, M. Aynès(7), « se demande si l'article 1692 du
code civil a été « abrogé » par cet arrêt ».
3 - M. Libchaber(8) est revenu sur « cette réaction » qu'il qualifie « d'épidermique », car
derrière celle-ci se dissimulent, selon lui, « des questions de fond plus intéressantes
concernant les modes de production du droit ». Ces questions doivent effectivement
retenir l'attention. M. Libchaber, cependant, retient seulement des explications de M.
Grimaldi l'une des raisons qui auraient déterminé la Cour de cassation à tenir pour
justifiée l'exclusion de l'article 1692, à savoir l'importance pour la caution de la personne
du créancier principal, qui ne peut être interchangeable sans son accord. Il exprime avec
force le regret que cela n'ait pas été énoncé dans les motifs de l'arrêt lui-même et
estime, en outre, que « cette justification » est « très éloignée d'être sans réplique » et
que l'exclusion de l'article 1692 « n'en est pas moins particulièrement malheureuse dans
le cadre principal du droit civil ».
4 - Notre objet n'est pas ici de revenir sur le débat de fond, si ce n'est pour observer
que, à tort ou à raison, nous avions approuvé l'arrêt du 26 octobre 1999(9), en nous
référant expressément au commentaire de M. Stéphane Piedelièvre(10). Ce qui retient
l'attention au regard de la présente étude, c'est que M. Libchaber observe « qu'il n'aurait
fallu qu'une phrase pour que la doctrine saisisse la ratio decidendi de l'arrêt, ce qui n'eût
pas plus constitué un important surcroît de travail, que dénaturé la forme syllogistique de
l'arrêt ». Pour cet auteur, « une question essentielle demeure : pourquoi faudrait-il
considérer comme allant de soi que la motivation d'un arrêt de Cour suprême se trouve
en dehors de ses motifs ? »(11). Il est intéressant d'observer ici que M. Piedelièvre avait
bien vu, quant à lui, et, semble-t-il, sans le secours des explications complémentaires de
M. Grimaldi(12), que l'arrêt du 26 octobre démontrait « une nouvelle fois que la
personne du créancier ne joue pas en cette matière un rôle secondaire »(13). Il n'était
donc pas impossible pour un commentateur de saisir « la ratio decidendi de l'arrêt »,
malgré la « phrase » qui aurait manqué dans ses motifs(14).
5 - Il faut relever surtout que M. Paul Grimaldi avait écrit que « les deux auteurs
soutiennent essentiellement que la Chambre aurait dû, par application de l'article 1692
du code civil, dire que la caution devait garantir les loyers postérieurement à la vente de
l'immeuble donné à bail ». Il avait précisé : « l'arrêt d'appel déféré excluait
expressément l'application de l'article 1692 du code civil. L'un des auteurs souligne
d'ailleurs cette exclusion qu'il regrette. J'ai relu le mémoire en demande et le mémoire en
défense ; neuf textes sont cités à plusieurs reprises ; en revanche n'est pas cité, même
par allusion, l'article 1692 du code civil. Autrement dit, c'est sur une exclusion, sur
laquelle les parties s'accordaient, qu'est construite toute l'argumentation des deux
annotateurs ».
M. Libchaber ne prend absolument pas en considération ces informations relatives à la
19
procédure, alors que M. Larroumet, au moins, avait connaissance de l'arrêt attaqué.
Pourtant, on voit mal pourquoi la Cour de cassation, dont il faut rappeler qu'elle n'est pas
en France un troisième degré de juridiction et qu'elle se borne à statuer sur la conformité
à la loi des arrêts, aurait ajouté, à la discussion effective qui lui était soumise, des motifs
visant à justifier l'exclusion de l'article 1692. Celle-ci, selon M. Grimaldi, avait été
expressément jugée par l'arrêt déféré et les mémoires des deux parties ne faisaient
aucunement état de ce texte en faveur du rejet ou de l'admission du pourvoi, seule
question soumise à la Cour de cassation en l'espèce.
Plus ou moins ignorées des deux commentateurs visés par M. Grimaldi, les données
résultant de la procédure particulière du pourvoi en cassation semblent tenues pour tout
à fait négligeables par M. Libchaber. Celui-ci(15) fait état de « l'hermétisme » de la Cour
suprême et de la « surévaluation jurisprudentielle à laquelle procède la doctrine ». Ne
serait-il pas plus exact de penser que beaucoup d'auteurs, et non des moindres, nous en
verrons d'autres exemples,ne semblent pas toujours suffisamment familiers avec le «
droit et la pratique de la cassation en matière civile »(16), qui est le complément
nécessaire du Bulletin des arrêts civils de la Cour de cassation, sans l'étude desquels la
lecture et la compréhension de ceux-ci relèvent effectivement de la devinette ?
6 - C'est le moment de revenir à notre interrogation initiale. Les interprètes a priori les
plus autorisés rendent mal compte de la pensée des rédacteurs des arrêts de la Cour de
cassation. Faut-il en imputer la responsabilité à la motivation de ces arrêts ou à
l'apprentissage de leur interprétation ? Le premier terme de l'alternative fait l'objet
depuis longtemps d'un débat qui oppose ceux qui dénoncent une motivation insuffisante
de ces arrêts à ceux qui trouvent celle-ci tout à fait satisfaisante. Le second terme, en
revanche, est rarement évoqué.
Dans un récent « point de vue »(17), M. Atias écrivait : « S'il devait apparaître que la
formation des juges, des avocats, des notaires, des juristes d'entreprises est
inappropriée, insuffisante, défectueuse, il serait temps d'adopter les mesures de
redressement requises. Une seule faute serait grave ; ce serait l'inaction ». Dans cette
optique, il est permis de se demander si l'enseignement de l'interprétation d'un arrêt de
la Cour de cassation ne serait pas un point important sur lequel devrait porter notre
réflexion critique.
Cette interprétation est relativement difficile, car elle suppose une bonne connaissance
de la technique particulière de rédaction de ces arrêts, elle-même liée à son élaboration,
sur laquelle la récente étude du président Tricot est particulièrement éclairante(18). Or il
suffit de lire les publications juridiques pour constater, d'une part, qu'un bon nombre de
praticiens actuels ne savent pas lire correctement les arrêts de la Cour de cassation, ce
qu'il est permis d'imputer à la formation universitaire et professionnelle qu'ils ont
reçue(19), et, d'autre part, que beaucoup d'universitaires eux-mêmes sont loin de
maîtriser la technique d'interprétation qu'ils devraient enseigner(20).
C'est pourquoi, après des observations visant essentiellement à actualiser le débat
devenu classique sur la motivation d'un arrêt de la Cour de cassation, il faudra insister
sur l'apprentissage de son interprétation.
I - La motivation d'un arrêt de la Cour de cassation
7 - Les arrêts de la Cour de cassation sont rédigés de façon très concise et les principes
qu'ils contiennent parfois sont encore plus brefs, au point d'être quelquefois
elliptiques(21). Des auteurs, dont l'autorité est reconnue, leur ont reproché de manquer
ainsi de clarté, faute d'expliciter suffisamment la portée du principe posé et les raisons
qui avaient conduit à l'adopter(22).
Tout récemment, Mme Gjidara, dans une étude générale sur la motivation des décisions
20
de justice(23), n'a pas hésité à affirmer que, « dès lors que son audience s'élargit à
l'ensemble de la nation française, la Cour de cassation doit s'expliquer de façon claire et
compréhensible au moment même où elle s'exprime. C'est par l'exposé détaillé des
arguments rejetés, comme de ceux qu'elle a retenus, que la Cour de cassation pourra
jouer un rôle social étendu, à l'image des Cours anglaise et américaine... C'est par une
motivation explicite et convaincante que ces Cours ont acquis leur autorité tant auprès
des Etats que de leurs citoyens »(24).
8 - Pour justifier la concision des arrêts de la Cour de cassation française, il est classique
d'invoquer le nombre des pourvois, lié lui-même à celui des cas d'ouverture à cassation.
M. Daniel Tricot(25), agrégé des facultés de droit et actuellement président de la
Chambre commerciale, a qualifié de « critique inadaptée » le regret « courant » de «
l'absence de motivation des arrêts rendus par la Cour de cassation ». Pour lui, « En
choisissant une thèse de préférence à une autre, la Cour ne méconnaît pas les mérites de
celle qui a été écartée ; si elle invoquait un argument au soutien de la thèse retenue en
passant sous silence les arguments contraires, elle laisserait planer l'impression que le
dossier n'a fait l'objet que d'une étude partielle. Un arrêt qui tranche un débat n'a rien
d'une dissertation juridique. Tout au plus, la Cour peut, en introduisant une justification,
montrer la logique de son raisonnement ».
9 - La motivation d'un arrêt de la Cour de cassation française est étroitement liée à sa
mission spécifique. C'est ce que montrent l'évolution historique de la motivation de ses
arrêts et sa nature institutionnelle.
10 - M. Bérenger, auteur d'un mémoire de troisième cycle publié en 2003, estime(26) à
cet égard qu'un « fossé s'est établi entre deux époques », c'est-à-dire entre le XIXe
siècle, où « les motivations étaient si brillantes qu'un étudiant aurait pu indistinctement
enrichir sa réflexion en lisant un manuel de droit ou un arrêt de la Cour de cassation », et
l'époque actuelle. Pour cet auteur, le nombre des pourvois à traiter serait une mauvaise
excuse puisque, dès 1935, l'impératif de décisions brèves était déjà en vigueur(27). Il en
déduit(28) que : « aujourd'hui le constat est préoccupant : l'arrêt de la Cour de cassation
est souvent un texte hermétique ; les grandes questions de droit sont résolues en
quelques lignes et d'une telle manière que, en réalité, la Cour ne répond jamais à la
question posée. La sacro-sainte formule, quasi dogmatique, prend alors la tournure d'une
formule incantatoire : vu l'article tant... ». « Nul doute », ajoute-t-il, « que les hauts
magistrats raisonnent encore ; seulement ils ne prennent plus la peine de s'expliquer ».
Annonçant les deux parties du mémoire qu'il introduit, il oppose l'heureuse époque de «
la motivation : mise en oeuvre du savoir juridique » à celle d'aujourd'hui où l'on serait
passé de « l'utilisation d'un savoir à l'exercice d'un pouvoir ».
Ce mémoire, au demeurant bien documenté par une étude directe des arrêts
sélectionnés, ne fait pas état de la publication antérieure de M. Yves Chartier(29), qui
traite cependant du même sujet, avec une analyse historique différente, apparemment
plus élaborée, notamment en ce qu'elle distingue non pas deux, mais plusieurs périodes,
aux caractéristiques distinctes.
11 - Ces histoires de la motivation des arrêts de la Cour de cassation pourraient, semblet-il, être utilement rapprochées de l'évolution historique de ses pouvoirs et de son
autorité.
Dans la liste des arrêts du XIXe siècle cités par M. Bérenger, plus de la moitié de ceux
qui ont été rendus par la Chambre civile est antérieure à la loi du 1er avril 1837. Or on
sait qu'à l'origine l'interprétation de la loi appartenait en dernier ressort au référé
législatif. L'échec de celui-ci avait conduit, après la chute du Premier Empire, à la loi du
30 juillet 1828 qui supprimait le référé législatif et donnait le dernier mot à la cour
d'appel, deuxième juridiction de renvoi. Malgré deux arrêts de censure, la Cour de
cassation demeurait impuissante. Ce danger n'avait rien d'illusoire. De 1828 à 1836, sur
21
49 cassations après renvoi devant les Chambres réunies, il n'y eut que 29 arrêts de
renvoi conformes à la doctrine de la Cour suprême. C'est la loi du 1er avril 1837 qui a
finalement permis à la Cour de cassation d'imposer son interprétation(30).
M. Chartier(31) a observé que c'était à compter de 1840, et surtout de 1850 à 1870, que
la Cour de cassation avait motivé ses arrêts par de « véritables consultations ». Il est
intéressant d'observer à cet égard que les arrêts des Chambres réunies, d'abord assez
fréquents, sont devenus exceptionnels avec la reconnaissance, aujourd'hui incontestée,
de l'autorité de la Cour de cassation. De 1837 à 1847 on relève une moyenne de dix
arrêts par an. Celle-ci diminue régulièrement jusqu'en 1877 pour accuser ensuite une
chute importante, la moyenne se fixant alors à deux ou trois arrêts annuels, à comparer
avec l'augmentation importante du nombre d'arrêts rendus(32).
Il existe ainsi logiquement un rapport entre la rédaction des arrêts de la Cour de
cassation et la reconnaissance progressive de son autorité, juridique d'abord, jusqu'en
1837, morale ensuite, de 1837 à 1877. Une étude historique approfondie et plus fine
qu'une simple opposition entre le XIXe siècle et aujourd'hui permettrait sans doute de
vérifier plus précisément cette hypothèse. L'autorité légale résultant de la loi de 1837 et
l'autorité morale progressivement acquise de 1837 à 1877 ont permis, semble-t-il, à la
Cour de cassation de rédiger ses arrêts dans le style correspondant à sa nature juridique
propre.
12 - M. Zenati, dans une étude récente(33), a soutenu que la Cour de cassation, dès lors
qu'elle n'est pas un troisième degré de juridiction, ce que personne ne conteste, ne serait
donc pas une juridiction, mais une institution de nature législative résultant de la
conjugaison de sa nature répressive, qui vise à imposer aux juridictions le respect de la
loi, et de sa nature herméneutique, qui lui donne le pouvoir d'imposer son interprétation
de celle-ci.
Selon M. Zenati(34), « la puissance ainsi conquise a rejailli sur le style des arrêts de la
Cour de cassation, dont on a vainement et injustement critiqué le laconisme, lequel n'est
pas le produit d'un choix esthétique ni celui d'un particularisme culturel mais celui d'un
indice structurel de souveraineté. Une institution chargée de poser des règles de nature
législative n'a pas vocation à motiver sa décision comme un juge. Le jugement est un
acte rhétorique qui tend à convaincre les plaideurs du bien-fondé de la décision qu'il
contient, ce qui explique que le juge soit enclin, en dehors de toute obligation légale, à
motiver ses sentences. Tel est le style des arrêts rendus par les cours suprêmes de
pleine juridiction et en particulier de celles de common law, dont le caractère ampliatif
est bien connu. L'autorité chargée de donner l'interprétation de la loi n'a, au contraire,
pas lieu de se justifier, pas plus que n'a à le faire le législateur lui-même. Bien mieux, le
faire affaiblirait son interprétation ; l'imperatoria brevitas des arrêts suprêmes emprunte
au style concis et ferme de la loi ».
13 - Il est exact que la Cour de cassation ne juge pas les procès, mais se borne à vérifier
si les décisions soumises à sa censure ont été rendues conformément à la loi. La
distinction du fait et du droit et le mécanisme du renvoi traduisent concrètement cette
mission spécifique(35). De cette nature juridique particulière il résulte que l'extension
pure et simple à la Cour de cassation des mêmes exigences de motivation que celles qui
pèsent de façon générale sur toutes les juridictions prête le flanc à la critique.
A partir de là, il a pu être légitimement observé que la raison essentielle de la concision
de ses arrêts(36) est que « la Cour de cassation, en évitant d'entrer dans le détail d'une
argumentation, refuse de se placer au niveau de tous ceux, juges ou juristes, qui
discutent d'une question controversée ; elle affirme sa position, et lui confère une valeur
juridique comme expression de son autorité juridictionnelle »(37). L'affirmation des
solutions correspond ainsi au pouvoir normatif de la Cour de cassation. Des auteurs ont
observé, en outre, que l'affirmation des solutions, sans autre explication, accroît leur
22
netteté et facilite « le diagnostic de la ratio decidendi », en opposant cette concision à la
richesse des considérations doctrinales qui, dans certaines décisions anglo-américaines, «
trouble le débat et rend insaisissables les assises de la décision »(38). Il est clair, en
outre, que la Cour de cassation souhaite ne pas s'engager trop loin par des motifs
expliquant le pourquoi de ses décisions, et risquer ainsi de perdre sa liberté
d'appréciation(39).
14 - Il ne faut pas oublier, cependant, que la Cour de cassation, n'exerce sa fonction
normative qu'à la suite d'une voie de recours et selon une procédure qui reste
fondamentalement judiciaire. Il n'est pas évident que l'affirmation qu'elle n'est pas un
troisième degré de juridiction suffise à lui dénier la nature de juridiction. Dans l'esprit de
ceux qui l'expriment, elle signifie plus simplement qu'elle est une juridiction d'une nature
différente des juges du fond et que le pourvoi en cassation est certes un recours, mais
extraordinaire. C'est d'ailleurs parce qu'elle ne peut intervenir, sauf exception de portée
très limitée en pratique, que sur un pourvoi de plaideurs et en réponse aux moyens qu'ils
ont fait valoir que sa mission spécifique de contrôle de la légalité des décisions des juges
du fond et d'interprétation de la loi ne peut s'exercer qu'à l'intérieur de limites assez
contraignantes, qui ne sont pas toujours parfaitement connues et comprises, nous le
verrons, des commentateurs de ses arrêts.
C'est parce qu'elle est une juridiction que, si elle peut, aux termes de l'alinéa 2 de
l'article 620 du nouveau code de procédure civile, casser une décision en relevant d'office
un moyen de pur droit qui n'aurait pas été invoqué par un plaideur, elle doit alors, selon
l'article 1015 du même code, pour respecter le principe du contradictoire, inviter au
préalable les parties à produire leurs observations(40).
C'est pour la même raison qu'elle est également soumise aux dispositions de l'article 6 §
1 de la Convention européenne des droits de l'homme qui visent à faire respecter le droit
à un procès équitable. Des études récentes(41) font état ainsi de trois condamnations de
l'Etat français par la Cour européenne des droits de l'homme(42) sanctionnant, sur le
fondement de ce droit, la motivation insuffisante d'arrêts de notre Cour suprême. Ces
trois arrêts semblent cependant se borner à imposer la réparation par l'Etat français
d'erreurs, que l'on sait inévitables dans toute entreprise humaine. Elles répondent
partiellement à la question d'un contrôle de type disciplinaire posée par M. Guinchard : «
Qui cassera les arrêts de la Cour de cassation ? »(43). En revanche, même si «
l'insuffisance de la motivation n'a sans doute pas été étrangère à » l'arrêt Dulaurans(44),
elles n'imposent pas à celle-ci une motivation, qui répondrait vraiment au voeu d'une
partie de la doctrine, sous forme d'une présentation explicite des arguments ayant
justifié la solution retenue, voire de ceux qui ont été écartés(45).
15 - La nature institutionnelle de la Cour de cassation est complexe. Sa mission
législative, résultant de la combinaison de sa fonction de répression des décisions
judiciaires contraires à la loi et d'interprétation de celle-ci, est rendue particulièrement
difficile dans le cadre juridictionnel où elle est tenue de l'exercer.
C'est ce qui explique et justifie, semble-t-il, le choix de la voie moyenne et prudente qui
est actuellement la sienne quant à la motivation de ses arrêts. Elle est d'ailleurs
ancienne. Comme l'observe M. Chartier(46), « à reprendre la promenade au cours des
ans, on ne peut que constater la volonté permanente de la Cour de cassation de ne pas
alourdir ses arrêts, de « faire court », de s'en tenir à l'essentiel. Certes est-il possible de
relever, dans les premiers temps, quelques exemples de rédaction dans la forme et le
style qu'empruntent les juges du fond... : mais il ne s'agit que de rares exceptions.
Même si elle n'a pas connu un égal succès selon les époques, la formule brève a tout de
suite été utilisée, pour ne pas dire mise à l'honneur ». Selon cet auteur(47), aujourd'hui
la Cour de cassation ne justifie plus « l'expression d'une vérité juridique » qui constitue
la majeure de son « syllogisme ». Il ajoute : « Faut-il le regretter ? On peut certes le
faire, en gardant la nostalgie d'arrêts comme ceux qui ont été cités, et qu'on trouve
23
toujours plaisir et bénéfice à relire ». Il estime, quant à lui, que, malgré des avis
divergents, le « doyen Breton a eu sur ce point des propos décisifs » et qu'un « équilibre
a été trouvé entre deux extrêmes que symbolisent, d'un coté, la période révolutionnaire
», caractérisée par une motivation très brève souvent limitée au visa des textes, « de
l'autre, celle du Second Empire ».
Ce juste milieu paraît raisonnable et conforme à la complexité de la nature de la Cour de
cassation. Encore faut-il que celle-ci ait toujours présent à l'esprit que l'excès de
concision peut aussi conduire à l'ambiguïté, ce qui serait incompatible avec sa mission de
dire le droit. Comme l'observe M. Xavier Henry(48), « toute décision ne peut se
comprendre que dans un rapport aux textes existants et aux précédents jurisprudentiels
».
16 - C'est dans cet esprit que la Cour de cassation fait aujourd'hui un effort certain,
notamment par la publication de son rapport annuel, afin de rendre sa jurisprudence plus
compréhensible. Une nouvelle preuve en est donnée par la modification, récemment
annoncée par M. Lesueur de Givry, conseiller à la Cour de cassation et directeur de son
Service de documentation et d'études, de « sa méthode de renvois aux précédents, pour
tenir compte, dans toute la mesure du possible, des critiques constructives formulées par
» M. Xavier Henry sur le fonctionnement de la Cour de cassation et ses publications(49).
En publiant ces critiques la Cour de cassation montre qu'elle est ouverte à un véritable
dialogue avec les universitaires de bonne volonté et qu'il est injuste d'écrire « qu'il n'est
pas sûr qu'ils » (les juges) « se soucient encore d'une quelconque intelligibilité des arrêts
de la Cour »(50).
M. Xavier Henry écrit(51), pour justifier la « nécessité du chaînage institutionnel », que
celui-ci est la trace d'une intention qui mérite à ce titre d'être objectivement connue, de
la même façon que la volonté du législateur est un élément qui occupe une place
spécifique dans la compréhension des textes ». Il insiste sur la supériorité de ce «
chaînage institutionnel », « conçu en même temps que la décision », ce qui lui permet
d'être « fiable et rapide », par rapport au « chaînage extérieur » des revues juridiques,
qui n'est pas accessible à tous, et qui, lorsqu'il est rapide, est peu fiable, et, lorsqu'il
émane de « spécialistes du secteur », « est le plus souvent tardif ». Il préconise(52)
donc qu'une meilleure information soit donnée par le Service de documentation et
d'étude avec le concours actif indispensable d'un membre de la formation ayant assisté
au délibéré, rapporteur, ou, à défaut, président ou doyen.
17 - Il est toutefois précisément reproché à la Cour de cassation d'être obligée
d'expliquer a posteriori le sens de ses arrêts faute de les avoir suffisamment
motivés(53).
Il faut alors se demander pourquoi, alors que, comme l'observe M. Xavier Henry(54), «
bon nombre de juridictions européennes intègrent le renvoi aux précédents dans les
motifs mêmes de leur décision », « tel n'est pas, sauf cas exceptionnel, la solution
adoptée par la Cour de cassation ». Leur insertion faciliterait pourtant le travail des
commentateurs sans augmenter beaucoup celui de la juridiction, puisqu'elle se bornerait
à citer les précédents dont, par définition, elle a tenu compte. Cela permettrait, le cas
échéant, de constater qu'elle n'a pas vu, ou voulu voir, un précédent jugé utile par
d'autres, émanant notamment d'une autre formation. Il est vrai qu'en reconnaissant à la
mention des précédents un caractère officiel, comme le demande M. Xavier Henry, on
obtiendrait une information pratiquement équivalente à leur incorporation dans les motifs
mêmes de l'arrêt. Le choix entre les deux présentations relèverait alors surtout de
l'esthétique.
18 - M. Canivet, premier président de la Cour de cassation, a écrit récemment(55) que «
dorénavant, les rapports, qui présentent une analyse objective de la question de droit
sans dévoiler la solution proposée, sont des pièces de procédure portées à la
24
connaissance des parties, laissées dans les dossiers et bientôt, dans les affaires
importantes, disponibles avec les arrêts sur les bases informatiques internes de la Cour.
Ainsi » a-t-il ajouté, « en même temps que la conservation de ces études scientifiques de
haut niveau, seront protégées les traces tangibles d'une oeuvre juridictionnelle,
généralement considérable au fil du temps, accomplie par les juges de cassation dans
chacun des dossiers ». Il serait évidemment souhaitable que ces rapports n'aient pas
seulement pour vocation essentielle de servir d'archives, mais qu'ils soient rapidement
rendus accessibles aux commentateurs des arrêts de la Cour de cassation.
19 - Est-il possible d'aller au-delà et de répondre au souhait, exprimé avec vigueur, par
une partie de la doctrine ? C'est ainsi que, selon Mme Gjidara(56) : « Pour comprendre
une décision de justice et y adhérer, les justiciables doivent pouvoir à la seule lecture de
l'arrêt en comprendre les intentions et en saisir la portée », ce qui « devrait à terme
infléchir la pratique actuelle de la Cour de cassation, dans la mesure où elle porte
atteinte à la dignité de la justice ainsi qu'à la confiance placée en elle par les justiciables
». M. Bérenger(57) va plus loin encore. Après avoir affirmé que « les motivations
elliptiques rendent difficile la compréhension des arrêts », il ajoute : « Mais il y a bien
plus que cela. Il y a le réel désir des juges de rester dans le vague et le flou ; et le seul
moyen d'y arriver est d'avoir recours à un langage d'initié et de technicien. Cela participe
aussi à l'idée que l'on peut se faire du pouvoir.... Dans l'esprit des magistrats, le langage
judiciaire, et surtout celui de la Cour de cassation, ne doit être compris que par les initiés
».
Il est vrai que la pleine compréhension des arrêts de la Cour de cassation exige une
formation particulière. Il semble cependant que M. Bérenger confonde quelque peu, avec
une initiation à des pratiques délibérément occultes, l'apprentissage de l'interprétation
d'un arrêt de la Cour de cassation.
II - L'apprentissage de l'interprétation d'un arrêt de la Cour de cassation
20 - MM. Jacques et Louis Boré(58) écrivent à cet égard : « Nous ne croyons pas... que
l'on pourrait se passer, comme l'a souhaité un auteur (A. Tunc, La Cour suprême
judiciaire, RID comp. 1978, p. 463), de toute une « casuistique de lecture des arrêts »,
que certains magistrats ou professeurs ne se vantent d'ignorer que parce qu'ils négligent
de l'enseigner(59), et qui n'est pas, à vrai dire, aussi difficile à assimiler qu'on l'a
prétendu. Cette casuistique est, en effet, inévitablement liée au fait que la Cour de
cassation ne statue jamais sur les questions qui lui sont soumises que dans le cadre
d'ouvertures précises, dont les conditions d'application sont assez rigoureuses ; et elle ne
pourrait disparaître tout à fait que si la Cour suprême judiciaire française devenait,
comme la Chambre des Lords d'Angleterre ou la Cour suprême du Canada, une
juridiction ayant une compétence générale de troisième degré, ce qui serait
profondément contraire à la loi de son office ».
21 - Pour M. Atias, qui a rédigé la préface de l'ouvrage de M. Bérenger(60), « il faut
souhaiter que la publication de ce beau mémoire ait une vertu incitative et porte d'autres
réflexions qui en prolongeront les hypothèses et les conclusions. La Cour de cassation est
une institution trop forte, sa tradition est trop riche, ses fonctions sont trop importantes
pour que les facultés de droit renoncent à passer son histoire, son travail, ses
changements au microscope ». L'invitation mérite notre attention.
Il ne faudrait pas toutefois que ce travail « au microscope » serve à mettre en lumière la
paille dans l'oeil de la Cour de cassation pour mieux occulter la poutre qui est dans celui
de la doctrine. Dénoncer de façon générale « l'hermétisme » des arrêts actuels de la
Cour de cassation ne doit pas servir de justification facile à la difficulté que rencontrent
trop de praticiens et d'universitaires, qui ont formé ceux-là, à comprendre ses arrêts,
faute de savoir comment ils sont rédigés et doivent être lus.
25
22 - J'ai déjà eu l'occasion, dans un ouvrage en l'honneur du regretté André Ponsard(61),
d'énoncer quelques réflexions sur l'interprétation des arrêts de la Cour de cassation. En
dehors des rares professeurs qui sont appelés à entrer à la Cour de cassation et qui
peuvent accepter cet honneur, la plupart des universitaires, allocataires de recherche,
puis ATER, puis maîtres de conférence, avant de devenir professeurs, éludent la
formation acquise autrefois chez un avocat à la Cour de cassation par la plupart des «
agrégatifs ». Ils n'ont de ce fait, du fonctionnement de cette institution et de la rédaction
de ses arrêts, que des notions théoriques, ce qui peut les conduire à des erreurs quant à
l'interprétation de ceux-ci et leur rendre plus difficile, sur ce point essentiel, la formation
indispensable des étudiants. J'avais montré, à titre d'exemple, qu'il ne faut pas présenter
comme une solution nouvelle, certaine et importante ce qui n'a pas été jugé par la Cour
de cassation(62), qu'il ne faut pas interpréter un arrêt de la Cour de cassation sans se
référer au moyen qui lui était soumis(63) et qu'il faut se référer si nécessaire à la
procédure antérieure pour mieux comprendre un arrêt de lecture difficile(64).
Les erreurs d'interprétation, présentées à titre de simples exemples, étaient le fait, soit
de purs praticiens, soit de praticiens enseignants, soit encore d'un rédacteur de revue
juridique, soit même d'universitaires, professeurs agrégés des facultés de droit.
23 - J'avais cité, à titre d'anecdote introductive, l'histoire d'un candidat, finalement
malheureux, à un poste d'assistant à la faculté de droit de Bordeaux, dans les années
soixante, qui avait longuement disserté sur la grave contradiction intellectuelle
entachant, selon lui, les motifs d'un arrêt rendu par la Cour de cassation, sans prendre
garde au fait que, s'agissant d'un arrêt de rejet, la thèse du pourvoi était ensuite écartée
par des motifs naturellement contraires(65). Dans un excellent ouvrage sur la «
Technique de cassation »(66), préfacé précisément par André Ponsard, les auteurs
énoncent « une observation importante d'ordre général : il ne faut pas confondre - il
s'agit là d'une erreur que commettent beaucoup de « débutants » - le résumé du moyen
et sa réfutation ». Ils ajoutent que « le résumé du moyen, s'il est important pour
apprécier la portée de sa réfutation, et donc la portée de l'arrêt, n'exprime bien entendu
pas l'opinion de la Cour de cassation. Il constate seulement l'énoncé objectif d'une
critique adressée à l'arrêt ».
Il doit être enseigné aux étudiants, dès la première année de DEUG, que lorsqu'on lit un
arrêt de la Cour de cassation il est indispensable de bien déterminer la personne ou la
juridiction que fait parler le rédacteur de l'arrêt. Or il semble que des juristes aux titres
prestigieux puissent méconnaître cette règle essentielle. Peut-on alors incriminer «
l'hermétisme » des arrêts actuels de la Cour de cassation ?
24 - Pour illustrer mon propos, je présenterai l'exemple récent et particulièrement
significatif de l'interprétation d'un arrêt de rejet rendu le 16 mars 2004 par la 1re
Chambre civile de la Cour de cassation(67).
Mon attention avait été attirée par le commentaire, dans les Echos des 16-17 avril 2004
(p. 11), de M. Eric Borysewicz, « avocat à la cour » de Paris « et au barreau de New York
», du Cabinet Courtois Lebel. Sous le titre « Renégociation des contrats en cours : la
révolution annoncée », cet auteur écrit d'abord : « Remettant en cause l'un des
fondements les mieux établis du droit privé français, la Cour de cassation, dans un arrêt
du 16 mars 2004, pose le principe d'une obligation générale de renégociation des
contrats en cours en cas de modification imprévue des circonstances économiques ». Il
affirme ensuite que « l'arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2004 pose les bases de
l'imprévision dans les contrats de droit privé ». Pour accentuer l'importance de cette «
révolution annoncée », il annonce enfin aux milliers de lecteurs des Echos que, « à n'en
pas douter, les acteurs économiques vont tenter de s'engouffrer dans la brèche ouverte
par la Cour de cassation dans le principe de l'intangibilité du contrat et ce d'autant plus
que cette jurisprudence s'applique immédiatement à tous les contrats en cours, quelle
que soit la date de leur conclusion »(68).
26
25 - La décision paraissait effectivement de première importance. Elle m'intéressait
d'autant plus que nous avions clairement pris position en faveur de la nécessité de « la
révision ou de la résiliation » d'un contrat devenu trop gravement déséquilibré, en
précisant toutefois qu'elles ne devaient « être admises, à l'instar des législations
étrangères, que de façon exceptionnelle »(69). La consultation sur le site Légifrance m'a
conduit cependant, après une lecture attentive, à considérer que cet arrêt n'avait rien
jugé de semblable et qu'en conséquence l'interprétation qui en était présentée était,
selon moi, certainement erronée.
L'impact de ce commentaire a été toutefois considérable, puisqu'il a incité un certain
nombre d'auteurs à commenter à leur tour cet arrêt.
26 - Dès le 13 mai 2004, M. Renard-Payen, conseiller-doyen de la première Chambre
civile de la Cour de cassation(70), jugeait nécessaire de préciser sa portée. Il écrivait : «
En toute hypothèse, le moyen était ici en porte-à-faux au regard des constatations de
l'arrêt attaqué. La cour d'appel avait, en effet, relevé à juste titre que la société
n'invoquait pas devant elle un déséquilibre financier né de circonstances économiques
imprévues. Elle se fondait, en réalité, sur un déséquilibre structurel du contrat, dont elle
n'avait pas été mise en mesure de prendre conscience, sans, pour autant, invoquer un
vice du consentement ». Il ajoutait : « La Cour de cassation constate donc l'inadéquation
du moyen à la motivation de l'arrêt attaqué, opération préalable au contrôle de ladite
motivation. Ce procédé classique ne doit pas induire en erreur. Il ne résulte pas, a
contrario, de son arrêt de rejet qu'elle eût approuvé la cour d'appel si celle-ci s'était
fondée sur le « solidarisme contractuel » ».
La conclusion résultant d'une lecture attentive du moyen rapproché de l'attendu justifiant
le rejet se trouvait ainsi renforcée par ces précisions expressément fondées sur la nature
du contrôle exercé en l'espèce par la Cour de cassation. Celles-ci étaient tout à fait
explicites pour un lecteur ayant une bonne maîtrise de cette technique. Elles n'étaient
d'ailleurs pas nécessaires pour un tel lecteur qui, à la simple lecture de l'arrêt, devait
comprendre la portée de celui-ci. C'est ainsi que, le 30 avril 2004, donc antérieurement à
la note du conseiller-doyen, un commentateur anonyme a fait de cet arrêt, sans
développements superflus, une interprétation exacte(71).
D'autres commentateurs cependant, faute d'avoir pris connaissance de la note du
conseiller-doyen et/ou de maîtriser la technique indispensable à la bonne compréhension
d'un arrêt de la Cour de cassation, ont présenté une interprétation qui ne correspond
certainement pas à la signification et la portée de l'arrêt du 16 mars 2004.
27 - Tout d'abord, le président de la deuxième commission du Congrès national des
notaires, commentant, dans le numéro du 11 juin 2004 des Petites affiches, le refus du
voeu qui tendait à introduire dans notre droit une obligation de renégociation « en cas de
bouleversement de l'économie du contrat résultant de circonstances imprévisibles lors de
sa conclusion et extérieures aux parties », a déclaré, en invoquant l'article 1134, alinéa
3, du code civil, « que c'est d'ailleurs en ce sens que s'est prononcée récemment la Cour
de cassation dans un arrêt du 16 mars 2004 », pour en conclure que « la révision pour
imprévision serait donc de l'essence même du contrat »(72).
28 - Ensuite, dans le numéro du 28 juin 2004 des Petites affiches, deux « avocats à la
cour » du Cabinet Jones Day, MM. Charles Gavoty et Olivier Edwards(73), ont écrit
qu'une « lecture a contrario de ce dispositif laisse à penser que, si le déséquilibre était né
d'un bouleversement des circonstances économiques postérieur à la conclusion de la
convention, le refus de la commune et de l'association d'en renégocier les termes aurait
pu être considéré comme une violation de leur obligation de loyauté et d'exécution de
bonne foi ». Ils ont ajouté : « Que, pour justifier cette obligation de renégociation, la
première Chambre civile vise l'obligation de loyauté et la bonne foi dans l'exécution des
27
conventions ne nous semble pas anodin. N'emboîte-t-elle pas, ce faisant, le pas de la
Chambre commerciale et de la Chambre sociale dans leurs arrêts Huart, Expovit et
Chevassus ? Mieux, il n'y avait pas à proprement parler de situation de dépendance dans
cette affaire ; la première Chambre civile n'indique-t-elle pas ainsi que la solution qu'il
est possible de dégager de l'analyse de ces trois espèces a vocation à s'appliquer de
façon générale, ce que les termes mêmes qu'elle utilise, qui sont plus généraux, plus
explicites que ceux des Chambres commerciale et sociale semblent confirmer ? ». Il faut
toutefois préciser que ces auteurs ne tiennent pas pour certaine la consécration par cet
arrêt d'une « obligation générale de renégociation en cas d'imprévision », notamment
parce qu'il s'agit d'un arrêt de rejet et d'une « lecture a contrario ».
29 - M. Houtcieff(74), quant à lui, a pris bonne note de l'avertissement donné par le
conseiller-doyen, qu'il cite expressément. Il a toutefois estimé que cela ne devait « pas
dissuader du commentaire, aussi hasardeux soit-il ». Pour cet auteur, « Il ne s'agit pour
autant que d'un arrêt de principe par prétérition : s'exerçant à l'art subtil de la litote, la
première Chambre civile se contente d'affirmer qu'elle n'est pas hostile à l'obligation de
renégocier {...} Le recours à l'obiter dictum est en effet souvent annonciateur d'une
jurisprudence à venir, qui permet d'anticiper la doctrine de la cour régulatrice sans faire
peser le poids d'une solution inattendue aux parties au litige ».
En réalité nous allons voir que la Cour de cassation n'affirme rien quant à une obligation
de renégocier et n'énonce, en l'espèce, aucun obiter dictum. Elle se borne, tout au plus,
à ne pas exprimer d'hostilité à l'égard d'une telle obligation, pour la simple raison qu'elle
n'en parle pas du tout, ce qui n'est pas la même chose.
30 - Enfin, la rédaction du Dalloz, qui, au vu des lettres déterminant l'intérêt de la
décision pour la Cour de cassation elle-même, avait d'abord jugé suffisant d'en faire une
relation sommaire, s'est interrogée sur l'opportunité de lui consacrer un commentaire.
Finalement c'est M. Denis Mazeaud qui s'est chargé de celui-ci dans le numéro du 24 juin
2004(75).
Cet auteur, sous le titre « Du nouveau sur l'obligation de renégocier », écrit que, « sans
forcer exagérément le trait, ni solliciter excessivement cet arrêt, il semble bien que c'est
cette stimulante leçon de politique contractuelle que la première Chambre civile a
entendu donner, à cette occasion, en réaffirmant, fort opportunément, le principe de
l'obligation de renégocier (I) et en en déterminant, avec précision, le domaine (II) », ce
qui annonce les deux parties qu'il traite ensuite. Pour cet auteur, « même si, à
l'évidence, il ne s'agit pas de l'apport essentiel de l'arrêt commenté, la consécration du
principe de l'obligation de renégocier par la Cour de cassation nous paraît digne d'intérêt.
Ce faisant, la Cour de cassation confirme les précédents qui émanaient de la Chambre
commerciale et inscrit sa jurisprudence dans l'environnement européen et international
». Il ajoute notamment qu'il « est entendu que la Cour de cassation induit du devoir
d'exécuter le contrat de bonne foi, édité par l'article 1134, alinéa 3, du code civil, une
obligation de renégocier les contrats devenus profondément déséquilibrés au cours de
leur exécution en raison d'un changement de circonstances » ; que l'on « peut se
demander si l'un des mérites de l'arrêt rendu par la première Chambre civile n'est pas...
de replacer... l'obligation de renégocier dans l'orbite de la théorie de l'imprévision » et «
qu'avec cet arrêt, et pour la première fois de façon claire et nette, la Cour de cassation
appréhende l'obligation de renégocier comme un tempérament, indirect mais général, à
l'intangibilité des contrats devenus déséquilibrés lors de leur exécution, autrement dit au
refus de la révision pour imprévision qu'elle a exprimé en 1876 »(76).
31 - L'interprétation exacte ayant été précisée par le conseiller-doyen Renard-Payen, la
qualité des commentateurs conduit à se demander, dans le cadre limité de la présente
étude, si leur erreur d'interprétation n'est pas la conséquence d'une rédaction
défectueuse des motifs de l'arrêt ?
28
Allons directement à la réfutation du moyen, puisque c'est là, et là seulement, que la
Cour de cassation s'exprime. Elle est ainsi rédigée : « Mais attendu que la cour d'appel a
relevé que la LRP mettait en cause le déséquilibre financier existant dès la conclusion du
contrat et non le refus injustifié de la commune et de l'AFJT de prendre en compte une
modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les
modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne
foi ; qu'elle a ajouté que la LRP ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le
déséquilibre structurel du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n'avait
pas su apprécier ; qu'elle a, ainsi, légalement justifié sa décision ».
32 - Ce qui paraît avoir troublé plusieurs commentateurs c'est d'abord que la Cour de
cassation n'ait pas justifié le rejet du pourvoi par l'affirmation qu'il n'existerait aucune
obligation de renégociation en cas de modification des circonstances économiques. Une
telle abstention ne signifiait-elle pas qu'elle n'était pas hostile, par principe, à une telle
obligation ? Cela n'était toutefois pas suffisant pour voir dans cet arrêt la consécration du
principe d'une obligation de renégocier. Il faut donc aller plus loin dans la recherche.
Les commentateurs ont été frappés par le fait que, pour justifier le rejet du pourvoi, il
aurait pu suffire, selon eux, d'écrire « que la cour d'appel a relevé que la LRP mettait en
cause le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat »(77), de telle sorte,
comme l'écrit M. Mazeaud(78), « qu'en précisant, pour écarter son argumentation, que le
demandeur au pourvoi ne reprochait pas à ses cocontractants leur « refus injustifié (...)
de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi
de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et
d'exécution de bonne foi », la première Chambre civile reprend à son compte une
jurisprudence initiée il y a douze ans, et reprise, six ans plus tard, par la Chambre
commerciale ».
33 - Toute la question est alors de savoir si la deuxième proposition, ainsi visée, et cette
reprise de la jurisprudence antérieure qu'elle exprimerait, a pour véritable auteur la Cour
de cassation ou le rédacteur du moyen rejeté par celle-ci. La connaissance de la pratique
des avocats à la Cour de cassation est ici précieuse. Ceux qui, comme moi, ont travaillé
plusieurs années sous leur direction savent bien que les moyens reprennent, chaque fois
que cela est possible, des formules empruntées à de précédents arrêts de la Cour de
cassation, dont ils s'efforcent d'obtenir l'application à l'espèce, afin d'obtenir la censure
demandée. C'est précisément ce qui a eu lieu ici et les formules reproduites dans
l'attendu justifiant le rejet du pourvoi n'expriment pas la confirmation d'une
jurisprudence antérieure, mais se bornent à rappeler des formules pratiquement
identiques qui figuraient dans le moyen écarté. Cela se déduit, selon moi, d'une
comparaison attentive de l'attendu justifiant le rejet et de celui qui expose le moyen du
pourvoi en cassation.
Comme le rappelle « Droit et pratique de la cassation en matière civile »(79), « surtout,
ce qu'il convient de prendre en compte, c'est l'argumentation de droit qui est présentée
par le moyen, où elle est introduite par la locution « alors que ». Il s'agit là du coeur de
la question posée à la Cour de cassation et c'est un point qui doit faire l'objet d'une
attention vigilante »(80). « L'expression « alors que » est obligatoirement suivie par
selon le moyen qui est destinée à bien montrer que ce qui va suivre immédiatement
exprime les prétentions du demandeur en cassation, et non pas la doctrine de la cour
»(81). Le strict respect de l'une ou l'autre » (la forme conditionnelle) « de ces méthodes
de présentation est nécessaire pour empêcher de graves malentendus, car elle permet
d'éviter tout risque de confusion entre l'opinion de la Cour de cassation et celle du
demandeur au pourvoi »(82).
On peut lire en l'espèce dans cet exposé du moyen : « alors, selon le moyen, que les
parties sont tenues d'exécuter loyalement la convention en veillant à ce que son
économie générale ne soit pas manifestement déséquilibrée ; qu'en se déterminant
29
comme elle l'a fait, sans rechercher si, {...} les personnes morales concédantes n'avaient
pas le devoir de mettre la société prestataire de service en mesure d'exécuter son
contrat dans des conditions qui ne soient pas manifestement excessives pour elle et
d'accepter de reconsidérer les conditions de la convention dès lors que, dans son
économie générale, un déséquilibre manifeste était apparu, la cour d'appel n'a pas donné
de base légale à sa décision au regard des articles 1134 et 1147 du code civil ».
C'était ainsi le demandeur au pourvoi et non la Cour de cassation qui invoquait l'article
1134 du code civil, pour en déduire une obligation de renégocier le contrat en raison de
l'évolution des circonstances économiques. Or ce moyen, nous l'avons vu, a été
expressément rejeté. Il semble difficile de déduire de ce rejet la confirmation d'une
obligation dont le moyen rejeté demandait précisément l'application. En réalité, la
mention dans l'attendu justifiant le rejet du « refus injustifié de la commune et de l'AFJT
de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi
de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et
d'exécution de bonne foi » n'est pas autre chose qu'un simple rappel de l'argumentation
du moyen, qui est rejeté au motif que « la LRP mettait en cause le déséquilibre financier
existant dès la conclusion du contrat et non {...} une modification imprévue des
circonstances économiques ».
Comme l'a précisé le conseiller-doyen Renard-Payen(83), ce rappel n'est que la mise en
oeuvre d'un « procédé classique », « préalable au contrôle de » la « motivation », qui
consiste à constater « l'inadéquation du moyen à la motivation de l'arrêt attaqué ». Cette
constatation exige, en effet, de comparer les motifs de l'arrêt attaqué avec les motifs
inadéquats invoqués dans le moyen. La connaissance de cette technique « classique »
aurait permis de comprendre que la seconde proposition, annoncée par « et non »,
n'était pas l'énoncé d'un obiter dictum émanant de la Cour de cassation et susceptible
d'interprétation a contrario, mais le simple rappel de l'argumentation du demandeur au
pourvoi. A défaut, la comparaison attentive de l'argumentation du pourvoi et de la
proposition prise à tort pour un obiter dictum pouvait suffire, selon moi, à « éviter tout
risque de confusion entre l'opinion de la Cour de cassation et celle du demandeur au
pourvoi »(84).
34 - Il est vrai qu'il y avait dans le pourvoi, comme le relève exactement M.
Mazeaud(85), un argument particulier. « L'inégalité contractuelle, qui se traduisait par le
pouvoir détenu par un des contractants de fixer unilatéralement les modalités
d'exécution du contrat, emportait, au nom du devoir de bonne foi et à la charge des
cocontractants du demandeur au pourvoi, une obligation de renégocier ce contrat-cadre
de dépendance manifestement déséquilibré ». La Cour de cassation n'a pas cru devoir
rappeler, de façon spécifique, dans son attendu justifiant le rejet, cet argument
particulier. Elle n'avait aucune raison, en effet, de reproduire là, de façon complète, un
moyen qu'elle avait déjà exposé. Il lui suffisait, encore une fois, d'opposer par la formule
« et non » à la thèse du pourvoi, sommairement rappelée, le fait que l'arrêt attaqué était
motivé par la constatation que le déséquilibre invoqué existait dès la conclusion du
contrat. En revanche, cette opposition était nécessaire à la compréhension de l'arrêt, de
telle sorte qu'il ne peut être reproché aux rédacteurs de l'arrêt un attendu qui, cette fois,
n'aurait pas été assez concis, ce qui aurait conduit certains commentateurs à croire qu'il
s'agissait d'un obiter dictum.
35 - Finalement l'attendu justifiant le rejet devait se lire de la façon suivante : « Mais
attendu que la cour d'appel a relevé que la LRP mettait en cause le déséquilibre financier
existant dès la conclusion du contrat et non », comme le soutient le demandeur dans son
pourvoi, « le refus injustifié de la commune et de l'AFJT de prendre en compte une
modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les
modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne
foi ».
30
Il est incontestable que si l'arrêt avait comporté cette proposition supplémentaire tout
risque d'une erreur de lecture aurait été écarté. Faut-il en conclure que l'absence de
cette précision rend insuffisante la motivation de l'arrêt ? Une réponse négative s'impose
si l'on suppose chez les commentateurs potentiels une bonne maîtrise de la technique du
contrôle de la Cour de cassation et le réflexe impératif de prendre attentivement
connaissance du moyen avant d'interpréter les motifs justifiant le rejet ou la censure.
Tout au plus est-il permis de penser que les rédacteurs des arrêts ont tendance à
surestimer les commentateurs.
36 - J'avais déjà donné des exemples d'erreurs d'interprétation incontestables dans les
Mélanges en l'honneur d'André Ponsard. Ils peuvent être rapprochés de l'indiff,rence,
déjà relevée par M. Boré, à l'égard de « la casuistique de lecture des arrêts », que révèle
la controverse impliquant, en face du conseiller-doyen Paul Grimaldi, des auteurs aussi
confirmés que MM. Aynès, Larroumet et Libchaber.
Cela conduit à se demander s'il ne serait pas opportun d'introduire dans les conditions
d'accès à la magistrature, au barreau(86) ou au notariat, voire aux divers postes
d'enseignants à l'université, tout spécialement pour les responsables, à tous les niveaux,
des travaux dirigés, une épreuve obligatoire d'interprétation d'un arrêt de la Cour de
cassation, comprenant son analyse logique détaillée(87), dont l'apprentissage deviendrait
ainsi un point de passage obligé. On me dira qu'il s'agit d'un exercice bien difficile et trop
« scolaire ». Cependant, savoir rédiger une note de synthèse est très utile pour de futurs
grands commis de l'Etat. Mais savoir lire et comprendre un arrêt de la Cour de cassation
est un préalable indispensable à la connaissance du droit positif, qu'il faut bien connaître
pour l'appliquer et en informer les assujettis, et aussi pour le critiquer.
37 - Comme l'écrivent MM. Jacques et Louis Boré(88) : « L'interprétation de ces arrêts
ne peut donc se faire aisément, sans un minimum de connaissance des ouvertures en
fonction desquelles la Cour de cassation exerce son contrôle. Car il est normal que la
portée d'une cassation pour défaut de motifs ou pour défaut de base légale ne soit pas la
même que celle d'une cassation pour violation de la loi. Et l'on ne peut que souhaiter que
l'enseignement de ces règles devienne un élément de la science du droit, comme il est
déjà un élément de la formation donnée aux jeunes magistrats »(89).
J'ai déjà déploré l'absence actuelle de formation sérieuse des enseignants et des
praticiens chez un avocat à la Cour de cassation. A défaut, il est permis de leur conseiller
d'apprendre, pour les pratiquer et/ou les enseigner, le « droit et la pratique de la
cassation en matière civile »(90).
Mots clés :
CASSATION * Matière civile * Pourvoi en cassation * Arrêt de la Cour de cassation *
Interprétation * Motivation
(1) J. Ghestin, Les données positives du droit, RTD civ. 2002, p. 20, n° 25.
(2) V. J. Leclercq, Le juriste confronté aux « réflexes » interprétatifs du juge, Petites
affiches, 19 déc. 2001, p. 19.
(3) J. Ghestin, article préc., p. 25, n° 38.
(4) J. Ghestin, article préc., p. 24 s., n° 34 s.
(5) D. 2000, n° 13, VI.
(6) L'acquéreur de l'immeuble et la caution du locataire, D. 2000, Chron. p. 155.
31
(7) Cession de contrat : le cautionnement n'est-il plus un accessoire de la créance ?, D.
2000, Jur. p. 224, spéc. n° 11.
(8) Retour sur la motivation des arrêts de la Cour de cassation, et le rôle de la doctrine,
RTD civ. 2000, p. 679, spéc. p. 680.
(9) J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, 3e éd., 2001, n° 1078, p.
1158.
(10) Defrénois 2000, art. 37151, p. 480 s.
(11)Op. cit. note 8, RTD civ. 2000, p. 680.
(12) Son commentaire a été publié dès le 30 avril 2000 et il ne fait pas état de la
communication de M. Grimaldi.
(13)Op. cit., p. 481.
(14) M. Piedelièvre observe que l'article 1743 du code civil n'organise pas « une
subrogation légale de l'acquéreur dans les droits et obligations de l'ancien bailleur »,
mais réalise « une cession légale de contrat », dont les « effets diffèrent partiellement de
l'hypothèse d'une transmission de créance qui aurait conduit à l'application de l'article
1692 du code civil » (op. cit., p. 481-482).
(15)Op. cit., p. 684.
(16) Ouvrage collectif de la Cour de cassation, prenant la suite de celui du conseilllerdoyen Perdriau, Litec, 2003.
(17) D. 2004, p. 708.
(18) L'élaboration d'un arrêt de la Cour de cassation, JCP 2004, I, 108, p. 225 s.
(19) Dans de « libres propos » sur « une certaine idée de l'Université » (Petites affiches,
29 avr. 2004, p. 3, spéc. p. 3 et 4), Mme Michelle Gobert déclare notamment que « tout
le monde est bien d'accord pour que ce soit nous » (les universitaires) « qui assumions la
formation fondamentale, aux professions revenant ensuite de transmettre leur
indispensable et irremplaçable savoir-faire ». Elle précise que « former des juristes
consiste à vérifier, aussi, que les étudiants savent lire un texte et qu'ils ont le réflexe
d'aller en premier lieu à l'original et non à son commentaire ».
(20) Ce n'est pas par hasard que beaucoup d'universitaires préfèrent donner comme
sujet d'examen un cas pratique plutôt que le commentaire d'un arrêt de la Cour de
cassation.
(21) V. A. Breton, L'arrêt de la Cour de cassation, Ann. univ. sc. soc. Toulouse, t. 23,
1975, p. 7 s., spéc. p. 23 ; P. Ourliac, RD rur. 1974, p. 378 ; adde, R. Lindon, La
motivation des arrêts de la Cour de cassation, JCP 1975, I, 2681.
(22) V. notamment l'article classique de A. Touffait et A. Tunc, Pour une motivation plus
explicite des décisions de justice, notamment de celles de la Cour de cassation, RTD civ.
1974, p. 487 ; C. Witz, Libres propos d'un universitaire français à l'étranger, RTD civ.
1992, p. 737.
(23) S. Gjidara, La motivation des décisions de justice : impératifs anciens et exigences
nouvelles, Petites affiches, 26 mai 2004, p. 20, n° 60.
32
(24) La supériorité des Cours suprêmes anglaise et américaine sur ce terrain est pourtant
contestable. V. J. Ghestin, op. cit. note 1, RTD civ. 2002, p. 25, n° 38. Dans un article
récent (The Theory of Contracts, in The Theory of Contract Law, New Essays, ed. by
Peter Benson, Cambridge University Press, 2001, p. 206 à 264), le professeur Eisenberg
montre que l'interprétation des arrêts dans la common law, spécialement quant au
contrat, est entachée des mêmes incertitudes que notre droit jurisprudentiel.
(25)Op. cit., JCP 2004, I, 108, p. 229, n° 23.
(26) F. Bérenger, La motivation des arrêts de la Cour de cassation, PUAM, 2003, préface
C. Atias, p. 19.
(27)Op. cit., p. 186.
(28)Op. cit., p. 19.
(29) Y. Chartier, De l'an II à l'an 2000, Remarques sur la rédaction des arrêts civils de la
Cour de cassation, in Le juge entre deux millénaires, Mélanges offerts à Pierre Drai,
Dalloz, p. 269 s.
(30) V. J. Ghestin et G. Goubeaux, Introduction générale, 4e éd., 1994, avec le concours
de M. Fabre-Magnan, n° 452, p. 415.
(31)Op. cit., p. 282-283.
(32) V. J. Ghestin et G. Goubeaux, préc., n° 454, p. 417-418.
(33) F. Zenati, La nature de la Cour de cassation, Bull. inf. C. cass., 15 avr. 2003, p. 3 à
10.
(34) F. Zenati, préc., p. 8.
(35) V. J. Ghestin et G. Goubeaux, préc., n° 443 s., p. 405 s.
(36) V. J. Ghestin et G. Goubeaux, préc., n° 531, p. 491-492.
(37) P. Hébraud, Le juge et la jurisprudence, in Mélanges Couzinet, p. 347, n° 14.
(38) P. Hébraud, préc. ; A. Breton, préc., p. 28 s.
(39) V. en ce sens, Lerebours-Pigeonnière, Travaux Association Capitant, 1949, p. 75.
(40) M.-N. Jobard-Bachellier et X. Bachellier, La technique de cassation, Pourvois et
arrêts en matière civile, Dalloz, 5e éd., 2003, p. 8.
(41) R. Libchaber, op. cit. note 8, RTD civ. 2000, p. 682 ; S. Gjidara, préc., p. 20, n° 59.
(42) CEDH 31 janv. 1996, Fouquet c/ France, Rec. 1996-I, p. 19 ; JCP 1997, I, 4000, n°
5, obs. F. Sudre ; 19 févr. 1998, Higgins c/ France, RTD civ. 1998, p. 516, obs. J.-P.
Marguénaud ; D. 1998, Somm. p. 369, obs. N. Fricero ; RDP 1998, p. 875, note C. Hyon
; 21 mars 2000, Dulaurans c/ France, RTD civ. 2000, p. 439, obs. J.-P. Marguénaud, et
p. 635, obs. R. Perrot ; JCP 2000, II, 10344, note A. Perdriau ; D. 2000, Jur. p. 883,
note T. Clay.
(43) S. Guinchard, Le droit a-t-il encore un avenir à la Cour de cassation ? (qui cassera
les arrêts de la Cour de cassation ?), in L'avenir du droit, Mélanges en l'honneur de
François Terré, 1999, p. 761 s.
33
(44) R. Perrot, préc. note 42, RTD civ. 2000, p. 634.
(45) V. sur ces arrêts, J.-P. Marguénaud, préc. note 4, RTD civ. 1998, p. 516 s. :
L'obligation de motiver les décisions juridictionnelles dans la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme, et 2000, p. 439 s. : De quelques observations de la
Cour européenne des droits de l'homme sur la Cour de cassation française.
(46)Op. cit., p. 277-278.
(47)Op. cit., p. 283.
(48) Etude préc., p. 6, n° 6.
(49) V. in Bulletin d'information du 1er juin 2004, p. 3 à 19, les déclarations de M.
Lesueur de Givry précédant la publication d'une étude de M. Xavier Henry sur « le
chaînage des arrêts de la Cour de cassation dans le Bulletin civil ».
(50) F. Bérenger, préc., p. 187.
(51) Etude préc., p. 6, n° 6.
(52) Etude préc., p. 6, n° 8.
(53) R. Libchaber, préc. note 8, RTD civ. 2000, p. 681-682 ; S. Gjidara, préc., Petites
affiches, 26 mai 2004, p. 20, n° 59.
(54) Etude préc., p. 6, n° 8.
(55) G. Canivet, Des « professeurs-juges » aux « juges-professeurs », in La Cour de
cassation, l'Université et le Droit, André Ponsard, un professeur à la Cour de cassation,
Etudes en l'honneur d'André Ponsard, Litec, 2003, p. 119.
(56) Préc., Petites affiches, 26 mai 2004, p. 19-20, n° 59.
(57)Op. cit., p. 187.
(58) La cassation en matière civile, Dalloz, 2003-2004, n° 124-70, p. 620.
(59) Italiques ajoutés au texte.
(60) F. Bérenger, La motivation des arrêts de la Cour de cassation, préc., p. 12.
(61) J. Ghestin, Réflexions sur l'interprétation des arrêts de la Cour de cassation, in La
Cour de cassation, l'Université et le Droit, André Ponsard, un professeur de droit à la
Cour de cassation, préc., p. 181 à 194.
(62) Art. préc., n° 7 à 12, sur Cass. com. 18 déc. 2001, Defrénois 2002, art. 37564, p.
821, obs. H. Hovasse.
(63) Art. préc., n° 13 à 19, sur l'arrêt Leroux, Cass. 1re civ. 18 juill. 2000, D. 2001,
Somm. p. 1607, obs. J. Revel ; F. Sauvage et D. Faucher, L'assurance-vie est-elle
toujours hors succession ?, JCP éd. N 2000, p. 1683 ; P. Julien Saint-Amand et J.-M.
Coquema, Coup de pied dans la fourmilière, l'arrêt « Leroux » du 18 juillet 2000, Droit et
Patrimoine, 2001, p. 33, p. 29 ; NDLR du Defrénois 2000, art. 37257, p. 1277.
(64) Art. préc., n° 20 à 27, sur Cass. com. 2 mars 1993, JCP 1993, II, 22176, note M.
34
Behar-Touchais ; D. 1994, Jur. p. 48, note M. Aubert-Monpeyssen. Il est vrai que sur ce
dernier exemple une motivation plus explicite aurait incontestablement facilité le travail
des commentateurs en les incitant à se reporter au dossier de procédure. Là encore,
cependant, la formation acquise à la conférence du stage des avocats aux Conseils
montre son utilité puisque, à ma connaissance, les discours des candidats sont
aujourd'hui encore préparés à partir des dossiers réels, aimablement communiqués par
les avocats qui ont rédigé les mémoires.
(65) L'épreuve avait lieu devant l'ensemble des professeurs de droit privé de la faculté.
Opinant le dernier j'avais été le premier à énoncer cette critique qu'après une brève
discussion tout le monde avait trouvé de nature à justifier l'élimination du candidat.
(66) M.-N. Jobard-Bachellier et X. Bachellier, La technique de cassation, Pourvois et
arrêts en matière civile, préc., p. 30.
(67)Société Les repas parisiens (LRP) c/ Association Foyers des jeunes travailleurs
(AFJT), D. 2004, Jur. p. 1754, note D. Mazeaud ; RTD civ. 2004, p. 290, obs. J. Mestre et
B. Fages.
(68) Article précité, titre et dernier paragraphe.
(69) J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, préc., n° 349, p. 416.
(70) O. Renard-Payen, JCP éd. E 2004, n° 737, p. 817.
(71) BRDA 30 avr. 2004, p. 8.
(72) Les notaires face aux défis du siècle. Panorama des travaux du Congrès, Petites
affiches, 11 juin 2004, p. 6. J'ignore si cet arrêt a été cité lors des débats qui ont précédé
le refus du voeu présenté par la deuxième commission.
(73) Vers une extension de l'obligation de renégociation en matière contractuelle ?,
Petites affiches, 28 juin 2004, p. 18 s., spéc. p. 20.
(74) D. Houtcieff, L'obligation de renégocier en cas de modification imprévue des
circonstances. Quand la première Chambre civile manie l'art de la litote..., Rev. Lamy Dr.
civil, juin 2004, n° 6, p. 5 s.
(75) Préc., D. 2004, Jur. p. 1754 s.
(76) Note préc., n° 5 à 8, p. 1755-1756. L'auteur ajoute prudemment, n° 8, « Si
l'analyse n'est pas erronée... ». V. un second commentaire semblable du même auteur,
RDC 2004, p. 642 s. ; adde, L. Aynès, Droit et patrimoine, juill.-août 2004, p. 40, note 2,
qui tient déjà la solution, fondée sur « l'obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi
», comme acquise ; D. Schmidt, D. 2004, Point de vue, p. 2132, pour qui « c'est là
l'essentiel ».
(77) Texte de l'arrêt.
(78) Note préc., n° 7, p. 1755.
(79) Litec, 2003, Avant-propos, p. XII.
(80)Op. cit., n° 1033, p. 358.
(81)Op. cit., n° 1045, p. 361.
35
(82)Op. cit., n° 1046, p. 361.
(83) Obs. préc., p. 818.
(84) Droit et pratique de la cassation en matière civile, préc., n° 1046, p. 361.
(85) Note préc., n° 2, p. 1755.
(86) A ma connaissance, dans certains Instituts d'études judiciaires, les commentaires
d'arrêts sont choisis comme épreuve d'examen, en alternance avec des cas pratiques.
Dans d'autres, les cas pratiques sont largement et malheureusement privilégiés.
(87) La deuxième épreuve du concours d'agrégation de droit privé porte sur un
commentaire de texte. A ma connaissance, plus de la moitié des textes choisis sont
pratiquement des arrêts de la Cour de cassation. Cela va naturellement dans le bon sens,
surtout si l'on donne à l'analyse logique des arrêts l'importance qu'elle mérite. Il faudrait
toutefois être certain que tous les membres du jury d'agrégation attachent de
l'importance à l'interprétation des arrêts de la Cour de cassation conformément aux
règles spécifiques auxquelles elle est soumise.
(88)Op. cit., n° 124-70, p. 620.
(89) V. sur l'interprétation d'un arrêt de la Cour de cassation, J. Ghestin et G. Goubeaux,
Introduction générale, 4e éd., 1994, avec le concours de M. Fabre-Magnan, n° 521 à
529, p. 485 à 490.
(90) C'est le titre de l'ouvrage collectif de la Cour de cassation, prenant la suite de celui
du conseilller-doyen Perdriau, Litec, 2003, Avant-propos, p. XII. « Plus particulièrement
destiné aux magistrats de la Cour de cassation et aux avocats aux Conseils, il présente
également un intérêt certain pour les universitaires, ainsi que pour les juridictions du
fond, les avoués et avocats au barreau ». Ils peuvent également se référer à l'ouvrage de
MM. Boré « La cassation en matière civile », préc., ou celui de Mme Jobard-Bachellier et
de M. Bachellier sur la « Technique de cassation », préc, à propos duquel A. Ponsard
écrivait dans sa préface : « je souhaite et j'espère fermement le succès de ce livre, qui
permettra à tous, et notamment aux étudiants, de comprendre le sens et la portée des
arrêts de la Cour de cassation ».
36
Thème N° 7 :
L’EFFET RELATIF DU CONTRAT
DOCUMENTS
I. Effet relatif du contrat et opposabilité du contrat aux tiers ou par les tiers :
- Doc 1 : Cass. 1ier civ. 13 février 2001, n° 99-13.589
- Doc 2 : Com . 5 avril 2005, n° 03-19.370, RDC 2005, p. 687 , obs. D. Mazeaud.
- Doc 3 : Ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13255, D. 2006, p. 2825, note G. Viney.
- Doc 4 : Ass. plén., 9 mai 2008, n° 07-12449, D. 2008, p. 1412.
- Doc 5 : Cass. civ 3ième 12 janvier 2011, n° 10-10667, D. 2011, p ; 851, note L. Aynès.
II. La relativité des effets du contrat dans la chaine des contrats :
- Cas de la chaine des contrats translatifs de propriété :
Doc 6 : Ass. plén. 7 févr. 1986, n° 83- 14631 ;
Doc 7 : Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20842, D. 2007, p. 2017, note S. Bollée.
- Cas de la chaîne de contrats non translatifs de propriété :
Doc 8 : Ass. plén. 12 juill. 1991, n° 90-13602 ;
Doc 9 : Civ. 1re, 10 janv. 2006, n° 03-17839 ; D. 2006 p. 365, note X. Delpech.
Cas du contrat à « effet transversal » :
Doc 10 : Civ. 3e, 3 mai 2007, n° 06-11591, D. 2007, p. 2068, note J. Rochfeld.
37
DOCUMENTS
Doc 1 : Cour de cassation, chambre civile 1, 13 février 2001
N° de pourvoi: 99-13589
Publié au bulletin
Cassation partiellement sans renvoi.
Sur le moyen unique :
Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;
Attendu que les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur
contractuel lorsque ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autre
preuve ;
Attendu qu'en 1983 Claude X... a été contaminé par le virus de l'immuno déficience humaine
à l'occasion d'une transfusion sanguine réalisée avec des produits fournis par le Centre
régional de transfusion sanguine de Rennes (le Centre) ; qu'il a été indemnisé de son préjudice
spécifique de contamination par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles ;
qu'après son décès, survenu en septembre 1992, consécutif à un SIDA déclaré, sa fille
Christelle X..., alors âgée de 17 ans, a engagé devant les juridictions de droit commun une
action contre le Centre et son assureur, la compagnie Axa, aux fins de réparation du préjudice
par ricochet, moral et économique, qu'elle subissait du fait de la mort de son père ; que l'arrêt
attaqué l'a déboutée de son action au motif qu'elle ne pouvait invoquer l'obligation
contractuelle de sécurité de résultat pesant sur le Centre en l'absence de lien contractuel
avec celui-ci et qu'elle ne rapportait pas la preuve d'une faute dudit centre ;
Attendu qu'en statuant ainsi alors qu'un centre de transfusion sanguine est tenu d'une
obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les produits sanguins qu'il cède et que le
manquement à cette obligation peut être invoqué aussi bien par la victime immédiate que par
le tiers victime d'un dommage par ricochet, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et attendu, en application de l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, qu'il
y a lieu à cassation sans renvoi, en ce qui concerne le droit pour Mlle X... d'invoquer à
l'encontre du Centre régional de transfusion sanguine de Rennes l'obligation de sécurité de
résultat à laquelle il est tenu, la Cour de Cassation pouvant mettre fin au litige de ce chef en
appliquant la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de Mlle Christelle X...
tendant à la réparation de son préjudice par ricochet, l'arrêt rendu le 25 février 1998, entre les
parties, par la cour d'appel de Rennes ;
38
Doc 2 : Cour de cassation, chambre commerciale, 5 avril 2005
N° de pourvoi: 03-19370
Publié au bulletin
Cassation.
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société d'exploitation française de recherches
Bioderma (la SEFRB) a consenti à la société Lyonnaise pharmaceutique (la société Lipha)
une licence exclusive de commercialisation de produits cosmétiques ; que la société Merck
ayant pris le contrôle de la société Lipha, cette dernière s'est engagée à s'abstenir de toute
concurrence envers la SEFRB durant deux ans ; que la société Bioderma, filiale de la société
SEFRB, créée après l'intervention de ce protocole afin de reprendre la commercialisation des
produits, a poursuivi la société Lipha, aux droits de laquelle est désormais la société Merck
santé France, en réparation du préjudice causé par manquement à son engagement ; qu'après
avoir ordonné une expertise par arrêt du 14 avril 2000, la cour d'appel a liquidé ce préjudice
par arrêt du 16 janvier 2003 ;
Attendu que pour déclarer la société Bioderma fondée à engager la responsabilité de la société
Merck santé France en raison de la violation du protocole d'accord, et condamner celle-ci au
paiement de diverses sommes en réparation du préjudice consécutif, l'arrêt du 14 avril 2000
retient que, s'ils ne peuvent être constitués débiteurs ou créanciers, les tiers à un contrat
peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat et
demander, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la réparation du préjudice
résultant de la violation du contrat, et l'arrêt du 16 janvier 2003, que cette décision a reconnu
l'intérêt d'un tiers à agir en réparation du préjudice résultant de la violation du contrat auquel
il n'est pas partie sur le fondement de la responsabilité délictuelle ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'un tiers ne peut, sur le fondement de la
responsabilité délictuelle, se prévaloir de l'inexécution du contrat qu'à la condition que cette
inexécution constitue un manquement à son égard au devoir général de ne pas nuire à autrui,
la cour d'appel, qui n'a pas recherché si les agissements reprochés constituaient une faute à
l'égard de la société Bioderma, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, les arrêts rendus les 14 avril 2000 et 16
janvier 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et
les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les
renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Doc 3 : Cour de cassation, Assemblée plénière, 6 octobre 2006
N° de pourvoi: 05-13255
Publié au bulletin
Rejet
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 2005), que les consorts X... ont donné à bail un
immeuble commercial à la société Myr'Ho qui a confié la gérance de son fonds de commerce
39
à la société Boot shop ; qu'imputant aux bailleurs un défaut d'entretien des locaux, cette
dernière les a assignés en référé pour obtenir la remise en état des lieux et le paiement d'une
indemnité provisionnelle en réparation d'un préjudice d'exploitation ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de la société Boot
shop, locataire-gérante, alors, selon le moyen, "que si l'effet relatif des contrats n'interdit pas
aux tiers d'invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n'ont pas été
parties, dès lors que cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une
action en responsabilité délictuelle, encore faut-il, dans ce cas, que le tiers établisse l'existence
d'une faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue
contractuel ; qu'en l'espèce, il est constant que la société Myr'Ho, preneur, a donné les locaux
commerciaux en gérance à la société Boot shop sans en informer le bailleur ; qu'en affirmant
que la demande extra-contractuelle de Boot shop à l'encontre du bailleur était recevable, sans
autrement caractériser la faute délictuelle invoquée par ce dernier, la cour d'appel a entaché sa
décision d'un manque de base légale au regard de l'article 1382 du code civil" ;
Mais attendu que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité
délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage
; qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que les accès à l'immeuble loué n'étaient pas
entretenus, que le portail d'entrée était condamné, que le monte-charge ne fonctionnait pas et
qu'il en résultait une impossibilité d'utiliser normalement les locaux loués, la cour d'appel, qui
a ainsi caractérisé le dommage causé par les manquements des bailleurs au locataire-gérant du
fonds de commerce exploité dans les locaux loués, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les 2ème et 3ème moyens, dont aucun ne serait de
nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
La responsabilité du débiteur à l'égard du tiers auquel il a causé un dommage en
manquant à son obligation contractuelle
Geneviève Viney, Professeur émérite à l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne
Recueil Dalloz 2006 p. 2825
Par son arrêt du 6 octobre 2006, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation prend parti sur
une question qui fait difficulté depuis plus d'un siècle, celle de la responsabilité du débiteur
vis-à-vis du tiers auquel le manquement à une obligation contractuelle a causé un dommage.
De fait, si la question est importante et a suscité un contentieux considérable, c'est qu'elle se
pose dans toutes sortes de situations qui se présentent quotidiennement dans la pratique(1). La
plus simple est celle des victimes par ricochet, tiers au contrat conclu par leur auteur, mais qui
peuvent souffrir de son inexécution lorsqu'elle a eu des conséquences dommageables pour
elles, comme c'est souvent le cas, notamment lors d'un accident corporel de transport. Plus
nombreuses et diversifiées sont les hypothèses dans lesquelles un tiers se plaint du défaut
d'une chose, meuble ou immeuble, qu'il impute au fournisseur ou au constructeur. Le vice dû
à l'activité de l'un des professionnels qui ont participé à l'édification ou à la restauration d'un
immeuble peut être, en effet, à l'origine d'accidents ou de dommages qui atteignent des
personnes autres que le cocontractant initial. Il en va de même en cas de défaut de conception
ou de fabrication d'un produit de consommation ou de manquement à l'obligation
d'information lorsque le dommage atteint, non pas le cocontractant direct du fabricant ou du
40
vendeur, mais un tiers, ou encore lorsque c'est un tiers qui subit les conséquences de
l'inexécution d'une prestation de service promise par un mandataire, un entrepreneur, un
bailleur, etc. Dans toutes ces hypothèses, le demandeur à l'action en responsabilité peut être
soit un tiers absolu, qui n'a aucun lien contractuel avec le créancier, soit un sous-contractant
(sous-acquéreur, sous-locataire) ou encore le maître de l'ouvrage en cas de sous-traitance.
Sur le principe même de la possibilité pour le tiers de mettre en jeu la responsabilité du
débiteur, on aurait pu hésiter au nom d'une interprétation large de l'article 1165 du code civil,
qui a d'ailleurs été soutenue(2). En effet, le tiers, en invoquant le manquement contractuel,
paraît « profiter » du contrat, ce que prohibe le texte. Pourtant, cette conception rigoriste, si
elle a été parfois admise(3), est aujourd'hui clairement abandonnée. Il y a longtemps, en effet,
que les auteurs et les tribunaux s'accordent pour admettre que, au moins dans les cas où « une
faute envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel » est
caractérisée, elle peut fonder, au profit du tiers, une action en responsabilité contre le débiteur.
Cette solution s'inspire en effet de l'idée de bon sens que le contrat ne peut et ne doit pas
servir d'alibi pour nuire impunément aux tiers(4).
En revanche, deux questions ont été âprement débattues à propos de cette responsabilité. La
première concerne la définition du manquement contractuel dont le tiers est admis à se
prévaloir pour justifier la responsabilité du débiteur et la seconde a trait au régime contractuel ou extracontractuel - qu'il convient d'appliquer à celle-ci.
Sur ces deux points, des divergences se sont, en effet, manifestées non seulement en doctrine,
mais au sein même de la Cour de cassation, ce qui rendait inévitable l'intervention de
l'Assemblée plénière.
L'espèce qui a donné lieu à celle-ci est assez banale. Un immeuble à usage commercial avait
été donné à bail et le locataire avait, par un contrat distinct, qui, semble-t-il, ne fut pas porté à
la connaissance du bailleur, confié la gérance de son fonds de commerce à une société. Celleci, ayant constaté un défaut d'entretien, assigna le bailleur pour obtenir la remise en état des
lieux et le paiement d'une indemnité provisionnelle en réparation de son préjudice
d'exploitation. Cette demande fut accueillie par la Cour d'appel de Paris dont l'arrêt fut frappé
d'un pourvoi en cassation.
Le premier moyen du pourvoi alléguait « que si l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux
tiers d'invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n'ont pas été
parties, dès lors que cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une
action en responsabilité délictuelle, encore faut-il, dans ce cas, que le tiers établisse
l'existence d'une faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de
vue contractuel ; qu'en l'espèce il est constant que la société Myr'ho a donné les locaux
commerciaux en gérance à la société Bootshop sans en informer le bailleur ; qu'en affirmant
que la demande extracontractuelle de Bootshop à l'encontre du bailleur était recevable, sans
autrement caractériser la faute délictuelle invoquée par ce dernier, la cour d'appel a entaché
sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ».
Or ce moyen fut rejeté au motif que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de
la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a
causé un dommage ».
Ce motif révèle que la Cour de cassation a pris position non seulement sur la nature du
41
manquement contractuel susceptible d'ouvrir au tiers une action en responsabilité contre le
débiteur (I), mais aussi sur le régime applicable à cette responsabilité (II).
I - La nature du manquement contractuel susceptible d'ouvrir au tiers une action en
responsabilité contre le débiteur
Les hésitations jurisprudentielles et les controverses doctrinales auxquelles a donné lieu la
définition du fait qui engage la responsabilité du débiteur vis-à-vis du tiers (A) obligeaient
l'Assemblée plénière à prendre parti (B), ce qui amène à s'interroger sur le bien-fondé de la
solution qu'elle a adoptée (C).
A - Longtemps, la Cour de cassation a clairement imposé une certaine spécificité de la faute
susceptible d'engager la responsabilité du débiteur par rapport à la faute contractuelle. Elle
exigeait, en effet, que les juges relèvent, à l'appui de la condamnation prononcée au profit du
tiers, « une faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue
contractuel »(5). Or, d'après l'interprétation retenue par la majorité des auteurs, il semble que,
par cette formule, la Cour suprême entendait subordonner la responsabilité à la preuve de la
violation par le débiteur d'une règle de portée générale dont celui-ci aurait dû répondre, même
s'il n'y avait pas eu de contrat, en application de l'article 1382 du code civil(6). Il fallait, en
d'autres termes, établir une faute « détachable du contrat »(7). Cette condition a été
également exigée par la Cour de cassation de Belgique qui l'a toujours maintenue, avec
l'approbation de la doctrine belge.
Mais, en droit français, par la suite, le contrôle de ce caractère « détachable » s'est
progressivement relâché, la Cour de cassation ayant eu tendance à se contenter de vérifier que
les juges du fond avaient bien reproduit la formule rituelle d'après laquelle « la faute avait été
envisagée en elle-même, en dehors de tout point de vue contractuel », mais sans exiger qu'ils
expliquent en quoi cette faute se distinguait réellement de la simple inobservation de
l'obligation contractuelle(8).
Et l'examen de nombreuses décisions montre, d'ailleurs, que, bien loin de manifester des
exigences particulières vis-à-vis des tiers qui fondent une action délictuelle sur l'inobservation
d'une obligation contractuelle, la Cour de cassation a eu tendance, par la suite, à transposer
purement et simplement, pour l'appréciation de la faute délictuelle, la définition
contractuelle(9). Cette attraction des règles contractuelles est notamment très frappante en ce
qui concerne la responsabilité des fabricants vis-à-vis des tiers pour les dommages causés par
un vice de la chose. La Cour de cassation a, en effet, admis à plusieurs reprises que le fait de
commercialiser une chose atteinte d'un vice est une faute susceptible d'engager la
responsabilité délictuelle du fabricant à l'égard des tiers(10). Cette appréciation était
évidemment inspirée par le souci d'aligner la protection des tiers sur celle du
cocontractant(11).
Toutefois, cette identification pure et simple de la faute susceptible d'engager la responsabilité
du débiteur vis-à-vis des tiers au simple manquement contractuel ne s'est jamais jusqu'à
présent imposée totalement. Les objections et les résistances qu'elle a rencontrées expliquent
le maintien, au cours des années récentes, d'un courant favorable à l'autonomie de la faute
délictuelle par rapport à la faute contractuelle.
Ce courant est illustré par un certain nombre d'arrêts émanant de la première et de la troisième
Chambres civiles de la Cour de cassation(12), mais c'est la Chambre commerciale qui semble
42
bien lui être restée la plus fidèle puisqu'elle a réaffirmé en 1997(13), en
2005(15) qu'un manquement contractuel ne suffit pas par lui-même
responsabilité du débiteur vis-à-vis du tiers, celui-ci devant démontrer
manquement à une obligation générale de prudence ou de diligence »(16)
général de ne pas nuire à autrui »(17).
2002(14) et en
à justifier la
en outre « le
ou au « devoir
Cependant, depuis le début des années 1990, le courant inverse, favorable à l'admission de
l'action du tiers pour tout manquement contractuel du débiteur, s'est considérablement
renforcé. Cette position est illustrée principalement par de très nombreux arrêts de la première
Chambre civile(18) qui a d'ailleurs employé, au moins à trois reprises, une formule
particulièrement énergique en affirmant que « les tiers à un contrat sont fondés à invoquer
l'exécution défectueuse de celui-ci lorsqu'elle leur a causé un dommage, sans avoir à
apporter d'autres preuves »(19).
Ajoutons que la deuxième et la troisième Chambres civiles se sont ralliées à la première
Chambre civile au cours des années 1990(20), isolant ainsi la Chambre commerciale qui avait
d'ailleurs adopté à plusieurs reprises la position des autres chambres(21), avant de revenir, le
17 juin 1997, à la thèse de l'autonomie de la faute délictuelle par rapport au simple
manquement contractuel.
On constate ainsi à quel point la jurisprudence est restée divisée jusqu'à l'intervention de
l'Assemblée plénière(22).
Quant à la doctrine, elle a été visiblement partagée entre son souci d'assurer une protection
satisfaisante des droits des victimes et son attachement à la relativité de la faute contractuelle.
Celui-ci a donc conduit certains auteurs(23) à soutenir que n'importe quel manquement
contractuel ne saurait suffire à fonder la responsabilité du débiteur vis-à-vis des tiers et à
proposer, en conséquence, plusieurs critères susceptibles de caractériser l'inexécution
justifiant cette responsabilité.
On a notamment mis en avant, dans cette perspective, une distinction entre l'inexécution des «
obligations strictement contractuelles », caractéristiques du contrat, et le manquement à un
devoir de portée générale greffé sur le contrat mais reflétant une règle de conduite qui
s'impose également dans les rapports extracontractuels, comme l'obligation de sécurité, ou le
devoir d'information, de mise en garde ou de conseil. Alors que seul le cocontractant pourrait
se prévaloir du manquement à une obligation « strictement contractuelle », les tiers seraient
autorisés à fonder leur action sur le manquement à l'une des obligations accessoires ajoutées
par la jurisprudence aux obligations principales(24).
Une autre distinction a été également évoquée. Elle opposerait les obligations stipulées dans
l'intérêt exclusif du créancier, et dont celui-ci serait seul habilité à se prévaloir, à celles qui le
sont également dans l'intérêt d'autres personnes, celles-ci étant alors autorisées à se fonder sur
leur inexécution pour justifier la responsabilité du débiteur lorsqu'elles ont subi un
dommage(25).
Or, entre ces deux distinctions, qui d'ailleurs se recoupent partiellement, l'Assemblée plénière
n'a pas eu à choisir car elle a suivi la voie indiquée par la première Chambre civile en
admettant que tout manquement contractuel peut entraîner la responsabilité du débiteur vis-àvis du tiers auquel il a causé un dommage.
43
B - En effet, le premier moyen de cassation, seul examiné par la Cour de cassation, les autres
ayant été négligés comme « n'étant pas de nature à permettre l'admission du pourvoi », avait
soulevé l'objection traditionnelle selon laquelle le tiers demandeur n'avait pas établi
l'existence d'une « faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de
vue contractuel ». Or, pour rejeter ce moyen, l'Assemblée plénière s'est contentée de répondre
que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un
manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». La formule
est donc très large, et l'examen de l'espèce montre clairement que la Haute juridiction n'a pas
voulu consacrer la distinction entre les « obligations strictement contractuelles » dont la
méconnaissance ne pourrait être invoquée par les tiers et les « devoirs de portée générale »
greffés sur le contrat par la jurisprudence, qui pourraient l'être. En effet, en l'occurrence, le
manquement invoqué portait sur l'obligation d'entretien de la chose louée qui est l'une des
obligations caractéristiques du bail.
En revanche, l'idée de distinguer entre obligations contractées dans l'intérêt exclusif du
créancier et obligations stipulées également dans l'intérêt d'autres personnes est moins
nettement repoussée car on peut soutenir que le devoir d'entretien de la chose louée est destiné
à profiter à toute personne qui aura à faire usage de cette chose.
Quoi qu'il en soit, l'Assemblée plénière n'a formulé aucune adhésion à cette distinction, ce qui
incite à penser qu'elle a voulu adopter la conception la plus large du manquement contractuel
susceptible de fonder l'action en responsabilité de tiers.
C - Or, tout compte fait, il nous semble que cette prise de position est opportune. En effet, dès
lors qu'un manquement contractuel est la cause directe d'un dommage subi par un tiers, les
éléments de la responsabilité se trouvent réunis, le manquement contractuel étant en soi un
fait illicite. Admettre la responsabilité n'a donc, dans ce cas, rien de choquant en droit ni en
équité.
En outre, les limites que l'on a proposé d'assigner à cette responsabilité se révèlent dans la
pratique extrêmement fuyantes et difficiles à cerner. En effet, distinguer entre « obligations
strictement contractuelles » et « devoirs de portée générale greffés sur le contrat » n'a rien
d'évident. Si, par exemple, l'obligation de sécurité peut généralement être rattachée à la
seconde catégorie, il arrive cependant que le contrat porte spécifiquement sur la sécurité et
qu'il contienne des stipulations aménageant de façon particulière cette obligation. La même
remarque peut également être faite à propos des obligations d'information, de mise en garde et
de conseil, ainsi que de toutes celles que la jurisprudence a admises pour assurer la conformité
du contrat à l'attente légitime des parties.
Quant à la distinction entre les obligations stipulées dans l'intérêt exclusif du créancier et
celles qui prennent en compte l'intérêt des tiers ou de certains d'entre eux, elle est tout aussi
imprécise et évanescente. Il a été, en effet, démontré de façon convaincante que les lois
supplétives qui décrivent les obligations attachées aux contrats les plus usuels s'inspirent en
réalité de l'intérêt général(26). Elles ont pour objet de proposer des modèles susceptibles de
faire de ces standards contractuels les instruments les mieux adaptés aux opérations
économiques qu'ils servent à réaliser, ce qui implique qu'elles prennent en compte non
seulement les intérêts légitimes des parties, mais aussi ceux des tiers(27).
D'ailleurs, le seul fait que le tiers soit en mesure de démontrer qu'il a subi un dommage lié
directement au manquement contractuel suffit à établir que le respect de l'obligation
44
inexécutée présentait un intérêt pour lui.
Admettre la responsabilité du débiteur qui, en manquant à l'une de ses obligations
contractuelles, a directement porté préjudice à un tiers paraît donc, en définitive, tout à fait
acceptable sans qu'il soit nécessaire de restreindre cette responsabilité aux manquements qui
caractériseraient une « faute envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue
contractuel ». En revanche, ce qui semble beaucoup plus contestable, c'est de soumettre cette
responsabilité au régime délictuel, au risque de déstabiliser le contrat.
II - Le régime applicable à la responsabilité du débiteur vis-à-vis du tiers pour manquement à
une obligation contractuelle
L'Assemblée plénière affirme, dans son arrêt du 6 octobre 2006, que la responsabilité du
débiteur vis-à-vis du tiers est de nature délictuelle, ce qui paraît consacrer une solution
traditionnelle. Pourtant, l'analyse du droit positif révèle que des exceptions importantes ont
été apportées à ce principe (A). En outre, les arguments invoqués à l'appui de celui-ci se
heurtent à des objections très sérieuses qui amènent à s'interroger sur son bien-fondé (B).
A - Sans reprendre les étapes d'une évolution jurisprudentielle particulièrement complexe(28),
on constate que si la Cour de cassation a toujours admis qu'en règle générale l'action du tiers
qui se plaint des conséquences d'un manquement contractuel est soumise au régime délictuel,
elle n'en a pas moins, dans certains cas qui sont loin d'être négligeables, donné la préférence à
l'application du régime contractuel.
C'est d'abord au profit des victimes par ricochet d'accidents de transport que la Haute
juridiction a consacré l'existence d'une « stipulation pour autrui tacite » permettant aux
proches du passager tué dans l'accident de se fonder sur le contrat pour obtenir le bénéfice de
l'« obligation de sécurité » qui avait été admise dès 1911 au profit de la victime
immédiate(29). Cette jurisprudence a cependant été, par la suite, nuancée par la possibilité
laissée aux proches de refuser le bénéfice de la stipulation afin de profiter des avantages que
l'évolution du régime délictuel leur permettait d'espérer(30) et elle a même été récemment
remise en question à propos d'une affaire où étaient en cause les règles de conflit de lois
applicables à l'action en responsabilité(31). En revanche, de nombreux textes sont intervenus
pour soumettre les victimes d'accidents de transport à des règles d'indemnisation qui
s'appliquent uniformément au passager lui-même et à ses proches(32). Or ces dispositions
prévoient une responsabilité de nature contractuelle. D'ailleurs, la notion de stipulation pour
autrui a été reprise par la Cour de cassation le 20 octobre 2005 à propos d'une action en
responsabilité dirigée contre l'Etablissement français du sang par une personne qui avait été
contaminée et qui fondait son action sur le contrat liant cet établissement à l'hôpital(33).
Quant à la seconde catégorie d'exceptions à l'application du régime délictuel à l'action du tiers
contre le débiteur, elle concerne les actions en responsabilité exercées entre membres d'une
chaîne de contrats. On sait, en effet, qu'après bien des péripéties(34), « l'action directe en
responsabilité nécessairement contractuelle », que la première Chambre civile avait admise
en 1988 au profit de tous les tiers « qui n'ont souffert du dommage que parce qu'ils avaient un
lien avec le contrat initial »(35), a vu son domaine limité par l'Assemblée plénière qui, par
son fameux arrêt Besse du 12 juillet 1991, a refusé l'application du régime contractuel à
l'action du maître de l'ouvrage contre le sous-traitant(36). Toutefois, la Cour de cassation a
précisé par la suite que cette restriction ne signifiait nullement que « l'action directe
nécessairement contractuelle » devait être écartée dans ses applications traditionnelles,
45
notamment dans les chaînes de ventes(37) où elle est admise depuis la fin du XIXe siècle sur
le fondement de la garantie des vices cachés(38), ainsi que dans le domaine de la construction
immobilière où elle a même été étendue aux ensembles comportant à la fois des ventes et des
contrats d'entreprise(39). Une distinction s'est ainsi dessinée entre les chaînes de contrats qui
réalisent le transfert de la propriété d'une chose, meuble ou immeuble, et les autres groupes de
contrats(40). Seules les premières font naître entre leurs membres des relations justifiant,
selon la Cour de cassation, la mise en oeuvre d'une responsabilité contractuelle. Quant aux
chaînes de contrats qui n'ont pas cet effet car elles portent sur une prestation de service, elles
ne créent pas, d'après la Haute juridiction, de rapports contractuels entre les membres
extrêmes et l'action en responsabilité du destinataire de la prestation contre un membre de la
chaîne auquel il n'est pas lié par contrat est donc de nature délictuelle(41), sauf si un texte
prévoit spécialement une action directe contractuelle, ce qui est le cas notamment pour
certains transports de marchandises(42).
Finalement, l'arrêt Besse n'a donc pas provoqué une réaction brutale en faveur de l'application
du seul régime délictuel à l'action du tiers fondée sur le manquement contractuel. Il a conduit
à un partage particulièrement complexe entre l'application des deux régimes concurrents(43).
Par son arrêt du 6 octobre 2006, l'Assemblée plénière ne rompt pas avec ces solutions
puisqu'elle exprime son choix en faveur du régime délictuel dans une hypothèse où le
demandeur et le défendeur faisaient certes partie d'une chaîne de contrats, mais où celle-ci
n'avait pas eu d'effet translatif de propriété. La position adoptée est donc conforme à la
jurisprudence antérieure.
B - Est-elle pour autant justifiée ?
1 - Pour en juger, on peut d'abord s'interroger sur l'opportunité de maintenir deux régimes
différents, certaines actions des tiers contre le débiteur étant qualifiées de « délictuelles »
alors que d'autres sont soumises aux règles contractuelles.
D'après la doctrine dominante, ce partage serait fondé sur la théorie de l'accessoire(44). Si la
Cour de cassation admet que le sous-acquéreur est en mesure d'exercer une action directe
contractuelle contre le fabricant ou le vendeur intermédiaire, ce serait, d'après ces auteurs,
parce qu'il aurait acquis, en même temps que la chose et à titre d'accessoire à celle-ci, les
actions en garantie et en responsabilité qui sont liées à cette chose. En revanche, dans les
autres situations où un tiers cherche à mettre en cause la responsabilité du débiteur pour
manquement au contrat, la théorie de l'accessoire, qui suppose le transfert d'un bien auquel on
rattache un accessoire, est évidemment inutilisable.
Cependant, cette explication est loin d'être pleinement satisfaisante.
D'abord, on peut observer que la Cour de cassation n'a pas, elle-même, tiré toutes les
conséquences de la théorie de l'accessoire. En effet, celle-ci impliquerait, en principe, que les
actions en garantie et en responsabilité soient transmises avec la chose elle-même, de telle
sorte que seul le dernier acquéreur devrait être habilité à les utiliser. Or, ce n'est pas la
solution qu'a retenue la Cour de cassation. Elle a, au contraire, explicitement affirmé que le
vendeur intermédiaire, même après qu'il s'est dessaisi de la chose qu'il a cédée à un sousacquéreur, conserve le droit, s'il y a intérêt, d'exercer l'action directe en responsabilité
contractuelle contre les maillons antérieurs de la chaîne de distribution(45). Cette solution est
donc en contradiction avec la théorie de l'accessoire qui impliquerait que la cession du bien
46
entraîne la perte par le cédant de la possibilité d'exercer les actions en responsabilité(46).
Par ailleurs, les conséquences tirées de l'application de cette théorie manquent de cohérence.
En effet, l'action contractuelle directe est admise dans des chaînes de contrats hétérogènes qui
engendrent, par conséquent, des obligations sensiblement différentes, alors qu'en revanche, en
cas de sous-contrat où il y a dépendance absolue du sous-contrat par rapport au contrat
principal qui, tous deux, portent sur la même obligation, on fait abstraction du lien contractuel
et on soumet la situation au régime délictuel qui est manifestement inadapté.
En outre, la distinction entre chaînes translatives de propriété et chaînes non translatives n'est
pas toujours facile à mettre en oeuvre. La démonstration en a été faite à propos de la situation
du fabricant d'éléments préfabriqués qui est, selon les cas, considéré comme vendeur ou
comme sous-traitant(47). Cette difficulté a été également mise en évidence à propos de
l'hypothèse, très fréquente, dans laquelle le matériau est fourni, non pas à l'entrepreneur
principal, mais à un sous-traitant qui l'incorpore à l'immeuble, livré ensuite au maître de
l'ouvrage. On se trouve alors en présence d'une chaîne de contrats qui aboutit finalement à un
transfert de la propriété du matériau. Et, pourtant, le fait que les rapports entre maître
d'ouvrage et sous-traitant ont été jugés non contractuels, notamment par l'arrêt Besse, a amené
la troisième Chambre civile de la Cour de cassation à appliquer, dans ce cas, le 28 novembre
2001, la même qualification (délictuelle) aux rapports entre le fournisseur du sous-traitant et
le maître de l'ouvrage(48). Or, il ne paraît guère logique d'appliquer des règles différentes à
l'action en responsabilité exercée par le maître de l'ouvrage contre le fournisseur des
matériaux selon que ceux-ci ont été livrés à l'entrepreneur principal ou à un sous-traitant.
D'ailleurs, dans une hypothèse semblable, la Cour d'appel de Paris a jugé, le 10 janvier 2002,
que l'action en responsabilité du maître de l'ouvrage contre le fournisseur est de nature
contractuelle(49), reprenant ainsi une solution qui avait déjà été consacrée par l'un des arrêts
de l'Assemblée plénière du 7 février 1986(50).
Enfin, la théorie de l'accessoire, à supposer qu'elle explique comment est défini le domaine de
la responsabilité contractuelle dans les chaînes de contrats, ne justifie en tout cas nullement
l'application du régime délictuel dans les autres hypothèses où un tiers agit en responsabilité
contre le débiteur.
En définitive, le partage actuellement admis entre régime contractuel et régime délictuel,
outre qu'il se révèle parfois difficile à mettre en oeuvre, nous paraît reposer sur des bases
théoriques fragiles. Nous pensons donc qu'il convient de réexaminer dans son ensemble la
question de la nature du régime de responsabilité à appliquer en cas de manquement
contractuel invoqué par un tiers contre le débiteur.
2 - A vrai dire, la doctrine ne s'est guère étendue sur la justification du principe selon lequel
l'action du tiers qui invoque la responsabilité du débiteur pour manquement à son obligation
contractuelle est soumise à l'application du régime délictuel, tant cela paraissait aller de soi, le
domaine contractuel étant présenté comme naturellement limité aux relations entre
cocontractants. Le seul argument invoqué à l'appui de cette solution a donc été le principe de
l'effet relatif du contrat exprimé par l'article 1165 du code civil(51).
Or, à la réflexion, cette justification nous paraît totalement inadéquate car l'existence d'un
régime de responsabilité propre à la réparation des dommages résultant de l'inexécution du
contrat - ce qu'on appelle « responsabilité contractuelle » - n'est nullement une conséquence
de l'effet relatif du contrat. Elle s'explique uniquement par le souci de respecter le contrat en
47
évitant que l'application des règles de la responsabilité délictuelle ne vienne en perturber
l'équilibre.
Des nombreuses études consacrées à ce fameux principe de l'effet relatif du contrat(52), il
résulte, en effet, que la formule de l'article 1165 du code civil doit être interprétée avec
prudence, car elle ne signifie nullement que le contrat ne concerne en rien les tiers. En réalité,
l'article 1165 du code civil n'emporte que deux séries de conséquences, très importantes
certes, mais qu'il est essentiel de ne pas dépasser. Au moment de la formation du contrat, il
interdit aux parties de lier les tiers et, au moment de l'exécution, il réserve aux parties le droit
d'exiger celle-ci. Certes, ce second effet pourrait se répercuter sur le domaine de la
responsabilité car on peut effectivement hésiter à admettre qu'un tiers ait le droit de se
prévaloir de l'inexécution d'un contrat auquel il n'est pas partie pour demander réparation des
dommages qu'il a subis du fait de celle-ci et nous avons, d'ailleurs, constaté que la
jurisprudence a longtemps imposé des restrictions à ce droit(53). Mais, une fois celui-ci admis
- et nous savons que la Cour de cassation a finalement adopté sur ce point la position la plus
libérale -, il nous paraît plus que douteux que le principe de l'effet relatif ait une quelconque
vocation à intervenir pour imposer l'application du régime délictuel.
En effet, ce qui justifie la spécificité - d'ailleurs aujourd'hui assez limitée - du régime de la
responsabilité contractuelle par rapport à celui de la responsabilité délictuelle, c'est la
constatation que l'application intégrale entre contractants des articles 1382 et suivants du code
civil serait parfois de nature à entraîner une altération du contrat. Autrement dit, c'est le souci
d'assurer le respect du contrat(54).
Or, précisément, il est facile de constater que, en permettant au tiers de s'appuyer sur le
contrat pour fonder une action en responsabilité contre le débiteur tout en soumettant cette
action au régime délictuel, on permet cette altération. Le tiers est, en effet, autorisé à éluder
l'application de l'article 1150 du code civil écartant la réparation du dommage contractuel
imprévisible, à tenir en échec les clauses restrictives de responsabilité figurant au contrat mais
qui ne sont pas admises lorsqu'elles affectent une responsabilité de nature extracontractuelle, à
éluder l'application de clauses attributives de compétence insérées au contrat, à écarter les
courtes prescriptions, fréquentes en matière contractuelle, les clauses d'évaluation forfaitaire
des dommages et intérêts(55), ou encore l'exigence de la mise en demeure, etc.
Autrement dit, le choix du régime délictuel permet au tiers de vider le contrat d'une partie de
son contenu et même, éventuellement, de substituer à la responsabilité pour faute fondée sur
le manquement à une obligation de moyens une responsabilité objective s'il est en mesure de
se prévaloir du « fait d'une chose » dont le débiteur aurait eu la « garde » et qui aurait été
l'instrument du dommage dont il demande réparation. Sans violer formellement la règle du «
non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle », la jurisprudence autorise ainsi
des solutions qui vont directement à l'encontre de l'objectif de cette règle qui vise précisément
à défendre le contrat contre l'intrusion des règles délictuelles qui sont de nature à lui porter
atteinte(56).
D'ailleurs, on remarquera que, dans l'espèce qui a donné lieu à l'arrêt ici commenté, le contrat
de bail comportait une clause de non-responsabilité et le deuxième moyen de cassation avait
précisément invoqué l'existence de cette clause pour contester la condamnation prononcée par
la cour d'appel. Or l'Assemblée plénière a estimé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur ce
moyen qui, selon elle, n'aurait pas été « de nature à permettre l'admission du pourvoi ». Le
rejet du pourvoi a donc pour conséquence de valider au profit du tiers (locataire gérant) une
48
indemnisation qui aurait été refusée au preneur s'il avait exploité lui-même le fonds.
En définitive, le choix du régime délictuel nous paraît à la fois juridiquement injustifié et
pratiquement dangereux pour le respect des contrats. Il a, d'ailleurs, été vigoureusement
dénoncé, dans le cadre des chaînes de contrats, par plusieurs auteurs qui ont fondé sur cette
critique un plaidoyer très nourri en faveur de l'application du régime contractuel dans les
relations entre les différents maillons de la chaîne(57). Or ce raisonnement est, à notre avis,
transposable à toute action en responsabilité exercée par un tiers, qu'il soit ou non partie à une
chaîne de contrats, contre le débiteur, dès lors que cette action est fondée exclusivement sur
un manquement au contrat. Dans cette hypothèse, il nous semble, par conséquent,
nécessaire de poser en principe que le tiers est soumis à toutes les limites et conditions qui
s'imposent au créancier pour obtenir réparation de son propre dommage. Le respect du
contrat est à ce prix(58).
En revanche, nous ne verrions, pour notre part, pas d'objection à permettre au tiers de choisir
de se placer sur le terrain délictuel s'il est en mesure de démontrer, indépendamment du
manquement contractuel, un fait de nature à justifier la responsabilité extracontractuelle du
débiteur, à condition que l'action soit alors soumise intégralement à l'application du régime
choisi(59).
Mots clés :
RESPONSABILITE CIVILE * Réparation du préjudice * Responsabilité délictuelle *
Manquement contractuel * Tiers au contrat * Dommage
(1) V. une récapitulation de ces hypothèses dans notre ouvrage, Introduction à la
responsabilité, 2e éd., LGDJ, 1995, n° 210 à 212-2.
(2) V. M. Planiol, note in DP 1896, 1, p. 81 ; L. Ségur, La notion de faute contractuelle en
droit civil français, thèse, Bordeaux, 1954, p. 23 s.
(3) V. Cass. civ., 27 juill. 1869, DP 1869, 1, p. 350 ; 18 nov. 1895, ibid. 1896, 1, p. 16 ; Cass.
req., 25 févr. 1935, S. 1935, 1, p. 129, note Rousseau ; Cass. civ., 11 mars 1940, Gaz. Pal.
1940, 2, p. 15 ; RTD civ. 1941, p. 267.
(4) V. notre ouvrage préc., n° 209.
(5) Cette formule a été employée, par ex., par Cass. 1re civ., 7 nov. 1962, Bull. civ. I, n° 465 ;
JCP 1963, II, 12987, note P. Esmein ; Cass. 2e civ., 7 févr. 1962, Bull. civ. II, n° 89 ; Cass.
1re civ., 9 oct. 1962, Bull. civ. I, n° 405 ; Cass. 3e civ., 15 oct. 1970, Bull. civ. III, n° 515 ; 18
avr. 1972, ibid., n° 233 ; Cass. 1re civ., 23 mai 1978, Bull. civ. I, n° 201.
(6) V. not., à ce sujet, R. Savatier, note in DP 1938, 1, p. 76 ; J. Huet, Responsabilité
contractuelle et responsabilité délictuelle, Essai de délimitation entre les deux ordres de
responsabilité, thèse, Paris, 1978, n° 643 s. ; F. Bertrand, L'opposabilité du contrat aux tiers,
thèse, Paris II, 1980, n° 219 s., p. 356 s. ; G. Durry, obs. in RTD civ. 1974, p. 814.
(7) V., pour des cas où cette exigence a été invoquée pour repousser l'action du tiers, not.,
Cass. 1re civ., 24 nov. 1954, Bull. civ. I, n° 335 ; 14 nov. 1958, ibid., n° 427 ; 4 avr. 1962,
Gaz. Pal. 1963, 2, p. 31 ; 7 nov. 1962, Bull. civ. I, n° 465 ; JCP 1963, II, 12987, note P.
49
Esmein ; 15 déc. 1964, Bull. civ. I, n° 565 ; 21 oct. 1965, ibid., n° 766 ; 3 juill. 1968, JCP
1969, II, 15859 ; 31 janv. 1969, ibid. 1969, II, 15937, note G. Liet-Veaux ; Cass. 3e civ., 17
oct. 1973, ibid. 1973, IV, 388.
(8) V., en ce sens, F. Bertrand, thèse préc., n° 221 à 225 (l'auteur montre cependant que la
jurisprudence administrative est devenue plus attentive à respecter la distinction des deux
fautes que la jurisprudence judiciaire). V., égal., J. Huet, thèse préc., n° 644.
(9) V. R. Wintgen, Etude critique de l'opposabilité : les effets du contrat à l'égard des tiers en
droits français et allemand, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, vol. 426.
(10) V. Cass. 3e civ., 5 déc. 1972, D. 1973, Jur. p. 401, note J. Mazeaud ; Cass. 1re civ., 27
juin 1978, ibid. 1978, IR p. 409 ; CA Paris, 25 nov. 1987, ibid. 1988, IR p. 7.
(11) V. G. Viney, in La responsabilité des fabricants et distributeurs, Economica, 1976, p. 76,
n° 10.
(12) Cass. 3e civ., 27 sept. 1984, Bull. civ. III, n° 159 ; Cass. 1re civ., 11 avr. 1995, Bull. civ.
I, n° 171 ; RTD civ. 1995, p. 895, obs. P. Jourdain ; 16 déc. 1997, Resp. civ. et assur. 1998,
comm. n° 98 ; JCP 1998, I, 144, obs. G. Viney ; RTD civ. 1998, p. 680, obs. P. Jourdain.
(13) Cass. com., 17 juin 1997, Bull. civ. IV, n° 187.
(14) Cass. com., 8 oct. 2002, JCP 2003, I, p. 152, n° 3 à 7, obs. G. Viney.
(15) Cass. com., 5 avr. 2005, Bull. civ. IV, n° 81 ; D. 2005, Somm. p. 2836, obs. B.
Fauvarque-Cosson ; RDC 2005, p. 687, obs. D. Mazeaud ; Resp. civ. et assur. 2005, comm.
n° 174, obs. H. Groutel.
(16) Cass. com., 17 juin 1997, préc.
(17) Cass. com., 8 oct. 2002 et 5 avr. 2005, préc.
(18) V. Cass. 1re civ., 22 avr. 1992, Resp. civ. et assur. 1992, n° 269 ; 13 oct. 1992, Bull. civ.
I, n° 250 ; 16 déc. 1992, ibid., n° 316 ; 20 janv. 1993, JCP 1993, IV, 734 ; 30 oct. 1995, Bull.
civ. I, n° 383 ; 25 nov. 1997, ibid., n° 231 ; 15 déc. 1998, ibid., n° 368 ; RTD civ. 1999, p.
623, obs. J. Mestre ; Contrats, conc., consom., mars 1999, comm. n° 37.
(19) Cass 1re civ., 18 juill. 2000, Bull. civ. I, n° 221 ; D. 2000, IR p. 217 ; JCP 2000, II,
11415, note P. Sargos ; Resp. civ. et assur. 2000, comm. n° 372 ; Contrats, conc., consom.
2000, comm. n° 275, obs. L. Leveneur ; RTD civ. 2001, p. 146, obs. P. Jourdain ; 13 févr.
2001, Bull. civ. I, n° 35 ; D. 2001, Somm. p. 2234, obs. P. Delebecque ; JCP 2002, II, 10099,
note C. Lisanti-Kalczynsky ; RTD civ. 2001, p. 367, obs. P. Jourdain ; 18 mai 2004, Bull. civ.
I, n° 141 ; D. 2005, Pan. p. 194, obs. P. Delebecque, P. Jourdain et D. Mazeaud ; RTD civ.
2004, p. 516, obs. P. Jourdain.
(20) Cass. 3e civ., 5 févr. 1992, D. 1992, IR p. 91 ; RTD civ. 1992, p. 567, obs. P. Jourdain ;
24 févr. 1993, ibid. 1993, p. 362, obs. P. Jourdain ; Cass. 2e civ., 17 mai 1995, Resp. civ. et
assur. 1995, comm. n° 227 ; RTD civ. 1995, p. 895, obs. P. Jourdain ; 4 oct. 1995, Bull. civ.
II, n° 230 ; D. 1995, IR p. 223 ; 19 juin 1996, D. 1996, IR p. 187 ; Dalloz Affaires 1996, p.
50
1028 ; Defrénois 1996, p. 1373, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 1997, p. 144, obs. P. Jourdain
; 21 mai 1997, D. 1998, Jur. p. 150, note B. Fages ; Cass. 3e civ., 25 mars 1998, D. 1998, IR
p. 106 ; JCP G 1998, I, 144, n° 4 et 5, obs. G. Viney ; 6 janv. 1999, Bull. civ. III, n° 3 ; D.
2000, Jur. p. 426, note C. Asfar ; Resp. civ. et assur. 1999, comm. n° 72. V., sur ce courant
jurisprudentiel, O. Debat, Le contrat source de responsabilité envers les tiers, LPA, 23 sept.
2003, p. 3.
(21) Cass. com., 12 mars 1991, RTD civ. 1992, p. 567, obs. P. Jourdain ; 4 juin 1991, Bull.
civ. IV, n° 197 ; D. 1992, Jur. p. 399, note D. R. Martin ; 7 janv. 1997, D. 1997, IR p. 54.
(22) D'ailleurs, on peut se demander si la 3e Chambre civile n'a pas voulu rejoindre la
Chambre commerciale par son arrêt du 25 mai 2005 (Bull. civ. III, n° 114 ; D. 2005, IR p.
1730). V., égal., Cass. 3e civ., 16 mars 2005, Bull. civ. III, n° 67 ; D. 2006, Jur. p. 50, note M.
Boutonnet ; 18 janv. 2006, ibid., n° 15, qui motivent assez longuement l'admission d'une faute
délictuelle.
(23) Mais non pas tous : V., en sens inverse, J.-P. Tosi, Le manquement contractuel
dérelativisé, in Ruptures, mouvements et continuité du droit, sous la dir. de M. Gobert,
Economica, 2004, p. 478 s. V., égal., C. Ophele, Faute délictuelle et faute contractuelle, Resp.
civ. et assur. juin 2003, Chron. n° 21.
(24) V., en ce sens, notre ouvrage préc., n° 215 ; P. Jourdain, obs. in RTD civ. 1992, p. 567 ;
ibid. 1993, p. 362.
(25) V., en ce sens, S. Carval, obs. in Rev. contrats 2006, p. 1233 à 1235. V., égal., pour une
consécration de cette idée, Cass. 3e civ, 25 mai 2005, préc. note 22 ; 1er mars 2006, D. 2006,
IR p. 745 ; RTD civ. 2006, p. 559, obs. P. Jourdain ; RDI 2006, p. 178, obs. P. Sessuet ; Resp.
civ. et assur., comm. n° 171, obs. G. Courtieu.
(26) V. M. Mekki, L'intérêt général et le contrat, préf. J. Ghestin, LGDJ, coll. Bibliothèque
de droit privé, vol. 411.
(27) V. C. Peres, La règle supplétive, préf. G. Viney, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé,
vol. 421 ; P. Jacques, Regards sur l'art. 1135 du code civil, préf. F. Chabas, Dalloz, coll.
Nouvelle bibliothèque des thèses, vol. 46.
(28) V. notre ouvrage préc., n° 188 et 209 à 215.
(29) V., not., Cass. civ., 6 déc. 1932 ; 24 mai 1933, DP 1933, p. 177, note L. Josserand ; Cass.
req., 8 mars 1937, S. 1937, 1, p. 241, rapp. Pilon.
(30) Cass. com., 19 juin 1951, D. 1951, p. 717, note G. Ripert ; S. 1952, 1, p. 89, note R.
Nerson ; Cass. civ., 21 janv. 1959, D. 1959, Jur. p. 101, note R. Savatier, Jur. p. 281, note R.
Rodière ; JCP 1959, II, 11002.
(31) Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, Bull. civ. I, n° 219 ; JCP 2004, I, 163, obs. G. Viney ; ibid.
2004, II, 10006, note G. Lardeur ; D. 2004, Jur. p. 233, note P. Delebecque ; RTD civ. 2004,
p. 96, obs. P. Jourdain ; Contrats, conc., consom. 2004, comm. n° 1, obs. L. Leveneur ; Resp.
civ. et assur. 2004, comm. n° 30, obs. H. Groutel.
51
(32) V. l'art. 123 du code de l'aviation civile relatif au transport aérien interne, l'art. 10 de la
Convention de Bruxelles du 29 août 1961 sur les transports maritimes internationaux, l'art. 42
de la loi du 18 juin 1966 sur les transports maritimes internes, l'art. 12 de la Convention
additionnelle à la Convention internationale sur le transport des voyageurs et des bagages par
chemin de fer du 25 janvier 1961. V., égal., P. Delebecque, note préc., n° 21.
(33) Cass. 2e civ., 20 oct. 2005, Bull. civ. II, n° 274 ; D. 2005, IR p. 2825 ; RTDciv 2006, p.
122, obs. P. Jourdain.
(34) V. notre ouvrage préc., n° 189 à 189-4.
(35) D. 1989, Jur. p. 5, note C. Larroumet ; RTD civ. 1988, p. 762, obs. P. Jourdain.
(36) D. 1991, Jur. p. 549, note J. Ghestin, p. 257, Chron. C. Jamin ; JCP 1991, II, 21743, note
G. Viney ; ibid. 1991, I, 3531, chron. C. Larroumet.
(37) V. Cass. 3e civ., 8 juill. 1992, JCP 1992, IV, 2652 ; Cass. 1re civ., 27 janv. 1993, Bull.
civ. I, n° 45 ; D. 1994, Somm. p. 238, obs. O. Tournafond (dans ces deux affaires, il s'agissait
d'actions en garantie). V., égal., Cass. 1re civ., 27 janv. 1993, Bull. civ. I, n° 44 ; 23 juin 1993,
ibid., n° 226 ; D. 1993, IR p. 182 (actions en responsabilité contractuelle de droit commun).
(38) Cass. civ., 2 nov. 1884, DP 1885, p. 357 ; S. 1886, 1, p. 149.
(39) Cass. 3e civ., 26 mai 1992, Bull. civ. III, n° 168 ; D. 1992, IR p. 190 ; 8 févr. 1995, ibid.,
n° 39 ; D. 1995, Somm. p. 234, obs. R. Libchaber ; Cass. com., 4 juin 1991, Bull. civ. IV, n°
206 ; D. 1991, IR p. 178 ; Cass. 1re civ., 28 oct. 1991, Contrats, conc., consom. 1992, n° 25,
note L. Leveneur ; Cass. 3e civ., 14 nov. 1991, Bull. civ. III, n° 271 ; D. 1991, IR p. 2 ; AJDI
1992, p. 175 ; Cass. com., 10 déc. 1991, Contrats, conc., consom. 1992, n° 47, obs. L.
Leveneur ; Cass. 3e civ., 13 mai 1992, D. 1994, Somm. p. 151, obs. A. Bénabent ; JCP 1992,
I, 3608, obs. C. Jamin ; 26 mai 1992, Bull. civ. III, n° 175. V. M. Carcenac, La condition
juridique du fabricant d'éléments préfabriqués, RGDA 1997, p. 655.
(40) V. P. Jourdain, La nature de la responsabilité civile dans les chaînes de contrats après
l'arrêt de l'Assemblée plénière du 12 juill. 1991, D. 1992, p. 149.
(41) V., par ex., pour la succession d'une location et d'une sous-location, Cass. 3e civ., 8 déc.
1993, Bull. civ. III, n° 159 ; AJDI 1994, p. 119 ; V. égal., pour une chaîne de contrats
concernant le transport de marchandises, Cass. com., 16 mars 1999, Bull. civ. IV, n° 60 ; D.
1999, IR p. 108 ; Cass. 1re civ., 22 juin 2004, Bull. civ. I, n° 181 ; D. 2004, Pan. p. 2748, obs.
H. Kenfack.
(42) V., pour un transport international de marchandises par route soumis à la CMR, Cass.
com., 3 mai 1994, JCP 1994, IV, 1659 ; D. 1994, IR p. 162. Pour un transport maritime de
marchandises, V. Cass. com., 5 juill. 1994, JCP 1994, IV, 2247 ; D. 1994, IR p. 222.
(43) V. D. Mainguy, Actualité des actions directes dans les chaînes de contrats, Mélanges J.
Beguin, Litec, 2005, p. 449 s.
(44) C. Witz, D. 1999, Jur. p. 383. V., égal., G. Viney, JCP 2000, I, 199 ; L. Leveneur, note in
ibid. E 1999, II, p. 962 ; V. Heuze, obs. in RDIP 1999, p. 529 ; C. Lisanti-Kalczynski,
52
L'action directe dans les chaînes de contrats ? Plus de 10 ans après l'arrêt Besse, JCP 2003, I,
102, n° 13.
(45) V. Cass. 1re civ., 19 janv. 1988, Bull. civ. I, n° 20 ; Cass. 3e civ., 3 juill. 1996, Bull. civ.
III, n° 167 ; D. 1996, IR p. 199 ; RDI 1996, p. 577, obs. P. Malinvaud et B. Boubli.
(46) On peut d'ailleurs se demander si elle n'a pas été écartée par la 3e Chambre civile le 8
janv. 1997 (JCP 1997, II, 22877, note M.-C. Mansallier).
(47) V. M. Carcenac, art. préc., p. 655.
(48) D. 2002, Jur. p. 1443, note J.-P. Karila ; JCP 2002, II, 10037, note D. Mainguy ;
Defrénois 2002, p. 255, obs. R. Libchaber ; RTD civ. 2002, p. 104, obs. P. Jourdain ; JCP
2002, I, 186, obs. G. Viney.
(49) Resp. civ. et assur. 2002, comm. n° 143, et note L. Grynbaum ; obs. G. Viney, préc. note
48.
(50) V., en ce sens, P. Jourdain, obs. préc. note 48 ; et D. Mainguy, obs. préc. note 48.
(51) V. notre ouvrage préc., n° 187 ; M. Espagnon, La règle du non-cumul des responsabilités
contractuelle et délictuelle, thèse, Paris I, 1980, n° 192.
(52) V. A. Weill, Le principe de la relativité des conventions en droit français, thèse,
Strasbourg, 1938 ; S. Calastreng, La relativité des conventions, thèse, Toulouse, 1939 ; H.
Batiffol, La crise du contrat et sa portée, Arch. phil. dr. 1968, p. 13 ; R. Savatier, Le prétendu
principe de l'effet relatif du contrat, RTD civ. 1934, p. 525 ; J.-L. Goutal, Essai sur le principe
de l'effet relatif du contrat, thèse dactyl., Paris II, 1977 ; J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau,
Les effets du contrat, 2e éd., n° 319 s. ; Les effets du contrat à l'égard des tiers :
comparaisons franco-belges, sous la dir. de M. Fontaine et J. Ghestin, LGDJ, coll.
Bibliothèque de droit privé, t. 227 ; P. Delmas Saint-Hilaire, Le tiers à l'acte juridique, préf. J.
Hauser, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, t. 333 ; J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux,
Droit civil, Les obligations, 1. L'acte juridique, 12e éd., Armand Colin, n° 422 s.
(53) V. supra, I
(54) V. notre ouvrage préc., n° 234.
(55) Ce qu'a refusé de faire la première Chambre civile - et c'est symptomatique - le 10 mai
2005 au motif que « si en principe les conventions n'ont d'effet qu'à l'égard des parties, elles
constituent des faits juridiques dont peuvent être déduites des conséquences en droit à l'égard
des tiers » (Bull. civ. I, n° 205 ; D. 2005, IR p. 1505 ; RTD civ. 2005, p. 600, obs. P.
Jourdain).
(56) V. notre ouvrage préc., n° 216.
(57) V., not., F. Bertrand, thèse préc., n° 277 s. ; J. Huet, thèse préc., 2e partie ; B. Teyssié,
Les groupes de contrats, LGDJ, 1975, n° 562 s. ; J. Néret, Le sous-contrat, thèse préc., LGDJ,
2e partie ; G. Viney, Sous-traitance et responsabilité civile, in La sous-traitance de travaux et
de services, Economica, 1978, n° 38 s., p. 67 s. ; M. Espagnon, thèse préc., n° 43, 2e partie, n°
53
188 s. ; M. Bacache, La relativité des conventions et les groupes de contrats, thèse, Paris II,
1994 ; F. Fiechter-Boulard, La transmission de l'engagement dans les contrats en chaîne,
thèse, Grenoble, 1992.
(58) D'ailleurs, la troisième Chambre civile a jugé, le 12 octobre 2005, que le tiers qui exerce
une action en responsabilité civile délictuelle à l'encontre du constructeur à raison du nonrespect des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique ne dispose pas, à son égard,
de plus de droits que ceux qu'il peut exercer à l'encontre du maître de l'ouvrage, RDI 2005, p.
459, obs. p. Malinvaud ; ibid. 2006, p. 43, obs. G. Trébulle ; D. 2005, IR p. 2706.
(59) Ces solutions sont celles que propose l'avant-projet de réforme du droit des obligations et
de la prescription présenté au garde des Sceaux par le professeur P. Catala, à l'art. 1342.
Doc 4 : Cour de cassation, Assemblée plénière, 9 mai 2008
N° de pourvoi: 07-12449
Publié au bulletin
Rejet
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 23 janvier 2007), rendu sur renvoi après cassation (1re
Civ., 27 avril 2004, Bull. I n° 111, p. 80), que, titulaire d'un mandat non exclusif que lui avait
donné, en vue de vendre un appartement, la société Immobilière Saint-Louis (le vendeur),
moyennant le prix de 2 600 000 francs, commission comprise, soit 2 700 000 francs " net
vendeur ", la société Immobilier service (la société) a fait visiter le bien les 11 et 12 octobre
1990 à des personnes disant se nommer M. et Mme " Z... " dont elle a transmis au vendeur
une offre de prix à 2 200 000 francs ; qu'ayant appris que ces personnes, en réalité les époux
X... qui avaient ainsi fait usage d'une identité fausse pour se présenter à elle, avaient acquis le
bien du vendeur, selon acte authentique du 6 mars 1991, sans que la commission prévue dans
le mandat lui ait été payée, elle les a assignées en réparation de son préjudice ;
Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt d'accueillir la demande alors que, selon le
moyen :
1° / que le tiers ne peut être condamné à réparer le préjudice causé à une partie par
l'inexécution d'un contrat par l'autre partie que s'il avait connaissance de la clause dont
l'inexécution est alléguée ; qu'ainsi, en condamnant les époux X... à payer à la société une
somme d'argent représentant la commission qui lui aurait été due par le vendeur sur la vente
de l'appartement, sans constater que ceux-ci avaient connaissance de la clause du mandat
prévoyant que cette commission était due même si la vente était conclue après l'expiration du
mandat avec un acheteur présenté par la société, la cour d'appel a privé son arrêt de base
légale au regard des articles 1165 et 1382 du code civil, 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970
et 72 et 73 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 ;
2° / que la commission n'étant pas due par les acquéreurs, la société ne peut se prévaloir à leur
encontre d'un quelconque préjudice ; qu'ainsi, la cour d'appel, en condamnant les époux X...
au paiement de la commission à raison de prétendues manoeuvres frauduleuses ayant consisté
à évincer l'agent immobilier de l'acquisition de l'appartement qu'elle leur aurait fait visiter, a
violé l'article 1382 du code civil et les articles 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et 72 et 73
du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 ;
54
Mais attendu que, même s'il n'est pas débiteur de la commission, l'acquéreur dont le
comportement fautif a fait perdre celle-ci à l'agent immobilier, par l'entremise duquel il a été
mis en rapport avec le vendeur qui l'avait mandaté, doit, sur le fondement de la responsabilité
délictuelle, réparation à cet agent immobilier de son préjudice ; qu'ayant relevé, par motifs
propres et adoptés, que l'agent immobilier, à une date où il était titulaire d'un mandat, avait
fait visiter l'appartement aux époux X... qui avaient acquis le bien à un prix conforme à leur
offre " net vendeur " à l'insu de l'intermédiaire, la cour d'appel qui a ainsi fait ressortir la
connaissance par les époux X... du droit à rémunération de l'agent immobilier et qui a pu
retenir que les manoeuvres frauduleuses qu'ils avaient utilisées, consistant en l'emprunt d'une
fausse identité pour l'évincer de la transaction immobilière, avaient fait perdre à l'agent
immobilier la commission qu'il aurait pu exiger du vendeur, en a exactement déduit qu'ils
devaient être condamnés à lui payer des dommages-intérêts ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Doc5 Cour de cassation, chambre civile 3, 12 janvier 2011
N° de pourvoi: 10-10667
Publié au bulletin Rejet
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 29 octobre 2009) que suivant promesse sous seing
privé du 22 avril 2002, la société civile immobilière Lacanau Clemenceau (la SCI) a vendu un
immeuble à Mme X... ; que la réitération de l'acte authentique prévue au plus tard le 30
septembre 2002 n'est pas intervenue et que par assignation du 27 février 2003 Mme X... a fait
assigner la venderesse en perfection de la vente ; que par acte authentique du 13 mars 2003,
publié à la conservation des hypothèques de Bordeaux le 18 mars 2003, la SCI a vendu le bien
aux époux Y... ; que par arrêt du 24 septembre 2007 la cour d'appel de Bordeaux, infirmant le
jugement, a dit la vente parfaite au profit de Mme X... ; que le 30 octobre 2007 les époux Y...
ont formé tierce opposition à l'arrêt du 24 septembre 2007 contre lequel aucun pourvoi en
cassation n'a été formé et que par arrêt du 29 octobre 2009 la cour d'appel de Bordeaux a
déclaré les époux Y... recevables en leur tierce opposition et constaté que l'immeuble litigieux
était leur propriété ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de déclarer la tierce opposition des époux Y...
recevable, alors, selon le moyen :
1°/ que l'ayant cause à titre particulier est représenté par son auteur, pour tous les actes
accomplis antérieurement à l'accomplissement de la formalité de la publicité foncière ; qu'en
l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé que la tierce opposition formée par M. et Mme Y... était
recevable, car leur acte authentique avait été publié le 18 mars 2003, quand l'assignation en
régularisation forcée de vente avait été délivrée dès le 27 février 2003, par Mme X... à la
société civile immobilière Lacanau Clemenceau, ce dont il résultait que celle-ci avait
représenté ses ayants-cause à titre particulier à la procédure, peut important que celle-ci ait
abouti à un arrêt du 24 septembre 2007, a violé l'article 583 du code de procédure civile ;
55
2°/ qu'une tierce opposition n'est recevable que si le tiers concerné s'est trouvé dans
l'impossibilité de faire valoir ses droits ; qu'en l'espèce, la cour qui a déclaré recevable la
tierce opposition de M. et Mme Y..., sans rechercher si ceux-ci n'étaient pas, depuis le jour de
la seconde vente dont ils avaient bénéficié, parfaitement informés de la vente précédemment
consentie à Mme X... par la SCI Lacaneau Clemenceau, ainsi que de la procédure judiciaire
les opposant et à laquelle ils avaient délibérément choisi de ne pas intervenir, a privé sa
décision de base légale au regard de l'article 583 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel retient à bon droit que si les ayants cause à titre particulier
sont considérés comme représentés par leur auteur pour les actes accomplis par celui-ci avant
la naissance de leurs droits, lorsqu'un acte est soumis à publicité foncière, la représentation
prend fin à compter de l'accomplissement des formalités de publicité foncière ; qu'ayant
constaté que les époux Y... avaient publié leur titre à la conservation des hypothèques le 18
mars 2003 et exactement retenu qu'ils n'étaient plus représentés à la date de l'arrêt, la cour
d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient
inopérante, en a justement déduit que la tierce opposition formée par les époux Y... était
recevable ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé
Sur le second moyen :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de rétracter l'arrêt rendu le 24 septembre 2007, alors,
selon le moyen, "que la connaissance, par un second acquéreur, de l'existence d'une première
cession constatée par acte sous seing privé non soumis à publicité foncière, lui interdit de tirer
avantage des règles de la publicité foncière, que la cour d'appel, qui a rétracté l'arrêt du 24
septembre 2007 constatant le caractère parfait de la vente consentie sous seing privé à Mme
X..., en se fondant sur le simple fait que M. et Mme Y... avaient acquis le même immeuble de
la société civile immobilière Lacanau Clémenceau par acte authentique du 13 mars 2003,
publié dès le 18 mars suivant, sans rechercher si ces seconds acquéreurs n'avaient pas signé
leur acte en toute connaissance de l'existence de la première vente intervenue au profit de
Mme X..., ce qui les privait du bénéfice des règles de la publicité foncière, a privé sa décision
de base légale au regard des articles 28 et 30 du décret du 4 janvier 1955,ensemble l'article
1382 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu à bon droit qu'aux termes de l'article 30-1 du décret n° 55-22 du
4 janvier 1955, les actes et décisions judiciaires portant ou constatant entre vifs mutation ou
constitution de droits réels immobiliers sont, s'ils n' ont pas été publiés, inopposables aux tiers
qui, sur le même immeuble ont acquis du même auteur des droits concurrents en vertu d'actes
ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés et constaté que Mme X...,
dont les droits étaient nés d'une promesse de vente sous seing privé, ne pouvait justifier d'une
publication, la cour d'appel, en rétractant l'arrêt du 24 septembre 2007, a légalement justifié sa
décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
56
Doc 6 : Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 février 1986
N° de pourvoi: 83-14631
Publié au bulletin
Rejet
Sur le moyen unique :
Attendu que la Société de Produits Céramiques de l'Anjou - dite P.C.A. -, fournisseur des
briques ayant servi au montage des cloisons de l'ensemble immobilier construit par la S.C.I.
Asnières Normandie, fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déclarée responsable pour partie des
fissurations apparues dans les cloisons, et condamnée à payer au syndicat de la copropriété
partie du coût des réparations, alors, selon le moyen que, d'une part, la faute prétendue du
vendeur de matériaux ne pouvant s'apprécier qu'au regard des stipulations contractuelles
imposées par l'entrepreneur, la société E.S.C.A., l'arrêt, en déclarant que ces stipulations
étaient indifférentes, a violé les articles 1147 et 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, que,
statuant sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, l'arrêt ne pouvait faire état de
la présomption de connaissance pesant sur le vendeur professionnel, mais devait rechercher si
le fabricant connaissait effectivement la destination des matériaux vendus, en l'espèce, la
fabrication de cloisons ne reposant pas sur une semelle adéquate et donc soumises à des
déformations, et dont seule cette utilisation avait entraîné le défaut ; alors, en outre, qu'en se
fondant, pour déclarer des briques non conformes, sur les normes définies et imposées
postérieurement à l'époque de la construction sans rechercher si ces briques n'étaient pas
conformes aux normes imposées lors de leur livraison, l'arrêt n'a pas caractérisé la faute du
vendeur ; alors, encore, que l'arrêt a délaissé les conclusions indiquant que la fragilité des
briques était due non pas à leur manque de qualité mais à un défaut d'utilisation de la part de
l'entrepreneur, omettant ainsi d'examiner une cause d'exonération constituée par la faute d'un
tiers ; alors, enfin, que faute d'avoir recherché si les fissures des briques ne provenaient pas
seulement de l'absence de semelle résiliante, cause majeure reconnue des désordres, et non
pas d'un défaut allégué des matériaux, l'arrêt n'a pas caractérisé, autrement que par une simple
affirmation, le lien de causalité entre le prétendu défaut de conformité des briques et le
dommage invoqué ;
Mais attendu que le maître de l'ouvrage comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et
actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ; qu'il dispose donc à cet effet contre le
fabricant d'une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée ;
que, dès lors, en relevant que la société P.C.A. avait livré des briques non conformes au
contrat, en raison de leur mauvaise fabrication, la Cour d'appel, qui a caractérisé un
manquement contractuel dont la S.C.I. Asnières Normandie, maître de l'ouvrage, pouvait lui
demander réparation dans le délai de droit commun, a, par ce seul motif, légalement justifié sa
décision ; qu'en aucune de ses cinq branches, le moyen ne peut donc être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi
57
Doc 7 : Cour de cassation, chambre civile 1, 27 mars 2007
N° de pourvoi: 04-20842
Publié au bulletin
Rejet
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 novembre 2004), que la société française Alcatel
business systems (ABS), fabricant de terminaux mobiles et portables, a collaboré avec la
société belge Alcatel micro electronics (AME), faisant partie du même groupe, pour la
fabrication d'une nouvelle puce électronique ; que la société AME a conclu avec la société
américaine Amkor technology Inc (Amkor) un contrat relatif à la vente de composants
électroniques, comportant une clause compromissoire désignant l'American arbitration
association (AAA) de Philadelphie ; que la société Amkor était liée avec un fabricant de
composants, la société coréenne Anam semiconductor Inc (Anam), par un contrat de fonderie
contenant une convention d'arbitrage visant l'AAA de Santa Clara en Californie ; que les
puces fabriquées par la société Anam étaient remises directement à la société AME qui, après
les avoir "encapsulées", les livrait à la société ABS ; que, des désordres étant survenus, la
société ABS et son assureur, la société AGF, qui l'avait partiellement indemnisée, ont assigné
la société Amkor, ses deux filiales françaises, les sociétés Amkor technology euroservices et
Amkor Wafer fabrication services, et la société Anam devant un tribunal de commerce en
paiement de dommages-intérêts ; que les défendeurs, invoquant la clause compromissoire
désignant l'AAA de Philadelphie, ont soulevé l'incompétence de la juridiction étatique ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches, et sur le second moyen, pris en ses
deux branches :
Attendu que les sociétés ABS et AGF font grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté leur contredit de
compétence et de les avoir renvoyées à mieux se pourvoir, alors, selon le moyen :
1°/ que le contrat qui porte non sur des choses déterminées à l'avance mais sur un travail
spécifique destiné à répondre aux besoins particuliers exprimés par le donneur d'ordre
constitue non un contrat de vente mais un contrat d'entreprise ; qu'en affirmant que les
relations entre les sociétés Anam, Amkor, AME et ABS auraient constitué une chaîne
homogène de contrats translatifs de propriété à partir du moment où c'était le même produit
qui avait circulé de la première, son fabricant, à la dernière, son destinataire final, tout en
constatant que le composant électronique avait fait l'objet d'un processus industriel ayant
conduit à son élaboration et à sa fabrication, que les relations contractuelles entre les
différents intervenants avaient pour seul objectif la mise au point et la réalisation du
composant litigieux, que son élaboration impliquait l'agrément et l'homologation des fondeurs
et que son destinataire final avait participé activement à son perfectionnement, ce dont il
résultait que les contrats liant les différents protagonistes étaient des contrats d'entreprise et
non des contrats de vente, la cour d'appel a violé les articles 1582, 1779 et ter de la loi du 31
décembre 1975, ensemble les articles 1165 et 1382 du code civil ;
2°/ que le sous-traitant n'étant pas contractuellement lié au maître de l'ouvrage, son
fournisseur répond de ses actes, à l'égard de celui-ci, sur le fondement de la responsabilité
délictuelle ; qu'en retenant l'existence d'une chaîne homogène de contrats translatifs de
propriété conférant au sous-acquéreur une action contractuelle directe contre le fabricant
initial, quand elle constatait que la société AME, chargé de concevoir un nouveau composant
électronique, avait confié son élaboration à la société Amkor tandis que celle-ci avait confié
sa fabrication à celle-là, en sorte que, en agissant contre cette dernière, le maître de l'ouvrage
58
avait mis en cause la responsabilité du fabricant du sous-traitant, la cour d'appel a violé les
articles 1147, 1165 et 1382 du code civil ;
3°/ qu'une clause d'arbitrage international n'est susceptible de transmission que dans une
chaîne homogène de contrats translatifs de propriété ; qu'en déclarant que les contrats conclus
respectivement entre les sociétés ABS, AME, Amkor et Anam constituaient une chaîne
homogène, bien qu'il résultât de ses propres constatations que lesdits contrats, qui ne
pouvaient recevoir la qualification de vente, n'étaient pas de nature identique, en sorte que la
chaîne qu'ils formaient était hétérogène, la cour d'appel a violé les articles 1165 et 1134 du
code civil ;
4°/ que le sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions qui, attachés à la chose,
appartenaient au vendeur intermédiaire contre le vendeur originaire ; qu'en déclarant
opposable au sous-acquéreur la clause compromissoire figurant dans le contrat conclu entre
deux vendeurs intermédiaires et non pas celle acceptée par le vendeur originaire, la cour
d'appel a violé les articles 1134 et 1165 du code civil ainsi que 1492 du nouveau code de
procédure civile ;
5°/ qu'en opposant au sous-acquéreur la clause d'arbitrage nouvellement convenue entre le
vendeur intermédiaire et le vendeur originaire en lieu et place de celle figurant dans le contrat
initial, sans vérifier que le sous-acquéreur pouvait raisonnablement ignorer le nouvel accord
intervenu entre les parties, la cour d'appel n'a conféré à sa décision aucune base légale au
regard des articles susvisés ;
Mais attendu que, dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause
compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu'accessoire du droit d'action,
lui-même accessoire du droit substantiel transmis, sans incidence du caractère homogène ou
hétérogène de cette chaîne ; que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, d'abord que le
composant électronique, objet du litige, a été fabriqué par la société Anam et vendu par celleci à la société Amkor qui l'a revendu à la société AME ; ensuite que la société AME a
"encapsulé" le produit, qui, selon les constatations de l'expert judiciaire, demeurait
dissociable, avant de le livrer à la société ABS qui l'a intégré dans ses téléphones mobiles ;
qu'au vu de ces éléments, la cour d'appel a décidé à bon droit qu'il existait une chaîne de
contrats translatifs de propriété et en a justement déduit que la clause compromissoire,
contenue au contrat liant les sociétés Amkor et AME, à laquelle la société Anam avait adhéré,
avait force obligatoire à l'égard de la société ABS, dès lors que cette clause est transmise en
tant qu'accessoire du droit d'action, lui-même accessoire du droit substantiel ; que, par ce seul
motif, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens doivent être rejetés ;
Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche :
Attendu que les sociétés ABS et AGF reprochent encore à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors,
selon le moyen, que l'action directe de nature contractuelle du maître de l'ouvrage ou du sousacquéreur implique l'existence d'une chaîne de contrats translatifs de propriété ; qu'en retenant
la nature contractuelle de l'action du maître de l'ouvrage contre les filiales du sous-traitant, au
prétexte que celles-ci étaient intervenues dans le cadre de l'agrément par l'entreprise
principale du composant électronique, sans caractériser l'existence d'une convention
translative de propriété qui les aurait obligées à l'égard de l'un quelconque des participants à la
59
chaîne de contrats, la cour d'appel a violé les articles 1165 et 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'effet de la clause d'arbitrage international s'étend aux parties directement
impliquées dans l'exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter ; que la cour
d'appel, qui a relevé que les deux sociétés française filiales de la société Amko étaient
intervenues pour l'agrément par la société AME, des micro-processeurs électroniques, en a
exactement déduit que ces sociétés étaient en droit de se prévaloir, à l'égard de la société ABS
et de son assureur subrogé, de la clause d'arbitrage stipulée au contrat liant leur société mère à
la société AME ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Doc 8 : Cour de cassation , Assemblée plénière, 12 juillet 1991
N° de pourvoi: 90-13602
Publié au bulletin
Cassation partielle
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1165 du Code civil ;
Attendu que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que plus de 10 années après la réception de l'immeuble
d'habitation, dont il avait confié la construction à M. X..., entrepreneur principal, et dans
lequel, en qualité de sous-traitant, M. Z... avait exécuté divers travaux de plomberie qui se
sont révélés défectueux, M. Y... les a assignés, l'un et l'autre, en réparation du préjudice subi ;
Attendu que, pour déclarer irrecevables les demandes formées contre le sous-traitant, l'arrêt
retient que, dans le cas où le débiteur d'une obligation contractuelle a chargé une autre
personne de l'exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette dernière que
d'une action nécessairement contractuelle, dans la limite de ses droits et de l'engagement du
débiteur substitué ; qu'il en déduit que M. Z... peut opposer à M. Y... tous les moyens de
défense tirés du contrat de construction conclu entre ce dernier et l'entrepreneur principal,
ainsi que des dispositions légales qui le régissent, en particulier la forclusion décennale ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le sous-traitant n'est pas contractuellement lié au maître
de l'ouvrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE,
60
Doc 9 : Cour de cassation, chambre civile 1, 10 janvier 2006
N° de pourvoi: 03-17839
Publié au bulletin
Rejet.
Attendu que par actes authentiques des 5 et 12 mai 1989 instrumentés par la société civile
professionnelle Bonnet-Clerc, (la SCP) notaire, la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel
de la Guadeloupe (La CRCAM) a consenti à la société Soprotour, un crédit destiné à la
réalisation d'un projet immobilier, d'un montant de 4 000 000 francs ; qu'à la garantie de ce
crédit a été affectée et hypothéquée au profit de la CRCAM une parcelle de terre section AZ n
164 pour une superficie de 99a58ca ; qu'une inscription d'hypothèque conventionnelle a été
requise avec effet jusqu'au 10 avril 1995 ; que par acte authentique du 7 décembre 1990
instrumenté par la même SCP notariale, la CRCAM a consenti à la société Soprotour un
second crédit d'un montant de 1 500 000 francs ; qu'à sa garantie a été affectée et hypothéquée
la même parcelle de terre ; que l'inscription d'hypothèque conventionnelle, requise le 3 juin
1991, a été renouvelée le 3 décembre 1993 ; que cette inscription n'a été réalisée que pour les
lots 29 à 50 correspondants à des parties non bâties du terrain ; que l'hypothèque prise en
garantie du premier crédit n'a pas été renouvelée ; que le 28 octobre 1994, la société
Soprotour a été mise en liquidation judiciaire ; que le 10 janvier 1996, la société Farmimmo a
signifié au liquidateur de la société Soprotour un acte du 25 novembre 1995 portant cession
de certaines créances de la CRCAM à son profit ; que de février à juin 1997, le juge
commissaire a ordonné la cession de gré à gré des lots 2, 4, 10, 23 et 24 de l'ensemble
immobilier construit sur la parcelle hypothéquée pour un prix total de 1 255 000 francs ; qu'en
juillet 1999, la société cessionnaire Farmimmo, reprochant à la SCP d'avoir omis d'effectuer
les diligences concernant l'inscription et le renouvellement des inscriptions hypothécaires, a
assigné celle-ci ainsi que son assureur, la Mutuelle du Mans en paiement de diverses sommes
en réparation de son préjudice ; que les premiers juges ayant rejeté les demandes de la société
Farmimmo, la société NACC, venant aux droits de celle-ci est intervenue volontairement en
cause d'appel ; que l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 2 juin 2003) a condamné in solidum la SCP et
son assureur à payer à la société NACC la somme de 191 323,52 euros (1 255 000 francs) à
valoir sur son préjudice global qui sera fixé à la clôture des opérations de liquidation
judiciaire de la société Soprotour ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la SCP notariale et son assureur font grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable
l'intervention volontaire de la société NACC alors, selon le moyen, que pour déclarer
recevable l'intervention volontaire de la société NACC et juger bien fondé son recours contre
le notaire et son assureur de responsabilité, la cour d'appel s'est tout à la fois, référée à la
transmission d'une créance de responsabilité contre le notaire et à l'existence d'un
hypothétique préjudice personnel propre à la société NACC ; qu'en se prononçant par de tels
motifs qui laissent incertain le fondement de sa décision et ne permettant pas de vérifier si la
société NACC pouvait se prévaloir d'une créance de réparation née directement dans son
patrimoine ou de qualité d'ayant droit de la société Farmimmo, la cour d'appel a privé sa
décision de base légale au regard de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que si la cession d'une créance transfert celle-ci au cessionnaire, qui dispose de
toutes les actions qui appartenaient au cédant et qui se rattachaient à cette créance avant la
cession ; qu'il résulte de l'arrêt qui constate que la société Farmimmo avait cédé sa créance à
la société NACC postérieurement à la date du jugement entrepris, que la cession de créance
61
ayant rendu le cessionnaire personnellement titulaire des droits transmis, en acquérant la
créance, la société NACC a acquis ses accessoires, donc les sûretés ou les actions en justice
qui lui étaient attachées comme résultant de la perte de ces sûretés et justifiant la réparation du
préjudice en découlant pour elle ; que l'arrêt est ainsi légalement justifié ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'intervention volontaire de
la société NACC alors, selon le moyen, que l'action de la société NACC à l'encontre du
notaire et de son assureur de responsabilité était fondée sur l'existence d'un préjudice qui lui
était personnel, par définition, distinct du préjudice de la société Farmimmo et, par voie de
conséquence, d'une créance différente de celle dont s'est prévalue la société Farmimmo en
première instance ; qu'en déclarant néanmoins recevable l'intervention volontaire de la société
NACC, bien que la condamnation qui lui était demandée n'eût pas subi l'épreuve des premiers
juges, la cour d'appel a violé l'article 554 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que peuvent intervenir en cause d'appel, les personnes qui n'ont été ni parties, ni
représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité, dès lors qu'elles y
ont intérêt, et que l'intervention se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant ;
que la cour d'appel qui a constaté que l'action exercée par la société NACC tendait à la
condamnation de la SCP notariale sur le fondement de sa responsabilité civile professionnelle,
en réparation de manquements ayant conduit à la déperdition des sûretés prises en garantie
des prêts consentis par la CRCAM, a ainsi relevé l'existence d'un lien dont elle a
souverainement apprécié le caractère suffisant ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches ;
Attendu que la SCP notariale fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée in solidum avec son
assureur à payer à la société NACC la somme de 191 323,52 euros à valoir sur son préjudice à
fixer à la clôture des opérations de liquidation judiciaire de la société Soprotour, alors, selon
le moyen :
1 / que l'acte de cession de créance au profit de la société NACC, sous cessionnaire des
créances du Crédit agricole à l'égard de la société Soprotour, mentionnait précisément le
défaut de renouvellement de l'inscription hypothécaire prise en sûreté du prêt de 1989, ainsi
que le renouvellement limité de l'inscription hypothécaire prise en sûreté du prêt de 1990 ;
qu'en condamnant néanmoins le notaire à qui était imputé l'inefficacité de ces sûretés, sans
rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société NACC n'avait, en réalité, souffert d'aucun
préjudice personnel en relation causale avec le fait de l'officier ministériel, puisqu'elle avait
acquis, en connaissance de cause et probablement à moindre coût, une créance dépourvue de
toute sûreté opposable aux tiers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de
l'article 1382 du Code civil ;
2 / qu'en toute hypothèse, est contraire à l'ordre public et entachée d'une nullité absolue, la
cession d'une créance de responsabilité ; qu'en faisant droit à l'action de la société NACC bien
qu'il résultât des éléments versés aux débats qu'une telle créance de responsabilité dont
l'officier ministériel et son assureur auraient été débiteurs avaient été cédée à la société
demanderesse, la cour d'appel qui a attaché des effets à une cession de créance contraire à
l'ordre public, a violé les articles 6 et 1108 du Code civil ;
62
3 / qu'en toute hypothèse, la créance de responsabilité contre le notaire chargé de procéder à
l'inscription d'une hypothèque ou à son renouvellement, reste, sauf clause contraire, détenue
par le créancier victime de la faute du notaire, nonobstant la cession de la créance principale
qu'il réaliserait par ailleurs ; qu'en condamnant dès lors le notaire et son assureur de
responsabilité sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société NACC justifiait bien
d'un acte stipulant expressément la cession de créance de responsabilité contre le notaire, la
cour d'appel a violé les articles 1134 et 1165 du Code civil ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel n'avait pas à effectuer une recherche que rendaient
inopérantes ses constatations dont résultait que le cessionnaire de la créance et de ses sûretés,
exerçait une action qui leur était attachée et qui lui appartenait en propre par l'effet de la
cession ; qu'ensuite, une convention de cession peut avoir pour objet, non seulement toute
créance mais encore toute action contre un tiers, à moins que ces créances, droit ou action ne
soient hors du commerce ou que l'aliénation n'en ait été prohibée par une loi particulière ; que
dès lors, n'était pas contraire à l'ordre public la cession d'action tendant à la mise en jeu d'une
responsabilité civile professionnelle ne faisant l'objet d'aucune restriction légale ; qu'enfin, la
cession de créance, ayant pour effet d'emporter de plein droit transfert de tous les accessoires
de ladite créance, et notamment les actions en justice qui lui étaient attachées, la cour d'appel
n'avait pas à rechercher si le cessionnaire justifiait d'un acte stipulant expressément la cession
de l'action en responsabilité ; que le moyen n'est fondé en aucun de ses griefs ;
Et sur le quatrième moyen, tel qu'énoncé au mémoire en demande et reproduit en annexe :
Attendu que la contradiction dénoncée entre le dispositif et les motifs de l'arrêt résulte d'une
erreur matérielle qui peut, selon l'article 462 du nouveau Code de procédure civile être
réparée par la Cour de cassation à laquelle est déféré cet arrêt dont la rectification sera ciaprès ordonnée ;
que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
Dit que les motifs de l'arrêt attaqué (page 7) seront modifiés comme suit : "La société NACC
rapporte la preuve que les lots 2, 4, 10, 23 et 24 ont été vendus pour la somme totale de 1 255
000 francs" ;
Rejette le pourvoi ;
Doc 10 : Cour de cassation, chambre civile 3, 3 mai 2007
N° de pourvoi: 06-11591
Publié au bulletin
Rejet
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 23 novembre 2005), que Mme X..., titulaire d'un
bail commercial comportant une clause de non-concurrence, a assigné son bailleur, la SCI
Mailly I (la SCI),pour faire juger que, compte tenu des mutations et transformations de
commerces intervenues dans l'immeuble loué à divers commerçants, cette clause était
devenue sans objet et qu'elle ne saurait s'appliquer ;
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Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de prononcer la résolution de la clause avec effet à
compter de la date de l'assignation, alors, selon le moyen :
1°/ que le renouvellement du bail s'opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration ;
qu'aucune juridiction n'a le pouvoir de modifier les clauses d'un bail ; qu'en prononçant la
résolution de la clause de non-concurrence insérée dans le bail, les juges du fond ont excédé
leurs pouvoirs en violation des articles 1134 du code civil et 29 du décret n° 53-960 du 30
septembre 1953 ;
2°/ qu'une obligation valablement contractée s'impose aux parties, pour toute la durée de la
convention ; que le juge ne peut s'arroger le pouvoir de modifier la convention en ajoutant ou
en supprimant un engagement ; qu'en prononçant la résolution de la clause de nonconcurrence insérée dans le bail, les juges du fond ont excédé leurs pouvoirs en violation de
l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le bail d'origine conclu le 1er janvier 1983 comportait une
clause ainsi rédigée "Le preneur ne pourra également en aucun cas, exploiter des commerces
actuellement exercés par les autres locataires de l'immeuble ..., le preneur déclarant
parfaitement connaître les activités déjà exercées dans l'immeuble" et ayant retenu qu'en
insérant dès le départ une telle clause dans tous les baux du même immeuble, les bailleurs
d'origine et les preneurs initiaux avaient eu pour commune intention de préserver l'activité
commerciale des autres commerces déjà exploités dans l'immeuble en évitant toute
concurrence entre ses occupants, que, sauf à dénaturer cette clause claire, ou à l'exécuter de
mauvaise foi, en créant un déséquilibre entre les obligations et les droits de chacune des
parties, une telle clause devait demeurer commune à tous les preneurs et perdurer dans le
temps, la cour d'appel, qui a constaté que la clause imposée par le bailleur initial à tous ses
locataires avait disparu des baux consentis les 25 janvier 1989 et 1er septembre 1997 à la
société Moly Textiles, locataire du même immeuble, a pu en déduire que le bailleur, qui s'était
exonéré de l'obligation qui pesait sur lui, d'insérer cette clause dans les baux concernés par la
zone de non-concurrence, avait commis une faute dans l'exécution du bail, rendant de fait
impossible le respect de ladite clause et qu'il y avait lieu en conséquence de prononcer la
résolution de la clause de non-concurrence insérée dans le bail liant Mme X... à la SCI à
compter de la date de l'assignation ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
L'obligation transversale ?
Judith Rochfeld, Professeur de droit privé, Université Paris-Sud 11
Recueil Dalloz 2007 p. 2068
1 - Voici une bien curieuse argumentation, suivie par la troisième chambre civile, le 3 mai
2007, et promise à une large diffusion (Bull. civ. III, à paraître ; D. 2007. AJ. 1335, obs. Y.
Rouquet).
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Le preneur d'un local à usage commercial signe, le 1er janvier 1983, un contrat dans lequel est
insérée une clause de non-concurrence précisément rédigée de la façon suivante : « Le
preneur ne pourra également en aucun cas, exploiter des commerces actuellement exercés
par les autres locataires de l'immeuble (adresse), le preneur déclarant parfaitement connaître
les activités déjà exercées dans l'immeuble ». La clause figurait dans tous les baux initiaux de
l'immeuble, enserrant dans le filet de son obligation de ne pas faire l'ensemble des preneurs.
L'idée semble évidente, qui tient à une volonté qu'aucun des commerçants de l'immeuble ne
se fasse concurrence. Pour autant, elle sera déjouée quand, en 1989 et 1997, des baux seront
consentis sans que cette clause y figure et que l'un des commerces viendra concurrencer le
précédent occupant de 1983. Ce dernier demandera alors la résolution de la clause de nonconcurrence pour « disparition » de son « objet ». Il l'obtiendra devant la Cour d'appel de
Montpellier, avec effet à compter de la date de l'assignation. La Cour de cassation rejettera le
pourvoi contre cette décision. Pour parvenir à cette solution, celle-ci suivra celle-là dans les
contours d'une argumentation qui peut sembler insolite tant il s'agissait de faire entrer
l'existence, dans « l'objet » de la clause de non-concurrence considérée, d'un engagement de
non-concurrence réciproque à la charge de tiers à la relation contractuelle visée. Partant, il
était question d'admettre l'effet transversal et réciproque d'une clause au-delà de la relation des
parties à un contrat singulier et à l'égard de tiers (I) et, en conséquence, d'ouvrir à la délicate
question de la délimitation du périmètre obligationnel concerné (II).
I - De l'effet « transversal » de la clause
2 - Le premier élément insolite tient en l'appréciation du champ d'application de la clause de
non-concurrence, au fondement de la découverte d'une « intention commune » (A). Celle-ci
semble aboutir à mettre en lumière la poursuite d'une « cause transversale » à l'obligation de
non-concurrence, traçant un lien de réciprocité au-delà des champs contractuels de contrats
singuliers (B).
A - De l'intention commune
3 - On passera rapidement sur le fait que l'engagement de non-concurrence puisse faire l'objet
d'une appréciation et d'une sanction en tant que convention indépendante du bail qui le
renferme. Le débat fut âpre mais il est désormais admis qu'il puisse être divisible et que les
appréciations auxquelles il donne lieu soient celles entourant une convention autonome (cf. S.
Choisez, Dr. soc. 1993. 666 ; M. Gomy, Essai sur l'équilibre de la convention de nonconcurrence, Poitiers, 1999, n° 215 s. ; contra, J. Pélissier, Dr. soc. 1988. 393 ; adde, dans le
premier sens, la nécessité d'une contrepartie spécifique quand cette stipulation est adossée à
un contrat de travail : Soc., 10 juill. 2002, 3 arrêts, n° 99-43.334, 00-45.387, 00-45.135, D.
2002. 2491, note Y. Serra ; JCP G 2003. II. 10162, note F. Petit ; plus généralement, cf. M.
Mekki, Le nouvel essor du concept de clause contractuelle, RDC 2006. 1051, et 2007. 239). A
son seul égard donc, et de façon générale, les juges d'appel, soutenus par ceux de cassation,
relèveront que, « sauf à dénaturer cette clause claire, ou à l'exécuter de mauvaise foi, en
créant un déséquilibre entre les obligations et les droits de chacune des parties, une telle
obligation (« clause » pour la Cour de cassation) devait demeurer commune à tous les
preneurs et perdurer dans le temps ». En effet, toujours selon les constatations d'appel
reprises en cassation, « les bailleurs d'origine et les preneurs initiaux (avaient) eu pour
commune intention de préserver l'activité commerciale des autres commerces déjà exploités
dans l'immeuble en évitant toute concurrence entre ses occupants ». Or, ces affirmations, qui
peuvent sembler évidentes au vu de la finalité identifiée, sont loin de l'être lorsqu'on les
examine dans leurs détails. On s'en convaincra en décomposant le raisonnement suivi.
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4 - Tout d'abord, une interprétation est évoquée. Plus précisément, au premier abord, celle-ci
semble rejetée si l'on relève l'expression « sauf à dénaturer cette clause claire », établissant
l'absence du seuil d'ouverture de ce type d'opération. Pour autant, les juges d'appel n'en ont
pas moins fixé le sens de cette clause « claire » grâce à une recherche de la « commune
intention » des parties... et en se référant à la directive posée par l'article 1156 du code civil
(menant bien ainsi une sorte d'interprétation...).
Ensuite, et surtout, dans cette recherche, on relèvera le mode d'analyse de cette commune
intention : il en est appelé à celle des « bailleurs d'origine et (des) preneurs initiaux ». Plus
exactement, d'une part, en énonçant qu'« en insérant dès le départ une telle clause dans tous
les baux du même immeuble, les bailleurs d'origine et les preneurs initiaux avaient eu pour
commune intention... », les juges d'appel recherchent cette intention au travers du
comportement de ces acteurs. Plus étonnamment, d'autre part, l'intention retenue tient non
seulement en celle d'une collectivité de contractants, mais, en outre, d'une collectivité de
contractants figée autour de ceux qui occupaient initialement les lieux. De la sorte, la
commune intention fixant le sens de la clause renvoie ici à l'intention d'un groupe de
contractants figé au moment de la conclusion des baux initiaux, alors même que sa recherche
intervient pour fixer le sens de la clause à l'égard de parties tenues dans les liens de contrats
singuliers et ayant varié dans le temps (les « bailleurs initiaux » sont distingués de ceux
actuels ; les preneurs initiaux ont été rejoints par d'autres).
La conséquence tirée de cette intention commune n'est pas moins remarquable. Sur son
fondement, il est énoncé qu'« une telle clause devait demeurer commune à tous les preneurs
et perdurer dans le temps ». Partant, en considération de l'interprétation d'une intention
collective, les juges de cassation acceptent de faire produire effet à une clause au-delà du
champ contractuel singulier du contrat considéré et en exige la réciprocité à l'égard de tous les
participants à un groupe, ici au groupe d'« occupants » de l'immeuble : cette clause ne
trouverait sa justification (« son objet » selon le demandeur) que dans sa présence analogue
dans les autres baux de l'immeuble.
En définitive, en l'espèce, on assiste à une recherche du sens d'un comportement, d'une part,
tenu à l'égard d'une collectivité et par une collectivité, d'autre part, valant, enfin, pour tout
membre ayant vocation à s'insérer dans cette dernière, et ce, quel que soit le moment où il
l'intègre, l'obligation ayant été figée dans la durée.
5 - Par ailleurs, au-delà des énonciations tendant à fixer le sens de la clause, la teneur du
second type d'argumentation utilisée, à savoir l'exécution de bonne foi de la stipulation de
non-concurrence, suffirait à retenir l'attention. Au regard de l'intention ayant présidé à
l'introduction de cette obligation de non-concurrence, la cour d'appel estime que l'exécution a
été « de mauvaise foi », caractérisée par la création d'« un déséquilibre entre les obligations et
les droits de chacune des parties ». En effet, cette clause qui devait, ainsi qu'il l'a déjà été
précisé, « demeurer commune à tous les preneurs et perdurer dans le temps » avait disparu de
baux ultérieurs. Le bailleur aurait donc exécuté de mauvaise foi son contrat de bail, en
n'introduisant pas la clause de non-concurrence dans les autres baux.
Or, d'une part, et a minima, le lien tracé entre la mauvaise foi et la création d'un déséquilibre
entre les droits et les obligations des parties peut être relevé. Un tel lien est plus habituel, en
effet, dans les traditions juridiques où la bonne foi est analysée de façon objective, au regard
d'un critère de déséquilibre des obligations et non d'un comportement moralement déloyal (cf.
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§ 138 BGB ; adde les droits accueillant l'idée de lésion qualifiée et associant comportement
répréhensible d'une partie abusant de la faiblesse ou de la situation de nécessité de son
partenaire contractuel ou adoptant un comportement déloyal, d'un côté, et déséquilibre des
droits et des obligations, de l'autre ; soit que ce dernier révèle l'abus, soit qu'il en soit un
élément constitutif ; art. 4 : 109, PDEC).
Surtout, d'autre part, l'appréciation de cette mauvaise foi et du déséquilibre en résultant se fait,
à nouveau, collective : au regard de la rédaction du bail de 1983, de son champ contractuel et
de la force obligatoire devant être reconnue à ses clauses sur le fondement de l'article 1134
(tous arguments que tente de réintroduire le pourvoi), la présence de la clause n'était pas un
facteur de déséquilibre et de mauvaise foi du bailleur ; elle l'est à l'aune d'une mise en relation
de ce bail avec les autres baux de l'immeuble et d'une appréciation collective et réciproque du
contenu obligationnel de ces derniers, les uns par rapport aux autres. C'est pour ne pas avoir
fait respecter cet équilibre global, en veillant à ce que la même clause soit insérée dans tous
les contrats et que la finalité collective de non-concurrence reste poursuivie, que le bailleur est
considéré de mauvaise foi.
En définitive, la clause de non-concurrence était appelée à fonctionner à l'échelle de la
collectivité des baux et à transcender les différents champs contractuels des contrats
singuliers, quand bien même les parties en étaient distinctes et avaient varié dans le temps et
que cela impliquait d'embrasser des tiers. Cette solution insolite semble s'appuyer sur
l'identification d'une finalité et l'appréciation d'un équilibre, transversaux aux différents baux
concernés.
B - De la « cause transversale »
6 - Ce que ce raisonnement concentre de remarquable, en effet, tient en la reconnaissance
d'une obligation transversale, qui paraît trouver sa justification et son équilibre dans son
existence et son exécution à l'égard d'une collectivité de personnes, tenues dans des liens
contractuels divers.
Aussi, d'une part, sans que l'arrêt de la Cour de cassation ne le fasse explicitement apparaître,
il semblerait qu'il y ait eu découverte d'une cause transversale aux engagements de nonconcurrence de l'immeuble, au sens où l'intérêt justifiant l'engagement de chacun des preneurs
de ne pas concurrencer les autres occupants serait constitué par l'engagement analogue et
réciproque de ces derniers, fussent-ils parties de contrats divers et sans lien contractuel entre
eux (sur la notion de cause en tant qu'intérêt, cf. Cause et type de contrat, préf. J. Ghestin,
LGDJ, 1999, n° 76 s. ; dans le même sens, plus récemment, J. Ghestin, Cause de
l'engagement et validité du contrat, LGDJ, 2006, n° 113). Il y a donc eu approche « collective
» de la cause de l'engagement de non-concurrence, au travers d'un raisonnement qui a
transcendé les accords particuliers pour tendre, entre eux, un lien de réciprocité (le demandeur
avançait la disparition de « l'objet » ; l'arrêt d'appel évoquera, lui, la « disparition » de la «
cause », précisant par motifs propres que, « acceptée par tous, (la clause) assure une
protection de chacun et de tous, l'obligation de l'un ayant pour contrepartie l'engagement de
tous les autres de ne pas le concurrencer »). C'est sur le fondement de cette obligation
collective réciproque qu'un comportement commun et parallèle était exigé, propre à atteindre
la finalité identifiée de constitution d'une « zone de non-concurrence » En outre, cette cause
est contrôlée dans sa pérennité, la résolution de la clause de non-concurrence venant
sanctionner sa disparition (cf. supra). Il semble donc bien que les juges se soient appuyés sur
l'idée d'une obligation réciproque de non-concurrence, transcendant les parties pour embrasser
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des tiers, ce au regard de la finalité de constitution d'une zone de non-concurrence. Sur ce
fondement, ils paraissent avoir procédé à un contrôle (tacite pour la Cour de cassation) de
l'existence de cette cause et de sa pérennité.
7 - Certes, on pourrait minimiser le phénomène et en trouver des justifications dans les
particularités de l'espèce. On sent bien, en effet, que la finalité tendant à constituer cette «
zone de non-concurrence » se dessinait en filigrane dans l'intention commune initiale. En
outre, la rédaction de la clause faisait référence aux autres preneurs et à la connaissance de
leur activité. Elle pouvait donc sembler intégrer ces derniers dans le champ contractuel.
Ensuite, celle-ci paraissait pouvoir s'appuyer sur une assise réelle, au sens où un immeuble
unique semblait concerné. L'espèce permettait donc une sorte d'approche réelle de
l'obligation. Enfin, de façon circonstancielle toujours, la demande - la « résolution » de la
clause de non-concurrence - allait dans un sens favorable aux libertés puisqu'elle conduisait à
l'élimination d'une obligation restreignant la liberté fondamentale, de valeur constitutionnelle,
du commerce.
Pour autant, quant à la rédaction, elle ne faisait pas exactement état de l'introduction d'une
obligation de non-concurrence dans les autres baux et de la condition de sa réciprocité. Par
ailleurs, aucune allusion n'est faite à un éventuel contrat-cadre (à l'instar des contrats de
distribution) ou à un mode d'organisation collectif de l'activité commerciale de l'immeuble (à
l'instar de ce qui peut exister, en matière de centres commerciaux, sous forme de règlement ou
d'association de commerçants). Ensuite, l'assise réelle pourrait être nuancée. Quid dans
l'hypothèse où, par exemple, l'on ferait valoir une intention commune embrassant des
commerçants d'un immeuble voisin... ? Enfin, on notera que la protection de la liberté
fondamentale d'exercice d'une activité commerciale a paradoxalement requis la
reconnaissance de la nécessaire existence d'une obligation de non-concurrence à l'égard de
tiers qui ne l'avaient pas contractée.
En définitive, les pures considérations de circonstances constituaient un matériau mouvant à
partir duquel il était discutable d'introniser cette sorte d'obligation, collective et transversale
(et ce, d'autant qu'était ici en jeu une liberté fondamentale). Le détour explicite par la notion
de cause, propre à tracer le lien de réciprocité, eût pu renforcer la démonstration. Il n'en
tarissait pas pour autant les difficultés nées de l'attraction réalisée, de tiers dans une obligation
et, partant, de la délimitation du périmètre obligationnel.
II - De la délimitation du périmètre obligationnel
8 - En traçant un rapport de réciprocité entre plusieurs personnes tenues dans les liens de
contrats distincts, et ce par le biais d'une « cause transversale » transcendant les champs
contractuels singuliers, on attrait des tiers dans la sphère d'une obligation. Dès lors, tandis que
l'on s'était familiarisé, non sans mal, avec l'idée de groupe de contrats, il faudrait désormais
s'acclimater à celle de groupes d'obligés. Dans l'espèce, tout se passe comme si, en contractant
le bail, chacun devait supporter la clause adossée à cette situation. Tout s'y passe comme si...
mais l'on aperçoit la difficulté de l'entreprise, à savoir la délimitation du périmètre
obligationnel : il n'est pas évident de circonscrire cette cause transversale ainsi que le groupe
de personnes concernées. Dès lors, d'une part, il faut se demander s'il est acceptable, au vu de
l'article 1165 du code civil et de l'effet relatif des conventions, d'attraire des tiers dans la
sphère d'obligations imposées entre des parties et, dans l'affirmative, si des critères de
délimitation du périmètre obligationnel seraient décelables (A). D'autre part, si l'évolution
venait à se confirmer, il faudrait noter l'émergence et l'autonomie gagnée par la notion
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d'obligation, en dépassement de celle de contrat (B).
A - De l'abaissement de la frontière entre parties et tiers
9 - Sur le premier point, dans une approche classique de l'effet relatif, la réponse négative
semblerait s'imposer. Pour autant, il faut considérer les avancées de phénomènes tendant à
décloisonner la frontière séparant les contractants et les tiers. Deux mouvements sont ici à
relever.
10 - Le premier, balbutiant et dans lequel s'inscrit la décision commentée, tient en une «
décontractualisation » d'obligations de type contractuel : de telles obligations tendent à être
imposées, au-delà des parties, à des tiers ; inversement, elles peuvent être imposées entre
parties, mais au regard de l'existence d'autres accords de ces dernières avec des tiers. Le tout
transcende les limites des champs contractuels des contrats singuliers.
Dans le premier sens, on peut proposer, comme on l'a fait, de raisonner en obligations
transversales. A cet égard, en matière de baux commerciaux contigus, la direction prise par le
présent arrêt n'est pas isolée en jurisprudence. Dans une décision de la même Chambre, du 4
mai 2006, la Cour de cassation énonçait, au visa des articles 1134, 1147 et 1165 du code civil,
« que le locataire bénéficiaire d'une clause d'exclusivité (relativement à une activité) qui lui a
été consentie par son bailleur est en droit d'exiger que ce dernier fasse respecter cette clause
par ses autres locataires, même si ceux-ci ne sont pas parties au contrat contenant cette
stipulation » (n° 04-10.051, Bull. civ. III, n° 107, D. 2006. AJ. 1454, obs. Y. Rouquet, et
2007. Pan. 1827, obs. L. Rozès ; RTD civ. 2006. 554, obs. J. Mestre et B. Fages ; JCP G
2006. II. 10119, obs. O. Deshayes ; RDC 2006. 1154, obs. J.-B. Seube ; ibid. 2007. 267, obs.
D. Mazeaud, et 295, obs. G. Viney). Ce faisant, comme dans l'espèce commentée, elle faisait
du bailleur le débiteur de l'imposition d'une obligation d'exclusivité et de son respect auprès
de tiers. La décision présente amplifie néanmoins ce mouvement d'attraction de tiers dans le
périmètre d'une obligation contractuelle, en lui donnant une assise (tacite) : l'existence d'une
cause transversale et le respect d'un équilibre réciproque d'ensemble.
Dans le second sens, se font jour des raisonnements en portefeuille de contrats, qui viennent
introduire des obligations, entre deux parties, à la charge de l'une ou de l'autre, justifiées par
l'existence d'autres accords avec des tiers. Un exemple, isolé, est fourni par la loi tendant à
conforter la confiance et la protection du consommateur, du 28 janvier 2005 (Loi n° 2005-67,
cf. nos obs., RTD civ. 2005. 478). En effet, ce texte réformait le régime de la tacite
reconduction, en faisant peser sur des professionnels une obligation d'information, au bénéfice
du consommateur, quant à la possibilité de ce dernier de résilier le contrat avant le jeu de cette
reconduction (cf. art. L. 136-1, c. consom., sous peine que le consommateur dispose d'une
faculté de résilier gratuitement le contrat « à tout moment à compter de la date de
reconduction »). Or, la création de cette obligation fut justifiée par la mise en relation des
multiples contrats conclus entre un consommateur et des professionnels, fussent-ils différents.
La réforme se justifiait donc, non pas au regard de l'équilibre d'un contrat singulier entre un
consommateur et un professionnel, mais en considération du nombre de contrats de
consommation conclus par ménage moyen auprès de divers professionnels et de la gestion
que cette masse contractuelle imposait (« jusqu'à 25 types de contrats, représentant plus de
cinquante contrats différents », cf. L.-M. Chatel, JOAN 11 déc. 2003, p. 12153). Dès lors,
dépassant les exigences du cadre contractuel interpersonnel classique, le législateur faisait de
chaque professionnel le débiteur d'une obligation d'information se justifiant par l'existence
d'autres contrats et intronisait dans la loi un raisonnement embrassant un portefeuille de
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contrats.
12 - Au titre du second mouvement, on ne fera qu'évoquer la « contractualisation » de la faute
délictuelle (ou sa « dérelativisation », cf. J.-P. Tosi, « Le manquement contractuel dérelativisé
», in Mélanges M. Gobert, Economica, 2004, p. 479) : le constat de celle-ci puise aujourd'hui
aux appréciations contractuelles puisque la démonstration de l'inexécution d'un contrat semble
suffire, non sans critiques, pour constituer la faute délictuelle entraînant une responsabilité à
l'égard d'un tiers (cf. Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255, Bull. civ. n° 9, D. 2006.
2825, note critique G. Viney ; JCP G 2006. II. 10181, avis av. gén. Gariazzo, note M. Billiau ;
JCP G 2007. I. 115, obs. P. Stoffel-Munck ; RDC 2007. 269, obs. D. Mazeaud, et 279, obs. S.
Carval ; n° spécial, p. 537 et s. ; RTD civ. 2007. 123, obs. critiques P. Jourdain). On notera,
en outre, que dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt de l'Assemblée plénière du 6 octobre
2006, le locataire-gérant d'un fonds de commerce se plaignait de l'inexécution de son
obligation d'entretien des lieux par le bailleur ; ce dernier n'était pas son cocontractant
puisqu'il tenait ses droits du locataire ; ils étaient donc regardés comme des tiers et
l'inexécution devait entrer dans la qualification de faute délictuelle ; elle y fut insérée au seul
constat de l'inexécution de l'obligation d'entretien (cf. art. 1342, Avant-projet de réforme du
code civil, qui autorise le tiers à se prévaloir d'un fondement contractuel). Dans les deux
mouvements, on le constate, une obligation semble rayonner au-delà des champs contractuels
distincts et relier des personnes intéressées (sur la notion de tiers « intéressés », cf. P. Ancel,
RDC 2007 préc., p. 549 et les références citées). Dans les deux situations, de plus, une sorte
d'assise réelle (immeuble, zone d'activités contiguë) soutenait le lien entre les personnes.
La décision présente s'inscrit donc dans un mouvement plus général de relativisation de la
frontière entre les parties et les tiers. On peut toutefois se demander si, du fait du caractère
transversal qu'elle reconnaît à l'obligation et du fondement qu'elle semble lui assigner de
respect d'un équilibre commun et réciproque, elle ne ferait pas apparaître une notion
d'obligation en passe de s'affranchir du contrat.
B - De l'autonomie de la notion d'obligation
13 - On peut, dans un premier temps, et eu égard à ces mouvements, regarder l'idée de contrat
comme totalement brouillée. En effet, identifier des obligations, liant des tiers, au nom d'un
équilibre collectif, puise aux sources de deux types d'argumentation et produit un singulier
mélange des genres. On s'intéressera, pour le démontrer, à la notion qui fait passer, dans l'arrêt
commenté, du singulier au pluriel : celle de faute. En effet, afin de qualifier d'inexécution
contractuelle ou d'inexécution de mauvaise foi du contrat considéré le fait, pour un bailleur,
de ne pas avoir inséré la clause de non-concurrence dans les autres baux, les juges de
cassation, approuvant ceux d'appel, relèveront une faute : « le bailleur, qui s'était exonéré de
l'obligation qui pesait sur lui, d'insérer cette clause dans les baux concernés par la zone de
non-concurrence avait commis une faute dans l'exécution du bail, rendant de fait impossible
le respect de ladite clause ». C'est donc au nom d'une obligation, non respectée, d'insérer la
clause dans d'autres baux que le bailleur est sanctionné, et ce, pour « inexécution », qualifiée
de faute.
L'argumentation rase alors les frontières de deux types de qualifications et de raisonnements :
ceux d'inexécution d'une obligation - vocabulaire contractuel et appréciation du respect
d'obligations déterminées et propres aux parties ; ceux de non-respect de devoirs sociaux
généraux - vocabulaire délictuel et appréciation d'une « faute » (sur l'opposition des
obligations et des devoirs, cf. G. Viney, Introduction à la responsabilité civile, 2e éd., LGDJ,
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1995, n° 168 ; P. Stoffel-Munck, L'abus dans le contrat. Essai d'une théorie, préf. R. Bout,
LGDJ, 2000, p. 134 s.).
Pour rester dans le contractuel « pur », il eût fallu pouvoir reprocher au bailleur l'inexécution
de l'une des obligations du contrat. C'est la voie que semble emprunter le raisonnement de
l'arrêt en lui reprochant le non-respect, à l'égard du preneur, d'une « obligation d'insérer une
clause » dans les contrats conclus avec un tiers, afin qu'une obligation lie ces derniers. Pour
autant, le manquement contractuel est ici d'une substance étrange : la défaillance du bailleur à
l'égard de son partenaire contractuel consiste à ne pas avoir attrait dans la sphère de
l'obligation une collectivité dépassant son cocontractant (cf. ne faisant pas ce détour, Cass. 3e
civ., 3 mai 2006, préc.).
Pour constater une faute « pure », à l'inverse, il eût fallu identifier un comportement
socialement répréhensible du bailleur (en l'occurrence, par ex., le fait de ne pas adopter le
même comportement avec tous les preneurs et de procéder à une discrimination ; sur la
pénétration du principe de non-discrimination en droit contractuel interne, cf. obs. J. Mestre et
B. Fages, RTD civ. 2002. 498 ; nos obs. sous Cass. 3e civ., 19 mars 2003, RDC 2004. 618 ; à
distinguer de l'idée de la nature délictuelle de la « faute d'abus » ou de mauvaise foi dans le
contrat, P. Stoffel-Munck, op. cit., p. 106 s.). Or, la « faute » relevée ne s'induit pas d'un tel
constat : elle tient au fait de ne pas avoir tout mis en oeuvre pour assurer le respect d'un
équilibre collectif d'obligations, non à l'ignorance de devoirs généraux.
14 - En réalité, ce brouillage montre peut-être la voie d'une qualification intermédiaire. En
imposant le respect d'une obligation qui trouve sa justification et son équilibre dans son
existence collective à l'égard de tiers, l'arrêt paraît faire surgir une sorte d'obligation, d'une
part, pesant sur une collectivité en partie composée de tiers et transcendant la qualité de
cocontractant à un accord particulier, d'autre part. Les coobligés ne se sont pas, en effet,
engagés dans un contrat les uns par rapport aux autres. Le raisonnement intronise ainsi une
obligation collective transversale, générée et exécutée sur le fondement d'une finalité et d'un
équilibre communs, propres à transcender le lien contractuel classique. Le contrat (et son
champ contractuel) se trouve minimisé, au « profit » de la notion d'obligation, qui prend un
sens autonome. Pour autant, toutes les conséquences de cette indépendance ne sont pas tirées.
En l'espèce, les implications du raisonnement mené se développent dans la sphère
contractuelle du preneur et du bailleur et tiennent en la « résolution » de la clause et en la
libération du preneur-demandeur de ses obligations. Le pas le plus extrême n'est pas franchi,
consistant à imposer l'exécution de l'obligation aux tiers (cf. obs. O. Deshayes, préc., quant
aux difficultés de faire respecter l'exclusivité à leur égard). Il n'en demeure pas moins que le
premier versant d'une dynamique d'attraction de tiers à l'obligation se met en place, aux
conséquences potentiellement importantes, et ce, alors même que rien n'est dit sur les
mécanismes d'émergence de telles obligations et que demeurent les interrogations soulevées,
et non résolues, de la délimitation de leur périmètre d'application...
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