NTG / jurisprudence française

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NTG / jurisprudence française
NTG / jurisprudence française
Créance maritime privilégiée
non établie lors de la saisie
conservatoire d’un navire revendu
Sébastien GOULET
Avocat au Barreau
de Marseille
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MARSEILLE (Référés) – 4 AVRIL 2013 > Navire Princess Danaé
N° 2013R00161
SAISIE DE NAVIRE - PRIVILEGE MARITIME
Saisie conservatoire de navire. Navire vendu par le débiteur. Convention de 1926
relative aux privilèges et hypothèques maritimes. Créance privilégiée (non).
Commande du capitaine non prouvée. Mainlevée de la saisie.
Il n’est pas établi que les factures puissent être considérées comme des créances
maritimes privilégiées au sens de l’article L 5114-8 alinéa 6 du Code des Transport
(Convention de 1926), car il n’est pas établi que ces commandes ont été passées par
le capitaine du navire saisi.
Sté SOUTH COAST CRUISES c/ SA NAVALROCHA
ORDONNANCE DE REFERE (EXTRAITS)
« LE TRIBUNAL, (…)
Sur quoi :
Attendu que la Société South Coast Cruises nous a saisi dans le cadre d’une
procédure de référé d’heure à heure en vertu de l’article 858 du Code de Procédure
Civile, dans le cadre d’une affaire maritime concernant une ordonnance de saisie du
15 mars 2013 du navire « Princess Danaé » au profit de la SA Navalrocha, dont la
vente est intervenue le 18 janvier 2013, déterminant une sureté de 160 000 Euros au
visa de la Convention de Bruxelles de 1952 sur la saisie de navire et de la Convention
de Bruxelles de 1926 sur les privilèges et Hypothèques Maritimes ;
Attendu que le demandeur soutient que cette vente amiable a été régulièrement publiée au Portugal, le 18 janvier 2013 auprès du registre des navires de Madère, auprès des Affaires Maritimes de Marseille, du Grand Port Maritime de Marseille, GPMM, ainsi que du Consulat Général du Portugal ; que cette vente éteint au
profit de l’acquéreur, les privilèges et hypothèques et le droit de suite correspondant
deux mois après l’exécution des formalités et publicités de la vente ; qu’en l’espèce
la publicité de la vente est intervenue le 18 janvier 2013 et la signification de la
saisie au capitaine du navire, le 18 mars 2013 ; que la saisie d’un navire vendu par
un débiteur demeure possible seulement si le créancier bénéficie d’un privilège sur
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le navire au regard de l’article 2 paragraphe 5 de la Convention de Bruxelles de 1926
reprit par l’article L 5114-8, alinéa 6° du Code des Transports ; que bien que la SA
Navalrocha ait agi à l’intérieur du délai de deux mois depuis la vente, sa créance
n’est que « partiellement maritime » (réparations navales) et commerciale par ailleurs (frais bancaires) ;
Attendu qu’il indique également que la preuve n’est pas rapportée que le contrat
à l’origine de la créance n’a pas été conclu avec le capitaine au sens de l’article L
5114-8, alinéa 6° du Code des Transports ; qu’en tout état de cause les privilèges
grevant des créances exposées par le capitaine pour la conservation du navire s’éteignent à l’issue d’une période de 6 mois à compter de l’exigibilité de la créance (article
5114-17 du Code des Transports transposant l’article 9 paragraphe 2 de la Convention de 1926), s’agissant de factures de 2010 et 2011 ; que la loi française doit être
appliquée et non la loi portugaise, dans la mesure où les factures ont été émises les
13 décembre 2010 pour 246.000 Euros et 30 novembre 2011 pour 143.500 Euros et
que la dénonciation de la Convention de 1926 par le Portugal étant intervenue en
mai 2012 est sans effet sur ces opérations ; que le navire, disposant d’un nouveau
capitaine ainsi qu’un nouvel équipage, s’apprêtait à quitter Marseille ;
Attendu que la SA Navalrocha, saisissant et défendeur à la présente instance,
confirme que l’ordonnance rendue le 15 mars 2013 au visa de l’article 1 (1) de la
Convention de 1952 sur la saisie conservatoire de navire au titre de l’allégation d’une
créance maritime ; qu’elle indique qu’une situation de trouble manifestement illicite
ou de dommage imminent, au sens de l’article 873 du Code de Procédure Civile, n’est
pas vérifiée; que la créance alléguée est bien maritime au sens de la Convention de
1952, en considération des factures versées aux débats (pièces 1, 4,6 et 10) ; que
la saisie signifiée le 18 mars 2013 n’entrave pas un départ imminent du navire du
GPMM car les mains levées d’autres saisies n’ont pas été obtenues ; qu’il existe une
contestation sérieuse affectant la demande de main levée, car mars 2013, signifiée
le 18 mars 2013, elle indique avoir précisé le 20 mars 2013 par télécopie officielle
qu’elle entendait établir le caractère privilégié de sa créance née au Portugal et notamment sa durée au regard du droit portugais et non du droit français ; que la
convention de 1926 a été dénoncée par le Portugal ; que le Portugal est le lieu de
conclusion et d’exécution du contrat ayant donné naissance au privilège ;
Vu les dispositions de la Convention de Bruxelles du 10 avril 1926 relative aux privilèges et hypothèques maritimes; Vu les dispositions de droit français des articles L
5114-8 alinéa 6 et 5114-17 du Code des Transports ; Vu les pièces produites aux débats
par la SA Navalrocha, dont les factures faisant état d’un solde débiteur de 135.544,50
Euros ; Vu l’ordonnance de saisie conservatoire du 15 mars 2013 relative au navire «
Princess Danaé ». Vu les articles 858, 872 et 873 du Code de Procédure Civile;
Attendu qu’il convient de constater que les factures en cause du 13 décembre
2010 pour 246.000 Euros et 30 novembre 2011 pour 143.500 Euros ont été émises
sous l’emprise de la convention de Bruxelles de 1926, dénoncée depuis par le Portugal en mai 2011 avec prise d’effet au 13 mai 2012 ; que la SA Navalrocha bien
qu’ayant cité la convention de 1926 dans la requête ayant motivé l’ordonnance du
15 mars 2013 elle n’a pas mentionné qu’elle souhaitait que soit établi le caractère
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privilégié de sa créance née au Portugal et notamment sa durée au regard du droit
portugais et non du droit français ;
Attendu que cette position a été exprimée tardivement par télécopie officielle
le 20 mars 2013, après la signification de la saisie; qu’il doit être fait application du
droit français ayant retranscrit les dispositions de la Convention de 1926 dans le
Code des Transports ;
Attendu qu’il n’est pas établi que les factures puissent être considérées comme
des créances maritimes privilégiées au sens de l’article L 5114-8 alinéa 6 du Code des
Transport, car il n’est pas établi que ces commandes ont été passées par le capitaine
du navire « Princess Danaé » ;
Attendu que de surcroit, elles sont atteintes par la prescription de 6 mois prévue
à 1’article L5114-17 du Code des Transports et qu’aucun acte interruptif de prescription n’est justifié ;
Attendu qu’il doit être fait application de la Convention de Bruxelles du 10 avril
1926 relative aux privilèges et hypothèques maritimes et des dispositions de droit
français des articles L 5114-8 alinéa 6 et 5114-17 du Code des Transports; qu’ainsi,
il convient d’ordonner la rétractation de l’ordonnance de saisie conservatoire du 15
mars 2013 et de même suite, d’ordonner la main levée de cette mesure de saisie
conservatoire ;
Attendu qu’il y a lieu de rejeter tout surplus des demandes comme non justifié ;
Par ces motifs : (…)
Vu la Convention de Bruxelles du 10 avril 1926 relative aux privilèges et hypothèques maritimes,
Vu les articles L 5114-8 alinéa 6 et 5114-17 du Code des Transports,
Ordonnons la rétractation de notre ordonnance en date du 15 Mars 2013 en
toutes ses dispositions ; De même suite, Ordonnons la mainlevée de la saisie conservatoire opérée par la SA Navalrocha ; … ».
Prés. : J. Heisserer ; Av. : Me Favarel-Veidig (South Coast cruises), Me Renaud Clément (Navalrocha).
Ordonnance aimablement communiquée par Me Béatrice Favarel.
OBSERVATIONS
Suite à la vente amiable du navire Princess Danaé à un nouvel armateur, la société
de réparation navale de droit portugais Navalrocha alléguait une créance maritime
au visa de l’article 1er § l de la convention de Bruxelles de 1952 ratifiée par la France
et le Portugal, et obtenait l’autorisation de saisir conservatoirement à Marseille ce
navire battant pavillon de Madère pour une somme de 160.000 €. Outre les dispositions de la Convention de 1952, la société Navalrocha visait dans sa requête les
dispositions de la convention de Bruxelles du 10 avril 1926 relatives aux privilèges et
hypothèques maritimes et notamment son article 2 paragraphe 5.
Considérant que la vente amiable du navire, publiée au registre de Madère le
18 janvier 2013, obligeait le créancier à faire la preuve de l’allégation d’une créance
maritime mais également d’un privilège maritime, le nouvel armateur sollicitait la
mainlevée de la saisie du navire « Princess Danae ».
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En défense, la société Navalrocha faisait valoir, qu’elle bénéficiait bien d’une créance
de réparation navale au sens de l’article 1 paragraphe l de la Convention de 1952.
Sur la question de son privilège, elle se prévalait de la jurisprudence Nobility(1),
selon laquelle seule la « lex contractus » ou loi du contrat ayant donné naissance à
la créance, devait être prise en considération puisque le privilège maritime invoqué,
trouvait sa source dans un contrat de réparation navale conclu au Portugal.
Pour la société Navalrocha, ces contrats ayant été conclus et exécutés au Portugal, au bénéfice d’un navire battant pavillon portugais et appartenant à un nouveau
propriétaire portugais, seule la loi portugaise avait vocation à régir les conditions
d’appréciation du caractère privilégié de la créance, tout comme sa durée. Le créancier se référait également au jugement du TGI de la Rochelle rendu dans l’affaire
du navire OMG Gatchina(2) pour conforter sa position selon laquelle la loi du contrat
devait permettre de résoudre la question relevant de la « validité de la sûreté «.
I.- SUR LES CONSEQUENCES JURIDIQUES DE LA VENTE AMIABLE DU NAVIRE
« PRINCESS DANAE »
Une vente amiable, survenue à l’étranger, à la différence d’une vente judiciaire,
n’a pas pour effet de purger les privilèges et hypothèques maritimes grevant le navire objet de la revente. Elle emporte cependant des conséquences importantes à la
condition d’être régulièrement publiée, sa publicité seule faisant courir le délai de
deux mois à l’intérieur duquel tout créancier privilégié a la faculté de saisir le navire
entre les mains du nouveau propriétaire(3).
En l’espèce, la vente du navire publiée le 18 janvier 2013 au registre des navires de
Madère s’imposait à tous. L’ordonnance de saisie du 18 mars 2013 avait été signifiée
in extremis le même jour au capitaine es qualité de représentant du nouvel armateur.
Cependant, et même en se prévalant d’un privilège maritime, le titulaire de cette
créance ne disposait d’aucune action personnelle contre le nouveau propriétaire.
Ainsi, si le créancier Navalrocha bénéficiait toujours d’une action personnelle
contre l’ancien propriétaire (ici Waybell Cruises Inc.), c’était en vertu de sa seule
créance et non de son privilège(4).
La saisie du Princess Danae demeurait possible, mais à la condition cependant
que le réparateur naval prouve sa qualité de créancier privilégié sur le navire(5).
(1) Cass. com., 26 mai 1997, DMF 1997. 891.
(2) TGI La Rochelle, 14 septembre 2010, DMF 2011.721, note P. Delebecque.
(3) P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime LGDJ p. 383 n° 579 : « En cas de transfert volontaire
de la propriété - c’est-à-dire principalement en cas de vente volontaire, le privilège s’éteint, et par là le droit
de suite qu’il inclut, deux mois après l’exécution des formalités de publicité de la vente. Il s’agit (pour les
ventes volontaires survenues en France) de la publication de l’acte de transfert de propriété.
Seule la publication au registre des navires fait courir le délai de 2 mois mettant fin aux droits du créancier
privilégié de saisir le navire dans les mains du nouvel acquéreur ».
(4) cf. en ce sens op.cit. Traité de droit maritime, LGDJ page 381 et suivants.
(5) Voir en ce sens l’arrêt de principe navire R. One, Cour de cassation, 4 octobre 2005, DMF 2006. 47 :
« la saisie conservatoire d’un navire n’appartenant plus au débiteur ne peut être autorisée que si le saisissant
se prévaut d’une créance privilégiée ».
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En conséquence, bien que la société Navalrocha ait agi à l’intérieur du délai de
deux mois depuis la vente volontaire intervenue depuis le 18 janvier 2013, il convenait de vérifier, notamment au regard de la convention de 1926 ou du code de commerce portugais, la validité du privilège maritime dont elle se prévalait.
II.- SUR LA LOI APPLICABLE AUX PRIVILEGES MARITIMES
En l’espèce, le litige opposait des ressortissants de même nationalité (portugaise), portant sur un navire battant pavillon portugais pour des prestations opérées
et facturées à Lisbonne. Le seul élément d’extranéité provenait du lieu de la saisie
conservatoire, la France.
Aussi, pour Navalrocha, les factures en causes avaient fait naître à son profit un
privilège maritime au sens de la loi portugaise, et notamment de l’article 578 du
Code de commerce portugais modifié par le décret le 7 janvier 2009.
Cependant, au moment des commandes passées par Navalrocha, en 2010 et
2011, le Portugal n’avait pas encore dénoncé la Convention de 1926. Cette dénonciation n’avait été notifiée au gouvernement Belge qu’en mai 2011 et ne devenait
effective qu’en mai 2012 conformément à l’article 21 alinéa 2 de la Convention
de 1926.
Dès lors, que l’on se place sous l’empire de la loi du for ou de la loi du contrat, ces
deux lois renvoyaient à la Convention de 1926.
La Convention de 1926, intégrée dans l’ordre juridique de l’Etat du Portugal depuis son adhésion en 1935 demeurait donc applicable aux ressortissants de cet État
et devait prévaloir sur les dispositions de l’article 578 du Code commercial portugais
qui n’avaient vocation à s’appliquer que pour les contrats de réparation navale postérieurs à mai 2012.
Pour autant, l’article 9 alinéa 2 de la Convention de 1952 sur la saisie conservatoire des navires, donnait la solution :
« La présente Convention ne confère au demandeur aucun droit de suite, autre
que celui accordé par cette dernière loi (à savoir la loi à appliquer par le tribunal saisi
du litige) ou par la Convention internationale pour l’unification de certaines règles
relatives aux privilèges et hypothèques maritimes si celle-ci est applicable. »
Navalrocha ne pouvait donc se prévaloir d’aucun droit de suite sur le navire Princess Danaé, qui n’était plus la propriété de son débiteur, en invoquant une disposition
de son droit national contraire à la loi du for.
La créance de réparations navales alléguée (factures de 2010 et 2011), objet de la
saisie demeurait donc soumise aux conditions posées à l’article 2 §5 de la Convention de 1926 :
Article 2 : « Sont privilégiées sur le navire, sur le fret du voyage pendant lequel est
née la créance privilégiée et sur les accessoires du navire :
§ 5 : les créances provenant des contrats passés ou d’opérations effectuées par
le capitaine hors du port d’attache, en vertu de ses pouvoirs légaux, pour les besoins
réels de la conservation du navire ou de la continuation du voyage, sans distinguer si
le capitaine est ou non en même temps propriétaire du navire et si la créance est la
sienne ou celle des fournisseurs, réparateurs, prêteurs ou autres contractants ».
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Le juge des référés, vérifiant si les prestations facturées répondaient à cette
condition, constatait que la preuve de ce que la commande émanait du capitaine
n’était pas suffisamment rapportée, se ralliant à l’interprétation stricte des privilèges(6). Le caractère privilégié de ces factures ne pouvait donc être admis tant au
regard de l’article 2 alinéa 5 de la Convention que de l’article 5114 -8, 6e du Code des
transports pour défaut de preuve d’une commande passée par le capitaine.
(6) Cf. en ce sens CA de Nouméa 14 oct. 2010 navire King Tamato, DMF 2011 n° 721 obs. Philippe
Delebecque.
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