Tomás García Figueras - Carlos Rodríguez Joulia Saint-Cyr

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Tomás García Figueras - Carlos Rodríguez Joulia Saint-Cyr
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Tomas GARCIA FIGUERAS- Carlos RODRIGUEZ JOULIA SAINT-CYR
Larache. Datos para su historia en el sigto XVII
Madrid 1973. - C.S.I.C. ( Direccion Genera.l de Promocion
del Sahara e lnstituto de Estudios Africanos ) . - 499 pp., DCXIII
gravures, 24 x 16'5 ems., 350 ptas.
Voici un livre important, paru en Espagne, qui intéresse à double
titre l'historien du Maghreb. En effet, la présentation de T. Garcia
Figueras, officier à la retraite qui fut .un haut personnage du protectorat
e-spagnol au Maroc, évoque toute une < école ~ peu connue de chercheurs
espagnols : les africanistes. D'autre part, l'étude .fouillée de C. Rodriguez
Joulia sur la ville et port maroc:ain d'Al-A-ras ou Al-'Aray'~ malgré son
~ous-titre modeste ( « éléments pour son histoire au XVII ème siècle ~ ) ,
nous donne l'histoire de cette base stratégique, à l'embouchure du Lucus,
occupée par l'Espagne pendant presque 80 ans ( 1610-1689 ), avec la toile
de fond de la politique intérieure et intematio·nale du Maroc à l'époque
du changement de dynastie, avec la décadence des Saadiens et l'avènement des Alaouites.
L'école historique qu'on peut considérer « africaniste » a produit de
très nombreuses études, surtout après la guerre civile espagnole ( 19"361939 ). EUe n'a jamais fait l'objet d'études par d'autres que par ses propres membres : p. ex. J .M. Cordero Torres ( El africanismo en la culttura
hispanica contemporanea, Madrid 1949 ) et surtout L. Saez de Govantes
(El africanismo espanol, Madrid 1971 ), qui à fort bien résumé l'idéologie
et l'orientation politique de ce mouvement de chercheurs et de sympatisants du Maghreb, qui se distingue profondément des arabisants ou
orientalistes qui ne con sidèrent cette région que comme une partie spécifique du monde et de la civilisation arabe, dont :fait partie aussi
Al-Andalus, l'Espagne médiévale. Les africaniSJtes, par contre, sans négliger pour autant l'étude de la langue et la civilisation arabe du Maghreb,
voient cette rrégion de l'Afrique comme une terre voi'sine, avec laquelle
l'Espagne- à mi-chemin entre l'Europe et l'Afrique - a des liens, des
affinités et des inltérêts communs.
1
On peut faire remonter la naissance de cette « école $ aux débuts
du XIXème siècle, avec les récits des explorateurs et voyageurs espagnols .
. bi~n aue T. Garcia Figueras et le~s africanistes modernes aient tendance
à se réclamer du haut n·atronage d'un texte du testament de la reine de
Castille Isabelle la Catholique : « Je prie et ordonne que la 'Arincesst'
ma fille et le Prince son mari.... ne cessent la conquête de l"Afrique et la
lutte contre les infidèles pour soutenir la foi. :)
En effet, la curiosité éclairée des premiers explorateurs dériva très vitevers un africanisme romantique de guerres ,religieuses. de nôstalgies impériales et de conquêtes guerrières, avant de se transformer - au début
du XX:ème s. - en un mouvement franchement colonialiste. avec toutes
les conlséquences politiques, militaires, économiques, culturelles et commerciales de ces courants de pensée européens ( voir B. Louez Garcia,
c E'~11ana en Afrlca ~ : génesis- y ~iqnificacicm. de la decaM de 'lia 11rensd.
africaniste, del s'iglo XX, revue« Almenara ~ (Madrid) 4 ( 1973) 33-35 ).
Une des conséquences les plus importanrtes de ce mouvement allait être'
l'installation du protectorat espagnol au Maroc, où ces idées allaient trouver leur réalisation pratique et où aussi l~s africanistes allaient recruter
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de très nombreux éléments, parmi les militaires ou les civils qui furent,
en quelqu~ sorte, envoutés par leur séjour marocain et remplis d'enthousiasme et d'amour pour cette terre et ·ses habitants.
Ce mouvement allait donner ses meilleur,s fruits scientifiques, malgré
ses présupposés idéologiques et politiques, après le triomphe en Espagne du
soulèvement militaire dirigé par le général Franco, précisément à partir
du Maroc. Appuyé par de très hautes autorités militaires, l'Instituto de
Estudios Mricanos fut rattaché au Centre National de la R~cherche
Scientifique ( Consejo Superior de Investigaciones Cientificas) et commença à publier de nombreux ouvrages, de valeur inégale mais sur des
sujets souvent historiques qui représentaient de réelles nouveautés scientifiques. Une filiale de cet Institut fut fondée à Tétouan, dans la zone
espagnole du protectorat. Aux revues publiées par l'InstitUJt de Madrid
( c Mrica ~, « Archivos africanos ,. ) s'ajoutèrent les revues du Maroc
( « Tamuda "• « Cuadernos de la Biblioteca Espanola de Tetuan " ) . Mais
les africaniStes publiaient aussi dans d'autres revues, comme la << Revista
de Historia Militar !!" ou les « Cuadernos Ibero-Amelrlcanos ~des religieux franciscains, qui avaient déjà fondé au Maroc la revue « Mauritania :.,
pour les aspects religieux des relations hispano-marocaines, c'est-à-dire,
en fait, l'histoire de l'Eglise caltholique au Maroc, depuis le Moyen-Age.
La bienveillance commune à la plupart de ces chercheurs leur permit de prendre avec une certaine aisance le pli de l'indépendance marocaine, tout en conservant leur 'sympathie à ce pays, en mettant un
certain temps et en faisant un certain effort pour comprendre les évolutions politiques en cours au Maghreb en particulier, et en Mrique en
général. En fait, l'appui officiel de l'Espagne aux causes arabes doit
tieaucoup aux idées politiques de s africanistes et aux orientations stratégiques du secteur militaire de la politique espagnole, influencé par
leurs idées.
1
Le livre sur Larache. qui vient de paraître à Madrid, montre la dernière étape de ce courant, avec une tendance scientifique qu'on souhaiterait voir s'affermir chez les africanistes. En effet, autant le livre de
L. Saez de Govantes, paru il y a deux ans, et la préface de ~. Garcia
Figueras donnent peut-être un peu trop de place aux nostalgies romantiques dtun empire espagnol défunt, autant le travail équilibré et sérieux!
de C. Rodriguez J oulia, secrétaire à la Bibliothèque Nationale de Madrid,
honore - à notre avis - son auteur, l'Instituto de Estudios Africanos
et les africanistes espagnols dans leur ensemble.
L'étude de C. Rodriguez Joulia embrasse toUJte la période de l'occupation espagnole de Larache. II y étudie les antécédents, militaires et surtout diplomatiques, ainsi que l'organisation interne du bastion militaire
espagnol, les principaux événements de son histoire interne et externe,
sa reprise par les troupes de Mawlay Ismail et les péripéties du rachat
des prisonniers par l'Espagne.. Le tout est puisé des principales -sources
publiées - espagnoles, marocaines et étrangères - et d'une importante
documentation d'archives inédite, conservée principalement aux Archives
Nationales de Simancas, à la Bibliothèque et Archives Nationales de
Madrid, aux Archives Militaires de Ségovie et à diverses Archives publiques et privées de la côte atlantique de la Basse Andalousie.
Malgré cette abondance de matériel, l'auteur est bien conscient qu'U
ne peut être exhaustif. Son récit, qui suit généralement un ordre chronologique, a su trouver le style et l'équilibre d'une chronique, qui rend sa
lecture particulièrement intéressante. Mais, évidemment, l'intérêt dépend
en grande partie des curiosités du lecteur, et nous ne saurions signaler
que quelques points qui devraient intéresser très spécialement l'historien
du Maghreb.
Compte-rendu
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En tout premie,r lieu, il convient de signaler les riches aperçus de ce
livre sur la politique maghrébine de l'Espagne, à partir de l'action concrète
effectuée autour de Larache. On y voit l'effort titanique de l'Espagne
pour maintenir à bout de bras son immense empire européen et américain,
auquel s'ajoute alors celui du Portugal, africain et asiatique, uni à
l'Espagne dans la pe.rsonne du souverain. En Méditerranée, c'est l'influence turque et l'audace militaire des régences barbaresques qui orientent
sa politique : il faut éviter à tout prix la mainmise turque sur le Maroc,
avant tout, mais aussi neutraliser l'activité maritime des Maghrébins,
souvent alliés aux Hollandais ou autres ennemis de l'Espagne:, à partiJr
des ports de la côte atlantique. A partir de l'occupation des ports, l'E.spagne
ne cherche presque plus à dominer ou influencer l'arrière-pays, comme
c'était souvent le cas au XVIème siècle : « on est passé de faire la guerre
à la suppovter >>, à la défensive. D'où le dosage de guerres et de négociations qui caractérise la politique espagnole à cette époque.
Du côté marocain, l'occupation de Larache correspond à une période
particulièrement riche en événements et personnalités. Autour de la
possession de cet.te place forte, on voit apparaître les divers prétendants
de la dynastie saadienne, en pleine décadence ; .les fortes personnalités
maraboutiques, comme Al-Ayachi et Muhammad al-Hagg; les Andalous
installés à Salé-Rabat ou à Tétouan, pratiquement indépendants, ou rassemblant des troupes dans le nord marocain, comme Gaylan ; finalement
la nouvelle dynastie des Alaouites, qui allaient refaire l'unité politique
du pays. Toute cette politique intérieure agitée ne manque pas d'ïnfluencer une politique étrangère très complexe, axée sur l'indépendance nationale face aux convoitises étrangères, toujours à la recherche d'équilibres
très difficiles.
C'est ainsi que les relations internationales hispano-marocaines apparaissent singulièrement plus complexes et riches qu'une vision étroitement nationaliste ou idéologique ne l'imagine, dans une période d'affrontements si vigoureux. On y voit, malgré ces affrontements, que les intérêts
politiques dominent et conseillent souvent des solutions modérées, voire
amicales. Et puis, à côté des relations officielles, toutes sortes de relations
privées, commerciales ou autres, s'établiss.ent entre Espagnols et Marocains.
L'ouvrage de Rodriguez Joulia apporte aussi des lueurs nouvelles sur
l'organisation de ce·s « cités militaires » au Maghreb, dans des circonstances économiques et administratives souvent très précaires. De ce point
de vue-là, cette monographie constitue un ensemble d'éléments à verser
au dossier qui devrait permettre l'étude sé,rieuse de ces villes-forteresses
espagnoles et portugaises au Maghreb, du XVème siècle jusqu'à nos jours.
Le petit chapitre « répercussions littéraires » ,se situe dans la plus
tradition des études historiques des africanistes espagnols, toujours
attentifs aux travaux littéraires consacrés aux faits historiques ( voir,
par exemple, G. Guastavino, Los bombardeos de Argel en 1783 y 1784 y su
r.epercus,ion literaria ) . Poèmes, récits, pamphlets, éloges, tous ces ancêtres
de la presse journalière ou hebdomadaire moderne., peuvent parfois être
l1es témoins d'un état d'esprit de l'opinion publique, très inrtére.ssant pour
l'historien. Ce ne sont pas les faits, mais lEmr interprétart;ion qui fait l'intérêt de ces textes.
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C'est .aussi dans ce contexte culturel et littéraire qu'il faut situer les
diverses péripéties des manuscrits arabes de la bibliothèque de l'Escurial,
qui ~sont d'origine marocaine ett passent au pouvoir de l'Espagne à cette
époque. Mawlay Ismai1 avait exigé qu'on les lui rende, comme première
condition pour le rachat des prisonniers de Larache.
On pourrait poursuivre ainsi les réflexions que ce. livre suggère au
•r
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M. Epalza
lecteur. L'auteur, sans se laisser presque jamais aller à des réflexions
nationalistes, montre avec une méritoire objectivité ce que fut l'hiSitoir~ de
l'oocupation espagnole de Larache. Il est vrai que même certains espagnols
contemporains ne ménageaient pas leurs éloges à leurs ennemis marocains
(p. ex., p. 182 ).
En conclusion, on ne peut que souhaiter de nombreuses monographies
sur des sujerts semblables, à partir de la documentation conservée en
Espagne, assez variée et très abondante, pour cette période.
Pour le fond, si on ne peut affirmer simplement que « les places
espagnoles et portugaises avaient beau être une humiliation pour les
musulmans, elles ne constituaient pas un danger », il e,st vrai qu'elles
étaient bien isolées et que leur histoire n'est, tout compte fait, qu'un
élément périphérique dans l'histoire du Maghreb arabe.
Mikel de EPALZA
Université d'Alger et de Madrid,

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