Pascal Trey Pierre
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Pascal Trey Pierre
Pascal Trey MBA ESCP Pierre-Marie GALLOIS CFPIM Professeur affilié Groupe ESCP LA GLOBALITE PAR LA COHERENCE ET LE PARTAGE DE L’INFORMATION L’objectif de la présentation est de démontrer la nécessité d’organiser l’information et la communication dès lors que l’on cherche à associer performance globale et forte autonomie opérationnelle. Le sens donné à l’information, la vision commune soutenue par des modèles partagés, l’appropriation (au double sens de pertinence et de propriété) des indicateurs sont à la base de responsabilisation individuelle et des engagements collectifs à tous niveaux. En introduction, nous développerons l’apparente contradiction entre cohérence et décentralisation qui, pour être levée, exigera de développer au sein de toute organisation trois notions fondamentales : l’appartenance, l’autonomie et l’esprit d’amélioration. Puis, nous présenterons, étayé de nombreux exemples, les démarches et les outils permettant d’installer durablement ces notions de bases en insistant particulièrement l’information et la communication de proximité et donc sur le management visuel dans une stratégie de performance et de progrès continu. En conclusion, nous rappellerons la priorité qu’il faut donner à la compétence et à la responsabilisation des hommes ainsi qu’à la qualité de l’organisation sociale pour soutenir la recherche de performance globale des entreprises. LE CONTEXTE Le changement radical et conjoint du rapport de l’entreprise d’abord au Client, à l’Espace et à l’Environnement, mais surtout au Temps et à l’Homme, a présidé à l’émergence d’un nouveau modèle d’organisation et de fonctionnement dit « Au plus juste », « Agile », « Lean », « World Class » ou encore « New Production System ». - Le client est devenu « le dirigeant principal » et, de ce fait, inversant la pyramide, son influence s’exprime principalement à travers les notions de qualité et de valeur et exige service, personnalisation et innovation avec, toujours, bien entendu, la préoccupation du prix en arrière-plan Le client étant omniprésent dans le fonctionnement de l’entreprise, particulièrement au travers du cycle de vie des produits (avant, pendant et après), la relation doit s’inscrire dans la durée et la fidélisation devient un objectif. - L’élargissement « spatial » du champ de l’entreprise résulte de la mondialisation des échanges et de la compétition ; il conduit à la globalisation des approches, à la coopération et se concrétise par des réseaux, des maillages,… ; la recherche d’optimum se fera au niveau de cette entreprise étendue. - La responsabilité de l’entreprise ne s’applique pas seulement à ce qui concerne la fourniture de produits et de services ; elle doit prendre en compte la totalité du cycle de vie de ses produits (et parfois même de ses moyens) jusqu’à leur recyclage, limiter la consommation de ressources qui se raréfient, concevoir des produits et des process « propres ». Mais l’écosystème n’est qu’un des aspects de l’environnement avec lequel interagit l’entreprise ; il n’est plus possible d’ignorer également son rôle vis-à-vis de l’environnement économique et social : l’entreprise est « citoyenne » ! - Vitesse, délais, cycles de vie, évolutions, autant de facettes du temps qui sont devenues des enjeux concurrentiels ; elles conduisent à la réactivité (la réponse rapide aux sollicitations), à la pro activité (la capacité à introduire rapidement sur le marché de nouveaux produits, de nouvelles technologies, des services différenciés) et à l’adaptabilité (la capacité à se redéployer, à mettre en œuvre d’autres organisations, à intégrer de nouvelles technologies, à se remettre en cause et à s’améliorer en permanence). Synchronisation, simultanéité, instantanéité, dynamique et couplage en sont la concrétisation. Mais si les cycles et les temps de réponse vont diminuant, il est une dimension moins visible du temps qui devient plus que fondamentale, c’est celle de la durée car elle reste la seule à pouvoir donner la cohérence et la stabilité et donc garantir la pérennité. - Depuis que les machines ont pris en charge les opérations répétitives de traitement de la matière aussi bien que de l’information, l’homme ne peut plus être considéré comme un simple « moyen » mais comme un acteur et en particulier un acteur de changement. - Moteur de l’évolution, il intervient, non dans, mais sur le système. Au pire, il est partie intégrante du système de décision, au mieux il se situe au niveau du méta-système, celui qui modifie et fait évoluer ; une usine sans homme est condamnée car elle n’est plus capable de progrès ! L’homme représente le capital intelligence et savoir-faire de l’entreprise, mais il ne figure pas au bilan et on ne l’analyse donc qu’en termes de coûts, on le réduit,… Or, paradoxalement, c’est ce capital, vecteur de la créativité et de l’innovation, générateur et diffuseur de la connaissance, porteur donc de la pérennité, qui est le plus difficile à constituer et à maintenir ! L’industrie qui se dessine aujourd’hui invite à transposer les valeurs de l’artisanat (service, créativité, sens de l’œuvre, compagnonnage, solidarité,…) à l’échelle industrielle. L’INTEGRATION ET LA COOPERATION La notion d’intégration, associée à celle de coopération, s’impose comme l’une des tendances majeures des nouvelles organisations industrielles. « Il y a malheureusement beaucoup plus d’hommes qui élèvent des murs que d’hommes qui construisent des ponts »1 1 Proverbe Chinois En effet, elle confirme l’évolution d’un mode de fonctionnement où les tâches étaient découpées et les fonctions cloisonnées vers des modes où le seul « optimum » est celui de l’entreprise élargie (au lieu de celui de chacune des ses composantes) et où les relations entre fonctions deviennent alors des relations de coopération (cadrées par des relations de « subordination »). Seul moyen d’assurer, d’une part la convergence des objectifs mais aussi des actions, d’autre part la réactivité et l’adaptabilité par la responsabilisation et le partage des savoir-faire, la notion d’intégration (à la fois dans le temps et dans l’espace, interne et externe), associée à celle de « système », induit d’abord de nouveaux comportements puis de nouvelles organisations des hommes, des ressources techniques, de l’information et de la connaissance ; elle nécessite ensuite, en support, des outils de communication et d’aide à la décision qui aient cette même capacité intégratrice. Ces diverses dimensions de l’intégration s’appliquent d’abord aux processus de base (la chaîne de valeur) de l’entreprise ainsi qu’aux différents niveaux de leurs processus de pilotage (opérationnel, de l’évolution, de la mutation). Mais, « intégration » peut et doit aussi s’appliquer aux hommes de l’entreprise qui, progressivement, passeront « d’employés » à « associés ». Intégration et coopération caractérisent également la relation de l’entreprise avec son environnement spatial et social, que ce soient les marchés, les partenaires, voire les concurrents, les centres de recherche, le tissu économique et social, les pays et leurs cultures. Intégration, interaction, couplage, relais, autant de mots qui s’opposent à centralisation, cloisonnement, segmentation, division… ; paradoxalement donc, intégration ne veut surtout pas dire centralisation et nécessite décentralisation à condition toutefois que décentralisation ne sous-entende pas désintégration… Dans ce contexte, intégration et coopération signifient également cohérence et autonomie, performance collective et intelligence d’équipe : ils préfigurent des organisations apprenantes. LA CONDUITE DU CHANGEMENT Evolution par rupture et progrès permanent ; contradiction ou complémentarité ? De toute évidence, c’est de complémentarité ou même de relais qu’il s’agit car, et c’est bien la difficulté, le but n’est pas de savoir ni de vouloir changer « une seule fois » : évoluer devient une activité permanente et fondamentale des entreprises ; c’est un voyage et non une destination dont les principaux écueils sont celui de « l’effet de mode » consistant à appliquer les recettes « dont on parle », celui du lancement d’actions dans toutes les directions sans garantie de convergence ou – et c’est peut-être le plus grave- celui qui consiste à dissocier l’idée de sa mise en œuvre (« faites ce que je dis, pas ce que je fais ! ») La rupture suppose une démarche descendante prise en charge par des équipes spécialisées, associant capacité d’anticipation et de conception avec connaissance de la réalité du terrain ; la cohérence se construit « à priori ». Progrès au quotidien est, quant à lui, synonyme de stratégie d’actions réparties confiées à chacune des personnes de l’entreprise ; on aura pour cela renforcé leur capacité de détection et d’action. Le principe en est simple : le potentiel d’amélioration de toute activité se trouve principalement entre les mains de ceux qui la vivent huit heures par jour ; la cohérence, dans ce cas, se constate et donc se construit « à postériori » pourvu que le sens ait été indiqué en préalable. C’est autour de l’articulation subtile et harmonieuse entre ces deux types de conduite du progrès que se construiront les démarches d’évolution efficaces et durables. L’INFORMATION AU SERVICE DE LA COHERENCE Auparavant, il semblait suffisant de transmettre un plan via la hiérarchie pour garantir la mise en œuvre cohérente d’une évolution majeure de l’entreprise. Le nombre d’échecs ou les écarts entre les résultats attendus et ceux observés, ont mis en évidence l’insuffisance d’un tel dispositif. Les méthodes apparentées à la qualité totale (telles qu’elles ont été souvent comprises et appliquées en Occident) partent souvent de la reformulation et de la diffusion généralisée de principes, se poursuivent par l’élaboration de . L’adhésion est dans ce cas difficile car le projet est transmis par l’ensemble de la hiérarchie bien avant que les premières actions ne puissent être engagées ; le discours a précédé le vécu. Dans le contexte actuel, le succès et la cohérence du déploiement de tout projet d’évolution repose sur une importante autonomie laissée aux équipes de terrain. La cohérence entre performance globale et autonomie des équipes provient d’une part de la transmission du « sens » et d’autre part de la réalisation de centaines de micro-actions déconnectées les unes des autres mais respectant les mêmes règles élémentaires. Il est donc extrêmement important de renforcer simultanément les notions d’autonomie de l’équipe et d’appartenance à l’ensemble si l’on veut pouvoir poursuivre une évolution de type progrès permanent organisé. AUTONOMIE ET APPARTENANCE Nous limiterons notre présentation aux informations propres au management de terrain qui permettent à l’autonomie et à l’appartenance de se développer ; elles sont de trois types : - la représentation du territoire la formalisation des connaissances la visualisation des décisions et des résultats La représentation du territoire va tout aussi bien permettre son appropriation par l’équipe concernée que le décloisonnement d’espaces antérieurement individualisés. Le marquage visuel des surfaces, le développement d’une signalétique claire et détaillée, l’utilisation de moyens d’identification des objets, la communication des instructions de travail ou de rangement sont autant d’outils favorisant la prise en main des espaces de travail par les personnes : les espaces deviennent physiquement structurés. Une organisation ne manipule pas seulement des éléments physiques, elle doit également traiter des évènements, des situations, des caractéristiques techniques, des causes, des rôles, etc.… Pour partager les savoir-faire, permettre à l’équipe de progresser, la formalisation des connaissances est un point de passage obligé. Chacun est ainsi amené à décrire ses manières d’agir ; les concepts plus abstraits s’ordonnent et s’organisent, l’espace mental est alors « organisé » grâce aux différentes représentations qui favorisent la communication au sain du groupe. Ces représentations donnent à chacun les mêmes repères pour accéder à l’information (la lire) ou la ranger (l’écrire). La représentation visuelle augmente certes la capacité de reconnaissance de l’objet mais devient surtout le résultat d »une convention propre au groupe, sa cohésion et son identité en sont renforcées. Enfin, le classement des objets (signes, symboles, qualificatifs…) permet de passer de la description de caractéristiques particulières à caractéristiques générales qui élargissent le cadre de la pensée. L’augmentation de la cohérence est spectaculaire lorsque la structuration de l’espace mental accompagne la structuration de l’espace physique. Puisque le simple fait de nommer les choses leur confère une existence, alors, par l’établissement d’une liste « exhaustive », il est possible de développer une perception homogène de l’entreprise toute entière. La pratique du consensus est souvent considérée comme dangereuse et sa mise en œuvre est vite abandonnée. L’une des raisons est l’émergence possible de conflits sur un thème perçu comme critique, l’autre raison est la perte potentielle du pouvoir de décision de l’encadrement. A contrario, en rendant visibles les décisions et les résultats des actions, chacun se sent directement associé aussi bien individuellement que collectivement. - Visualiser le résultat des actions renforce le sentiment d’être un acteur reconnu. - En rendant visibles les différentes étapes des décisions importantes (enquêtes, tests, etc.…) les positions des uns et des autres (accords et désaccords, avantages et inconvénients), le manager associe chacun à la prise de décision et de ce fait, crée un « consensus » autour du choix final. D’une façon plus générale, c’est l’une des finalités du management de terrain que de renforcer l’esprit d’équipe et l’appartenance à un espace social structuré et cohérent. EN CONCLUSION La mise en œuvre de ces deux mots, « intégration et coopération », conduit donc à une organisation opérationnelle de plus en plus souple, communicante, décloisonnée, répartie et conviviale, combinant décentralisation et cohérence, libérant la créativité et l’enthousiasme, mobilisant les intelligences, favorisant l’innovation et facilitant le transfert, la circulation et la capitalisation des savoir-faire. L’entreprise est construite autour d’un réseau d’équipes performantes qui interagissent et se soutiennent. Plutôt que d’encourager les optimums locaux, cette organisation permet à chacun de comprendre et de viser la performance globale, d’agir par rapport à un référentiel commun, compris et partagé, de penser client, de viser l’écoulement (flux), plutôt que le rendement, de focaliser sur les interactions entre activités, de raisonner dans la duré et d’éviter la versatilité des effets de mode, même et surtout si les horizons « opérationnels » se raccourcissent. Les espaces sont aménagés avec le souci du rapprochement et du rapport au physique, de la clarté, de la visibilité, de l’ergonomie et donc de l’appropriation et de l »autonomie ; le périmètre de l’entreprise est étendu audelà de ses simples frontières juridiques (entreprise élargie, en réseau…) en s’appuyant sur des relations coopératives avec ses partenaires externes. Ces nouvelles organisations prennent appui sur un « socle » humain et social dont la qualité et la solidité est une absolue nécessité. Le développement des compétences et de l’autonomie, l’enrichissement, la capitalisation, la transmission et la diffusion des savoir-faire, la coopération et la communication entre tous les acteurs de l’entreprise sont les conditions incontournables d’une évolution maîtrisée et d’une performance durable.