De la recherche de pointe aux soins innovants

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De la recherche de pointe aux soins innovants
Cancers du sein
De la recherche de pointe
aux soins innovants :
dernières avancées et
développements prometteurs
Sommaire
Les cancers du sein, enjeux de santé publique
p3
Des cancers du sein très différents
Une classification de plus en plus fine
Les traitements classiques
A l'Institut Curie, une expertise historique et globale
p5
Les thérapies « classiques » se renouvellent sans cesse
p6
Chirurgie des cancers du sein : l'ère de l'oncoplastie
Radiothérapie : mieux cibler la tumeur pour accroître la dose d'irradiation
Améliorer l'efficacité sur tous les fronts
Tenir compte des spécificités de chaque patiente…
… et des autres traitements reçus
L'essor des thérapies ciblées
De nombreux essais cliniques en cours
p 10
p 10
Des signatures génomiques pour prédire l'évolution tumorale…
…et la réponse aux traitements
Des thérapies de plus en plus spécifiques
Témoignage de patiente
L'hormonothérapie pour bloquer la croissance des tumeurs
p 12
Entretien : Dr Véronique Diéras,
responsable de l'unité d'Investigation clinique
p 13
Une prise en charge globale et adaptée à toutes les étapes de la maladie
p 14
Mieux diagnostiquer les cancers du sein
Rechercher les prédispositions génétiques
2 questions à… Marion Gauthier Villars,
médecin dans le service de Génétique oncologique
Prendre en compte les bouleversements psychologiques
Maintenir la place sociale de la patiente
Témoignage de patiente
Entretien : Dr Pascale This, gynécologue-endocrinologue,
sur fertilité et cancer du sein
Eduquer à la nutrition
Prendre soin du corps et pallier les séquelles esthétiques
p 15
p 16
p 17
De la recherche fondamentale à l'innovation médicale
Entretien : Sergio Roman Roman,
chef du département de Transfert
p 19
p 20
Les facteurs de risque
Identifier les familles à risque
Identifier et caractériser de nouveaux gènes de prédisposition
Vers de nouvelles thérapeutiques ciblées
Le potentiel des anticorps anti-Tn
Privilégier les cancers « orphelins »
Identifier les risques de métastases et de récidives
Vers un profil génétique spécifique des tumeurs à risque de récidive
Découvrir « leur marque spécifique»
Comprendre le développement des métastases
Les cellules tumorales circulantes
Repérer ces cellules pour prédire les risques
Repérer les cancers à fort risque invasif
Evaluer l'efficacité des traitements
Comprendre le développement tumoral
Les mécanismes de formation et de modification
de la glande mammaire
Facteurs épigénétiques et diversité des cancers
Des erreurs dans la lecture des gènes
Chromosome X et survenue du cancer
Entretien : Dr Olivier Delattre,
directeur délégué à la recherche biomédicale
du Centre de Recherche
p 31
Être présent sur tous les fronts grâce aux interactions
entre médecins et chercheurs
p 32
Références bibliographiques
p 33
Contact presse
Catherine Goupillon-Senghor
Céline Giustranti
[email protected] 01 56 24 55 23
[email protected]
01 56 24 55 24
phototheque.curie.fr
[email protected]
www.curie.fr
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Les cancers du sein, enjeux de santé publique
Cancer féminin le plus fréquent et deuxième cancer après celui de la prostate, le cancer du sein est
un problème majeur de santé publique. En 2008, 51 000 nouveaux cas de cancer du sein ont été diagnostiqués en France (1). On estime ainsi qu’une femme sur 9 développera un cancer du sein au cours
de sa vie.
L'augmentation de 138 % du nombre de cas en 25 ans - entre 1980 et 2005 - s'explique en partie par
l'allongement de la durée de la vie et le développement du dépistage. Certaines études pointent également
du doigt l'évolution des facteurs de risques environnementaux ou comportementaux, comme l'âge des femmes à la naissance du premier enfant et l'utilisation de certains traitements hormonaux de la ménopause.
Il semble que, comme dans d'autres pays développés, cette progression se soit récemment arrêtée. On
constate même parfois une inversion du phénomène. Même si les changements d'habitudes vis-à-vis
des traitements hormonaux sont souvent évoqués, un peu de recul sera nécessaire pour réellement
comprendre cette diminution.
En revanche, une baisse de la mortalité (- 1,3 % selon le rapport de l’InVS de 2005) est constatée sur cette même période.
Elle s'explique pour moitié par les progrès thérapeutiques et pour
moitié par le développement du dépistage et les améliorations du
diagnostic qui permettent aujourd'hui, grâce à des techniques de
plus en plus performantes, une prise en charge très précoce des
cancers du sein.
Les chiffres-clé
n 1 femme sur 9 développera un
cancer du sein
n 51 000 nouveaux cas de cancers
du sein en France en 2008 (1)
n 11 700 décès par cancer du sein
en France en 2008 (1)
n 5 à 10 % de formes héréditaires de
cancers du sein
Le diagnostic de cancer du sein se fait en effet à un stade de plus
en plus précoce : 15 % des cancers du sein étaient dépistés au
stade de petite tumeur (stade T0-1) soit une taille inférieure à
2 cm en 1980, contre 50 % aujourd'hui (2). Or plus le cancer est petit au moment de sa découverte,
plus efficace sera son traitement. Dans ce contexte, on ne peut qu'encourager les femmes à participer
au dépistage organisé au niveau national.
De plus, précise le Dr Brigitte Sigal, directeur délégué pour la sénologie à l'Institut Curie, « grâce
aux techniques d'imagerie médicale les plus récentes et aux prélèvements réalisés en sénologie
interventionnelle, le diagnostic, l’évaluation de l’extension de chaque tumeur et la caractérisation
biologique sont de plus en plus précis, ce qui permet de proposer le traitement le plus adapté à
chaque patiente. »
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Des cancers du sein très différents
Il n'y a pas un cancer du sein mais des cancers du sein. En
fonction des caractéristiques biologiques des cellules à partir desquelles un cancer s’est développé et selon le stade
d'évolution au diagnostic, la prise en charge est différente.
La glande mammaire se compose principalement de lobules où est produit le lait et des canaux servant à son transport. Les phases initiales des cancers du sein se développent à partir des cellules épithéliales des canaux ou
des lobules.
Tant que les cellules cancéreuses restent confinées au
niveau des canaux ou des lobules, les cancers sont dits
« in situ ».
En revanche, à partir du moment où les cellules cancéreuses ont traversé la membrane, dite « basale »
des canaux ou des lobules et sont présentes dans les tissus avoisinants, le cancer est infiltrant. Les cellules cancéreuses peuvent se propager soit dans les ganglions situés sous l’aisselle (ganglions axillaires),
soit par voie veineuse.
Une classification de plus en plus fine
À ce jour, les médecins diagnostiquent le cancer et le classent morphologiquement à partir de l'analyse
de certains critères : type histologique, taille de la tumeur, taux de prolifération cellulaire, éventuel
envahissement ganglionnaire, analyse de la présence de récepteurs hormonaux (œstrogènes
et/ou progestérone), surexpression de la protéine HER2. Ces paramètres permettent ensuite de
déterminer le traitement le plus adapté pour la patiente.
Récemment, cette classification s'est encore affinée grâce à l'émergence des analyses génomiques et
de leur application en clinique. Elles permettent ainsi de distinguer des types moléculaires différents :
“luminal”, “basal-like”… Les signatures moléculaires - profil de gènes - permettront à l’avenir d’affiner
encore le pronostic.
Les traitements classiques
Le traitement des cancers du sein repose, en première intention, sur la chirurgie. Quand le diagnostic
est suffisamment précoce, l'acte chirurgical peut se limiter à une tumorectomie : la tumeur est enlevée
en préservant au maximum la glande mammaire.
Ce traitement conservateur est systématiquement associé à la radiothérapie, afin de réduire de façon
importante les risques de récidives locales.
Cependant, il existe un nombre non négligeable de situations où l'ablation complète du sein - mammectomie - s'impose : récidive après traitement conservateur, cancer multicentrique ou multifocal, prédisposition génétique (mutation de BRCA1/2) et parfois demande spécifique de la patiente. Dans ces cas, une
reconstruction mammaire est proposée à la patiente.
La chimiothérapie peut être prescrite à divers stades de la maladie. Elle est parfois administrée avant
l'acte chirurgical - chimiothérapie néo-adjuvante - pour réduire la taille de la tumeur et permettre ainsi
un traitement chirurgical conservant le sein ; elle peut également être prescrite après l'acte chirurgical chimiothérapie adjuvante - pour réduire significativement le risque de rechute à distance.
L'hormonothérapie est destinée aux femmes dont la tumeur est porteuse de récépteurs hormonaux
positifs, soit plus de 80 % des cas.
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A l'Institut Curie, une expertise historique et globale
Plus de 50 % des patients pris en charge à
l'Institut Curie viennent pour un cancer du sein.
Centre de référence en France pour la prise en charge
de cette pathologie, l'Institut Curie accueille chaque
année plus de 3 500 patientes atteintes de cancer du
sein, dont près de 1 800 nouvelles patientes.
Le cancer du sein à l'Institut Curie en chiffres
Plus de 50 % des patients traités à l'Institut Curie
viennent pour un cancer du sein, soit en 2007,
n 3 543 patientes dont près de 1 800 nouvelles
patientes
n 2 267 patientes opérées
n 967 patientes traitées par radiothérapie
n 4 711 mammographies
n 3 134 échographies du sein
n Plus de 3 500 prélèvements diagnostiques
« Depuis toujours, l'Institut Curie participe à l'amélioration de la prise en charge des femmes atteintes
de cancer du sein, de la mise au point de nouvelles
stratégies thérapeutiques à la poursuite des recherches pour faire progresser les connaissances sur
cette pathologie. Ainsi 10 % des patientes prises en
charge participent à des essais cliniques »
souligne le Dr Brigitte Sigal, directeur délégué à la sénologie.
L'un des concepts majeurs qui a émergé au cours de ces dernières années est la prise en charge globale
des patientes avec un accompagnement à chaque étape de la maladie et notamment la prise en
compte des répercussions psychologiques et sociales. Dans ce contexte, citons notamment la systématisation des consultations d'annonce et de propositions thérapeutiques, la formalisation des
consultations infirmières qui représentent un temps privilégié pour éclaircir certains aspects du traitement et identifier les patientes en détresse mais aussi l'essor du suivi psychologique, l'accompagnement des membres de la famille (conjoint et enfants), les conseils des diététiciennes, l'implication des
assistantes sociales…
L'Institut Curie est le centre français le plus complet pour la
prise en charge des cancers du sein. Il possède une expertise
historique et internationalement reconnue : c'est à l'Institut Curie
qu'a été découvert en 1932, le rôle des œstrogènes dans la cancérogénèse mammaire, et qu'ont eu lieu les premiers traitements
du cancer du sein par radiothérapie exclusive en 1939. Depuis
lors, la prise en charge des malades et les connaissances scientifiques et médicales n'ont cessé d'évoluer et permettent de mettre
les meilleures compétences et les techniques les plus performantes au service des patientes, à tous les stades de la maladie.
L'Institut Curie est classé premier
au « Palmarès 2009 des hôpitaux de
France » (Le Point) pratiquant la chirurgie des cancers du sein. C'est la
cinquième fois que l'expertise des chirurgiens de l'Institut est ainsi couronnée. Ce résultat est le fruit du travail en
équipe pluridisciplinaire et de l'incessante amélioration des savoir-faire.
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Les thérapies « classiques » se renouvellent sans cesse
Chirurgie des cancers du sein : l'ère de l'oncoplastie
En ce qui concerne la prise en charge chirurgicale des cancers du sein, une « école Curie » s'est développée : elle privilégie les traitements conservateurs, c’est-à-dire
conservant le sein. Elle a su s'adapter aux évolutions de la
prise en charge, suite à l'augmentation du nombre de cancers, au dépistage précoce, à la généralisation de la pluridisciplinarité et à l'information apportée aux patientes.
Le département de Chirurgie, dirigé par le Dr Rémy
Salmon, propose une couverture globale de la pathologie
mammaire : diagnostic, traitement conservateur, chirurgie
oncoplastique, mammectomie, chirurgie prophylactique et
reconstruction mammaire. Si tous les chirurgiens de
l’Institut Curie pratiquent la chirurgie du sein, certains ont
développé des domaines d'expertise spécifique : le Dr
Fatima Laki est spécialisée dans la chirurgie chez les
femmes âgées, les Drs Alfred Fitoussi, Benoît Couturaud
et Fabien Reyal se consacrent à la chirurgie oncoplastique, les Drs Séverine Alran et Virgine Fourchotte possèdent une expertise dans la prise en charge des pathologies gynécologiques des femmes à risque.
Le chirurgien, acteur-clé de la
pluridisciplinarité
Pour anticiper au mieux les conséquences
esthétiques - et sous l'impulsion des chirurgiens - l'ensemble des spécialistes (chirurgiens, radiothérapeutes et chimiothérapeutes)
évaluent les diverses possibilités de traitements avant la chirurgie pour optimiser la
prise en charge et minimiser les séquelles (3).
« La systématisation de ces réunions multidisciplinaires a notamment permis de réduire le
nombre de patientes subissant une mammectomie et d'augmenter la participation aux essais
cliniques » précise le Dr Rémy Salmon.
Les patientes présentant un cancer de petite taille situation de plus en plus fréquente en raison du développement du dépistage - bénéficient le plus souvent d'un
traitement conservateur. « L'Institut Curie a été l'un des
précurseurs de ces traitements qui évitent l'ablation
du sein et préservent au maximum l'intégrité corporelle » rappelle le Dr Rémy Salmon. En adéquation
avec cet objectif, en 1997, le département de Chirurgie a mis au point la technique du ganglion sentinelle pour évaluer l'extension initiale de la maladie dans les cancers du sein invasifs (4). Cette technique consiste à repérer le premier relais de la chaîne ganglionnaire axillaire, qui reçoit les vaisseaux lymphatiques issus de la tumeur primitive, afin d'y recherche la présence éventuelle de cellules tumorales.
Jusqu'à présent réservée aux petites tumeurs, les chirurgiens étudient les possibilités d'étendre cette
technique à des tumeurs du sein plus volumineuses.
Le choix de la reconstruction
Une étude française (5) qui a interrogé 181 femmes atteintes de cancer du sein avant la mammectomie,
montre que 80 % optent pour la reconstruction (immédiate pour 83 % d'entre elles) versus 20 % qui
choisissent la mammectomie simple. Une étude australienne plus restreinte (6) identifie les facteurs
retrouvés en faveur du choix de la reconstruction : ils concernent avant tout le désir de « se sentir entière »,
puis l'évitement du recours aux prothèses externes, la possibilité de s'habiller normalement, le sentiment
retrouvé de féminité.
Néanmoins, lorsqu’une radiothérapie post-opératoire est prévue, la qualité de la reconstruction immédiate
par prothèse est médiocre, ce qui nécessite un deuxième temps de chirurgie plus complexe.
7
Toutefois, en fonction de la localisation du cancer et du rapport entre la masse tumorale et le volume du
sein, les résultats esthétiques après une chirurgie conservatrice peuvent varier.
Les chirurgiens sénologues doivent anticiper la qualité des résultats par la connaissance des autres traitements et de leurs actions sur les cicatrices et le volume mammaire. A l'Institut Curie, ils proposent ainsi aux
patientes les interventions entraînant le minimum de séquelles esthétiques, tout en assurant une élimination complète de la tumeur.
Ces dernières années ont été marquées par le développement des techniques de chirurgie plastique en cancérologie. Les chirurgiens ont notamment formalisé les techniques d'oncoplastie, en associant à chaque région mammaire une technique spécifique (2). « A l'Institut Curie la chirurgie oncoplastique est venu logiquement compléter l'expertise sur les traitements conservateurs » ajoute le
Dr Rémy Salmon.
Il est également possible de recourir à la chirurgie pour retirer les métastases de cancer du sein qui
peuvent survenir dans le foie et le poumon. La chirurgie s’intègre alors à une stratégie en association
avec les traitements médicaux. Les métastases ne sont opérées qu’après avoir été stabilisées ou
réduite par ces traitements médicaux.
La chirurgie permet dans des cas précis des survies prolongées, voire des guérisons. Ainsi, précise le
Dr Rémy Salmon « La résection chirurgicale des métastases viscérales est devenue une part intégrante
de la prise en charge de l'évolution des cancers. » L'atteinte hépatique seule est bien sûr rare, elle représente environ 10 % des évolutions métastatiques et parmi ces métastases hépatiques seules 10 % vont
pouvoir bénéficier d’un geste chirurgical. Mais la fréquence élevée des cancers du sein permet néanmoins, dans les centres spécialisés, comme l'Institut Curie, d'avoir assez fréquemment recours à la «chirurgie adjuvante» dans le traitement de la maladie métastatique.
Suite à un appel d'offres de l'Institut National du Cancer (INCa), le service d'Information médicale
de l’Institut Curie dirigé par le Dr Alain Livartowski vient de publier l' valuation m dico- conomique de la
technique du ganglion sentinelle dans le traitement chirurgical des cancers du sein.
Cette évaluation montre que la technique du ganglion sentinelle permet d'éviter un curage axillaire inutile dans
72 % des cas, de diminuer les séquelles tardives au niveau du bras et cela sans augmenter les coûts.
Il est même possible d'envisager une diminution supplémentaire des coûts si des incitations sont mises en place
pour diffuser les meilleures pratiques et réaliser certaines interventions en ambulatoire.
Radiothérapie : mieux cibler la tumeur pour accroître la dose d'irradiation
Berceau historique de la radiothérapie, l'Institut Curie contribue depuis toujours à l'évolution de cette technique centenaire grâce notamment à un plateau technique de radiothérapie parmi les plus complets
d'Europe.
Les progrès de l'imagerie médicale, de l'informatique et des équipements ont eu d'importantes répercussions sur la radiothérapie des cancers du sein. Grâce au scanner, les oncologues radiothérapeutes reconstruisent en 3 dimensions le volume de la tumeur et des organes avoisinants. A partir de cette reconstitution, véritable « malade virtuel », ils déterminent pour chaque patient la technique qui leur semble optimale
afin d’irradier à un niveau de dose thérapeutique un volume défini comme cible en épargnant au maximum
les tissus voisins.
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Le radiothérapeute, diffuseur d’innovations
Les oncologues radiothérapeutes de l'Institut Curie diffusent leur expertise sur la radiothérapie des cancers du
sein au niveau national et international ; ils organisent notamment, chaque année, un atelier avec 15 à 20 radiothérapeutes français. Ils sont également les auteurs d'un atlas intitulé « Aide au contourage dans le cadre de
la préparation d'une radiothérapie d'un cancer du sein ». Ce guide pratique décrit les données anatomiques
pour la définition précise et la reconstitution 3D du sein et des aires ganglionnaires.
Améliorer l'efficacité sur tous les fronts
Le département de Radiothérapie, dirigé par le Dr Alain Fourquet, dispose d’un panel d’appareils de
radiothérapie, ce qui permet de proposer aux patients la radiothérapie la plus appropriée et limitant au
maximum les séquelles.
Ainsi, depuis plusieurs années, la radiothérapie conformationnelle est utilisée. « Cette technique
permet de mieux cibler les volumes d’irradiation et donc de préserver au maximum les tissus sains avoisinants. Tout en limitant les séquelles de l'irradiation et les effets secondaires au niveau cardiaque et
pulmonaire, cela permet de délivrer une dose plus homogène (50 Gy) à l'ensemble du volume-cible »
explique le Dr Alain Fourquet.
Des études pour utiliser la radiothérapie conformationnelle avec modulation d'intensité par tomothérapie dans les cancers du sein ont débuté en 2008. « Cette radiothérapie guidée par l'image optimise
l'adaptation de la dose d'irradiation au volume tumoral, limite l'exposition des organes sains et, à terme,
permettra une augmentation de la dose délivrée pour mieux éliminer la tumeur » ajoute le Dr Alain
Fourquet.
En 2004, le département de Radiothérapie a été le premier en France à mettre en place la radiothérapie asservie à la respiration. Le sein traité pouvant parfois se déplacer de façon importante du fait des
mouvements respiratoires, ce mode de radiothérapie prend en compte ces déplacements et limite ainsi
les irradiations des tissus sains.
Dans certaines situations fréquentes, les médecins radiothérapeutes utilisent une technique de positionnement particulière en position latérale (décubitus latérale), qui évite entièrement l'irradiation du cœur et
du poumon sous-jacent. Cette technique, particulièrement adaptée lorsque le volume du sein est important, reçoit des améliorations innovantes continues, sous la direction du Dr François Campana et de
Mme Nathalie Fournier-Bidoz, physicienne médicale.
Le Dr Youlia Kirova poursuit, quant à elle, des recherches concernant la définition du volume tumoral et
l'augmentation de dose. Elle évalue l'intérêt d'effectuer un scanner avant et après la chirurgie conservatrice du sein afin d'obtenir une représentation en 3D plus précise du volume cible
Un essai européen, auquel ont largement participé les patientes traitées à l'Institut Curie a montré qu'une
augmentation de dose, appelé Boost, de 16 Gy au niveau du lit opératoire après une chirurgie conservant
le sein réduisait significativement le risque de récidive (7). Ces conclusions ont permis la mise en place
d'un nouvel essai (Young Boost Trial), mené en collaboration avec des médecins radiothérapeutes hollandais, qui évalue l'intérêt d'augmenter encore cette dose chez les femmes de moins de 51 ans.
Parallèlement, des études biologiques seront réalisées afin d'établir un lien entre signature génomique
et réponse thérapeutique.
9
En parallèle, une étude en cours compare la dosimétrie d'une radiothérapie classique avec augmentation localisée de la dose, à une même radiothérapie utilisant la tomothérapie, afin d'évaluer les avantages de ces deux techniques.
Enfin, des études biologiques réalisées par le Dr Marc Bollet recherchent le lien entre les paramètres
génétiques tumoraux et le risque de récidive.
Ainsi, la multiplication des approches et des techniques disponibles offre la possibilité de proposer aux
patientes un traitement de mieux en mieux adapté à leur morphologie et à leurs caractéristiques tumorales.
Tenir compte des spécificités de chaque patiente…
L'incidence des cancers du sein est à son maximum à 55 ans, mais les spécialistes sont amenés à traiter de plus en plus de patientes âgées. Le département de Radiothérapie étudie la possibilité de réduire
le nombre de séances de radiothérapie chez les patientes les plus âgées. Ils ont notamment comparé
le devenir de patientes fatiguées de plus de 80 ans traitées entre 1995 et 1999 pour une tumeur non
métastatique du sein par 5 séances de radiothérapie (dose totale 32,5 Gy, 1 fraction de 6,5 Gy par
semaine, pendant 5 semaines), avec celui des patientes de plus de 70 ans ayant eu 25 séances (dose
totale 50 Gy, en 5 fractions de 2 Gy par semaine, pendant 5 semaines).
Les résultats de cette étude rétrospective, pour un suivi médian approchant 8 ans, ne montrent pas de
différence significative entre les deux traitements adjuvants en termes de survie spécifique, de survie
sans récidive locale et de survie sans métastase (8). Néanmoins, les médecins préconisent la confirmation de ces résultats par des études prospectives sur une plus large échelle.
La flore bactérienne dans les plaies tumorales
L'infiltration des cellules tumorales dans les tissus cutanés, les vaisseaux sanguins ou lymphatiques est à l'origine de la survenue de plaies dites tumorales. Les types de plaies mais aussi leurs symptômes sont très
variés. Isabelle Fromantin, infirmière spécialisée en plaies et cicatrisation, et Vincent Semetey de
l'équipe « Architecture moléculaire et macromoléculaire des fluides organisés et des interfaces » coordonnent un projet de recherche sur la flore bactérienne présente dans ces plaies. Leurs objectifs : identifier des germes responsables de symptômes non controlés et rechercher un lien entre leurs évolutions cliniques et les données bactériologiques. Les types de symptômes dépendent de la nature des plaies et il serait
intéressant de mieux les connaître afin de chercher des solutions pour les patientes.
… et des autres traitements reçus
La radiothérapie est le plus souvent associée à d'autres traitements, et notamment aux thérapies
ciblées. Or le cumul d'actions thérapeutiques distinctes peut entraîner des effets secondaires supplémentaires.
A l'Institut Curie, le Dr Marc Bollet étudie les effets secondaires liés à l'administration concomitante de
la radiothérapie et de certaines chimiothérapies, de l'hormonothérapie, et des traitements ciblés, particulièrement le Trastuzumab (Herceptin®) et les inhibiteurs de l'angiogénèse.
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L'essor des thérapies ciblées
Le pronostic des cancers du sein s'est amélioré depuis une quinzaine d'années, grâce notamment au
développement des thérapies dites ciblées comme le trastuzumab (Herceptin®) et l'hormonothérapie
avec les inhibiteurs d'aromatase.
De par son expertise, l'Institut Curie participe à de nombreux essais cliniques sur le cancer du
sein. A ce titre, les oncologues médicaux sont impliqués dans l'émergence de ces nouvelles stratégies
thérapeutiques - thérapies ciblées, anti-angiogénèse… - ou dans l'extension des indications de ces
molécules.
En 2004, le département d'Oncologie médicale dirigé par le Dr Laurent Mignot a ainsi coordonné une
étude auprès de 200 patientes. Cette étude a établi l'intérêt d'administrer un taxane avant l'acte chirurgical, pour réduire la taille de la tumeur et éviter la mammectomie (9).
De nombreux essais cliniques en cours
Des signatures génomiques pour prédire l'évolution tumorale…
Parallèlement au développement des nouvelles molécules vient s'ajouter l'essor des connaissances
sur la génomique des cancers du sein. L'Institut Curie participe entre autre à l'essai Mindact, une
étude internationale qui vise à comparer la signature moléculaire dite « d'Amsterdam », connue aussi
sous le nom de MammaPrint®, - établie par le Netherlands Kancer Institute - aux facteurs clinico-pathologiques classiques permettant de prédire l'agressivité d'une tumeur sans envahissement ganglionnaire.
Une signature de bon pronostic pourrait éviter une chimiothérapie adjuvante, lourde, coûteuse et dans
ce cas inutile, à une fraction des patientes. L'essai a récemment été étendu aux patientes ayant 1 à 3
ganglions présentant un envahissement par des cellules tumorales. L'Institut Gustave-Roussy et
l'Institut Curie sont les deux premiers centres recruteurs en France pour cet essai.
…et la réponse aux traitements
En janvier 2009, l'Institut Curie a lancé avec l'Institut de cancérologie Gustave-Roussy et le Centre
René-Huguenin, l'essai Remagus 04, le premier essai clinique académique dans lequel le choix de la
chimiothérapie pré-chirurgicale ou néo-adjuvante, pour les femmes atteintes de cancer du sein est
déterminé par l'expression des gènes de la tumeur. En résumé, cet essai permet d'accroître l'efficacité de la chimiothérapie néo-adjuvante et ainsi le nombre de patientes dont la réduction du volume
tumoral est suffisante pour ensuite pouvoir bénéficier d'une chirurgie conservatrice.
Remagus 04 nécessite une forte structuration autour d'une plate-forme génomique, en l'occurrence celle
de l'Institut Curie, pour que les analyses soient réalisées en moins de 15 jours et soient ainsi compatibles avec la prise en charge clinique. L'objectif principal est de proposer une chimiothérapie « sur
mesure » plus efficace à chaque patiente et donc d'accroître le nombre de femmes bénéficiant de traitements conservateurs.
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Des thérapies de plus en plus spécifiques
La découverte de cibles spécifiques à certaines cellules tumorales a ouvert la voie aux thérapies ciblées parmi lesquelles on peut
distinguer 2 grandes familles : les molécules bloquant la croissance tumorale et les anti-angiogéniques bloquant la vascularisation de la tumeur.
En ce qui concerne la première stratégie, une cible a été découverte à ce jour dans 20 à 25 % des cancers du sein : le récepteur
HER2. Activé, ce récepteur provoque la prolifération cellulaire ; sa
surexpression dans les cancers du sein a longtemps été synonyme de mauvais pronostic, jusqu'au jour où un anticorps ciblant
ce récepteur a été découvert : trastuzumab (Herceptin®).
D'autres molécules (lapatinib, pertuzumab ou les inhibiteurs de
mTOR) agissant sur la cascade de signalisation déclenchée par
ce récepteur sont désormais en phase d'essais cliniques.
Quant à l'angiogenèse, ce processus est impliqué dans le développement de nouveaux vaisseaux sanguins et, à ce titre, joue un
rôle primordial à la fois dans la vascularisation - formation des
vaisseaux sanguins - qui assure la croissance des petites
tumeurs, et dans le développement métastatique. Le VEGF
(Vascular Endothelial Growth Factor), l'un des acteurs clé de l'angiogenèse, est fréquemment surexprimé dans le cancer du sein,
particulièrement dans les formes inflammatoires, et est associé à
Témoignage
Chantal, traitée pour une récidive de
cancer du sein, a participé à un essai
clinique : « C'était un espoir pour moi ! »
En 2003, j'ai été diagnostiquée pour un
cancer du sein, traitée par chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie, puis considérée
comme guérie. Deux ans plus tard, la maladie a repris, sous une forme très agressive.
Heureusement, les connaissances médicales avaient évoluées et l'on m'a proposé de
participer à un essai clinique. J'ai signé
immédiatement car, dans mon esprit, le
retour de la maladie signifiait la mort sûrement et la vie peut-être. Pour conclure, je
dirai que c'est extrêmement rassurant de
participer à un essai clinique.
Extrait de la conférence des Mardis de
l'Institut Curie « La recherche clinique : enjeux
et aspects éthiques » du 27 novembre 2007.
un pronostic défavorable.
De par leur expertise, les oncologues-médicaux de l'Institut Curie, et particulièrement l'unité
d'Investigation clinique dirigée par le Dr Véronique Diéras, participent à de nombreux essais cliniques
internationaux.
En chimiothérapie adjuvante, l'essai international ALTTO
évalue l'efficacité de l'association de lapatinib, de trastuzumab (Herceptin®) et d'une chimiothérapie séquentielle
chez des patientes dont la tumeur surexprime HER2.
Traitement par voie orale, le lapatinib agit en bloquant l'activité tyrosine kinase de deux oncogènes, EGFR (HER1) et
HER2, ce qui bloque la cascade de signalisation à l'origine de la prolifération anarchique des cellules tumorales.
En outre, à la différence du trastuzumab (Herceptin®), le
lapatinib diffuse au niveau cérébrale.
Pour les cancers du sein dits « triple négatifs » - cancers de mauvais pronostic car ils ne sont ni sensibles au trastuzumab (Herceptin®), ni à l'hormonothérapie et qui représentent 10 à 15 % des cancers
du sein -, le Dr Paul Cottu du département d'Oncologie médicale coordonne à l'Institut Curie les inclusions dans l'essai international BEATRICE. Cet essai évalue un traitement anti-angiogénique par bevacizumab (Avastin®). Cet anticorps cible spécifiquement le récepteur VEGF.
Pour les cancers du sein ayant déjà développé des métastases, le Dr Véronique Diéras coordonne plusieurs projets de recherche clinique, principalement axés sur de nouvelles stratégies pour contrecarrer la
résistance au traitement par trastuzumab (Herceptin®).
Ainsi, l'efficacité de la combinaison de nouvelles molécules telles que le lapatinib, le pertuzumab ou les
inhibiteurs de mTOR, au trastuzumab (Herceptin®) sont actuellement en cours d'évaluation.
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Un autre essai clinique évalue l'intérêt d'associer le traztuzumab (Herceptin®) qui semble accroître l'angiogenèse, et un traitement anti-angiogénique, en l'occurrence, le bevacizumab (Avastin®).
Toujours pour les formes de cancers du sein avec métastases, les essais cliniques se poursuivent pour
valider l'efficacité de l'anti-angiogénique bevacizumab (Avastin®), mais aussi, à travers l'essai ATHENA,
pour essayer d'identifier des sous-populations de patientes qui bénéficieront le plus de cette molécule.
Un autre anti-angiogenique, le sunitinib (Sutent®), est également proposé aux patientes atteintes d'une
forme avancée de cancer du sein dans le cadre d'un essai clinique international. Il cible plusieurs récepteurs.
Par ailleurs, l'Institut Curie participe à un essai de phase I/II évaluant l'efficacité de l'association du trastuzumab (Herceptin®), du docetaxel (Taxotere®) et du lapatinib dans les cancers du sein présentant des métastases.
Comment le système immunitaire permet à Herceptin® d'agir ?
Actuellement le mécanisme d'action de l'Herceptin® n'est pas encore clairement élucidé, en particulier, la
composante immunologique de son efficacité reste sujette à controverse.
A l'Institut Curie l'équipe de Vassili Soumelis dans le pôle d'Immunothérapie et l'unité d'investigation clinique
dirigée par le Dr Véronique Diéras se proposent donc d'étudier la composante immunologique du mécanisme
d'action de l'Herceptin®. Avec un objectif précis : identifier les facteurs immunologiques prédictifs de la
réponse aux traitements à base d'Herceptin®. Le bénéfice clinique de l'Herceptin® a en effet des limites.
D'une part, la majorité des patientes ne répondent pas à ce traitement et d'autres part, parmi les autres, les
réponses varient et la plupart des tumeurs sensibles développeront une résistance à l'Herceptine® en moins
de 12 mois.
L'étude clinique qui va donc débuter consistera à évaluer « l'état » du système immunitaire des patientes avant
et après un traitement néoadjuvant par Herceptin®. Cette analyse se fera au niveau du sang et de la tumeur.
Les résultats, attendus dans 2 à 3 ans, devraient permettre d'adapter l'utilisation d'Herceptin® aux caractéristiques des patientes, d'expliquer certains phénomènes de résistances des tumeurs à ce traitement et par
voie de conséquence de trouver des moyens d'augmenter l'efficacité de cet anticorps thérapeutique.
L'hormonothérapie pour bloquer la croissance des tumeurs
L'hormonothérapie est destinée aux femmes ayant une tumeur du sein hormono-sensible, définie par la
présence de récepteurs d'estrogènes et/ou de progestérone, ce qui correspond à plus de 60 % des cancers du sein. Le principe de l'hormonothérapie est simple : bloquer l'action des oestrogènes qui favorisent
la croissance des cellules cancéreuses. Selon le médicament prescrit, soit ils se fixent sur les récepteurs
hormonaux prenant ainsi la place des hormones et les empêchent d'agir, soit ils bloquent la synthèse des
oestrogènes.
Le type d'hormonothérapie de première ligne dépend du statut pré- ou post-ménopausique : chez les femmes pré-ménopausées, il s'agit du tamoxifène ; alors que les inhibiteurs d'aromatase sont prescrits uniquement chez les femmes post-ménopausées.
Toutefois, certaines patientes post-ménopausées ont des caractéristiques pharmacogénétiques qui rendent leur tumeur plus sensible au tamoxifène. Une étude à laquelle participe le Dr Patricia de Cremoux du
département de Biologie des Tumeurs est en cours pour essayer de prédire la sensibilité au tamoxifène
grâce à des paramètres biologiques et ainsi d'optimiser le choix de l'hormonothérapie de première ligne.
13
Entretien
Dr Véronique Diéras, responsable de l'unité d'Investigation clinique
Quels sont les grandes (r)évolutions qui ont modifié la prise en charge des cancers
du sein ?
V. D. : Il y a 20 ans, le traitement du cancer du sein était fonction de l'âge de la patiente, de
la taille de sa tumeur et de la présence de cellules tumorales dans les ganglions. Aujourd'hui,
grâce à l'essor de la biologie moléculaire, on peut classer les cancers du sein suivant leurs
caractéristiques moléculaires et proposer des traitements spécifiques comme l'hormonothérapie (tamoxifène ou
inhibiteur de l'aromatase) pour les cancers présentant des récepteurs hormonaux ou le trastuzumab (Herceptin®)
pour celles ayant une amplification de HER2.
Ces nouvelles molécules, administrées après le traitement local, réduisent significativement le risque de rechute.
Ainsi, l'Herceptin® diminue de 50 % le risque de rechute et ce, pour des cancers qui étaient, avant la découverte
de cet anticorps, considérés comme de mauvais pronostic.
Et à l'avenir, cette classification devrait encore s'affiner notamment, en ajoutant les données moléculaires concernant l'hôte à celle de sa tumeur (pharmacogénétique).
Quels sont les grands progrès à venir qui ont été présentés lors du dernier congrès de l'American Society
of Clinical Oncology (ASCO), qui s'est déroulé en juin 2009 en Floride ?
V. D. : Ils résident d'une part, dans la recherche de solutions pour contrer les résistances à l'Herceptin® qui finissent
par apparaître systématiquement - après un temps variable selon les patientes- au cours du traitement. Les essais
cliniques, qui ont lieu principalement sur des formes tumorales avancées, concernent des molécules agissant soit
sur le récepteur HER2 (lapatinib, pertuzumab, neralinib, TDM1), soit sur la cascade de signalisation (inhibiteurs de
mTOR, inhibiteurs HDAC). Ils semblent prometteurs.
D'autre part, les anti-angiogéniques qui ont déjà fait leurs preuves pour les cancers du poumon, du rein… viennent de recevoir leur première autorisation de mise sur le marché pour les formes métastasées de cancers du
sein. Les essais se poursuivent pour identifier des sous-groupes de patientes qui bénéficieront le plus de cette
thérapie.
Pour les cancers du sein dits « triple négatifs » - cancers de mauvais pronostic car ils ne sont ni sensibles au
trastuzumab (Herceptin®), ni à l'hormonothérapie -, une avancée majeure a été obtenue avec les inhibiteurs de
PARP, administrés seuls ou en association avec une chimiothérapie. Les premiers résultats sont très concluants
sur certaines formes de cancers du sein métastasés et devraient rapidement déboucher sur des essais à des
stades plus précoces de la maladie.
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Une prise en charge globale et adaptée à toutes les
étapes de la maladie
Mieux diagnostiquer les cancers du sein
Depuis 2000, l'ensemble des équipements diagnostiques dédiés à l'exploration des lésions mammaires
(mammographie, table de stéréotaxie, échographie) a été rassemblé dans l'unité de Sénologie interventionnelle. Ainsi, tous les examens nécessaires peuvent désormais être réalisés dans la journée et
dans un lieu unique permettant d'obtenir rapidement un diagnostic précis et complet.
A l'Institut Curie, au-delà de la prise en charge de tous les examens d'imagerie qui permettent de détecter, diagnostiquer et évaluer les tumeurs, les médecins du département d'Imagerie médicale dirigé par
le Dr Sylvia Neuenschwander participent activement aux recherches et développements technologiques
de l'imagerie.
En 2004, ils ont dressé le bilan des différents types d'imageries en fonction de leur efficacité pour le suivi
thérapeutique des cancers du sein (10). Au vue de leur étude, l'IRM semble la mieux adaptée pour prédire très tôt l'efficacité d'un traitement administré avant l'acte chirurgical (11).
« Aujourd'hui, une partie de nos recherches porte sur l'évaluation des développements technologiques
de la mammographie numérique plein-champ » souligne le Dr Sylvia Neuenschwander. A titre d'exemple, le Dr Fabienne Thibault participe, en collaboration avec General Electric et l'Institut GustaveRoussy, à l'évaluation clinique de la tomosynthèse en mammographie. Cette technique permet d'obtenir une imagerie en coupes du sein à partir de clichés standards obtenus à des angles différents (rotation du tube à rayons X). Ce dispositif de tomosynthèse devrait améliorer la caractérisation lésionnelle
tout particulièrement en cas de seins denses.
Un autre développement actuellement à l'étude, l'angio-mammographie, offre la possibilité de détecter une vascularisation anormale focale (détection lésionnelle ou caractérisation de lésions mammaires).
La mammographie numérique est alors réalisée après injection de produit de contraste iodé.
« Avec ces développements, la mammographie devrait supplanter l'IRM dans certaines indications pour
lesquelles elle était à ce jour l'imagerie de référence. C'est une solution pour réduire l'encombrement au
niveau des IRM » ajoute le Dr Sylvia Neuenschwander.
Pour améliorer la caractérisation des lésions mammaires, le Dr Alexandra Athanasiou étudie quant à elle
les performances de l'élastographie en échographie. Cette nouvelle technique, développée avec
l'équipe CNRS du physicien Mathias Fink, en plus de fournir une image anatomique, apporte des informations sur l'élasticité des tissus. A terme, les médecins espèrent pouvoir éviter un certain nombre de
biopsies en déterminant de manière précise par élastographie la nature des lésions détectées par
l'échographie standard.
A la frontière entre l'imagerie diagnostique et la stratégie thérapeutique, le Dr Alexandra Athanasiou étudie actuellement les ultra-sons comme traitements locaux des cancers du sein. Cette technique d'ultrasons focalisés - HIFU (high intensity focused ultrasound) - pourrait être utilisée pour traiter localement
de manière non invasive des cancers du sein dans des indications ciblées (contre-indication à une anesthésie par exemple).
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Enfin, l'Institut Curie est devenu un centre de référence dans la prise en charge des femmes à risque
(femmes jeunes, femmes prédisposées). Sous la responsabilité du Dr Anne Tardivon, le suivi de cette
population, qui ne cesse de croître à l'Institut Curie, est très spécifique et actuellement repose essentiellement sur l'IRM.
Rechercher les prédispositions génétiques
En 1991, l'Institut Curie a ouvert les premières consultations d'oncogénétique en France pour les familles à risque de cancer du sein. En effet, 5 à 10 % des cancers du
sein et de l'ovaire seraient dus à une prédisposition génétique majeure, c'est-à-dire associés à un risque tumoral élevé.
Chaque année, le service de Génétique oncologique de
l'Institut Curie, dirigée par le Dr Dominique Stoppa-Lyonnet
également professeur à l'université Paris Descartes, effectue
près de 1 500 consultations et réalise près de 1 000 tests de
recherche de prédisposition au cancer du sein et de l’ovaire.
Parallèlement, il cherche à mieux comprendre l'origine de ces prédispositions génétiques, à identifier de nouveaux gènes impliqués dans les formes familiales de cancer du sein et à repérer les facteurs qui pourraient modifier les risques tumoraux chez les patientes prédisposées (voir p. 22-23).
2 questions à…
Marion Gauthier Villars, médecin dans le service de Génétique oncologique
Une prédisposition suffit-elle pour développer la maladie ?
M. G. V. : Dans le cas du cancer du sein et/ou de l'ovaire, l'altération des gènes BRCA1 ou BRCA2 représente
un facteur de prédisposition génétique majeur. Celle-ci confère à une femme un risque de cancer du sein de 50
à 70 % et un risque de cancer de l'ovaire de 10 à 40 % selon le gène impliqué, au cours de sa vie. L'existence
d'une prédisposition génétique n'implique donc pas un risque de 100 % ou en d'autres termes, le cancer ne va
pas se développer systématiquement. Ainsi, certaines femmes prédisposées atteindront un âge avancé sans
avoir jamais eu de cancer. Il existe d'autres facteurs qui viendront ou non provoquer la survenue d'un cancer.
De nombreux travaux de recherche tendent à les identifier. Quant aux autres types de cancers, les généticiens
estiment que, comme pour les cancers du sein, globalement 5 cas sur 100 seraient liés à des facteurs génétiques conférant un risque élevé. Ces facteurs de prédisposition ne sont pas à confondre avec des facteurs de
susceptibilité qui sont associés chacun à un risque très faible et dont les connaissances n'ont pas encore d'application médicale.
La transmission est-elle systématique ?
M. G. V. : Tous nos gènes sont présents dans nos cellules en double exemplaire, un transmis par notre père et
un par notre mère. Une prédisposition au cancer du sein et de l'ovaire correspond à une altération d'un des deux
exemplaires de BRCA1 ou de BRCA2. On ne transmet à son enfant que la moitié de notre patrimoine génétique. Lorsqu'une femme est porteuse d'une altération, il y a donc un risque sur deux que soit transmis
l'exemplaire altéré à sa fille ou son fils. Ainsi, chacun de ses enfants a une chance sur deux de ne pas avoir reçu
l'anomalie génétique responsable de la prédisposition familiale.
Extrait du Journal de l’Institut Curie n°79
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Prendre en compte les bouleversements psychologiques
En 1998, la prise en charge psychologique a été développée à l'Institut Curie grâce à la création de l'unité
de Psycho-Oncologie, sous la responsabilité du Dr Sylvie Dolbeault, qui dirige actuellement le Département
de Soins de Support. Les psycho-oncologues - psychologues et psychiatres formés à la prise en charge des
patients atteints de cancer - sont amenés à intervenir en hospitalisation ou en ambulatoire, à la demande
du patient ou de son médecin référent. Ils sont principalement centrés sur la prise en charge en cours de
traitement et travaillent en collaboration étroite avec des collègues des Accueils Cancer de la Ville de Paris
dans les situations psychopathologiques survenant à distance des traitements. Les modalités d'aide sont
diverses : évaluation ponctuelle, psychothérapie de soutien, approche systémique, cognitivo-comportementale, psycho-corporelle, approche groupale, prise en charge médicamenteuse si nécessaire. L'unité peut
également prendre en charge les problèmes psychologiques des proches, conjoint et enfants. En 2000, la
prise en compte des difficultés propres aux patientes atteintes de cancer du sein a abouti à la mise en place
de groupes psycho-éducationnels pour les patientes ayant récemment terminé leur traitement. Ce groupe a
évolué récemment vers une proposition de prise en charge spécifique de femmes jeunes.
Récemment, grâce au soutien de l'entreprise Simone Pérèle, une étude a permis d'identifier les difficultés rencontrées par les femmes traitées pour un cancer du sein dans leur vie intime. Plus
de 40 % des femmes ayant répondu à cette enquête estiment en effet que leur maladie ou leur traitement altère leur vie sexuelle. Or, ces difficultés sont rarement, voire jamais, abordées lors du suivi médical. D'où la volonté de l'Institut Curie de sensibiliser les médecins à cette problématique, mais aussi de
travailler avec un réseau de sexologues afin d'aider les patientes à mieux supporter les conséquences
de la maladie.
Maintenir la place sociale de la patiente
La prise en charge des cancers a aussi des répercussions dans
la vie sociale : rupture socio-professionnelle, perturbation de la
vie familiale.
Le service social de l'Institut Curie intervient pour réduire le déséquilibre familial, socio-professionnel et /ou économique lié
à la maladie, tout en favorisant la réinsertion des patientes.
Les assistances sociales évaluent les difficultés sociales et les
modifications de la vie quotidienne générées par la maladie et
conseillent ou orientent en conséquence les patientes. Elles soutiennent aussi les malades et leurs familles en mettant en œuvre
les aides existantes afin de faire coïncider au mieux les contraintes des traitements et le projet de vie des personnes.
Témoignage
Aline, traitée pour un cancer du sein, a
bénéficié de séances de sophrologie :
« c'est comme une bouée pour ne pas
couler »
Quand à l'hôpital de jour de l'Institut Curie on
m'a proposé des séances de sophrologie,
j'ai été enthousiaste ! Une grande chance
car, quelques semaines après ma première
entrevue, j'ai eu un mauvais résultat de scanner cérébral. Et quand « l'unité centrale » fait
défaut, on perd pied.
Subitement, je ne croyais plus en ce corps
malade. J'étais coincée par les angoisses
pour la première fois de ma vie.
Réapprendre les choses essentielles de la
vie, respirer calmement, sentir son corps,
c'est ce que j'ai ressenti dès la première
séance de sophrologie, en solo face à l'infirmière sophrologue.
Extrait du Journal de l'Institut Curie, n°73.
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Entretien
Dr Pascale This, gynécologue-endocrinologue, sur fertilité et cancer
du sein
Quelles sont les conséquences des traitements anticancéreux sur la fertilité future
d'une jeune femme ?
P. T. : Les chimiothérapies peuvent altérer le fonctionnement des ovaires. Leurs effets
varient selon le type de chimiothérapie, l'âge de la femme, les doses prescrites et la susceptibilité individuelle. Toutefois avant 40 ans, les chimiothérapies prescrites pour les cancers du sein entraînent assez peu d'infertilités définitives. En revanche les traitements imposent souvent des
délais, car un arrêt transitoire des règles peut survenir après une chimiothérapie.
De plus, après la chirurgie, la chimiothérapie et/ou la radiothérapie, on propose souvent une hormonothérapie
par tamoxifène, pendant une période de cinq ans. Or le tamoxifène favorise les ovulations et est tératogène
(peut être à l'origine de malformations foetales). Une contraception par préservatifs ou par dispositif intra-utérin
est donc indispensable pendant la durée du traitement.
Comment peut-on préserver la fertilité ?
P. T. : Malgré des avancées récentes et prometteuses, la préservation de la fertilité reste encore aujourd'hui au
stade expérimental, qu'il s'agisse de la congélation d'ovocytes ou d'ovaires, ou de la mise au repos des ovaires pendant la chimiothérapie par des agonistes de la LH-RH.
Bien qu'en pratique cette prescription soit parfois faite par certains oncologues, son effet sur la préservation de
la fertilité est loin d'être établi et les études cliniques doivent se poursuivre.
Enfin, en raison des conséquences sur la pathologie mammaire, la stimulation ovarienne est totalement exclue
chez les femmes ayant été traitées pour un cancer du sein.
Quels conseils donnez-vous aux patientes qui envisagent une grossesse après un cancer du sein ?
P. T. : Dans l'idéal, je conseille aux femmes de respecter un délai d'environ 2 à 3 ans (selon les cas), car le risque de récidive est plus élevé immédiatement après le diagnostic. Ce délai est théoriquement de 5 ans en cas
de prescription de tamoxifène. Quoi qu'il en soit, il faut attendre au moins 1 an après la dernière cure de chimiothérapie, et 2 mois après l'arrêt du tamoxifène afin d'éviter tout risque tératogène.
Par ailleurs, les femmes ayant eu un cancer du sein doivent être accompagnées lors de leur projet de grossesse,
tant par l'équipe de cancérologie et leur obstétricien que par le médecin traitant. En cas d'infertilité, nous travaillons avec le service d'Assistance Médicale à la Procréation du groupe hospitalier Cochin-Saint-Vincent-dePaul (Paris) pour permettre aux patientes de disposer de toutes les informations nécessaires et leur faciliter dans
l'avenir l'accès éventuel à la procréation médicale assistée, notamment au don d'ovocyte.
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Eduquer à la nutrition
Les diététiciennes de l'Institut Curie sont également présentes pour conseiller les patientes tout au long de
leur traitement. L'équipe de Jocelyne Meuric apporte son expertise en évaluation nutritionnelle et son
savoir-faire dans le suivi alimentaire adapté à chacune. Il s'agit de préserver et/ou améliorer le statut nutritionnel des patientes, en effectuant une éducation nutritionnelle et une prise en charge personnalisée,
et de garantir une alimentation saine dans le respect des règles d'hygiène imposées.
Les traitements par chimiothérapie et radiothérapie entraînent parfois des mucites, inflammation de la
muqueuse, le plus souvent localisée au niveau de la bouche et du tube digestif, et des nausées ou des
diarrhées. Il est donc nécessaire pour éviter la dénutrition et la déshydratation des patientes, de proposer
une alimentation adaptée, voire des compléments alimentaires et des apports hydriques spécifiques.
Prendre soin du corps et pallier les séquelles esthétiques
En parallèle à l'accompagnement traditionnel, s'ajoutent les
thérapies corporelles dont l'objectif est d'améliorer le
confort des patientes et leur apporter un certain mieux-être.
La relaxation, la sophrologie, les massages effectués
par des kinésithérapeutes ou des infirmières soulagent des
problèmes spécifiques rencontrés par les patientes. Ces
séances favorisent la reprise des activités et la réappropriation du corps, indispensable au retour à une bonne qualité
de vie.
Les indications prioritaires de ces soins complémentaires
sont les douleurs chroniques, la prévention et la réduction
des nausées et de l'insomnie, le soulagement de l'angoisse et la prévention de la douleur. Ainsi des séances d'hypnose sont proposées lors de la pose d'une chambre implantable ou cathéter1.
Depuis 1998 également, les patientes hospitalisées à l'Institut Curie peuvent bénéficier de soins esthétiques (manucures, soins du visage…) entièrement gratuits. Ces soins leur procurent un moment de
détente, de bien-être et de douceur durant leur hospitalisation.
Depuis mars 2006, l'Institut Curie propose également des dermopigmentations gratuites des sourcils
et des cils. Ce maquillage quasi-permanent permet d'estomper les séquelles dues aux traitements et aide
ainsi les patientes à retrouver une part de leur féminité.
Ces initiatives s'inscrivent dans le cadre de l'orientation générale poursuivie depuis plusieurs années par
l'Institut Curie visant à améliorer constamment la qualité de vie des patientes.
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De la recherche fondamentale à l'innovation médicale
Une meilleure connaissance des cancers du sein permet désormais dans certains cas de proposer des
traitements ciblés mieux adaptés et plus efficaces.
Mais l'enjeu de santé publique reste très important. Il s'agit de comprendre les multiples formes de
cancers du sein qui engendrent des situations pathologiques très différentes et rendent ainsi le
travail des cliniciens et des chercheurs très complexe.
Alors que dans certains cancers (tumeur d'Ewing par exemple) il existe une signature moléculaire unique qu'il est possible de repérer, dans les cancers du sein, les signatures moléculaires sont nombreuses et encore peu connues à ce jour.
Pour faire avancer les connaissances, de nombreux projets de recherche fondamentale et clinique impliquant des médecins, des soignants et des chercheurs sont en cours à l'Institut Curie, environnement
propice à l'émergence de nouveaux traitements issus des découvertes scientifiques.
Un cours européen pour diffuser les savoirs
Depuis 2008, l'Institut Curie organise un cours européen sur les cancers du sein, de la biologie à la clinique,
sous l'impulsion du groupe sein et co-organisé par le Dr Anne Vincent-Salomon, pathologiste bénéficiant
d'un contrat INTERFACE Inserm dans l'unité dirigée par le Dr Olivier Delattre, le Pr Jean-Yves Pierga, oncologue médical, et le Dr François Radvanyi, biologiste. Tous les 2 ans, 25 internes en médecine ou étudiants
en sciences - doctorants, post-doctorants - sont sélectionnés à travers toute l'Europe pour assister à cet
enseignement de pointe. L'occasion de « familiariser » des étudiants européens de haut niveau à l'univers
de la cancérogenèse mammaire. L'interdisciplinarité des collaborations entre scientifiques et médecins, chère
à l'Institut Curie, crée une masse de connaissances et de savoir-faire qu'il est indispensable de partager.
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Entretien
Sergio Roman-Roman, chef du département de Transfert
La mission du département de Transfert est de promouvoir et de faciliter la recherche
dite translationnelle, de quoi s’agit-il ?
S. R-R. : Il s'agit d'une recherche où interviennent chercheurs et cliniciens dans l'objectif de favoriser le passage des découvertes scientifiques du laboratoire à la pratique
médicale. Ainsi, à l'Institut Curie, pendant plusieurs années, des chercheurs et des cliniciens ont étudié avec opiniâtreté les tumeurs de patientes ayant des cancers du sein de petite taille sans
atteinte ganglionnaire. Ce type de cancer pose un problème de choix thérapeutique car on évalue difficilement le devenir de ces patientes : parfois, cela se passe très bien et il vaudrait mieux diminuer les traitements.
Dans d'autres cas, le cancer va être très agressif sans que l'on sache très bien pourquoi. Il est important de trouver des marqueurs qui puissent nous dire à quel moment et comment traiter les patientes.
La recherche translationnelle, dans ce cas, consiste à analyser en détail les échantillons biologiques des
patientes et à étudier les altérations génétiques portées par les chromosomes des cellules tumorales. Très
récemment (une publication est en cours), on a pu distinguer deux groupes de patientes : celles ayant des
altérations portées par des chromosomes particuliers et dont le pronostic est plutôt mauvais. Et un second
groupe où l'on ne trouve pas ces altérations et dont le pronostic est bien meilleur. On va maintenant pouvoir
proposer au premier groupe de patientes un traitement adéquat au long court après le premier traitement
loco-régional, et plutôt une « désescalade thérapeutique » pour le deuxième groupe. Bien entendu, ces résultats préliminaires doivent encore être confirmés par des études complémentaires, prospectives et à une plus
grande échelle.
Ce transfert ne s'opère donc pas uniquement du laboratoire vers le patient ?
S. R-R. : Effectivement, parmi la vingtaine de projets translationnels actuellement en cours à l'Institut Curie, un
bon nombre reposent sur des observations faites chez les patients. Un autre exemple est éclairant à cet égard,
celui du cancer du sein triple-négatif pour lequel il n'y a pas encore de thérapie ciblée. On ne peut pas utiliser
l'hormonothérapie car les cellules tumorales n'ont pas de récepteur à ces hormones. On ne peut pas utiliser le
trastuzumab (ou Herceptin®) parce qu'elles ne surexpriment pas le récepteur HER2. Il nous reste la chimiothérapie qui n’est pas une solution satisfaisante et dont l’efficacité est parfois limitée. Puis, on ne sait pas quoi faire.
Dans ce cadre, l'Institut Curie a fait une alliance avec le groupe pharmaceutique Servier pour, à partir d'échantillons de patientes « triple négatifs », essayer de trouver des éléments dérégulés dans ces tumeurs. Nous espérons ainsi trouver de nouvelles cibles thérapeutiques et donc de nouveaux médicaments qui seront ensuite
développés par Servier ou d'autres. C'est aussi un exemple de coopération entre l'Institut Curie et un laboratoire pharmaceutique.
21
Les facteurs de risque
Le cancer est une maladie multifactorielle dont l’ensemble des facteurs responsables de son développement n'ont pas encore été identifiés. De même, les facteurs génétiques susceptibles d'intervenir dans
la survenue d'un cancer sont multiples. Identifier et évaluer le rôle de ces facteurs en prenant en compte
l'ensemble des facteurs de risques connus (ou pressentis) et rechercher leurs interactions est le travail
d'enquête auquel se livrent plusieurs équipes de l'Institut Curie. Dans cette tâche, les chercheurs sont
fortement aidés par les avancées des techniques de la génétique moléculaire et de la bio-informatique.
Leur objectif est de mieux estimer les effets des facteurs de risque et permettre in fine une meilleure estimation des risques individuels pour améliorer les stratégies de dépistage et de prise en
charge.
5 à 10 % des cancers du sein diagnostiqués surviennent dans un contexte de prédisposition génétique
majeure. Deux gènes principaux de prédisposition ont été identifiés : BRCA1 et BRCA 2. D'autres
gènes, connus ou inconnus, sont très certainement impliqués dans les cancers du sein héréditaires,
mais leurs altérations pourraient être associées à un risque tumoral plus faible. Ce sont des facteurs
de susceptibilité.
Identifier les familles à risque
Le service de Génétique oncologique dirigé par le Pr Dominique Stoppa-Lyonnet et l'équipe « Génomique
et biologie des cancers du sein héréditaires » dirigée par Marc-Henri Stern se consacrent notamment à
améliorer, à partir de l'étude génétique des tissus tumoraux, la compréhension et le diagnostic des
prédispositions héréditaires aux cancers du sein. En effet, malgré les progrès récents, aucune explication moléculaire à cette prédisposition n'est actuellement retrouvée dans 80 % des cas de cancer du
sein survenant dans un tel contexte. De plus, l'orientation vers la consultation d'oncogénétique - et donc
la recherche de mutations des deux gènes majeurs de prédisposition, BRCA1 et BRCA2 - est très
dépendante de l'histoire familiale. Or un certain nombre de familles potentiellement à risque ne sont pas
identifiées par les critères de sélection habituels (peu de cas, « petite » famille…) et par conséquent ne
bénéficient pas du suivi approprié. Ils recherchent ainsi d'autres moyens d'identifier ces personnes à risque.
Par ailleurs, le risque associé aux mutations BRAC1/2 n'est pas le même dans toutes les familles. Après
avoir défini des sous-groupes en fonction de ce risque, ces deux mêmes équipes étudient la possibilité
d'autres facteurs génétiques pouvant expliquer ces variations.
Identifier et caractériser de nouveaux gènes de prédisposition
L'étude GENESIS (GENE SISter), coordonnée par l'équipe « Épidémiologie des cancers » dirigée par
Nadine Andrieu, en collaboration avec le service de Génétique oncologique du Pr Dominique StoppaLyonnet à l'Institut Curie et l'équipe d'Olga Sinilnikova du Centre Léon-Bérard à Lyon, a pour objectif
d'identifier et de caractériser de nouveaux gènes de prédisposition. Elle repose sur l'étude de paires de sœurs atteintes de cancer du sein - et pour lesquelles aucune mutation des gènes BRCA 1/2 n'a
été identifiée - et de cas témoins (sœurs indemnes et proches non apparentées).
22
Le recrutement de plus de 6 000 personnes nécessaires à cette étude de longue haleine se fait grâce
au Groupe Génétique et Cancer français. Un prélèvement sanguin est nécessaire pour effectuer les
analyses génétiques et un questionnaire permet d'évaluer l'impact d'autres facteurs comme les facteurs
gynéco-obstétriques, l'exposition aux rayonnements ionisants, le poids et le style de vie (tabac, consommation d’alcool, activité physique, etc...). Par ailleurs, l'étude des mammographies permet de prendre
en compte la densité des seins, facteur important de plus en plus souvent considéré comme sérieux et
dont la présence pourrait être aussi d'origine génétique.
Ce vaste projet, qui bénéficie depuis 2006 de subventions de la Ligue Nationale contre le Cancer et de
l'Institut National du Cancer, permettra de savoir notamment s'il existe une combinaison de gènes prédisposant aux cancers du sein.
L'équipe de Nadine Andrieu participe à d'autres études, entre autres GENECAN et GENEPSO, sur les
formes familiales de cancers du sein. Il s'agit notamment de voir si des facteurs environnementaux, de
mode de vie ou des facteurs gynéco-obstétriques peuvent modifier le risque de cancers associé aux
gènes BRCA1 et BRCA2.
Traitement hormonal de la ménopause et risque de cancers du sein
« Les dernières études laissent à penser que le sur-risque, s'il existe, est de faible amplitude en cas de traitement de courte durée » précise le Dr Pascale This, gynécologue-endocrinologue. Ce traitement peut donc
être prescrit (en l'absence de contre-indications) pour les ménopauses récentes, chez les femmes gênées
par les bouffées de chaleur ou la sècheresse vaginale, le moins longtemps possible, à la dose minimale efficace et doit privilégier les œstrogènes percutanés (patch ou gel), associés à la progestérone naturelle.
23
Vers de nouvelles thérapeutiques ciblées
Le potentiel des anticorps anti-Tn
Trouver une marque spécifique des cellules cancéreuses est au cœur des préoccupations de nombreux
biologistes travaillant en cancérologie. L'antigène Tn est un marqueur présent à la surface des cellules
cancéreuses. Un anticorps monoclonal contre « Tn » a été mis au point à l’Institut Curie, en collaboration avec l'équipe d'Eduardo Osiniga de l'Université de Montevideo (Uruguay). Cet anticorps reconnaît
spécifiquement les cellules de différents cancers d'origine épithéliale (sein, ovaire, côlon…).
A l'Institut Curie, l'équipe « Cellules dendritiques et présentation antigénique » de Sebastian Amigorena a montré,
dans un modèle animal, que non seulement leur anticorps ciblé contre Tn marque les cellules tumorales,
mais qu'il induit aussi une réduction de la tumeur.
Pour accentuer l'effet thérapeutique de cet anticorps,
divers procédés sont développés actuellement.
Les recherches se poursuivent donc pour exploiter le
potentiel thérapeutique de cet anticorps.
Privilégier les cancers « orphelins »
L'étude du profil d'expression des gènes et des protéines
a abouti à une classification plus fine des cancers du sein.
Parmi ceux-ci, les cancers du sein de type « basal-like »
sont associés à un mauvais pronostic, car ils sont triple
négatifs et ne peuvent donc pas bénéficier des thérapies
ciblées actuellement disponibles. 85 % des cancers du
sein héréditaires sont de type « basal-like ».
Le cancer du sein triple-négatif :
un enjeu de la recherche
La dénomination « triple négatif » caractérise
les cancers du sein ne possédant pas de
récepteurs aux hormones, aussi bien progestérone qu'œstrogène, et pas de récepteur
HER2. Ces cancers ne peuvent pas bénéficier
de l'hormonothérapie ciblée ou du trastuzumab (ou Herceptin®). En revanche, le bevacizumab (Avastin®) qui cible le récepteur VEGF
semble apporter un bénéfice thérapeutique.
Leur traitement repose sur la chimiothérapie
qui n'est pas une solution satisfaisante et dont
l'efficacité est parfois limitée. Les cancers dits
triples négatifs sont considérés comme de
mauvais pronostic. Ils font l'objet de nombreuses recherches pour tenter de mettre au
point une thérapie ciblée adaptée.
La recherche de nouvelles cibles thérapeutiques est un
enjeu crucial pour ce type de cancer du sein. Dans le
cadre d'une collaboration avec le groupe pharmaceutique Servier, l'équipe de
Thierry Dubois du département de Transfert décortique l'ensemble des perturbations génétiques
rencontrées dans ce groupe de cancers pour identifier les protéines pouvant devenir des cibles
thérapeutiques.
Récemment, l'équipe « Oncologie moléculaire » de François Radvanyi et l’équipe « Génétique et biologie
des tumeurs pédiatriques et cancers du sein sporadiques » ont mis en évidence les potentiels forts intéressants du gène PPAPDC1B comme cible thérapeutique (12). Ce gène amplifié dans 10 à 15 % des cancers
du sein joue un rôle essentiel dans la survie cellulaire et la transformation tumorale. Il code pour une protéine transmembranaire. En réduisant au silence ce gène, les chercheurs constatent, dans leurs modèles
animaux, une forte inhibition de la croissance tumorale.
24
Identifier les risques de métastases et de récidives
Vers un profil génétique spécifique des tumeurs à risque de récidive
7 % à 10 % des patientes atteintes d'un cancer du sein et traitées pour lesquelles une chirurgie conservatrice avait été réalisée, vont être à nouveau diagnostiquées d’une tumeur dans le sein traité. Dans un
premier temps, les travaux menés par le Dr Marc Bollet, radiothérapeute, en collobaration avec d’autres
médecins et chercheurs, ont abouti au développement d’une méthode qui aide à déterminer la nature
de cette tumeur : s’agit-il d’une nouvelle tumeur ou d’une récidive de la première ? Ils recherchent l’existence d’un profil génétique spécifique des tumeurs à risque de récidive. A ce jour, le facteur pronostique
le plus déterminant est l'âge : les patientes diagnostiquées à un âge jeune sont exposées à un risque
accru de récidive.
Le Centre de Ressources Biologiques joue un rôle clé dans cette étude puisqu'il permet des analyses
génétiques sur des prélèvements effectués, il y a plusieurs années, et pour lesquels on sait s’il y a eu
récidive ou pas. Ainsi, le génome et le transcriptome - profil d'expression des gènes - sont en cours
d'étude sur 343 échantillons prélevés chez des femmes de moins de 50 ans ayant développé un cancer du sein. Parmi elles, 119 patientes ont eu une récidive et 224 n’en présentent pas 10 ans après le
traitement. Si une signature est isolée, elle permettrait d'adapter le traitement aux risques des patientes.
Découvrir « leur marque spécifique »
Forme relativement rare de cancer du sein, le carcinome micropapillaire se distingue des formes
conventionnelles par sa morphologie et son agressivité. Dans plus de 70 % des cas, des métastases
ganglionnaires sont déjà présentes au moment du diagnostic.
Le Dr Anne Vincent-Salomon du département de Biologie des tumeurs et Nadège Gruel de l'équipe
« Génétique et biologie des tumeurs pédiatriques et cancers du sein sporadiques » du Dr Olivier
Delattre tentent de découvrir si une signature génomique ou transcriptomique - expression des
gènes - spécifique à ce cancer pourrait être mis en évidence. Au-delà de ce cancer, cette signature pourrait être la marque d'un pouvoir invasif dans les autres cancers du sein.
Par ailleurs, dans le cadre d'un Programme Incitatif et Coopératif plus axé sur la recherche fondamentale, le Dr Anne Vincent-Salomon collabore avec des biologistes cellulaires pour analyser la polarité des
cellules des cancers du sein de type micropapillaire. L'objectif est de comprendre si « l’orientation »
de la cellule peut moduler ses capacités d'adhésion. En effet, dans un tissu les cellules s'organisent, se
rangent en quelque sorte, ce qui met en jeu une asymétrie de la cellule. Or la perte de cette asymétrie
est nécessaire pour que les cellules puissent quitter leur tissu d'origine et envahir d'autres lieux.
25
Comprendre le développement des métastases
Lorsque les cellules tumorales acquièrent la capacité de se
déplacer et d'envahir d'autres tissus, il y a un risque de métastases et le traitement des cancers devient alors difficile.
L'équipe « Dynamique de la membrane et du cytosquelette » de
Philippe Chavrier étudie les « clés » permettant à des cellules cancéreuses mammaires de briser les liens qui les relient à la tumeur
primitive.
Pour s'échapper, ces cellules cancéreuses doivent franchir la
membrane basale qui délimite la glande mammaire et constitue
une barrière à leur dissémination. En 2008, les chercheurs de
l'Institut Curie ont identifié dans les cellules tumorales trois protéines qui assurent le transport des enzymes nécessaires à la perforation de cette barrière. Ensuite,
une autre protéine place ces enzymes au bon endroit pour amorcer la pénétration de la membrane
basale (13).
Plus récemment, plusieurs membres de la famille des formines, responsables de l'assemblage et de la
réorganisation du squelette de la cellule (cytosquelette d'actine), ont été, eux aussi, incriminés dans les
premières étapes de l'évasion tumorale.
26
Les cellules tumorales circulantes
Après avoir perdu leur capacité d'adhésion avec les cellules voisines, les cellules tumorales envahissent
alors progressivement les tissus limitrophes jusqu'à atteindre un vaisseau sanguin ou lymphatique puis
se propagent dans l'ensemble de l'organisme. Certaines de ces cellules tumorales « circulantes » parviendront à se fixer sur la paroi d'un capillaire pour ensuite envahir un nouveau tissu et donner naissance à une métastase.
La présence dans le sang, dans les ganglions lymphatiques ou encore dans la moelle osseuse de ces
cellules tumorales circulantes, pourrait servir à repérer très tôt les patientes susceptibles de développer des métastases, mais aussi à évaluer rapidement la réponse aux chimiothérapies.
Repérer ces cellules pour prédire les risques
Le Pr Jean-Yves Pierga, oncologue à l'Institut Curie et professeur à l'université Paris Descartes, pilote
divers programmes de recherche clinique sur les cellules tumorales circulantes. Les progrès technologiques récents permettent désormais d'identifier ces cellules tumorales circulantes dans des prélèvements sanguins ou de moelle osseuse et d'évaluer ainsi leur valeur prédictive.
Ces cellules ont été recherchées dans les prélèvements de
moelle osseuse de 621 patientes atteintes d'un cancer du
sein à un stade précoce grâce à l'analyse combinée de leur
aspect morphologique et de l'expression de cytokératines,
un marqueur spécifique des tissus épithéliaux dont fait partie la glande mammaire. Les patientes chez lesquelles des
cellules tumorales ont été repérées dans la moelle
osseuse, présentent un risque élevé de développer des
métastases (14). Par ailleurs, malgré les traitements adjuvants administrés à certaines patientes, des métastases se
développent parfois, ce qui tend à prouver dans ces cas la
résistance des cellules au traitement.
Repérer les cancers à fort risque invasif
Que signifie la présence d'une micrométastase (amas de cellules tumorales échappées de la tumeur
initiale) dans la moelle osseuse d'une patiente atteinte d'un cancer du sein ? Quels sont les points communs entre les cellules de la tumeur initiale et les micrométastases ? Telles sont les questions auxquelles veut répondre l'équipe du Dr Xavier Sastre, chef du département de Biologie des tumeurs. Ces
recherches permettront peut-être d'identifier une signature génétique propre aux cancers ayant une forte
capacité invasive ou encore d'évaluer si les micrométastases sont sensibles au même traitement que la
tumeur initiale.
Evaluer l'efficacité des traitements
Dans le cadre de l'étude clinique Remagus 02 qui implique le Centre René-Huguenin, l'Institut GustaveRoussy, l'Hôpital Saint-Louis et l'Institut Curie, le Pr Jean-Yves Pierga et le Dr Claire Mathiot ont conduit
une étude pour déterminer si des cellules tumorales circulantes sont présentes dans le sang de patientes ayant un cancer du sein opérable, avant et après une chimiothérapie néo-adjuvante. Première
conclusion : la détection de cellules circulantes, avant et/ou après chimiothérapie néo-adjuvante est
associée à un plus grand risque de rechute métastatique (15). En revanche, dans cette étude, la présence avérée de cellules circulantes, avant et après la chimiothérapie, n'a pu être utilisée pour évaluer
l'efficacité du traitement.
27
Quoi qu'il en soit, le suivi des cellules tumorales circulantes apporte des informations indépendantes de l'évaluation radiologique et des marqueurs biologiques.
Les cellules tumorales circulantes, pourraient-elles être un marqueur de la réponse thérapeutique ?
C'est pour répondre à cette question que les médecins de l'Institut Curie ont débuté en septembre 2009
l'essai CIRCé01, subventionné par la Ligue contre le cancer et un programme hospitalier de recherche
clinique (PHRC). Cette étude multicentrique nationale vise à valider le taux de cellules tumorales circulantes à la phase métastatique avancée du cancer du sein pour arrêter plus tôt un traitement inefficace
et mieux ajuster la chimiothérapie - sans attendre l'évaluation radiologique habituellement pratiquée
après trois ou quatre mois
Les perspectives d'utilisation des cellules tumorales circulantes sont donc nombreuses dans les
cancers du sein, mais aussi dans d'autres types de cancers. Par ailleurs, le Pr Jean-Yves Pierga et
Jean-Louis Viovy, physicien à l'Institut Curie coordonnent un Programme Incitatif et coopératif, le 2e sur
cette thématique à l'Institut, dont le but est d'améliorer les techniques de détection de ces cellules.
L'équipe de Jean-louis Viovy développe un prototype très innovant de détection par microfluidique des
cellules tumorales circulantes. Ce projet s'inscrit également dans le cadre du projet européen Camimens
- dont Jean-Louis Viovy est coordinateur - dédié au développement de technologies originales pour évaluer les risques de récidive du cancer et d'une subvention de l'ANR. Grâce à un réseau de colonnes formées de particules magnétiques portant des anticorps dirigés contre les cellules d'intérêt, leur technologie permet de capturer et d'étudier les cellules tumorales par exemple, à partir d'un prélèvement sanguin. Ce projet de recherche s'articulera avec les études cliniques en cours sur les cellules tumorales
circulantes.
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Comprendre le développement tumoral
Les mécanismes du développement de la glande mammaire
La glande mammaire est l'un des rares organes à évoluer et
à se renouveler en permanence au cours de la vie d'une
femme : elle se modifie à la puberté, à chaque cycle menstruel, à la maternité, à la ménopause… Cette caractéristique
explique - du moins en partie - le risque élevé de cancer
du sein.
L'équipe « Mécanismes moléculaires du développement de
la glande mammaire » de Marina Glukhova étudie le développement postnatal et la cancérogenèse mammaires en
utilisant les modèles animaux. La glande mammaire se développe dans le tissu adipeux spécialisé. L'épithélium mammaire se compose principalement de cellules luminales, qui
produisent le lait, et de cellules basales myoépithéliales, chargées de son expulsion. Les principales étapes
du développement de la glande mammaire comprennent la croissance et la ramification des canaux épithéliaux durant la puberté et la formation du tissu sécrétoire au cours de la gestation. Les cellules luminales ont
un contact limité avec le milieu environnant tandis que les cellules basales sont en permanence exposées
aux signaux issus de l'extérieur.
L'intérêt pour la population basale de l'épithélium mammaire s'accroît au fil des travaux, suggérant
qu'elle pourrait jouer un rôle majeur dans le développement mammaire et la cancérogenèse. Ainsi, le
compartiment basal de l'épithélium mammaire semble être le siège des cellules souches et progénitrices, dont le rôle est de plus en plus souvent évoqué dans le développement des cancers. Les
très agressifs cancers du sein de type «basal-like » se développeraient à partir de ces cellules souches/progenitrices. Une étude récente de l'équipe de Marina Glukhova a mis en évidence que l'interaction avec la matrice extracellulaire joue un rôle essentiel dans le maintien de la population fonctionnelle des cellules souches mammaires résidant dans le compartiment basal de l'épithélium mammaire(16). Ce travail suggère que les récepteurs à la matrice extracellulaire, les intégrines, pourraient
représenter une cible potentiel dans les traitements de certains cancers.
L'équipe de Marina Glukhova poursuit l'étude de la fonction des cellules basales mammaires dans le
développement normal de la glande et leur contribution à la cancérogénèse mammaire. Il s'agit de mieux
comprendre le rôle des interactions entre les cellules basales mammaires et l'environnement extérieur
au cours du développement mammaire, de définir l'identité et les caractéristiques des cellules souches
mammaires et de déterminer les événements cellulaires et moléculaires à l'origine des carcinomes
mammaires de type basal.
En parallèle, l'équipe « Génétique et biologie des tumeurs pédiatriques et cancers du sein sporadiques »
du Dr Olivier Delattre, en collaboration avec le Dr Anne Vincent-Salomon du département de Biologie des
tumeurs, se focalise sur les gènes intervenant dans la spécialisation des cellules souches au cours
du développement de la glande mammaire. C'est un excellent moyen de comprendre le fonctionnement
des cellules tumorales qui, elles, font le cheminement inverse et oublient progressivement les fonctions
pour lesquelles elles avaient été programmées.
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Facteurs épigénétiques et diversité des cancers
Les facteurs épigénétiques sont de plus en plus souvent impliqués
dans la cancérogenèse. Ils « commandent » l'activation ou la désactivation de certains gènes dans la cellule. C'est grâce à eux si, à
partir d'un même capital génétique, les cellules acquièrent des spécificités et forment par exemple un neurone ou un globule blanc.
Ces facteurs peuvent être des modifications chimiques (fixation
de groupements chimiques, méthyl, phosphate, acétyl) sur l'ADN et
les protéines qui lui sont associées (les histones), ou des perturbations de l'organisation de l'ADN au cœur de la cellule.
Les processus tumoraux résultent d'une accumulation de défauts
aussi bien génétiques qu'épigénétiques. Ces facteurs épigénétiques pourraient permettre de comprendre la très grande diversité des cancers du sein, que peine à expliquer la génétique.
L'équipe de Geneviève Almouzni, directrice de l'unité « Dynamique
nucléaire et plasticité du génome » étudie l'implication et la nature
de ces facteurs épigénétiques dans les cancers du sein.
Par ailleurs, Geneviève Almouzni est aussi co-coordinatrice du projet "GepiG Génétique et épigénétique fonctionnelle" initié par
l'Institut National du Cancer dans le cadre du Canceropôle Ile-deFrance, qui fédère les compétences en épigénétique de 9 équipes (en plus de la sienne) de l'Institut
Curie sur la période 2008-2012. Il s'agit des équipes de Olivier Delattre, Edith Heard, Marc-Henri Stern,
François Radvanyi, Alain Nicolas, Angela Taddei et Emmanuel Barillot du Centre de Recherche, et des
équipes des Drs Anne Vincent-Salomon et Xavier Sastre de l'Hôpital.
L'objectif est d'identifier les altérations génétiques et épigénétiques survenant dans les cancers du
sein sporadiques et héréditaires et cela à différents stades cliniques de la maladie.
Des erreurs dans la lecture des gènes
Un marqueur pronostique identifié
L'équipe de Geneviève Almouzni vient de découvrir un nouveau marqueur pronostique de l'évolution des cancers du sein, et probablement d'autres cancers : la protéine HP1a (17). Plus cette protéine est présente dans
les tumeurs du sein, plus le risque de développer rapidement des métastases est élevé. En outre, cette protéine, qui gère la compaction du matériel génétique dans les cellules et donc l'expression des gènes, semble
un marqueur pronostique significativement plus informatif que les marqueurs actuellement utilisés. D'autres
études sont en cours pour compléter ces premiers résultats très prometteurs et faire bénéficier le plus rapidement possibles les patientes de ce nouveau marqueur pronostique.
Quelle est l'implication des mécanismes épigénétiques dans la progression tumorale ? Pour répondre à
cette question, le Dr Fabien Reyal, chirurgien, et l'équipe « Oncologie moléculaire » de François
Radvanyi analysent l'un de ces facteurs épigénétiques, la méthylation : l'ajout d'une molécule chimique
de méthyle sur l'ADN permet en effet de bloquer la lecture du matériel génétique et donc, l'expression
des gènes.
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En collaboration avec le Netherlands Cancer Institute d'Amsterdam, ils cartographient les erreurs survenant dans la méthylation au niveau des îlots CpG. Ces régions de l'ADN servent au déclenchement de
la lecture des gènes. La méthylation erronée de ces îlots a déjà été incriminée dans de nombreuses
tumeurs : soit en tant que responsable de la mise au silence de gènes suppresseurs de tumeur, dont le
but est de protéger la cellule contre ses dérèglements ; soit en tant que coupable de la surproduction
des oncogènes, les gènes accélérateurs du processus tumoral, suite à une méthylation « exagérée ».
Les mutations épigénétiques, au même titre que les mutations génétiques, peuvent participer au développement des cancers du sein. Il s'agit donc de mieux comprendre l'importance relative de contributions d'ordre génétique ou épigénétique et leurs interrelations.
Des preuves existent déjà de l'intérêt thérapeutique lié à l'ajout d'un inhibiteur de la méthylation lors de
la chimiothérapie (18). On parle alors d'épidrogue.
Chromosome X et survenue du cancer
Qu'est-ce qui caractérise les femelles d'un point de vue génétique ?
L'absence d'un chromosome Y et l'existence de deux chromosome X dans
leurs cellules , contrairement aux mâles qui possèdent un chromosome X
et un chromosome Y. Donc quand on s'intéresse au cancer du sein, pourquoi ne pas aller rechercher du côté des chromosomes sexuels si des perturbations existent ? Une idée qui a porté ses fruits puisque les liens entre
les cancers du sein et les chromosomes X - et en particulier des perturbations au niveau de l'extinction d'un des deux chromosomes X - ne semblent
plus pouvoir faire de doute.
En effet, dans les cellules des femelles mammifères, l'un des deux chromosomes X est inactivé dès le
début de la vie embryonnaire. En règle générale, la moitié des cellules exprime l'X d'origine paternelle,
l'autre moitié, l'X d'origine maternelle. Cette extinction du chromosome X est régie par des mécanismes
épigénetiques.
Le Dr Anne-Vincent Salomon du département de Biologie des tumeurs et l'équipe « Epigenèse et développement des mammifères » d'Edith Heard tentent d'éclaircir ces liens entre le chromosome X et la survenue d'un cancer du sein. Les erreurs épigénétiques à l'origine des perturbations de l'extinction du
chromosome X sont-elles propres au type de cancers du sein (basal-like, luminal, HER2) ? Quelles
sont les conséquences des perturbations de l'extinction de ce chromosome dans la cancérogenèse
mammaire ? La réponse à ces questions pourrait à terme aboutir à l'identification de nouvelles
cibles thérapeutiques ou de nouveaux marqueurs pronostiques ou diagnostiques spécifiques à
des sous-familles de cancers du sein.
La mise en commun des compétences de bio-informaticiens, de biologistes, de généticiens et de médecins devrait permettre de dresser les profils des différents types de cancers du sein. C'est une étape
essentielle pour identifier de nouveaux facteurs diagnostiques et pronostiques, mais aussi mieux comprendre le développement tumoral et ainsi envisager de nouvelles stratégies thérapeutiques.
31
Améliorer la recherche sur les cancers du sein…
Dr Olivier Delattre, directeur délégué à la recherche biomédicale du
Centre de Recherche de l’Institut Curie
La recherche sur les cancers du sein a connu, ces dernières années, un essor important
à l'Institut Curie. Plusieurs équipes du Centre de recherche ont initié des projets sur ce
thème et la montée en puissance du transfert a ouvert la voie à de nouveaux axes de
recherche. Les collaborations entre médecins et chercheurs se sont ainsi multipliées
créant un terrain propice à de nouvelles découvertes.
A l'avenir, il s'agit clairement de continuer à soutenir les thèmes déjà fortement présents à l'Institut Curie : la
recherche sur les prédispositions génétiques et sur les facteurs génétiques qui interviennent dans l'évolutivité de la maladie et sa réponse au traitement ; l'étude des mécanismes moléculaires du développement
tumoral, résumé sous le terme de pathologie moléculaire qui inclut bien entendu l'étude des modifications
épigénétiques, l'étude de la biologie des cellules cancéreuses mammaires et de leur interaction avec l'environnement stromal et immunitaire.
Nous devons également intensifier nos efforts dans certains axes, notamment dans le ciblage thérapeutique
(thérapies ciblées) et l'imagerie, indispensable aux progrès diagnostiques et au suivi des traitements.
Concrètement, les données biologiques et cliniques devront être plus facilement partagées entre médecins
et chercheurs : c'est une étape cruciale pour faciliter les échanges entre recherche et soins. Il faudra également aider les médecins, formés à la recherche, à développer leurs propres projets de recherche, chaque fois
que possible dans le cadre structuré du Centre de recherche car c'est de ce croisement des compétences et
du dialogue entre chercheurs et médecins que naîtront les véritables progrès en cancérologie. Il est essentiel
de favoriser ou de mettre en place ce dialogue à l'occasion notamment de journées thématiques et d'enseignements communs. De nouveaux espaces d'interaction, adaptés à la convergence des expertises scientifiques et médicales, sont également nécessaires. Par exemple, la création d'une unité de pathologie expérimentale, qui réunirait dans le même espace chercheurs, spécialistes de certains processus ou molécules biologiques et pathologistes, spécialistes du cancer du sein, autour de l'analyse de coupes de tissus sains et
tumoraux ou de l'étude de modèles animaux est envisagée.
Bien sûr tous ces développements novateurs nécessitent des moyens humains et financiers importants pour
lesquels des financements privés seront indispensables (dons, legs, mécénat…).
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Être présent sur tous les fronts grâce aux interactions
entre médecins et chercheurs
L'Institut Curie est un centre de référence pour la prise en charge des cancers du sein. Il met les meilleures compétences et les techniques les plus performantes au service des patientes avec le souci permanent de leur qualité de vie.
Les découvertes considérables de la biologie ont abouti à une nouvelle classification de ces cancers et
à l'émergence de nouvelles cibles thérapeutiques. Ces progrès ont pu voir le jour grâce aux collaborations étroites et permanentes entre médecins et chercheurs. A l'Institut Curie, ils travaillent chaque jour
ensemble pour faire progresser les connaissances, améliorer la précision du diagnostic et proposer des
traitements mieux ciblés, moins toxiques et donc mieux tolérés.
Médecins et chercheurs de l'Institut Curie s'attaquent à tous ces aspects de la pathologie mammaire, de
la recherche fondamentale en passant par le transfert et jusqu'à la recherche clinique, en y incluant les
multiples points de vue : génétique, épigénétique, épidémiologique, diagnostique, pronostique, thérapeutique, psycho-oncologique, qualité de vie…
C'est en étudiant toutes les « facettes » des cancers du sein selon les caractéristiques de « l'hôte
de la tumeur », la malade, que de nouvelles approches pourront voir le jour dans le respect de
la personne humaine.
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Références bibliographiques
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« Epigenetic therapy of cancer: past, present and future. » Yoo CB et coll. Nat. Rev. Drug. Discov. 2006, vol. 5(1), p. 37.
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Crédits photographiques : Pedro Lombardi - Noak / Le Bar Floréal - Brigitte Sigal - Alexandre Lescure Philippe Chavrier - DIM - Maria Luisa Martin Faraldo - Cécile Charré / Institut Curie
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Illustration : N. Bouvier