CULTURE / VALEUR Le titre de l`exposition « Holy Spirit Rain Down

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CULTURE / VALEUR Le titre de l`exposition « Holy Spirit Rain Down
Holy Spirit Rain Down
Stefan Nikolaev
glossaire
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CULTURE / VALEUR
Le titre de l'exposition « Holy Spirit Rain Down » est aussi celui d'un chant Gospel.
Comme pour certains de ses travaux, Stefan Nikolaev a donné à cette exposition
le titre d’une chanson, montrant ainsi son attachement aux diverses formes de
culture populaire.
L'ensemble de l'exposition évoque autant une de ces formes que celle, plus
spécifique et artistique, qui qualifie le rapport à l’œuvre d’art.
Le rapprochement de ces cultures créée les conditions de lecture de l’exposition.
Il plante le décor en quelque sorte, et ouvre un dialogue constant entre ces deux
registres en présence.
Chaque registre étant porteur de ses « cadres d’expérience » qui, selon
Erwin Goffman, sont autant de prismes de cognition, de représentation et
d’appartenance.
D'un côté, les bouteilles d'alcool aux contenus et aux marques identifiables
renvoient à notre société de production de biens de consommation. De l'autre,
les porte-bouteilles renvoie à une icône de l'art moderne : le fameux « Portebouteilles » de Marcel Duchamp (1914) et sa position si particulière dans
l’histoire de l’art moderne et contemporaine.
Le rapprochement de ces registres accentue la perception des mutations qui ont
pu caractériser leurs histoires respectives, leurs évolutions particulières qui ont
fait qu’à l’aube d’une « lumière » nouvelle (changement d’usages et de formes
de vie en lien avec une évolution technique, des savoirs, de ce que l’on nomme
l’ « esprit du temps » ou par le fait d’une initiative individuelle tel que peut l’être,
d’une manière exceptionnelle, un geste artistique) leurs points d’équilibre ont pu
glisser.
Et faire alors qu’un autre monde ait semblé possible, qu’une autre somme
d’expériences communes se soit manifestée et qu’à travers elle, se soit
caractérisée une nouvelle forme d’activité sociale, de rapport aux êtres et aux
choses par les-quels se sont construit les conditions d’accès à cette nouvelle
réalité.
Alors pour un temps, les perceptions, les engagements et les conduites se sont
fédérés. Dès lors tout est redevenu imperceptible et le partage, par toutes les
personnes en présence, a prédominé.
À travers deux objets (bouteille et porte-bouteilles) Stefan Nikolaev revisite ces
changements de valeur à travers l'histoire.
Si l'alcool a été synonyme de dynamisme, de prestige et même de bonne santé,
il n'en est plus le cas aujourd'hui. L'apparition de l'alcoolisme comme déviance
comportementale a radicalement transformé la valeur que lui donne aujourd’hui
la société occidentale.
De même, si le « Porte-bouteilles » de Marcel Duchamp est aujourd'hui reconnu
comme une étape incontournable de l'évolution de l'art au XXe siècle, la pièce
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de 1914 a été jetée aux ordures comme tout autre objet de consommation usagé.
C'est dans les années 1960 qu'une galerie d'art a proposé à l'artiste de réaliser une
réplique de cet objet qui cristallise depuis un geste artistique déterminant. La
pièce de Marcel Duchamp a donc vécu une évolution de sa valeur artistique et
symbolique radicale.
C'est à partir de ces glissements de valeur que Stefan Nikolaev construit son
travail artistique.
DECOR / OBJET
Les églises, centre d'art contemporain ont été « mises en disponibilité » par
l'aménagement de Martin Szekely.
Lieu d’accueil de gestes artistiques autres, la modestie de l’aménagement les situe
dans l’effacement, ce qu’illustrent les vitraux transparents et la porosité du site
vers l’extérieur, la ville, le commun.
En habillant de couleur le vitrail principal des églises et en accrochant ses
grappes d’ampoules, Stefan Nikolaev joue du décor, rejoue les intérieurs des
églises. Ici, le passé du lieu et l'intervention artistique se superposent comme un
décor recouvre un espace nu pour créer un contexte de représentation.
Au delà du clin d'œil, ce décor interroge l'image des églises de Chelles.
Et leur particularité si spécifique qui émerge du croisement d’une forme
architecturale si connotée (aujourd’hui affranchie de tout ce qui l’inscrivait
au registre des lieux du sacré) et des usages de l’art qui les qualifient depuis
l’ouverture du centre d’art contemporain, renouant d’un autre registre.
Le site est la trace d’un glissement, d’un de ces changements de cadre et
d’équilibre épistémologique.
L'ensemble du dispositif s'articule autour de deux objets – la bouteille et le portebouteilles – à travers lesquels l’artiste joue de l’empilement et de l’emboîtement
des transparences, des scintillements des lumières.
Revisités par Stefan Nikolaev, ces objets trouvent une nouvelle fonctionnalité
dans le contexte d’un espace d’art contemporain. Les bouteilles, mises en
situation, s’offrent au regard comme autant de pièces de verre coloré et viennent,
par le nombre, teinter la lumière de l'église Sainte-Croix.
Les porte-bouteilles, montés en candélabre, irradient la pénombre de l'église
Saint-Georges.
Ces objets fonctionnent comme des éléments d'aménagement qui reconstruisent
un rapport polysémique que le spectateur peut entretenir avec eux.
Au choix des registres qu’il convoque.
FILIATION / ICONOCLASME
Pour cette exposition, Stefan Nikolaev se place dans une continuité moderniste
de l'histoire de l'art en rejouant du porte-bouteilles de Marcel Duchamp comme
l'ont déjà fait de nombreux artistes avant lui.
Cette filiation affichée est cependant contrecarrée par le refus du ready made : les
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structures ont été usinées, façonnées en aluminium afin d’honorer au mieux les
conditions d’usages attendus (luminaire suspendus et fonctionnels).
La continuité de Stefan est donc autant prolongement que pli : c’est ce qu’autorise
dans « Holy Spirit Rain Down » la mise en miroir de cette icône de l’art moderne.
Transpercée par la lumière, mises à nu, déshabillées des étiquettes et des figures
de marques, les bouteilles quittent leur place d’icône commerciale pour se refondre
dans un orgue luminescent.
LUMIERE / ESPRIT
Disposant du vitrail et du candélabre, l'ensemble de l'exposition joue de la mise
en lumière.
Les différents contenus et contenants viennent iriser l'espace de Sainte-Croix, se
prolongeant ainsi au-delà de leurs limites physiques et matérielles.
La lumière se repend, s’étale au sol et sur les murs, se niche au creux des
charpentes, se fluidifie, s’écoule.
Holy Spirit Rain Down.
L’analogie est savoureuse.
L’image de l'esprit divin qui retombe en pluie est au cœur du chant gospel. Cette
liquéfaction de la lumière rejaillie, comme l’indique Stefan Nikolaev, dans la
langue anglaise, où le terme entretient une ambiguïté de sens entre « esprit
sain », « spirituel » et « spiritueux ».
Seul le contexte dans lequel sera perçu le terme précisera son sens.
Encore une histoire de registre donc.
Et pour le plaisir, dans un « allègement des cœurs » né de l’humour présent dans
l’exposition, dans le choix d'un pareil titre, l’artiste salue le mot d'esprit cher à
Marcel Duchamp.
POSTURE / POSITION
Un terrain de jeu pour Stefan Nikolaev ?
Stefan Nikolaev procède par choix d'objets et de figures dont il fait évoluer les
perceptions dans un rapport d’échelle souvent modifié, par glissement de sens
et décalage créant ainsi l’émergence d’un nouveau contexte qui fait basculer la
façon dont on peut les aborder.
Liquidant les contextes d’appropriation préétablis, il ruine en retour les garanties
d’identification, celles qui vont de l’objet au sujet et en retour du sujet à l’objet.
Si le spectateur se trouve face à des objets identifiables, à portée de lui c ‘est
parce qu’il pense en détenir déjà une forme de représentation.
Il devra néanmoins changer de position, envisager un large regard dans lequel il
pourra se voir autant que voir.