lettre enseignants Marseille

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lettre enseignants Marseille
Courrier aux médias sur la venue du 1er ministre et de la ministre de l'éducation au lycée Victor Hugo
de Marseille le mardi 10 février.
LA FACE CACHEE DE LA VISITE MINISTERIELLE
Le lycée Victor Hugo est un lycée du centre ville de Marseille classé ZEP, situé dans le 3ème
arrondissement, au milieu de quartiers parmi les plus pauvres de France. Nous y accueillons des élèves
de 10 collèges tous classés en REP+. Il y a 85 % de boursiers. 5 % seulement de nos bacheliers
décrochent un diplôme dans les trois années qui suivent leur bac. Nous travaillons dans des conditions
difficiles. Les personnels et élèves du lycée sont toujours en lutte depuis le mois de décembre pour
revendiquer une vraie politique de l'éducation prioritaire alors que des menaces pèsent sur le maintien
des lycées dans ce dispositif.
Ce mardi 10 février alors que le chef du gouvernement et la ministre de l’éducation étaient en
déplacement au lycée tout a été fait pour ne pas voir cela.
Avant et pendant la visite des ministres, le lycée a été littéralement confisqué aux personnels et aux
élèves. Tout le déroulé de la visite a été organisé d'en haut, sans nous prévenir, sans nous demander
notre avis, ni nous laisser une quelconque place :
- Plusieurs jours avant cette visite, de nombreux « men in black » sont venus inspecter notre lycée
pour garantir la sécurité des ministres, investissant les locaux dans le mépris le plus total des élèves et
personnels présents (intervention bruyante dans une salle de travail, aucun bonjour, etc).
- Le parking intérieur devant être libéré, aucune solution alternative n’a été proposée aux agents.
- Le CDI a été réquisitionné et fermé aux élèves pendant deux jours. Des tableaux d'art ont été
décrochés et remplacés par la charte de la laïcité. Les expositions d'élèves ont été remplacées par des
drapeaux.
- Le jour même, les élèves ont été empêchés de circuler librement devant et à l'intérieur du lycée.
Certains n'ont pas pu aller en cours. Avant l’ouverture d’une autre porte d'accès, des élèves ont même
été obligés de rester en salle de permanence pendant la visite.
Cette visite aurait pu être l'occasion pour les ministres de prendre conscience de la réalité du terrain
avec ses difficultés et ses réussites, or :
- La délégation syndicale avait demandé une audience avec les ministres afin d'exposer nos besoins et
difficultés. Cependant, c’est seulement hors du lycée, à l'Inspection Académique, et par un membre du
cabinet de la ministre et le DASEN du 13 que nous avons été reçus.
- Pour l'arrivée des ministres, l'administration a dispensé des élèves de devoir surveillé pour leur
apprendre la marseillaise en quatrième vitesse (même pas en reggae). Ceux-ci après leur chant, ont
attendu les ministres à la cafétéria du lycée (fermée pour la journée) pour un temps d'échange autour
d'une collation. La délégation n'est pas venue les rencontrer.
- Une entrevue avec les ministres a eu lieu au sein du lycée avec des élèves sélectionnés en fonction de
leur parcours. Elèves auxquels on a demandé de rédiger un discours insistant sur les aspects positifs de
leur établissement.
- Cette discussion a porté sur les dispositifs « bacheliers méritants », les projets « cordées de la
réussite», les « prépas pour bacs technologiques et professionnels » : des dispositifs gouvernementaux
et des projets qui concernent une trentaine de lycéens non représentatifs du millier d’élèves que nous
accueillons.
Toute forme d'expression des personnels et des élèves ne cadrant pas avec l'image positive souhaitée
pour cette visite a été empêchée, à l'intérieur comme à l'extérieur du lycée, à grand renfort de forces de
police :
- Nos affiches réclamant des moyens pour la ZEP, collées sur les vitres de la salle des profs ont mis en
fureur l'administration, qui a exigé qu'on les enlève en menaçant d'annuler la visite. Celles collées à
l’extérieur de l'établissement ont été, à peine posées, systématiquement enlevées.
- Pendant toute la visite, des policiers ont été stationnés en salle des professeurs pour empêcher tout
affichage ou manifestation quelconque de la part des personnels.
- Les forces de sécurité ont même empêché d'ouvrir les fenêtres de la salle des profs « par mesure de
sécurité », alors que celles d'autres étages sont restées ouvertes toute la matinée. Une enseignante, qui
a tout de même ouvert une fenêtre, a été menacée de garde à vue par un policier.
- Des bus ont été volontairement arrêtés devant le parvis de la gare pour empêcher que les banderoles
et le rassemblement de personnels d’autres établissements demandant des moyens pour l'éducation
prioritaire ne soit visible depuis l'entrée du lycée. Les forces de police ont contenu ce rassemblement,
lui interdisant d'approcher le lycée.
- Devant le lycée, des personnes portant un t-shirt « Justice pour la Palestine », ont été violemment
mises à terre et placées dans une voiture de police, le temps du passage des ministres.
- Deux enseignants, commençant à déployer une banderole, ont été pris en main et bousculés par les
services de sécurité, puis mis à l'écart de l'établissement.
- Un élève de BTS élu au CA et président du FSE, non convié à l’entretien avec les ministres, a
interpellé le premier ministre pour lui demander des moyens pour les ZEP. Il a été rappelé à l’ordre par
le proviseur.
Par contre diverses personnalités politiques de la ville comme de la région n’ont eu aucun problème
pour s’exprimer et aborder nos dirigeants.
Nous avons assisté, pendant toute cette matinée, à une véritable mascarade, orchestrée, à mi chemin
entre la Star Ac’ et la Méthode Coué : un déni de réalité et un mépris des élèves et des personnels qui
vivent le lycée au quotidien.
Cette visite avait pour objectif de faire passer un message. Notre lycée y était un prétexte télégénique
où certains personnels et élèves ont été mis en scène pour représenter une réalité tronquée, celle de la
réussite d'une minorité d'élèves alors que nous réclamons des moyens réels bénéficiant à tou-te-s. Au
lieu de chercher des solutions pour lutter contre le taux d’échec de fou de nos élèves dans le supérieur,
on a eu droit à la promotion d’un dispositif (bacheliers méritants) qui a touché seulement 224 élèves
sur tout le territoire français lors de sa première application l’an dernier.
Nous affirmons que c’est dès le primaire que des aides pérennes sont nécessaires pour donner à
l’ensemble des élèves issus des quartiers défavorisés une véritable égalité des chances.
Il faut aussi mettre fin à toute hypocrisie. Des agents au chef d’établissement, nous sommes tous
concernés par l’entêtement que met notre gouvernement à ne pas voir la réalité des établissements en
ZEP et il faut arrêter de nous plier aux exigences protocolaires et politiques d’un gouvernement qui
reste sourd aux cris d’alarme de nombre d’entre nous.
Si c'est ainsi que se passent les visites ministérielles, c'est-à-dire par la fabrication de toutes
pièces d'une image factice correspondant aux mots d'ordre du moment, en cachant les
contradictions et les difficultés, que peuvent connaître ceux qui nous gouvernent de la réalité des
quartiers populaires et des écoles?
Nous nous tenons à votre disposition pour répondre à vos questions concernant les faits exposés dans
ce courrier et les raisons de notre lutte pour une véritable politique de l’éducation prioritaire depuis un
certain nombre d’années.
Collectif des personnels et élèves du lycée Victor Hugo en colère
Premiers signataires : Frédéric SALVY, Conseiller Principal d’Education ; Christine GORCE,
professeure documentaliste ; Nicole JULIEN, professeure de mathématiques; Véronique GODET,
professeure de lettres ; Pierre LUCIANI, professeur d’Anglais ; Joanny VIEUX, professeur de
physique ; Eric DELMAS, professeur de lettres ; Françoise CECCALDI, professeure de physique ;
Franck MALIGE, professeur de mathématiques ; Julie MORISSET, professeure de philosophie ;
Karim DE BROUCKER, professeur de lettres classiques ; Marlène ACQUA, professeure d’HistoireGéographie ; Laurent VIOTTOLO, agent ; Vénus ERGUL-TRANSVOUEZ, professeur d’éco-gestion ;
Michèle CASSAND, professeure de philosophie; Antoine BOISSON, assistant d'éducation;
Gabrielle PELLOUAS-FILLION, Assistante d’éducation ; Sylvie BENAZECH, agent de laboratoire ;
Mehdi MECHEROUR, assistant d’éducation ; Lucile CHALMET, professeure d’Anglais.