TD 6 et 7 dt contrats 2014-15 B Parance
Transcription
TD 6 et 7 dt contrats 2014-15 B Parance
Thème N° 6 : LA FORCE OBLIGATOIRE DU CONTRAT L’INTERPRETATION DU CONTRAT ET SON FORÇAGE LA REVISION DU CONTRAT LA FORCE OBIGATOIRE DU CONTRAT Doc 1 : Com. 10 juillet 2007, n° 06-14768 , D. 2007, p. 2839, note Ph. Stoffel-Munck, RDC 2007, p. 1107, obs. L. Aynès. Doc 2 : Cass. 3ième civ. 9 décembre 2009, n° 04-19923, RDC 2010, p. 561, note Y-M. Laithier, RDC 2010, p. 564, note D. Mazeaud. Doctrine : F. Chénédé, Les conditions d’exercice des prérogatives contractuelles, RDC 2011, p. 709. II. L’INTERPRETATION DU CONTRAT ET SON FORÇAGE Doc 3 : Civ. 21 novembre 1911, arrêt Cie générale transatlantique, DP 1913, I, 249, note L . Sarrut. Doc 4 : Civ. 1re, 28 oct. 2010, n° 09-16913 Doc 5 : Chb mixte 29 juin 2007, n° 05-21104 et 06-11673, RLDC nov 2007, p. 17, note B. Parance. III. LA REVISION DU CONTRAT Doc 6 : Com. 3 novembre 1992, n° , RTDciv. 1993, p. 124, obs. J. Mestre Doc 7 : Cass. 1ière civ. 16 mars 2004, n° 01-15804, D. 2004, p. 1754, note D. Mazeaud, D. 2004, p. 2239, L’interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation, J. Ghestin. Doc 8 : Com. 29 juin 2010, n° 09-67369 , D. 2010, p. 2481, note D. Mazeaud et Th. Genicon. 1 EXERCICES : 1) Lire et comprendre l’ensemble des arrêts de la fiche 2) Résoudre le cas pratique suivant en suivant les conseils méthodologiques qui vous ont été dispensés : Monsieur David Gheta est associé majoritaire de la boite de nuit Les bains, et est en même temps dirigeant social de cette entreprise qu’il exploite avec son épouse Cathy. Par ailleurs, il est associé minoritaire de la boite le VIP dont il détient 30 % du capital, les 70% restant étant détenu par Monsieur Jean Roch. Monsieur D Gheta est aussi dirigeant du VIP mais il est très peu présent sur le site, étant retenu toutes les nuits aux Bains. Le VIP est principalement géré par Monsieur Jean Roch qui décide de partir pour Saint Tropez et de vendre ses parts dans le VIP. En janvier 2008, Monsieur D . Gheta acquière l’ensemble des parts de Monsieur Jean Roch afin d’avoir plusieurs lieux de distraction dans la capitale. L’acte de cession contient une garantie de passif qui prévoit notamment qu’en cas de redressement fiscal pour des faits antérieurs à la cession, Monsieur Jean Roch devra les garantir à hauteur de 3 M d’euros. Or le risque se réalise en avril 2008 et le VIP subit un redressement fiscal de 2,5 M d’euros. Monsieur D. Gheta demande donc à Monsieur Jean Roch d’exécuter la garantie de passif et de lui rembourser le montant du redressement fiscal. Mais ce dernier oppose alors la connaissance par Monsieur Gheta des pratiques douteuses du VIP dont il était aussi dirigeant social au moment de la période en cause, et refuse donc de s’exécuter. Monsieur D. Gheta vient vous consulter pour voir si vous pouvez assurer sa défense et évaluer quelles sont ses chances de voir Monsieur Roch exécuter la garantie de passif. 3) lire très attentivement l’arrêt de la Civ 1ier du 16 mars 2004 et les commentaires cités pour prendre conscience du pouvoir d’interprétation de la doctrine !! A exposer à l’oral de manière détaillée. DOCUMENTS I. LA FORCE OBIGATOIRE DU CONTRAT Doc 1 : Cour de cassation, chambre commerciale, 10 juillet 2007 N° de pourvoi: 06-14768 Publié au bulletin Cassation Sur le moyen unique, pris en sa première branche : Vu l'article 1134, alinéas 1 et 3, du code civil ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par acte du 18 décembre 2000, MM. X..., Y... et Z..., actionnaires de la société Les Maréchaux, qui exploite notamment une discothèque, ont cédé leur participation à M. A..., déjà titulaire d'un certain nombre de titres et qui exerçait les fonctions de président du conseil d'administration de cette société ; qu'il était stipulé qu'un 2 complément de prix serait dû sous certaines conditions qui se sont réalisées ; qu'il était encore stipulé que chacun des cédants garantissait le cessionnaire, au prorata de la participation cédée, notamment contre toute augmentation du passif résultant d'événements à caractère fiscal dont le fait générateur serait antérieur à la cession ; que la société ayant fait l'objet d'un redressement fiscal au titre de l'exercice 2000 et MM. X..., Y... et Z... ayant demandé que M. A... soit condamné à leur payer le complément de prix, ce dernier a reconventionnellement demandé que les cédants soient condamnés à lui payer une certaine somme au titre de la garantie de passif ; Attendu que pour rejeter la demande de M. A..., l'arrêt retient que celui-ci ne peut, sans manquer à la bonne foi, se prétendre créancier à l'égard des cédants dès lors que, dirigeant et principal actionnaire de la société Les Maréchaux, il aurait dû se montrer particulièrement attentif à la mise en place d'un contrôle des comptes présentant toutes les garanties de fiabilité, qu'il ne pouvait ignorer que des irrégularités comptables sont pratiquées de façon courante dans les établissements exploitant une discothèque et qu'il a ainsi délibérément exposé la société aux risques, qui se sont réalisés, de mise en oeuvre des pratiques irrégulières à l'origine du redressement fiscal invoqué au titre de la garantie de passif ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties, la cour d'appel a violé, par fausse application, le second des textes susvisés et, par refus d'application, le premier de ces textes ; PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 mars 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée. Doc 2 : Cour de cassation, chambre civile 3, 9 décembre 2009 N° de pourvoi: 04-19923 Publié au bulletin Cassation Sur le moyen unique : Vu l'article 1134, alinéas 1 et 3, du code civil, ensemble l'article L. 145- I du code du commerce ; Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 8 septembre 2004), que, par acte du 4 août 1999, la société civile immobilière Pompei (la SCI) a donné à bail pour une durée de neuf ans à la société La Belle Epoque des locaux à usage commercial de restaurant, bar et brasserie ; que le 15 décembre 1999, la société La Belle Epoque a été mise en liquidation judiciaire ; que nonobstant l'opposition de la SCI, M. X..., désigné en qualité de mandataire liquidateur, a été autorisé par le juge commissaire à céder le fonds de commerce de la société La Belle Epoque à la société HDC ; que la SCI a fait assigner M. X..., ès qualités, et la société HDC aux fins de voir déclarer inopposable à son endroit la cession intervenue, que soit prononcée la résiliation du bail et que soit ordonnée l'expulsion de la société La Belle Epoque ainsi que celle de tous 3 occupants de son chef ; Attendu que pour rejeter les demandes de la SCI, l'arrêt retient que l'article 8 du contrat n'autorisait la cession du bail qu'à l'acquéreur du fonds de commerce, que cette clause ne vaut et ne peut être respectée que s'il existe ou s'il a pu exister un véritable fonds de commerce de restaurant, bar ou brasserie, seules activités admises dans les locaux loués, qu'à la date du bail un tel fonds n'existait pas, le local étant alors la boutique d'un antiquaire, que par la suite la société La Belle Epoque n'a pas été à même de créer le fonds de restaurant, son gérant de fait et son gérant de droit ayant été incarcérés le 14 octobre 1999, soit deux mois après la signature du bail, et que les locaux étant restés fermés jusqu'au prononcé de la liquidation judiciaire l'objet social de cette société s'est avéré impossible à réaliser, mais que cette situation était connue de la SCI dont le gérant était également le gérant de fait de la société La Belle Epoque, lequel n'avait acquis les locaux objet du bail que pour y installer des cuisines destinées à desservir un local commercial voisin dans lequel la locataire exploitait un restaurant qui en était dépourvu, que la SCI, dont la mauvaise foi est ainsi caractérisée, est irrecevable à opposer à la société La Belle Epoque l'absence de fonds de commerce dans les locaux loués et le fait que les locaux ont été aménagés en cuisine et que dès lors que ni la régularité de la cession contrôlée par le juge commissaire, ni la moralité, la solvabilité et la compétence de la société HDC n'étaient en cause, le refus d'agrément de la SCI à la cession est injustifié ; Qu'en statuant ainsi, alors que si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties ni à s'affranchir des dispositions impératives du statut des baux commerciaux, la cour d'appel qui a constaté qu'aucun fonds de commerce n'avait été créé ou exploité dans les locaux, pris à bail par la société La Belle Epoque et qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 septembre 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence II. L’INTERPRETATION DU CONTRAT ET SON FORÇAGE Doc 4 : Cour de cassation, chambre civile 1, 28 octobre 2010 N° de pourvoi: 09-16913 Publié au bulletin Cassation Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche : Vu les articles 1147 et 1315 du code Attendu que M. et Mme X... ont acheté à la société Ateliers de la terre cuite (la civil ; société ATC) divers lots de carrelage ; qu'ayant constaté la désagrégation des carreaux qui avaient été posés autour de leur piscine, ils en ont informé la société ATC qui a procédé à un remplacement partiel du carrelage ; que le phénomène persistant, les époux X... ont obtenu la désignation d'un expert dont le rapport a fait apparaître que les désordres étaient liés à l'incompatibilité entre la terre cuite et le traitement de l'eau de la piscine effectué selon le procédé de l'électrolyse au sel, puis, afin d'être indemnisés, ils ont assigné le vendeur qui a 4 attrait en la cause son assureur, la société Generali assurances ; Attendu que pour rejeter la demande fondée sur l'article 1147 du code civil, la cour d'appel a énoncé que s'il appartient au vendeur professionnel de fournir à son client toutes les informations utiles et de le conseiller sur le choix approprié en fonction de l'usage auquel le produit est destiné, en s'informant si nécessaire des besoins de son client, il appartient également à ce dernier d'informer son vendeur de l'emploi qui sera fait de la marchandise commandée puis a retenu qu'il n'était pas établi que le vendeur eût été informé par les époux X... de l'utilisation spécifique, s'agissant du pourtour d'une piscine, qu'ils voulaient faire du carrelage acquis en 2003, de même type que celui dont ils avaient fait précédemment l'acquisition ; Qu'en statuant ainsi alors qu'il incombe au vendeur professionnel de prouver qu'il s'est acquitté de l'obligation de conseil lui imposant de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer quant à l'adéquation de la chose proposée à l'utilisation qui en est prévue, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 mars 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse. Doc 5 : Cour de cassation, chambre mixte, 29 juin 2007 N° de pourvoi: 05-21104 Publié au bulletin Cassation Sur le moyen unique : Vu l'article 1147 du code civil ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre-Est (la caisse) a consenti à M.X... pour les besoins de son exploitation agricole, entre 1987 et 1988, puis entre 1996 et 1999, seize prêts ; que des échéances étant demeurées impayées, la caisse a assigné en paiement M.X... qui a invoqué un manquement du prêteur à ses obligations ; Attendu que pour écarter ses prétentions, l'arrêt retient que la caisse avait accepté les dossiers de crédit après avoir examiné les éléments comptables de l'exploitation et l'état du patrimoine de M.X..., dont il ressortait que ce dernier était, au 30 juin 1998, propriétaire d'un cheptel d'une valeur dépassant le montant total des emprunts, qu'il était acquis que les trois prêts octroyés en 1987 et 1988 avaient été régulièrement remboursés jusqu'en 2000 et 2001 et qu'en dépit de la multiplicité des crédits accordés entre 1997 et 1998 qui n'était pas significative dès lors qu'elle résultait du choix des parties de ne financer qu'une seule opération par contrat, il n'était pas démontré que le taux d'endettement de M.X... qui avait d'ailleurs baissé, ait jamais été excessif, l'entreprise n'étant pas en situation financière difficile, que M.X... ne rapporte pas la preuve que les crédits auraient été disproportionnés par rapport à la capacité financière de l'exploitation agricole et que l'établissement bancaire qui consent un prêt n'est débiteur Qu'en se déterminant ainsi, d'aucune obligation à l'égard du professionnel emprunteur ; sans préciser si M.X... était un emprunteur non averti et, dans l'affirmative, si, conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue à son égard lors de la conclusion du contrat, la caisse justifiait avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l'emprunteur et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 septembre 2005 par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon, autrement composée. 5 N° de pourvoi: 06-11673 Publié au bulletin Cassation Sur le moyen unique : Vu l'article 1147 du code civil ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par acte du 30 janvier 1989, l'Union bancaire du Nord (la banque) a consenti aux époux Y... (les coemprunteurs) un prêt afin d'acquérir un fonds de commerce ; qu'à la suite d'échéances impayées, la déchéance du terme ayant été prononcée, la banque a déclaré sa créance au passif de la liquidation judiciaire de M. Y... et a été autorisée à pratiquer une saisie des rémunérations de Mme Y... en paiement des sommes restant dues ; que celle-ci s'est prévalue d'un manquement de la banque à son obligation d'information des risques qu'elle avait pu encourir alors qu'elle était institutrice et n'avait jamais eu d'activité artisanale ou commerciale ; Attendu que pour rejeter la demande en dommages-intérêts présentée par Mme Y..., l'arrêt retient que les coemprunteurs étaient en mesure d'appréhender, compte tenu de l'expérience professionnelle de M. Y..., la nature et les risques de l'opération qu'ils envisageaient et que la banque qui n'avait pas à s'immiscer dans les affaires de ses clients et ne possédait pas d'informations que ceux-ci auraient ignorées, n'avait ni devoir de conseil, ni devoir d'information envers eux ; Qu'en se déterminant ainsi, sans préciser si Mme Y... était non avertie et, dans l'affirmative, si, conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue à son égard lors de la conclusion du contrat, la banque justifiait avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de Mme Y... et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 juin 2005, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée. III. LA REVISION DU CONTRAT Doc 6 : Cour de cassation, chambre commercial,e 3 novembre 1992 N° de pourvoi: 90-18547 Publié au bulletin Rejet. Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 mai 1990), que, le 2 octobre 1970, la Société française des pétroles BP (société BP) a conclu avec M. X... un contrat de distributeur agréé, pour une durée de 15 années, prenant effet le 25 mars 1971 ; que, par avenant du 14 octobre 1981, le contrat a été prorogé jusqu'au 31 décembre 1988 ; qu'en 1983, les prix de vente des produits pétroliers au détail ont été libérés ; que M. X..., se plaignant de ce que, en dépit de l'engagement de la société BP de l'intégrer dans son réseau, cette dernière ne lui a pas donné les moyens de pratiquer des prix concurrentiels, l'a assignée en paiement de dommagesintérêts ; Attendu que la société BP reproche à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande à concurrence de 150 000 francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, dans son préambule, l'accord de distributeur agréé du 2 octobre 1970 prévoyait que la société BP devrait faire bénéficier M. X... de diverses aides " dans les limites d'une rentabilité acceptable " ; qu'en jugeant dès lors que la société BP était contractuellement tenue d'intégrer M. X... dans son réseau en lui 6 assurant une rentabilité acceptable, la cour d'appel a dénaturé cette clause stipulée au profit de la société pétrolière et non à celui de son distributeur agréé, en violation de l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, que nul ne peut se voir imputer une faute contractuelle de nature à engager sa responsabilité sans que soit établie l'existence d'une inexécution de ses obligations contenues dans le contrat ; qu'en ne retenant à l'encontre de la société BP que le seul grief de n'avoir pas recherché un accord de coopération commerciale avec son distributeur agréé, M. X..., la cour d'appel n'a relevé à son encontre aucune violation de ses obligations contractuelles et ne pouvait dès lors juger qu'elle avait commis une faute contractuelle dont elle devait réparer les conséquences dommageables, en violation de l'article 1147 du Code civil ; et alors, enfin, que nul ne peut être tenu pour responsable du préjudice subi par son cocontractant lorsque ce préjudice trouve sa source dans une cause étrangère qui ne peut lui être imputée ; qu'en jugeant dès lors que la société BP devait être tenue pour contractuellement responsable du préjudice invoqué par M. X..., préjudice tenant aux difficultés consécutives à l'impossibilité pour ce dernier de faire face à la concurrence, après avoir pourtant constaté qu'elle était néanmoins tenue, en raison de la politique des prix en matière de carburants, de lui vendre ceux-ci au prix qu'elle pratiquait effectivement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations de fait, en violation des articles 1147 et 1148 du Code civil ; Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt ne dit pas que la société BP était tenue d'intégrer M. X... dans son réseau " en lui assurant une rentabilité acceptable " ; Attendu, en second lieu, qu'ayant relevé que le contrat contenait une clause d'approvisionnement exclusif, que M. X... avait effectué des travaux d'aménagement dans la station-service, et que " le prix de vente appliqué par la société BP à ses distributeurs agréés était, pour le supercarburant et l'essence, supérieur à celui auquel elle vendait ces mêmes produits au consommateur final par l'intermédiaire de ses mandataires ", l'arrêt retient que la société BP, qui s'était engagée à maintenir dans son réseau M. X..., lequel n'était pas obligé de renoncer à son statut de distributeur agréé résultant du contrat en cours d'exécution pour devenir mandataire comme elle le lui proposait, n'est pas fondée à soutenir qu'elle ne pouvait, dans le cadre du contrat de distributeur agréé, approvisionner M. X... à un prix inférieur au tarif " pompiste de marque ", sans enfreindre la réglementation, puisqu'il lui appartenait d'établir un accord de coopération commerciale entrant " dans le cadre des exceptions d'alignement ou de pénétration protectrice d'un détaillant qui ont toujours été admises " ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, d'où il résultait l'absence de tout cas de force majeure, la cour d'appel a pu décider qu'en privant M. X... des moyens de pratiquer des prix concurrentiels, la société BP n'avait pas exécuté le contrat de bonne foi ; D'où il suit que le moyen, qui manque en fait dans sa première branche, est mal fondé pour le surplus ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi Doc 7 : Cour de cassation, chambre civile 1, 16 mars 2004 N° de pourvoi: 01-15804 Publié au bulletin Rejet. Attendu que la commune de Cluses a concédé, en 1974, à l'Association Foyer des jeunes 7 travailleurs (AFJT) l'exploitation d'un restaurant à caractère social et d'entreprises ; qu'une convention tripartite a été signée le 15 octobre 1984 entre la commune, l'AFJT et la société Les Repas Parisiens (LRP) pour une durée de dix ans ; qu'aux termes de cet accord, l'AFJT, confirmée en qualité de concessionnaire a sous-concédé l'exploitation à la LRP, avec l'accord de la commune ; que la LRP, obtenant de ses cocontractantes d'importants travaux d'investissement, s'engageait à payer un loyer annuel à l'AFJT et une redevance à la commune ; que, par lettre du 31 mars 1989, la LRP a résilié unilatéralement cette convention, au motif qu'elle se trouvait dans l'impossibilité économique de poursuivre l'exploitation ; que, par ordonnance de référé du 25 avril 1989, l'AFJT et la commune ont obtenu la condamnation de la LRP à poursuivre son exploitation ; que cette société a, néanmoins, cessé son activité le 31 juillet 1989 ; qu'invoquant un bouleversement de l'équilibre économique du contrat, elle a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande en résiliation de cette convention et, à défaut, en dommages-intérêts ; que, parallèlement, l'AFJT et la commune ont saisi le tribunal de grande instance de Bonneville aux fins d'obtention, du fait de la résiliation unilatérale du contrat, de dommages-intérêts pour les dégradations causées aux installations ; qu'après saisine du Tribunal des conflits qui, par décision du 17 février 1997, a déclaré compétente la juridiction judiciaire, s'agissant d'un contrat de droit privé, l'arrêt attaqué (Chambéry, 5 juin 2001) a jugé que la LRP avait rompu unilatéralement le contrat et l'a condamnée à payer à l'AFJT les sommes de 273 655,37 francs et 911 729,92 francs, au titre, respectivement, des loyers et redevances dus au 31 juillet 1989 et de l'indemnité de résiliation, et à la commune de Cluses la somme de 116 470,17 francs au titre des travaux de remise en état des installations, et celle de 73 216,50 francs au titre de la redevance restant due ; Sur le premier moyen : Attendu que la LRP fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué alors, selon le moyen, que les parties sont tenues d'exécuter loyalement la convention en veillant à ce que son économie générale ne soit pas manifestement déséquilibrée ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans rechercher si, en raison des contraintes économiques particulières résultant du rôle joué par la collectivité publique dans la détermination des conditions d'exploitation de la concession, et notamment dans la fixation du prix des repas, les personnes morales concédantes n'avaient pas le devoir de mettre la société prestataire de service en mesure d'exécuter son contrat dans des conditions qui ne soient pas manifestement excessives pour elle et d'accepter de reconsidérer les conditions de la convention dès lors que, dans son économie générale, un déséquilibre manifeste était apparu, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ; Mais attendu que la cour d'appel a relevé que la LRP mettait en cause le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat et non le refus injustifié de la commune et de l'AFJT de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi ; qu'elle a ajouté que la LRP ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre structurel du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n'avait pas su apprécier ; qu'elle a, ainsi, légalement justifié sa décision ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Sur le second moyen : 8 Attendu que la demanderesse au pourvoi reproche encore à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à l'AFJT une indemnité de résiliation de 911 729,92 francs alors, selon le moyen, que la garantie assumée par la société LRP rendait indispensable sa participation au choix de son successeur ainsi qu'à la négociation des conditions de reprise de l'exploitation ; qu'en appréciant le montant du préjudice indemnisable à partir du manque à gagner mensuel subi par les concédantes sans préciser dans quelles conditions le choix du successeur et les conditions du nouveau contrat de concession d'exploitation du restaurant avaient été décidés, ni rechercher si ces conditions étaient à tout le moins meilleures que celles offertes par le successeur présenté par la LRP mais que la commune avait refusé d'agréer, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle de l'application des articles 1134 et 1147 du Code civil ; Mais attendu que la cour d'appel a relevé, d'une part, que, selon le contrat litigieux, tout éventuel concessionnaire présenté par la LRP devait reprendre l'intégralité des engagements de cette société, laquelle demeurait solidairement tenue jusqu'à complet remboursement du prêt, d'autre part, que le successeur présenté par elle ne satisfaisait pas à cette condition ; que le moyen manque en fait ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi . Doc 8 : Cour de cassation, chambre commerciale, 29 juin 2010 N° de pourvoi: 09-67369 Non publié au bulletin Cassation Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société d'Exploitation de chauffage (société SEC) a fait assigner en référé la société Soffimat, avec laquelle elle avait conclu le 24 décembre 1998 un contrat d'une durée de 12 ans ou 43 488 heures portant sur la maintenance de deux moteurs d'une centrale de production de co-génération moyennant une redevance forfaitaire annuelle, aux fins qu'il lui soit ordonné, sous astreinte, de réaliser, à compter du 2 octobre 2008, les travaux de maintenance prévus contractuellement et notamment, la visite des 30 000 heures des moteurs ; Sur le premier moyen, pris en sa première branche : Vu les articles 1131 du code civil et 873, alinéa 2 du code de procédure civile ; Attendu que pour retenir que l'obligation de la société Soffimat de satisfaire à l'obligation de révision des moteurs n'était pas sérieusement contestable et confirmer la décision ayant ordonné à la société Soffimat de réaliser à compter du 2 octobre 2008, les travaux de maintenance prévus et, notamment, la visite des 30 000 heures des moteurs et d'en justifier par l'envoi journalier d'un rapport d'intervention, le tout sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard, et ce pendant 30 jours à compter du 6 octobre 2008, l'arrêt relève qu'il n'est pas allégué que le contrat était dépourvu de cause à la date de sa signature, que l'article 12 du contrat invoqué par la société Soffimat au soutien de sa prétention fondée sur la caducité du contrat est relatif aux conditions de reconduction de ce dernier au-delà de son terme et non pendant les douze années de son exécution et que la force majeure ne saurait résulter de la rupture d'équilibre entre les obligations des parties tenant au prétendu refus de la société SEC de renégocier les modalités du contrat ; Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'évolution des circonstances économiques et notamment l'augmentation du coût des matières premières et des métaux depuis 2006 et leur incidence sur celui des pièces de rechange, n'avait pas eu pour effet, compte tenu du montant de la redevance payée par la société SEC, 9 de déséquilibrer l'économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature en décembre 1998 et de priver de toute contrepartie réelle l'engagement souscrit par la société Soffimat, ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l'obligation dont la société SEC sollicitait l'exécution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ; Et sur le second moyen : Vu les articles 564 et 566 du code de procédure civile ; Attendu que pour déclarer irrecevable la demande d'expertise sollicitée par la société Soffimat, l'arrêt retient qu'il s'agit d'une demande nouvelle formée en cause d'appel, sans lien avec les demandes dont le premier juge était saisi ; Attendu qu'en statuant ainsi alors que cette demande était destinée à analyser l'économie générale du contrat et tendait par voie de conséquence aux mêmes fins que la défense soumise au premier juge dès lors qu'elle avait pour objet d'établir que l'obligation, dont l'exécution était sollicitée, était sérieusement contestable, compte tenu du bouleversement de l'économie du contrat entre 1998 et 2008, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 mars 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ; DOCTRINE : DU NOUVEAU SUR L'OBLIGATION DE RENEGOCIER(1) Denis Mazeaud, Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) Recueil Dalloz 2004 p. 1754 1. Lentement, mais sûrement, précisément tous les six ans, la Cour de cassation rappelle à tous les observateurs de la planète contractuelle que, si elle n'est toujours pas disposée à faire sauter le « canal de Craponne », elle concède cependant l'existence d'une mince ouverture dans le monument jurisprudentiel, édifié en 1876(2), sous la forme de la reconnaissance d'une obligation de renégocier(3) les contrats devenus profondément déséquilibrés. Mais l'intérêt du nouvel arrêt rendu, le 16 mars 2004, par la première Chambre civile ne se réduit pas à la simple réaffirmation d'une solution émise naguère par la Chambre commerciale ; la Cour profite, en effet, de l'occasion pour apporter des précisions fondamentales sur le domaine de cette obligation, fondée sur l'exigence de bonne foi. 2. Aux termes d'un contrat de sous-concession, une société avait obtenu, pour une durée de dix ans, l'exploitation d'un restaurant à caractère social et d'entreprises et devait, en contrepartie, verser un loyer annuel au concessionnaire initial, une association, et une redevance au concédant, une commune. A mi-parcours contractuel, cette société, invoquant un bouleversement de l'équilibre contractuel, demanda au juge de prononcer la résiliation du contrat, qu'elle avait cessé d'exécuter. Demande qui fut écartée par la cour d'appel qui, tout au contraire, la condamna pour rupture unilatérale à payer diverses sommes à ses partenaires. Jouant alors son va-tout, la société forma un très audacieux pourvoi dans lequel elle reprochait aux juges du fond de ne pas avoir donné de base légale à leur décision, au regard des articles 1134 et 1147 du code civil. Selon elle, puisque « les parties sont tenues d'exécuter loyalement la convention en veillant à ce que son économie générale ne soit pas manifestement déséquilibrée », la cour d'appel aurait dû rechercher « si, en raison des contraintes économiques particulières résultant du rôle joué par (le concédant) dans la détermination des conditions d'exploitation de la concession, et notamment dans la fixation du prix des repas, (ses cocontractants) n'avaient pas le devoir de mettre la société (...) en mesure d'exécuter son contrat dans des conditions qui ne soient pas manifestement excessives pour elle et d'accepter de 10 reconsidérer les conditions de la convention dès lors que, dans son économie générale, un déséquilibre manifeste était apparu ». En clair, l'inégalité contractuelle, qui se traduisait par le pouvoir détenu par un des contractants de fixer unilatéralement les modalités d'exécution du contrat, emportait, au nom du devoir de bonne foi et à la charge des contractants du demandeur au pourvoi, une obligation de renégocier ce contrat-cadre de dépendance manifestement déséquilibré. 3. La première chambre civile de la Cour de cassation n'a pas succombé aux charmes de ce pourvoi, que même les plus fervents partisans du solidarisme contractuel(4) éprouveraient quelques difficultés à cautionner. Pour le rejeter, elle affirme que les juges du fond avaient relevé que la société, qui l'avait formé, « mettait en cause le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat et non le refus injustifié de la commune et de l'association de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi ». Puis, la Cour, pour marquer un peu plus encore son approbation de la solution émise par la cour d'appel, et donner par la même occasion une sorte de petite leçon de morale contractuelle, souligne que celle-ci avait ajouté que la société « ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre structurel du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n'avait pas su apprécier ». 4. A une époque où les réactions du législateur et du juge contre le déséquilibre contractuel se multiplient et alimentent le débat entre les zélateurs de la liberté contractuelle et les adeptes de la théorie du solidarisme, l'arrêt commenté constitue, nous semble-t-il, une intéressante source de réflexions, dans la mesure où, au moins implicitement, il trace, à travers la question spécifique de la portée de l'obligation de renégocier, la frontière entre ce qui relève de la liberté et de la responsabilité des contractants dans le processus contractuel et ce que ceux-ci sont en droit d'attendre du devoir de bonne foi que notre droit positif a sensiblement réactivé depuis une trentaine d'années. A juste titre, pensons-nous, la Cour de cassation rappelle, en définitive, que l'équilibre des stipulations et des prestations contractuelles est, en principe, l'affaire des contractants, meilleurs juges de leurs propres intérêts, qui, parce qu'ils le déterminent librement, doivent ensuite en assumer la responsabilité. En somme, le déséquilibre est, sauf s'il procède d'un abus de puissance inacceptable et s'il se traduit par un excès inadmissible, la rançon de la liberté. Néanmoins, la Cour concède, c'est bien le moins, que lorsqu'un profond déséquilibre économique survient pendant l'exécution du contrat et qu'il procède d'un changement imprévisible et brutal des circonstances qui ont présidé à la conclusion du contrat, le devoir de bonne foi prend alors le relais et contraint les contractants à faire preuve d'un minimum de solidarité. 5. Sans forcer exagérément le trait, ni solliciter excessivement cet arrêt, il semble bien que c'est cette stimulante leçon de politique contractuelle que la première Chambre civile a entendu donner, à cette occasion, en réaffirmant, fort opportunément, le principe de l'obligation de renégocier (I) et en en déterminant, avec précision, le domaine (II). I - Le principe de l'obligation de renégocier 6. Même si, à l'évidence, il ne s'agit pas de l'apport essentiel de l'arrêt commenté, la consécration du principe de l'obligation de renégocier par la Cour de cassation nous paraît digne d'intérêt. Ce faisant, en effet, la première Chambre civile confirme les « précédents » (a) qui émanaient de la Chambre commerciale et inscrit sa jurisprudence dans l'environnement (b) européen et international. a - Les « précédents » 7. En précisant, pour écarter son argumentation, que le demandeur au pourvoi ne reprochait pas à ses contractants leur « refus injustifié (...) de prendre en compte une 11 modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi », la première Chambre civile reprend à son compte une jurisprudence initiée, il y a douze ans, et reprise, six ans plus tard, par la Chambre commerciale. Dans un premier temps, en effet, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, avait rendu, le 3 novembre 1992(5), un arrêt, passé à la postérité, dans lequel elle avait retenu la responsabilité d'une compagnie pétrolière parce que celle-ci n'avait pas recherché les moyens adéquats d'améliorer la situation contractuelle d'un de ses distributeurs, dont la situation économique s'était considérablement fragilisée en cours d'exécution du contrat. Parce qu'elle l'avait, ainsi, privé « des moyens de pratiquer des prix concurrentiels, la société BP n'avait pas exécuté le contrat de bonne foi » et devait alors réparer le préjudice subi par son contractant. Six années ayant passé, la Chambre commerciale réitéra, le 24 novembre 1998(6), cette solution aux dépens de mandants qui, alors qu'ils étaient informés des difficultés rencontrées par un de leurs agents commerciaux en proie à la concurrence de centrales d'achat qui s'approvisionnaient directement auprès d'eux, n'avaient pas pris de mesures concrètes pour lui permettre de pratiquer des prix concurrentiels. Une fois de plus, le devoir de loyauté fut convoqué au prétoire pour engager la responsabilité de contractants qui avaient refusé de renégocier un contrat dont l'exécution était devenue excessivement désavantageuse pour leur cocontractant. Sur ce point, donc, la première Chambre civile s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence initiée par la Chambre commerciale. Dorénavant, il est entendu que la Cour de cassation induit du devoir d'exécuter le contrat de bonne foi, édicté par l'article 1134, alinéa 3, du code civil, une obligation de renégocier les contrats devenus profondément déséquilibrés au cours de leur exécution, en raison d'un changement de circonstances. Par ailleurs, l'arrêt commenté semble, de façon très implicite il est vrai, lever un doute que les arrêts précédents laissaient planer sur les conditions dans lesquelles une telle obligation de renégocier est incorporée au contrat. 8. Certains commentateurs avaient, en effet, relevé que, dans les arrêts rendus par la Chambre commerciale en 1992 et 1998, l'obligation de renégocier s'imposait au contractant, alors que le changement de circonstances ne résultait pas d'un événement extérieur à la volonté des parties, mais, bien au contraire, procédait d'un fait imputable à l'un des contractants(7). Observation qui conduisait à relever la spécificité du contexte dans lequel l'obligation de renégocier était sortie des limbes et à tempérer la portée de ces arrêts sur le principe du refus de la révision pour imprévision. Il est, en effet, entendu qu'une telle révision, lorsqu'elle est admise, suppose que le déséquilibre contractuel soit le fruit d'un changement de circonstances imprévisible, et, par conséquent, indépendant de la volonté ou du comportement des contractants. D'où la tentation d'envisager la jurisprudence de la Chambre commerciale, moins comme un remède de substitution à l'intangibilité des contrats devenus, en raison d'un changement de circonstances extérieures aux contractants, profondément déséquilibrés lors de leur exécution, que comme la sanction de la mauvaise foi d'un contractant qui refuse obstinément d'aider son cocontractant à sortir de l'impasse économique qu'il a largement contribué à provoquer. Sur ce point particulier, on peut se demander si un des mérites de l'arrêt rendu par la première Chambre civile n'est pas de rectifier le tir et de replacer, ainsi, l'obligation de renégocier dans l'orbite de la théorie de l'imprévision. Pour rejeter le pourvoi formé par la société, dans lequel celle-ci reprochait à la cour d'appel de ne pas avoir imposé à ses contractants une obligation de renégocier leur contrat, la Cour relève, en effet, que le demandeur ne mettait pas en cause « le refus injustifié de la commune et de l'association de prendre en compte une modification imprévue des circonstances 12 économiques ». Affirmation qui accrédite, nous semble-t-il, l'idée selon laquelle, pour la première Chambre civile, l'obligation de renégocier a vocation à prospérer lorsque le déséquilibre contractuel, auquel elle est sensée remédier, procède d'un événement indépendant de la volonté ou du comportement des contractants, ce qu'exprime l'utilisation, par la Cour, du terme « imprévue ». D'où le sentiment qu'avec cet arrêt, et pour la première fois de façon claire et nette, la Cour de cassation appréhende l'obligation de renégocier comme un tempérament, indirect mais général, à l'intangibilité des contrats devenus déséquilibrés lors de leur exécution, autrement dit au refus de la révision pour imprévision qu'elle a exprimé en 1876. Si l'analyse n'est pas erronée, on doit alors souligner la conformité de la solution émise, par la Cour, dans l'ordre juridique interne à l'« environnement » contractuel européen et international. b - L'environnement 9. Encore dans l'âge de l'adolescence en droit interne, l'obligation de renégocier est déjà arrivée à pleine maturité dans tous les textes dont l'ambition est d'unifier ou d'harmoniser le droit des contrats, soit dans un domaine spécifique, soit dans un espace déterminé. Or, dans ces corps de règles dont la normativité est pour l'heure laissée à la libre disposition des contractants, elle constitue toujours le prélude incontournable à la révision judiciaire du contrat devenu excessivement déséquilibré, à la suite d'un changement imprévu ou imprévisible de circonstances. Ainsi, dans les Principes d'Unidroit relatifs aux contrats du commerce international(8), l'article 6.2.3 (1) énonce, en substance, que lorsqu'en cours d'exécution, l'équilibre contractuel est fondamentalement altéré par un changement de circonstances, que la partie lésée ne pouvait pas raisonnablement prendre en considération lors de la conclusion du contrat, cette dernière peut demander l'ouverture de renégociations. De même, dans les Principes du droit européen du contrat(9), aux termes de l'article 6 :111 (2), une obligation de renégocier s'impose aux contractants « en vue d'adapter leur contrat ou d'y mettre fin si (son) exécution devient onéreuse à l'excès pour l'une d'elles en raison d'un changement de circonstances ». Enfin, l'article 97, al. 1er, de l'Avant-projet de code européen des contrats, élaboré par l'Académie des privatistes européens de Pavie(10), dispose que, lorsque des événements extraordinaires et imprévisibles ont rendu excessivement onéreuse l'exécution du contrat, le débiteur a « le droit d'obtenir une nouvelle négociation du contrat ». A cet égard, on relèvera donc que l'éventuelle harmonisation européenne du droit des contrats, qui provoque une très vive anxiété doctrinale en France, n'emporterait pas, sur ce point particulier, comme sur bien d'autres d'ailleurs, de bouleversement. 10. Reste que, pour l'heure, l'obligation de renégocier « à la française » conserve une singularité certaine. Alors que, dans les textes européens et internationaux, elle constitue une étape vers la révision judiciaire, qui interviendra en cas d'échec de la révision conventionnelle, dans la jurisprudence de la Cour de cassation, elle demeure encore l'ultime recours pour la victime d'un déséquilibre contractuel excessif, produit d'un changement de circonstances. On n'encombrera pas les colonnes du Recueil avec un énième plaidoyer pour la révision pour imprévision qu'un grand nombre d'auteurs, quelle que soit la philosophie contractuelle à laquelle ils adhèrent, ont déjà entrepris(11). On se bornera juste à se joindre à ceux qui considèrent, à très juste titre, que « le contexte n'a jamais été aussi propice au renversement de l'interdiction de la révision pour imprévision : sur la face inclinée de la force obligatoire du contrat, les juges vivement encouragés par la doctrine ont planté l'étendard de la bonne foi, lequel leur ouvre une voie royale pour un revirement opportun »(12). Dans l'attente, et dans l'espoir, de cette petite révolution 13 contractuelle, on reviendra plus prosaïquement à notre arrêt pour s'arrêter sur les importantes précisions qu'il apporte à propos du domaine de l'obligation de renégocier. II - Le domaine de l'obligation de renégocier 11. La première information que la Cour de cassation nous livre sur le domaine de l'obligation de renégocier est relative aux types de contrats dans lesquels le devoir de bonne foi conduit à l'imposer. Après les arrêts rendus par la Chambre commerciale en 1992 et 1998, certains avaient relevé qu'ils concernaient « le contexte particulier des contrats de distribution », ce qui rendait « difficile tout élargissement de (leur) portée (...) »(13). Manifestement, avec l'arrêt commenté, cette réserve n'est désormais plus de saison. En effet, le contrat litigieux n'entre dans aucune catégorie classique des contrats de distribution. Il est donc possible d'affirmer, aujourd'hui, que le devoir de bonne foi emporte une obligation de renégocier tout contrat devenu profondément déséquilibré à la suite d'un changement imprévu des circonstances économiques qui avaient présidé à sa conclusion. Mais, cette généralisation du champ d'application de l'obligation de renégocier n'est pas l'information la plus importante transmise par la Cour de cassation dans l'arrêt commenté. Sa motivation apporte surtout d'utiles précisions sur le moment (a) et l'objet (2) du déséquilibre contractuel, dans la perspective de la détermination du domaine de cette obligation. a - Le moment du déséquilibre 12. En soulignant, pour rejeter le pourvoi et écarter en l'espèce toute obligation de renégocier, que la société, qui l'avait formé, « mettait en cause le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat », la Cour de cassation pose une limite d'ordre temporel à la vitalité de cette obligation. Concrètement, la « victime » du déséquilibre contractuel ne peut s'en prévaloir que si celui-ci est intervenu au cours de l'exécution du contrat. En revanche, toute obligation de renégocier est exclue lorsque le déséquilibre qui affecte le contrat existait dès sa conclusion. Dans cette hypothèse, le contractant, à qui profite le déséquilibre financier, n'est aucunement obligé de renégocier le contrat en vue d'en modifier l'économie générale. En somme, pas plus qu'il ne peut, en principe, être anéanti, un contrat lésionnaire ne doit être renégocié. Le devoir de bonne foi peut donc être brandi par un contractant en vue de tempérer le principe de l'intangibilité du contrat, lorsque celui qui l'a conclu est devenu profondément déséquilibré au cours de son exécution, mais il n'est d'aucun secours pour le contractant victime d'un déséquilibre contractuel originel. L'obligation de renégocier ne constitue pas un tempérament au principe de la validité des contrats lésionnaires. Peu importe, donc, qu'à l'issue de la négociation du contrat, celui-ci soit profondément déséquilibré et que son exécution soit, alors, excessivement onéreuse pour l'une des parties, celle-ci ne pourra pas en réclamer une renégociation. Puisque la liberté préside à la formation du contrat, les contractants doivent assumer la responsabilité d'un éventuel déséquilibre originel, quelle qu'en soit la gravité. Le devoir de bonne foi entre les contractants, que traduit l'obligation de renégocier, ne se déploie que si le déséquilibre qui affecte le contrat résulte d'un changement des circonstances, au regard desquelles les contractants avaient déterminé l'équilibre des prestations et des stipulations contractuelles, postérieur à la conclusion de leur contrat. En revanche, si profond soit-il, le déséquilibre, fruit d'une négociation libre, sincère et éclairée, n'est pas considéré comme une injure à la loyauté contractuelle. 13. En entonnant cet hymne vibrant en hommage à la liberté contractuelle, et en cantonnant l'obligation de renégocier aux seuls déséquilibres imprévus qui surviennent 14 au cours de l'exécution du contrat, la première Chambre civile reprend une nouvelle fois à son compte les solutions retenues par les textes qui visent à l'unification ou à l'harmonisation du droit des contrats. En effet, que ce soit dans les principes d'Unidroit relatifs aux contrats du commerce international, dans les Principes du droit européen du contrat ou dans l'avant-projet de code européen du contrat, seul le changement de circonstances « survenu après la conclusion du contrat » fonde l'exigence d'une obligation de renégocier. Mais, il convient de souligner qu'en l'occurrence, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, puisque ces corps de règles internationales et européennes sont beaucoup moins bienveillants que le droit positif français à l'égard des contrats lésionnaires. Autrement dit, puisque des dispositions spécifiques de ces Principes et de cet avantprojet permettent, dans certaines conditions, la remise en cause des contrats lésionnaires(14), toute obligation de renégocier un contrat déséquilibré lors de sa conclusion eût été superflue. Il n'en va pas de même en droit français qui, fidèle à la lettre et à l'esprit du code civil, maintient le principe de la validité des contrats lésionnaires ; l'éviction d'une obligation de renégocier revêt alors une tout autre signification. Encore que, sur ce point, la portée de la neutralisation d'une telle obligation doit être relativisée, tant les tempéraments d'origine légale et jurisprudentielle apportés audit principe se sont multipliés, ces dernières années. Sans souci d'exhaustivité, on rappellera, d'abord, qu'en droit commun, la notion de cause a été exploitée pour justifier l'annulation d'un contrat dont les prestations des contractants étaient économiquement déséquilibrées(15)et que le concept de violence économique, que la jurisprudence a sensiblement réactivé ces dernières années(16), permet désormais plus, quoiqu'en dise la Cour de cassation, de lutter contre les déséquilibres contractuels excessifs que de protéger la volonté du contractant, dans son élément liberté(17). En matière de cautionnement, ensuite, c'est l'idée très en vogue de proportionnalité que le législateur a, en droit de la consommation(18) puis en droit commun(19), exploitée pour neutraliser ces contrats de garantie, lorsque l'engagement du débiteur caution, souscrit auprès d'un créancier professionnel, est, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus. En outre, aux termes de l'article L. 132-1, alinéa 7, du code de la consommation, l'appréciation du caractère abusif d'une clause peut porter sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert, si la clause n'est pas rédigée de façon claire et compréhensible pour le consommateur. Enfin, en droit de la concurrence, constitue un abus de dépendance économique, le fait d'obtenir d'un partenaire un avantage quelconque manifestement disproportionné par rapport à la valeur du service rendu (art. L. 442-6, I, 2°, du code de commerce)(20). Autant de règles qui, parmi quelques autres, tempèrent aujourd'hui assez sensiblement le principe de la validité des contrats lésionnaires et qui, dans une certaine mesure, modèrent l'impact de l'éviction de l'obligation de renégocier les contrats atteints, dès leur conclusion, d'un profond déséquilibre économique. L'arrêt commenté retient, par ailleurs, l'attention pour la précision qu'il apporte à propos de l'objet du déséquilibre. b - L'objet du déséquilibre 14. Après avoir écarté toute obligation de renégocier, parce que le déséquilibre financier existait dès la conclusion du contrat, la Cour de cassation relève, pour conforter la décision de la cour d'appel, que celle-ci avait ajouté que la société « ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre structurel du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n'avait pas su apprécier ». Autrement dit, le contractant ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même de s'être engagé 15 librement dans un contrat affecté d'un déséquilibre structurel, lequel procédait du pouvoir accordé à un de ses contractants de déterminer unilatéralement les conditions d'exécution de la convention. En tout état de cause, ce déséquilibre, alors même qu'il traduisait l'inégalité des parties au stade de la négociation du contrat, n'autorisait le contractant dominé, ni à rompre unilatéralement le lien contractuel, ni à en réclamer la renégociation. Une fois, encore, il devait assumer la responsabilité de la faute de négligence et d'imprudence qu'il avait commise en concluant un contrat déséquilibré, en toute liberté mais sans grand discernement. Pas question, donc, de se retrancher derrière le fait que le contenu du contrat conclu était, dans une certaine mesure, composé par un seul des contractants pour échapper à la loi contractuelle ou en exiger la réécriture ! Le déséquilibre avéré des pouvoirs contractuels ne confère pas au contractant dominé et dépendant le droit de révoquer unilatéralement les engagements qu'il a librement souscrits, ou d'en exiger la renégociation. En tout état de cause, il ne pourrait invoquer utilement la jurisprudence, inaugurée en 1998(21), qui accorde à un contractant le droit de résoudre unilatéralement un contrat inexécuté en cas de comportement grave de son cocontractant. Un tel pouvoir constitue, en effet, une réplique à une inexécution d'une importance telle qu'elle prive le contrat de tout intérêt et ne peut donc pas être exercé à titre de remède au déséquilibre structurel qui affecte un contrat. 15. En définitive, pour bénéficier, dans un tel cas de figure, de la bienveillance du juge, et être libéré d'un contrat structurellement déséquilibré, le contractant dépendant n'a, en l'état actuel de notre droit positif tel que les arrêts rendus, le 1er décembre 1995 par l'Assemblée plénière(22), l'ont façonné, pas d'autre solution que d'apporter la preuve de l'abus commis par le maître du contrat dans l'exercice de son pouvoir unilatéral. C'est à cette condition qu'il pourra être libéré, pour l'avenir, du contrat affecté d'un tel déséquilibre structurel et que la responsabilité de l'auteur de l'abus sera susceptible d'être engagée. Mais, en tout état de cause, pas plus que le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat, le déséquilibre structurel persistant lors de l'exécution du contrat, ne saurait fonder une obligation de renégocier, ni a fortiori légitimer le pouvoir de rompre unilatéralement le contrat. La solidarité contractuelle est ici sèchement repoussée au profit des impératifs classiques de liberté et de responsabilité qui demeurent, comme on le constate, les principes directeurs de notre ordre contractuel. En l'occurrence, on ne saurait s'en émouvoir car, même au nom du solidarisme contractuel, il n'est pas opportun de venir en aide aux contractants qui pèchent uniquement par incurie ou incompétence. Mots clés : CONTRAT ET OBLIGATIONS * Contrat * Exécution * Déséquilibre contractuel * Intangibilité du contrat * Circonstance économique CONCESSION COMMERCIALE * Concédant * Concessionnaire * Sous-concession * Exécution * Déséquilibre contractuel (1) Seul le premier moyen fait l'objet du présent commentaire. (2) Cass. civ., 6 mars 1876, DP 1876, I, Jur. p. 193, note Giboulot. (3) Sur laquelle, V. L. Aynès, Le devoir de renégocier, Colloque de Deauville, juin 1999, RJ com. 1999. (4) Sur lequel, V. L. Grynbaum et M. Nicot (sous la dir. de), Le solidarisme contractuel, Economica, 2004. (5) D. 1995, Somm. p. 85, obs. D. Ferrier ; RTD civ. 1993, p. 124, obs. J. Mestre ; 16 Defrénois 1993, p. 1377, obs. J.-L. Aubert ; JCP 1993, II, 22164, obs. G. Virassamy. (6) D. 1999, IR p. 9 ; Contrats, conc., consomm. 1999, Comm. n° 56, obs. M. MalaurieVignal ; Defrénois, 1999, p. 371, obs. D. Mazeaud ; JCP 1999, I, 143, obs. Ch. Jamin ; RTD civ. 1999, p. 98, obs. J. Mestre et 646, obs. P.-Y. Gautier. (7) En ce sens, N. Molfessis, Les exigences relatives au prix en droit des contrats, in Le contrat : questions d'actualité, LPA, 5 mai 2000, p. 41, spéc. n° 29. (8) Sur lesquels, V., entre autres, P. Deumier, Les principes Unidroit ont dix ans : bilan en demi-teinte, RDC 2004, p. 766 ; B. Fauvarque-Cosson, Les contrats du commerce international, une approche nouvelle : les principes d'Unidroit relatifs aux contrats du commerce international, RIDC, 1998, 463 ; J. Huet, Les contrats commerciaux internationaux et les nouveaux Principes d'Unidroit : une nouvelle lex mercatoria ?, LPA 10 nov. 1995, p. 6 ; Ch. Larroumet, La valeur des principes d'Unidroit applicables aux contrats du commerce international, JCP 1997, I, 4011 ; D. Mazeaud, A propos du droit virtuel des contrats : réflexions sur les Principes d'Unidroit et de la commission Lando, in Mélanges M. Cabrillac, Litec, 1999, p. 205. (9) Sur lesquels,V. B. Fauvarque-Cosson (sous la dir. de...), Pensée juridique française et harmonisation européenne du droit, Société de législation comparée, 2003 ; Ch. Jamin et D. Mazeaud (sous la dir. de), L'harmonisation du droit des contrats en Europe, Economica, 2001 ; C. Prieto (sous la dir. de), Regards croisés sur les principes du droit européen du contrat et sur le droit français, PUAM, 2003 ; P. Rémy-Corlay et D. Fenouillet (sous la dir. de), Les concepts contractuels français à l'heure des Principes du droit européen des contrats, Dalloz, 2003 ; G. Rouhette, I. de Lamberterie, D. Tallon et C. Witz, Principes du droit européen du contrat, Société de législation comparée, 2003. (10) Sur lequel, V. A. Debet, RDC, 2003, p. 217 ; J.-P. Gridel, Gaz. Pal. 21-22 févr. 2003, p. 3. (11) V., entre autres, Ch. Jamin, Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l'article 1134 du Code civil, in Que reste-t-il de l'intangibilité du contrat ?, Dr. et patrimoine 1998, p. 47 ; H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11e éd., 2000, spéc. p. 129, n° 5 et s. (12) B. Fauvarque-Cosson, Le changement de circonstances, in Durées et contrats, RDC 2004, p. 67 et s., spéc. n° 7. (13) Cl. Witz, Force obligatoire et durée du contrat, in Les concepts contractuels français... (préc.), p. 175, spéc. n° 8. (14) En ce sens, V. art. 3.10 des Principes d'Unidroit ; art. 4 :109 des Principes du droit européen du contrat ; art. 30, al. 3, de l'avant-projet de code européen des contrats. (15) En ce sens, Cass. com., 14 oct. 1997, Defrénois 1997, p. 1042, obs. D. Mazeaud ; D. 1998, Somm. p. 333, obs. D. Ferrier. (16) Cass 1er civ., 30 mai 2000, Contrats, conc., consomm. 2000, Comm. n° 142, note L. Leveneur ; D. 2000, Jur. 879, note J.-P. Chazal, ibid. 2001, Somm. p. 1140, obs. D. Mazeaud ; Defrénois, 2000, p. 1124, obs. Ph. Delebecque ; JCP 2001, II, 10461, obs. G. Loiseau ; RTD civ. 2000, p. 827, obs. J. Mestre et B. Fages, et 863, obs. P.-Y. Gautier ; 3 avr. 2002, Comm., com., électr. 2002, Comm. n° 89, obs. Ph. Stoffel-Munck ; Contrats, conc., consomm. 2002, Comm. n° 121, obs. L. Leveneur ; D. 2002, Jur. p. 1860, note J.P. Gridel, note J.-P. Chazal et Somm. p. 2844, obs. D. Mazeaud ; Defrénois, 2002, p. 1246, obs. E. Savaux ; JCP 2002, I, 184, obs. G. Virassamy ; RTD civ. 2002, p. 502, obs. J. Mestre et B. Fages. 17 (17) En ce sens, Ph. Stoffel-Munck, obs. préc. (18) Art. L. 313-10 du code de la consommation, issu de la loi du 31 déc. 1989. (19) Art. L. 341-4 du code de la consommation, issu de la loi du 1er août 2003. (20) Art. L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, issu de la loi du 15 mai 2001. (21) Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, D. 1999, Jur. p. 197, note Ch. Jamin et Somm. p. 115, obs. Ph. Delebecque ; Defrénois 1999, 374, obs. D. Mazeaud ; JCP 1999, II, 10133, obs. Rzepecki ; RTD civ. 1999, p. 394, obs. J. Mestre ; 20 févr. 2001, D. 2001, Jur. p. 1568, note Ch. Jamin et Somm. p. 3239, obs. D. Mazeaud ; Defrénois, 2001, p. 705, obs. E. Savaux ; RTD civ. 2001, p. 363, obs. J. Mestre et B. Fages ; 14 janv. 2003, Contrats, conc., consomm. 2003, Comm. n° 87, obs. L. Leveneur ; 28 oct. 2003, RDC 2004, p. 273, obs. L. Aynès et 277, obs. D. Mazeaud. (22) D. 1996, Jur. p. 13, note L. Aynès ; Defrénois, 1996, p. 747, obs. Ph. Delebecque ; JCP 1996, II, 22565, obs. J. Ghestin ; LPA, 27 déc. 1995, n° 155, p. 11, note D. Bureau et N. Molfessis ; RTD civ. 1996, p. 153, obs. J. Mestre. L'INTERPRETATION D'UN ARRET DE LA COUR DE CASSATION Jacques Ghestin, Professeur émérite de l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Ancien secrétaire de la conférence du stage des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation Recueil Dalloz 2004 p. 2239 L'essentiel De nombreux commentateurs critiquent l'ambiguïté, l'hermétisme, des arrêts de la Cour de cassation. Leur concision résulte cependant de son histoire et de sa fonction normative particulière. Elle s'efforce d'ailleurs aujourd'hui de rendre plus lisible la « ratio decidendi » de ses décisions, notamment par la mention officielle des précédents cités lors du délibéré. En revanche, un apprentissage du droit et de la technique de la cassation devrait être obligatoire pour l'accès aux professions juridiques et judiciaires, car son absence conduit des praticiens et des universitaires confirmés à de flagrantes erreurs d'interprétation. Un nouvel exemple significatif en est donné par les multiples commentaires d'un arrêt du 16 mars 2004, présenté, à tort, comme important, parce qu'il remettrait en cause la jurisprudence du « Canal de Craponne », en posant une obligation de renégocier les contrats en cours, déséquilibrés par une modification imprévue des circonstances économiques. 1 - L'essentiel du droit civil français, spécialement le droit des contrats et de la responsabilité, résulte actuellement des arrêts de la Cour de cassation(1). A son autorité hiérarchique, qui lui permet d'imposer sa doctrine aux juges du fond, au moins pour les affaires importantes qui montent jusqu'à elle, s'ajoutent le nombre de ses arrêts, et, depuis peu, la consultation facile, via Légifrance notamment, de la masse de ses décisions inédites. Cette abondance devrait permettre de trouver, dans chaque situation, la réponse adéquate à la question posée. Il faut cependant « tenir compte de ce que souvent la règle qui résulte d'un précédent n'est pas entièrement claire. Le raisonnement juridique particulièrement complexe du juge à la recherche de la solution juste est rarement explicité »(2). « C'est souvent sa formulation par la doctrine en termes clairs et convaincants qui lui donnera toute sa portée »(3). Chaque auteur est naturellement libre d'exposer son interprétation de la jurisprudence et d'en présenter une synthèse personnelle, traduisant notamment ses 18 valeurs personnelles(4). La diversité légitime des constructions doctrinales, élaborées à partir d'un ensemble de décisions, suppose toutefois que les auteurs partent tous d'une compréhension techniquement correcte des arrêts de la Cour de cassation qu'ils utilisent. Force est alors de constater qu'aujourd'hui, dans la pratique, ils n'y parviennent pas toujours. Faut-il en imputer la responsabilité à la motivation des arrêts de la Cour de cassation ou à la formation de leurs interprètes ? 2 - Un incident relativement récent permet d'illustrer l'importance et la difficulté du problème. Dans un « courrier des lecteurs »(5), M. Paul Grimaldi, usant expressément, en sa qualité de conseiller-doyen de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, d'un droit de réponse, s'est ému de deux commentaires, publiés dans le Recueil Dalloz, d'un arrêt du 26 octobre 1999, rendu par la Chambre dont il présidait la formation. Il a fait état, en particulier, de l'utilisation par M. Larroumet(6), à quatre reprises, de l'emploi du « terme de « bévue » », celle-ci étant « une fois qualifiée de « lourde » » et de l'affirmation que « la Chambre a violé « ouvertement » une règle « limpide du code civil ». Il a ajouté que l'autre commentateur, M. Aynès(7), « se demande si l'article 1692 du code civil a été « abrogé » par cet arrêt ». 3 - M. Libchaber(8) est revenu sur « cette réaction » qu'il qualifie « d'épidermique », car derrière celle-ci se dissimulent, selon lui, « des questions de fond plus intéressantes concernant les modes de production du droit ». Ces questions doivent effectivement retenir l'attention. M. Libchaber, cependant, retient seulement des explications de M. Grimaldi l'une des raisons qui auraient déterminé la Cour de cassation à tenir pour justifiée l'exclusion de l'article 1692, à savoir l'importance pour la caution de la personne du créancier principal, qui ne peut être interchangeable sans son accord. Il exprime avec force le regret que cela n'ait pas été énoncé dans les motifs de l'arrêt lui-même et estime, en outre, que « cette justification » est « très éloignée d'être sans réplique » et que l'exclusion de l'article 1692 « n'en est pas moins particulièrement malheureuse dans le cadre principal du droit civil ». 4 - Notre objet n'est pas ici de revenir sur le débat de fond, si ce n'est pour observer que, à tort ou à raison, nous avions approuvé l'arrêt du 26 octobre 1999(9), en nous référant expressément au commentaire de M. Stéphane Piedelièvre(10). Ce qui retient l'attention au regard de la présente étude, c'est que M. Libchaber observe « qu'il n'aurait fallu qu'une phrase pour que la doctrine saisisse la ratio decidendi de l'arrêt, ce qui n'eût pas plus constitué un important surcroît de travail, que dénaturé la forme syllogistique de l'arrêt ». Pour cet auteur, « une question essentielle demeure : pourquoi faudrait-il considérer comme allant de soi que la motivation d'un arrêt de Cour suprême se trouve en dehors de ses motifs ? »(11). Il est intéressant d'observer ici que M. Piedelièvre avait bien vu, quant à lui, et, semble-t-il, sans le secours des explications complémentaires de M. Grimaldi(12), que l'arrêt du 26 octobre démontrait « une nouvelle fois que la personne du créancier ne joue pas en cette matière un rôle secondaire »(13). Il n'était donc pas impossible pour un commentateur de saisir « la ratio decidendi de l'arrêt », malgré la « phrase » qui aurait manqué dans ses motifs(14). 5 - Il faut relever surtout que M. Paul Grimaldi avait écrit que « les deux auteurs soutiennent essentiellement que la Chambre aurait dû, par application de l'article 1692 du code civil, dire que la caution devait garantir les loyers postérieurement à la vente de l'immeuble donné à bail ». Il avait précisé : « l'arrêt d'appel déféré excluait expressément l'application de l'article 1692 du code civil. L'un des auteurs souligne d'ailleurs cette exclusion qu'il regrette. J'ai relu le mémoire en demande et le mémoire en défense ; neuf textes sont cités à plusieurs reprises ; en revanche n'est pas cité, même par allusion, l'article 1692 du code civil. Autrement dit, c'est sur une exclusion, sur laquelle les parties s'accordaient, qu'est construite toute l'argumentation des deux annotateurs ». M. Libchaber ne prend absolument pas en considération ces informations relatives à la 19 procédure, alors que M. Larroumet, au moins, avait connaissance de l'arrêt attaqué. Pourtant, on voit mal pourquoi la Cour de cassation, dont il faut rappeler qu'elle n'est pas en France un troisième degré de juridiction et qu'elle se borne à statuer sur la conformité à la loi des arrêts, aurait ajouté, à la discussion effective qui lui était soumise, des motifs visant à justifier l'exclusion de l'article 1692. Celle-ci, selon M. Grimaldi, avait été expressément jugée par l'arrêt déféré et les mémoires des deux parties ne faisaient aucunement état de ce texte en faveur du rejet ou de l'admission du pourvoi, seule question soumise à la Cour de cassation en l'espèce. Plus ou moins ignorées des deux commentateurs visés par M. Grimaldi, les données résultant de la procédure particulière du pourvoi en cassation semblent tenues pour tout à fait négligeables par M. Libchaber. Celui-ci(15) fait état de « l'hermétisme » de la Cour suprême et de la « surévaluation jurisprudentielle à laquelle procède la doctrine ». Ne serait-il pas plus exact de penser que beaucoup d'auteurs, et non des moindres, nous en verrons d'autres exemples,ne semblent pas toujours suffisamment familiers avec le « droit et la pratique de la cassation en matière civile »(16), qui est le complément nécessaire du Bulletin des arrêts civils de la Cour de cassation, sans l'étude desquels la lecture et la compréhension de ceux-ci relèvent effectivement de la devinette ? 6 - C'est le moment de revenir à notre interrogation initiale. Les interprètes a priori les plus autorisés rendent mal compte de la pensée des rédacteurs des arrêts de la Cour de cassation. Faut-il en imputer la responsabilité à la motivation de ces arrêts ou à l'apprentissage de leur interprétation ? Le premier terme de l'alternative fait l'objet depuis longtemps d'un débat qui oppose ceux qui dénoncent une motivation insuffisante de ces arrêts à ceux qui trouvent celle-ci tout à fait satisfaisante. Le second terme, en revanche, est rarement évoqué. Dans un récent « point de vue »(17), M. Atias écrivait : « S'il devait apparaître que la formation des juges, des avocats, des notaires, des juristes d'entreprises est inappropriée, insuffisante, défectueuse, il serait temps d'adopter les mesures de redressement requises. Une seule faute serait grave ; ce serait l'inaction ». Dans cette optique, il est permis de se demander si l'enseignement de l'interprétation d'un arrêt de la Cour de cassation ne serait pas un point important sur lequel devrait porter notre réflexion critique. Cette interprétation est relativement difficile, car elle suppose une bonne connaissance de la technique particulière de rédaction de ces arrêts, elle-même liée à son élaboration, sur laquelle la récente étude du président Tricot est particulièrement éclairante(18). Or il suffit de lire les publications juridiques pour constater, d'une part, qu'un bon nombre de praticiens actuels ne savent pas lire correctement les arrêts de la Cour de cassation, ce qu'il est permis d'imputer à la formation universitaire et professionnelle qu'ils ont reçue(19), et, d'autre part, que beaucoup d'universitaires eux-mêmes sont loin de maîtriser la technique d'interprétation qu'ils devraient enseigner(20). C'est pourquoi, après des observations visant essentiellement à actualiser le débat devenu classique sur la motivation d'un arrêt de la Cour de cassation, il faudra insister sur l'apprentissage de son interprétation. I - La motivation d'un arrêt de la Cour de cassation 7 - Les arrêts de la Cour de cassation sont rédigés de façon très concise et les principes qu'ils contiennent parfois sont encore plus brefs, au point d'être quelquefois elliptiques(21). Des auteurs, dont l'autorité est reconnue, leur ont reproché de manquer ainsi de clarté, faute d'expliciter suffisamment la portée du principe posé et les raisons qui avaient conduit à l'adopter(22). Tout récemment, Mme Gjidara, dans une étude générale sur la motivation des décisions 20 de justice(23), n'a pas hésité à affirmer que, « dès lors que son audience s'élargit à l'ensemble de la nation française, la Cour de cassation doit s'expliquer de façon claire et compréhensible au moment même où elle s'exprime. C'est par l'exposé détaillé des arguments rejetés, comme de ceux qu'elle a retenus, que la Cour de cassation pourra jouer un rôle social étendu, à l'image des Cours anglaise et américaine... C'est par une motivation explicite et convaincante que ces Cours ont acquis leur autorité tant auprès des Etats que de leurs citoyens »(24). 8 - Pour justifier la concision des arrêts de la Cour de cassation française, il est classique d'invoquer le nombre des pourvois, lié lui-même à celui des cas d'ouverture à cassation. M. Daniel Tricot(25), agrégé des facultés de droit et actuellement président de la Chambre commerciale, a qualifié de « critique inadaptée » le regret « courant » de « l'absence de motivation des arrêts rendus par la Cour de cassation ». Pour lui, « En choisissant une thèse de préférence à une autre, la Cour ne méconnaît pas les mérites de celle qui a été écartée ; si elle invoquait un argument au soutien de la thèse retenue en passant sous silence les arguments contraires, elle laisserait planer l'impression que le dossier n'a fait l'objet que d'une étude partielle. Un arrêt qui tranche un débat n'a rien d'une dissertation juridique. Tout au plus, la Cour peut, en introduisant une justification, montrer la logique de son raisonnement ». 9 - La motivation d'un arrêt de la Cour de cassation française est étroitement liée à sa mission spécifique. C'est ce que montrent l'évolution historique de la motivation de ses arrêts et sa nature institutionnelle. 10 - M. Bérenger, auteur d'un mémoire de troisième cycle publié en 2003, estime(26) à cet égard qu'un « fossé s'est établi entre deux époques », c'est-à-dire entre le XIXe siècle, où « les motivations étaient si brillantes qu'un étudiant aurait pu indistinctement enrichir sa réflexion en lisant un manuel de droit ou un arrêt de la Cour de cassation », et l'époque actuelle. Pour cet auteur, le nombre des pourvois à traiter serait une mauvaise excuse puisque, dès 1935, l'impératif de décisions brèves était déjà en vigueur(27). Il en déduit(28) que : « aujourd'hui le constat est préoccupant : l'arrêt de la Cour de cassation est souvent un texte hermétique ; les grandes questions de droit sont résolues en quelques lignes et d'une telle manière que, en réalité, la Cour ne répond jamais à la question posée. La sacro-sainte formule, quasi dogmatique, prend alors la tournure d'une formule incantatoire : vu l'article tant... ». « Nul doute », ajoute-t-il, « que les hauts magistrats raisonnent encore ; seulement ils ne prennent plus la peine de s'expliquer ». Annonçant les deux parties du mémoire qu'il introduit, il oppose l'heureuse époque de « la motivation : mise en oeuvre du savoir juridique » à celle d'aujourd'hui où l'on serait passé de « l'utilisation d'un savoir à l'exercice d'un pouvoir ». Ce mémoire, au demeurant bien documenté par une étude directe des arrêts sélectionnés, ne fait pas état de la publication antérieure de M. Yves Chartier(29), qui traite cependant du même sujet, avec une analyse historique différente, apparemment plus élaborée, notamment en ce qu'elle distingue non pas deux, mais plusieurs périodes, aux caractéristiques distinctes. 11 - Ces histoires de la motivation des arrêts de la Cour de cassation pourraient, semblet-il, être utilement rapprochées de l'évolution historique de ses pouvoirs et de son autorité. Dans la liste des arrêts du XIXe siècle cités par M. Bérenger, plus de la moitié de ceux qui ont été rendus par la Chambre civile est antérieure à la loi du 1er avril 1837. Or on sait qu'à l'origine l'interprétation de la loi appartenait en dernier ressort au référé législatif. L'échec de celui-ci avait conduit, après la chute du Premier Empire, à la loi du 30 juillet 1828 qui supprimait le référé législatif et donnait le dernier mot à la cour d'appel, deuxième juridiction de renvoi. Malgré deux arrêts de censure, la Cour de cassation demeurait impuissante. Ce danger n'avait rien d'illusoire. De 1828 à 1836, sur 21 49 cassations après renvoi devant les Chambres réunies, il n'y eut que 29 arrêts de renvoi conformes à la doctrine de la Cour suprême. C'est la loi du 1er avril 1837 qui a finalement permis à la Cour de cassation d'imposer son interprétation(30). M. Chartier(31) a observé que c'était à compter de 1840, et surtout de 1850 à 1870, que la Cour de cassation avait motivé ses arrêts par de « véritables consultations ». Il est intéressant d'observer à cet égard que les arrêts des Chambres réunies, d'abord assez fréquents, sont devenus exceptionnels avec la reconnaissance, aujourd'hui incontestée, de l'autorité de la Cour de cassation. De 1837 à 1847 on relève une moyenne de dix arrêts par an. Celle-ci diminue régulièrement jusqu'en 1877 pour accuser ensuite une chute importante, la moyenne se fixant alors à deux ou trois arrêts annuels, à comparer avec l'augmentation importante du nombre d'arrêts rendus(32). Il existe ainsi logiquement un rapport entre la rédaction des arrêts de la Cour de cassation et la reconnaissance progressive de son autorité, juridique d'abord, jusqu'en 1837, morale ensuite, de 1837 à 1877. Une étude historique approfondie et plus fine qu'une simple opposition entre le XIXe siècle et aujourd'hui permettrait sans doute de vérifier plus précisément cette hypothèse. L'autorité légale résultant de la loi de 1837 et l'autorité morale progressivement acquise de 1837 à 1877 ont permis, semble-t-il, à la Cour de cassation de rédiger ses arrêts dans le style correspondant à sa nature juridique propre. 12 - M. Zenati, dans une étude récente(33), a soutenu que la Cour de cassation, dès lors qu'elle n'est pas un troisième degré de juridiction, ce que personne ne conteste, ne serait donc pas une juridiction, mais une institution de nature législative résultant de la conjugaison de sa nature répressive, qui vise à imposer aux juridictions le respect de la loi, et de sa nature herméneutique, qui lui donne le pouvoir d'imposer son interprétation de celle-ci. Selon M. Zenati(34), « la puissance ainsi conquise a rejailli sur le style des arrêts de la Cour de cassation, dont on a vainement et injustement critiqué le laconisme, lequel n'est pas le produit d'un choix esthétique ni celui d'un particularisme culturel mais celui d'un indice structurel de souveraineté. Une institution chargée de poser des règles de nature législative n'a pas vocation à motiver sa décision comme un juge. Le jugement est un acte rhétorique qui tend à convaincre les plaideurs du bien-fondé de la décision qu'il contient, ce qui explique que le juge soit enclin, en dehors de toute obligation légale, à motiver ses sentences. Tel est le style des arrêts rendus par les cours suprêmes de pleine juridiction et en particulier de celles de common law, dont le caractère ampliatif est bien connu. L'autorité chargée de donner l'interprétation de la loi n'a, au contraire, pas lieu de se justifier, pas plus que n'a à le faire le législateur lui-même. Bien mieux, le faire affaiblirait son interprétation ; l'imperatoria brevitas des arrêts suprêmes emprunte au style concis et ferme de la loi ». 13 - Il est exact que la Cour de cassation ne juge pas les procès, mais se borne à vérifier si les décisions soumises à sa censure ont été rendues conformément à la loi. La distinction du fait et du droit et le mécanisme du renvoi traduisent concrètement cette mission spécifique(35). De cette nature juridique particulière il résulte que l'extension pure et simple à la Cour de cassation des mêmes exigences de motivation que celles qui pèsent de façon générale sur toutes les juridictions prête le flanc à la critique. A partir de là, il a pu être légitimement observé que la raison essentielle de la concision de ses arrêts(36) est que « la Cour de cassation, en évitant d'entrer dans le détail d'une argumentation, refuse de se placer au niveau de tous ceux, juges ou juristes, qui discutent d'une question controversée ; elle affirme sa position, et lui confère une valeur juridique comme expression de son autorité juridictionnelle »(37). L'affirmation des solutions correspond ainsi au pouvoir normatif de la Cour de cassation. Des auteurs ont observé, en outre, que l'affirmation des solutions, sans autre explication, accroît leur 22 netteté et facilite « le diagnostic de la ratio decidendi », en opposant cette concision à la richesse des considérations doctrinales qui, dans certaines décisions anglo-américaines, « trouble le débat et rend insaisissables les assises de la décision »(38). Il est clair, en outre, que la Cour de cassation souhaite ne pas s'engager trop loin par des motifs expliquant le pourquoi de ses décisions, et risquer ainsi de perdre sa liberté d'appréciation(39). 14 - Il ne faut pas oublier, cependant, que la Cour de cassation, n'exerce sa fonction normative qu'à la suite d'une voie de recours et selon une procédure qui reste fondamentalement judiciaire. Il n'est pas évident que l'affirmation qu'elle n'est pas un troisième degré de juridiction suffise à lui dénier la nature de juridiction. Dans l'esprit de ceux qui l'expriment, elle signifie plus simplement qu'elle est une juridiction d'une nature différente des juges du fond et que le pourvoi en cassation est certes un recours, mais extraordinaire. C'est d'ailleurs parce qu'elle ne peut intervenir, sauf exception de portée très limitée en pratique, que sur un pourvoi de plaideurs et en réponse aux moyens qu'ils ont fait valoir que sa mission spécifique de contrôle de la légalité des décisions des juges du fond et d'interprétation de la loi ne peut s'exercer qu'à l'intérieur de limites assez contraignantes, qui ne sont pas toujours parfaitement connues et comprises, nous le verrons, des commentateurs de ses arrêts. C'est parce qu'elle est une juridiction que, si elle peut, aux termes de l'alinéa 2 de l'article 620 du nouveau code de procédure civile, casser une décision en relevant d'office un moyen de pur droit qui n'aurait pas été invoqué par un plaideur, elle doit alors, selon l'article 1015 du même code, pour respecter le principe du contradictoire, inviter au préalable les parties à produire leurs observations(40). C'est pour la même raison qu'elle est également soumise aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme qui visent à faire respecter le droit à un procès équitable. Des études récentes(41) font état ainsi de trois condamnations de l'Etat français par la Cour européenne des droits de l'homme(42) sanctionnant, sur le fondement de ce droit, la motivation insuffisante d'arrêts de notre Cour suprême. Ces trois arrêts semblent cependant se borner à imposer la réparation par l'Etat français d'erreurs, que l'on sait inévitables dans toute entreprise humaine. Elles répondent partiellement à la question d'un contrôle de type disciplinaire posée par M. Guinchard : « Qui cassera les arrêts de la Cour de cassation ? »(43). En revanche, même si « l'insuffisance de la motivation n'a sans doute pas été étrangère à » l'arrêt Dulaurans(44), elles n'imposent pas à celle-ci une motivation, qui répondrait vraiment au voeu d'une partie de la doctrine, sous forme d'une présentation explicite des arguments ayant justifié la solution retenue, voire de ceux qui ont été écartés(45). 15 - La nature institutionnelle de la Cour de cassation est complexe. Sa mission législative, résultant de la combinaison de sa fonction de répression des décisions judiciaires contraires à la loi et d'interprétation de celle-ci, est rendue particulièrement difficile dans le cadre juridictionnel où elle est tenue de l'exercer. C'est ce qui explique et justifie, semble-t-il, le choix de la voie moyenne et prudente qui est actuellement la sienne quant à la motivation de ses arrêts. Elle est d'ailleurs ancienne. Comme l'observe M. Chartier(46), « à reprendre la promenade au cours des ans, on ne peut que constater la volonté permanente de la Cour de cassation de ne pas alourdir ses arrêts, de « faire court », de s'en tenir à l'essentiel. Certes est-il possible de relever, dans les premiers temps, quelques exemples de rédaction dans la forme et le style qu'empruntent les juges du fond... : mais il ne s'agit que de rares exceptions. Même si elle n'a pas connu un égal succès selon les époques, la formule brève a tout de suite été utilisée, pour ne pas dire mise à l'honneur ». Selon cet auteur(47), aujourd'hui la Cour de cassation ne justifie plus « l'expression d'une vérité juridique » qui constitue la majeure de son « syllogisme ». Il ajoute : « Faut-il le regretter ? On peut certes le faire, en gardant la nostalgie d'arrêts comme ceux qui ont été cités, et qu'on trouve 23 toujours plaisir et bénéfice à relire ». Il estime, quant à lui, que, malgré des avis divergents, le « doyen Breton a eu sur ce point des propos décisifs » et qu'un « équilibre a été trouvé entre deux extrêmes que symbolisent, d'un coté, la période révolutionnaire », caractérisée par une motivation très brève souvent limitée au visa des textes, « de l'autre, celle du Second Empire ». Ce juste milieu paraît raisonnable et conforme à la complexité de la nature de la Cour de cassation. Encore faut-il que celle-ci ait toujours présent à l'esprit que l'excès de concision peut aussi conduire à l'ambiguïté, ce qui serait incompatible avec sa mission de dire le droit. Comme l'observe M. Xavier Henry(48), « toute décision ne peut se comprendre que dans un rapport aux textes existants et aux précédents jurisprudentiels ». 16 - C'est dans cet esprit que la Cour de cassation fait aujourd'hui un effort certain, notamment par la publication de son rapport annuel, afin de rendre sa jurisprudence plus compréhensible. Une nouvelle preuve en est donnée par la modification, récemment annoncée par M. Lesueur de Givry, conseiller à la Cour de cassation et directeur de son Service de documentation et d'études, de « sa méthode de renvois aux précédents, pour tenir compte, dans toute la mesure du possible, des critiques constructives formulées par » M. Xavier Henry sur le fonctionnement de la Cour de cassation et ses publications(49). En publiant ces critiques la Cour de cassation montre qu'elle est ouverte à un véritable dialogue avec les universitaires de bonne volonté et qu'il est injuste d'écrire « qu'il n'est pas sûr qu'ils » (les juges) « se soucient encore d'une quelconque intelligibilité des arrêts de la Cour »(50). M. Xavier Henry écrit(51), pour justifier la « nécessité du chaînage institutionnel », que celui-ci est la trace d'une intention qui mérite à ce titre d'être objectivement connue, de la même façon que la volonté du législateur est un élément qui occupe une place spécifique dans la compréhension des textes ». Il insiste sur la supériorité de ce « chaînage institutionnel », « conçu en même temps que la décision », ce qui lui permet d'être « fiable et rapide », par rapport au « chaînage extérieur » des revues juridiques, qui n'est pas accessible à tous, et qui, lorsqu'il est rapide, est peu fiable, et, lorsqu'il émane de « spécialistes du secteur », « est le plus souvent tardif ». Il préconise(52) donc qu'une meilleure information soit donnée par le Service de documentation et d'étude avec le concours actif indispensable d'un membre de la formation ayant assisté au délibéré, rapporteur, ou, à défaut, président ou doyen. 17 - Il est toutefois précisément reproché à la Cour de cassation d'être obligée d'expliquer a posteriori le sens de ses arrêts faute de les avoir suffisamment motivés(53). Il faut alors se demander pourquoi, alors que, comme l'observe M. Xavier Henry(54), « bon nombre de juridictions européennes intègrent le renvoi aux précédents dans les motifs mêmes de leur décision », « tel n'est pas, sauf cas exceptionnel, la solution adoptée par la Cour de cassation ». Leur insertion faciliterait pourtant le travail des commentateurs sans augmenter beaucoup celui de la juridiction, puisqu'elle se bornerait à citer les précédents dont, par définition, elle a tenu compte. Cela permettrait, le cas échéant, de constater qu'elle n'a pas vu, ou voulu voir, un précédent jugé utile par d'autres, émanant notamment d'une autre formation. Il est vrai qu'en reconnaissant à la mention des précédents un caractère officiel, comme le demande M. Xavier Henry, on obtiendrait une information pratiquement équivalente à leur incorporation dans les motifs mêmes de l'arrêt. Le choix entre les deux présentations relèverait alors surtout de l'esthétique. 18 - M. Canivet, premier président de la Cour de cassation, a écrit récemment(55) que « dorénavant, les rapports, qui présentent une analyse objective de la question de droit sans dévoiler la solution proposée, sont des pièces de procédure portées à la 24 connaissance des parties, laissées dans les dossiers et bientôt, dans les affaires importantes, disponibles avec les arrêts sur les bases informatiques internes de la Cour. Ainsi » a-t-il ajouté, « en même temps que la conservation de ces études scientifiques de haut niveau, seront protégées les traces tangibles d'une oeuvre juridictionnelle, généralement considérable au fil du temps, accomplie par les juges de cassation dans chacun des dossiers ». Il serait évidemment souhaitable que ces rapports n'aient pas seulement pour vocation essentielle de servir d'archives, mais qu'ils soient rapidement rendus accessibles aux commentateurs des arrêts de la Cour de cassation. 19 - Est-il possible d'aller au-delà et de répondre au souhait, exprimé avec vigueur, par une partie de la doctrine ? C'est ainsi que, selon Mme Gjidara(56) : « Pour comprendre une décision de justice et y adhérer, les justiciables doivent pouvoir à la seule lecture de l'arrêt en comprendre les intentions et en saisir la portée », ce qui « devrait à terme infléchir la pratique actuelle de la Cour de cassation, dans la mesure où elle porte atteinte à la dignité de la justice ainsi qu'à la confiance placée en elle par les justiciables ». M. Bérenger(57) va plus loin encore. Après avoir affirmé que « les motivations elliptiques rendent difficile la compréhension des arrêts », il ajoute : « Mais il y a bien plus que cela. Il y a le réel désir des juges de rester dans le vague et le flou ; et le seul moyen d'y arriver est d'avoir recours à un langage d'initié et de technicien. Cela participe aussi à l'idée que l'on peut se faire du pouvoir.... Dans l'esprit des magistrats, le langage judiciaire, et surtout celui de la Cour de cassation, ne doit être compris que par les initiés ». Il est vrai que la pleine compréhension des arrêts de la Cour de cassation exige une formation particulière. Il semble cependant que M. Bérenger confonde quelque peu, avec une initiation à des pratiques délibérément occultes, l'apprentissage de l'interprétation d'un arrêt de la Cour de cassation. II - L'apprentissage de l'interprétation d'un arrêt de la Cour de cassation 20 - MM. Jacques et Louis Boré(58) écrivent à cet égard : « Nous ne croyons pas... que l'on pourrait se passer, comme l'a souhaité un auteur (A. Tunc, La Cour suprême judiciaire, RID comp. 1978, p. 463), de toute une « casuistique de lecture des arrêts », que certains magistrats ou professeurs ne se vantent d'ignorer que parce qu'ils négligent de l'enseigner(59), et qui n'est pas, à vrai dire, aussi difficile à assimiler qu'on l'a prétendu. Cette casuistique est, en effet, inévitablement liée au fait que la Cour de cassation ne statue jamais sur les questions qui lui sont soumises que dans le cadre d'ouvertures précises, dont les conditions d'application sont assez rigoureuses ; et elle ne pourrait disparaître tout à fait que si la Cour suprême judiciaire française devenait, comme la Chambre des Lords d'Angleterre ou la Cour suprême du Canada, une juridiction ayant une compétence générale de troisième degré, ce qui serait profondément contraire à la loi de son office ». 21 - Pour M. Atias, qui a rédigé la préface de l'ouvrage de M. Bérenger(60), « il faut souhaiter que la publication de ce beau mémoire ait une vertu incitative et porte d'autres réflexions qui en prolongeront les hypothèses et les conclusions. La Cour de cassation est une institution trop forte, sa tradition est trop riche, ses fonctions sont trop importantes pour que les facultés de droit renoncent à passer son histoire, son travail, ses changements au microscope ». L'invitation mérite notre attention. Il ne faudrait pas toutefois que ce travail « au microscope » serve à mettre en lumière la paille dans l'oeil de la Cour de cassation pour mieux occulter la poutre qui est dans celui de la doctrine. Dénoncer de façon générale « l'hermétisme » des arrêts actuels de la Cour de cassation ne doit pas servir de justification facile à la difficulté que rencontrent trop de praticiens et d'universitaires, qui ont formé ceux-là, à comprendre ses arrêts, faute de savoir comment ils sont rédigés et doivent être lus. 25 22 - J'ai déjà eu l'occasion, dans un ouvrage en l'honneur du regretté André Ponsard(61), d'énoncer quelques réflexions sur l'interprétation des arrêts de la Cour de cassation. En dehors des rares professeurs qui sont appelés à entrer à la Cour de cassation et qui peuvent accepter cet honneur, la plupart des universitaires, allocataires de recherche, puis ATER, puis maîtres de conférence, avant de devenir professeurs, éludent la formation acquise autrefois chez un avocat à la Cour de cassation par la plupart des « agrégatifs ». Ils n'ont de ce fait, du fonctionnement de cette institution et de la rédaction de ses arrêts, que des notions théoriques, ce qui peut les conduire à des erreurs quant à l'interprétation de ceux-ci et leur rendre plus difficile, sur ce point essentiel, la formation indispensable des étudiants. J'avais montré, à titre d'exemple, qu'il ne faut pas présenter comme une solution nouvelle, certaine et importante ce qui n'a pas été jugé par la Cour de cassation(62), qu'il ne faut pas interpréter un arrêt de la Cour de cassation sans se référer au moyen qui lui était soumis(63) et qu'il faut se référer si nécessaire à la procédure antérieure pour mieux comprendre un arrêt de lecture difficile(64). Les erreurs d'interprétation, présentées à titre de simples exemples, étaient le fait, soit de purs praticiens, soit de praticiens enseignants, soit encore d'un rédacteur de revue juridique, soit même d'universitaires, professeurs agrégés des facultés de droit. 23 - J'avais cité, à titre d'anecdote introductive, l'histoire d'un candidat, finalement malheureux, à un poste d'assistant à la faculté de droit de Bordeaux, dans les années soixante, qui avait longuement disserté sur la grave contradiction intellectuelle entachant, selon lui, les motifs d'un arrêt rendu par la Cour de cassation, sans prendre garde au fait que, s'agissant d'un arrêt de rejet, la thèse du pourvoi était ensuite écartée par des motifs naturellement contraires(65). Dans un excellent ouvrage sur la « Technique de cassation »(66), préfacé précisément par André Ponsard, les auteurs énoncent « une observation importante d'ordre général : il ne faut pas confondre - il s'agit là d'une erreur que commettent beaucoup de « débutants » - le résumé du moyen et sa réfutation ». Ils ajoutent que « le résumé du moyen, s'il est important pour apprécier la portée de sa réfutation, et donc la portée de l'arrêt, n'exprime bien entendu pas l'opinion de la Cour de cassation. Il constate seulement l'énoncé objectif d'une critique adressée à l'arrêt ». Il doit être enseigné aux étudiants, dès la première année de DEUG, que lorsqu'on lit un arrêt de la Cour de cassation il est indispensable de bien déterminer la personne ou la juridiction que fait parler le rédacteur de l'arrêt. Or il semble que des juristes aux titres prestigieux puissent méconnaître cette règle essentielle. Peut-on alors incriminer « l'hermétisme » des arrêts actuels de la Cour de cassation ? 24 - Pour illustrer mon propos, je présenterai l'exemple récent et particulièrement significatif de l'interprétation d'un arrêt de rejet rendu le 16 mars 2004 par la 1re Chambre civile de la Cour de cassation(67). Mon attention avait été attirée par le commentaire, dans les Echos des 16-17 avril 2004 (p. 11), de M. Eric Borysewicz, « avocat à la cour » de Paris « et au barreau de New York », du Cabinet Courtois Lebel. Sous le titre « Renégociation des contrats en cours : la révolution annoncée », cet auteur écrit d'abord : « Remettant en cause l'un des fondements les mieux établis du droit privé français, la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 mars 2004, pose le principe d'une obligation générale de renégociation des contrats en cours en cas de modification imprévue des circonstances économiques ». Il affirme ensuite que « l'arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2004 pose les bases de l'imprévision dans les contrats de droit privé ». Pour accentuer l'importance de cette « révolution annoncée », il annonce enfin aux milliers de lecteurs des Echos que, « à n'en pas douter, les acteurs économiques vont tenter de s'engouffrer dans la brèche ouverte par la Cour de cassation dans le principe de l'intangibilité du contrat et ce d'autant plus que cette jurisprudence s'applique immédiatement à tous les contrats en cours, quelle que soit la date de leur conclusion »(68). 26 25 - La décision paraissait effectivement de première importance. Elle m'intéressait d'autant plus que nous avions clairement pris position en faveur de la nécessité de « la révision ou de la résiliation » d'un contrat devenu trop gravement déséquilibré, en précisant toutefois qu'elles ne devaient « être admises, à l'instar des législations étrangères, que de façon exceptionnelle »(69). La consultation sur le site Légifrance m'a conduit cependant, après une lecture attentive, à considérer que cet arrêt n'avait rien jugé de semblable et qu'en conséquence l'interprétation qui en était présentée était, selon moi, certainement erronée. L'impact de ce commentaire a été toutefois considérable, puisqu'il a incité un certain nombre d'auteurs à commenter à leur tour cet arrêt. 26 - Dès le 13 mai 2004, M. Renard-Payen, conseiller-doyen de la première Chambre civile de la Cour de cassation(70), jugeait nécessaire de préciser sa portée. Il écrivait : « En toute hypothèse, le moyen était ici en porte-à-faux au regard des constatations de l'arrêt attaqué. La cour d'appel avait, en effet, relevé à juste titre que la société n'invoquait pas devant elle un déséquilibre financier né de circonstances économiques imprévues. Elle se fondait, en réalité, sur un déséquilibre structurel du contrat, dont elle n'avait pas été mise en mesure de prendre conscience, sans, pour autant, invoquer un vice du consentement ». Il ajoutait : « La Cour de cassation constate donc l'inadéquation du moyen à la motivation de l'arrêt attaqué, opération préalable au contrôle de ladite motivation. Ce procédé classique ne doit pas induire en erreur. Il ne résulte pas, a contrario, de son arrêt de rejet qu'elle eût approuvé la cour d'appel si celle-ci s'était fondée sur le « solidarisme contractuel » ». La conclusion résultant d'une lecture attentive du moyen rapproché de l'attendu justifiant le rejet se trouvait ainsi renforcée par ces précisions expressément fondées sur la nature du contrôle exercé en l'espèce par la Cour de cassation. Celles-ci étaient tout à fait explicites pour un lecteur ayant une bonne maîtrise de cette technique. Elles n'étaient d'ailleurs pas nécessaires pour un tel lecteur qui, à la simple lecture de l'arrêt, devait comprendre la portée de celui-ci. C'est ainsi que, le 30 avril 2004, donc antérieurement à la note du conseiller-doyen, un commentateur anonyme a fait de cet arrêt, sans développements superflus, une interprétation exacte(71). D'autres commentateurs cependant, faute d'avoir pris connaissance de la note du conseiller-doyen et/ou de maîtriser la technique indispensable à la bonne compréhension d'un arrêt de la Cour de cassation, ont présenté une interprétation qui ne correspond certainement pas à la signification et la portée de l'arrêt du 16 mars 2004. 27 - Tout d'abord, le président de la deuxième commission du Congrès national des notaires, commentant, dans le numéro du 11 juin 2004 des Petites affiches, le refus du voeu qui tendait à introduire dans notre droit une obligation de renégociation « en cas de bouleversement de l'économie du contrat résultant de circonstances imprévisibles lors de sa conclusion et extérieures aux parties », a déclaré, en invoquant l'article 1134, alinéa 3, du code civil, « que c'est d'ailleurs en ce sens que s'est prononcée récemment la Cour de cassation dans un arrêt du 16 mars 2004 », pour en conclure que « la révision pour imprévision serait donc de l'essence même du contrat »(72). 28 - Ensuite, dans le numéro du 28 juin 2004 des Petites affiches, deux « avocats à la cour » du Cabinet Jones Day, MM. Charles Gavoty et Olivier Edwards(73), ont écrit qu'une « lecture a contrario de ce dispositif laisse à penser que, si le déséquilibre était né d'un bouleversement des circonstances économiques postérieur à la conclusion de la convention, le refus de la commune et de l'association d'en renégocier les termes aurait pu être considéré comme une violation de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi ». Ils ont ajouté : « Que, pour justifier cette obligation de renégociation, la première Chambre civile vise l'obligation de loyauté et la bonne foi dans l'exécution des 27 conventions ne nous semble pas anodin. N'emboîte-t-elle pas, ce faisant, le pas de la Chambre commerciale et de la Chambre sociale dans leurs arrêts Huart, Expovit et Chevassus ? Mieux, il n'y avait pas à proprement parler de situation de dépendance dans cette affaire ; la première Chambre civile n'indique-t-elle pas ainsi que la solution qu'il est possible de dégager de l'analyse de ces trois espèces a vocation à s'appliquer de façon générale, ce que les termes mêmes qu'elle utilise, qui sont plus généraux, plus explicites que ceux des Chambres commerciale et sociale semblent confirmer ? ». Il faut toutefois préciser que ces auteurs ne tiennent pas pour certaine la consécration par cet arrêt d'une « obligation générale de renégociation en cas d'imprévision », notamment parce qu'il s'agit d'un arrêt de rejet et d'une « lecture a contrario ». 29 - M. Houtcieff(74), quant à lui, a pris bonne note de l'avertissement donné par le conseiller-doyen, qu'il cite expressément. Il a toutefois estimé que cela ne devait « pas dissuader du commentaire, aussi hasardeux soit-il ». Pour cet auteur, « Il ne s'agit pour autant que d'un arrêt de principe par prétérition : s'exerçant à l'art subtil de la litote, la première Chambre civile se contente d'affirmer qu'elle n'est pas hostile à l'obligation de renégocier {...} Le recours à l'obiter dictum est en effet souvent annonciateur d'une jurisprudence à venir, qui permet d'anticiper la doctrine de la cour régulatrice sans faire peser le poids d'une solution inattendue aux parties au litige ». En réalité nous allons voir que la Cour de cassation n'affirme rien quant à une obligation de renégocier et n'énonce, en l'espèce, aucun obiter dictum. Elle se borne, tout au plus, à ne pas exprimer d'hostilité à l'égard d'une telle obligation, pour la simple raison qu'elle n'en parle pas du tout, ce qui n'est pas la même chose. 30 - Enfin, la rédaction du Dalloz, qui, au vu des lettres déterminant l'intérêt de la décision pour la Cour de cassation elle-même, avait d'abord jugé suffisant d'en faire une relation sommaire, s'est interrogée sur l'opportunité de lui consacrer un commentaire. Finalement c'est M. Denis Mazeaud qui s'est chargé de celui-ci dans le numéro du 24 juin 2004(75). Cet auteur, sous le titre « Du nouveau sur l'obligation de renégocier », écrit que, « sans forcer exagérément le trait, ni solliciter excessivement cet arrêt, il semble bien que c'est cette stimulante leçon de politique contractuelle que la première Chambre civile a entendu donner, à cette occasion, en réaffirmant, fort opportunément, le principe de l'obligation de renégocier (I) et en en déterminant, avec précision, le domaine (II) », ce qui annonce les deux parties qu'il traite ensuite. Pour cet auteur, « même si, à l'évidence, il ne s'agit pas de l'apport essentiel de l'arrêt commenté, la consécration du principe de l'obligation de renégocier par la Cour de cassation nous paraît digne d'intérêt. Ce faisant, la Cour de cassation confirme les précédents qui émanaient de la Chambre commerciale et inscrit sa jurisprudence dans l'environnement européen et international ». Il ajoute notamment qu'il « est entendu que la Cour de cassation induit du devoir d'exécuter le contrat de bonne foi, édité par l'article 1134, alinéa 3, du code civil, une obligation de renégocier les contrats devenus profondément déséquilibrés au cours de leur exécution en raison d'un changement de circonstances » ; que l'on « peut se demander si l'un des mérites de l'arrêt rendu par la première Chambre civile n'est pas... de replacer... l'obligation de renégocier dans l'orbite de la théorie de l'imprévision » et « qu'avec cet arrêt, et pour la première fois de façon claire et nette, la Cour de cassation appréhende l'obligation de renégocier comme un tempérament, indirect mais général, à l'intangibilité des contrats devenus déséquilibrés lors de leur exécution, autrement dit au refus de la révision pour imprévision qu'elle a exprimé en 1876 »(76). 31 - L'interprétation exacte ayant été précisée par le conseiller-doyen Renard-Payen, la qualité des commentateurs conduit à se demander, dans le cadre limité de la présente étude, si leur erreur d'interprétation n'est pas la conséquence d'une rédaction défectueuse des motifs de l'arrêt ? 28 Allons directement à la réfutation du moyen, puisque c'est là, et là seulement, que la Cour de cassation s'exprime. Elle est ainsi rédigée : « Mais attendu que la cour d'appel a relevé que la LRP mettait en cause le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat et non le refus injustifié de la commune et de l'AFJT de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi ; qu'elle a ajouté que la LRP ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre structurel du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n'avait pas su apprécier ; qu'elle a, ainsi, légalement justifié sa décision ». 32 - Ce qui paraît avoir troublé plusieurs commentateurs c'est d'abord que la Cour de cassation n'ait pas justifié le rejet du pourvoi par l'affirmation qu'il n'existerait aucune obligation de renégociation en cas de modification des circonstances économiques. Une telle abstention ne signifiait-elle pas qu'elle n'était pas hostile, par principe, à une telle obligation ? Cela n'était toutefois pas suffisant pour voir dans cet arrêt la consécration du principe d'une obligation de renégocier. Il faut donc aller plus loin dans la recherche. Les commentateurs ont été frappés par le fait que, pour justifier le rejet du pourvoi, il aurait pu suffire, selon eux, d'écrire « que la cour d'appel a relevé que la LRP mettait en cause le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat »(77), de telle sorte, comme l'écrit M. Mazeaud(78), « qu'en précisant, pour écarter son argumentation, que le demandeur au pourvoi ne reprochait pas à ses cocontractants leur « refus injustifié (...) de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi », la première Chambre civile reprend à son compte une jurisprudence initiée il y a douze ans, et reprise, six ans plus tard, par la Chambre commerciale ». 33 - Toute la question est alors de savoir si la deuxième proposition, ainsi visée, et cette reprise de la jurisprudence antérieure qu'elle exprimerait, a pour véritable auteur la Cour de cassation ou le rédacteur du moyen rejeté par celle-ci. La connaissance de la pratique des avocats à la Cour de cassation est ici précieuse. Ceux qui, comme moi, ont travaillé plusieurs années sous leur direction savent bien que les moyens reprennent, chaque fois que cela est possible, des formules empruntées à de précédents arrêts de la Cour de cassation, dont ils s'efforcent d'obtenir l'application à l'espèce, afin d'obtenir la censure demandée. C'est précisément ce qui a eu lieu ici et les formules reproduites dans l'attendu justifiant le rejet du pourvoi n'expriment pas la confirmation d'une jurisprudence antérieure, mais se bornent à rappeler des formules pratiquement identiques qui figuraient dans le moyen écarté. Cela se déduit, selon moi, d'une comparaison attentive de l'attendu justifiant le rejet et de celui qui expose le moyen du pourvoi en cassation. Comme le rappelle « Droit et pratique de la cassation en matière civile »(79), « surtout, ce qu'il convient de prendre en compte, c'est l'argumentation de droit qui est présentée par le moyen, où elle est introduite par la locution « alors que ». Il s'agit là du coeur de la question posée à la Cour de cassation et c'est un point qui doit faire l'objet d'une attention vigilante »(80). « L'expression « alors que » est obligatoirement suivie par selon le moyen qui est destinée à bien montrer que ce qui va suivre immédiatement exprime les prétentions du demandeur en cassation, et non pas la doctrine de la cour »(81). Le strict respect de l'une ou l'autre » (la forme conditionnelle) « de ces méthodes de présentation est nécessaire pour empêcher de graves malentendus, car elle permet d'éviter tout risque de confusion entre l'opinion de la Cour de cassation et celle du demandeur au pourvoi »(82). On peut lire en l'espèce dans cet exposé du moyen : « alors, selon le moyen, que les parties sont tenues d'exécuter loyalement la convention en veillant à ce que son économie générale ne soit pas manifestement déséquilibrée ; qu'en se déterminant 29 comme elle l'a fait, sans rechercher si, {...} les personnes morales concédantes n'avaient pas le devoir de mettre la société prestataire de service en mesure d'exécuter son contrat dans des conditions qui ne soient pas manifestement excessives pour elle et d'accepter de reconsidérer les conditions de la convention dès lors que, dans son économie générale, un déséquilibre manifeste était apparu, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134 et 1147 du code civil ». C'était ainsi le demandeur au pourvoi et non la Cour de cassation qui invoquait l'article 1134 du code civil, pour en déduire une obligation de renégocier le contrat en raison de l'évolution des circonstances économiques. Or ce moyen, nous l'avons vu, a été expressément rejeté. Il semble difficile de déduire de ce rejet la confirmation d'une obligation dont le moyen rejeté demandait précisément l'application. En réalité, la mention dans l'attendu justifiant le rejet du « refus injustifié de la commune et de l'AFJT de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi » n'est pas autre chose qu'un simple rappel de l'argumentation du moyen, qui est rejeté au motif que « la LRP mettait en cause le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat et non {...} une modification imprévue des circonstances économiques ». Comme l'a précisé le conseiller-doyen Renard-Payen(83), ce rappel n'est que la mise en oeuvre d'un « procédé classique », « préalable au contrôle de » la « motivation », qui consiste à constater « l'inadéquation du moyen à la motivation de l'arrêt attaqué ». Cette constatation exige, en effet, de comparer les motifs de l'arrêt attaqué avec les motifs inadéquats invoqués dans le moyen. La connaissance de cette technique « classique » aurait permis de comprendre que la seconde proposition, annoncée par « et non », n'était pas l'énoncé d'un obiter dictum émanant de la Cour de cassation et susceptible d'interprétation a contrario, mais le simple rappel de l'argumentation du demandeur au pourvoi. A défaut, la comparaison attentive de l'argumentation du pourvoi et de la proposition prise à tort pour un obiter dictum pouvait suffire, selon moi, à « éviter tout risque de confusion entre l'opinion de la Cour de cassation et celle du demandeur au pourvoi »(84). 34 - Il est vrai qu'il y avait dans le pourvoi, comme le relève exactement M. Mazeaud(85), un argument particulier. « L'inégalité contractuelle, qui se traduisait par le pouvoir détenu par un des contractants de fixer unilatéralement les modalités d'exécution du contrat, emportait, au nom du devoir de bonne foi et à la charge des cocontractants du demandeur au pourvoi, une obligation de renégocier ce contrat-cadre de dépendance manifestement déséquilibré ». La Cour de cassation n'a pas cru devoir rappeler, de façon spécifique, dans son attendu justifiant le rejet, cet argument particulier. Elle n'avait aucune raison, en effet, de reproduire là, de façon complète, un moyen qu'elle avait déjà exposé. Il lui suffisait, encore une fois, d'opposer par la formule « et non » à la thèse du pourvoi, sommairement rappelée, le fait que l'arrêt attaqué était motivé par la constatation que le déséquilibre invoqué existait dès la conclusion du contrat. En revanche, cette opposition était nécessaire à la compréhension de l'arrêt, de telle sorte qu'il ne peut être reproché aux rédacteurs de l'arrêt un attendu qui, cette fois, n'aurait pas été assez concis, ce qui aurait conduit certains commentateurs à croire qu'il s'agissait d'un obiter dictum. 35 - Finalement l'attendu justifiant le rejet devait se lire de la façon suivante : « Mais attendu que la cour d'appel a relevé que la LRP mettait en cause le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat et non », comme le soutient le demandeur dans son pourvoi, « le refus injustifié de la commune et de l'AFJT de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi ». 30 Il est incontestable que si l'arrêt avait comporté cette proposition supplémentaire tout risque d'une erreur de lecture aurait été écarté. Faut-il en conclure que l'absence de cette précision rend insuffisante la motivation de l'arrêt ? Une réponse négative s'impose si l'on suppose chez les commentateurs potentiels une bonne maîtrise de la technique du contrôle de la Cour de cassation et le réflexe impératif de prendre attentivement connaissance du moyen avant d'interpréter les motifs justifiant le rejet ou la censure. Tout au plus est-il permis de penser que les rédacteurs des arrêts ont tendance à surestimer les commentateurs. 36 - J'avais déjà donné des exemples d'erreurs d'interprétation incontestables dans les Mélanges en l'honneur d'André Ponsard. Ils peuvent être rapprochés de l'indiff,rence, déjà relevée par M. Boré, à l'égard de « la casuistique de lecture des arrêts », que révèle la controverse impliquant, en face du conseiller-doyen Paul Grimaldi, des auteurs aussi confirmés que MM. Aynès, Larroumet et Libchaber. Cela conduit à se demander s'il ne serait pas opportun d'introduire dans les conditions d'accès à la magistrature, au barreau(86) ou au notariat, voire aux divers postes d'enseignants à l'université, tout spécialement pour les responsables, à tous les niveaux, des travaux dirigés, une épreuve obligatoire d'interprétation d'un arrêt de la Cour de cassation, comprenant son analyse logique détaillée(87), dont l'apprentissage deviendrait ainsi un point de passage obligé. On me dira qu'il s'agit d'un exercice bien difficile et trop « scolaire ». Cependant, savoir rédiger une note de synthèse est très utile pour de futurs grands commis de l'Etat. Mais savoir lire et comprendre un arrêt de la Cour de cassation est un préalable indispensable à la connaissance du droit positif, qu'il faut bien connaître pour l'appliquer et en informer les assujettis, et aussi pour le critiquer. 37 - Comme l'écrivent MM. Jacques et Louis Boré(88) : « L'interprétation de ces arrêts ne peut donc se faire aisément, sans un minimum de connaissance des ouvertures en fonction desquelles la Cour de cassation exerce son contrôle. Car il est normal que la portée d'une cassation pour défaut de motifs ou pour défaut de base légale ne soit pas la même que celle d'une cassation pour violation de la loi. Et l'on ne peut que souhaiter que l'enseignement de ces règles devienne un élément de la science du droit, comme il est déjà un élément de la formation donnée aux jeunes magistrats »(89). J'ai déjà déploré l'absence actuelle de formation sérieuse des enseignants et des praticiens chez un avocat à la Cour de cassation. A défaut, il est permis de leur conseiller d'apprendre, pour les pratiquer et/ou les enseigner, le « droit et la pratique de la cassation en matière civile »(90). Mots clés : CASSATION * Matière civile * Pourvoi en cassation * Arrêt de la Cour de cassation * Interprétation * Motivation (1) J. Ghestin, Les données positives du droit, RTD civ. 2002, p. 20, n° 25. (2) V. J. Leclercq, Le juriste confronté aux « réflexes » interprétatifs du juge, Petites affiches, 19 déc. 2001, p. 19. (3) J. Ghestin, article préc., p. 25, n° 38. (4) J. Ghestin, article préc., p. 24 s., n° 34 s. (5) D. 2000, n° 13, VI. (6) L'acquéreur de l'immeuble et la caution du locataire, D. 2000, Chron. p. 155. 31 (7) Cession de contrat : le cautionnement n'est-il plus un accessoire de la créance ?, D. 2000, Jur. p. 224, spéc. n° 11. (8) Retour sur la motivation des arrêts de la Cour de cassation, et le rôle de la doctrine, RTD civ. 2000, p. 679, spéc. p. 680. (9) J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, 3e éd., 2001, n° 1078, p. 1158. (10) Defrénois 2000, art. 37151, p. 480 s. (11)Op. cit. note 8, RTD civ. 2000, p. 680. (12) Son commentaire a été publié dès le 30 avril 2000 et il ne fait pas état de la communication de M. Grimaldi. (13)Op. cit., p. 481. (14) M. Piedelièvre observe que l'article 1743 du code civil n'organise pas « une subrogation légale de l'acquéreur dans les droits et obligations de l'ancien bailleur », mais réalise « une cession légale de contrat », dont les « effets diffèrent partiellement de l'hypothèse d'une transmission de créance qui aurait conduit à l'application de l'article 1692 du code civil » (op. cit., p. 481-482). (15)Op. cit., p. 684. (16) Ouvrage collectif de la Cour de cassation, prenant la suite de celui du conseilllerdoyen Perdriau, Litec, 2003. (17) D. 2004, p. 708. (18) L'élaboration d'un arrêt de la Cour de cassation, JCP 2004, I, 108, p. 225 s. (19) Dans de « libres propos » sur « une certaine idée de l'Université » (Petites affiches, 29 avr. 2004, p. 3, spéc. p. 3 et 4), Mme Michelle Gobert déclare notamment que « tout le monde est bien d'accord pour que ce soit nous » (les universitaires) « qui assumions la formation fondamentale, aux professions revenant ensuite de transmettre leur indispensable et irremplaçable savoir-faire ». Elle précise que « former des juristes consiste à vérifier, aussi, que les étudiants savent lire un texte et qu'ils ont le réflexe d'aller en premier lieu à l'original et non à son commentaire ». (20) Ce n'est pas par hasard que beaucoup d'universitaires préfèrent donner comme sujet d'examen un cas pratique plutôt que le commentaire d'un arrêt de la Cour de cassation. (21) V. A. Breton, L'arrêt de la Cour de cassation, Ann. univ. sc. soc. Toulouse, t. 23, 1975, p. 7 s., spéc. p. 23 ; P. Ourliac, RD rur. 1974, p. 378 ; adde, R. Lindon, La motivation des arrêts de la Cour de cassation, JCP 1975, I, 2681. (22) V. notamment l'article classique de A. Touffait et A. Tunc, Pour une motivation plus explicite des décisions de justice, notamment de celles de la Cour de cassation, RTD civ. 1974, p. 487 ; C. Witz, Libres propos d'un universitaire français à l'étranger, RTD civ. 1992, p. 737. (23) S. Gjidara, La motivation des décisions de justice : impératifs anciens et exigences nouvelles, Petites affiches, 26 mai 2004, p. 20, n° 60. 32 (24) La supériorité des Cours suprêmes anglaise et américaine sur ce terrain est pourtant contestable. V. J. Ghestin, op. cit. note 1, RTD civ. 2002, p. 25, n° 38. Dans un article récent (The Theory of Contracts, in The Theory of Contract Law, New Essays, ed. by Peter Benson, Cambridge University Press, 2001, p. 206 à 264), le professeur Eisenberg montre que l'interprétation des arrêts dans la common law, spécialement quant au contrat, est entachée des mêmes incertitudes que notre droit jurisprudentiel. (25)Op. cit., JCP 2004, I, 108, p. 229, n° 23. (26) F. Bérenger, La motivation des arrêts de la Cour de cassation, PUAM, 2003, préface C. Atias, p. 19. (27)Op. cit., p. 186. (28)Op. cit., p. 19. (29) Y. Chartier, De l'an II à l'an 2000, Remarques sur la rédaction des arrêts civils de la Cour de cassation, in Le juge entre deux millénaires, Mélanges offerts à Pierre Drai, Dalloz, p. 269 s. (30) V. J. Ghestin et G. Goubeaux, Introduction générale, 4e éd., 1994, avec le concours de M. Fabre-Magnan, n° 452, p. 415. (31)Op. cit., p. 282-283. (32) V. J. Ghestin et G. Goubeaux, préc., n° 454, p. 417-418. (33) F. Zenati, La nature de la Cour de cassation, Bull. inf. C. cass., 15 avr. 2003, p. 3 à 10. (34) F. Zenati, préc., p. 8. (35) V. J. Ghestin et G. Goubeaux, préc., n° 443 s., p. 405 s. (36) V. J. Ghestin et G. Goubeaux, préc., n° 531, p. 491-492. (37) P. Hébraud, Le juge et la jurisprudence, in Mélanges Couzinet, p. 347, n° 14. (38) P. Hébraud, préc. ; A. Breton, préc., p. 28 s. (39) V. en ce sens, Lerebours-Pigeonnière, Travaux Association Capitant, 1949, p. 75. (40) M.-N. Jobard-Bachellier et X. Bachellier, La technique de cassation, Pourvois et arrêts en matière civile, Dalloz, 5e éd., 2003, p. 8. (41) R. Libchaber, op. cit. note 8, RTD civ. 2000, p. 682 ; S. Gjidara, préc., p. 20, n° 59. (42) CEDH 31 janv. 1996, Fouquet c/ France, Rec. 1996-I, p. 19 ; JCP 1997, I, 4000, n° 5, obs. F. Sudre ; 19 févr. 1998, Higgins c/ France, RTD civ. 1998, p. 516, obs. J.-P. Marguénaud ; D. 1998, Somm. p. 369, obs. N. Fricero ; RDP 1998, p. 875, note C. Hyon ; 21 mars 2000, Dulaurans c/ France, RTD civ. 2000, p. 439, obs. J.-P. Marguénaud, et p. 635, obs. R. Perrot ; JCP 2000, II, 10344, note A. Perdriau ; D. 2000, Jur. p. 883, note T. Clay. (43) S. Guinchard, Le droit a-t-il encore un avenir à la Cour de cassation ? (qui cassera les arrêts de la Cour de cassation ?), in L'avenir du droit, Mélanges en l'honneur de François Terré, 1999, p. 761 s. 33 (44) R. Perrot, préc. note 42, RTD civ. 2000, p. 634. (45) V. sur ces arrêts, J.-P. Marguénaud, préc. note 4, RTD civ. 1998, p. 516 s. : L'obligation de motiver les décisions juridictionnelles dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, et 2000, p. 439 s. : De quelques observations de la Cour européenne des droits de l'homme sur la Cour de cassation française. (46)Op. cit., p. 277-278. (47)Op. cit., p. 283. (48) Etude préc., p. 6, n° 6. (49) V. in Bulletin d'information du 1er juin 2004, p. 3 à 19, les déclarations de M. Lesueur de Givry précédant la publication d'une étude de M. Xavier Henry sur « le chaînage des arrêts de la Cour de cassation dans le Bulletin civil ». (50) F. Bérenger, préc., p. 187. (51) Etude préc., p. 6, n° 6. (52) Etude préc., p. 6, n° 8. (53) R. Libchaber, préc. note 8, RTD civ. 2000, p. 681-682 ; S. Gjidara, préc., Petites affiches, 26 mai 2004, p. 20, n° 59. (54) Etude préc., p. 6, n° 8. (55) G. Canivet, Des « professeurs-juges » aux « juges-professeurs », in La Cour de cassation, l'Université et le Droit, André Ponsard, un professeur à la Cour de cassation, Etudes en l'honneur d'André Ponsard, Litec, 2003, p. 119. (56) Préc., Petites affiches, 26 mai 2004, p. 19-20, n° 59. (57)Op. cit., p. 187. (58) La cassation en matière civile, Dalloz, 2003-2004, n° 124-70, p. 620. (59) Italiques ajoutés au texte. (60) F. Bérenger, La motivation des arrêts de la Cour de cassation, préc., p. 12. (61) J. Ghestin, Réflexions sur l'interprétation des arrêts de la Cour de cassation, in La Cour de cassation, l'Université et le Droit, André Ponsard, un professeur de droit à la Cour de cassation, préc., p. 181 à 194. (62) Art. préc., n° 7 à 12, sur Cass. com. 18 déc. 2001, Defrénois 2002, art. 37564, p. 821, obs. H. Hovasse. (63) Art. préc., n° 13 à 19, sur l'arrêt Leroux, Cass. 1re civ. 18 juill. 2000, D. 2001, Somm. p. 1607, obs. J. Revel ; F. Sauvage et D. Faucher, L'assurance-vie est-elle toujours hors succession ?, JCP éd. N 2000, p. 1683 ; P. Julien Saint-Amand et J.-M. Coquema, Coup de pied dans la fourmilière, l'arrêt « Leroux » du 18 juillet 2000, Droit et Patrimoine, 2001, p. 33, p. 29 ; NDLR du Defrénois 2000, art. 37257, p. 1277. (64) Art. préc., n° 20 à 27, sur Cass. com. 2 mars 1993, JCP 1993, II, 22176, note M. 34 Behar-Touchais ; D. 1994, Jur. p. 48, note M. Aubert-Monpeyssen. Il est vrai que sur ce dernier exemple une motivation plus explicite aurait incontestablement facilité le travail des commentateurs en les incitant à se reporter au dossier de procédure. Là encore, cependant, la formation acquise à la conférence du stage des avocats aux Conseils montre son utilité puisque, à ma connaissance, les discours des candidats sont aujourd'hui encore préparés à partir des dossiers réels, aimablement communiqués par les avocats qui ont rédigé les mémoires. (65) L'épreuve avait lieu devant l'ensemble des professeurs de droit privé de la faculté. Opinant le dernier j'avais été le premier à énoncer cette critique qu'après une brève discussion tout le monde avait trouvé de nature à justifier l'élimination du candidat. (66) M.-N. Jobard-Bachellier et X. Bachellier, La technique de cassation, Pourvois et arrêts en matière civile, préc., p. 30. (67)Société Les repas parisiens (LRP) c/ Association Foyers des jeunes travailleurs (AFJT), D. 2004, Jur. p. 1754, note D. Mazeaud ; RTD civ. 2004, p. 290, obs. J. Mestre et B. Fages. (68) Article précité, titre et dernier paragraphe. (69) J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, préc., n° 349, p. 416. (70) O. Renard-Payen, JCP éd. E 2004, n° 737, p. 817. (71) BRDA 30 avr. 2004, p. 8. (72) Les notaires face aux défis du siècle. Panorama des travaux du Congrès, Petites affiches, 11 juin 2004, p. 6. J'ignore si cet arrêt a été cité lors des débats qui ont précédé le refus du voeu présenté par la deuxième commission. (73) Vers une extension de l'obligation de renégociation en matière contractuelle ?, Petites affiches, 28 juin 2004, p. 18 s., spéc. p. 20. (74) D. Houtcieff, L'obligation de renégocier en cas de modification imprévue des circonstances. Quand la première Chambre civile manie l'art de la litote..., Rev. Lamy Dr. civil, juin 2004, n° 6, p. 5 s. (75) Préc., D. 2004, Jur. p. 1754 s. (76) Note préc., n° 5 à 8, p. 1755-1756. L'auteur ajoute prudemment, n° 8, « Si l'analyse n'est pas erronée... ». V. un second commentaire semblable du même auteur, RDC 2004, p. 642 s. ; adde, L. Aynès, Droit et patrimoine, juill.-août 2004, p. 40, note 2, qui tient déjà la solution, fondée sur « l'obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi », comme acquise ; D. Schmidt, D. 2004, Point de vue, p. 2132, pour qui « c'est là l'essentiel ». (77) Texte de l'arrêt. (78) Note préc., n° 7, p. 1755. (79) Litec, 2003, Avant-propos, p. XII. (80)Op. cit., n° 1033, p. 358. (81)Op. cit., n° 1045, p. 361. 35 (82)Op. cit., n° 1046, p. 361. (83) Obs. préc., p. 818. (84) Droit et pratique de la cassation en matière civile, préc., n° 1046, p. 361. (85) Note préc., n° 2, p. 1755. (86) A ma connaissance, dans certains Instituts d'études judiciaires, les commentaires d'arrêts sont choisis comme épreuve d'examen, en alternance avec des cas pratiques. Dans d'autres, les cas pratiques sont largement et malheureusement privilégiés. (87) La deuxième épreuve du concours d'agrégation de droit privé porte sur un commentaire de texte. A ma connaissance, plus de la moitié des textes choisis sont pratiquement des arrêts de la Cour de cassation. Cela va naturellement dans le bon sens, surtout si l'on donne à l'analyse logique des arrêts l'importance qu'elle mérite. Il faudrait toutefois être certain que tous les membres du jury d'agrégation attachent de l'importance à l'interprétation des arrêts de la Cour de cassation conformément aux règles spécifiques auxquelles elle est soumise. (88)Op. cit., n° 124-70, p. 620. (89) V. sur l'interprétation d'un arrêt de la Cour de cassation, J. Ghestin et G. Goubeaux, Introduction générale, 4e éd., 1994, avec le concours de M. Fabre-Magnan, n° 521 à 529, p. 485 à 490. (90) C'est le titre de l'ouvrage collectif de la Cour de cassation, prenant la suite de celui du conseilller-doyen Perdriau, Litec, 2003, Avant-propos, p. XII. « Plus particulièrement destiné aux magistrats de la Cour de cassation et aux avocats aux Conseils, il présente également un intérêt certain pour les universitaires, ainsi que pour les juridictions du fond, les avoués et avocats au barreau ». Ils peuvent également se référer à l'ouvrage de MM. Boré « La cassation en matière civile », préc., ou celui de Mme Jobard-Bachellier et de M. Bachellier sur la « Technique de cassation », préc, à propos duquel A. Ponsard écrivait dans sa préface : « je souhaite et j'espère fermement le succès de ce livre, qui permettra à tous, et notamment aux étudiants, de comprendre le sens et la portée des arrêts de la Cour de cassation ». 36 Thème N° 7 : L’EFFET RELATIF DU CONTRAT DOCUMENTS I. Effet relatif du contrat et opposabilité du contrat aux tiers ou par les tiers : - Doc 1 : Cass. 1ier civ. 13 février 2001, n° 99-13.589 - Doc 2 : Com . 5 avril 2005, n° 03-19.370, RDC 2005, p. 687 , obs. D. Mazeaud. - Doc 3 : Ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13255, D. 2006, p. 2825, note G. Viney. - Doc 4 : Ass. plén., 9 mai 2008, n° 07-12449, D. 2008, p. 1412. - Doc 5 : Cass. civ 3ième 12 janvier 2011, n° 10-10667, D. 2011, p ; 851, note L. Aynès. II. La relativité des effets du contrat dans la chaine des contrats : - Cas de la chaine des contrats translatifs de propriété : Doc 6 : Ass. plén. 7 févr. 1986, n° 83- 14631 ; Doc 7 : Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20842, D. 2007, p. 2017, note S. Bollée. - Cas de la chaîne de contrats non translatifs de propriété : Doc 8 : Ass. plén. 12 juill. 1991, n° 90-13602 ; Doc 9 : Civ. 1re, 10 janv. 2006, n° 03-17839 ; D. 2006 p. 365, note X. Delpech. Cas du contrat à « effet transversal » : Doc 10 : Civ. 3e, 3 mai 2007, n° 06-11591, D. 2007, p. 2068, note J. Rochfeld. 37 DOCUMENTS Doc 1 : Cour de cassation, chambre civile 1, 13 février 2001 N° de pourvoi: 99-13589 Publié au bulletin Cassation partiellement sans renvoi. Sur le moyen unique : Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ; Attendu que les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d'autre preuve ; Attendu qu'en 1983 Claude X... a été contaminé par le virus de l'immuno déficience humaine à l'occasion d'une transfusion sanguine réalisée avec des produits fournis par le Centre régional de transfusion sanguine de Rennes (le Centre) ; qu'il a été indemnisé de son préjudice spécifique de contamination par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles ; qu'après son décès, survenu en septembre 1992, consécutif à un SIDA déclaré, sa fille Christelle X..., alors âgée de 17 ans, a engagé devant les juridictions de droit commun une action contre le Centre et son assureur, la compagnie Axa, aux fins de réparation du préjudice par ricochet, moral et économique, qu'elle subissait du fait de la mort de son père ; que l'arrêt attaqué l'a déboutée de son action au motif qu'elle ne pouvait invoquer l'obligation contractuelle de sécurité de résultat pesant sur le Centre en l'absence de lien contractuel avec celui-ci et qu'elle ne rapportait pas la preuve d'une faute dudit centre ; Attendu qu'en statuant ainsi alors qu'un centre de transfusion sanguine est tenu d'une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les produits sanguins qu'il cède et que le manquement à cette obligation peut être invoqué aussi bien par la victime immédiate que par le tiers victime d'un dommage par ricochet, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; Et attendu, en application de l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, qu'il y a lieu à cassation sans renvoi, en ce qui concerne le droit pour Mlle X... d'invoquer à l'encontre du Centre régional de transfusion sanguine de Rennes l'obligation de sécurité de résultat à laquelle il est tenu, la Cour de Cassation pouvant mettre fin au litige de ce chef en appliquant la règle de droit appropriée ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de Mlle Christelle X... tendant à la réparation de son préjudice par ricochet, l'arrêt rendu le 25 février 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; 38 Doc 2 : Cour de cassation, chambre commerciale, 5 avril 2005 N° de pourvoi: 03-19370 Publié au bulletin Cassation. Sur le moyen unique, pris en sa première branche : Vu l'article 1382 du Code civil ; Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société d'exploitation française de recherches Bioderma (la SEFRB) a consenti à la société Lyonnaise pharmaceutique (la société Lipha) une licence exclusive de commercialisation de produits cosmétiques ; que la société Merck ayant pris le contrôle de la société Lipha, cette dernière s'est engagée à s'abstenir de toute concurrence envers la SEFRB durant deux ans ; que la société Bioderma, filiale de la société SEFRB, créée après l'intervention de ce protocole afin de reprendre la commercialisation des produits, a poursuivi la société Lipha, aux droits de laquelle est désormais la société Merck santé France, en réparation du préjudice causé par manquement à son engagement ; qu'après avoir ordonné une expertise par arrêt du 14 avril 2000, la cour d'appel a liquidé ce préjudice par arrêt du 16 janvier 2003 ; Attendu que pour déclarer la société Bioderma fondée à engager la responsabilité de la société Merck santé France en raison de la violation du protocole d'accord, et condamner celle-ci au paiement de diverses sommes en réparation du préjudice consécutif, l'arrêt du 14 avril 2000 retient que, s'ils ne peuvent être constitués débiteurs ou créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat et demander, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la réparation du préjudice résultant de la violation du contrat, et l'arrêt du 16 janvier 2003, que cette décision a reconnu l'intérêt d'un tiers à agir en réparation du préjudice résultant de la violation du contrat auquel il n'est pas partie sur le fondement de la responsabilité délictuelle ; Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'un tiers ne peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, se prévaloir de l'inexécution du contrat qu'à la condition que cette inexécution constitue un manquement à son égard au devoir général de ne pas nuire à autrui, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si les agissements reprochés constituaient une faute à l'égard de la société Bioderma, n'a pas donné de base légale à sa décision ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, les arrêts rendus les 14 avril 2000 et 16 janvier 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ; Doc 3 : Cour de cassation, Assemblée plénière, 6 octobre 2006 N° de pourvoi: 05-13255 Publié au bulletin Rejet Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 2005), que les consorts X... ont donné à bail un immeuble commercial à la société Myr'Ho qui a confié la gérance de son fonds de commerce 39 à la société Boot shop ; qu'imputant aux bailleurs un défaut d'entretien des locaux, cette dernière les a assignés en référé pour obtenir la remise en état des lieux et le paiement d'une indemnité provisionnelle en réparation d'un préjudice d'exploitation ; Sur le premier moyen : Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de la société Boot shop, locataire-gérante, alors, selon le moyen, "que si l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux tiers d'invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n'ont pas été parties, dès lors que cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une action en responsabilité délictuelle, encore faut-il, dans ce cas, que le tiers établisse l'existence d'une faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel ; qu'en l'espèce, il est constant que la société Myr'Ho, preneur, a donné les locaux commerciaux en gérance à la société Boot shop sans en informer le bailleur ; qu'en affirmant que la demande extra-contractuelle de Boot shop à l'encontre du bailleur était recevable, sans autrement caractériser la faute délictuelle invoquée par ce dernier, la cour d'appel a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article 1382 du code civil" ; Mais attendu que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que les accès à l'immeuble loué n'étaient pas entretenus, que le portail d'entrée était condamné, que le monte-charge ne fonctionnait pas et qu'il en résultait une impossibilité d'utiliser normalement les locaux loués, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé le dommage causé par les manquements des bailleurs au locataire-gérant du fonds de commerce exploité dans les locaux loués, a légalement justifié sa décision ; Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les 2ème et 3ème moyens, dont aucun ne serait de nature à permettre l'admission du pourvoi ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; La responsabilité du débiteur à l'égard du tiers auquel il a causé un dommage en manquant à son obligation contractuelle Geneviève Viney, Professeur émérite à l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne Recueil Dalloz 2006 p. 2825 Par son arrêt du 6 octobre 2006, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation prend parti sur une question qui fait difficulté depuis plus d'un siècle, celle de la responsabilité du débiteur vis-à-vis du tiers auquel le manquement à une obligation contractuelle a causé un dommage. De fait, si la question est importante et a suscité un contentieux considérable, c'est qu'elle se pose dans toutes sortes de situations qui se présentent quotidiennement dans la pratique(1). La plus simple est celle des victimes par ricochet, tiers au contrat conclu par leur auteur, mais qui peuvent souffrir de son inexécution lorsqu'elle a eu des conséquences dommageables pour elles, comme c'est souvent le cas, notamment lors d'un accident corporel de transport. Plus nombreuses et diversifiées sont les hypothèses dans lesquelles un tiers se plaint du défaut d'une chose, meuble ou immeuble, qu'il impute au fournisseur ou au constructeur. Le vice dû à l'activité de l'un des professionnels qui ont participé à l'édification ou à la restauration d'un immeuble peut être, en effet, à l'origine d'accidents ou de dommages qui atteignent des personnes autres que le cocontractant initial. Il en va de même en cas de défaut de conception ou de fabrication d'un produit de consommation ou de manquement à l'obligation d'information lorsque le dommage atteint, non pas le cocontractant direct du fabricant ou du 40 vendeur, mais un tiers, ou encore lorsque c'est un tiers qui subit les conséquences de l'inexécution d'une prestation de service promise par un mandataire, un entrepreneur, un bailleur, etc. Dans toutes ces hypothèses, le demandeur à l'action en responsabilité peut être soit un tiers absolu, qui n'a aucun lien contractuel avec le créancier, soit un sous-contractant (sous-acquéreur, sous-locataire) ou encore le maître de l'ouvrage en cas de sous-traitance. Sur le principe même de la possibilité pour le tiers de mettre en jeu la responsabilité du débiteur, on aurait pu hésiter au nom d'une interprétation large de l'article 1165 du code civil, qui a d'ailleurs été soutenue(2). En effet, le tiers, en invoquant le manquement contractuel, paraît « profiter » du contrat, ce que prohibe le texte. Pourtant, cette conception rigoriste, si elle a été parfois admise(3), est aujourd'hui clairement abandonnée. Il y a longtemps, en effet, que les auteurs et les tribunaux s'accordent pour admettre que, au moins dans les cas où « une faute envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel » est caractérisée, elle peut fonder, au profit du tiers, une action en responsabilité contre le débiteur. Cette solution s'inspire en effet de l'idée de bon sens que le contrat ne peut et ne doit pas servir d'alibi pour nuire impunément aux tiers(4). En revanche, deux questions ont été âprement débattues à propos de cette responsabilité. La première concerne la définition du manquement contractuel dont le tiers est admis à se prévaloir pour justifier la responsabilité du débiteur et la seconde a trait au régime contractuel ou extracontractuel - qu'il convient d'appliquer à celle-ci. Sur ces deux points, des divergences se sont, en effet, manifestées non seulement en doctrine, mais au sein même de la Cour de cassation, ce qui rendait inévitable l'intervention de l'Assemblée plénière. L'espèce qui a donné lieu à celle-ci est assez banale. Un immeuble à usage commercial avait été donné à bail et le locataire avait, par un contrat distinct, qui, semble-t-il, ne fut pas porté à la connaissance du bailleur, confié la gérance de son fonds de commerce à une société. Celleci, ayant constaté un défaut d'entretien, assigna le bailleur pour obtenir la remise en état des lieux et le paiement d'une indemnité provisionnelle en réparation de son préjudice d'exploitation. Cette demande fut accueillie par la Cour d'appel de Paris dont l'arrêt fut frappé d'un pourvoi en cassation. Le premier moyen du pourvoi alléguait « que si l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux tiers d'invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n'ont pas été parties, dès lors que cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une action en responsabilité délictuelle, encore faut-il, dans ce cas, que le tiers établisse l'existence d'une faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel ; qu'en l'espèce il est constant que la société Myr'ho a donné les locaux commerciaux en gérance à la société Bootshop sans en informer le bailleur ; qu'en affirmant que la demande extracontractuelle de Bootshop à l'encontre du bailleur était recevable, sans autrement caractériser la faute délictuelle invoquée par ce dernier, la cour d'appel a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ». Or ce moyen fut rejeté au motif que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». Ce motif révèle que la Cour de cassation a pris position non seulement sur la nature du 41 manquement contractuel susceptible d'ouvrir au tiers une action en responsabilité contre le débiteur (I), mais aussi sur le régime applicable à cette responsabilité (II). I - La nature du manquement contractuel susceptible d'ouvrir au tiers une action en responsabilité contre le débiteur Les hésitations jurisprudentielles et les controverses doctrinales auxquelles a donné lieu la définition du fait qui engage la responsabilité du débiteur vis-à-vis du tiers (A) obligeaient l'Assemblée plénière à prendre parti (B), ce qui amène à s'interroger sur le bien-fondé de la solution qu'elle a adoptée (C). A - Longtemps, la Cour de cassation a clairement imposé une certaine spécificité de la faute susceptible d'engager la responsabilité du débiteur par rapport à la faute contractuelle. Elle exigeait, en effet, que les juges relèvent, à l'appui de la condamnation prononcée au profit du tiers, « une faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel »(5). Or, d'après l'interprétation retenue par la majorité des auteurs, il semble que, par cette formule, la Cour suprême entendait subordonner la responsabilité à la preuve de la violation par le débiteur d'une règle de portée générale dont celui-ci aurait dû répondre, même s'il n'y avait pas eu de contrat, en application de l'article 1382 du code civil(6). Il fallait, en d'autres termes, établir une faute « détachable du contrat »(7). Cette condition a été également exigée par la Cour de cassation de Belgique qui l'a toujours maintenue, avec l'approbation de la doctrine belge. Mais, en droit français, par la suite, le contrôle de ce caractère « détachable » s'est progressivement relâché, la Cour de cassation ayant eu tendance à se contenter de vérifier que les juges du fond avaient bien reproduit la formule rituelle d'après laquelle « la faute avait été envisagée en elle-même, en dehors de tout point de vue contractuel », mais sans exiger qu'ils expliquent en quoi cette faute se distinguait réellement de la simple inobservation de l'obligation contractuelle(8). Et l'examen de nombreuses décisions montre, d'ailleurs, que, bien loin de manifester des exigences particulières vis-à-vis des tiers qui fondent une action délictuelle sur l'inobservation d'une obligation contractuelle, la Cour de cassation a eu tendance, par la suite, à transposer purement et simplement, pour l'appréciation de la faute délictuelle, la définition contractuelle(9). Cette attraction des règles contractuelles est notamment très frappante en ce qui concerne la responsabilité des fabricants vis-à-vis des tiers pour les dommages causés par un vice de la chose. La Cour de cassation a, en effet, admis à plusieurs reprises que le fait de commercialiser une chose atteinte d'un vice est une faute susceptible d'engager la responsabilité délictuelle du fabricant à l'égard des tiers(10). Cette appréciation était évidemment inspirée par le souci d'aligner la protection des tiers sur celle du cocontractant(11). Toutefois, cette identification pure et simple de la faute susceptible d'engager la responsabilité du débiteur vis-à-vis des tiers au simple manquement contractuel ne s'est jamais jusqu'à présent imposée totalement. Les objections et les résistances qu'elle a rencontrées expliquent le maintien, au cours des années récentes, d'un courant favorable à l'autonomie de la faute délictuelle par rapport à la faute contractuelle. Ce courant est illustré par un certain nombre d'arrêts émanant de la première et de la troisième Chambres civiles de la Cour de cassation(12), mais c'est la Chambre commerciale qui semble 42 bien lui être restée la plus fidèle puisqu'elle a réaffirmé en 1997(13), en 2005(15) qu'un manquement contractuel ne suffit pas par lui-même responsabilité du débiteur vis-à-vis du tiers, celui-ci devant démontrer manquement à une obligation générale de prudence ou de diligence »(16) général de ne pas nuire à autrui »(17). 2002(14) et en à justifier la en outre « le ou au « devoir Cependant, depuis le début des années 1990, le courant inverse, favorable à l'admission de l'action du tiers pour tout manquement contractuel du débiteur, s'est considérablement renforcé. Cette position est illustrée principalement par de très nombreux arrêts de la première Chambre civile(18) qui a d'ailleurs employé, au moins à trois reprises, une formule particulièrement énergique en affirmant que « les tiers à un contrat sont fondés à invoquer l'exécution défectueuse de celui-ci lorsqu'elle leur a causé un dommage, sans avoir à apporter d'autres preuves »(19). Ajoutons que la deuxième et la troisième Chambres civiles se sont ralliées à la première Chambre civile au cours des années 1990(20), isolant ainsi la Chambre commerciale qui avait d'ailleurs adopté à plusieurs reprises la position des autres chambres(21), avant de revenir, le 17 juin 1997, à la thèse de l'autonomie de la faute délictuelle par rapport au simple manquement contractuel. On constate ainsi à quel point la jurisprudence est restée divisée jusqu'à l'intervention de l'Assemblée plénière(22). Quant à la doctrine, elle a été visiblement partagée entre son souci d'assurer une protection satisfaisante des droits des victimes et son attachement à la relativité de la faute contractuelle. Celui-ci a donc conduit certains auteurs(23) à soutenir que n'importe quel manquement contractuel ne saurait suffire à fonder la responsabilité du débiteur vis-à-vis des tiers et à proposer, en conséquence, plusieurs critères susceptibles de caractériser l'inexécution justifiant cette responsabilité. On a notamment mis en avant, dans cette perspective, une distinction entre l'inexécution des « obligations strictement contractuelles », caractéristiques du contrat, et le manquement à un devoir de portée générale greffé sur le contrat mais reflétant une règle de conduite qui s'impose également dans les rapports extracontractuels, comme l'obligation de sécurité, ou le devoir d'information, de mise en garde ou de conseil. Alors que seul le cocontractant pourrait se prévaloir du manquement à une obligation « strictement contractuelle », les tiers seraient autorisés à fonder leur action sur le manquement à l'une des obligations accessoires ajoutées par la jurisprudence aux obligations principales(24). Une autre distinction a été également évoquée. Elle opposerait les obligations stipulées dans l'intérêt exclusif du créancier, et dont celui-ci serait seul habilité à se prévaloir, à celles qui le sont également dans l'intérêt d'autres personnes, celles-ci étant alors autorisées à se fonder sur leur inexécution pour justifier la responsabilité du débiteur lorsqu'elles ont subi un dommage(25). Or, entre ces deux distinctions, qui d'ailleurs se recoupent partiellement, l'Assemblée plénière n'a pas eu à choisir car elle a suivi la voie indiquée par la première Chambre civile en admettant que tout manquement contractuel peut entraîner la responsabilité du débiteur vis-àvis du tiers auquel il a causé un dommage. 43 B - En effet, le premier moyen de cassation, seul examiné par la Cour de cassation, les autres ayant été négligés comme « n'étant pas de nature à permettre l'admission du pourvoi », avait soulevé l'objection traditionnelle selon laquelle le tiers demandeur n'avait pas établi l'existence d'une « faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel ». Or, pour rejeter ce moyen, l'Assemblée plénière s'est contentée de répondre que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». La formule est donc très large, et l'examen de l'espèce montre clairement que la Haute juridiction n'a pas voulu consacrer la distinction entre les « obligations strictement contractuelles » dont la méconnaissance ne pourrait être invoquée par les tiers et les « devoirs de portée générale » greffés sur le contrat par la jurisprudence, qui pourraient l'être. En effet, en l'occurrence, le manquement invoqué portait sur l'obligation d'entretien de la chose louée qui est l'une des obligations caractéristiques du bail. En revanche, l'idée de distinguer entre obligations contractées dans l'intérêt exclusif du créancier et obligations stipulées également dans l'intérêt d'autres personnes est moins nettement repoussée car on peut soutenir que le devoir d'entretien de la chose louée est destiné à profiter à toute personne qui aura à faire usage de cette chose. Quoi qu'il en soit, l'Assemblée plénière n'a formulé aucune adhésion à cette distinction, ce qui incite à penser qu'elle a voulu adopter la conception la plus large du manquement contractuel susceptible de fonder l'action en responsabilité de tiers. C - Or, tout compte fait, il nous semble que cette prise de position est opportune. En effet, dès lors qu'un manquement contractuel est la cause directe d'un dommage subi par un tiers, les éléments de la responsabilité se trouvent réunis, le manquement contractuel étant en soi un fait illicite. Admettre la responsabilité n'a donc, dans ce cas, rien de choquant en droit ni en équité. En outre, les limites que l'on a proposé d'assigner à cette responsabilité se révèlent dans la pratique extrêmement fuyantes et difficiles à cerner. En effet, distinguer entre « obligations strictement contractuelles » et « devoirs de portée générale greffés sur le contrat » n'a rien d'évident. Si, par exemple, l'obligation de sécurité peut généralement être rattachée à la seconde catégorie, il arrive cependant que le contrat porte spécifiquement sur la sécurité et qu'il contienne des stipulations aménageant de façon particulière cette obligation. La même remarque peut également être faite à propos des obligations d'information, de mise en garde et de conseil, ainsi que de toutes celles que la jurisprudence a admises pour assurer la conformité du contrat à l'attente légitime des parties. Quant à la distinction entre les obligations stipulées dans l'intérêt exclusif du créancier et celles qui prennent en compte l'intérêt des tiers ou de certains d'entre eux, elle est tout aussi imprécise et évanescente. Il a été, en effet, démontré de façon convaincante que les lois supplétives qui décrivent les obligations attachées aux contrats les plus usuels s'inspirent en réalité de l'intérêt général(26). Elles ont pour objet de proposer des modèles susceptibles de faire de ces standards contractuels les instruments les mieux adaptés aux opérations économiques qu'ils servent à réaliser, ce qui implique qu'elles prennent en compte non seulement les intérêts légitimes des parties, mais aussi ceux des tiers(27). D'ailleurs, le seul fait que le tiers soit en mesure de démontrer qu'il a subi un dommage lié directement au manquement contractuel suffit à établir que le respect de l'obligation 44 inexécutée présentait un intérêt pour lui. Admettre la responsabilité du débiteur qui, en manquant à l'une de ses obligations contractuelles, a directement porté préjudice à un tiers paraît donc, en définitive, tout à fait acceptable sans qu'il soit nécessaire de restreindre cette responsabilité aux manquements qui caractériseraient une « faute envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel ». En revanche, ce qui semble beaucoup plus contestable, c'est de soumettre cette responsabilité au régime délictuel, au risque de déstabiliser le contrat. II - Le régime applicable à la responsabilité du débiteur vis-à-vis du tiers pour manquement à une obligation contractuelle L'Assemblée plénière affirme, dans son arrêt du 6 octobre 2006, que la responsabilité du débiteur vis-à-vis du tiers est de nature délictuelle, ce qui paraît consacrer une solution traditionnelle. Pourtant, l'analyse du droit positif révèle que des exceptions importantes ont été apportées à ce principe (A). En outre, les arguments invoqués à l'appui de celui-ci se heurtent à des objections très sérieuses qui amènent à s'interroger sur son bien-fondé (B). A - Sans reprendre les étapes d'une évolution jurisprudentielle particulièrement complexe(28), on constate que si la Cour de cassation a toujours admis qu'en règle générale l'action du tiers qui se plaint des conséquences d'un manquement contractuel est soumise au régime délictuel, elle n'en a pas moins, dans certains cas qui sont loin d'être négligeables, donné la préférence à l'application du régime contractuel. C'est d'abord au profit des victimes par ricochet d'accidents de transport que la Haute juridiction a consacré l'existence d'une « stipulation pour autrui tacite » permettant aux proches du passager tué dans l'accident de se fonder sur le contrat pour obtenir le bénéfice de l'« obligation de sécurité » qui avait été admise dès 1911 au profit de la victime immédiate(29). Cette jurisprudence a cependant été, par la suite, nuancée par la possibilité laissée aux proches de refuser le bénéfice de la stipulation afin de profiter des avantages que l'évolution du régime délictuel leur permettait d'espérer(30) et elle a même été récemment remise en question à propos d'une affaire où étaient en cause les règles de conflit de lois applicables à l'action en responsabilité(31). En revanche, de nombreux textes sont intervenus pour soumettre les victimes d'accidents de transport à des règles d'indemnisation qui s'appliquent uniformément au passager lui-même et à ses proches(32). Or ces dispositions prévoient une responsabilité de nature contractuelle. D'ailleurs, la notion de stipulation pour autrui a été reprise par la Cour de cassation le 20 octobre 2005 à propos d'une action en responsabilité dirigée contre l'Etablissement français du sang par une personne qui avait été contaminée et qui fondait son action sur le contrat liant cet établissement à l'hôpital(33). Quant à la seconde catégorie d'exceptions à l'application du régime délictuel à l'action du tiers contre le débiteur, elle concerne les actions en responsabilité exercées entre membres d'une chaîne de contrats. On sait, en effet, qu'après bien des péripéties(34), « l'action directe en responsabilité nécessairement contractuelle », que la première Chambre civile avait admise en 1988 au profit de tous les tiers « qui n'ont souffert du dommage que parce qu'ils avaient un lien avec le contrat initial »(35), a vu son domaine limité par l'Assemblée plénière qui, par son fameux arrêt Besse du 12 juillet 1991, a refusé l'application du régime contractuel à l'action du maître de l'ouvrage contre le sous-traitant(36). Toutefois, la Cour de cassation a précisé par la suite que cette restriction ne signifiait nullement que « l'action directe nécessairement contractuelle » devait être écartée dans ses applications traditionnelles, 45 notamment dans les chaînes de ventes(37) où elle est admise depuis la fin du XIXe siècle sur le fondement de la garantie des vices cachés(38), ainsi que dans le domaine de la construction immobilière où elle a même été étendue aux ensembles comportant à la fois des ventes et des contrats d'entreprise(39). Une distinction s'est ainsi dessinée entre les chaînes de contrats qui réalisent le transfert de la propriété d'une chose, meuble ou immeuble, et les autres groupes de contrats(40). Seules les premières font naître entre leurs membres des relations justifiant, selon la Cour de cassation, la mise en oeuvre d'une responsabilité contractuelle. Quant aux chaînes de contrats qui n'ont pas cet effet car elles portent sur une prestation de service, elles ne créent pas, d'après la Haute juridiction, de rapports contractuels entre les membres extrêmes et l'action en responsabilité du destinataire de la prestation contre un membre de la chaîne auquel il n'est pas lié par contrat est donc de nature délictuelle(41), sauf si un texte prévoit spécialement une action directe contractuelle, ce qui est le cas notamment pour certains transports de marchandises(42). Finalement, l'arrêt Besse n'a donc pas provoqué une réaction brutale en faveur de l'application du seul régime délictuel à l'action du tiers fondée sur le manquement contractuel. Il a conduit à un partage particulièrement complexe entre l'application des deux régimes concurrents(43). Par son arrêt du 6 octobre 2006, l'Assemblée plénière ne rompt pas avec ces solutions puisqu'elle exprime son choix en faveur du régime délictuel dans une hypothèse où le demandeur et le défendeur faisaient certes partie d'une chaîne de contrats, mais où celle-ci n'avait pas eu d'effet translatif de propriété. La position adoptée est donc conforme à la jurisprudence antérieure. B - Est-elle pour autant justifiée ? 1 - Pour en juger, on peut d'abord s'interroger sur l'opportunité de maintenir deux régimes différents, certaines actions des tiers contre le débiteur étant qualifiées de « délictuelles » alors que d'autres sont soumises aux règles contractuelles. D'après la doctrine dominante, ce partage serait fondé sur la théorie de l'accessoire(44). Si la Cour de cassation admet que le sous-acquéreur est en mesure d'exercer une action directe contractuelle contre le fabricant ou le vendeur intermédiaire, ce serait, d'après ces auteurs, parce qu'il aurait acquis, en même temps que la chose et à titre d'accessoire à celle-ci, les actions en garantie et en responsabilité qui sont liées à cette chose. En revanche, dans les autres situations où un tiers cherche à mettre en cause la responsabilité du débiteur pour manquement au contrat, la théorie de l'accessoire, qui suppose le transfert d'un bien auquel on rattache un accessoire, est évidemment inutilisable. Cependant, cette explication est loin d'être pleinement satisfaisante. D'abord, on peut observer que la Cour de cassation n'a pas, elle-même, tiré toutes les conséquences de la théorie de l'accessoire. En effet, celle-ci impliquerait, en principe, que les actions en garantie et en responsabilité soient transmises avec la chose elle-même, de telle sorte que seul le dernier acquéreur devrait être habilité à les utiliser. Or, ce n'est pas la solution qu'a retenue la Cour de cassation. Elle a, au contraire, explicitement affirmé que le vendeur intermédiaire, même après qu'il s'est dessaisi de la chose qu'il a cédée à un sousacquéreur, conserve le droit, s'il y a intérêt, d'exercer l'action directe en responsabilité contractuelle contre les maillons antérieurs de la chaîne de distribution(45). Cette solution est donc en contradiction avec la théorie de l'accessoire qui impliquerait que la cession du bien 46 entraîne la perte par le cédant de la possibilité d'exercer les actions en responsabilité(46). Par ailleurs, les conséquences tirées de l'application de cette théorie manquent de cohérence. En effet, l'action contractuelle directe est admise dans des chaînes de contrats hétérogènes qui engendrent, par conséquent, des obligations sensiblement différentes, alors qu'en revanche, en cas de sous-contrat où il y a dépendance absolue du sous-contrat par rapport au contrat principal qui, tous deux, portent sur la même obligation, on fait abstraction du lien contractuel et on soumet la situation au régime délictuel qui est manifestement inadapté. En outre, la distinction entre chaînes translatives de propriété et chaînes non translatives n'est pas toujours facile à mettre en oeuvre. La démonstration en a été faite à propos de la situation du fabricant d'éléments préfabriqués qui est, selon les cas, considéré comme vendeur ou comme sous-traitant(47). Cette difficulté a été également mise en évidence à propos de l'hypothèse, très fréquente, dans laquelle le matériau est fourni, non pas à l'entrepreneur principal, mais à un sous-traitant qui l'incorpore à l'immeuble, livré ensuite au maître de l'ouvrage. On se trouve alors en présence d'une chaîne de contrats qui aboutit finalement à un transfert de la propriété du matériau. Et, pourtant, le fait que les rapports entre maître d'ouvrage et sous-traitant ont été jugés non contractuels, notamment par l'arrêt Besse, a amené la troisième Chambre civile de la Cour de cassation à appliquer, dans ce cas, le 28 novembre 2001, la même qualification (délictuelle) aux rapports entre le fournisseur du sous-traitant et le maître de l'ouvrage(48). Or, il ne paraît guère logique d'appliquer des règles différentes à l'action en responsabilité exercée par le maître de l'ouvrage contre le fournisseur des matériaux selon que ceux-ci ont été livrés à l'entrepreneur principal ou à un sous-traitant. D'ailleurs, dans une hypothèse semblable, la Cour d'appel de Paris a jugé, le 10 janvier 2002, que l'action en responsabilité du maître de l'ouvrage contre le fournisseur est de nature contractuelle(49), reprenant ainsi une solution qui avait déjà été consacrée par l'un des arrêts de l'Assemblée plénière du 7 février 1986(50). Enfin, la théorie de l'accessoire, à supposer qu'elle explique comment est défini le domaine de la responsabilité contractuelle dans les chaînes de contrats, ne justifie en tout cas nullement l'application du régime délictuel dans les autres hypothèses où un tiers agit en responsabilité contre le débiteur. En définitive, le partage actuellement admis entre régime contractuel et régime délictuel, outre qu'il se révèle parfois difficile à mettre en oeuvre, nous paraît reposer sur des bases théoriques fragiles. Nous pensons donc qu'il convient de réexaminer dans son ensemble la question de la nature du régime de responsabilité à appliquer en cas de manquement contractuel invoqué par un tiers contre le débiteur. 2 - A vrai dire, la doctrine ne s'est guère étendue sur la justification du principe selon lequel l'action du tiers qui invoque la responsabilité du débiteur pour manquement à son obligation contractuelle est soumise à l'application du régime délictuel, tant cela paraissait aller de soi, le domaine contractuel étant présenté comme naturellement limité aux relations entre cocontractants. Le seul argument invoqué à l'appui de cette solution a donc été le principe de l'effet relatif du contrat exprimé par l'article 1165 du code civil(51). Or, à la réflexion, cette justification nous paraît totalement inadéquate car l'existence d'un régime de responsabilité propre à la réparation des dommages résultant de l'inexécution du contrat - ce qu'on appelle « responsabilité contractuelle » - n'est nullement une conséquence de l'effet relatif du contrat. Elle s'explique uniquement par le souci de respecter le contrat en 47 évitant que l'application des règles de la responsabilité délictuelle ne vienne en perturber l'équilibre. Des nombreuses études consacrées à ce fameux principe de l'effet relatif du contrat(52), il résulte, en effet, que la formule de l'article 1165 du code civil doit être interprétée avec prudence, car elle ne signifie nullement que le contrat ne concerne en rien les tiers. En réalité, l'article 1165 du code civil n'emporte que deux séries de conséquences, très importantes certes, mais qu'il est essentiel de ne pas dépasser. Au moment de la formation du contrat, il interdit aux parties de lier les tiers et, au moment de l'exécution, il réserve aux parties le droit d'exiger celle-ci. Certes, ce second effet pourrait se répercuter sur le domaine de la responsabilité car on peut effectivement hésiter à admettre qu'un tiers ait le droit de se prévaloir de l'inexécution d'un contrat auquel il n'est pas partie pour demander réparation des dommages qu'il a subis du fait de celle-ci et nous avons, d'ailleurs, constaté que la jurisprudence a longtemps imposé des restrictions à ce droit(53). Mais, une fois celui-ci admis - et nous savons que la Cour de cassation a finalement adopté sur ce point la position la plus libérale -, il nous paraît plus que douteux que le principe de l'effet relatif ait une quelconque vocation à intervenir pour imposer l'application du régime délictuel. En effet, ce qui justifie la spécificité - d'ailleurs aujourd'hui assez limitée - du régime de la responsabilité contractuelle par rapport à celui de la responsabilité délictuelle, c'est la constatation que l'application intégrale entre contractants des articles 1382 et suivants du code civil serait parfois de nature à entraîner une altération du contrat. Autrement dit, c'est le souci d'assurer le respect du contrat(54). Or, précisément, il est facile de constater que, en permettant au tiers de s'appuyer sur le contrat pour fonder une action en responsabilité contre le débiteur tout en soumettant cette action au régime délictuel, on permet cette altération. Le tiers est, en effet, autorisé à éluder l'application de l'article 1150 du code civil écartant la réparation du dommage contractuel imprévisible, à tenir en échec les clauses restrictives de responsabilité figurant au contrat mais qui ne sont pas admises lorsqu'elles affectent une responsabilité de nature extracontractuelle, à éluder l'application de clauses attributives de compétence insérées au contrat, à écarter les courtes prescriptions, fréquentes en matière contractuelle, les clauses d'évaluation forfaitaire des dommages et intérêts(55), ou encore l'exigence de la mise en demeure, etc. Autrement dit, le choix du régime délictuel permet au tiers de vider le contrat d'une partie de son contenu et même, éventuellement, de substituer à la responsabilité pour faute fondée sur le manquement à une obligation de moyens une responsabilité objective s'il est en mesure de se prévaloir du « fait d'une chose » dont le débiteur aurait eu la « garde » et qui aurait été l'instrument du dommage dont il demande réparation. Sans violer formellement la règle du « non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle », la jurisprudence autorise ainsi des solutions qui vont directement à l'encontre de l'objectif de cette règle qui vise précisément à défendre le contrat contre l'intrusion des règles délictuelles qui sont de nature à lui porter atteinte(56). D'ailleurs, on remarquera que, dans l'espèce qui a donné lieu à l'arrêt ici commenté, le contrat de bail comportait une clause de non-responsabilité et le deuxième moyen de cassation avait précisément invoqué l'existence de cette clause pour contester la condamnation prononcée par la cour d'appel. Or l'Assemblée plénière a estimé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur ce moyen qui, selon elle, n'aurait pas été « de nature à permettre l'admission du pourvoi ». Le rejet du pourvoi a donc pour conséquence de valider au profit du tiers (locataire gérant) une 48 indemnisation qui aurait été refusée au preneur s'il avait exploité lui-même le fonds. En définitive, le choix du régime délictuel nous paraît à la fois juridiquement injustifié et pratiquement dangereux pour le respect des contrats. Il a, d'ailleurs, été vigoureusement dénoncé, dans le cadre des chaînes de contrats, par plusieurs auteurs qui ont fondé sur cette critique un plaidoyer très nourri en faveur de l'application du régime contractuel dans les relations entre les différents maillons de la chaîne(57). Or ce raisonnement est, à notre avis, transposable à toute action en responsabilité exercée par un tiers, qu'il soit ou non partie à une chaîne de contrats, contre le débiteur, dès lors que cette action est fondée exclusivement sur un manquement au contrat. Dans cette hypothèse, il nous semble, par conséquent, nécessaire de poser en principe que le tiers est soumis à toutes les limites et conditions qui s'imposent au créancier pour obtenir réparation de son propre dommage. Le respect du contrat est à ce prix(58). En revanche, nous ne verrions, pour notre part, pas d'objection à permettre au tiers de choisir de se placer sur le terrain délictuel s'il est en mesure de démontrer, indépendamment du manquement contractuel, un fait de nature à justifier la responsabilité extracontractuelle du débiteur, à condition que l'action soit alors soumise intégralement à l'application du régime choisi(59). Mots clés : RESPONSABILITE CIVILE * Réparation du préjudice * Responsabilité délictuelle * Manquement contractuel * Tiers au contrat * Dommage (1) V. une récapitulation de ces hypothèses dans notre ouvrage, Introduction à la responsabilité, 2e éd., LGDJ, 1995, n° 210 à 212-2. (2) V. M. Planiol, note in DP 1896, 1, p. 81 ; L. Ségur, La notion de faute contractuelle en droit civil français, thèse, Bordeaux, 1954, p. 23 s. (3) V. Cass. civ., 27 juill. 1869, DP 1869, 1, p. 350 ; 18 nov. 1895, ibid. 1896, 1, p. 16 ; Cass. req., 25 févr. 1935, S. 1935, 1, p. 129, note Rousseau ; Cass. civ., 11 mars 1940, Gaz. Pal. 1940, 2, p. 15 ; RTD civ. 1941, p. 267. (4) V. notre ouvrage préc., n° 209. (5) Cette formule a été employée, par ex., par Cass. 1re civ., 7 nov. 1962, Bull. civ. I, n° 465 ; JCP 1963, II, 12987, note P. Esmein ; Cass. 2e civ., 7 févr. 1962, Bull. civ. II, n° 89 ; Cass. 1re civ., 9 oct. 1962, Bull. civ. I, n° 405 ; Cass. 3e civ., 15 oct. 1970, Bull. civ. III, n° 515 ; 18 avr. 1972, ibid., n° 233 ; Cass. 1re civ., 23 mai 1978, Bull. civ. I, n° 201. (6) V. not., à ce sujet, R. Savatier, note in DP 1938, 1, p. 76 ; J. Huet, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, Essai de délimitation entre les deux ordres de responsabilité, thèse, Paris, 1978, n° 643 s. ; F. Bertrand, L'opposabilité du contrat aux tiers, thèse, Paris II, 1980, n° 219 s., p. 356 s. ; G. Durry, obs. in RTD civ. 1974, p. 814. (7) V., pour des cas où cette exigence a été invoquée pour repousser l'action du tiers, not., Cass. 1re civ., 24 nov. 1954, Bull. civ. I, n° 335 ; 14 nov. 1958, ibid., n° 427 ; 4 avr. 1962, Gaz. Pal. 1963, 2, p. 31 ; 7 nov. 1962, Bull. civ. I, n° 465 ; JCP 1963, II, 12987, note P. 49 Esmein ; 15 déc. 1964, Bull. civ. I, n° 565 ; 21 oct. 1965, ibid., n° 766 ; 3 juill. 1968, JCP 1969, II, 15859 ; 31 janv. 1969, ibid. 1969, II, 15937, note G. Liet-Veaux ; Cass. 3e civ., 17 oct. 1973, ibid. 1973, IV, 388. (8) V., en ce sens, F. Bertrand, thèse préc., n° 221 à 225 (l'auteur montre cependant que la jurisprudence administrative est devenue plus attentive à respecter la distinction des deux fautes que la jurisprudence judiciaire). V., égal., J. Huet, thèse préc., n° 644. (9) V. R. Wintgen, Etude critique de l'opposabilité : les effets du contrat à l'égard des tiers en droits français et allemand, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, vol. 426. (10) V. Cass. 3e civ., 5 déc. 1972, D. 1973, Jur. p. 401, note J. Mazeaud ; Cass. 1re civ., 27 juin 1978, ibid. 1978, IR p. 409 ; CA Paris, 25 nov. 1987, ibid. 1988, IR p. 7. (11) V. G. Viney, in La responsabilité des fabricants et distributeurs, Economica, 1976, p. 76, n° 10. (12) Cass. 3e civ., 27 sept. 1984, Bull. civ. III, n° 159 ; Cass. 1re civ., 11 avr. 1995, Bull. civ. I, n° 171 ; RTD civ. 1995, p. 895, obs. P. Jourdain ; 16 déc. 1997, Resp. civ. et assur. 1998, comm. n° 98 ; JCP 1998, I, 144, obs. G. Viney ; RTD civ. 1998, p. 680, obs. P. Jourdain. (13) Cass. com., 17 juin 1997, Bull. civ. IV, n° 187. (14) Cass. com., 8 oct. 2002, JCP 2003, I, p. 152, n° 3 à 7, obs. G. Viney. (15) Cass. com., 5 avr. 2005, Bull. civ. IV, n° 81 ; D. 2005, Somm. p. 2836, obs. B. Fauvarque-Cosson ; RDC 2005, p. 687, obs. D. Mazeaud ; Resp. civ. et assur. 2005, comm. n° 174, obs. H. Groutel. (16) Cass. com., 17 juin 1997, préc. (17) Cass. com., 8 oct. 2002 et 5 avr. 2005, préc. (18) V. Cass. 1re civ., 22 avr. 1992, Resp. civ. et assur. 1992, n° 269 ; 13 oct. 1992, Bull. civ. I, n° 250 ; 16 déc. 1992, ibid., n° 316 ; 20 janv. 1993, JCP 1993, IV, 734 ; 30 oct. 1995, Bull. civ. I, n° 383 ; 25 nov. 1997, ibid., n° 231 ; 15 déc. 1998, ibid., n° 368 ; RTD civ. 1999, p. 623, obs. J. Mestre ; Contrats, conc., consom., mars 1999, comm. n° 37. (19) Cass 1re civ., 18 juill. 2000, Bull. civ. I, n° 221 ; D. 2000, IR p. 217 ; JCP 2000, II, 11415, note P. Sargos ; Resp. civ. et assur. 2000, comm. n° 372 ; Contrats, conc., consom. 2000, comm. n° 275, obs. L. Leveneur ; RTD civ. 2001, p. 146, obs. P. Jourdain ; 13 févr. 2001, Bull. civ. I, n° 35 ; D. 2001, Somm. p. 2234, obs. P. Delebecque ; JCP 2002, II, 10099, note C. Lisanti-Kalczynsky ; RTD civ. 2001, p. 367, obs. P. Jourdain ; 18 mai 2004, Bull. civ. I, n° 141 ; D. 2005, Pan. p. 194, obs. P. Delebecque, P. Jourdain et D. Mazeaud ; RTD civ. 2004, p. 516, obs. P. Jourdain. (20) Cass. 3e civ., 5 févr. 1992, D. 1992, IR p. 91 ; RTD civ. 1992, p. 567, obs. P. Jourdain ; 24 févr. 1993, ibid. 1993, p. 362, obs. P. Jourdain ; Cass. 2e civ., 17 mai 1995, Resp. civ. et assur. 1995, comm. n° 227 ; RTD civ. 1995, p. 895, obs. P. Jourdain ; 4 oct. 1995, Bull. civ. II, n° 230 ; D. 1995, IR p. 223 ; 19 juin 1996, D. 1996, IR p. 187 ; Dalloz Affaires 1996, p. 50 1028 ; Defrénois 1996, p. 1373, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 1997, p. 144, obs. P. Jourdain ; 21 mai 1997, D. 1998, Jur. p. 150, note B. Fages ; Cass. 3e civ., 25 mars 1998, D. 1998, IR p. 106 ; JCP G 1998, I, 144, n° 4 et 5, obs. G. Viney ; 6 janv. 1999, Bull. civ. III, n° 3 ; D. 2000, Jur. p. 426, note C. Asfar ; Resp. civ. et assur. 1999, comm. n° 72. V., sur ce courant jurisprudentiel, O. Debat, Le contrat source de responsabilité envers les tiers, LPA, 23 sept. 2003, p. 3. (21) Cass. com., 12 mars 1991, RTD civ. 1992, p. 567, obs. P. Jourdain ; 4 juin 1991, Bull. civ. IV, n° 197 ; D. 1992, Jur. p. 399, note D. R. Martin ; 7 janv. 1997, D. 1997, IR p. 54. (22) D'ailleurs, on peut se demander si la 3e Chambre civile n'a pas voulu rejoindre la Chambre commerciale par son arrêt du 25 mai 2005 (Bull. civ. III, n° 114 ; D. 2005, IR p. 1730). V., égal., Cass. 3e civ., 16 mars 2005, Bull. civ. III, n° 67 ; D. 2006, Jur. p. 50, note M. Boutonnet ; 18 janv. 2006, ibid., n° 15, qui motivent assez longuement l'admission d'une faute délictuelle. (23) Mais non pas tous : V., en sens inverse, J.-P. Tosi, Le manquement contractuel dérelativisé, in Ruptures, mouvements et continuité du droit, sous la dir. de M. Gobert, Economica, 2004, p. 478 s. V., égal., C. Ophele, Faute délictuelle et faute contractuelle, Resp. civ. et assur. juin 2003, Chron. n° 21. (24) V., en ce sens, notre ouvrage préc., n° 215 ; P. Jourdain, obs. in RTD civ. 1992, p. 567 ; ibid. 1993, p. 362. (25) V., en ce sens, S. Carval, obs. in Rev. contrats 2006, p. 1233 à 1235. V., égal., pour une consécration de cette idée, Cass. 3e civ, 25 mai 2005, préc. note 22 ; 1er mars 2006, D. 2006, IR p. 745 ; RTD civ. 2006, p. 559, obs. P. Jourdain ; RDI 2006, p. 178, obs. P. Sessuet ; Resp. civ. et assur., comm. n° 171, obs. G. Courtieu. (26) V. M. Mekki, L'intérêt général et le contrat, préf. J. Ghestin, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, vol. 411. (27) V. C. Peres, La règle supplétive, préf. G. Viney, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, vol. 421 ; P. Jacques, Regards sur l'art. 1135 du code civil, préf. F. Chabas, Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque des thèses, vol. 46. (28) V. notre ouvrage préc., n° 188 et 209 à 215. (29) V., not., Cass. civ., 6 déc. 1932 ; 24 mai 1933, DP 1933, p. 177, note L. Josserand ; Cass. req., 8 mars 1937, S. 1937, 1, p. 241, rapp. Pilon. (30) Cass. com., 19 juin 1951, D. 1951, p. 717, note G. Ripert ; S. 1952, 1, p. 89, note R. Nerson ; Cass. civ., 21 janv. 1959, D. 1959, Jur. p. 101, note R. Savatier, Jur. p. 281, note R. Rodière ; JCP 1959, II, 11002. (31) Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, Bull. civ. I, n° 219 ; JCP 2004, I, 163, obs. G. Viney ; ibid. 2004, II, 10006, note G. Lardeur ; D. 2004, Jur. p. 233, note P. Delebecque ; RTD civ. 2004, p. 96, obs. P. Jourdain ; Contrats, conc., consom. 2004, comm. n° 1, obs. L. Leveneur ; Resp. civ. et assur. 2004, comm. n° 30, obs. H. Groutel. 51 (32) V. l'art. 123 du code de l'aviation civile relatif au transport aérien interne, l'art. 10 de la Convention de Bruxelles du 29 août 1961 sur les transports maritimes internationaux, l'art. 42 de la loi du 18 juin 1966 sur les transports maritimes internes, l'art. 12 de la Convention additionnelle à la Convention internationale sur le transport des voyageurs et des bagages par chemin de fer du 25 janvier 1961. V., égal., P. Delebecque, note préc., n° 21. (33) Cass. 2e civ., 20 oct. 2005, Bull. civ. II, n° 274 ; D. 2005, IR p. 2825 ; RTDciv 2006, p. 122, obs. P. Jourdain. (34) V. notre ouvrage préc., n° 189 à 189-4. (35) D. 1989, Jur. p. 5, note C. Larroumet ; RTD civ. 1988, p. 762, obs. P. Jourdain. (36) D. 1991, Jur. p. 549, note J. Ghestin, p. 257, Chron. C. Jamin ; JCP 1991, II, 21743, note G. Viney ; ibid. 1991, I, 3531, chron. C. Larroumet. (37) V. Cass. 3e civ., 8 juill. 1992, JCP 1992, IV, 2652 ; Cass. 1re civ., 27 janv. 1993, Bull. civ. I, n° 45 ; D. 1994, Somm. p. 238, obs. O. Tournafond (dans ces deux affaires, il s'agissait d'actions en garantie). V., égal., Cass. 1re civ., 27 janv. 1993, Bull. civ. I, n° 44 ; 23 juin 1993, ibid., n° 226 ; D. 1993, IR p. 182 (actions en responsabilité contractuelle de droit commun). (38) Cass. civ., 2 nov. 1884, DP 1885, p. 357 ; S. 1886, 1, p. 149. (39) Cass. 3e civ., 26 mai 1992, Bull. civ. III, n° 168 ; D. 1992, IR p. 190 ; 8 févr. 1995, ibid., n° 39 ; D. 1995, Somm. p. 234, obs. R. Libchaber ; Cass. com., 4 juin 1991, Bull. civ. IV, n° 206 ; D. 1991, IR p. 178 ; Cass. 1re civ., 28 oct. 1991, Contrats, conc., consom. 1992, n° 25, note L. Leveneur ; Cass. 3e civ., 14 nov. 1991, Bull. civ. III, n° 271 ; D. 1991, IR p. 2 ; AJDI 1992, p. 175 ; Cass. com., 10 déc. 1991, Contrats, conc., consom. 1992, n° 47, obs. L. Leveneur ; Cass. 3e civ., 13 mai 1992, D. 1994, Somm. p. 151, obs. A. Bénabent ; JCP 1992, I, 3608, obs. C. Jamin ; 26 mai 1992, Bull. civ. III, n° 175. V. M. Carcenac, La condition juridique du fabricant d'éléments préfabriqués, RGDA 1997, p. 655. (40) V. P. Jourdain, La nature de la responsabilité civile dans les chaînes de contrats après l'arrêt de l'Assemblée plénière du 12 juill. 1991, D. 1992, p. 149. (41) V., par ex., pour la succession d'une location et d'une sous-location, Cass. 3e civ., 8 déc. 1993, Bull. civ. III, n° 159 ; AJDI 1994, p. 119 ; V. égal., pour une chaîne de contrats concernant le transport de marchandises, Cass. com., 16 mars 1999, Bull. civ. IV, n° 60 ; D. 1999, IR p. 108 ; Cass. 1re civ., 22 juin 2004, Bull. civ. I, n° 181 ; D. 2004, Pan. p. 2748, obs. H. Kenfack. (42) V., pour un transport international de marchandises par route soumis à la CMR, Cass. com., 3 mai 1994, JCP 1994, IV, 1659 ; D. 1994, IR p. 162. Pour un transport maritime de marchandises, V. Cass. com., 5 juill. 1994, JCP 1994, IV, 2247 ; D. 1994, IR p. 222. (43) V. D. Mainguy, Actualité des actions directes dans les chaînes de contrats, Mélanges J. Beguin, Litec, 2005, p. 449 s. (44) C. Witz, D. 1999, Jur. p. 383. V., égal., G. Viney, JCP 2000, I, 199 ; L. Leveneur, note in ibid. E 1999, II, p. 962 ; V. Heuze, obs. in RDIP 1999, p. 529 ; C. Lisanti-Kalczynski, 52 L'action directe dans les chaînes de contrats ? Plus de 10 ans après l'arrêt Besse, JCP 2003, I, 102, n° 13. (45) V. Cass. 1re civ., 19 janv. 1988, Bull. civ. I, n° 20 ; Cass. 3e civ., 3 juill. 1996, Bull. civ. III, n° 167 ; D. 1996, IR p. 199 ; RDI 1996, p. 577, obs. P. Malinvaud et B. Boubli. (46) On peut d'ailleurs se demander si elle n'a pas été écartée par la 3e Chambre civile le 8 janv. 1997 (JCP 1997, II, 22877, note M.-C. Mansallier). (47) V. M. Carcenac, art. préc., p. 655. (48) D. 2002, Jur. p. 1443, note J.-P. Karila ; JCP 2002, II, 10037, note D. Mainguy ; Defrénois 2002, p. 255, obs. R. Libchaber ; RTD civ. 2002, p. 104, obs. P. Jourdain ; JCP 2002, I, 186, obs. G. Viney. (49) Resp. civ. et assur. 2002, comm. n° 143, et note L. Grynbaum ; obs. G. Viney, préc. note 48. (50) V., en ce sens, P. Jourdain, obs. préc. note 48 ; et D. Mainguy, obs. préc. note 48. (51) V. notre ouvrage préc., n° 187 ; M. Espagnon, La règle du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, thèse, Paris I, 1980, n° 192. (52) V. A. Weill, Le principe de la relativité des conventions en droit français, thèse, Strasbourg, 1938 ; S. Calastreng, La relativité des conventions, thèse, Toulouse, 1939 ; H. Batiffol, La crise du contrat et sa portée, Arch. phil. dr. 1968, p. 13 ; R. Savatier, Le prétendu principe de l'effet relatif du contrat, RTD civ. 1934, p. 525 ; J.-L. Goutal, Essai sur le principe de l'effet relatif du contrat, thèse dactyl., Paris II, 1977 ; J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, 2e éd., n° 319 s. ; Les effets du contrat à l'égard des tiers : comparaisons franco-belges, sous la dir. de M. Fontaine et J. Ghestin, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, t. 227 ; P. Delmas Saint-Hilaire, Le tiers à l'acte juridique, préf. J. Hauser, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, t. 333 ; J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil, Les obligations, 1. L'acte juridique, 12e éd., Armand Colin, n° 422 s. (53) V. supra, I (54) V. notre ouvrage préc., n° 234. (55) Ce qu'a refusé de faire la première Chambre civile - et c'est symptomatique - le 10 mai 2005 au motif que « si en principe les conventions n'ont d'effet qu'à l'égard des parties, elles constituent des faits juridiques dont peuvent être déduites des conséquences en droit à l'égard des tiers » (Bull. civ. I, n° 205 ; D. 2005, IR p. 1505 ; RTD civ. 2005, p. 600, obs. P. Jourdain). (56) V. notre ouvrage préc., n° 216. (57) V., not., F. Bertrand, thèse préc., n° 277 s. ; J. Huet, thèse préc., 2e partie ; B. Teyssié, Les groupes de contrats, LGDJ, 1975, n° 562 s. ; J. Néret, Le sous-contrat, thèse préc., LGDJ, 2e partie ; G. Viney, Sous-traitance et responsabilité civile, in La sous-traitance de travaux et de services, Economica, 1978, n° 38 s., p. 67 s. ; M. Espagnon, thèse préc., n° 43, 2e partie, n° 53 188 s. ; M. Bacache, La relativité des conventions et les groupes de contrats, thèse, Paris II, 1994 ; F. Fiechter-Boulard, La transmission de l'engagement dans les contrats en chaîne, thèse, Grenoble, 1992. (58) D'ailleurs, la troisième Chambre civile a jugé, le 12 octobre 2005, que le tiers qui exerce une action en responsabilité civile délictuelle à l'encontre du constructeur à raison du nonrespect des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique ne dispose pas, à son égard, de plus de droits que ceux qu'il peut exercer à l'encontre du maître de l'ouvrage, RDI 2005, p. 459, obs. p. Malinvaud ; ibid. 2006, p. 43, obs. G. Trébulle ; D. 2005, IR p. 2706. (59) Ces solutions sont celles que propose l'avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription présenté au garde des Sceaux par le professeur P. Catala, à l'art. 1342. Doc 4 : Cour de cassation, Assemblée plénière, 9 mai 2008 N° de pourvoi: 07-12449 Publié au bulletin Rejet Sur le moyen unique : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 23 janvier 2007), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 27 avril 2004, Bull. I n° 111, p. 80), que, titulaire d'un mandat non exclusif que lui avait donné, en vue de vendre un appartement, la société Immobilière Saint-Louis (le vendeur), moyennant le prix de 2 600 000 francs, commission comprise, soit 2 700 000 francs " net vendeur ", la société Immobilier service (la société) a fait visiter le bien les 11 et 12 octobre 1990 à des personnes disant se nommer M. et Mme " Z... " dont elle a transmis au vendeur une offre de prix à 2 200 000 francs ; qu'ayant appris que ces personnes, en réalité les époux X... qui avaient ainsi fait usage d'une identité fausse pour se présenter à elle, avaient acquis le bien du vendeur, selon acte authentique du 6 mars 1991, sans que la commission prévue dans le mandat lui ait été payée, elle les a assignées en réparation de son préjudice ; Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt d'accueillir la demande alors que, selon le moyen : 1° / que le tiers ne peut être condamné à réparer le préjudice causé à une partie par l'inexécution d'un contrat par l'autre partie que s'il avait connaissance de la clause dont l'inexécution est alléguée ; qu'ainsi, en condamnant les époux X... à payer à la société une somme d'argent représentant la commission qui lui aurait été due par le vendeur sur la vente de l'appartement, sans constater que ceux-ci avaient connaissance de la clause du mandat prévoyant que cette commission était due même si la vente était conclue après l'expiration du mandat avec un acheteur présenté par la société, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1165 et 1382 du code civil, 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et 72 et 73 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 ; 2° / que la commission n'étant pas due par les acquéreurs, la société ne peut se prévaloir à leur encontre d'un quelconque préjudice ; qu'ainsi, la cour d'appel, en condamnant les époux X... au paiement de la commission à raison de prétendues manoeuvres frauduleuses ayant consisté à évincer l'agent immobilier de l'acquisition de l'appartement qu'elle leur aurait fait visiter, a violé l'article 1382 du code civil et les articles 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et 72 et 73 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 ; 54 Mais attendu que, même s'il n'est pas débiteur de la commission, l'acquéreur dont le comportement fautif a fait perdre celle-ci à l'agent immobilier, par l'entremise duquel il a été mis en rapport avec le vendeur qui l'avait mandaté, doit, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation à cet agent immobilier de son préjudice ; qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que l'agent immobilier, à une date où il était titulaire d'un mandat, avait fait visiter l'appartement aux époux X... qui avaient acquis le bien à un prix conforme à leur offre " net vendeur " à l'insu de l'intermédiaire, la cour d'appel qui a ainsi fait ressortir la connaissance par les époux X... du droit à rémunération de l'agent immobilier et qui a pu retenir que les manoeuvres frauduleuses qu'ils avaient utilisées, consistant en l'emprunt d'une fausse identité pour l'évincer de la transaction immobilière, avaient fait perdre à l'agent immobilier la commission qu'il aurait pu exiger du vendeur, en a exactement déduit qu'ils devaient être condamnés à lui payer des dommages-intérêts ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Doc5 Cour de cassation, chambre civile 3, 12 janvier 2011 N° de pourvoi: 10-10667 Publié au bulletin Rejet Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 29 octobre 2009) que suivant promesse sous seing privé du 22 avril 2002, la société civile immobilière Lacanau Clemenceau (la SCI) a vendu un immeuble à Mme X... ; que la réitération de l'acte authentique prévue au plus tard le 30 septembre 2002 n'est pas intervenue et que par assignation du 27 février 2003 Mme X... a fait assigner la venderesse en perfection de la vente ; que par acte authentique du 13 mars 2003, publié à la conservation des hypothèques de Bordeaux le 18 mars 2003, la SCI a vendu le bien aux époux Y... ; que par arrêt du 24 septembre 2007 la cour d'appel de Bordeaux, infirmant le jugement, a dit la vente parfaite au profit de Mme X... ; que le 30 octobre 2007 les époux Y... ont formé tierce opposition à l'arrêt du 24 septembre 2007 contre lequel aucun pourvoi en cassation n'a été formé et que par arrêt du 29 octobre 2009 la cour d'appel de Bordeaux a déclaré les époux Y... recevables en leur tierce opposition et constaté que l'immeuble litigieux était leur propriété ; Sur le premier moyen : Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de déclarer la tierce opposition des époux Y... recevable, alors, selon le moyen : 1°/ que l'ayant cause à titre particulier est représenté par son auteur, pour tous les actes accomplis antérieurement à l'accomplissement de la formalité de la publicité foncière ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé que la tierce opposition formée par M. et Mme Y... était recevable, car leur acte authentique avait été publié le 18 mars 2003, quand l'assignation en régularisation forcée de vente avait été délivrée dès le 27 février 2003, par Mme X... à la société civile immobilière Lacanau Clemenceau, ce dont il résultait que celle-ci avait représenté ses ayants-cause à titre particulier à la procédure, peut important que celle-ci ait abouti à un arrêt du 24 septembre 2007, a violé l'article 583 du code de procédure civile ; 55 2°/ qu'une tierce opposition n'est recevable que si le tiers concerné s'est trouvé dans l'impossibilité de faire valoir ses droits ; qu'en l'espèce, la cour qui a déclaré recevable la tierce opposition de M. et Mme Y..., sans rechercher si ceux-ci n'étaient pas, depuis le jour de la seconde vente dont ils avaient bénéficié, parfaitement informés de la vente précédemment consentie à Mme X... par la SCI Lacaneau Clemenceau, ainsi que de la procédure judiciaire les opposant et à laquelle ils avaient délibérément choisi de ne pas intervenir, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 583 du code de procédure civile ; Mais attendu que la cour d'appel retient à bon droit que si les ayants cause à titre particulier sont considérés comme représentés par leur auteur pour les actes accomplis par celui-ci avant la naissance de leurs droits, lorsqu'un acte est soumis à publicité foncière, la représentation prend fin à compter de l'accomplissement des formalités de publicité foncière ; qu'ayant constaté que les époux Y... avaient publié leur titre à la conservation des hypothèques le 18 mars 2003 et exactement retenu qu'ils n'étaient plus représentés à la date de l'arrêt, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, en a justement déduit que la tierce opposition formée par les époux Y... était recevable ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé Sur le second moyen : Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de rétracter l'arrêt rendu le 24 septembre 2007, alors, selon le moyen, "que la connaissance, par un second acquéreur, de l'existence d'une première cession constatée par acte sous seing privé non soumis à publicité foncière, lui interdit de tirer avantage des règles de la publicité foncière, que la cour d'appel, qui a rétracté l'arrêt du 24 septembre 2007 constatant le caractère parfait de la vente consentie sous seing privé à Mme X..., en se fondant sur le simple fait que M. et Mme Y... avaient acquis le même immeuble de la société civile immobilière Lacanau Clémenceau par acte authentique du 13 mars 2003, publié dès le 18 mars suivant, sans rechercher si ces seconds acquéreurs n'avaient pas signé leur acte en toute connaissance de l'existence de la première vente intervenue au profit de Mme X..., ce qui les privait du bénéfice des règles de la publicité foncière, a privé sa décision de base légale au regard des articles 28 et 30 du décret du 4 janvier 1955,ensemble l'article 1382 du code civil ; Mais attendu qu'ayant retenu à bon droit qu'aux termes de l'article 30-1 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, les actes et décisions judiciaires portant ou constatant entre vifs mutation ou constitution de droits réels immobiliers sont, s'ils n' ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble ont acquis du même auteur des droits concurrents en vertu d'actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés et constaté que Mme X..., dont les droits étaient nés d'une promesse de vente sous seing privé, ne pouvait justifier d'une publication, la cour d'appel, en rétractant l'arrêt du 24 septembre 2007, a légalement justifié sa décision ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; 56 Doc 6 : Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 février 1986 N° de pourvoi: 83-14631 Publié au bulletin Rejet Sur le moyen unique : Attendu que la Société de Produits Céramiques de l'Anjou - dite P.C.A. -, fournisseur des briques ayant servi au montage des cloisons de l'ensemble immobilier construit par la S.C.I. Asnières Normandie, fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déclarée responsable pour partie des fissurations apparues dans les cloisons, et condamnée à payer au syndicat de la copropriété partie du coût des réparations, alors, selon le moyen que, d'une part, la faute prétendue du vendeur de matériaux ne pouvant s'apprécier qu'au regard des stipulations contractuelles imposées par l'entrepreneur, la société E.S.C.A., l'arrêt, en déclarant que ces stipulations étaient indifférentes, a violé les articles 1147 et 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, que, statuant sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, l'arrêt ne pouvait faire état de la présomption de connaissance pesant sur le vendeur professionnel, mais devait rechercher si le fabricant connaissait effectivement la destination des matériaux vendus, en l'espèce, la fabrication de cloisons ne reposant pas sur une semelle adéquate et donc soumises à des déformations, et dont seule cette utilisation avait entraîné le défaut ; alors, en outre, qu'en se fondant, pour déclarer des briques non conformes, sur les normes définies et imposées postérieurement à l'époque de la construction sans rechercher si ces briques n'étaient pas conformes aux normes imposées lors de leur livraison, l'arrêt n'a pas caractérisé la faute du vendeur ; alors, encore, que l'arrêt a délaissé les conclusions indiquant que la fragilité des briques était due non pas à leur manque de qualité mais à un défaut d'utilisation de la part de l'entrepreneur, omettant ainsi d'examiner une cause d'exonération constituée par la faute d'un tiers ; alors, enfin, que faute d'avoir recherché si les fissures des briques ne provenaient pas seulement de l'absence de semelle résiliante, cause majeure reconnue des désordres, et non pas d'un défaut allégué des matériaux, l'arrêt n'a pas caractérisé, autrement que par une simple affirmation, le lien de causalité entre le prétendu défaut de conformité des briques et le dommage invoqué ; Mais attendu que le maître de l'ouvrage comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ; qu'il dispose donc à cet effet contre le fabricant d'une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée ; que, dès lors, en relevant que la société P.C.A. avait livré des briques non conformes au contrat, en raison de leur mauvaise fabrication, la Cour d'appel, qui a caractérisé un manquement contractuel dont la S.C.I. Asnières Normandie, maître de l'ouvrage, pouvait lui demander réparation dans le délai de droit commun, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ; qu'en aucune de ses cinq branches, le moyen ne peut donc être accueilli ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi 57 Doc 7 : Cour de cassation, chambre civile 1, 27 mars 2007 N° de pourvoi: 04-20842 Publié au bulletin Rejet Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 novembre 2004), que la société française Alcatel business systems (ABS), fabricant de terminaux mobiles et portables, a collaboré avec la société belge Alcatel micro electronics (AME), faisant partie du même groupe, pour la fabrication d'une nouvelle puce électronique ; que la société AME a conclu avec la société américaine Amkor technology Inc (Amkor) un contrat relatif à la vente de composants électroniques, comportant une clause compromissoire désignant l'American arbitration association (AAA) de Philadelphie ; que la société Amkor était liée avec un fabricant de composants, la société coréenne Anam semiconductor Inc (Anam), par un contrat de fonderie contenant une convention d'arbitrage visant l'AAA de Santa Clara en Californie ; que les puces fabriquées par la société Anam étaient remises directement à la société AME qui, après les avoir "encapsulées", les livrait à la société ABS ; que, des désordres étant survenus, la société ABS et son assureur, la société AGF, qui l'avait partiellement indemnisée, ont assigné la société Amkor, ses deux filiales françaises, les sociétés Amkor technology euroservices et Amkor Wafer fabrication services, et la société Anam devant un tribunal de commerce en paiement de dommages-intérêts ; que les défendeurs, invoquant la clause compromissoire désignant l'AAA de Philadelphie, ont soulevé l'incompétence de la juridiction étatique ; Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches, et sur le second moyen, pris en ses deux branches : Attendu que les sociétés ABS et AGF font grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté leur contredit de compétence et de les avoir renvoyées à mieux se pourvoir, alors, selon le moyen : 1°/ que le contrat qui porte non sur des choses déterminées à l'avance mais sur un travail spécifique destiné à répondre aux besoins particuliers exprimés par le donneur d'ordre constitue non un contrat de vente mais un contrat d'entreprise ; qu'en affirmant que les relations entre les sociétés Anam, Amkor, AME et ABS auraient constitué une chaîne homogène de contrats translatifs de propriété à partir du moment où c'était le même produit qui avait circulé de la première, son fabricant, à la dernière, son destinataire final, tout en constatant que le composant électronique avait fait l'objet d'un processus industriel ayant conduit à son élaboration et à sa fabrication, que les relations contractuelles entre les différents intervenants avaient pour seul objectif la mise au point et la réalisation du composant litigieux, que son élaboration impliquait l'agrément et l'homologation des fondeurs et que son destinataire final avait participé activement à son perfectionnement, ce dont il résultait que les contrats liant les différents protagonistes étaient des contrats d'entreprise et non des contrats de vente, la cour d'appel a violé les articles 1582, 1779 et ter de la loi du 31 décembre 1975, ensemble les articles 1165 et 1382 du code civil ; 2°/ que le sous-traitant n'étant pas contractuellement lié au maître de l'ouvrage, son fournisseur répond de ses actes, à l'égard de celui-ci, sur le fondement de la responsabilité délictuelle ; qu'en retenant l'existence d'une chaîne homogène de contrats translatifs de propriété conférant au sous-acquéreur une action contractuelle directe contre le fabricant initial, quand elle constatait que la société AME, chargé de concevoir un nouveau composant électronique, avait confié son élaboration à la société Amkor tandis que celle-ci avait confié sa fabrication à celle-là, en sorte que, en agissant contre cette dernière, le maître de l'ouvrage 58 avait mis en cause la responsabilité du fabricant du sous-traitant, la cour d'appel a violé les articles 1147, 1165 et 1382 du code civil ; 3°/ qu'une clause d'arbitrage international n'est susceptible de transmission que dans une chaîne homogène de contrats translatifs de propriété ; qu'en déclarant que les contrats conclus respectivement entre les sociétés ABS, AME, Amkor et Anam constituaient une chaîne homogène, bien qu'il résultât de ses propres constatations que lesdits contrats, qui ne pouvaient recevoir la qualification de vente, n'étaient pas de nature identique, en sorte que la chaîne qu'ils formaient était hétérogène, la cour d'appel a violé les articles 1165 et 1134 du code civil ; 4°/ que le sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions qui, attachés à la chose, appartenaient au vendeur intermédiaire contre le vendeur originaire ; qu'en déclarant opposable au sous-acquéreur la clause compromissoire figurant dans le contrat conclu entre deux vendeurs intermédiaires et non pas celle acceptée par le vendeur originaire, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1165 du code civil ainsi que 1492 du nouveau code de procédure civile ; 5°/ qu'en opposant au sous-acquéreur la clause d'arbitrage nouvellement convenue entre le vendeur intermédiaire et le vendeur originaire en lieu et place de celle figurant dans le contrat initial, sans vérifier que le sous-acquéreur pouvait raisonnablement ignorer le nouvel accord intervenu entre les parties, la cour d'appel n'a conféré à sa décision aucune base légale au regard des articles susvisés ; Mais attendu que, dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu'accessoire du droit d'action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis, sans incidence du caractère homogène ou hétérogène de cette chaîne ; que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, d'abord que le composant électronique, objet du litige, a été fabriqué par la société Anam et vendu par celleci à la société Amkor qui l'a revendu à la société AME ; ensuite que la société AME a "encapsulé" le produit, qui, selon les constatations de l'expert judiciaire, demeurait dissociable, avant de le livrer à la société ABS qui l'a intégré dans ses téléphones mobiles ; qu'au vu de ces éléments, la cour d'appel a décidé à bon droit qu'il existait une chaîne de contrats translatifs de propriété et en a justement déduit que la clause compromissoire, contenue au contrat liant les sociétés Amkor et AME, à laquelle la société Anam avait adhéré, avait force obligatoire à l'égard de la société ABS, dès lors que cette clause est transmise en tant qu'accessoire du droit d'action, lui-même accessoire du droit substantiel ; que, par ce seul motif, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; D'où il suit que les moyens doivent être rejetés ; Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche : Attendu que les sociétés ABS et AGF reprochent encore à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que l'action directe de nature contractuelle du maître de l'ouvrage ou du sousacquéreur implique l'existence d'une chaîne de contrats translatifs de propriété ; qu'en retenant la nature contractuelle de l'action du maître de l'ouvrage contre les filiales du sous-traitant, au prétexte que celles-ci étaient intervenues dans le cadre de l'agrément par l'entreprise principale du composant électronique, sans caractériser l'existence d'une convention translative de propriété qui les aurait obligées à l'égard de l'un quelconque des participants à la 59 chaîne de contrats, la cour d'appel a violé les articles 1165 et 1382 du code civil ; Mais attendu que l'effet de la clause d'arbitrage international s'étend aux parties directement impliquées dans l'exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter ; que la cour d'appel, qui a relevé que les deux sociétés française filiales de la société Amko étaient intervenues pour l'agrément par la société AME, des micro-processeurs électroniques, en a exactement déduit que ces sociétés étaient en droit de se prévaloir, à l'égard de la société ABS et de son assureur subrogé, de la clause d'arbitrage stipulée au contrat liant leur société mère à la société AME ; Que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Doc 8 : Cour de cassation , Assemblée plénière, 12 juillet 1991 N° de pourvoi: 90-13602 Publié au bulletin Cassation partielle Sur le moyen unique : Vu l'article 1165 du Code civil ; Attendu que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que plus de 10 années après la réception de l'immeuble d'habitation, dont il avait confié la construction à M. X..., entrepreneur principal, et dans lequel, en qualité de sous-traitant, M. Z... avait exécuté divers travaux de plomberie qui se sont révélés défectueux, M. Y... les a assignés, l'un et l'autre, en réparation du préjudice subi ; Attendu que, pour déclarer irrecevables les demandes formées contre le sous-traitant, l'arrêt retient que, dans le cas où le débiteur d'une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l'exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette dernière que d'une action nécessairement contractuelle, dans la limite de ses droits et de l'engagement du débiteur substitué ; qu'il en déduit que M. Z... peut opposer à M. Y... tous les moyens de défense tirés du contrat de construction conclu entre ce dernier et l'entrepreneur principal, ainsi que des dispositions légales qui le régissent, en particulier la forclusion décennale ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le sous-traitant n'est pas contractuellement lié au maître de l'ouvrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, 60 Doc 9 : Cour de cassation, chambre civile 1, 10 janvier 2006 N° de pourvoi: 03-17839 Publié au bulletin Rejet. Attendu que par actes authentiques des 5 et 12 mai 1989 instrumentés par la société civile professionnelle Bonnet-Clerc, (la SCP) notaire, la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Guadeloupe (La CRCAM) a consenti à la société Soprotour, un crédit destiné à la réalisation d'un projet immobilier, d'un montant de 4 000 000 francs ; qu'à la garantie de ce crédit a été affectée et hypothéquée au profit de la CRCAM une parcelle de terre section AZ n 164 pour une superficie de 99a58ca ; qu'une inscription d'hypothèque conventionnelle a été requise avec effet jusqu'au 10 avril 1995 ; que par acte authentique du 7 décembre 1990 instrumenté par la même SCP notariale, la CRCAM a consenti à la société Soprotour un second crédit d'un montant de 1 500 000 francs ; qu'à sa garantie a été affectée et hypothéquée la même parcelle de terre ; que l'inscription d'hypothèque conventionnelle, requise le 3 juin 1991, a été renouvelée le 3 décembre 1993 ; que cette inscription n'a été réalisée que pour les lots 29 à 50 correspondants à des parties non bâties du terrain ; que l'hypothèque prise en garantie du premier crédit n'a pas été renouvelée ; que le 28 octobre 1994, la société Soprotour a été mise en liquidation judiciaire ; que le 10 janvier 1996, la société Farmimmo a signifié au liquidateur de la société Soprotour un acte du 25 novembre 1995 portant cession de certaines créances de la CRCAM à son profit ; que de février à juin 1997, le juge commissaire a ordonné la cession de gré à gré des lots 2, 4, 10, 23 et 24 de l'ensemble immobilier construit sur la parcelle hypothéquée pour un prix total de 1 255 000 francs ; qu'en juillet 1999, la société cessionnaire Farmimmo, reprochant à la SCP d'avoir omis d'effectuer les diligences concernant l'inscription et le renouvellement des inscriptions hypothécaires, a assigné celle-ci ainsi que son assureur, la Mutuelle du Mans en paiement de diverses sommes en réparation de son préjudice ; que les premiers juges ayant rejeté les demandes de la société Farmimmo, la société NACC, venant aux droits de celle-ci est intervenue volontairement en cause d'appel ; que l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 2 juin 2003) a condamné in solidum la SCP et son assureur à payer à la société NACC la somme de 191 323,52 euros (1 255 000 francs) à valoir sur son préjudice global qui sera fixé à la clôture des opérations de liquidation judiciaire de la société Soprotour ; Sur le premier moyen : Attendu que la SCP notariale et son assureur font grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'intervention volontaire de la société NACC alors, selon le moyen, que pour déclarer recevable l'intervention volontaire de la société NACC et juger bien fondé son recours contre le notaire et son assureur de responsabilité, la cour d'appel s'est tout à la fois, référée à la transmission d'une créance de responsabilité contre le notaire et à l'existence d'un hypothétique préjudice personnel propre à la société NACC ; qu'en se prononçant par de tels motifs qui laissent incertain le fondement de sa décision et ne permettant pas de vérifier si la société NACC pouvait se prévaloir d'une créance de réparation née directement dans son patrimoine ou de qualité d'ayant droit de la société Farmimmo, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ; Mais attendu que si la cession d'une créance transfert celle-ci au cessionnaire, qui dispose de toutes les actions qui appartenaient au cédant et qui se rattachaient à cette créance avant la cession ; qu'il résulte de l'arrêt qui constate que la société Farmimmo avait cédé sa créance à la société NACC postérieurement à la date du jugement entrepris, que la cession de créance 61 ayant rendu le cessionnaire personnellement titulaire des droits transmis, en acquérant la créance, la société NACC a acquis ses accessoires, donc les sûretés ou les actions en justice qui lui étaient attachées comme résultant de la perte de ces sûretés et justifiant la réparation du préjudice en découlant pour elle ; que l'arrêt est ainsi légalement justifié ; Sur le deuxième moyen : Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'intervention volontaire de la société NACC alors, selon le moyen, que l'action de la société NACC à l'encontre du notaire et de son assureur de responsabilité était fondée sur l'existence d'un préjudice qui lui était personnel, par définition, distinct du préjudice de la société Farmimmo et, par voie de conséquence, d'une créance différente de celle dont s'est prévalue la société Farmimmo en première instance ; qu'en déclarant néanmoins recevable l'intervention volontaire de la société NACC, bien que la condamnation qui lui était demandée n'eût pas subi l'épreuve des premiers juges, la cour d'appel a violé l'article 554 du nouveau Code de procédure civile ; Mais attendu que peuvent intervenir en cause d'appel, les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité, dès lors qu'elles y ont intérêt, et que l'intervention se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant ; que la cour d'appel qui a constaté que l'action exercée par la société NACC tendait à la condamnation de la SCP notariale sur le fondement de sa responsabilité civile professionnelle, en réparation de manquements ayant conduit à la déperdition des sûretés prises en garantie des prêts consentis par la CRCAM, a ainsi relevé l'existence d'un lien dont elle a souverainement apprécié le caractère suffisant ; que le moyen n'est pas fondé ; Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches ; Attendu que la SCP notariale fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée in solidum avec son assureur à payer à la société NACC la somme de 191 323,52 euros à valoir sur son préjudice à fixer à la clôture des opérations de liquidation judiciaire de la société Soprotour, alors, selon le moyen : 1 / que l'acte de cession de créance au profit de la société NACC, sous cessionnaire des créances du Crédit agricole à l'égard de la société Soprotour, mentionnait précisément le défaut de renouvellement de l'inscription hypothécaire prise en sûreté du prêt de 1989, ainsi que le renouvellement limité de l'inscription hypothécaire prise en sûreté du prêt de 1990 ; qu'en condamnant néanmoins le notaire à qui était imputé l'inefficacité de ces sûretés, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société NACC n'avait, en réalité, souffert d'aucun préjudice personnel en relation causale avec le fait de l'officier ministériel, puisqu'elle avait acquis, en connaissance de cause et probablement à moindre coût, une créance dépourvue de toute sûreté opposable aux tiers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 2 / qu'en toute hypothèse, est contraire à l'ordre public et entachée d'une nullité absolue, la cession d'une créance de responsabilité ; qu'en faisant droit à l'action de la société NACC bien qu'il résultât des éléments versés aux débats qu'une telle créance de responsabilité dont l'officier ministériel et son assureur auraient été débiteurs avaient été cédée à la société demanderesse, la cour d'appel qui a attaché des effets à une cession de créance contraire à l'ordre public, a violé les articles 6 et 1108 du Code civil ; 62 3 / qu'en toute hypothèse, la créance de responsabilité contre le notaire chargé de procéder à l'inscription d'une hypothèque ou à son renouvellement, reste, sauf clause contraire, détenue par le créancier victime de la faute du notaire, nonobstant la cession de la créance principale qu'il réaliserait par ailleurs ; qu'en condamnant dès lors le notaire et son assureur de responsabilité sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société NACC justifiait bien d'un acte stipulant expressément la cession de créance de responsabilité contre le notaire, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1165 du Code civil ; Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel n'avait pas à effectuer une recherche que rendaient inopérantes ses constatations dont résultait que le cessionnaire de la créance et de ses sûretés, exerçait une action qui leur était attachée et qui lui appartenait en propre par l'effet de la cession ; qu'ensuite, une convention de cession peut avoir pour objet, non seulement toute créance mais encore toute action contre un tiers, à moins que ces créances, droit ou action ne soient hors du commerce ou que l'aliénation n'en ait été prohibée par une loi particulière ; que dès lors, n'était pas contraire à l'ordre public la cession d'action tendant à la mise en jeu d'une responsabilité civile professionnelle ne faisant l'objet d'aucune restriction légale ; qu'enfin, la cession de créance, ayant pour effet d'emporter de plein droit transfert de tous les accessoires de ladite créance, et notamment les actions en justice qui lui étaient attachées, la cour d'appel n'avait pas à rechercher si le cessionnaire justifiait d'un acte stipulant expressément la cession de l'action en responsabilité ; que le moyen n'est fondé en aucun de ses griefs ; Et sur le quatrième moyen, tel qu'énoncé au mémoire en demande et reproduit en annexe : Attendu que la contradiction dénoncée entre le dispositif et les motifs de l'arrêt résulte d'une erreur matérielle qui peut, selon l'article 462 du nouveau Code de procédure civile être réparée par la Cour de cassation à laquelle est déféré cet arrêt dont la rectification sera ciaprès ordonnée ; que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : Dit que les motifs de l'arrêt attaqué (page 7) seront modifiés comme suit : "La société NACC rapporte la preuve que les lots 2, 4, 10, 23 et 24 ont été vendus pour la somme totale de 1 255 000 francs" ; Rejette le pourvoi ; Doc 10 : Cour de cassation, chambre civile 3, 3 mai 2007 N° de pourvoi: 06-11591 Publié au bulletin Rejet Sur le moyen unique : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 23 novembre 2005), que Mme X..., titulaire d'un bail commercial comportant une clause de non-concurrence, a assigné son bailleur, la SCI Mailly I (la SCI),pour faire juger que, compte tenu des mutations et transformations de commerces intervenues dans l'immeuble loué à divers commerçants, cette clause était devenue sans objet et qu'elle ne saurait s'appliquer ; 63 Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de prononcer la résolution de la clause avec effet à compter de la date de l'assignation, alors, selon le moyen : 1°/ que le renouvellement du bail s'opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration ; qu'aucune juridiction n'a le pouvoir de modifier les clauses d'un bail ; qu'en prononçant la résolution de la clause de non-concurrence insérée dans le bail, les juges du fond ont excédé leurs pouvoirs en violation des articles 1134 du code civil et 29 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ; 2°/ qu'une obligation valablement contractée s'impose aux parties, pour toute la durée de la convention ; que le juge ne peut s'arroger le pouvoir de modifier la convention en ajoutant ou en supprimant un engagement ; qu'en prononçant la résolution de la clause de nonconcurrence insérée dans le bail, les juges du fond ont excédé leurs pouvoirs en violation de l'article 1134 du code civil ; Mais attendu qu'ayant relevé que le bail d'origine conclu le 1er janvier 1983 comportait une clause ainsi rédigée "Le preneur ne pourra également en aucun cas, exploiter des commerces actuellement exercés par les autres locataires de l'immeuble ..., le preneur déclarant parfaitement connaître les activités déjà exercées dans l'immeuble" et ayant retenu qu'en insérant dès le départ une telle clause dans tous les baux du même immeuble, les bailleurs d'origine et les preneurs initiaux avaient eu pour commune intention de préserver l'activité commerciale des autres commerces déjà exploités dans l'immeuble en évitant toute concurrence entre ses occupants, que, sauf à dénaturer cette clause claire, ou à l'exécuter de mauvaise foi, en créant un déséquilibre entre les obligations et les droits de chacune des parties, une telle clause devait demeurer commune à tous les preneurs et perdurer dans le temps, la cour d'appel, qui a constaté que la clause imposée par le bailleur initial à tous ses locataires avait disparu des baux consentis les 25 janvier 1989 et 1er septembre 1997 à la société Moly Textiles, locataire du même immeuble, a pu en déduire que le bailleur, qui s'était exonéré de l'obligation qui pesait sur lui, d'insérer cette clause dans les baux concernés par la zone de non-concurrence, avait commis une faute dans l'exécution du bail, rendant de fait impossible le respect de ladite clause et qu'il y avait lieu en conséquence de prononcer la résolution de la clause de non-concurrence insérée dans le bail liant Mme X... à la SCI à compter de la date de l'assignation ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; L'obligation transversale ? Judith Rochfeld, Professeur de droit privé, Université Paris-Sud 11 Recueil Dalloz 2007 p. 2068 1 - Voici une bien curieuse argumentation, suivie par la troisième chambre civile, le 3 mai 2007, et promise à une large diffusion (Bull. civ. III, à paraître ; D. 2007. AJ. 1335, obs. Y. Rouquet). 64 Le preneur d'un local à usage commercial signe, le 1er janvier 1983, un contrat dans lequel est insérée une clause de non-concurrence précisément rédigée de la façon suivante : « Le preneur ne pourra également en aucun cas, exploiter des commerces actuellement exercés par les autres locataires de l'immeuble (adresse), le preneur déclarant parfaitement connaître les activités déjà exercées dans l'immeuble ». La clause figurait dans tous les baux initiaux de l'immeuble, enserrant dans le filet de son obligation de ne pas faire l'ensemble des preneurs. L'idée semble évidente, qui tient à une volonté qu'aucun des commerçants de l'immeuble ne se fasse concurrence. Pour autant, elle sera déjouée quand, en 1989 et 1997, des baux seront consentis sans que cette clause y figure et que l'un des commerces viendra concurrencer le précédent occupant de 1983. Ce dernier demandera alors la résolution de la clause de nonconcurrence pour « disparition » de son « objet ». Il l'obtiendra devant la Cour d'appel de Montpellier, avec effet à compter de la date de l'assignation. La Cour de cassation rejettera le pourvoi contre cette décision. Pour parvenir à cette solution, celle-ci suivra celle-là dans les contours d'une argumentation qui peut sembler insolite tant il s'agissait de faire entrer l'existence, dans « l'objet » de la clause de non-concurrence considérée, d'un engagement de non-concurrence réciproque à la charge de tiers à la relation contractuelle visée. Partant, il était question d'admettre l'effet transversal et réciproque d'une clause au-delà de la relation des parties à un contrat singulier et à l'égard de tiers (I) et, en conséquence, d'ouvrir à la délicate question de la délimitation du périmètre obligationnel concerné (II). I - De l'effet « transversal » de la clause 2 - Le premier élément insolite tient en l'appréciation du champ d'application de la clause de non-concurrence, au fondement de la découverte d'une « intention commune » (A). Celle-ci semble aboutir à mettre en lumière la poursuite d'une « cause transversale » à l'obligation de non-concurrence, traçant un lien de réciprocité au-delà des champs contractuels de contrats singuliers (B). A - De l'intention commune 3 - On passera rapidement sur le fait que l'engagement de non-concurrence puisse faire l'objet d'une appréciation et d'une sanction en tant que convention indépendante du bail qui le renferme. Le débat fut âpre mais il est désormais admis qu'il puisse être divisible et que les appréciations auxquelles il donne lieu soient celles entourant une convention autonome (cf. S. Choisez, Dr. soc. 1993. 666 ; M. Gomy, Essai sur l'équilibre de la convention de nonconcurrence, Poitiers, 1999, n° 215 s. ; contra, J. Pélissier, Dr. soc. 1988. 393 ; adde, dans le premier sens, la nécessité d'une contrepartie spécifique quand cette stipulation est adossée à un contrat de travail : Soc., 10 juill. 2002, 3 arrêts, n° 99-43.334, 00-45.387, 00-45.135, D. 2002. 2491, note Y. Serra ; JCP G 2003. II. 10162, note F. Petit ; plus généralement, cf. M. Mekki, Le nouvel essor du concept de clause contractuelle, RDC 2006. 1051, et 2007. 239). A son seul égard donc, et de façon générale, les juges d'appel, soutenus par ceux de cassation, relèveront que, « sauf à dénaturer cette clause claire, ou à l'exécuter de mauvaise foi, en créant un déséquilibre entre les obligations et les droits de chacune des parties, une telle obligation (« clause » pour la Cour de cassation) devait demeurer commune à tous les preneurs et perdurer dans le temps ». En effet, toujours selon les constatations d'appel reprises en cassation, « les bailleurs d'origine et les preneurs initiaux (avaient) eu pour commune intention de préserver l'activité commerciale des autres commerces déjà exploités dans l'immeuble en évitant toute concurrence entre ses occupants ». Or, ces affirmations, qui peuvent sembler évidentes au vu de la finalité identifiée, sont loin de l'être lorsqu'on les examine dans leurs détails. On s'en convaincra en décomposant le raisonnement suivi. 65 4 - Tout d'abord, une interprétation est évoquée. Plus précisément, au premier abord, celle-ci semble rejetée si l'on relève l'expression « sauf à dénaturer cette clause claire », établissant l'absence du seuil d'ouverture de ce type d'opération. Pour autant, les juges d'appel n'en ont pas moins fixé le sens de cette clause « claire » grâce à une recherche de la « commune intention » des parties... et en se référant à la directive posée par l'article 1156 du code civil (menant bien ainsi une sorte d'interprétation...). Ensuite, et surtout, dans cette recherche, on relèvera le mode d'analyse de cette commune intention : il en est appelé à celle des « bailleurs d'origine et (des) preneurs initiaux ». Plus exactement, d'une part, en énonçant qu'« en insérant dès le départ une telle clause dans tous les baux du même immeuble, les bailleurs d'origine et les preneurs initiaux avaient eu pour commune intention... », les juges d'appel recherchent cette intention au travers du comportement de ces acteurs. Plus étonnamment, d'autre part, l'intention retenue tient non seulement en celle d'une collectivité de contractants, mais, en outre, d'une collectivité de contractants figée autour de ceux qui occupaient initialement les lieux. De la sorte, la commune intention fixant le sens de la clause renvoie ici à l'intention d'un groupe de contractants figé au moment de la conclusion des baux initiaux, alors même que sa recherche intervient pour fixer le sens de la clause à l'égard de parties tenues dans les liens de contrats singuliers et ayant varié dans le temps (les « bailleurs initiaux » sont distingués de ceux actuels ; les preneurs initiaux ont été rejoints par d'autres). La conséquence tirée de cette intention commune n'est pas moins remarquable. Sur son fondement, il est énoncé qu'« une telle clause devait demeurer commune à tous les preneurs et perdurer dans le temps ». Partant, en considération de l'interprétation d'une intention collective, les juges de cassation acceptent de faire produire effet à une clause au-delà du champ contractuel singulier du contrat considéré et en exige la réciprocité à l'égard de tous les participants à un groupe, ici au groupe d'« occupants » de l'immeuble : cette clause ne trouverait sa justification (« son objet » selon le demandeur) que dans sa présence analogue dans les autres baux de l'immeuble. En définitive, en l'espèce, on assiste à une recherche du sens d'un comportement, d'une part, tenu à l'égard d'une collectivité et par une collectivité, d'autre part, valant, enfin, pour tout membre ayant vocation à s'insérer dans cette dernière, et ce, quel que soit le moment où il l'intègre, l'obligation ayant été figée dans la durée. 5 - Par ailleurs, au-delà des énonciations tendant à fixer le sens de la clause, la teneur du second type d'argumentation utilisée, à savoir l'exécution de bonne foi de la stipulation de non-concurrence, suffirait à retenir l'attention. Au regard de l'intention ayant présidé à l'introduction de cette obligation de non-concurrence, la cour d'appel estime que l'exécution a été « de mauvaise foi », caractérisée par la création d'« un déséquilibre entre les obligations et les droits de chacune des parties ». En effet, cette clause qui devait, ainsi qu'il l'a déjà été précisé, « demeurer commune à tous les preneurs et perdurer dans le temps » avait disparu de baux ultérieurs. Le bailleur aurait donc exécuté de mauvaise foi son contrat de bail, en n'introduisant pas la clause de non-concurrence dans les autres baux. Or, d'une part, et a minima, le lien tracé entre la mauvaise foi et la création d'un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties peut être relevé. Un tel lien est plus habituel, en effet, dans les traditions juridiques où la bonne foi est analysée de façon objective, au regard d'un critère de déséquilibre des obligations et non d'un comportement moralement déloyal (cf. 66 § 138 BGB ; adde les droits accueillant l'idée de lésion qualifiée et associant comportement répréhensible d'une partie abusant de la faiblesse ou de la situation de nécessité de son partenaire contractuel ou adoptant un comportement déloyal, d'un côté, et déséquilibre des droits et des obligations, de l'autre ; soit que ce dernier révèle l'abus, soit qu'il en soit un élément constitutif ; art. 4 : 109, PDEC). Surtout, d'autre part, l'appréciation de cette mauvaise foi et du déséquilibre en résultant se fait, à nouveau, collective : au regard de la rédaction du bail de 1983, de son champ contractuel et de la force obligatoire devant être reconnue à ses clauses sur le fondement de l'article 1134 (tous arguments que tente de réintroduire le pourvoi), la présence de la clause n'était pas un facteur de déséquilibre et de mauvaise foi du bailleur ; elle l'est à l'aune d'une mise en relation de ce bail avec les autres baux de l'immeuble et d'une appréciation collective et réciproque du contenu obligationnel de ces derniers, les uns par rapport aux autres. C'est pour ne pas avoir fait respecter cet équilibre global, en veillant à ce que la même clause soit insérée dans tous les contrats et que la finalité collective de non-concurrence reste poursuivie, que le bailleur est considéré de mauvaise foi. En définitive, la clause de non-concurrence était appelée à fonctionner à l'échelle de la collectivité des baux et à transcender les différents champs contractuels des contrats singuliers, quand bien même les parties en étaient distinctes et avaient varié dans le temps et que cela impliquait d'embrasser des tiers. Cette solution insolite semble s'appuyer sur l'identification d'une finalité et l'appréciation d'un équilibre, transversaux aux différents baux concernés. B - De la « cause transversale » 6 - Ce que ce raisonnement concentre de remarquable, en effet, tient en la reconnaissance d'une obligation transversale, qui paraît trouver sa justification et son équilibre dans son existence et son exécution à l'égard d'une collectivité de personnes, tenues dans des liens contractuels divers. Aussi, d'une part, sans que l'arrêt de la Cour de cassation ne le fasse explicitement apparaître, il semblerait qu'il y ait eu découverte d'une cause transversale aux engagements de nonconcurrence de l'immeuble, au sens où l'intérêt justifiant l'engagement de chacun des preneurs de ne pas concurrencer les autres occupants serait constitué par l'engagement analogue et réciproque de ces derniers, fussent-ils parties de contrats divers et sans lien contractuel entre eux (sur la notion de cause en tant qu'intérêt, cf. Cause et type de contrat, préf. J. Ghestin, LGDJ, 1999, n° 76 s. ; dans le même sens, plus récemment, J. Ghestin, Cause de l'engagement et validité du contrat, LGDJ, 2006, n° 113). Il y a donc eu approche « collective » de la cause de l'engagement de non-concurrence, au travers d'un raisonnement qui a transcendé les accords particuliers pour tendre, entre eux, un lien de réciprocité (le demandeur avançait la disparition de « l'objet » ; l'arrêt d'appel évoquera, lui, la « disparition » de la « cause », précisant par motifs propres que, « acceptée par tous, (la clause) assure une protection de chacun et de tous, l'obligation de l'un ayant pour contrepartie l'engagement de tous les autres de ne pas le concurrencer »). C'est sur le fondement de cette obligation collective réciproque qu'un comportement commun et parallèle était exigé, propre à atteindre la finalité identifiée de constitution d'une « zone de non-concurrence » En outre, cette cause est contrôlée dans sa pérennité, la résolution de la clause de non-concurrence venant sanctionner sa disparition (cf. supra). Il semble donc bien que les juges se soient appuyés sur l'idée d'une obligation réciproque de non-concurrence, transcendant les parties pour embrasser 67 des tiers, ce au regard de la finalité de constitution d'une zone de non-concurrence. Sur ce fondement, ils paraissent avoir procédé à un contrôle (tacite pour la Cour de cassation) de l'existence de cette cause et de sa pérennité. 7 - Certes, on pourrait minimiser le phénomène et en trouver des justifications dans les particularités de l'espèce. On sent bien, en effet, que la finalité tendant à constituer cette « zone de non-concurrence » se dessinait en filigrane dans l'intention commune initiale. En outre, la rédaction de la clause faisait référence aux autres preneurs et à la connaissance de leur activité. Elle pouvait donc sembler intégrer ces derniers dans le champ contractuel. Ensuite, celle-ci paraissait pouvoir s'appuyer sur une assise réelle, au sens où un immeuble unique semblait concerné. L'espèce permettait donc une sorte d'approche réelle de l'obligation. Enfin, de façon circonstancielle toujours, la demande - la « résolution » de la clause de non-concurrence - allait dans un sens favorable aux libertés puisqu'elle conduisait à l'élimination d'une obligation restreignant la liberté fondamentale, de valeur constitutionnelle, du commerce. Pour autant, quant à la rédaction, elle ne faisait pas exactement état de l'introduction d'une obligation de non-concurrence dans les autres baux et de la condition de sa réciprocité. Par ailleurs, aucune allusion n'est faite à un éventuel contrat-cadre (à l'instar des contrats de distribution) ou à un mode d'organisation collectif de l'activité commerciale de l'immeuble (à l'instar de ce qui peut exister, en matière de centres commerciaux, sous forme de règlement ou d'association de commerçants). Ensuite, l'assise réelle pourrait être nuancée. Quid dans l'hypothèse où, par exemple, l'on ferait valoir une intention commune embrassant des commerçants d'un immeuble voisin... ? Enfin, on notera que la protection de la liberté fondamentale d'exercice d'une activité commerciale a paradoxalement requis la reconnaissance de la nécessaire existence d'une obligation de non-concurrence à l'égard de tiers qui ne l'avaient pas contractée. En définitive, les pures considérations de circonstances constituaient un matériau mouvant à partir duquel il était discutable d'introniser cette sorte d'obligation, collective et transversale (et ce, d'autant qu'était ici en jeu une liberté fondamentale). Le détour explicite par la notion de cause, propre à tracer le lien de réciprocité, eût pu renforcer la démonstration. Il n'en tarissait pas pour autant les difficultés nées de l'attraction réalisée, de tiers dans une obligation et, partant, de la délimitation du périmètre obligationnel. II - De la délimitation du périmètre obligationnel 8 - En traçant un rapport de réciprocité entre plusieurs personnes tenues dans les liens de contrats distincts, et ce par le biais d'une « cause transversale » transcendant les champs contractuels singuliers, on attrait des tiers dans la sphère d'une obligation. Dès lors, tandis que l'on s'était familiarisé, non sans mal, avec l'idée de groupe de contrats, il faudrait désormais s'acclimater à celle de groupes d'obligés. Dans l'espèce, tout se passe comme si, en contractant le bail, chacun devait supporter la clause adossée à cette situation. Tout s'y passe comme si... mais l'on aperçoit la difficulté de l'entreprise, à savoir la délimitation du périmètre obligationnel : il n'est pas évident de circonscrire cette cause transversale ainsi que le groupe de personnes concernées. Dès lors, d'une part, il faut se demander s'il est acceptable, au vu de l'article 1165 du code civil et de l'effet relatif des conventions, d'attraire des tiers dans la sphère d'obligations imposées entre des parties et, dans l'affirmative, si des critères de délimitation du périmètre obligationnel seraient décelables (A). D'autre part, si l'évolution venait à se confirmer, il faudrait noter l'émergence et l'autonomie gagnée par la notion 68 d'obligation, en dépassement de celle de contrat (B). A - De l'abaissement de la frontière entre parties et tiers 9 - Sur le premier point, dans une approche classique de l'effet relatif, la réponse négative semblerait s'imposer. Pour autant, il faut considérer les avancées de phénomènes tendant à décloisonner la frontière séparant les contractants et les tiers. Deux mouvements sont ici à relever. 10 - Le premier, balbutiant et dans lequel s'inscrit la décision commentée, tient en une « décontractualisation » d'obligations de type contractuel : de telles obligations tendent à être imposées, au-delà des parties, à des tiers ; inversement, elles peuvent être imposées entre parties, mais au regard de l'existence d'autres accords de ces dernières avec des tiers. Le tout transcende les limites des champs contractuels des contrats singuliers. Dans le premier sens, on peut proposer, comme on l'a fait, de raisonner en obligations transversales. A cet égard, en matière de baux commerciaux contigus, la direction prise par le présent arrêt n'est pas isolée en jurisprudence. Dans une décision de la même Chambre, du 4 mai 2006, la Cour de cassation énonçait, au visa des articles 1134, 1147 et 1165 du code civil, « que le locataire bénéficiaire d'une clause d'exclusivité (relativement à une activité) qui lui a été consentie par son bailleur est en droit d'exiger que ce dernier fasse respecter cette clause par ses autres locataires, même si ceux-ci ne sont pas parties au contrat contenant cette stipulation » (n° 04-10.051, Bull. civ. III, n° 107, D. 2006. AJ. 1454, obs. Y. Rouquet, et 2007. Pan. 1827, obs. L. Rozès ; RTD civ. 2006. 554, obs. J. Mestre et B. Fages ; JCP G 2006. II. 10119, obs. O. Deshayes ; RDC 2006. 1154, obs. J.-B. Seube ; ibid. 2007. 267, obs. D. Mazeaud, et 295, obs. G. Viney). Ce faisant, comme dans l'espèce commentée, elle faisait du bailleur le débiteur de l'imposition d'une obligation d'exclusivité et de son respect auprès de tiers. La décision présente amplifie néanmoins ce mouvement d'attraction de tiers dans le périmètre d'une obligation contractuelle, en lui donnant une assise (tacite) : l'existence d'une cause transversale et le respect d'un équilibre réciproque d'ensemble. Dans le second sens, se font jour des raisonnements en portefeuille de contrats, qui viennent introduire des obligations, entre deux parties, à la charge de l'une ou de l'autre, justifiées par l'existence d'autres accords avec des tiers. Un exemple, isolé, est fourni par la loi tendant à conforter la confiance et la protection du consommateur, du 28 janvier 2005 (Loi n° 2005-67, cf. nos obs., RTD civ. 2005. 478). En effet, ce texte réformait le régime de la tacite reconduction, en faisant peser sur des professionnels une obligation d'information, au bénéfice du consommateur, quant à la possibilité de ce dernier de résilier le contrat avant le jeu de cette reconduction (cf. art. L. 136-1, c. consom., sous peine que le consommateur dispose d'une faculté de résilier gratuitement le contrat « à tout moment à compter de la date de reconduction »). Or, la création de cette obligation fut justifiée par la mise en relation des multiples contrats conclus entre un consommateur et des professionnels, fussent-ils différents. La réforme se justifiait donc, non pas au regard de l'équilibre d'un contrat singulier entre un consommateur et un professionnel, mais en considération du nombre de contrats de consommation conclus par ménage moyen auprès de divers professionnels et de la gestion que cette masse contractuelle imposait (« jusqu'à 25 types de contrats, représentant plus de cinquante contrats différents », cf. L.-M. Chatel, JOAN 11 déc. 2003, p. 12153). Dès lors, dépassant les exigences du cadre contractuel interpersonnel classique, le législateur faisait de chaque professionnel le débiteur d'une obligation d'information se justifiant par l'existence d'autres contrats et intronisait dans la loi un raisonnement embrassant un portefeuille de 69 contrats. 12 - Au titre du second mouvement, on ne fera qu'évoquer la « contractualisation » de la faute délictuelle (ou sa « dérelativisation », cf. J.-P. Tosi, « Le manquement contractuel dérelativisé », in Mélanges M. Gobert, Economica, 2004, p. 479) : le constat de celle-ci puise aujourd'hui aux appréciations contractuelles puisque la démonstration de l'inexécution d'un contrat semble suffire, non sans critiques, pour constituer la faute délictuelle entraînant une responsabilité à l'égard d'un tiers (cf. Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255, Bull. civ. n° 9, D. 2006. 2825, note critique G. Viney ; JCP G 2006. II. 10181, avis av. gén. Gariazzo, note M. Billiau ; JCP G 2007. I. 115, obs. P. Stoffel-Munck ; RDC 2007. 269, obs. D. Mazeaud, et 279, obs. S. Carval ; n° spécial, p. 537 et s. ; RTD civ. 2007. 123, obs. critiques P. Jourdain). On notera, en outre, que dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt de l'Assemblée plénière du 6 octobre 2006, le locataire-gérant d'un fonds de commerce se plaignait de l'inexécution de son obligation d'entretien des lieux par le bailleur ; ce dernier n'était pas son cocontractant puisqu'il tenait ses droits du locataire ; ils étaient donc regardés comme des tiers et l'inexécution devait entrer dans la qualification de faute délictuelle ; elle y fut insérée au seul constat de l'inexécution de l'obligation d'entretien (cf. art. 1342, Avant-projet de réforme du code civil, qui autorise le tiers à se prévaloir d'un fondement contractuel). Dans les deux mouvements, on le constate, une obligation semble rayonner au-delà des champs contractuels distincts et relier des personnes intéressées (sur la notion de tiers « intéressés », cf. P. Ancel, RDC 2007 préc., p. 549 et les références citées). Dans les deux situations, de plus, une sorte d'assise réelle (immeuble, zone d'activités contiguë) soutenait le lien entre les personnes. La décision présente s'inscrit donc dans un mouvement plus général de relativisation de la frontière entre les parties et les tiers. On peut toutefois se demander si, du fait du caractère transversal qu'elle reconnaît à l'obligation et du fondement qu'elle semble lui assigner de respect d'un équilibre commun et réciproque, elle ne ferait pas apparaître une notion d'obligation en passe de s'affranchir du contrat. B - De l'autonomie de la notion d'obligation 13 - On peut, dans un premier temps, et eu égard à ces mouvements, regarder l'idée de contrat comme totalement brouillée. En effet, identifier des obligations, liant des tiers, au nom d'un équilibre collectif, puise aux sources de deux types d'argumentation et produit un singulier mélange des genres. On s'intéressera, pour le démontrer, à la notion qui fait passer, dans l'arrêt commenté, du singulier au pluriel : celle de faute. En effet, afin de qualifier d'inexécution contractuelle ou d'inexécution de mauvaise foi du contrat considéré le fait, pour un bailleur, de ne pas avoir inséré la clause de non-concurrence dans les autres baux, les juges de cassation, approuvant ceux d'appel, relèveront une faute : « le bailleur, qui s'était exonéré de l'obligation qui pesait sur lui, d'insérer cette clause dans les baux concernés par la zone de non-concurrence avait commis une faute dans l'exécution du bail, rendant de fait impossible le respect de ladite clause ». C'est donc au nom d'une obligation, non respectée, d'insérer la clause dans d'autres baux que le bailleur est sanctionné, et ce, pour « inexécution », qualifiée de faute. L'argumentation rase alors les frontières de deux types de qualifications et de raisonnements : ceux d'inexécution d'une obligation - vocabulaire contractuel et appréciation du respect d'obligations déterminées et propres aux parties ; ceux de non-respect de devoirs sociaux généraux - vocabulaire délictuel et appréciation d'une « faute » (sur l'opposition des obligations et des devoirs, cf. G. Viney, Introduction à la responsabilité civile, 2e éd., LGDJ, 70 1995, n° 168 ; P. Stoffel-Munck, L'abus dans le contrat. Essai d'une théorie, préf. R. Bout, LGDJ, 2000, p. 134 s.). Pour rester dans le contractuel « pur », il eût fallu pouvoir reprocher au bailleur l'inexécution de l'une des obligations du contrat. C'est la voie que semble emprunter le raisonnement de l'arrêt en lui reprochant le non-respect, à l'égard du preneur, d'une « obligation d'insérer une clause » dans les contrats conclus avec un tiers, afin qu'une obligation lie ces derniers. Pour autant, le manquement contractuel est ici d'une substance étrange : la défaillance du bailleur à l'égard de son partenaire contractuel consiste à ne pas avoir attrait dans la sphère de l'obligation une collectivité dépassant son cocontractant (cf. ne faisant pas ce détour, Cass. 3e civ., 3 mai 2006, préc.). Pour constater une faute « pure », à l'inverse, il eût fallu identifier un comportement socialement répréhensible du bailleur (en l'occurrence, par ex., le fait de ne pas adopter le même comportement avec tous les preneurs et de procéder à une discrimination ; sur la pénétration du principe de non-discrimination en droit contractuel interne, cf. obs. J. Mestre et B. Fages, RTD civ. 2002. 498 ; nos obs. sous Cass. 3e civ., 19 mars 2003, RDC 2004. 618 ; à distinguer de l'idée de la nature délictuelle de la « faute d'abus » ou de mauvaise foi dans le contrat, P. Stoffel-Munck, op. cit., p. 106 s.). Or, la « faute » relevée ne s'induit pas d'un tel constat : elle tient au fait de ne pas avoir tout mis en oeuvre pour assurer le respect d'un équilibre collectif d'obligations, non à l'ignorance de devoirs généraux. 14 - En réalité, ce brouillage montre peut-être la voie d'une qualification intermédiaire. En imposant le respect d'une obligation qui trouve sa justification et son équilibre dans son existence collective à l'égard de tiers, l'arrêt paraît faire surgir une sorte d'obligation, d'une part, pesant sur une collectivité en partie composée de tiers et transcendant la qualité de cocontractant à un accord particulier, d'autre part. Les coobligés ne se sont pas, en effet, engagés dans un contrat les uns par rapport aux autres. Le raisonnement intronise ainsi une obligation collective transversale, générée et exécutée sur le fondement d'une finalité et d'un équilibre communs, propres à transcender le lien contractuel classique. Le contrat (et son champ contractuel) se trouve minimisé, au « profit » de la notion d'obligation, qui prend un sens autonome. Pour autant, toutes les conséquences de cette indépendance ne sont pas tirées. En l'espèce, les implications du raisonnement mené se développent dans la sphère contractuelle du preneur et du bailleur et tiennent en la « résolution » de la clause et en la libération du preneur-demandeur de ses obligations. Le pas le plus extrême n'est pas franchi, consistant à imposer l'exécution de l'obligation aux tiers (cf. obs. O. Deshayes, préc., quant aux difficultés de faire respecter l'exclusivité à leur égard). Il n'en demeure pas moins que le premier versant d'une dynamique d'attraction de tiers à l'obligation se met en place, aux conséquences potentiellement importantes, et ce, alors même que rien n'est dit sur les mécanismes d'émergence de telles obligations et que demeurent les interrogations soulevées, et non résolues, de la délimitation de leur périmètre d'application... 71 72