Viticulture - Union des oenologues de France

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Viticulture - Union des oenologues de France
Viticulture
Effet du changement climatique
sur le comportement de la vigne
et la qualité du vin
par Cornelis van Leeuwen(1*), Philippe Darriet(2), Alexandre Pons(2,3) et Marc Dubernet(4)
1 Bordeaux Sciences Agro, ISVV, UMR Ecophysiologie et Génomique Fonctionnelle de la Vigne, UMR 1287 -33140 Villenave d’Ornon
2 Université de Bordeaux, Unité de Recherche Œnologie, USC 1366 INRA, ISVV -33140 Villenave d’Ornon
3 Tonnellerie Seguin-Moreau, ZI Merpins - 16103 Cognac
4 Laboratoire Dubernet - 11100 Montredon-Corbières
Introduction
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Résumé : Le changement climatique constitue un défi majeur pour
La réalité du changement climatique, qui retrouve son origine dans
les activités humaines et notamment la production de gaz à effet
de serre par la combustion d’énergies fossiles, est très largement
admise par la communauté scientifique (IPCC 2014). L’agriculture
en général, et la viticulture en particulier, sont des activités très
dépendantes du climat. Elles risquent donc d’être significativement
impactées par le changement climatique. La plupart des productions
agricoles sont essentiellement valorisées par le rendement, car le prix
de vente varie peu avec la qualité ; il convient dans ce cas d’étudier
l’effet du changement climatique sur le rendement. La valorisation
du principal produit de la viticulture, le vin, ne varie pas seulement
avec le rendement mais également très fortement avec la qualité.
Ainsi, le prix de vente d’une bouteille de vin varie d’un facteur 1 à 100
dans un même millésime en fonction de sa qualité et de sa réputation.
Il est donc pertinent d’étudier l’impact du changement climatique
en viticulture non seulement sur le rendement, mais également sur
la qualité. Nous proposons d’analyser dans cet article les principaux
effets du changement climatique sur le comportement de la vigne
et comment ces changements modifient la composition du vin, ainsi
que sa typicité et sa qualité organoleptique. Un certain nombre de
changements sont déjà observables, et d’autres modifications dans
la composition du vin sont à prévoir pour les décennies à venir.
Les effets du changement climatique sur la culture de la vigne et
la qualité du vin, ainsi que les possibles adaptations, sont étudiés
dans le méta-programme INRA LACCAVE (Long term impacts and
Adaptations to Climate ChAnge in Viticulture and Enology), qui
fédère 23 instituts de recherche et universités français.
la viticulture mondiale. Il se manifeste par une augmentation globale
des températures et, dans la majorité des situations, par une plus
grande fréquence des épisodes de sécheresse estivale. Une augmentation du rayonnement incident, et en particulier sa composante UV-B,
a également été observée. L’avancée de la phénologie de la vigne liée
à l’augmentation des températures est la première conséquence de
ce phénomène. La composition du raisin et la typicité du vin risquent
aussi d’être modifiées, en particulier les composés du métabolisme
secondaire du raisin (composés phénoliques et arômes). Aujourd’hui,
ces modifications sont favorables à la qualité du vin dans de nombreuses régions viticoles. À terme, avec l’amplification des phénomènes
[augmentation des températures, intensification de la sécheresse
estivale, éventuellement associées selon les régions à des évènements
climatiques exceptionnels (grêle, précipitations importantes)], elles
risquent d’être délétères. Il convient donc de préparer dès aujourd’hui
les adaptations nécessaires pour pérenniser la production de vins
de qualité et avec une identité marquée dans un contexte climatique
modifié. Le choix du matériel végétal (porte-greffe et cépage) constitue
une piste de choix pour une adaptation réussie. Les effets du changement climatique sur la vigne et le vin, ainsi que l’exploration de
possibles adaptations au vignoble et au chai, est l’objectif du métaprogramme INRA LACCAVE (Long term impacts and Adaptations to
Climate ChAnge in Viticulture and Enology) qui fédère 23 instituts
de recherche et universités français.
Mots clés : Changement climatique, qualité du vin, typicité du vin,
température, contrainte hydrique.
1. Le climat est un facteur important
de la production viticole
Abstract: Climate change is a major challenge for viticulture.
Higher temperatures, an increased frequency of water deficits
as well as higher UB-B levels are expected in almost all winegrowing
regions around the world. Higher temperatures will speed up
vegetative and reproductive development of vines. Grape and wine
composition will be modified, in particular with respect to secondary
metabolites (aromas and phenolic compounds). Wine quality has
benefitted from these changes in most winegrowing regions over
the past decades. However, if the trend continues, grape and wine
quality might be increasingly impaired, in particular because too
early ripening is not favorable to wine quality. Extreme climatic events
(high rainfall or excessive drought, hail storms) are also expected
to occur with increased frequency. Major adaptations are necessary
to continue the production of high quality wines in a changing
environment. Changing plant material (grapevine varieties, root-stocks)
is a major option in this context. The INRA LACCAVE program
(Long term impacts and Adaptations to Climate ChAnge in Viticulture
and Enology) is a cooperation of 23 French research institutes
and universities. The aim of this project is to study the effects
of Climate ChAnge on viticulture and wine quality and explore
possible adaptations.
Le climat est un facteur important de la production viticole et de
nombreuses études y sont consacrées. La vigne est cultivée dans
une grande diversité de conditions climatiques à travers le monde,
même si l’essentiel de la production se situe entre le 35ème et le 50ème
degré latitude sur l’Hémisphère nord et entre le 30ème et le 45ème
degré latitude sur l’Hémisphère sud. Il est en effet difficile de produire
des vins de qualité dans les zones tropicales. La culture de la vigne
est également difficile sous des climats trop froids, où l’initiation
des inflorescences a du mal à se réaliser et où les gelées de printemps,
ou le gel d’hiver, menacent la récolte, voire la survie des ceps de vigne.
Chaque région de production est caractérisée par des conditions
climatiques moyennes, qui sont bien décrites par Gladstones (2011).
Ces conditions climatiques sont un facteur essentiel de la typicité
du vin produit en fonction de son origine (van Leeuwen and Seguin,
2006). Il a été montré que le développement de la vigne et la composition du raisin dépendent plus du climat que du type de sol ou
du cépage (van Leeuwen et al., 2004). Le climat varie également
d’une année sur l’autre, dans un même lieu de production. L’effet
de cette variabilité climatique annuelle est connu en viticulture sous
l’effet millésime. D’un millésime à l’autre, le rendement varie, tout
comme la qualité du vin et sa typicité (van Leeuwen et al., 2004).
Les viticulteurs ont appris à choisir le matériel végétal et l’itinéraire
Keywords: Climate change, wine quality, typicity, temperature,
water deficit
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2. Le changement climatique
technique en fonction du climat régional pour optimiser le compromis
entre la qualité et le rendement. Ils modulent également les techniques
viticoles qu’ils emploient pour s’adapter à la variabilité climatique
annuelle.
La phénologie de la vigne, c’est-à-dire les dates à laquelle la vigne
atteint les différents stades de son développement comme le débourrement, la floraison ou la véraison, dépend étroitement de la température. La relation est tellement forte qu’il est possible de prévoir
l’occurrence des stades phénologiques avec une assez bonne précision
à partir de modèles basés uniquement sur les températures (Parker
et al., 2011). La température est aussi impliquée dans la maturation
du raisin. L’accumulation de sucre dans le raisin augmente avec
la température (Coombe, 1987), mais l’accumulation de certains
composés secondaires, comme les anthocyanes, diminue (Kliewer
and Torres, 1972). L’acidité du raisin, et en particulier sa teneur
en acide malique, diminue avec la température (Coombe, 1987).
1.2. L’effet du statut hydrique de la vigne
Le statut hydrique de la vigne dépend principalement de la texture
du sol, du taux d’éléments grossiers, de la profondeur d’enracinement,
de la quantité et de la répartition des précipitations, de l’évapotranspiration potentielle (ETP) et de la surface foliaire. Une contrainte
hydrique limite la photosynthèse (Hsiao, 1973), la croissance des
rameaux (Lebon et al., 2006) et la taille des baies (van Leeuwen
et Seguin, 1994 ; Trégoat et al., 2002). Elle augmente la teneur en
composés phénoliques (Duteau et al., 1981 ; Matthews and Anderson,
1988 ; van Leeuwen et Seguin, 1994) et diminue l’acidité du raisin,
en particulier la teneur en acide malique (van Leeuwen et Seguin,
1994). Un stress hydrique excessif peut aboutir à une défoliation
des ceps, un dessèchement du raisin et un blocage de la maturation.
2.1. Effet d’une augmentation des températures
sur le comportement de la vigne, la composition
du raisin et la qualité du vin
2.1.1. Des effets déjà observés
L’augmentation des températures, qui est l’une des conséquences
du changement climatique, provoque une avancée de la phénologie
de la vigne. Depuis les années 1980, la date de récolte a été avancée
de l’ordre de deux semaines en Alsace (Duchêne et al., 2004) et dans
le Bordelais (Figure 1a). Dans les régions septentrionales (Alsace) ou
atlantiques (Bordeaux), les viticulteurs profitent du réchauffement
pour rechercher une meilleure maturité du raisin au moment de la
cueillette. Cela se traduit par une durée véraison – récolte qui s’est
considérablement allongée depuis 25 ans (Figure 1b). L’année 2013
fait exception à cette tendance, à cause d’une forte pression de
Botrytis cinerea. L’avancée de la date des vendanges ne reflète donc
que partiellement l’avancée réelle de la phénologie dans ces régions.
Dans les vignobles méridionaux, il n’est pas possible de rechercher
une meilleure maturité, sous peine d’obtenir un raisin déséquilibré,
car trop riche en sucres et trop pauvre en acides organiques. Cet état
de fait explique la plus grande avancée de la date des vendanges
1.3. L’effet du rayonnement
Lorsque l’eau n’est pas un facteur limitant, la photosynthèse de
la vigne augmente avec l’intensité du rayonnement jusqu’à environ
un tiers de la luminosité enregistrée au cours d’une journée ensoleillée, puis elle atteint un plateau (Kriedemann and Smart, 1971).
Des résultats contradictoires ont été publiés concernant l’effet
du rayonnement sur la composition du raisin, probablement parce
qu’il est difficile de séparer l’effet de la lumière de celui de la température. À l’aide d’un dispositif adapté, Spayd et al. (2002) ont réussi
à manipuler indépendamment luminosité et températures. Ils ont
montré que la teneur en anthocyanes du raisin augmente avec le
rayonnement directement reçu par les grappes, alors qu’elle diminue
avec la température.
Figure 1a : Évolution de la date du début de vendange dans un château à Saint-Émilion de 1892 à 2015 (ONERC, 2014).
La ligne épaisse correspondent aux moyennes mobiles sur 10 ans.
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1.1. L’effet des températures
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Jusqu’au début des années 1990, la variabilité annuelle du climat
était considérée comme étant aléatoire. À partir des années 1990,
les chercheurs ont découvert qu’il y avait un sens dans cette variabilité,
qu’ils ont appelé “changement climatique”. La principale manifestation du changement climatique est une augmentation des températures. Elle est générale, même si l’ampleur de l’augmentation de
température est variable d’une région à une autre (Schar et al., 2004).
Suivant le scénario d’émissions de gaz à effet de serre retenu,
les projections de l’augmentation des précipitations d’ici à la fin
du siècle se situent dans une fourchette de 1,0° C à 3,7° C par rapport
à la période 1985 – 2005 (IPCC, 2014). Concernant une éventuelle modification du régime des précipitations il existe moins de certitudes,
d’une part, parce que les précipitations sont des phénomènes
discontinus pour lesquels il faut disposer de longues séries avant
de pouvoir discerner d’éventuelles tendances et, d’autre part, parce
que les effets régionaux sont importants, certaines régions recevant
moins de précipitations, d’autres davantage. Cependant, la sécheresse
perçue par les végétaux ne dépend pas uniquement des précipitations,
mais également de l’évapotranspiration (Lebon et al., 2003). Cette
dernière augmente avec la température. Un climat plus chaud est
donc également un climat plus sec pour les cultures, à précipitations
équivalentes. Le changement climatique implique par ailleurs une
augmentation du rayonnement solaire et une augmentation de
la fréquence des événements extrêmes (IPCC, 2014).
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Figure 1c : Évolution des dates des vendanges à Châteauneuf-du-Pape entre 1945 et 2013. Source : ONERC 2014.
dans ces régions, près de quatre semaines en Côtes-du-Rhône par
exemple (Figure 1c). D’une manière générale, l’avancée de la phénologie a pour conséquence que la maturation du raisin se déroule
dans des conditions plus chaudes, non seulement parce que le climat
se réchauffe, mais également parce que la maturation se déroule
plus tôt dans l’été.
Au cours des 30 dernières années, la composition du moût de raisin
au moment du dernier contrôle de maturité avant la récolte a considérablement évolué, comme le montre les données du Laboratoire
Dubernet (11100 Montredon-Corbières, Figure 2). Ces données portent
sur des milliers d’analyses tous les ans. On constate sur cette période
une augmentation du titre alcoométrique potentiel de 2 % vol.,
une baisse de l’acidité de 0,6 g H2SO4/L et une augmentation du
pH de 0,2 unité, ce qui est considérable. Des évolutions similaires
ont été constatées dans de nombreux autres vignobles dans le monde
(Duchêne and Schneider, 2005 ; Mira de Ordunia, 2010). Il est probable
que la hausse des températures a joué un rôle important dans cette
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Figure 1b : Durée entre la mi-véraison et la récolte pour une parcelle de cabernet franc dans l’appellation Saint-Émilion entre 1988 et 2014.
évolution, même si d’autres facteurs ont certainement contribué
comme l’effet de l’augmentation de la teneur en CO2 dans l’atmosphère
(15 % sur la période considérée), une augmentation du rayonnement
reçu par la vigne, une amélioration des techniques viticoles et
la recherche, de la part des viticulteurs, d’une meilleure maturité
du raisin au moment de la récolte.
Un raisin plus sucré donne un vin plus alcoolisé. Le degré alcoolique
idéal d’un vin varie en fonction de sa composition globale, et notamment sa teneur en acides organiques, ainsi qu’avec le type de vin
recherché. On peut cependant dire que la qualité du vin peut être
pénalisée aussi bien par un degré alcoolique trop faible que par
un degré alcoolique trop fort. Jusqu’au début des années 1980,
dans de nombreuses situations, la teneur en sucre du raisin était
sub-optimale. Dans un premier temps, l’augmentation des températures bénéficie donc au potentiel qualitatif de la vendange.
Aujourd’hui, cependant, il devient de plus en plus fréquent de récolter
des raisins avec un degré potentiel supérieur à 14 % vol ce qui est,
Figure 2 : Évolution du titre alcoométrique prévisionnel, de l’acidité et du pH du moût de raisin
dans le vignoble du Languedoc entre 1984 et 2013 (données : laboratoire Dubernet, 11100 Montredon-Corbières).
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Figure 3 : Teneur en 5,6-dihydro-6-pentyl-2(2H)-pyranone (appelé massoia lactone) dans les vins
d’une même propriété de Pomerol (Bordeaux) entre les millésimes 1999 et 2008 (Pons et al., 2011).
Des propositions de modélisation de l’effet de la température sur
la phénologie de la vigne pour les années à venir ont été élaborées.
Ainsi, l’avance prévisible de floraison de la vigne à Bordeaux serait
de 15 jours pour le futur proche (2020-2050) et de 30 jours pour la
fin du siècle (2070-2100, Figure 4). Pour la maturité, l’avancée serait
de 25 et 45 jours respectivement (Brisson et Levrault, 2010).
Cela conduirait à une maturation des raisin rouges à Bordeaux
vers le tout début du mois de septembre d’ici à 20 ans et vers la miaoût à la fin du XXIème siècle. Ces dates de maturité sont incompatibles avec la production de vins de grande qualité exprimant une
forte typicité par rapport au lieu de production (van Leeuwen and
Seguin, 2006).
S’il est assez facile de prévoir la phénologie en fonction de la hausse
des températures, il est nettement plus difficile de modéliser l’évolution de la composition du raisin sous l’effet de l’augmentation des
températures pour les décennies à venir. Il n’y a cependant aucune
raison que la tendance observée sur les 30 dernières années (Figure 2)
s’arrête ou s’inverse. Ainsi, une évolution qui pourrait dans un
premier temps être considérée comme un atout (augmentation
de la teneur en sucre du raisin et diminution de l’acidité) risquerait
de plus en plus souvent de devenir un handicap dans un contexte
de réchauffement climatique.
Figure 4 : Dates moyennes de floraison (a) et de vendanges (b) pour le cépage merlot calculées pour le passé récent PR (1971-2000),
le futur proche FP (2020-2050) et le futur lointain FL (2070-2100) à Bordeaux, Lusignan et Toulouse. D’après Brisson et Levrault, 2010.
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2.1.2 Des effets potentiels pour les années à venir
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un contexte de maturation des raisins sous climat chaud (Marais
et al., 1992). En Bordelais, Pons et al. (2011) ont constaté que les vins
de différents millésimes d’une propriété de Pomerol, élaborés à partir
d’une forte proportion de merlot, contenaient plus de 5,6-dihydro6-pentyl-2(2H)-pyranone (appelée massoia lactone) au cours d’années
chaudes, qu’elle soit plutôt sèche (2003) ou humide (2007) (Figure 3).
Ce composé, dont l’odeur rappelle à la fois des notes de figue et
de noix de coco, est caractéristique de l’odeur des raisins rouges
en sur-maturation.
pour la plupart des types de vin, trop élevé. Concernant l’acidité,
le paramètre le plus pertinent est le pH du moût et du vin.
Une augmentation du pH du vin conduit à une diminution de la
sensation de dureté perçue au cours de la dégustation, et donc à un
assouplissement du vin. La plupart des consommateurs perçoivent
positivement cette évolution, mais un pH trop élevé peut aussi avoir
pour conséquence de limiter la sensation de fraîcheur.
L’augmentation du pH risque également d’affecter la stabilité microbiologique du vin par diminution de la proportion de SO2 actif.
En effet, la levure de contamination Brettanomyces bruxellensis,
connue pour se développer dans les vins rouges au cours de l’élevage,
et même après la mise en bouteilles, nécessite l’emploi de doses
de dioxyde de soufre accrues lorsque la valeur du pH du vin est plus
élevée (Lonvaud Funel et al., 2010).
Concernant les arômes et les précurseurs d’arômes du raisin, il a été
montré que la teneur en 2-methoxy-3-isobutyl-methoxypyrazine
(IBMP), molécule très odorante associée au caractère végétal des
raisins et des vins diminue lorsque la température est plus élevée
pendant la période végétative (Falcao et al., 2007). La proportion de
vins végétaux diminue donc avec une augmentation des températures, même si d’autres facteurs, comme l’exposition à la lumière,
sont également déterminants pour la teneur en IBMP du raisin
et du vin (Koch et al., 2012). Il est par exemple observé que les vins
peuvent présenter des nuances de poivron vert marquées, même
sous climat chaud, si la canopée est dense et entassée. Par ailleurs,
la teneur en rotundone, arôme associé à la note poivrée de vins
de syrah, a tendance à diminuer dans un contexte de température
plus élevée (Scarlett et al., 2014). Ainsi, les vins de syrah risquent
d’être moins marqués par cette note aromatique dans un contexte
d’élévation importante des températures. Inversément, il est bien
établi que des teneurs en TDN, composé impliqué dans les nuances
pétrolées (kérosène) que peuvent présenter les vins de riesling
au cours du vieillissement sont toujours plus importantes dans
Tableau 1 : Classement de 61 millésimes de 1952 à 2014 du plus sec au plus humide par modélisation du bilan hydrique (BH)
climatique calculé entre le 1er avril et le 30 septembre pour la région de Saint-Émilion (modèle de bilan hydrique
de Lebon et al., 2003 ; paramétrage : RU = 0 mm et absence de régulation stomatique).
La qualité des millésimes a été notée par le bureau de courtage Tastet et Lawton (33000 Bordeaux).
2.2. Effet de l’augmentation
de la contrainte hydrique
la vigne (notations du bureau de courtage Tastet et Lawton, 33000
Bordeaux). La corrélation entre le bilan hydrique climatique et
la qualité du millésime est très largement significative (Figure 6,
r2 = 0,54). Sur la même période, la qualité du millésime est beaucoup
plus faiblement corrélée avec la température moyenne d’avril
à octobre (r2 = 0,26). Il est intéressant de noter qu’à Bordeaux tous
les millésimes secs sont de bons ou d’excellents millésimes : une note
supérieure ou égale à 16 est obtenue si le bilan hydrique calculé
entre le 1er avril et le 30 septembre est inférieur à -220 mm.
En revanche, l’inverse n’est pas vrai : tous les millésimes arrosés
ne sont pas forcément de mauvais millésimes. En effet, il existe
des exemples où un été pluvieux a été sauvé par une arrière-saison
exceptionnellement sèche et ensoleillée. Cette analyse de l’évolution
de la sécheresse des millésimes sur une longue période montre,
qu’à Bordeaux, au cours des dernières décennies, la qualité du vin
a moins bénéficié de l’augmentation des températures que de
l’augmentation de la fréquence de la contrainte hydrique. Il faut
noter cependant que la contrainte hydrique n’est pas totalement
indépendante des températures, à cause de l’effet de la température
sur l’ETP. La contrainte hydrique augmente la qualité en provoquant
un arrêt de croissance des rameaux, en induisant une plus petite
2.2.1. Effets déjà observés
Il est possible d’évaluer la contrainte hydrique subie par la vigne
par la modélisation du bilan hydrique. Dans le Tableau 1, le bilan
hydrique a été calculé du 1er avril au 30 septembre suivant la
méthode proposée par Lebon et al., (2003) pour 61 millésimes,
de 1952 à 2014, pour la région de Saint-Émilion (Bordeaux). Pour faire
ressortir dans ces bilans uniquement l’effet du climat, la réserve
en eau du sol a été considérée comme égale à zéro, ce qui explique
les valeurs négatives. Une éventuelle régulation de la fermeture
stomatique n’a pas été prise en compte. Le millésime est d’autant
plus sec que le bilan hydrique climatique est fortement négatif.
Il ressort que, sur cette période, les millésimes deviennent de plus
en plus secs, pas forcément à cause d’une diminution des précipitations, mais surtout à cause d’une augmentation de l’évapotranspiration potentielle (ETP), conséquence mécanique de l’augmentation
des températures (Figure 5). Ainsi, parmi les 20 millésimes les plus
secs depuis 61 ans, on compte 10 millésimes de la période 2000 - 2012.
On constate en même temps que la qualité du millésime pour le vin
rouge à Bordeaux augmente avec la contrainte hydrique subie par
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Figure 5 : Évolution du bilan hydrique climatique de 1952 à 2012 par modélisation du bilan hydrique climatique
calculé entre le 1er avril et le 30 septembre pour la région de Saint-Émilion
(bilan hydrique calculé d’après Lebon et al., 2003 ; paramétrage : RU = 0 mm et absence de régulation stomatique).
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Figure 8 : Teneurs moyennes en glutathion de moûts
de sauvignon blanc récoltés à maturité dans deux crus de Graves
(Bordeaux) pour les années 2002 à 2007, d’après Pons et al., 2014.
2.2.2. Effets prévisibles dans un contexte
de réchauffement climatique
L’augmentation des températures va provoquer mécaniquement
une augmentation de l’ETP. Il existe moins de consensus parmi
les climatologues sur une éventuelle modification de la distribution
des précipitations. Il est probable que de forts effets régionaux se
manifesteront pour l’évolution des précipitations, et que certaines
régions seront exposées à une augmentation des précipitations et
d’autres à une diminution. L’effet sur le bilan hydrique est d’autant
plus incertain que la répartition des précipitations au cours de l’année
pourrait également être modifiée. Par ailleurs, l’avancée du cycle
phénologique pourrait limiter l’exposition des cultures à la contrainte
hydrique, car si la récolte se déroulait au mois d’août, la plus forte
sécheresse de l’année interviendrait après la récolte (Ollat et al., 2013).
Dans le cas d’un réchauffement climatique, il est cependant très
probable qu’une majorité de régions viticoles serait exposée à une
augmentation de la fréquence de situations de contrainte hydrique
à cause du poids de l’ETP dans le bilan hydrique. La première conséquence d’une sécheresse accrue serait une diminution du rendement,
notamment à cause d’une limitation du poids des baies (Ollat et al.,
2002) et d’une diminution de l’initiation des inflorescences (Guilpart
et al., 2014). Cette diminution du rendement risque d’être générale,
seule l’ampleur de la diminution pourra varier d’une région à une autre.
L’effet sur la qualité est plus difficile à prévoir, car il sera favorable
ou défavorable suivant la région de production. La qualité du vin,
et en particulier du vin rouge, pourra bénéficier dans de nombreuses
régions viticoles d’un régime hydrique plus contraignant. Par exemple,
dans la région de Bordeaux, pour la production de vins rouges,
jusqu’à aujourd’hui la qualité d’aucun millésime n’a été pénalisée
par une trop forte contrainte hydrique, même en 2005, millésime
au cours duquel les précipitations furent près de la moitié de celles
Figure 7 : Teneur du vin en 3-sulfanylhexan-1-ol en fonction
de la contrainte hydrique et de l’exposition des grappes.
(C) modalité avec forte contrainte hydrique ; (I) modalité irriguée
avec contrainte hydrique modérée ; (IdB) modalité avec irrigation
et effeuillage précoce et (IdV) modalité avec irrigation et effeuillage
à la véraison (d’après Schüttler et al., 2011, 2013).
Koundouras et al. (2006) ont observé une augmentation de la teneur
en norisoprénoïdes C13 des raisins avec l’intensité de la contrainte
hydrique, mais il est possible que ce résultat soit la conséquence
indirecte d’une diminution de la vigueur, accompagnée d’une meilleure
exposition des grappes. Au cours d’années sèches, les raisins de
sauvignon blanc sont plus riches en flavane-3-ols et moins riches
en glutathion, un anti-oxydant important pour limiter les risques
de vieillissement aromatique prématuré des raisins et des vins
(Pons et al., 2014, Figure 8).
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taille des baies et en augmentant la teneur en composés phénoliques
dans les baies de raisin (van Leeuwen et al., 2009). Ces résultats
ne sont évidemment pas directement transposables à des régions
plus sèches, où le rendement et la qualité peuvent souffrir d’un excès
de stress hydrique dans les parcelles à réserve utile faible à moyenne.
En revanche, ces résultats restent valables pour des régions à faible
pluviosité dans des parcelles où la vigne est plantée sur des sols
à réserve utile moyenne à forte. L’effet de la contrainte hydrique
sur les arômes et les précurseurs d’arômes dans le raisin est variable
suivant la famille aromatique considérée. Une forte contrainte
hydrique diminue la teneur en précurseurs de thiols volatils dans
le raisin, alors qu’une faible contrainte hydrique l’augmente (Peyrot
des Gachons et al., 2005). Ce résultat a été confirmé sur riesling en
conditions semi-contrôlées par Schüttler et al. (2011, 2013, Figure 7).
La teneur en 3-SH des vins n’est pas significativement modifiée par
un effeuillage, améliorant l’exposition des grappes, qu’il soit précoce
ou tardif. En revanche, le même auteur observe une modification
du contenu monoterpénique du raisin (concentration plus élevée
en linalol) en fonction du niveau de contrainte hydrique.
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Figure 6 : Corrélation entre la qualité du millésime à Bordeaux et le bilan hydrique climatique
calculé entre le 1er avril et le 30 septembre pour les millésimes 1952 à 2012 pour la région de Saint-Émilion
(bilan hydrique calculé d’après Lebon et al., 2003 ; paramétrage : RU = 0 mm et absence de régulation stomatique).
La qualité du millésime a été notée par le bureau de courtage Tastet et Lawton (33000 Bordeaux).
Viticulture
aucunement porté atteinte à la réputation des vins de Bordeaux.
Il serait d’ailleurs opportun d’ouvrir dès aujourd’hui les décrets
d’appellation à l’introduction d’un faible pourcentage de cépages
non autochtones (5 ou 10 %) ; cela permettrait aux viticulteurs
d’accumuler des références sur leur comportement. Ces références
seront précieuses au moment où tous les cépages autorisés dans
le décret d’appellation mûriront trop tôt à cause de l’ampleur du
changement climatique.
Dans les systèmes de conduite, une élévation de la hauteur du tronc
peut limiter la température dans la zone des grappes, en particulier
les températures maximales, plus élevées près du sol. Les techniques
viticoles peuvent également contribuer à retarder la phénologie de
la vigne, comme une taille tardive, une limitation des effeuillages,
une diminution du rapport feuille-fruit (Parker et al., 2014). Ils peuvent
cependant avoir des conséquences non désirées sur la composition
du raisin (par exemple une diminution de la teneur en composés
phénoliques pour un rapport feuille-fruit dégradé) ou accroître le
risque de développement de pathogènes.
La délocalisation des vignobles est une autre adaptation possible,
mais qui aurait évidemment de fortes implications économiques
et sociologiques. Dans les régions à relief marqué, comme le Douro
au Portugal, il est possible de planter la vigne à des altitudes plus
élevées (Jones and Alves, 2012). En effet, la température diminue en
moyenne de 0,65° C par tranche de 100 m d’élévation. Des régions
septentrionales, actuellement trop froides pour y cultiver de la vigne,
pourrait dans cette logique devenir progressivement viticoles.
Plusieurs projections ont été réalisées à ce sujet (Hannah et al., 2013 ;
Fraga et al., 2012), même si celles-ci ne prennent pas suffisamment
en compte de possibles adaptations par les viticulteurs (van Leeuwen
et al., 2013).
enregistrées au cours d’une année normale. Ceci n’exclut pas que
ponctuellement quelques parcelles de jeunes vignes puissent souffrir
d’un excès de stress hydrique. La qualité des millésimes continuera
donc à progresser à Bordeaux avec l’augmentation de la contrainte
hydrique, comme dans la plupart des régions sous climat atlantique
ou septentrional. Dans les régions sèches, et notamment sur les sols
à faible réserve en eau, la qualité pourrait diminuer par excès de stress
hydrique, qui peut conduire à des blocages de la photosynthèse et
de la maturation du raisin. Aucune étude sérieuse n’a pour le moment
été publiée sur la fréquence des situations où la qualité augmenterait
ou baisserait à cause d’une plus grande intensité de la contrainte
hydrique. Une telle étude serait extrêmement importante pour
la profession pour évaluer les adaptations à mettre en place pour
faire face à une plus grande fréquence de situations de contrainte
hydrique.
2.3. Effet de l’augmentation du rayonnement
2.3.1. Effets déjà observés
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Au cours des dernières décennies, une augmentation du rayonnement
est observée, en particulier le rayonnement dans les longueurs d’onde
de l’UV-B (280 - 320 nm). Cependant, les estimations sur l’ampleur
de ce phénomène, qui est relié à l’altération de la couche d’ozone,
varient suivant les régions et les auteurs. Elle serait de 1 à 2 % par
décade, mais pourrait atteindre 8% par décade en altitude (Schültz,
2000). Une augmentation du rayonnement UV-B, favorise la coloration
des baies et l’accumulation de composés phénoliques (Berli et al.,
2008 ; Martinez-Lüscher et al., 2014), mais pourrait également être
la cause de l’accumulation des déviations aromatiques des vins blancs
liées à l’accumulation d’o-acetoaminophenone et du 1,1,6-trimethyl1,2-dihydronaphthalene (TDN, Schültz 2000).
3.2. Adaptations à une plus grande sécheresse
2.3.2. Effets prévisibles dans un contexte
de réchauffement climatique
Tout comme pour l’adaptation de la culture de la vigne à l’élévation
des températures, une modification du matériel végétal est une piste
prioritaire pour adapter la vigne à des intensités de contrainte hydrique croissantes. Il existe une large variation parmi les porte-greffe
utilisés en viticulture concernant leur adaptation à la sécheresse
(Carbonneau, 1985) dont les bases génétiques commencent à être
étudiées (Marguerit et al., 2012). Certains porte-greffe aujourd’hui
homologués, comme le 110R ou le 140Ru, sont particulièrement
résistants. Il serait intéressant d’homologuer certains porte-greffe
très résistants à la sécheresse étrangers, comme le Ramsey (d’origine
américaine). Une des priorités de la recherche viticole devrait être
la création de porte-greffe encore plus résistants. Les variétés utilisées
comme greffon (cépages) présentent également des grandes différences de résistance à la sécheresse (Albuquerque Regina, 1993).
Les variétés méditerranéennes (grenache, carignan) sont beaucoup
plus résistantes que les variétés atlantiques, comme le merlot ou
le sauvignon blanc. Le grand avantage de la piste de l’adaptation à
la sécheresse par le choix du matériel végétal est qu’elle est neutre
sur le plan économique (pas de surcoût pour le viticulteur) et qu’elle
ne provoque pas de dommages à l’environnement.
Concernant les systèmes de conduite, les viticulteurs des régions
méditerranéennes ont mis au point depuis des siècles un système
de conduite particulièrement bien adapté à la culture de la vigne
en conditions sèches, le gobelet. L’astuce de ce système de conduite
est qu’il combine une surface foliaire moyennement faible par hectare
(ce qui limite la transpiration et donc la consommation d’eau) à un
rendement moyennement faible, ce qui permet de maintenir un bon
rapport feuille-fruit, compatible avec la production de raisins à fort
potentiel qualitatif. Le fait que les vignes en gobelet produisent
des rendements relativement faibles ne pénalise pas forcément
la rentabilité des exploitations, car les coûts de production par
hectare sont faibles, ce qui permet de produire un raisin à un prix
par kg très compétitif. Ce système est aujourd’hui menacé car il est
très difficile de le vendanger à la machine. Une des priorités pour
la recherche des instituts techniques devrait être la mise au point
d’une machine permettant de mécaniser la récolte des vignes en
gobelet, afin de pouvoir pérenniser ce système de conduite particulièrement intéressant dans un contexte devenant plus sec.
Toute autre diminution de la surface foliaire par hectare, par exemple
par la diminution des densités de plantation, permet d’économiser
de l’eau, mais une dégradation du rapport feuille-fruit aura irrémédiablement des conséquences sur le potentiel qualitatif du raisin,
en particulier pour la production de vins rouges.
L’augmentation du rayonnement est de nature à pouvoir provoquer
des brûlures sur les raisins, en particulier lorsque les baies sont
encore herbacées. La composante UB-B du rayonnement incident
est plutôt favorable à la richesse phénolique dans les raisins et
les vins rouges et défavorable aux qualités aromatiques des vins
blancs. La proportion d’UV-B est conditionnée à l’évolution de
l’épaisseur de la couche d’ozone.
3. Adaptations qui permettraient
de limiter les effets du changement
climatique sur la qualité du vin
3.1. Adaptations à une augmentation
de la température
L’augmentation de la température avance la date de maturité.
Cette évolution est favorable à la maturation du raisin et à la qualité
du vin dans un premier temps. Elle risque d’être la cause à terme
d’altérations de la typicité des vins et de leur qualité dans la plupart
des régions de production, à commencer par les régions les plus
chaudes. Il est donc important d’envisager des stratégies permettant
de retarder progressivement la maturité du raisin pour pallier au
risque que présente le réchauffement climatique.
Pour atteindre cet objectif, le choix du matériel végétal constitue
un levier important. Dans un premier temps, les viticulteurs peuvent
avoir recours à des clones plus tardifs et à des porte-greffe à cycle
long. Ces modifications n’altèreront pas, ou très peu, la typicité des
vins produits et peuvent, cumulés, permettre de retarder la maturité
d’environ une semaine. À plus long terme, il faut envisager d’avoir
recours à des variétés plus tardives par rapport à celles habituellement
plantées dans une région donnée. Certaines régions disposent de
ressources internes de variétés tardives, qui ne sont pas encore
majoritaires dans l’encépagement (le cabernet-sauvignon à Bordeaux
et le mourvèdre en Languedoc). Ces régions peuvent augmenter
la proportion de ces variétés tardives. À plus long terme, il sera
nécessaire d’introduire des variétés tardives non autochtones.
Il faudra alors tester quelles variétés tardives changeront le moins
possible la typicité des vins de la région. Il ne faut pas oublier dans
ce contexte que l’encépagement de la plupart des appellations
a évolué dans le temps sans forcément altérer la notoriété de ces
régions de production. Jusqu’au milieu du XIXème siècle, le côt ou
malbec était un cépage important dans le Bordelais et le merlot
était quasi inconnu. La disparition du malbec, au profit du merlot
(aujourd’hui 65 % de l’encépagement rouge de Bordeaux), n’a
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3.3. Adaptations à un plus fort rayonnement
L’état hydrique de la vigne dépend à la fois des conditions climatiques
(précipitation, ETP) et de la réserve en eau du sol. Une augmentation
de la sécheresse climatique pourra donc être compensée par la réserve
en eau du sol. Dans les régions sèches, l’implantation de la vigne
dans des sols avec une réserve utile au moins moyennement élevée
peut permettre d’éviter les effets délétères d’un stress hydrique
excessif, à condition que les précipitations hivernales soient suffisantes
pour ramener les sols à la capacité au champ.
L’irrigation de la vigne peut aussi permettre d’éviter les contraintes
hydriques excessives. Elle doit cependant être considérée en tant
que dernière solution, car contrairement aux solutions évoquées
ci-dessus, elle n’est pas neutre ni sur les coûts de production ni sur
l’environnement. Dans un contexte de raréfaction des ressources
en eau, son utilisation pour irriguer une plante très résistante à la
sécheresse ne devrait pas être prioritaire. Dans de nombreuses régions
irriguées, en Californie ou en Australie, des tensions commencent
à apparaître sur la disponibilité des ressources en eau pour irriguer
la vigne. Par ailleurs, cette technique présente l’inconvénient de
faire augmenter sur le long terme la salinité des sols, surtout dans
les régions où la pluviosité hivernale est insuffisante pour éliminer
le sel des sols par lixiviation. La vigne étant une plante particulièrement sensible au sel, cela rendra sur le long terme (quelques décennies
à un siècle) les terrains irrigués impropres à la culture de la vigne.
Lorsque l’irrigation est la seule solution possible dans une région
donnée pour faire face à la sécheresse, elle doit être modérée,
à la fois pour économiser de l’eau et pour produire un raisin à fort
potentiel qualitatif. La meilleure technique pour piloter une irrigation
déficitaire (deficit irrigation) constitue le suivi d’une plage de déficit
hydrique optimal à l’aide d’une chambre à pression (van Leeuwen
et al., 2009).
L’excès de rayonnement peut provoquer des altérations du potentiel
qualitatif des raisins en provoquant des brûlures. Une augmentation
de la composante UV-B du rayonnement incident est favorable à la
coloration des raisins rouges, mais peut altérer le potentiel aromatique
des cépages blancs. La vigne est beaucoup plus exposée aux rayonnements UV-B dans des parcelles établies en altitude. Les effets
négatifs d’un rayonnement excessif peuvent être jugulés soit par
une modification du système de conduite, en favorisant des systèmes
qui exposent moins les raisins, soit en modifiant les opérations en vert
(limitation des rognages et des effeuillages). Pour limiter l’incidence
des rayons UV-B des filets, qui filtrent une partie du rayonnement,
peuvent également être mis en place dans la zone des grappes.
Conclusions
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Références bibliographiques
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Le changement climatique constitue un défi majeur pour la viticulture
mondiale pour les années à venir. Dans le passé récent, la qualité
du vin a progressé dans de nombreuses régions grâce à l’augmentation
des températures et de la fréquence des périodes de sécheresse.
Si la tendance se poursuivait dans les décennies à venir, l’optimum
qualitatif risquerait d’être dépassé. Les viticulteurs devront alors
mettre en œuvre des adaptations pour continuer à produire du vin
de qualité à des rendements économiquement viables sous un climat
changeant. Pour étudier ces question, une importante dynamique a
été créée en France par le méta-programme INRA LACCAVE, qui fédère
23 instituts de recherche et universités autour de ces thématiques.
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