L`Optophone de Raoul Hausmann : de la « langue universelle » à l

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L`Optophone de Raoul Hausmann : de la « langue universelle » à l
L’Optophone de Raoul Hausmann : la « langue universelle » et l’intermédias
Marcella Lista
Any instrument designed for transfering optical into acoustic
effects, or light into sound, and thus to some extent substituing the
ear for the eye, may be appropriately termed an « Optophone »
Dr. E. E. Fournier d’Albe, « The Type-Reading Optophone », 1914
The task of the future is that of achieving a new primeval
condition. A form that links the frequencies of light and sound can
be found.
Raoul Hausmann, « Optophonetics », 1922
Le projet de l’0ptophone, mystérieuse machine à convertir les sons en images et réciproquement
qui fait irruption dans la théorie de Raoul Hausmann vers 1921-1922, a peu retenu jusqu’à présent
l’attention des historiens du dadaïsme. Né de spéculations personnelles menées par l’artiste dans le
domaine de l’optique physiologique et de la théorie vibratoire, il semble en effet dès son origine suivre
une chronologie séparée en puisant, loin des agitations du Club Dada de Berlin, directement à la
tradition baroque des instruments voués à la « musique des couleurs ». László Moholy-Nagy le
premier, dans la deuxième édition de sa somme théorique, Malerei, Fotografie, Film (Peinture,
Photographie, Film) parue en 1927, introduit l'Optophone d'Hausmann à la suite de la longue liste des
machines chromatiques qui, depuis le Clavecin Oculaire du Père Castel, stimulent l'imaginaire
synesthésique. Bien que de façon allusive, Moholy-Nagy relève le caractère profondément novateur du
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projet au sein de cette tradition. En évoquant la voie d’une recherche intermédias, opposée à
l'association extérieure du son et de l'image, l’artiste hongrois apporte aussi de l’eau à son propre
moulin :
« […] far too little work has so far been done in the field of moving light display. It must at once be
tackled from any angles and carried forward as a pure discipline. While I value what their experiments
have achieved, I consider it a mistake to try, as Hirschfeld-Mack and A. László do, to combine opticalkinetic with acoustical experiments. A more perfect, because scientifically grounded performance is
promised by Optophonetik. The bold imagination of the Dadaist Raoul Hausmann, has been
responsible for the first steps toward a future theory. » (1)
Les Reflektorische Lichtspiele (Jeux de lumières réfléchies) réalisés par Ludwig HirschfeldMack au Bauhaus, de même que les projections du clavier à couleurs présentées par le compositeur
hongrois Alexander László en Allemagne, dans les années 1920, reposaient sur la production d'un
accompagnement musical, conjointement aux effets de couleurs mobiles (2). À l’inverse, l'Optophone
imaginé par Hausmann était voué à bouleverser la pratique post-symboliste des correspondances. Cet
instrument, resté à l’état d'investigation théorique, devait mettre en œuvre les procédés de conversion
électrique proprement dite qui se faisaient jour à la même époque, aiguillonnés par l'attente d'un
cinéma parlant, grâce à l'exploitation des premières cellules photoélectriques : « With the appropriate
technical equipment the optophone can give every optical phenomenon its sound equivalent, in other
words it can transform the difference in the frequencies of light and sound», annonçait Hausmann en
1922, pour donner la mesure de son invention (3). Une telle démarche, si elle était en mesure
d’intéresser l’élaboration d’un « art élémentaire » défendu par Van Doesburg, Lissitzky, Moholy-Nagy
ou Richter (4), semblait s’inscrire en contradiction vis-à-vis des stratégies subversives du discours
dada. Elle s’éloignait, de fait, de ses médias d’élection (photomontage, poésie sonore), au profit d'une
réflexion sur l'avenir technologique de l'art, concerné par la traductibilité « scientifique » de la lumière
et du son. Hausmann prit lui-même acte de ce clivage, qui lui valut le rejet de ses collègues berlinois,
dans son autobiographie Courrier Dada (5).
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Ses biographes ont depuis suivi cette interprétation, reléguant volontiers l’Optophone à une
vision utopique qui marquerait une sortie du Dadasophe hors des sentiers de Dada (6). Trois textes
prospectifs majeurs publiés par l’artiste entre 1921 et 1923, le manifeste « PRÉsentismus »
(« PRÉsentisme »), l’essai « Optophonetik » (« Optophonétique »), puis celui intitulé « Vom
sprechenden Film zur Optophonetik » (« Du Film parlant à l’optohonétique »), offrent pourtant à cette
recherche un cadre théorique ambitieux. Hausmann y pousse les problématiques de Dada dans leurs
derniers retranchements : le premier texte propose une révolution sensorielle fondée sur une
perception haptique du monde ; le second engage les prémisses d’un nouveau langage ; le troisième
enfin, ébauche la proposition technique d’un nouvel art de la lumière et du son, destiné à matérialiser
une extension physiologique de l’homme. Face à cette période charnière qui connaît l’essor du
« constructivisme international », l’historiographie tend à établir une ligne de partage entre d’une part,
les théories du langage, outil d’analyse traditionnel du poème phonétique, et d’autre part, une histoire
des médias électriques dont Moholy-Nagy fait figure de pionnier incontesté.
Plusieurs aspects de la question nous invitent cependant à reconsidérer ce partage. Tout
d’abord, l’articulation profonde existant, dans la théorie d’Hausmann, entre l’Optophone et le
développement d’une sensibilité haptique, l’un des terrains d’investigation les plus féconds de Dada,
démarque a priori cet instrument de la tradition des orgues chromatiques. De ce point de vue,
l’Optophone participe d’un débat esthétique qui, en réponse au « Tactilisme » futuriste, trouve autant
d’interprétations singulières au sein de Dada, et en particulier chez Francis Picabia. Ensuite, les
relations complexes de l’Optophone à une théorie « optophonétique » générale visent à une remise en
cause extrême du langage verbal. Elles soulèvent en cela la question de la « langue universelle », que
Hans Richter pensait plus à même de se concrétiser dans le langage purement visuel des « signes », et
dont il avait lui-même entrepris l’élaboration, auprès de Viking Eggeling, au sein d’un média
électrique : le cinéma. Préoccupation récurrente tout au long de la vie d’Hausmann, que l’artiste ne
manqua pas de faire valoir face aux premiers protagonistes de l’art électronique, au tournant des
années 1960 (7), cette machine donne enfin à réfléchir sur une filiation de l’intermédias alternative à
celle apparentée à la figure de Moholy-Nagy. Dans l’Optophone, l’approche complètement abstraite
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du matériau artistique met en jeu un projet primitiviste, aux prises avec une redéfinition de la
sensibilité.
Haptisch contre Tactilisme : les prémisses d’un nouvel art total
L’influence déterminante des thèses philosophiques de Salomo Friedlander/Mynona, et
d’Ernst Marcus dans la gestation de la théorie « présentiste » par laquelle le Dadasophe entreprend de
se démarquer, dès 1921, au sein du Club Dada de Berlin, a été bien étudiée (8). La perte du « moi
différentié » qui est pour Friedlander la condition de l’homme moderne, de même que la théorie de la
« sensorialité excentrique » développée par Marcus, constituent un ressort essentiel du discours antirationaliste et anti-bourgeois qui s’élabore chez Hausmann dès les années 1910. Le livre de Marcus,
Das Problem des exzentrischen Empfindung und seine Lösung (Le problème de la sensation
excentrique et sa solution), en particulier, développe la thèse physiologique marquante, selon laquelle
le sens du toucher est une extension adjointe à tous les autres sens. Dès sa découverte de ce texte en
1916 (9). l’artiste en a tiré les conséquences psycho-physiologiques : « […] les limites du corps ne
sont pas celles des perceptions sensorielles mais […] en vertu des rayons excentriques, des perceptions
peuvent se situer à des endroits plus éloignés, » écrit-il alors à Hannah Höch (10). Lorsqu’il rédige son
manifeste « PRÉsentisme » en 1921, il postule cette dynamique de saisie à distance comme fondement
de la création artistique :
« Il nous faut nous convaincre que le sens du toucher est mêlé à tous nos sens ou plutôt qu’il est la
base décisive de tous les sens : le sens haptique, dont les émanations excentriques sont projetées dans
l’atmosphère à travers les six cents kilomètres de l’atmosphère terrestre jusqu’à Sirius et aux Pléiades.
Alors nous ne comprenons pas pourquoi l’on ne ferait pas de la plus importante de nos aperceptions,
un nouvel art. » (11)
Un aspect moins étudié, dans l’élaboration de la théorie « présentiste » chez Hausmann, est le
dialogue que le Dadasophe engage alors avec le futuriste Filippo Tommaso Marinetti, autour de la
question du « tactilisme » en art. Fruit d'une conférence qui avait déjà agité le milieu dadaïste parisien,
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le manifeste futuriste « Le Tactilisme » fut diffusé en français, par Marinetti, au mois de janvier (12).
Une classification typologique des différentes sensations tactiles y est exposée, comparable à celle que
Luigi Russolo avait adoptée pour décrire les sons non-musicaux en 1913, dans son manifeste « L’Art
des bruits ». La démarche totalisante du futurisme s’appuie dans ces deux cas sur une approche
taxinomique pour désigner les matériaux, jusque-là inédits, du nouvel art. C’est une illustration
ludique de cette forme de pensée qu’il faut voir dans l’idée marinettienne d’un « théâtre tactile »,
offrant aux mains des spectateurs « de longs rubans tactiles qui rouleront en produisant des harmonies
de sensations tactiles avec des rythmes différents » et qui « pourront aussi être disposés sur de petites
roues tournantes, avec des accompagnements de musique et de lumières » (13). Mais le fondateur du
futurisme imagine lui aussi à travers le tactilisme une dynamique de dissolution de l’individualisme,
puisque le nouvel épanouissement sensoriel devrait « [servir] à perfectionner les communications entre
les êtres humains à travers l’épiderme. » (14)
Hausmann semble avoir rédigé dès le mois de février son propre « PRÉsentisme ». Ce
manifeste est tout d’abord envoyé, sous forme de tract, au fondateur du futurisme au printemps 1921
(15), avant sa publication dans la revue De Stijl, au mois de septembre de la même année. En lançant
dans ce texte prospectif son credo d'un art « haptique », le dadaïste rejette avec véhémence
l’appréhension futuriste du « tactilisme » qu'il juge par trop soumise au hasard et sanctionne
précisément le manifeste marinettien en termes d'échec théorique : « D’Italie nous vient la nouvelle du
tactilisme de Marinetti ! Il a conçu le problème de la sensation haptique d’une façon peu claire et l’a
abîmé. Marinetti, l’homme le plus moderne d’Europe, nous est antipathique car il part du hasard et
non de la conscience supérieure. […] Nous réclamons le haptisme, ainsi que l’odorisme ! Élargissons
le sens haptique et donnons-lui des bases scientifiques au-delà du hasard actuel » (16). Avec le
tactilisme d'un côté, et le Haptisch de l'autre, Marinetti et Hausmann s’en prennent à l'opticalité
dominante de la culture occidentale, à laquelle ils opposent des sens considérés non-nobles (le toucher,
ainsi que l’odorat, notamment). Ce qui est explicitement visé, au plan théorique, c’est avant tout la
structure anthropocentrique de la culture visuelle, et la maîtrise illusoire du monde qu’elle porte avec
elle. Le passage de l’individu au collectif, la dissolution du sujet dans un corps social unifié par les
médias de l’électricité, thèmes qui constitueront les fondements de la pensée de Marshall McLuhan,
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sont déjà, ici, étroitement associés au développement du sens tactile et à la métaphore relationnelle du
contact.
En amont, les entreprises théoriques de Marinetti et d’Hausmann autour d’une primauté du
tactile engagent une révision moderniste de la synesthésie. Elles opposent au concept de « résonance »
entre les arts, porté par le symbolisme puis par l’expressionnisme, un principe de contact direct qui
implique un processus actif de traduction plutôt qu’une spéculation esthétique autour de la
comparaison des arts. Une telle orientation de la synesthésie se fait jour dès 1910, en France, dans les
travaux du critique musical Jean d’Udine qui, anticipant sur le développement scientifique des idées
de kinesthésie et de proprioception, faisaient du toucher un « sens intermédiaire » permettant
précisément l’interaction des sens (17). En aval, Marinetti et Hausmann offrent des réponses très
différentes à ce constat moderniste, qui toutes deux conduisent à une reconsidération des médias
artistiques et des formes du langage.
Dès 1912, Marinetti avait préparé le terrain d'une alternative à la synesthésie expressionniste, en
défendant l’utopie d’une sorte de pyrotechnie électrique, une conquête aérienne de la peinture à l’aide
de nouveaux moyens spectaculaires :
« Le jour viendra où le tableau ne suffira plus. […] Les couleurs, en se multipliant, n’auront
absolument pas besoin de formes pour être perçues et comprises. Nous nous passerons de toiles et de
pinceaux; nous offrirons au monde - au lieu de tableaux - de géantes peintures éphémères, formées par
des falots brasillant, des réflecteurs électriques et des gaz polychromes, qui, en harmonisant leurs
gerbes, leurs spirales et leurs réseaux sur l’arc de l’horizon, rempliront d’enthousiasme l’âme
complexe des foules futures. » (18)
Cette prophétie devait trouver une expression plus précise à la fin des années 1910, lorsque Fedele
Azari lançait un manifeste spécialement dédié à l’idée d’un art total aérien. Son "Théâtre aérien"
invitait à mêler les chorégraphies d’avions, aux moteurs entonnés à la manière des bruiteurs de
Russolo, et jusqu'au déploiement d'un spectacle polychrome dans les airs: « Sur les innombrables
spectateurs couchés, les aéroplanes bariolés et camouflés danseront le jour dans les zones colorées,
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formées par les poussières qu’ils auront répandues et composeront, durant la nuit, de mobiles
constellations et des danses, dans les gerbes éclatant des projecteurs. »(19)
Il peut paraître singulier, à première vue, de voir s’exprimer une idée semblable dans le
texte que Hausmann consacre à sa théorie d’un nouvel art haptique. C’est dans le manifeste
présentiste en effet, que s’exprime pour la première fois le principe de l’Optophone (bien que celuici ne soit pas nommé), à travers le fantasme d’un spectacle aérien de son et de lumière :
« Nous réclamons la peinture électrique, scientifique!!! Les ondes du son, de la lumière et de
l’électricité ne se distinguent que par leur longueur et amplitude; après les expériences de Thomas
Wilfred en Amérique sur les phénomènes colorés flottant librement dans l’air, et les expériences
sonores de la TSF américaine et allemande, il sera facile d’employer des ondes sonores en les dirigeant
à travers des transformateurs géants, qui les transmettront en spectacles aériens colorés et musicaux…
Dans la nuit, les drames de lumière se dérouleront au ciel, dans la journée les transformateurs feront
sonner l’atmosphère. » (20)
Il faut le préciser, les réalisations de Thomas Wilfred auxquelles Hausmann fait allusion
n'affranchissaient pas réellement la lumière colorée du support d'un écran. Dans son premier Clavilux
présenté en 1920, la lumière était difractée à l'arrière d'un grand écran opalescent incurvé, et donnait
ainsi une impression plus flottante et immatérielle que ne le faisaient les lumières projetées (21). Si
elles sont erronées par manque de précision, les références mises en avant par Hausmann expriment
assez bien, en revanche, son désir de se démarquer de l'exemple futuriste. Là où le groupe italien
formulait une polysensorialité dispersée en une approche taxinomique, le dadaïste allemand cherche à
saisir un ressort théorique unique pour définir la mutation sensorielle à laquelle il appelle l´homme
moderne, et qu'il associe à la formule de Marcus : « sensorialité excentrique ». Il se distingue alors de
la position marinettienne, de manière déterminante, en déplaçant le centre d'intérêt, des effets au
processus.
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La compréhension que Hausmann propose du haptique s'écarte de toute approche anecdotique.
Elle entend fonder dans la conversion électrique le modèle d'une nouvelle aperception du monde. Les
conversions explorées alors par la technique, procédant par le contact physique que suppose la
reproduction, la transformation puis la restitution analogiques des données sonores ou lumineuses,
peuvent être ramenées de manière générale au processus de l'empreinte. L’inscription du microsillon
sur le disque - graphie sonore -, de même que la photographie du son sur la piste sonore du film - son
optique – mettent en œuvre un tel contact, tant dans la phase de report que dans la phase de lecture.
C'est à la généralisation de ce principe que se réfère Hausmann, lorsqu'il parle de perception haptique,
non seulement dans le rapport d’un media à l’autre, mais encore des médias eux-mêmes au système
sensoriel de l’homme :
« Grâce à l’électricité nous sommes capables de transformer nos émanations haptiques en couleurs
mobiles, en sons, en nouvelle musique. Le tactilisme préconisé par Marinetti, qui permettrait de faire
crier sous l’effet de rubans roulants de surfaces différentes, n’est qu’un ersatz du sadisme des combats
de gladiateurs romains, il est né de cet esprit, mais ne représente rien de nouveau. »(22)
Le laboratoire d’un nouvel art total s’élabore ainsi pour Hausmann, à partir de 1921, dans le
détournement esthétique des procédés de conversion électrique développés à son époque. C’est ce que
laissent entendre les deux textes suivants. « Optophonétique » et « Du film parlant à
l’Optophonétique » recensent un outillage hautement spécialisé. Outre la radiotélégraphie déjà
mentionnée dans « PRÉsentisme », Hausmann passe en revue d’autres procédés tels que la « lampe à
arc chantant », les toutes premières techniques d’enregistrement optique du son au cinéma, et enfin, un
instrument aujourd’hui oublié, destiné à permettre la lecture aux aveugles : l’Optophone du Dr.
Fournier d’Albe.
Film sonore et optophonie
La recherche entreprise par Hausmann autour de son projet d’Optophone, entre 1922 et 1923,
est concentrée dans trois cahiers de notes conservés aux archives de la Berlinische Galerie (23). Ces
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notes révèlent une source bibliographique très spécialisée, le Zeitschrift für Feinmechanik, une revue
qui diffusait l’actualité des découvertes scientifiques et techniques, notamment dans le domaine de
l’énergie électrique. Le texte « Optophonétique », publié en langue russe, en mai 1922, dans le premier
numéro de la revue de Lissitzky et d’Ehrenbourg, Vesc – Gegenstand – Objet, avant d’être repris dans
MA au mois d’octobre, expose en raccourci le fruit de ces recherches :
«If a telephone is introduced into the arc-lamp’s circuit, the soundwaves make the electric arc
correspond precisely with the sound frequencies. If a variable-resistance selenium cell is introduced
into an electric arc that is in acoustic movement, the beam of light induces changing currents and the
photographed sounds appear on the film behind the selenium cell in the form of narrower or broader,
lighter or darker strips.
Using a selenium cell, the optophone transforms induced light phenomena into sounds with the aid of
a telephone switsched into the current. With the appropriate technical equipment the optophone can
give every optical phenomenon its sound equivalent […] » (24)
C’est autour de 1920 que Hausmann dit avoir assisté, au Musée des Postes de Berlin, à une
démonstration de la "lampe à arc chantant" découverte par le physicien anglais William Du Bois
Duddell en 1899 (25). Cette lampe à arc incandescent était reliée à un clavier qui permettait de
moduler la puissance de l'induction électrique. L’arc lumineux, produisant un son constant en temps
normal (un grésillement gênant dont la suppression était en fait la première motivation des recherches
de Duddell), pouvait alors émettre des sons musicaux. Au début des années 1920, ce principe fut
associé à l’une des premières cellules photoélectriques, la cellule de sélenium, pour permettre la
« photographie du son » sur la pellicule cinématographique. Les travaux pionniers du physicien
allemand Ernst Ruhmer dans ce domaine sont également mentionnés par Hausmann (26). En 1901,
Ruhmer avait déjà mis au point le dispositif du son optique. Avec son Photographophone, il était
parvenu à photographier les sons traduits par un « arc chantant » sur une pellicule, puis à les restituer
en faisant passer le film devant une cellule de sélénium, mais le son, privé encore de toute
amplification, n’était audible que par l’intermédiaire d’un écouteur téléphonique (27). C'est à la
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société Tri-Ergon (unissant les ingénieurs Hans Vogt, Jo Engl et Joseph Masolle) que revient le
perfectionnement viable, au tournant des années 20, du dispositif de Ruhmer, grâce à l'adjonction d'un
microphone (Kathodophon) et d'un haut-parleur électrostatique (Statophon), de sorte qu'en septembre
1922, au cinéma l’Alhambra de Berlin, fut montré le premier film avec son optique produit en
Allemagne. Cette conquête technique majeure mettait l’industrie cinématographique allemande dans
une position pionnière dans l’histoire du film parlant. Le compte-rendu détaillé qu’en donnait le
Zeitschrift für Feinmechanik dès 1921 (28) semble avoir directement inspiré les descriptions
formulées par Hausmann dans son texte de 1923, « Du Film parlant à l’optophonétique », qui
reproduit en exergue quelques photogrammes d’un film sonore produit par Triergon, où l’on peut voir
que la piste sonore se situe à l’extérieur des perforations (29).
Plus encore, Hausmann a véritablement « absorbé » dans sa pensée graphique toutes les
composantes et les étapes de ce processus technologique. Dans ses carnets de travail, il a reporté les
dispositifs de conversion et d’amplification, transcrits sous des formes schématiques (30). Son collage
programmatique daté de 1920, PRÉ (encre et impression sur papier, 34 x 34 cm, Berlinische Galerie,
Berlin), introduisait déjà un dessin à l’encre figurant de manière simplifiée une bobine de film
entraînée par un projecteur. C’est à l’imagerie plus spécialisée des mécanismes de transduction utilisés
par les débuts du cinéma sonore, qu’il faut en revanche rattacher le dessin-poème unique en son genre,
D2818 Phonem - Phonetisches Gedicht mit mechanischer Untermalung (1921, encre sur papier, 21,7 x
28,3 cm, collection privée). La qualité « diagrammatique » de ce dessin, au sens où l’entend David
Joselit (31), met en œuvre un détournement de la logique fonctionnelle associée à la machine. Une
articulation se joue entre les éléments mécaniques, traversés par des vecteurs d’énergie, et les éléments
d’un langage éclaté en lettres seules. Cette articulation, polyvalente et indécidable, renvoie au
foisonnement dynamique d’une conversion à double sens, en d’autres termes à un processus
multidirectionnel en acte. L’atomisation du langage est ici la conséquence ultime d’une pensée
graphique qui associe l’expression du mouvement au continuum vibratoire de l’énergie électrique.
L’appréhension, par le Dadasophe, des matériaux purs de la lumière et du son pose en fait la
question du langage au cœur de l’expérience physiologique, entendue comme une opération de
« traduction » effectuée par les sens. La notion que les sens fonctionnent de manière compensatoire et
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donc étroitement interdépendante, déjà exprimée chez Marcus, contient une potentielle révolution
sémantique, qui est la portée même de l’optophonétique d’Hausmann : « le cerveau, organe central,
complète pour ainsi dire un sens à travers l’autre » (32). L’idée hausmannienne de l’Optophone, si elle
s’appuie sur les possibilités explorées par l’industrie cinématographique pour développer un film
parlant correctement synchronisé, connaît à cet égard un antécédent plus spécifique encore parmi les
appareils de conversion électrique nés au début du 20 e siècle. Le terme même fut utilisé dès 1912, par
le physicien Fournier d’Albe, qui élabora à l’Université de Birmingham un instrument destiné aux
aveugles, utilisant une cellule de sélénium. D’abord pensé comme un capteur de lumière devant aider
à la mobilité des aveugles, l’instrument fut ensuite réélaboré, en 1914, en tant qu’outil de lecture : il
consistait en une rangée de cinq rayons lumineux très fins qui « scannaient » en quelque sorte la page
imprimée, renvoyant à une cellule de sélénium diverses réflexions lumineuses, interprétées alors sous
une forme sonore (33). Les sons produits avaient été intentionnellement harmonisés musicalement :
chacun des cinq rayons lumineux produisait une note donnée. Au terme d’un apprentissage difficile de
la part du sujet non-voyant, cette « musique optique » devait lui permettre de reconnaître les caractères
imprimés à l’alternance de blanc et de noir que leurs formes exposaient à la cellule photoélectrique.
Produit en série au début des années vingt, il connut une couverture publicitaire importante, en Europe
comme aux Etats-Unis, et tout naturellement dans la bible technique d’Hausmann, le Zeitschrift für
Feinmechanik (34).
Les démonstrations de cet appareil à Paris, en 1921 et 1922, ont certainement joué un rôle sur
l’inspiration de Francis Picabia, dans les deux toiles qui portent ce titre, Optophone I (vers 1922,
aquarelle sur papier, 72 x 60 cm, collection privée) et Optophone II (Vers 1921/1922 – vers
1924/1926, huile et ripolin sur toile, 116 x 88,5 cm, Musée d’art moderne de la ville de Paris) (35).
Dans l’une et l’autre de ces compositions, le motif de la cible, accueillant des nus féminins, établit un
glissement de l’optique au tactile. Ces nus ainsi que les références aux organes sexuels
particulièrement présentes dans la deuxième version, qui fut remaniée peu avant sa vente en 1926,
illustrent vraisemblablement une fantasmagorie née des présentations publiques de l’instrument, qui
étaient assurées par une élève de Fournier d’Albe, la jeune aveugle Mary Jameson. Chez Picabia,
l’Optophone est à l’évidence le support d’une boutade auto-ironique : cette machine destinée à
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remplacer l’alphabet braille, autrement dit prenant en charge la vision tactile des aveugles sur le plan
d’un processus électrique « désincarné », le conduit à tourner en dérision la synesthésie fortement
sexuée qu’il avait tout d’abord exprimée à travers la thématique du jazz, en 1913, dans ses deux
aquarelles Chanson nègre I (66,3 x 55,9 cm) et Chanson nègre II (55,8 x 66 cm), toutes deux au
Metropolitan Museum [Negro Song I &II]. De l’espace proprioceptif et fusionnel déployé dans les
aquarelles new-yorkaises de 1913, l’artiste évolue vers un dispositif voyeuriste, fondé sur la distance
et non sur la proximité à l’objet du désir.
Aucune référence explicite à l’Optophone de Fournier d’Albe n’apparaît dans les textes
d’Hausmann. La mention de l’appareil y reste aussi allusive que chez Picabia. L’Optophone
connaissait à l’évidence, au tournant des années 1920 une assez large notoriété, alors que les toutes
premières expériences de cinéma sonore ne prendront leur essor commercial que dans la seconde
moitié des années 1920. Comme il l’indique dans « Optophonétique », Hausmann envisageait de doter
l’Optophone (existant) d’un « appropriate technical equipment ». On ignore s’il connaissait la
première version de l’appareil, celle de capteur de mouvement, mais il est clair que le Dadasophe
pensait détourner les principes fonctionnels de cette machine au profit d’un art total, dont la vocation
aurait été d’élargir les limites de l’espace proprioceptif et de contracter les distances. Ce thème
présentiste traverse en permanence la théorie optophonétique. Poussant le langage verbal jusqu’à son
extrême désarticulation, il se réfère à la possession cinétique et fusionnelle de l’espace qu’Hausmann
expérimente dans la danse, art proprioceptif par excellence : « Le danseur est celui qui met l’espace en
mouvement, dans le sens qu’il vit en lui-même toutes les relations de tensions de l’espace et leur
confère une forme apparente à travers son corps » (36). Dans la théorie de l’artiste, l’Optophone
représente tout à la fois un réel objet d’investigation technique, et la métaphore d’une convertibilité
universelle des sens, une sensorialité étendue, en prise directe avec le mouvement continu de l’espace
vibratoire,.
Il faut attendre le début des années 1930 pour qu’Hausmann livre le fonctionnement technique
d’un instrument concret, visant à une synthèse des outils de conversion électrique. Dans le premier
numéro de la revue Gegner, fondée en 1931 à Berlin par Franz Jung, l’artiste publie un important essai
récapitulatif, « Die überzüchneteten Künste : die neuen Elemente der Malerei und der Musik » (« Les
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arts surdéveloppés : les nouveaux éléments de la peinture et de la musique »)où il expose ses idées sur
le « son électronique » et le « clavier à lumière ». De la constitution complexe de l’instrument décrit
par Hausmann, nous nous limiterons à donner les lignes essentielles. Il s’agit avant tout pour l’artiste
de joindre la couleur aux dispositifs existants. Pour cela, il imagine un clavier de cent touches
correspondant à autant de surfaces de gélatine bichromatée, qui présentent chacune un motif absorbant
la lumière à des degrés différents. C’est là d’une « adaptation » des motifs de stries plus ou moins
sombres et plus ou moins espacées qui apparaissent sur les premières pistes sonores réalisées sur
pellicule filmique. Hausmann opte ici pour une substance photosensible, l’acide chromatique, qui
réagit à la lumière en marquant la surface d’un léger relief et résiste davantage aux expositions
répétées à la projection que le bromure utilisé au cinéma. Ces gélatines bichromatées jouent le rôle de
filtres qui, sélectionnés tour à tour à l’aide du clavier, découpent la lumière en formes et en intensité
variables. Leur action est combinée à celle d’un prisme qui difracte la lumière en diverses zones
colorées. Les portions du spectre coloré apparaissant à l’écran sont alors fonction de l’action filtrante
des gélatines. Enfin, une cellule photoélectrique intercepte les valeurs lumineuses projetées sur l’écran
et traduit celles-ci, en temps réel, en valeurs sonores amplifiées dans un haut-parleur. C’est la machine
décrite ici qui apparaît esquissée au début des années 1950, dans un dessin non localisé à ce jour :
Schéma de l’Optophone (simplifié) (37). Hausmann conclut enfin sa description de l’« invention » par
laquelle les formes anciennes de la musique et de la peinture sont vouées à l’obsolescence, sous une
appellation inattendue :
« Il est possible à ce clavier d’exploiter structurellement les contrôles de tension entre les valeurs
optiques et acoustiques de telle manière que, grâce au choix correspondant des gélatines bichromatées,
on peut jouer sur lui des compositions optiques-phonétiques d’un genre absolument nouveau, ce sur
quoi la Chambre des Brevets a donné justement l’avis “qu’aucune sorte d’effet agréable, au sens
habituel, ne pourrait sortir de là”.
Chers Messieurs les musiciens, chers Messieurs les peintres : vous verrez avec les oreilles et vous
entendrez avec les yeux et vous perdrez ainsi la raison ! Le Spektrophone électrique anéantit votre
13
conception du son, de la couleur et de la forme ; de l’ensemble de vos arts il ne reste rien, hélas plus
rien du tout ! » (38)
Hausmann semble avoir tenté d’obtenir un brevet dès 1927 pour son instrument. Il s’en
explique au début des années 1930 : « Les claviers à couleurs, dont j’ai élaboré les fondements
théoriques depuis 1921 et dont j’ai pour la première fois en 1927 présenté cinq constructions
différentes à la Chambre Allemande des Brevets, étaient techniquement si inédits, que la Chambre des
Brevets a douté de la possibilité d’exploitation, et est allée jusqu’à écrire, comme motif de son refus,
“que rien d’agréable humainement ne pourrait en sortir” » (39). Par la suite, il ira jusqu’à radicaliser ce
motif de refus dans un sens anti-fonctionnaliste. Le projet aurait été rejeté parce que « techniquement
très possible, mais on ne peut pas voir à quoi il pourrait bien servir » (41). Rien de tout cela ne peut
être vérifié dans les archives de l’artiste et la Chambre des Brevets de Berlin, suite à la guerre, ne
conserve pas les archives de l’époque. Les premières occurrences d’échanges avec la Chambre des
Brevets de Berlin remontent en revanche à la fin de l’année 1930, peu avant que l’artiste ne se décide à
publier dans le Gegner les détails techniques de son Optophone. Elles ne concernent pas un instrument
opto-acoutisque au sens spectaculaire, mais une « machine à calculer sur une base photoélectrique »
conçue en collaboration avec l’ingénieur Daniel Broïdo, sorte d’ordinateur analogique qui constituera
le seul aboutissement concret – et utilitaire -- de cette longue spéculation technique (41). Les
remarques rétroactives d’Hausmann pointent malgré tout un paradoxe significatif : il s’agissait de
demander un brevet pour un appareil qui détournait de leur finalité utile des appareils déjà existants
– et dont l’un était d’ailleurs déjà breveté sous le nom même d’Optophone.
Flux et réversibilité
Si les circonstances d’évolution de l’Optophone de 1922 jusqu’au « Spektrophone électrique » de
1931, et sa transformation parallèle en machine à calculer demeurent en partie indécidables, il reste
que le projet d’Hausmann se raccorde mal à la fascination technologique de « l’artiste ingénieur ». Par
delà le caractère synthétique qui oppose sa théorie à celle de Marinetti, une forte logique d’hybridation
s’exprime dans l’art total électrique pensé par le Dadasophe : non seulement entre les effets sensoriels
14
visés, mais encore dans le montage des divers appareils de conversion de l’énergie électrique qui font
dialoguer ces effets. Un aspect significatif de la théorie optophonétique est en ce sens le principe de
réversibilité auquel elle se réfère. L’attachement de l’artiste au passage à double-sens image/son/image
n’est pas sans rapport avec les premières techniques télévisuelles tentées au début du siècle avec la
cellule de sélénium : la transformation photoélectrique de l’image en son définissait une « station
intermédiaire » avant sa nouvelle transformation en image, sur un écran de lecture distant (42). Les
moyens électriques développés dans l’optophonétique impliquent bien l’idée d’un « toucher à
distance », dont Hausmann voudrait généraliser la formule. Dans ses notes de 1922, annonçant une
Weltanschauung optophonétique, il reprend en effet l’idée d’un « organe central » des sens, inspirée
par Marcus, pour appeler à la naissance d’appareils novateurs : « teleoptor », « telephor »,
« telehaptor », « teleodor » et « telegustor » (43). En appréhendant les médias électriques comme de
véritables prolongements organiques du système sensoriel, en y voyant les outils mêmes de la
« sensorialité excentrique », cette idée préfigure de façon frappante la vision que développera Mc
Luhan une quarantaine d’années plus tard, à propos des médias considérés comme des
« traducteurs » :
« Our very word ‘grasp’ or ‘apprehension’ points to the process of getting at one thing through
another, of handling and sensing many facets at a time through more than one sense at a time. It begins
to be evident that ‘touch’ is not skin but the interplay of the sense, and ‘keeping in touch’ or ‘getting in
touch’ is a matter of fruitful meeting of the senses, of sight translated into movement, and taste and
smell. » (44)
Dans le contexte de l’avant-garde berlinoise du début des années 1920, une telle conception se
heurte inévitablement au positionnement théorique bien connu de Moholy-Nagy à propos du processus
« productif » que l’on peut tirer des médias traducteurs. C’est au mois de juillet 1922, que MoholyNagy lance dans la revue De Stijl son célèbre essai, « Production-Reproduction », où il cherche à tirer
une théorie générale des procédés de création par empreinte directe sur les supports de reproduction
que sont le papier photographique et le disque. L’artiste hongrois établit là un parallèle entre la
15
pratique du photogramme, partagée par les dadas et les constructivistes, et celle d’un objet sonore qui
resterait à créer : le disque gravé manuellement, par empreinte dessinée directement par l'artiste sur la
matrice de cire. La photographie comme le disque seraient alors utilisés pour produire des images et
des sons inédits, plutôt que pour reproduire l'existant. Cette idée est très proche de la théorie haptique
telle que l’avait développée Hausmann quelques mois auparavant, dans son manifeste présentiste puis
dans son « Optophonétique ». Comme chez Hausmann, la démarche de Moholy-Nagy appuie sa
légitimation dans l’idée du « perfectionnement » sensoriel de l’homme. Mais son point de vue prend
une position exactement inverse à celle du Dadasophe : « ce perfectionnement est le fait et le devoir de
l’art, car l’effet dans son ensemble dépend de la perfection de l’organe récepteur, dans la mesure où
l’art s’évertue à susciter de nouveaux rapports plus prometteurs entre les phénomènes optiques et
acoustiques encore inconnus et d’autres phénomènes fonctionnels, et aussi dans la mesure où il oblige
les organes fonctionnels à assimiler ces rapports » (45). L’artiste hongrois, s’apparentant en cela au
constructivisme plus qu’au dadaïsme, confie à l’artiste le rôle de modeler le fonctionnement et les
réflexes sensoriels de l’homme, plutôt que de voir l’art illustrer, extérioriser un dispositif
physiologique supposé déjà présent dans tout être humain. Motivé par la création de nouveaux moyens
musicaux, Moholy-Nagy envisage en ce sens l’examen systématique des sillons du disque, afin de
déterminer une sorte d’ « alphabet » de la graphie sonore (46). Chez Hausmann, l’idée de fonder un art
sur les seules ondes lumineuses, et la possibilité de traduire l’énergie lumineuse en énergie sonore est
clairement exprimée dès 1921. En revanche, le principe d’une musique électronique en tant que telle,
consciemment créé à partir d’un vocabulaire visuel, n’est directement abordé par le Dadasophe qu’en
1923 (47). Par-delà l’évidente dynamique de concurrence, les attitudes des deux artistes révèlent
surtout des intérêts décalés. Ce décalage peut être apprécié à l’aune de l’opposition que Friedrich
Kittler a soulignée, dans son histoire des médias, entre la traduction, pratique ancestrale du langage, et
la transposition que visent les technologies électriques de conversion. « Tandis que la traduction perd
toutes les singularités au profit d’un équivalent d’ensemble, remarque-t-il, la transposition médiatique
procède de manière ponctuelle et sérielle » (48). Si l’une s’investit de manière qualitative dans le
processus, l’autre s’inscrit de manière fonctionnelle dans un résultat terme à terme. La prise en compte
globale des outils de conversion électrique et leur combinaison complexe dans l’optophonétique
16
rapportent davantage la démarche esthétique d’Hausmann à la dynamique processuelle de la
traduction, qu’à la finalité productive de la transposition explorée au même moment par MoholyNagy.
La naissance du projet de l’Optophone coïncide certes, dans le parcours d’Hausmann, avec
son éloignement du Club Dada de Berlin, lorsque commence la série de manifestations qu’il organise
avec Schwitters. Le 6 septembre 1921, Hausmann donnait avec Schwitters sa première soirée « Merz
& Präsentismus : Neue Lyrik » à Prague, se ralliant aux recherches Merz. La même année il rédigeait
un texte resté à l’état de manuscrit : « Immer an der Wand lang, immer an der Wand lang. Manifest
von Dadas Tod in Berlin », où il affirmait avoir creusé la tombe du dadaïsme (49). Il reste que sa
démarche en matière de nouvelles technologies est animée d’un autre souffle que celui qui motive les
recherches simultanées de Moholy-Nagy, dont l’horizon est la création maîtrisée d’un nouvel alphabet
sonore. C’est plutôt dans les recherches cinématographiques abstraites menées à cette époque par
Eggeling et par Richter que l’on peut en trouver un équivalent. La « Deuxième déclaration
présentiste » publiée en 1923 dans MA, qui associe à la signature d’Hausmann celle d’Eggeling,
assume un rejet violent des aspects productivistes du constructivisme international avec l’argument
suivant : « notre attachement à la physiologie et à l’approche physique de la fonction formelle nous
oppose aux techniques et aux arts qui ont existé jusqu’à présent ; car notre constat est qu’aucun
domaine du travail et des pratiques humaines n’est là de lui-même : il est plutôt lié en chacun à un
progrès analytique au niveau du subconscient, par-delà les insuffisances et les inhibitions
fonctionnelles de la psychologie humaine » (50).
Comme l’a récemment souligné Malcom Turvey, en analysant le concept de « langue
universelle » chez Richter, la recherche d’un nouveau langage dans l’image abstraite en mouvement a
partie liée avec l’exploration des mécanismes profonds de la perception : « when referring, albeit
briefly, to his search for a universal language through his abstract work, Richter tends to talk about
uncovering the species-wide laws of perception “hardwired” in the brain. » (51). Cette nouvelle langue
s’approche de l’élémentarisme constructiviste par ses moyens. Elle s’en éloigne dans ses motivations
et dans son processus de mise en œuvre vis-à-vis du spectateur. Là où le constructiviste, par son acte
de Gestaltung, modèle l’homme nouveau, la branche élémentariste de Dada aspire à s’approcher des
17
conditions les plus primitives de la perception. Mise en mouvement, l’image abstraite convie le
spectateur à une adhésion hypnotique. Chez Richter comme chez Hausmann, les technologies
électriques sont le détour d’un propos primitiviste, visant à inscrire l’œuvre dans l’immédiateté d’un
inconscient libéré. Elles viennent activer de nouveaux dispositifs de perception, propres à absorber le
spectateur dans une disponibilité vis-à-vis du flux lui-même. Un flux réversible, tant dans le principe
de l’Optophonétique, que dans le chef d’œuvre cinématographique de Richter, Rythme 21, dont la
dynamique rythmique, bâtie sur de nombreux moments d’inversion de l’image (fond/forme,
positif/négatif) contredit l’idée de progression au profit de celle de processus.
À y regarder de plus près, c’est justement là le programme que livre l’« Appel pour un art
élémentaire » d’octobre 1921 :
« […] pris dans la marche de l’époque, nous proclamons avec l’art élémentaire le renouveau de notre
conception, de notre conscience des sources d’énergie qui s’entrecroisent inlassablement, modèlent
l’esprit et la structure du temps, donnent naissance à l’art, chose pure qui, libérée de l’utilité et de la
beauté, jaillit, élémentaire, le l’individu. » (51)
La notion d’ « art élémentaire », où les historiens du dadaïsme voient habituellement le signe du
tournant constructiviste, s’avère être aussi l’un des lieux d’aboutissement essentiels de dada. Les
dernières phrases de ce manifeste réunissent momentanément Hausmann et Moholy-Nagy, avant que
leurs trajectoires esthétiques ne se séparent. L’élémentarisme constructiviste prendra en charge un
projet de transformation de l’homme par la Gestaltung de son environnement, tandis que
l’élémentarisme dada sollicite les structures les plus primitives de la sensibilité, non pas en les
formant, mais en les libérant, de l’inconscient à la surface. L’éradication du langage, qui en résulte, la
dissolution de la musique elle-même dans le continuum vibratoire du son et les pures pulsations
rythmiques, puisent à la vertigineuse énergie régressive de Dada. Plus encore, elles inscrivent dans le
champ d’action expérimental qui fut celui de Dada les germes d’une histoire « tribale » des médias .
Une histoire réfractaire à l’idée de production où, de John Cage à Nam June Paik, et par le biais des
théories de McLuhan, les technologies issues de l’électricité sont interprétées à la fois en termes
18
d’interaction et d’équivalence avec le foyer électrique que constitue le système nerveux de l’être
humain.
Le renversement de la perception optique et statique du monde, à laquelle Marinetti comme
Hausmann cherchaient à opposer les valeurs du sens tactile, passe chez le dadaïste par la
culture des nouvelles technologies de l’empreinte sonore et de ses procédés optiques de
déchiffrement. C’est à cette définition qu’il reste attaché lorsqu’il oppose, au « poème
phonétique » pratiqué par les poètes dada, le « poème optophonétique », qui repose sur une
traduction de la diction elle-même en une « graphie sonore », ainsi qu’il s’en explique dans sa
compilation autobiographique, Courrier Dada :
« Je me disais qu’un compositeur de musique comprend les signes abstraits des notes
musicales et qu’il entend leur sonorité en regardant son écriture.
C’est alors qu’en 1919, je décidai de créer le poème optophonétique en introduisant, à l’aide
de moyens typographiques différents, une sorte de scopo-phonie qu’on devrait en tendre en
regardant les phonèmes ordonnés d’une manière précise.
Si le poème optophonétique ou scopo-phonique est ainsi ordonné, le rythme a une intonation
plus ou moins forte, et permet déjà au regard une expression sonore. […]
La phonie devrait prendre le sens de signes et de signaux dans l’espace »1
Ce que l’artiste décrit ici ne correspond pas vraiment à la lecture de la notation musicale
traditionnelle, qui repose sur un code sémantique préétabli. Si l’idée d’une « scopo-phonie »
s’approche de quelque chose d’existant, ce serait plutôt du principe de lecture optique de
l’optophone de Fournier d’Albe, une machine à convertir les contours des caractères
typographiques en alternances de sons et de silences, en variations de fréquences.
(HAUSMANN NOTES)
* Je tiens à remercier vivement Leah Dickermann et le CASVA pour avoir sollicité ma participation au
séminaire Dada. Je suis très reconnaissante aux participants du séminaire, George Baker, T. J Demos,
Leah Dickermann, Brigit Doherty, John Elderfield, Hal Foster, Amelia Jones, David Joselit, Hellen
Molesworth, Therese O’Malley, Jeffrey Schnapp, Michael Taylor, Aurélie Verdier, Matthew
Witkovsky, pour les précieuses remarques dont ils ont fait bénéficier ce travail. Mes vifs
1
19
remerciements vont aussi au Musée Départemental de Rochechouart et à la Berlinische Galerie,
dépositaires des archives de Raoul Hausmann, pour le soutien qu’ils ont apporté à mes recherches.
(1) László Moholy-Nagy, Painting, Photography, Film, with a note by Hans M. Wingler and a
postscript by Otto Stelzer, translated by Janet Seligman, London, 1969, 22.
(2) Alexander László, Farblichtmusik, Leipzig, 1925.
(3) Raoul Hausmann, « Optophonetika », Vesc, Gegenstand, Objet, 3, Berlin, May 1922. Translation
from Russian in Reprint Edition with volume of comments, Baden, 1994, 121. Ce texte est ensuite
repris en hongrois dans MA, 1, Vienne, octobre 1922.
(4) La notion pertinente d’ « art élémentaire » chez les artistes mentionnés n’enlève rien au caractère
très significatif de la déclaration co-signée par Raoul Hausmann, Hans Arp, Iwan Puni, László
Moholy-Nagy, « Anruf zur elementaren Kunst », De Stijl, IV/10, Octobre 1921, 156, habituellement
considérée comme l’un des indices de transition entre Dada et le « constructivisme international », et
sur laquelle nous reviendrons plus loin.
(5) Raoul Hausmann, Courrier Dada, Paris, 1958, 89.
(6) Michael Erlhoff, dans son excellente monographie Raoul Hausmann, Dadasoph : Versuch eine
Politisierung der Ästhetik (Hannovre,1982, 131-145), consacre une importante « digression » au projet
théorique de l’Optophone, analysé du point de vue d’une « utopie sensorielle » dans la lignée des
claviers chromatiques. Timothy O. Benson (dans Raoul Hausmann and Berlin Dada, Ann Arbor,
1987), évoque l’Optophone, quant à lui, dans le dernier chapitre de son ouvrage, au titre significatif :
« Après Dada ». Voir également Eva Züchner, ed., Scharfrichter der bürgerlichen Seele : Raoul
Hausmann in Berlin, 1900-1933, Unveröffentlichte Briefe, Texte, Dokumente, aus den KünstlerArchiven der Berlinischen Galerie, Berlin, 1998.
(7) Raoul Hausmann, « Ausblick auf Elektronen-Kunst », Manuskripte, 2, Graz, 1967, 17-19.
(8) Eva Züchner, « Aux sources de la révolte », Raoul Hausmann, Musée d’art moderne de SaintEtienne, 1994, pp. 9-21.
20
(9) Ce livre fut édité par Der Sturm, Berlin, en 1918. Hausmann en prit connaissance plus tôt par
l’intermédiaire de Friedlander.
(10) Lettre du 23.11.1916, Ralf Burmeister, Eckard Fürlus, Karin Hoerstel, eds., Hannah Höch : Ein
Lebenscollage, Berlinische Galerie, Berlin, 1989, vol. 1, 235.
(11) Raoul Hausmann, « PRÉsentismus : gegen den Puffkeismus der teutschen Seele», daté
« Février 1921 », De Stijl, IV/7, Septembre 1921, 141.
(12) Le texte de ce manifeste avait été lu au Théâtre de l’Œuvre le 14 janvier 1921. Parmi le public, les
dadaïstes parisiens, notamment Picabia, avaient exprimé une vive hostilité.
(13) Filippo T. Marinetti, « Le Tactilisme », tract daté « 19 janvier 1921 ».
(14) Marinetti, 1921.
(15) Marinetti en accuse réception dans une lettre à Hausmann, sans date, probablement printemps de
l’année 1921, Hannah Höch Archiv, Berlinische Galerie, 1989, vol. 2, 45.
(16) Hausmann, 1921, 141.
(17) Jean d’Udine (pseudonyme d’Albert Cozanet), L’Art et le geste, Paris, 1910, 121 : « deux sens
quelconques ne peuvent jamais être solidaires l’un de l’autre, ni même raisonner sympathiquement,
sans que le toucher ne leur serve d’intermédiaire. » Voir à ce sujet les premières théories de
proprioception analysées par Arnauld Pierre, « La musique des gestes : sens du mouvement et images
motrices dans les débuts de l’abstraction », Aux Origines de l’abstraction, 1800-1914, Musée d’Orsay,
2003, 85-101.
(18) Filippo T. Marinetti, « La peinture futuriste », Excelsior, 15 février 1912, Paris. Il faut signaler
que ce texte reprend une conférence donnée en italien par le peintre futuriste Umberto Boccioni au
Circolo Internazionale de Rome, le 29 mai 1911 : Boccioni, Gli Scritti editi e inediti, ed. Zeno Birolli,
Milan, 1972, vol. 2, 11.
(19) Fedele Azari, « Théâtre aérien », avril 1919
(20) Hausmann, 1921, 140-141.
(21) Hausmann se réfère au premier article consacré aux expériences de Wilfred, artiste danois émigré
aux Etats-Unis pour rejoindre le groupe des Prometheans, créé à Long Island par Claude Bragdon :
Virginia Farmer, « Mobile Colour : A New Art », Vanity Fair, Decembre 1920, 53. Cette recension
21
d’une performance d’atelier est la source d’une confusion qui perdurera dans les propos d’Hausmann.
La journaliste décrit non seulement des formes colorées flottant dans l’espace (la photographie
reproduite, cernant la pure épiphanie de la lumière sur fond noir, conforte cette impression), mais
encore un son électronique continu « a drone » (sans doute un son parasite), ce qui laissera croire au
Dadasophe que le Clavilux faisait opérer conjointement fréquences lumineuses et fréquences sonores,
alors que l’instrument était muet. La première présentation publique du Clavilux, accompagnée de
musique instrumentale, fut donnée à la Neighborhood Playhouse, New York, le 10 janvier 1922.
(22) Hausmann, 1921, 141.
(23) RHA-BG 1754, RHA-BG 1757 et RHA-BG 1760. Je remercie vivement Gunda Luyken,
Directrice du Künstler Archiv de la Berlinische Galerie, de l’aide qu’elle m’a apporté dans l’accès à ce
fonds d’archives, ainsi que pour les conversations fructueuses au sujet de l’optophonétique.
(24) Hausmann, 1922.
(25) Lettre à Henri Chopin du 23 juin 1963, cité dans Jacques Donguy, « L’Optophone de Raoul
Hausmann », Art Press, 255, Mars 2000, 56.
(26) Lettre à Henri Chopin, 23 juin 1963.
(27) Ernst Ruhmer, « The Photographophone », Scientific American, 20 juillet 1901. Voir aussi le
chapitre plus approfondi sur cet appareil dans Ernst Ruhmer, Drahtlose Telefonie, Berlin, 1907, 7-30.
L’article de synthèse de Louis Ancel, « Le Sélénium et ses applications actuelles », Chimie et
Industrie, II/3, 1er mars 1919, 245-259, paru en allemand sous le titre « Die Vielseitige Verwendung
des Selens », dans Zeitschrift für Feinmechanik, 20 janvier 1920, expose dans le détail les relations
fonctionnelles entre la lampe de Duddell et le son optique sur pellicule filmique.
(28) « Ein neues Verfahren zur Herstellung sprechender Film », Zeitschrift für Feinmechanik, 20
septembre 1921, 1.
(29) Raoul Hausmann, « Vom sprechendem Film zur Optophonetik », G : Material für elementaren
Gestaltung, 1, Juillet 1923.
(30) Voir notamment le dispositif « Tri-Ergon », reproduit dans Notizbuch VII, 1922-23, « Texte zur
Physik, Optik und Optophonetik » (BG-RHA 1754, Beilag 9, Bl. 3), et sa réinterprétation graphique
(Beilag 9, Bl. 1), Berlinische Galerie.
22
(31) Je me réfère ici à son essai, consacré à la forme du diagramme chez Duchamp et Picabia, publié
dans ce même volume.
(32) Raoul Hausmann et Viking Eggeling, « Zweite Präsentistische Deklarazion », MA, VIII/5-6,
Vienne, 1923, n.p.
(33) E. E. Fournier d'Albe, « The Type-Reading Optophone », Nature, 3 Septembre 1914, 4.
(34) Léon de Clérault, « Le Sélénium est appelé à révolutionner la physique », La Science et la vie,
VII/49, Paris, Février-mars 1920, 295-305 ; « The Type-reading Optophone », Scientific American,
CXXIII/19, New York, 6 Novembre 1920. La présentation d’un nouveau modèle d’Optophone produit
par la firme Anglaise Ban & Stroud, publiée dans la revue londonienne The Electrician (Vol. 85, 1920,
183), est traduite dans le Zeitschrift für Feinmechanik en 1921.
(35) La revue La Science et la Vie, où avait paru l’importante étude de Léon de Clérault sur le
sélénium consacrant un chapitre détaillé à l’Optophone de Fournier d’Albe (voir note précédente), est
connue pour être l’une des sources iconographiques les plus importantes de Picabia depuis les années
1910.
(36) Raoul Hausmann, « Die Absichten des Theaters PRÉ », Der Sturm, XIII/9, Berlin, Septembre
1922, 138.
(37) Première publication : Jean-François Bory, Prolégomènes à une monographie de Raoul
Hausmann, Paris, 1972, n. p.
(38) Raoul Hausmann, « Die überzüchneteten Künste : die neuen Elemente der Malerei und der
Musik », Gegner, 1, Berlin, 15.6.1931, 17.
(39) Raoul Hausmann, « Über Farbenklaviere », A bis Z, 3, Cologne, Février 1932, 88.
(40) Lettre à Henri Chopin, 23 juin 1963. La même explication apparaît dans une lettre du 6 décembre
à Paul de Vree, Factotum Art, I/1, Calaone-Baone, 1977, citée par Michael Erlhoff (ed.) dans Raoul
Hausmann, Texte bis 1933, Munich, 1982, Vol. 2, 214.
(41) Divers états d’un brevet, « Verfahren zur fotoelektrischen Schaltung von Rechen- ZählRegistrier- und Sortiermaschine », sont conservés dans la correspondance de Raoul Hausmann avec
Daniel Broïdo et avec le Reichspatentam Berlin. Le premier (RHA-BG 1118) accompagne une lettre
du 15 juillet 1930. C’est seulement en 1934, qu’Hausmann réussira à faire accepter, à la Chambre des
Brevets de Londres, un brevet intitulé « Improvements in and relating to a calculating apparatus »,
23
Patent Specification N°446.338, co-signé avec Broïdo. Ce dernier est reproduit dans Erlhoff, 1982,
vol. 2, 215 ff.
(42) Clérault, 1920 ; Ancel, 1919 et 1920. Dans « Vom sprechenden Film zur Optophonetik », 1923,
Hausmann mentionne un procédé de ce type, avec une référence obscure : « Die Zukunft des
elektrischen Fernseher », d’un certain Plenner.
(43) « Versuch einer kosmischen Ontographie. Optophonische Weltanschauung ». Texte daté « Ende
Juli, Anfang Dezember 1922 », Notizbuch VIII, BG-RHA 1757. Dans un autre texte inédit,
« Optophonetische Erklärung », tapuscrit daté « 1937 », préambule à un ouvrage sur l’optophonétique
qui ne verra pas le jour, Hausmann laisse entendre sans équivoque la résonance cosmique de cette
révolution haptique : « Laissez-nous créer notre vie de manière optophonétique. Le temps est un
rythme, dans lequel l’espace sonne et luit. […] Construisez des optophones et écoutez la lumière du
monde », Fonds Raoul Hausmann, Musée Départemental de Rochechouart. Ce fonds d’archives
contient également le sommaire du livre projeté par Hausmann, sous le titre Die Abstrakte Formwelt
und das Optofon. Je remercie Arielle Pélenc, Directrice du Musée de Rochechouart, qui m’a permis
l’accès à ces archives, et Barbara Lindlar, qui m’a aidé dans mes recherches.
(44) Marshall McLuhan, Understanding Media : The extensions of Man [1964], Cambridge (Mass.),
London, 1995, 334.
(45) Laszlo Moholy-Nagy, « Produktion-Reproduktion », De Stijl, n°V/7, Juillet 1922.
(46) L’idée, déjà annoncée dans « Produktion-Reproduktion », sera développée dans : László MoholyNagy, « Neue Gestaltung in der Musik : Möglichkeiten des Grammophons », Der Sturm, n.14, July
1923. Voir à ce sujet les remarques de Thomas Y. Levin dans « “Tones out of nowhere” :Rudolf
Pfenninger and the Archaeology of Synthetic Sound », Grey Room, 12, Summer 2003, 32-79.
(47) Dans « Vom sprechendem Film zur Optophonetik », lequel paraît tout simplement le même mois
que le second texte de Moholy-Nagy sur la graphie sonore dans Der Sturm (voir note précédente).
(48) Friedrich Kittler, Aufschreibesysteme 1800-1900, Munich, 1987, 271.
(49) Probablement Berlin, 1921, BG-RHA 1249, Züchner ed., 1998, 117-125.
(50) Hausmann et Eggeling, 1923.
24
(51) Malcom Turvey, « Dada between Heaven and Hell : Abstraction and Universal Language in the
Rhythm Films of Hans Richter », October - Dada, A Special Issue, Leah Dickerman ed., 105, Eté
2003, 33.
(52) Hausmann, Arp, Puni, Moholy-Nagy, 1921.
25

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