Les règles d`or du débat - Chrystelle Thiébaud Conus

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Les règles d`or du débat - Chrystelle Thiébaud Conus
Société
RÉFORME NO 3604â 9 AVRIL 2015
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VIVRE ENSEMBLE. L’onde de choc de janvier 2015 a aussi touché la Suisse. À Genève,
Marie-France Martinez, journaliste, a lancé des ateliers pour des débats « responsables ».
ISLAM. Le Collège de France a créé une
chaire sur l’histoire du Coran.
Les règles d’or du débat
L’islam et
l’excellence
information dans la mêlée, comme
les journalistes, vérifier ses sources !
Enfin, et surtout, comme l’a rappelé Chrystelle Conus, un débat est
un exercice de communication. Pour
deux interlocuteurs et un message, il
y a quinze possibilités de mal se comprendre ! Pour s’assurer une communication performante, la jeune femme
donne quatre règles a priori simples,
D. R.
« Construire un
débat responsable,
c’est composer
ensemble une
nouvelle recette avec
des aliments frais »
Chrystelle Conus et Marie-France Martinez débusquent le « consensus mou »
S
ouvent, quand on débat, on le
fait maladroitement », assure
Marie-France Martinez. Qui
pourrait dire le contraire ? Si
la Suisse est le pays du consensus, du
dialogue apaisé, l’image d’Épinal ne
masque pas totalement une réalité :
les préjugés, généralisations et peurs
font, ici aussi, partie des échanges
publics, cependant moins marqués
par la conflictualité inhérente à la vie
politique française.
Face à ce constat, Marie-France Martinez, professeur à l’école de journalisme
de Genève, tente d’initier ses étudiants à
l’art du débat. Mais la tragédie de Charlie
Hebdo a été pour elle un déclic. « J’ai
été affectée dans mon identité de librepenseuse, d’humaniste. Il fallait faire
quelque chose. »
De son expérience, elle tire quelques
solides convictions : « L’émotion est
toujours un problème. Tout le monde
peut avoir quelque chose d’intéressant
à dire, cela n’a rien à voir avec le niveau
d’études. »
Arguments pièges
C’est avec Chrystelle Conus, journaliste indépendante, qu’elle mûrit l’idée
d’ateliers pour repenser la façon de
débattre en public. Formée à la médiation, et fondatrice du site clesdevote.
ch, qui apporte un regard apolitique
et dépassionné sur les votations fédérales, Chrystelle Conus est la coéquipière idéale.
Pour atteindre ce but, les deux professionnelles ont mis au point une formation éclair, en trois heures, sorte de
piqûre de rappel pour apprendre – ou
réapprendre – à débattre de façon saine
et constructive. Indispensable, à l’heure
des réseaux sociaux où l’on donne instantanément son avis sur tout, et des attentats de masse, où l’émotion et le besoin
d’explications font facilement naître des
amalgames et autres réponses simplistes.
À Nyon, dans les locaux de l’association l’Escabeau, une douzaine de
participants se sont prêtés au jeu, mimars, pour la première édition de cette
formation. Devant un auditoire attentif, Marie-France Martinez et Chrystelle
Conus commencent par rappeler les
fondamentaux : oui, l’expression est
un droit inaliénable. Mais pour débattre
de façon responsable, il ne suffit pas de
donner sa pensée sur le vif. Un débat
qui enrichit ses participants est efficace,
respectable, durable, constructif.
Il suppose des compétences : garder l’esprit critique, y compris envers
ses propres convictions, structurer ses
idées, trouver ses arguments – ce qui
suppose une préparation. Dans la discussion ensuite, savoir reconnaître les
arguments pièges.
À commencer par ceux faisant appel
à l’émotion, aux exemples personnels,
ou encore les généralisations, à bannir,
tout comme les effets de rhétorique,
ces phrases bien tournées mais sans
fondement. Et puis, avant de jeter une
mais qui sont rarement pratiquées au
quotidien (voir ci-dessous). Enfin, si le
débat doit servir de base à une prise de
décision ou un changement de comportement, une règle d’or : négocier sur ses
intérêts plutôt que ses principes. C’est
allant au plus concret, dans les plus
petits détails pratiques, que se nichent
des pistes de solution.
La minute de silence
« Construire un débat responsable, ce
n’est pas arriver à un consensus mou, à
l’image de mettre de l’eau dans son vin,
qui donne une boisson sans goût. C’est
ouvrir tous les placards de la cuisine,
faire le tri, et composer ensemble une
nouvelle recette avec des aliments frais »,
résume Chrystelle Conus.
Une image que les participants de
l’atelier ont mise en pratique dans
un exercice calqué sur une situation
post-Charlie : une confrontation entre
parents, responsables municipaux et
encadrants scolaires autour d’un projet de minute de silence controversée à
la suite des attentats. En vingt minutes
d’échanges, les douze participants
s’étaient accordés sur une solution
négociée. Et si, au quotidien, nous
pouvions tous y arriver ? En attendant,
Marie-France Martinez aimerait développer ces formations, notamment dans
les écoles du secondaire.r
CAMILLE ANDRES
CORRESPONDANCE DE LAUSANNE
MIEUX COMMUNIQUER
1. Respecter son interlocuteur.
2. Personnaliser son argumentaire.
3. Exprimer ses émotions en tant que telles.
4. Vérifier son interprétation avant de répondre
à son interlocuteur.
L
e Collège de France vient de créer une chaire
intitulée « Histoire du Coran, texte et transmission » dont le titulaire est le spécialiste
de l’islam François Deroche. Il a donné sa leçon
inaugurale le jeudi 2 avril. Ce chercheur propose
une analyse historico-critique du Coran en analysant les conditions de son élaboration. Après la
mort du Prophète, plusieurs variantes du Coran
ont circulé avant que ne s’impose le texte qui fait
autorité de nos jours. Cette démarche est critiquée
par nombre de musulmans qui voient dans la
lecture critique de la constitution du Coran une
remise en question du dogme.
Si nous faisons le parallèle avec le christianisme,
les premières lectures critiques de la Bible ont aussi
été fortement critiquées, notamment par les autorités religieuses. Elles ont pourtant permis de lutter
contre les lectures idéologiques. Avec le temps,
s’est imposée la constatation que les lectures critiques ne contestent pas tant la foi que le pouvoir
des institutions religieuses qui s’appuient sur une
révélation intangible pour justifier leur autorité.
De nos jours, cette lecture critique fait l’unanimité
parmi les chercheurs sérieux. On peut espérer que
la même évolution s’observera avec le Coran.
Les imams de banlieue
Interrogé par nos soins, un pasteur de banlieue
qui a des relations avec des imams de sa commune,
et qui préfère garder l’anonymat pour maintenir
des relations cordiales avec ces derniers, est dubitatif sur cette création : « Le problème des imams
que je côtoie est qu’ils n’ont aucune formation universitaire. Il est difficile d’avoir avec eux un dialogue
théologique. Le plus souvent nos relations restent au
niveau de la courtoisie, ce qui est déjà très précieux. »
Pour illustrer son analyse, il fait une comparaison
éclairante : « On ne soigne pas l’analphabétisme en
créant une chaire au Collège de France sur l’histoire
de l’apprentissage de la lecture, mais en formant des
pédagogues. Il faut commencer par le début et créer
des instituts coraniques français comme il existe des
instituts bibliques qui délivrent des diplômes au
niveau bac + 2. Quand les imams auront ce niveau
universitaire, ensuite on pourra progressivement
monter dans les diplômes. »
La modernité et la sécularisation conduisent les
responsables religieux à devoir dialoguer avec la
société et avec les autres religions. Depuis un siècle,
le niveau universitaire des pasteurs, surtout évangéliques, et des prêtres s’est fortement élevé. Il n’y
a aucune raison pour qu’il n’en soit pas de même
pour les imams.
Au mois de janvier, Réforme avait publié les résultats du rapport Messner sur la formation des cadres
religieux musulmans. À côté des diplômes universitaires existants sur la laïcité et la gestion des
associations cultuelles, il préconisait la constitution d’instituts théologiques musulmans de niveau
universitaire qui, tout en étant privés car cette formation ne relève pas de la responsabilité de l’État,
pourraient, sous certaines conditions, collaborer
avec les universités publiques. Les choses bougent,
mais il convient d’accélérer le processus qui va de la
préconisation à la réalisation car l’urgence est là. r
ANTOINE NOUIS

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