les abus de procédure depuis la réforme du

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les abus de procédure depuis la réforme du
LES ABUS DE PROCÉDURE DEPUIS LA RÉFORME
DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Fasken Martineau DuMoulin
Conférence du 27 mai 2010
Raphaël Lescop – Nikolas Blanchette – Justine Ferland
________________________________________
I.
Introduction
II.
Le contexte de la réforme
Autorités, voir notamment :

III.
Anber c. Piché, 2009 QCCS 4159 (la procédure abusive en général)
La sanction des abus : un test en deux étapes
Autorités, voir notamment :
IV.

Centre hospitalier Robert Giffard c. Gestion Francis Carrier inc., 2009
QCCS 3131

St-Onge c. Reeves, 2009 QCCS 4895

A.G. c. Centre jeunesse du Saguenay-Lac-St-Jean, 2009 QCCQ 13503
L’auteur et les formes de l’abus (art. 54.1 al. 1 C.p.c.)
A.
L’auteur : une partie au litige
B.
Les formes de l’abus : tout acte de procédure
Autorités, voir notamment :

Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3 (IV-A – critères distincts de ceux des
articles 54.1 et ss. C.p.c. permettant de condamner l’avocat à des dommages-intérêts)

Bauer c. Société du Vieux-Port de Montréal, 2009 QCCS 4962 (IV-B –
application aux abus de procédure et non seulement aux poursuites bâillon)

Banque Royale du Canada c. Guy Cordonnerie du sportif inc., 2010
QCCS 65 (IV-B – défense et demande reconventionnelle)
V.

Groupe Perspective (Québec) inc. c. 3072929 Nova Scotia Company,
2009 QCCQ 13260 (IV-B – demande reconventionnelle en recouvrement
de frais extrajudiciaires)

Montanaro c. Bastone, 2009 QCCS 5841 (IV-B – appel en garantie)

Saulnier c. Syndicat des copropriétaires du Domaine de l’Avenir Phase 1,
2009 QCCS 5092 (IV-B – injonction permanente)

Anber c. Piché, 2009 QCCS 4159 (IV-B – requête en déclaration
d’inhabilité)

Italia (Faillite de), 2010 QCCS 645 (IV-B – limites à l’application de l’art.
54.1 C.p.c.)
Les multiples facettes de l’abus de procédure (art. 54.1 al. 2 C.p.c.)
A.
La frivolité – critère de l’ancien article 75.1 C.p.c.
B.
La quérulence
C.
La mauvaise foi – test subjectif
D.
Le comportement excessif ou déraisonnable – test objectif
E.
Le détournement des fins de la justice – le recours bâillon
F.
L’article 54.1 v. l’article 165(4) C.p.c.
Autorités, voir notamment :

Centre hospitalier Robert-Giffard c. Gestion Francis Carrier inc., 2009
QCCS 3131 (V-A – la jurisprudence sous l’article 75.1 s’applique encore)

Sansot c. Groupe D3 inc., 2009 QCCQ 12966 (V-A – le simple fait qu’une
preuve soit difficile à faire ne suffit pas)

A.G. c. Centre jeunesse du Saguenay-Lac-St-Jean, 2009 QCCQ 13503
(V-A – interprétation large et libérale de la notion d’abus)

Fabrikant c. Swamy, 2010 QCCA 330 (V-B – le plaideur quérulent)

Pogan c. Barreau du Québec (FARPBQ), 2010 QCCS 1458 (V-B – critères permettant d’établir qu’un plaideur est quérulent)

Ordinateurs MG c. Ordinateurs MG 2007, 2009 QCCQ 9593 (V-C – saisies pratiquées de mauvaise foi)
VI.

Tannenbaum c. Lazare, 2009 QCCS 5072 (V-C et V-D – exercice d’un
droit avec mauvaise foi et de manière déraisonnable)

Constructions Infrabec inc. c. Drapeau, 2010 QCCS 1734 (V-E – rejet
d’une poursuite-bâillon)

Vallerand c. 4660774 Canada inc., 2009 QCCS 6226 (V-F – distinctions
entre le régime de l’irrecevabilité et celui de l’abus)

BIP Corporation inc. c. Mitec Telecom inc., 2010 QCCS 754 (V-F – une
requête peut être irrecevable sans être abusive)
La procédure (art. 54.1 al. 1 et 54.2 C.p.c.)
A.
À tout moment
B.
Le cas de la requête en rejet présentée à titre de moyen préliminaire
C.
La preuve sommaire et le renversement du fardeau de preuve
Autorités, voir notamment :

153114 Canada inc. c. Panju, 2010 QCCS 1190 (VI-A et VI-C – lors de la
présentation de la requête introductive)

Werbin c. Werbin, QCCS 5253 (VI-A et VI-B – après un interrogatoire préalable)

Kabbabe c. Elfassy, 2010 QCCS 404 (VI-A et VI-B – après un interrogatoire préalable)

Walker Nappert (Succession de), 2009 QCCS 4784; requête pour permission d’appeler accueillie, 2009 QCCA 2519 (VI-A – d’office, une fois le
dossier en état)

Cossette c. Corporation d'urgences-santé de la région de Montréal Métropolitain, 2010 QCCS 879 (VI-A – après la preuve close en demande)

Bernard c. Desrochers, 2009 QCCS 5535 (VI-A – après la preuve close
en demande)

Construction Cogerex ltée c. Paquette, 2009 QCCS 5449 (VI-A – réouverture des débats durant le délibéré)

Fortin c. Fortin (Complexe funéraire Fortin), 2009 QCCS 5345 (VI-C – définition d’une preuve sommaire)
VII.
Les sanctions (art. 54.3 à 54.6 C.p.c.)
A.
Le rejet total ou partiel de l’acte de procédure
B.
Le cas de l’inconduite dans le cadre des interrogatoires préalables
C.
Les autres sanctions « interlocutoires »
D.
L’octroi de dommages-intérêts compensatoires et punitifs
E.
La responsabilité des administrateurs et dirigeants d’une personne morale
Autorités, voir notamment :

Acadia Subaru c. Michaud, 2009 QCCQ 14458, requête pour permission
d’appeler accueillie, 2009 QCCA 2437 (VII-A – rejet partiel)

P.M. c. A.G., 2010 QCCS 246 (VII-A – rejet partiel)

Corbeil c. Gatineau, EYB 2009-152726 (C.Q.) (VII-A – rejet partiel)

Structure Laferté inc. c. Cosoltec, 2009 QCCS 3326; requête pour permission d'appeler accueillie, 2009 QCCA 1435 (VII-B – engagement non
remplis) – comparer avec 128220 Canada inc. c. Projet Services International (P.B.J.R.T.) Inc., J.E. 2001-358 (C.S.)

Genpharm ULC c. Gennium Pharmaceutical Products Inc., 2010 QCCS
711 (VII-B – engagements non remplis)

Walker Nappert (Succession de), 2009 QCCS 4784 (VII-C – cautionnement pour garantir les dommages)

153114 Canada inc. c. Panju, 2010 QCCS 1190 (VII-C – provision pour
frais)

Dinard c. Éden Palace inc., 2010 QCCS 1709 (VII-C– provision pour frais)

Sur la question de la provision pour frais, voir par analogie : Droit de la
famille – 1532, J.E. 98-618 (C.A.)

Matic c. Trottier, 2010 QCCS 1466 (VI-C – gestion d’instance)

St-Onge c. Reeves, 2009 QCCS 4895 (VII-D – les abus qui méritent une
sanction aux termes de l’article 54.4 C.p.c.)

Construction Cogerex ltée c. Paquette, 2009 QCCS 5761 (VII-D – la témérité fautive de Royal Lepage)

Duddin et Lussier, 2010 QCCS 1759 (VII-D – l’application stricte de Viel)

CPA Pool Products Inc. c. Patron, 2010 QCCS 1339, requête pour permission d’appeler, accueillie, 2010 QCCA 790 (VII-D – cas de figure en
matière d’honoraires extrajudiciaires et de dommages punitifs)

Hébert (Succession de), 2009 QCCS 3480 (VII-D – le quantum des honoraires extrajudiciaires)

Jobin c. Krypton Imagination inc., 2009 QCCQ 7843 (VII-E – responsabilité des administrateurs)

Immeuble France Lévesque inc. c. Martins, 2010 QCCS 1805 (VI-E – responsabilité des administrateurs)

Sur la responsabilité des administrateurs, voir : Proulx c. Entreprises de
radiodiffusion de la Capitale inc., J.E. 96-1180 (C.A.); Regroupement des
citoyens contre la pollution c. Alex Couture inc., J.E. 2006-583 (C.S.), confirmé en appel J.E. 2007-934 (C.A.); Johnson c. Arcand, J.E. 2002-1844
(C.S.)
Décisions rendues avant la réforme :
VIII.

Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.)
(VII-D – une première décision de principe en matière d’honoraires extrajudiciaires)

Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., 2007 QCCA 915
(VII-D – une deuxième décision de principe en matière d’honoraires extrajudiciaires)
Conclusion
DIX JUGEMENTS D’INTÉRÊT
Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, J.E. 2003-937 (C.A.) (« Viel ») : une
première décision incontournable concernant la possibilité d’octroyer les honoraires extrajudiciaires en vue de sanctionner un abus de procédure rendue avant
la réforme
Avant l’entrée en vigueur de l’article 54.4 C.p.c., la Cour d’appel a rendu une décision
de principe concernant la possibilité d’octroyer les honoraires extrajudiciaires pour venir
sanctionner un abus de procédure.
Dans cette affaire, la Cour d’appel précise d’abord que l’abus de droit sur le fond du litige ne peut donner ouverture au paiement d’honoraires extrajudiciaires comme dommages : seul l’abus de procédure crée un véritable lien de causalité entre le versement
d’honoraires d’avocats et la conduite répréhensible du défendeur, puisque la causalité
adéquate correspond aux événements ayant un rapport logique, direct et immédiat avec
l’origine du préjudice subi (Viel, par. 77). En effet, précise-t-elle, il n’y a pas de lien de
causalité entre l’abus sur le fond et les honoraires extrajudiciaires déboursés par le
créancier pour faire valoir ses droits (Viel, par. 78).
L’abus de procédure consiste plutôt en une faute commise à l’occasion d’un recours judiciaire et peut prendre alors l’une des deux formes suivantes :
1)
La contestation judiciaire de mauvaise foi dès le départ, en demande ou en
défense d’un droit non-existant. C’est le cas lorsque la partie fautive, « […] de
mauvaise foi, et conscient[e] du fait qu’[elle] n’a aucun droit à faire valoir, se sert
de la justice comme [si elle] possédait véritablement un tel droit ». (Viel, par. 73);
ou
2)
La multiplication des procédures et la poursuite inutile et abusive du débat
judiciaire en cours de route. C’est le cas de « l’abuseur qui réalise son erreur et
s’enferme dans sa malice pour poursuivre inutilement le débat judiciaire » (Viel,
par. 84).
En limitant l’octroi des frais extrajudiciaires à ces deux cas précis, la Cour d’appel renverse le raisonnement des juges Otis et Chamberland dans l’affaire Choueke c. Coopérative d’habitation Jeanne-Mance, J.E. 2001- 1289 (C.A.Q.), et avalise les propos du
juge Pelletier, dissident dans cette affaire.
Royal Lepage Commercial inc. c. 109650 Canada inc., J.E. 2007-1325 (C.A.)
(« Royal Lepage ») : une deuxième décision de principe concernant la possibilité
d’octroyer les honoraires extrajudiciaires en vue de sanctionner un abus de procédure rendue avant la réforme
Dans cette affaire, la Cour d’appel, sous la plume du juge Dalphond, a tenu à apporter
certaines précisions conceptuelles concernant les paramètres établis dans l’affaire Viel.
Après avoir énuméré les différentes exceptions au principe selon lequel la partie gagnante n’a généralement droit qu’aux honoraires judiciaires compris dans les dépens, le
juge Dalphond reprend certaines composantes des propos de la Cour d’appel dans
l’affaire Viel.
Il rappelle d’abord avec justesse que la faute civile consistant en l’abus d’ester constitue
une limite au droit fondamental de s’adresser aux tribunaux. Il faut donc dans son interprétation, poursuit-il, balancer des intérêts et des valeurs contradictoires et se rappeler
qu’il faut éviter une interprétation qui dissuaderait tout plaideur de faire valoir, de bonne
foi, une thèse nouvelle ou fragile (Royal Lepage, par. 42).
La sanction résultant d’un abus du droit d’ester rappelle aux parties au litige qu’elles ne
sont pas admises à agir « de manière contraire aux normes de comportement généralement acceptables par la société »:
[…] La bonne foi requiert qu’elles exercent leur droit d’ester dans le respect de
certaines règles afin de sauvegarder les finalités du système juridique et non les
pervertir. L’action en justice est destinée à faire triompher le droit et la vérité;
l’utiliser à d’autres fins est un abus […] (Royal Lepage, par. 39)
Le juge Dalphond rappelle que l’abus d’ester peut se manifester de deux manières :
d’abord, par le biais d’indices de mauvaise foi; ensuite, par le biais d’indices de témérité. Voici comment il explique la portée du terme « témérité » :
Que faut-il entendre par témérité? Selon moi, c’est le fait de mettre de l’avant un
recours ou une procédure alors qu’une personne raisonnable et prudente, placée
dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d'un fondement pour cette procédure. Il s’agit d’une norme objective, qui requiert non pas des indices de
l’intention de nuire mais plutôt une évaluation des circonstances afin de déterminer s’il y a lieu de conclure au caractère infondé de cette procédure. Est infondée une procédure n’offrant aucune véritable chance de succès, et par le fait,
devient révélatrice d’une légèreté blâmable de son auteur. Comme le soulignent
les auteurs Baudouin et Deslauriers, précités : « L’absence de cette cause raisonnable et probable fait présumer sinon l’intention de nuire ou la mauvaise foi,
du moins la négligence ou la témérité ». (Royal Lepage, par. 46)
Centre hospitalier Robert-Giffard c. Gestion Francis Carrier inc., 2009 QCCS
3131 : en matière de rejet d’action au stade préliminaire, la prudence est de mise!
Dans cette affaire, le centre hospitalier demandeur locataire intente une action contre
l’ancienne locatrice Gestion Francis Carrier inc. et le nouveau locateur Berko s.e.c., invoquant le comportement concerté des défenderesses afin de mettre fin au bail et
l'abus de droit. Berko demande le rejet de l'action intentée à son égard sous prétexte
qu'elle est vouée à l'échec et réclame le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires.
La Cour supérieure note que la loi nouvelle reprend les expressions « procédure mal
fondée ou frivole » que l'on retrouvait à l'ancien article 75.1 C.p.c., aujourd’hui abrogé.
Les tribunaux devront donc conserver certains principes d'interprétation développés
sous les anciens articles 75.1 et 75.2 du C.p.c., notamment quant à la prudence à exercer à l'égard d'une demande de rejet à une étape préliminaire des procédures. Ainsi, ce
n'est qu'en présence d'une situation manifeste d'abus, dans des cas clairs, que le Tribunal devra utiliser les pouvoirs que lui accorde les articles 54.1 et suivants C.p.c.
En l'espèce, la Cour conclut que Berko a établi sommairement que l’action du demandeur peut constituer un abus, mais le demandeur a démontré que son recours n'est pas
exercé de manière excessive ou déraisonnable en vertu de l’article 54.2 C.p.c. Ainsi, la
Cour rejette la requête pour rejet d’action de Berko.
Structure Laferté inc. c. Cosoltec, 2009 QCCS 3326; requête pour permission
d'appeler accueillie, 2009 QCCA 1435 : le tribunal radie les allégations visées par
des engagements non remplis et ordonne la correction en conséquence des montants réclamés dans les conclusions
Structure Laferté poursuit Consoltec inc. pour un solde impayé sur des matériaux de
construction livrés ainsi que pour des dommages-intérêts liquidés. Consoltec produit
une défense et demande reconventionnelle au montant de 135 361 $. Lors de son interrogatoire préalable, le représentant de Consoltec souscrit à 96 engagements. Malgré
une ordonnance la Cour ordonnant la communication des engagements, 30 engagements n’ont toujours pas été remplis par Consoltec. Structure Laferté réclame donc le
rejet de la défense et demande reconventionnelle.
La Cour rappelle l’importance des engagements souscrits en cours d’interrogatoire;
pour être exécutoires, ils n’ont pas à être suivis d’une ordonnance de la Cour fixant une
date péremptoire pour leur communication. La Cour conclut donc à un abus de la part
de Consoltec, mais se garde toutefois de rejeter entièrement sa défense et demande
reconventionnelle (la sanction extrême) puisqu’elle a toute de même répondu de façon
satisfaisante à une cinquantaine d’engagements.
La Cour opte donc pour une sanction mitoyenne : la radiation des allégations de la défense et demande reconventionnelle visées par les engagements non remplis et la correction en conséquence des montants réclamés dans les conclusions.
Walker Nappert (Succession de), 2009 QCCS 4784; requête pour permission
d’appeler accueillie, 2009 QCCA 2519 : le tribunal ordonne aux demandeurs de
verser un cautionnement aux défendeurs pour garantir les dommages que peut
engendrer la poursuite qui semble abusive
Les demandeurs réclament 290 000 $ pour la dépossession de la moitié indivise d'un
appartement en copropriété d'une valeur de 25 000 $. D’office, dans le cadre d’une requête des demandeurs pour permission de produire une inscription hors délai, le tribunal conclut qu’il ne peut trouver aucune justification légale à la réclamation de
290 000 $.
Sur la base de l’article 54.3 al. 1 C.p.c., le tribunal écrit qu’il aurait pu demander la diminution de la réclamation qui vaut au mieux 25 000 $. Toutefois, il écarte cette option car
elle n’aurait pas d’effet pratique car le dossier est déjà en état et qu’il y a déjà une demande reconventionnelle pour abus de droit. Sur la base de l’article 54.3 al. 2 (1°) (le
pouvoir d’assujettir le dossier à certaine conditions), le tribunal impose aux demandeurs
le versement d’un cautionnement aux défendeurs pour garantir les dommages que peut
engendrer la poursuite qui semble abusive. Le cautionnement est calculé en fonction
des honoraires que les défendeurs pourraient être appelés à payer à leurs procureurs.
St-Onge c. Reeves, 2009 QCCS 4895 (C.S.) : la norme de prudence dicte le ton aux
termes de l’article 54.4 C.p.c.
Malgré la codification de l’article 54.4 C.p.c., qui démontre clairement l’intention du législateur de permettre aux tribunaux de sanctionner les abus de procédure par l’octroi
des honoraires extrajudiciaires, ceux-ci demeurent parfois perplexe face à une telle codification.
La Cour supérieure, dans une affaire récente rendue par le juge Reimnitz, semble avoir
explicité la tendance majoritaire des tribunaux depuis l’entrée en vigueur de la réforme
en ce qui a trait à l’application des sanctions prévues à l’article 54.4 C.p.c.
Dans cette affaire, le défendeur présentait une requête en rejet de la requête introductive d’instance des demandeurs en reconnaissance judiciaire du droit de propriété.
En effet, l’interrogatoire préalable de l’un des demandeurs a clairement révélé que
ceux-ci n’étaient pas propriétaires du terrain visé par la demande, et qu’ils n’avaient jamais réellement eu possession de ce terrain à titre de propriétaire. La Cour supérieure
n’avait alors d’autre choix que de conclure que la demande en justice n’avait aucune
chance de succès et était vouée à l’échec.
Malgré ce constat, la Cour a toutefois rejeté la réclamation pour dommages-intérêts aux
termes de l’article 54.4 C.p.c. en prenant soin de distinguer ce qui s’apparente à un
simple abus de celui qui mériterait une telle sanction :
Quant à la demande de 9 000$ pour dommages et intérêts, le Tribunal n’entend
pas y faire droit. La requête introductive est non fondée, et frivole. Elle n’est pas
cependant abusive au point de justifier la demande en réparation pour le préju-
dice qu’aurait subi le défendeur. La condamnation aux dépens apparaît suffisante du point de vue du Tribunal (par. 53)
Cette décision reflète bien l’état de prudence qui règne parfois au sein des tribunaux
depuis l’adoption de l’article 54.4 C.p.c.
Acadia Subaru c. Michaud, 2009 QCCQ 14458 (requête pour permission d’appeler
accueillie, 2009 QCCA 2437): le tribunal réduit au stade préliminaire une réclamation en dommages punitifs
À la suite de propos tenus à la radio en mars 2009 par M. Michaud, un chroniqueur
automobile, les 93 demanderesses, toutes des concessionnaires d'automobiles, ont
chacune intenté un recours en réclamation de sommes de 5 000 $ en dommagesintérêts et de 5 000 $ à titre de dommages punitifs.
M. Michaud présente une requête en rejet sur la base des articles 54.1 et ss. C.p.c. La
Cour du Québec rejette la requête en rejet en ce qui a trait à la réclamation pour les
dommages compensatoires. La Cour applique à cet égard les règles de prudence et de
circonspection développées dans le cadre de l’application des articles 75.1 et 165(4) du
C.p.c. (par. 64-65).
La Cour conclut toutefois que la réclamation pour dommages punitifs (93 x 5 000 $ chacun) à l’encontre de M. Michaud est déraisonnable et excessive au sens de l’article 54.1
C.p.c. et a pour « unique but de publiquement lui faire mal, si on veut reprendre une expression populaire ou à tout le moins, de l'impressionner suffisamment pour qu'il se
tienne tranquille » (par. 69). La Cour ajoute que cette réclamation :
…apparaît clairement au Tribunal de la nature d'une tactique destinée à l'ébranler suffisamment pour le faire taire en tant que critique du domaine de l'automobile – ce qui, il faut le rappeler, est une forme de rôle public important au niveau
du droit de la consommation – et vraisemblablement chercher à l'humilier ou lui
donner une leçon, et ce, en raison du montant important des dommages-intérêts
punitifs réclamés en raison de la réunion des actions (par. 76)
En vertu de l’article 54.3, la Cour exige donc que les conclusions soient modifiées pour
que la réclamation pour dommages punitifs soit limitée à 200 $ par demandeur.
CPA Pool Products Inc. c. Patron, 2010 QCCS 1339 (C.S.) (requête pour permission d’appeler accueillie, 2010 QCCA 790 (C.A.)) : cas de figure de l’application de
l’article 54.4 C.p.c.
Une affaire récente de la Cour supérieure illustre un cas de figure sur la question des
dommages-intérêts et des dommages punitifs.
Dans cette affaire, la Cour était saisie d’une requête pour faire déclarer abusive la procédure de type Anton Piller intentée par la demanderesse.
Au préalable, la demanderesse avait obtenu ex parte une ordonnance de type Anton
Piller sur la base des procédures et de l’affidavit de la demanderesse en vue de saisir,
entre autres, des ordinateurs appartenant aux défendeurs contenant du matériel confidentiel appartenant à la demanderesse.
Or, une étude minutieuse des allégations prévues à l’affidavit du représentant de la demanderesse préparé au soutien d’une telle demande démontra clairement un manquement flagrant à l’obligation de franchise et d’honnêteté dont doit faire preuve un tel affidavit au stade de la procédure de type Anton Pillar.
Après avoir conclu que la demanderesse avait fait preuve de mauvaise foi en induisant
en erreur le juge ayant rendu l’ordonnance de type Anton Pillar, la Cour supérieure a
condamné la demanderesse au paiement des honoraires extrajudiciaires, en arbitrant le
montant à 65 000$, en plus de la condamner au paiement d’un montant de 10 000$ à
titre de dommages punitifs.
Constructions Infrabec inc. c. Drapeau, 2010 QCCS 1734 (C.S.) : un cas typique
de poursuite-bâillon rejetée en vertu des nouveaux articles 54.2 et suivants C.p.c.
La demanderesse intente à l’égard du défendeur une action en diffamation et un recours en dommages-intérêts pour atteinte à sa réputation, soutenant que le discours
tenu par le défendeur au cours d'une assemblée du conseil municipal contenait des
propos insidieux à son égard. Prétendant que cette poursuite est abusive et qu'elle a
pour effet de limiter sa liberté d'expression dans un contexte de débats publics, le défendeur demande le rejet du recours en plus de réclamer le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires à titre de dommages-intérêts.
La Cour conclut qu’il est légitime pour un citoyen de poser des questions à ses élus et
que le défendeur avait le droit de remettre en question le mécanisme d'attribution de
contrats de la ville où il réside. Ainsi, le recours de la demanderesse est manifestement
mal fondé et abusif; il doit donc être rejeté. La Cour note également que l'objectif visé
est de mettre un terme au débat nourri par le défendeur et que la poursuite est motivée
par la volonté d'intimider celui-ci. De plus, le recours lui a curieusement été signifié un
samedi après-midi. Une somme de 15 000 $ est donc accordée au défendeur à titre de
dommages-intérêts en vertu de l’article 54.4. C.p.c., représentant une partie de ses honoraires extrajudiciaires.
Fabrikant c. Swamy, 2010 QCCA 330 (C.A.) : les nouvelles règles prévues au Code
de procédure civile en matière de sanction de procédures abusives ne doivent
pas faire échec à la règle fondamentale de l’audi alteram partem
En avril 1992, l'appelant, un chercheur à l’Université Concordia, intente un recours en
dommages-intérêts pour faire reconnaître sa paternité à l'égard d’écrits scientifiques.
Emprisonné à perpétuité pour le meurtre de quatre de ses collègues au mois d'août
1992, il multiplie depuis lors les procédures judiciaires. Il a d'ailleurs été déclaré plaideur
vexatoire par la Cour supérieure et la Cour fédérale. Après six jours d’audience, la Cour
supérieure décide soudainement d'en finir et de rejeter l'action sans prévenir l’appelant,
estimant que la conduite de l'appelant constitue un abus de procédure et que ses ré-
clamations étaient irrémédiablement vouées à l'échec. L'appelant n'a pas eu la possibilité de fournir quelque explication que ce soit et se pourvoit en appel de ce jugement.
La Cour d’appel conclut que quelles que soient les raisons qui ont pu amener la juge de
première instance à procéder comme elle l'a fait, la méthode utilisée a eu pour effet de
priver l'appelant de son droit d'être entendu. Ce droit est un principe fondamental
d'équité procédurale auquel on ne peut déroger. Avant de mettre en place quelque
sanction que ce soit, les tribunaux doivent donner à une partie la possibilité de se faire
entendre, même dans les cas des infractions les plus flagrantes. Ainsi, le dossier est
renvoyé à la Cour supérieure pour que l'instance se continue.
ARTICLE 54.1 C.P.C.
Alinéa 1
Les tribunaux peuvent à tout moment,
sur demande et même d'office
après avoir entendu les parties sur le point,

déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est
abusif

et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.
Alinéa 2
L'abus peut résulter

d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal
fondé, frivole ou dilatoire,

ou d'un comportement vexatoire ou quérulent.
Il peut aussi résulter

de la mauvaise foi,

de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou
de manière à nuire à autrui

ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a
pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics.
ARTICLE 54.2 C.P.C.
Alinéa 1
Si une partie établit sommairement
que la demande en justice ou l'acte de procédure peut constituer un abus,
il revient à la partie qui l'introduit de démontrer

que son geste n'est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable

et se justifie en droit.
Alinéa 2
La requête visant à faire rejeter la demande en justice en raison de son caractère abusif
est,
en première instance,
présentée à titre de moyen préliminaire.
ARTICLE 54.3 C.P.C.
Alinéa 1
Le tribunal peut, dans un cas d'abus,

rejeter la demande en justice ou l'acte de procédure,

supprimer une conclusion ou en exiger la modification,

refuser un interrogatoire ou y mettre fin ou annuler le bref d'assignation
d'un témoin.
Alinéa 2
Dans un tel cas ou lorsqu'il paraît y avoir un abus, le tribunal peut, s'il l'estime approprié :
1°
assujettir la poursuite de la demande en justice ou l'acte de procédure à certaines conditions;
2°
requérir des engagements de la partie concernée quant à la bonne marche de
l'instance;
3°
suspendre l'instance pour la période qu'il fixe;
4°
recommander au juge en chef d'ordonner une gestion particulière de l'instance;
5°
ordonner à la partie qui a introduit la demande en justice ou l'acte de procédure
de verser à l'autre partie,
sous peine de rejet de la demande ou de l'acte,
une provision pour les frais de l'instance,

si les circonstances le justifient

et s'il constate que sans cette aide cette partie risque de se retrouver dans
une situation économique telle qu'elle ne pourrait faire valoir son point de
vue valablement.
ARTICLE 54.4 C.P.C.
Alinéa 1
Le tribunal peut,
en se prononçant sur le caractère abusif d'une demande en justice ou d'un acte de procédure,
ordonner, le cas échéant,

le remboursement de la provision versée pour les frais de l'instance,

condamner une partie à payer, outre les dépens, des dommages-intérêts
en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour
compenser les honoraires et débours extrajudiciaires que celle-ci a engagés

ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs.
Alinéa 2
Si le montant des dommages-intérêts n'est pas admis
ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d'abus,
il peut en décider sommairement dans le délai et sous les conditions qu'il détermine.
ARTICLE 54.5 C.P.C.
Lorsque l'abus résulte de la quérulence d'une partie,
le tribunal peut, en outre,
interdire à cette partie d'introduire une demande en justice à moins d'obtenir l'autorisation du juge en chef et de respecter les conditions que celui-ci détermine
ARTICLE 54.6 C.P.C.
Lorsque l'abus est le fait d'une personne morale ou d'une personne qui agit en qualité
d'administrateur du bien d'autrui,
les administrateurs et les dirigeants de la personne morale qui ont participé à la décision ou l'administrateur du bien d'autrui
peuvent être condamnés personnellement au paiement des dommages-intérêts
ARTICLE 165 C.P.C.
Le défendeur peut opposer l'irrecevabilité de la demande et conclure à son rejet :
1.
S'il y a litispendance ou chose jugée;
2.
Si l'une ou l'autre des parties est incapable ou n'a pas qualité;
3.
Si le demandeur n'a manifestement pas d'intérêt;
4.
Si la demande n'est pas fondée en droit, supposé même que les faits allégués
soient vrais.
ANCIEN ARTICLE 75.1 C.P.C.
Alinéa 1
En tout état de cause,
le tribunal peut, sur requête,
rejeter une action ou une procédure

si un interrogatoire tenu en vertu du présent code démontre que l'action
ou la procédure est frivole ou manifestement mal fondée pour un motif
autre que ceux que prévoit l'article 165

ou si la partie qui a intenté l'action ou produit la procédure refuse de se
soumettre à un tel interrogatoire.
Alinéa 2
Si la procédure ainsi rejetée est une défense, le défendeur est forclos de plaider
ANCIEN ARTICLE 75.2 C.P.C.
Alinéa 1
Lorsqu'il rejette, dans le cadre de l'article 75.1, une action ou une procédure frivole ou
manifestement mal fondée, le tribunal peut, sur demande, la déclarer abusive ou dilatoire.
Il peut alors condamner la partie déboutée à payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie si le montant en est établi.
Alinéa 2
Lorsque le montant n'est pas établi au moment du jugement
ou lorsqu'il excède la limite de compétence du tribunal,
ce dernier peut réserver, dans le délai et aux conditions qu'il détermine, le droit de
s'adresser par requête au tribunal compétent pour réclamer le montant des dommagesintérêts.
Cette requête fait partie du dossier initial.