Elaborer collectivement projet de développement social urbain

Transcription

Elaborer collectivement projet de développement social urbain
ELABORER COLLECTIVEMENT
UN PROJET DE DEVELOPPEMENT
SOCIAL ET URBAIN
JEUDI DE LA VILLE
DU 06 JUILLET 2006
Institut Régional de la Ville – 23 avenue Roger Salengro – BP 318 – 59336 Tourcoing Cédex
Tél 03 20 25 10 29 – Fax : 03 20 25 46 95 – E.Mail : [email protected] – Site Internet : www.irev.fr
Institut Régional de la Ville – 23 avenue Roger Salengro – BP 318 – 59336 Tourcoing Cédex
Tél 03 20 25 10 29 – Fax : 03 20 25 46 95 – E.Mail : [email protected] – Site Internet : www.irev.fr
SOMMAIRE
Introduction
Enjeux et modalités de la définition d’un projet
de développement social et urbain
par Renaud Epstein,
Centre d’Analyse des Politiques Territoriales
page 3
page 6
Atelier 1 : L’évaluation au service du projet
page 12
Atelier 2 : L’observation des territoires
page 16
Atelier 3 : Les modes de coopération et
la mobilisation du droit commun
page 21
Atelier 4 : La place du monde associatif
page 25
La mise en œuvre des Contrats Urbains de Cohésion Sociale
page 29
-3–
Introduction
INTRODUCTION
Yves DURUFLE
Président de l’IREV
Je souhaite au préalable remercier les équipes qui ont travaillé pour préparer cette journée
même si, lorsque nous avons abordé ce sujet, je ne vous cache pas que j’ai d’abord eu un
premier mouvement de découragement car cela fait maintenant plus de 20 ans qu’on parle
de politique de la ville et j’avais l’impression qu’on en était encore et toujours à se reposer la
question des fondamentaux de cette politique. Mais si on en exprime le besoin c’est sans
doute que c’est nécessaire : ces fondamentaux ne sont pas forcément partagés par tous, par
ailleurs il y a une évolution du contexte qui amène à se reposer ces questions, et le
renouvellement des acteurs, dont vous faites partie, nécessite aussi de transmettre la
mémoire, la problématique et le questionnement. Il est donc toujours utile d’avoir cette
réflexion et je me réjouis que l’Institut Régional de la Ville y contribue, étant dans ce cadre
complètement dans sa mission. Frédéric TRECA a souligné que j’étais le Président de l’IREV
et je m’en réjouis, mais vous savez que c’est une présidence tournante puisque nous
sommes dans un Groupement d’Intérêt Public qui associe l’Etat, la Région et les
départements, donc c’est un partenariat solide et durable autour d’une problématique qui
nous est commune.
Étant Président de l’IREV je suis aussi le Secrétaire Général pour les Affaires Régionales et,
de ce point de vue, 2006 est une année particulière pour plusieurs raisons.
La réorganisation de l’Etat
En premier lieu, l’Etat bouge, se modernise. La loi de Décentralisation du 13 août 2004
repose la question de la répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités locales et
montre que l’Etat ne peut pas envisager les politiques publiques de son seul point de vue
mais qu’il doit le faire en partenariat avec les collectivités territoriales sur des
problématiques partagées, avec des politiques partagées.
La deuxième raison est que nous assistons à une réforme budgétaire de grande ampleur
avec la mise en place de la Loi Organique sur les Lois de Finance (LOLF), avec un souci
(d’ailleurs partagé avec les collectivités territoriales) de maîtrise des finances publiques,
contrainte qui est de plus en plus prégnante sur nos politiques. Le contexte financier actuel
est difficile compte tenu du déficit des dépenses publiques et, lorsque l’on regarde où l’on
peut réduire les dépenses, il est souvent plus facile de le faire dans le soft que dans le hard.
Et malheureusement, la Politique de la Ville fait plus souvent partie du soft que du hard !
La troisième raison est la réflexion de l’Etat sur sa propre organisation, sur la répartition des
compétences entre le niveau régional et le niveau départemental, et sur la difficulté à
trouver le bon niveau d’intervention.
De plus l’année 2006 termine la génération du contrat de plan Etat / Région 2000-2006 et la
période d’intervention des Fonds Structurels Européens, et ouvre une nouvelle période 20072013 qui est encore à écrire en ce qui concerne les priorités pour les contrats de projet, les
programmes opérationnels d’intervention des Fonds Européens et les nouvelles modalités
contractuelles et partenariales. Ces éléments sont importants car ils conditionnent
évidemment l’intervention des moyens, dans une philosophie assez profondément différente
de celle de la période précédente.
En remplacement du contrat de plan est actuellement négocié un contrat de projet, qui
implique que l’on ait identifié de manière précise, pour les 7 prochaines années, quels sont,
de notre point de vue, les projets qui paraissent les plus porteurs d’avenir, les plus
structurants, ceux qui ont le plus grand effet de levier en matière de développement
économique et social, puisque cela reste de manière extrêmement claire la préoccupation
n°1, avec une priorité liée à l’emploi.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
-4–
Introduction
Une concentration de moyens
Les champs d’intervention du Contrat de projet sont plus restreints que ceux du contrat de
plan. L’Etat propose ainsi à la contractualisation moins de crédits et moins de programmes
budgétaires qu’au cours de la génération précédente, avec une concentration sur certaines
thématiques prioritaires. Cela ne veut pas dire qu’il ne se fera plus rien en dehors de ces
thématiques, mais cela se fera avec des crédits ordinaires d’intervention de l’Etat dans le
cadre de son budget annuel soumis au vote du Parlement. On n’est donc plus dans un
contrat de plan « attrape-tout » où on cherchait à mentionner tout ce qu’il paraissait
important de mentionner pour les 7 ans qui viennent parce que cela permettait de
sanctuariser, d’identifier, de donner un certain nombre de repères. Le contrat de projet est
une concentration de moyens sur 15 projets thématiques ou territoriaux qui sont proposés à
la négociation du Conseil Régional, des Conseils Généraux et des collectivités.
Le Préfet va recevoir son mandat de négociation dans les prochains jours. Cela signifie que le
gouvernement aura validé le diagnostic de la situation et la stratégie proposée par le Préfet,
qui débouche sur la proposition de 15 grands projets. De là, le gouvernement communique le
montant de l’enveloppe financière, et charge au Préfet de voir avec les collectivités si elles
ont envie de s’engager dans cette démarche partenariale et de mutualiser leurs moyens pour
amplifier les résultats de ces grands projets.
Les nouveaux modes d’intervention des fonds structurels européens
Deuxième changement : les programmes opérationnels d’intervention des Fonds Structurels
Européens où, là aussi, la philosophie change. D’abord il n’y a plus de zonage prioritaire :
tout le territoire est éligible. Le Hainaut Français (les arrondissements d’Avesnes, de
Valenciennes et de Douai) qui bénéficiait d’un programme particulier n’en bénéficie plus, et
les orientations stratégiques communautaires concentrent là aussi les moyens sur la
compétitivité des territoires et l’emploi, sur la recherche et l’innovation, avec une volonté
très claire, affichée par la Commission, d’affecter au moins 75% des moyens aux objectifs
dits de Lisbonne qui cherchent à faire de l’économie européenne l’économie la plus
compétitive du monde.
Le travail d’écriture de ces programmes opérationnels pour le FEDER, pour le FSE et pour le
FEADER (Fond Européen d’Aménagement et de Développement Rural) qui intervient pour
une part extrêmement minime est actuellement en cours. Les montants sont nettement
moindres puisque notre région aura bénéficié à la fin de cette année de 1 milliard 335
millions d’euros (tous programmes confondus) et le budget pour la période 2007-2013 est de
1 milliard d’euros. Mais ces budgets ne doivent pas être comparés puisque, par nécessité, les
axes de travail ne seront pas les mêmes, compte tenu des priorités données par la
Commission. L’hypothèse actuelle porte sur 4 axes :
la compétitivité, l’innovation, la recherche et le développement des entreprises, qui
pourrait concentrer entre 30 et 40% des moyens du FEDER,
l’accessibilité liée aux transports et aux technologies de l’information et de la
communication,
la préservation de l’environnement où on pourrait retrouver ce que l’on appelle
« excellence territoriale » qui pourrait prendre en compte la rénovation urbaine,
les questions de formation et d’emploi principalement financées par le FSE.
Le FEDER représente un budget de 622 millions d’euros, tandis que le FSE représente 336
millions d’euros. Il va donc falloir faire des choix et cela va être particulièrement difficile.
Le contexte actuel présente donc deux éléments majeurs de changement : l’un est lié à la
vie de l’Etat dans un contexte en mutation avec la décentralisation, l’autre est lié à
l’élaboration des contrats de projets et des programmes opérationnels conditionnant à la fois
les possibilités et les moyens d’intervention. Dans ce contexte, comment concevoir la
rénovation urbaine et les programmes de la Politique de la Ville pour les 7 ans qui viennent ?
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
-5–
Introduction
D’autant que les outils et les supports d’intervention de cette politique sont en train de
changer. Le mouvement initié avec l’ANRU (les crédits de l’ANRU seront d’ailleurs hors
contrats de projets) va en effet être poursuivi avec le projet de l’Agence Nationale pour la
Cohésion Sociale et l’Egalité des Chances. Par ailleurs les Contrats Urbains de Cohésion
Sociale, qui feront l’objet du débat de cet après-midi, vont également rénover le cadre de
l’intervention de l’Etat sur la politique de la ville.
Donc des orientations différentes, une concentration de moyens différente, des supports
d’intervention différents : ce contexte justifie pleinement que l’on réfléchisse ensemble à la
manière de s’approprier ces moyens, éventuellement à la manière de pouvoir peser puisque
tout n’est pas encore décidé, et que l’on regarde dans quelle mesure ceci est en adéquation
avec les réflexions qui sont menées sur les territoires.
Parce qu’il est évident que la question majeure qui va se poser est justement la politique
territoriale. En effet ce qui relève de la politique territoriale trouve relativement peu de place
dans ce nouveau paysage alors que c’est l’une de vos préoccupations majeures, compte tenu
en plus du service de proximité que vous rendez aux habitants. Ce sujet est donc à partager
avec les collectivités territoriales qui commencent d’ailleurs à s’inquiéter. Si les fonds
européens sont concentrés sur compétitivité et territoire, innovation, recherche, accessibilité,
quels seront les moyens pour intervenir dans les politiques territoriales ? Avec les contrats de
projets, va-t-on retrouver une intervention de l’Etat dans le cadre du développement
territorial ? Or si ça n’est plus les fonds européens et si ça n’est plus l’Etat, il est évident que
la question va se poser directement aux collectivités territoriales concernées (régions,
départements, EPCI, agglos, pays…) qui commencent d’ailleurs, compte tenu de leurs
équations financières, à frémir sur le report de cette pression. Nous sommes parfaitement
conscients de ce questionnement sans pour autant être aujourd’hui en mesure d’y apporter
une réponse.
A mon sens donc, le fait de se poser la question maintenant est un excellent moyen pour
envisager comment on renvoie ce questionnement à l’Etat afin que, en tant qu’autorité de
gestion des fonds européens, en tant que co-contractant des contrats de projets et en tant
que responsable d’un certain nombre de politiques dans le cadre de ses compétences, même
exercées avec ses moyens budgétaires annuels, il trouve l’équilibre qui sera le plus
satisfaisant pour la période qui vient.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
-6–
Enjeux et modalités de la définition d’un projet
de développement social et urbain
ENJEUX
ET
MODALITES
DE
LA
DEFINITION
D’UN
PROJET
DE
DEVELOPPEMENT SOCIAL ET URBAIN
Renaud EPSTEIN
Centre d’Analyse des Politiques Territoriales
La réorganisation de l’Etat implique aujourd’hui que les territoires s’organisent
entre eux, avec leurs différentes échelles, pour définir collectivement un projet et
le mettre en place, mais aussi pour garantir l’équité entre les territoires.
Je voudrais repartir du tableau qui vient d’être dressé pour en proposer une lecture, une
analyse, qui peut d’ailleurs être discutable, mais qui part du fait que le séisme a eu lieu.
Maintenant faisons rentrer les secours, regardons ce qu’il reste sous les décombres… Mais il
me semble que la rupture a eu lieu en matière de politique territoriale, sous l’effet combiné
de l’acte II de la Décentralisation et de la LOLF. Ces évolutions institutionnelles font que le
modèle d’action qui était dominant, le modèle de gestion des territoires fondé sur le couple
projet territorial / contrat global, modèle qu’avait fondé la Politique de la Ville, est
aujourd’hui dépassé. On est passé à un nouveau mode de conception des politiques
publiques et je vais essayer de donner la lecture que j’en fais. En précisant que ce n’est pas
« la vérité » mais « une lecture ».
Un retour en arrière de quelques années permet de mesurer la rupture qui s’est opérée. Il y
a 4 ou 5 ans, les Lois Voynet et Chevènement venaient d’être votées et elles étaient
organisées autour d’une ambition commune, une articulation entre développement et
solidarité, autour de la préservation de l’environnement, de l’idée de trouver les bons
périmètres, de mobiliser tous les acteurs d’un territoire autour d’une action collective, avec le
projet territorial, le contrat global, etc. La Loi Solidarité et renouvellement Urbain (SRU)
s’inscrivait dans la même perspective, avec les Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT)
qui devaient être le cadre de cohérence entre une série de politiques sectorielles, et de fait
on avait l’impression qu’une dynamique s’enclenchait. Il y a eu un succès assez inespéré en
France en matière d’intercommunalité, même s’il y avait des incitations fortes. Début 2005 il
y avait 176 communautés d’agglos et communautés urbaines sur un potentiel de 194 (hors
Ile de France) ! Et 45% de la population française vivait dans un pays !
Finalement, le pari stratégique implicite derrière ces lois était l’installation de nouvelles
institutions territoriales pertinentes (pays, agglomérations, etc.) afin, à terme, de pouvoir
supprimer les archaïques (les départements par exemple), pour faire un Acte II de la
Décentralisation dans une logique de territorialisation d’ensemble. La perspective de ces lois,
au départ implicite, a été complètement explicitée par la Commission Mauroy sur l’avenir de
la décentralisation.
Finalement, l’acte II a bien eu lieu, mais ce n’est pas celui qui était prévu ! On n’a pas
supprimé un échelon, la dynamique de territorialisation des politiques publiques n’est pas
vraiment consacrée, et l’acte II s’est opéré exactement dans la même logique que l’acte I,
c’est à dire par transfert de blocs de compétences dont les échelons les plus archaïques sont
d’ailleurs les grands gagnants et les plus modernes les perdants. Or c’est parce qu’on avait
cette logique de blocs de compétences qu’on s’est mis à faire des projets territoriaux et des
contrats globaux, afin de réduire la fragmentation dans l’action publique locale et essayer de
faire travailler tout le monde ensemble.
L’acte II reprend donc les recettes de l’acte I sans toutefois en être la répétition, du fait d’un
certain nombre de réformes qui l’accompagnent et transforment assez radicalement
l’appareil administratif de l’Etat et le mode de conception et de mise en œuvre des politiques
publiques dans les territoires. J’insisterai sur trois évolutions combinées :
la dissociation qui s’opère entre décentralisation et déconcentration,
l’entrée en application de la LOLF,
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
-7–
Enjeux et modalités de la définition d’un projet
de développement social et urbain
le mouvement que les anglais appellent « agencification », c’est à dire cette
multiplication extrêmement rapide d’agences au niveau central.
En effet, c’est la combinaison de ces trois éléments qui transforme la donne.
-
Décentralisation versus déconcentration
Depuis 1982-83, il y avait une sorte d’équation entre décentralisation et déconcentration. Le
transfert du pouvoir de l’Etat vers les collectivités, s’accompagnait d’un transfert de pouvoir
des administrations centrales vers les services déconcentrés de l’Etat pour qu’il y ait au
niveau local deux partenaires à peu près en position de dialoguer. La Loi relative à
l’administration territoriale de la République du 6 février 1992 avait d’ailleurs gravé cela dans
le marbre. Or l’acte II de la décentralisation me semble transférer effectivement des
compétences aux collectivités, sans l’accompagner d’un approfondissement de la
déconcentration. Au contraire ! Une large part des compétences transférées aux collectivités
sont des compétences qui relevaient de fait de la gestion des services déconcentrés de l’Etat
et non des services centraux.
Parallèlement à la décentralisation, l’échelon régional de l’Etat se renforce par rapport à
l’échelon départemental, même si l’un et l’autre perdent un grand nombre de compétences,
dans tous les sens du terme. Nous sommes donc à mon sens dans un processus
d’affaiblissement des services déconcentrés de l’Etat, voire même un processus de
marginalisation qui me semble d’ailleurs être appelé à se renforcer dans les années à venir
suite à la loi sur l’expérimentation locale. À terme, les mouvements de transfert de
compétences sont appelés à se prolonger.
L’impact de la Loi Organique des Lois de Finances
Le troisième élément est la mise en œuvre de la LOLF. Souvent présentée comme une
révolution budgétaire qui donne à la France une nouvelle constitution budgétaire, cette mise
en œuvre peut à mon sens, comme toute révolution, faire des victimes. Celles-ci sont assez
clairement identifiées, les premières étant les services déconcentrés de l’Etat et, par
contrecoup, les politiques contractuelles qui leur avaient permis de garder une place dans les
politiques locales, y compris sur des compétences qui avaient été transférées aux
collectivités dans les années 80.
Derrière tous les objectifs qui sont affichés par la LOLF et qu’on ne peut que partager, il y a
aussi toute une instrumentation très complexe qui se met en place dans les administrations
et qui fait que, alors qu’on affiche un objectif de renforcement de la liberté des gestionnaires
publics locaux, les premiers mois de mise en œuvre tendent à montrer qu’on aboutit
exactement au contraire ! Finalement, la LOLF renforce le fonctionnement vertical et
hiérarchique de l’administration française avec des prescriptions toujours plus précises pour
les acteurs situés en bout de chaîne. Les systèmes de suivi mis en place ont pour
conséquence la mise sous pression de l’ensemble des responsables publics : le ministre sur
le responsable des programmes, celui-ci met la pression sur les responsables des BOP
(Budgets Opérationnels de Programmes), eux-mêmes mettant la pression sur les
gestionnaires effectifs des mesures qui restent le plus souvent les services départementaux
de l’Etat. L’ancien système était compliqué, il y avait 850 lignes, mais en fin de chaîne on s’y
retrouvait et on arrivait à trouver des marges de manœuvre. Aujourd’hui, c’est bien plus
difficile ! Je crois donc qu’un hiatus est en train d’apparaître entre la logique très verticale,
sectorielle, descendante, de la LOLF, et la logique horizontale supposée guider l’action de
l’Etat aux échelons régionaux et départementaux. C’est aussi dans cette approche-là que
j’entends le propos du SGAR Yves Duruflé.
Le dernier point qui conduit à cette remise en cause de la capacité de l’Etat local à conduire
des politiques territorialisées est la reconfiguration de l’administration nationale avec la
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
-8–
Enjeux et modalités de la définition d’un projet
de développement social et urbain
multiplication des agences ces dernières années: l’ANRU, l’ANCSEC, l’Agence d’Animation
Industrielle, l’Agence de Financement des Infrastructures de Transports de France, l’Agence
Nationale de la Recherche... Or ce sont des agences qui captent une part croissante des
ressources budgétaires et extra-budgétaires de l’Etat, échappant à la maîtrise des
administrations centrales, et court-circuitant assez largement les services déconcentrés de
l’Etat. L’exemple de l’ANRU est, de ce point de vue, assez parlant.
Dans ce contexte, que reste-t-il aux services déconcentrés de l’Etat ? S’ils ne sont pas
absents, ils sont toutefois de fait renvoyés sur une fonction de reporting, à remplir des
tableaux de chiffres et les faire remonter au niveau national pour suivre la manière dont se
mettent en œuvre des choses qui ont été décidées dans une négociation qui leur échappe.
Mais n’entendez surtout pas qu’on assiste à la disparition de l’Etat dans la gestion des
territoires, bien au contraire ! Si on a une forme de retrait de l’Etat local des territoires, on
assiste dans le même temps à la mise en place d’une nouvelle technologie d’intervention,
qui renforce les capacités d’orientation de l’Etat, mais à distance. Depuis Paris, on arrive
finalement à orienter les politiques locales. Là encore, je trouve que la politique de
rénovation urbaine en a été la préfiguration monstrueuse, et toutes les politiques ont basculé
dans ce nouveau modèle de pilotage à distance. Ce qui s’est opéré ces derniers mois en
matière d’aménagement du territoire, c’est bien le passage d’une série de contrats globaux
intégrés les uns aux autres, et fondés sur des projets territoriaux, à une série d’appels à
projets ciblés : les pôles de compétitivité, les pôles d’excellence rurale, la coopération
métropolitaine, la rénovation urbaine. Lesquels ont tous été réintégrés en un beau package
dans le contrat de projet. Ces procédures organisent donc finalement le passage du projet
territorial élaboré localement à la mise en compétition nationale des projets des territoires,
et tout cela au nom de nouveaux objectifs politiques.
On passe donc de politiques d’aménagement du territoire qui accordaient la primauté à la
cohésion territoriale, considérée comme un facteur de développement territorial, à une
politique qui incite désormais exclusivement au renforcement de la compétitivité territoriale.
Le changement de nom de la DATAR en témoigne et il me semble que la politique de
rénovation urbaine s’inscrit complètement dans ce modèle. Si on en croit ce qui s’est passé
en Angleterre ou aux Etats Unis qui ont une longue antériorité en la matière, je ne suis pas
certain que la rénovation urbaine réponde au déficit de logements sociaux ou aux difficultés
sociales des populations qui résident dans les quartiers visés. En Angleterre et aux Etats
Unis, les démolitions ont permis de libérer du foncier avantageusement localisé pour y
implanter des logements et des équipements jugés nécessaires, pour changer l’image de ces
territoires et contribuer au renforcement de l’attractivité des villes qui les accueillent. Le fait
d’inscrire la rénovation urbaine dans l’excellence territoriale, de ce point de vue là, est assez
révélateur.
On opère donc actuellement un virage d’importance d’une politique territoriale de répartition
égalitaire des fruits de la croissance nationale entre les territoires vers une politique incitant
fortement les acteurs locaux à mieux contribuer à cette croissance nationale. De ce point de
vue la France s’inscrit dans un mouvement commun à l’ensemble des pays européens, voire
à l’ensemble des pays industrialisés, où ça en est fini de la redistribution « keynésienne »
entre territoires, passant à une logique qu’on pourrait qualifier de « schumpeterienne » où il
s’agit de soutenir de manière ciblée les territoires producteurs de richesses ou d’innovation.
Pour dire les choses de manière crue, voire caricaturale, dans une période de disette
budgétaire mettons l’argent là où il va y avoir l’effet levier le plus fort sur la production
d’argent, donc essayons de privilégier les investissements les plus rentables.
La marginalisation des services déconcentrés de l’Etat s’explique à mon sens par ce
revirement. Le discours de l’excellence, de la compétitivité territoriale, peut être pleinement
assumé au niveau national parce qu’il suppose des territoires gagnants et des territoires
perdants. Au niveau régional ce n’est pas absolument évident, au niveau départemental c’est
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
-9–
Enjeux et modalités de la définition d’un projet
de développement social et urbain
compliqué, et au niveau local je n’aimerais pas être sous-préfet d’arrondissement, mais de
toute façon je n’en ai pas les compétences.
L’évolution des politiques et des modes d’intervention de l’Etat apparaît donc bien justifiée
par une évolution des priorités des politiques publiques. D’un objectif de cohésion territoriale
qui primait et se traduisait dans des procédures mettant en avant la cohésion des acteurs
autour d’un projet partagé, la priorité est aujourd’hui accordée à la compétitivité territoriale
qui se concrétise dans des procédures organisant la compétition entre les territoires pour
l’accès aux ressources nationales.
La compétition entre les territoires : organisation et conséquences
Cette compétition s’appuie sur trois instruments : des agences qui pilotent les programmes,
priorisent leurs investissements par le biais d’appels à projets, et suivent à distance leur
mise en œuvre par le biais d’un système de reporting. Ces agences se présentent comme
des guichets uniques (c’est la rhétorique managériale) réunissant l’ensemble des
financements afin d’améliorer l’efficacité de l’action publique en simplifiant les procédures
administratives, etc. Or on constate – et ceux qui ont été impliqués dans des procédures de
rénovation urbaine le savent - que la simplification est un combat ! Ce qui est très clair c’est
que la constitution de ces agences, à défaut d’aboutir à cette simplification administrative,
aboutit à la redistribution du pouvoir, au sens sociologique. J’ai du pouvoir sur quelqu’un si
j’ai une capacité à lui faire faire quelque chose qu’il n’aurait pas faite sinon. Dans cette
perspective, les agences nationales renforcent de façon très nette le pouvoir central vis-à-vis
des pouvoirs locaux. Dans le régime antérieur vous aviez 10 financeurs possibles pour une
action, donc chaque financeur avait un pouvoir très limité sur vous. Si un guichet vous disait
non vous alliez voir l’autre et vous arriviez toujours à en trouver 4 ou 5 pour financer votre
projet. Quand il n’y a plus qu’un guichet unique, si ce guichet dit non, qu’est-ce qu’il vous
reste à faire ? Mais l’ANRU ne dit jamais non, elle vous dit : « Revoyez votre projet ». Donc
les porteurs de projets sont dans une alternative extrêmement simple : soit faire évoluer leur
projet jusqu’à ce qu’il respecte les priorités et les types d’actions précisément définis par les
agences nationales, soit renoncer à sa mise en œuvre. Et le recours à la technique de l’appel
à projets prolonge ce mouvement puisque l’Etat n’alloue plus ses moyens en fonction de
critères socio-économiques précisément définis mais au terme d’un processus de mise en
concurrence nationale des projets locaux. Si on était dans le champ scolaire on dirait qu’on
passe du conseil de classe au concours d’entrée aux grandes écoles !
Chaque territoire est donc placé dans une position de concurrence et il va anticiper la
concurrence des autres.
Et au final, les actions sont mises en œuvre dans le cadre de conventions extrêmement
précises, permettant aux agences de mettre en place des tableaux de bord afin de suivre
très précisément l’état d’avancement des opérations. Est-ce que le local fait bien ce qui a été
prévu ? Pour dire les choses plus directement, cela permet à Paris de suivre la mise en
œuvre sans avoir à passer par les services déconcentrés de l’Etat beaucoup plus sensibles
aux contingences locales… Ce suivi à distance permet également d’avoir une plus grande
pression sur la mise en œuvre : une fois par an Paris vient faire une revue de projets et dire
« Attendez, vous aviez dit que l’opération devait être réalisée en novembre, on est fin
décembre et elle n’est pas commencée ! Attention, on peut supprimer les financements ! ».
Je caricature peut-être (quoi que), mais cela montre l’ampleur des transformations.
Gouverner à distance les territoires
Pour résumer, on est passé de ce que j’appelle un gouvernement négocié des territoires à un
gouvernement à distance des territoires. Dans ce nouveau système, l’Etat n’a plus, comme il
l’avait avant la décentralisation, à imposer ses décisions de manière hiérarchique, il n’a plus
besoin de négocier avec les pouvoirs locaux, il n’impose plus, ne négocie plus, mais il a mis
en place des nouvelles techniques issues du management privé qui lui permettent de
conduire, d’orienter à distance l’action des acteurs locaux, qui sont absolument libres. On
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 10 –
Enjeux et modalités de la définition d’un projet
de développement social et urbain
n’impose rien, les acteurs locaux sont libres de proposer, mais simplement ils sont fortement
incités à s’inscrire dans les priorités définies à l’échelon central. Nous sommes donc passé à
un exercice néo-libéral du pouvoir, pas au sens gauchiste du terme mais bien au sens de la
philosophie politique. Ce néo-libéralisme n’est pas la réduction de l’Etat ! Au contraire, c’est
une nouvelle conception de son action fondée sur ce que Michel Foucault appelait la conduite
des conduites. L’Etat n’impose rien, au contraire : il reconnaît l’autonomie des acteurs, les
communes sont libres, ce sont les projets des maires. Mais cela permet à l’Etat d’introduire
des éléments qui orientent à distance par le biais d’un jeu subtil d’incitation.
Dans ce contexte, que reste-t-il, et à quoi sert un projet ? Sans avoir de propos normatif, on
est face à une transformation radicale qui me semble très efficace sur certains points. Les
nouvelles techniques qui se mettent en place sont d’une efficacité redoutable pour
concrétiser localement des politiques définies nationalement. A contrario, la politique de lutte
contre la discrimination montre aussi les limites absolues du modèle antérieur. Je fais un peu
de provocation mais tant qu’on n’aura pas de statistiques ethniques et tant qu’on ne pourra
pas, au niveau national, pousser fortement à avoir des instruments de suivi permettant de
voir l’efficacité des politiques de lutte contre la discrimination, on va être cantonné à des
politiques de lutte contre la discrimination incantatoires.
Cette évolution est donc à mon sens efficace pour inciter à la mise en œuvre d’un certain
nombre d’orientations, mais on peut s’interroger sur sa pertinence, en tout cas sur la
pertinence des orientations qui sont mises en avant aujourd’hui. Concernant la politique de la
ville, la réduction de l’ensemble de cette politique à la réduction des écarts entre les
territoires qui décrocheraient et les agglomérations qui vont bien, est peut-être valable à
l’échelon national dans une lecture très distanciée mais est-ce adapté à l’ensemble des
configurations territoriales ? Il me semble qu’un certain nombre de territoires, dans la région
Nord Pas-de-Calais, prouvent la persistance d’un enjeu de territorialisation de grands
objectifs nationaux.
La deuxième interrogation porte sur la cohérence. Ces nouvelles politiques s’accompagnent
d’une remise en cause de l’ensemble des dispositifs qui assuraient, bon an mal an,
l’intégration entre les interventions d’un nombre démesuré d’acteurs. Avec trois niveaux de
collectivités, des acteurs multiples, l’action publique manque de lisibilité. Et quelque soit le
projet, il faut mobiliser 20 ou 30 institutions ! Or le nouveau modèle remet en cause : les
contrats qui assuraient l’existence d’un certain nombre de scènes où les acteurs pouvaient se
rencontrer, les projets qui étaient la tentative pour instaurer un cadre de référence et donner
une vision commune, et il peut remettre en cause l’intercommunalité. Comme vous l’avez
vu, dans toutes les nouvelles procédures qui se mettent en place, les structures
intercommunales ne sont pas l’impératif catégorique. Au mieux il s’agit d’une option. Vous
signerez un CUCS avec les maires, éventuellement avec les présidents des EPCI. A mon
sens, tous les dispositifs qui essayaient d’assurer la cohérence sont aujourd’hui menacés. Je
ne dis pas que les contrats et les projets disparaissent, on a des CUCS, ils doivent être
fondés sur des projets, mais on assiste à un retournement. On passe d’un projet territorial
décliné en programmes avec le contrat qui sert de cadre à cette déclinaison, à une série de
programmes définis en amont par le biais d’appels à projets divers et variés et qui sont
juxtaposés dans un contrat. On peut donc s’interroger sur la pertinence, sur la capacité des
acteurs à articuler des programmes relevant de la compétitivité territoriale, car il me semble
qu’on n’a pas à ce jour inventé d’autre outil que le projet territorial pour donner un petit peu
d’intégration et de cohérence. Mon propos peut sembler un peu archaïque, « C’était
finalement pas si mal avant », alors qu’avant ça n’a pas donné la preuve d’une très grande
efficacité. À l’évidence, ça n’a pas marché partout….
Le projet territorial est à mon sens un enjeu parce qu’il y a un risque énorme de
fragmentation des politiques et de dissociation totale avec les enjeux de développement qui
priment sur tout et laissent de côté les enjeux de cohésion. Ceci étant, je suis conscient du
fait que les projets territoriaux, tels qu’ils ont été conçus pendant la période précédente,
n’ont pas fait la preuve de leur entière efficacité. Donc il faut des projets territoriaux, mais il
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 11 –
Enjeux et modalités de la définition d’un projet
de développement social et urbain
faut d’abord se poser la question de savoir pourquoi les projets territoriaux de la période
passée n’ont pas fait la preuve de leur efficacité.
Yves DURUFLE
Juste un mot pour remercier Monsieur EPSTEIN de son analyse extrêmement intéressante,
intelligente et pertinente. Vous avez bien senti qu’on était à un moment clé de l’évolution des
politiques, mais je voudrais quand même revenir sur un point qui me paraît important, pour
compléter ce qui a été dit.
On est reparti des lois Voynet, Chevènement, Gayssot, qui fondaient la logique du contrat de
plan précédent, avec le volet territorial et le pourcentage des crédits qui y était affecté. Le
constat qui a été fait n’a pas été de dire « C’était une mauvaise politique donc on en
change », mais « C’est une politique qui a réussi et par conséquent on peut passer à autre
chose ». Je ne suis pas dans l’argutie intellectuelle ni dans le débat politique. Ce que je veux
dire par là est que ces lois avaient pour objectif d’inciter à une organisation du territoire
différente, avec des incitations financières fortes, et qu’elles ont produit leur effet. Si on
prend aujourd’hui la réalité du territoire du Nord-Pas de Calais, effectivement il est constitué
en pays, en agglos, en communautés urbaines, en intercommunalités de projet extrêmement
actives, et il ne viendrait à l’esprit de personne de revenir au statut antérieur. Par
conséquent le contrat de projet est parti de l’idée qu’on n’avait pas obligatoirement besoin
de reproduire à l’identique ce qui s’était fait au cours du contrat de plan précédent.
Deuxième élément… Le contrat de projet n’est en aucune manière, et l’Etat le dit clairement,
un outil de péréquation et de solidarité entre les territoires. On peut dire que c’est
scandaleux, que l’Etat, garant de la cohésion nationale, est là pour maintenir ces flux
financiers entre régions riches et régions moins riches pour assurer un développement
harmonieux de l’ensemble du territoire, mais la réponse que fait l’Etat est de dire que cela se
passe ailleurs : dans le cadre des dotations financières accordées par l’Etat aux collectivités
territoriales (la dotation de solidarité urbaine, la dotation globale de fonctionnement et
d’investissement et autres), qui croissent plus vite que le taux de croissance du budget de
l’Etat et de l’inflation, ce qui fait même dire à certains aujourd’hui : « Halte là, ça prend trop
d’importance dans le budget de l’Etat, ça ampute les marges de manœuvre, et par
conséquent il faudrait qu’on négocie avec les collectivités territoriales un plan de modération
de croissance de ces dotations ». L’idée n’est donc pas que le contrat de projet soit un outil
de péréquation puisque cette péréquation se fait au travers des dotations qui sont d’ailleurs
le premier poste de dépenses du budget de l’Etat.
Enfin, je souhaiterais préciser un dernier point : pour l’Etat la solidarité ne doit plus
s’exprimer au niveau national, mais à l’intérieur du territoire régional. C’est donc en infrarégionalité (entre régions, départements, EPCI) qu’il faut trouver des formes de solidarité qui
prennent en compte les développements territoriaux à l’intérieur de chacun de ces
périmètres. Ainsi, à côté d’une solidarité nationale qui s’exprime au travers des dotations
évoquées précédemment, l’autre aspect est donc une solidarité entre collectivités
territoriales, à l’intérieur du périmètre régional.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 12 –
Atelier : L’évaluation au service du projet
ATELIER 1 : L’EVALUATION AU SERVICE DU PROJET
•
•
Témoignages et expériences :
- Evaluation du contrat de ville, Artois Comm : Pierre Naglik chef de projet
politique de la ville
- Evaluation du contrat de ville, Communauté Urbaine d’Arras : MarieChristine Delépine, chef de projet politique de la ville, CUA et Véronique LIEVEN,
déléguée de l'Etat, DDE
Animation, expertise : Renaud Epstein, Centre d’Analyse des Politiques Territoriales
Comment l’évaluation peut permettre un débat collectif sur les enjeux et les
objectifs du projet local ? Que doit-on évaluer ? Quelles méthodes quand les délais
sont limités ?
Problématique de l’atelier
L’exigence d’évaluation
De toutes les politiques publiques françaises, la politique de la ville est sans doute possible
celle qui a fait l’objet du plus grand nombre d’évaluations tant à l’échelle nationale que
régionale et locale. L’évaluation fait partie intégrante des modes d’action promus par la
politique de la ville, et la dernière génération des contrats de ville (2000-2006) n’a pas fait
exception, l’impératif évaluatif ayant été rappelé dès leur phase de préparation, avant que
les enjeux et modalités de l’évaluation soient précisés par trois circulaires et un guide
méthodologique. L’évaluation était alors présentée comme « un impératif d’efficacité et une
exigence démocratique ». Cette forte ambition évaluative était cohérente avec la « nouvelle
ambition pour la ville » affichée en 1998, et avec l’articulation de politique et des trois
grandes lois de 1999 et 2000 traitant de la question territoriale (lois Voynet, Chevènement et
SRU). Le contrat de ville était alors présenté comme la « procédure des procédures », le
levier d’une territorialisation d’ensemble des politiques publiques au service de la cohésion
urbaine et sociale, du quartier jusqu’à l’agglomération1. L’évaluation intermédiaire s’inscrivait
dans cette perspective, devant permettre d’ajuster à mi-parcours les contrats de ville à la
nouvelle donne résultant de la montée en puissance des communautés d’agglomérations –
détentrices de la compétence politique de la ville– et de la signature des contrats
d’agglomération dont ils constituaient le volet « cohésion sociale ».
L’impossible évaluation de la politique de la ville ?
Si l’incitation (injonction ?) étatique a été couronnée de succès sur le plan quantitatif (plus
de la moitié des contrats de ville français ont fait l’objet d’une évaluation intermédiaire), il en
va différemment sur le plan qualitatif. Les partenaires locaux engagés dans des démarches
d’évaluation ont été confrontés à des difficultés méthodologiques multiples : flou des
objectifs initiaux, non-disponibilité de certaines données aux échelles et périodes souhaitées,
problèmes d’agrégation des informations et d’imputation des évolutions à la politique menée,
difficultés d’association des habitants à la démarche… Autant de problèmes qui ont limité la
portée de l’exercice, comme on l’a vu à l’occasion des émeutes de l’automne dernier. Cellesci ont été suivies d’un vaste débat public, qui a pris la forme d’un procès de la politique de la
ville. Face à une instruction à charge, les acteurs de cette politique n’ont pu s’appuyer sur les
résultats des évaluations pour répondre aux critiques qui lui étaient adressées.
Mais les limites de l’évaluation ne sont pas seulement, ni même principalement techniques.
L’évaluation consiste dans une mise en débat de la politique menée, qui s’est dans bien des
1
Cf. SUEUR J.-P. (1998), Demain la ville, Rapport au ministre de l’Emploi et de la Solidarité. CAVALLIER
G. (1999), Nouvelles recommandations pour la négociation des contrats de ville de la nouvelle
génération (2000–2006), Rapport au ministre délégué à la Ville
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 13 –
Atelier : L’évaluation au service du projet
cas heurtée à la frilosité de certains décideurs locaux. Plus encore, c’est à l’échelle nationale
que les élus ont récemment fait la preuve de leur faible intérêt pour l’évaluation de la
politique de la ville : sans attendre les résultats des évaluations intermédiaires en cours
localement, le Parlement a voté en août 2003 la loi d’orientation et de programmation pour
la politique de la ville et la rénovation urbaine, qui a opéré une réforme radicale de la
politique de la ville, redéfinissant ses objectifs, ses priorités thématiques, ses cibles et ses
modes d’action.
Au moment où la fin des contrats de ville approche et que se préparent les nouveaux CUCS,
ces constats soulèvent des questions importantes, qui étaient celles de l’atelier : comment
l’évaluation peut-elle organiser un débat collectif sur les enjeux et les objectifs du projet
local ? Que doit-on évaluer ? A quelles méthodes recourir quand les délais sont limités ?
Expériences présentées lors de l’atelier
Evaluation du contrat de ville de la Communauté Urbaine d’Arras (CUA)
L’évaluation arrageoise ne résulte pas d’interrogations portées par les acteurs locaux, mais
de l’injonction évaluative nationale (arrivée à échéance de l’actuel contrat de ville), relayée
par une déléguée de l’Etat qui prenait son poste et qui a saisi cette opportunité pour
rencontrer ses partenaires et engager un débat sur la politique menée. Rapidement, les
acteurs mobilisés ont convenu que l’évaluation était rendue difficile, voire impossible, par le
mode de formulation des objectifs du contrat de ville. Dès lors, la démarche d’évaluation a
changé d’objet, visant moins à mesurer les effets de la politique menée qu’à créer un espace
de débat collectif (avec les institutions signataires et les opérateurs du contrat de ville) où
s’est opéré une clarification des objectifs et la définition d’indicateurs d’évaluation pour un
futur projet social pour le territoire (qui aille au-delà des CUCS)
La constitution de cet espace de débat a par ailleurs permis l’engagement d’une réflexion
collective sur la conduite du contrat de ville, autour de quatre entrées :
•
la coopération entre institutions,
•
la territorialisation,
•
la qualification des acteurs
•
la participation des habitants.
Sur chacune de ces entrées, les débats visaient à identifier les succès, échecs, atouts et
freins. Au terme d’une série de réunions thématiques entre techniciens et d’une séance de
travail spécifique avec les opérateurs associatifs, les résultats de la démarche ont fait l’objet
d’une présentation au conseil d’administration de l’ADSU (outil d’animation et de mise en
œuvre de la politique de la ville pour la CUA) et un rapport de synthèse est en cours de
rédaction avec l’assistance d’un prestataire extérieur. Dans l’attente de développements
futurs, la démarche relève donc du seul registre technique. Si les élus concernés ont donné
leur accord au lancement de la démarche, ils n’y ont pas été associés et la mise en débat des
résultats auprès des décideurs locaux reste à faire.
Dans l’attente de cette remontée vers le politique, les acteurs impliqués dans l’évaluation
soulignent l’intérêt de la démarche entreprise, qui a pointé les carences en matière
d’articulation entre la politique de la ville et les politiques de droit commun (ex : actions
d’insertion du contrat de ville et politique de l’emploi développée par l’agglomération, actions
culturelles et politiques culturelles municipales…). Plus encore, l’évaluation a permis
d’instituer des espaces de réflexion collective sur les difficultés rencontrées et de diffuser une
culture du projet susceptible de servir de base pour les futures contractualisations.
Evaluation intermédiaire du contrat de ville d’Artois Comm.
L’évaluation intermédiaire résulte d’une initiative des quatre chefs de projet politique de la
ville de la communauté d’agglomération, qui se sont saisis de l’injonction nationale pour faire
le point, à mi-parcours du contrat de ville, sur sa mise en œuvre et pour remobiliser les
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 14 –
Atelier : L’évaluation au service du projet
partenaires dans un contexte transformé par la prise de compétence « Politique de la Ville»
d’Artois Comm.
La démarche, conduite sans assistance extérieure, a été menée de manière séquentielle :
•
mise à plat des objectifs initiaux du contrat de ville : que cherchait-on à faire ?
•
vérification de l’adéquation entre les orientations de départ et les actions menées sur
les thématiques de la culture, l’emploi, la prévention de la délinquance, la santé et la
citoyenneté : a-t-on fait ce qui était prévu ?,
•
retour sur les objectifs : les objectifs initiaux sont-ils toujours pertinents ?
Ce processus s’est étalé sur un semestre, au travers de quatre ou cinq réunions par
thématique et d’une restitution finale à l’ensemble des partenaires.
Cette évaluation a permis d’instituer des espaces de débats déliés de l’action quotidienne,
permettant aux acteurs de se poser les « bonnes questions ». Les échanges qui s’y sont
opérés ont abouti à une prise de conscience collective du décalage entre certains des
objectifs définis en 1999 et les enjeux de 2005. Plus concrètement, l’évaluation a débouché
sur la définition d’indicateurs de suivi des actions et surtout sur la formulation de questions
relatives aux orientations de la politique menée, qui pourront servir de base à la réflexion qui
va s’engager dans les mois à venir, portant sur l’élaboration d’un nouveau projet social de
territoire (au-delà de la seule élaboration du CUCS). Enfin, la démarche a contribué à la
reconnaissance de l’apport de l’ingénierie d’agglomération (équipe des chargés de missions
politique de la ville).
En contrepoint de ces avancées, plusieurs limites ont été soulignées : décalage entre la
temporalité longue de l’évaluation et celle de l’action, marquée par l’urgence ; faiblesse des
moyens mobilisés pour l’évaluation ; portage purement technique de la démarche, qui pose
le problème de son appropriation par les élus.
Enseignements des cas présentés et des débats
Le constat généralisé d’écarts entre ambition et pratique évaluatives…
Les deux cas présentés, complétés par de nombreux témoignages de participants ayant
participé à des expériences d’évaluation de la politique de la ville au cours du dernier quart
de siècle, aboutissent un constat peu réjouissant. Le jugement, dominant hors des sphères
de la politique de la ville, d’un échec de cette politique est récusé par ses acteurs. Ce
jugement oblige par contre à reconnaître l’échec de son évaluation, qui n’est pas parvenue à
rendre compte au public, au-delà d’un cercle restreint d’acteurs, des apports de cette
politique. Plus généralement, le hiatus entre l’ambition évaluative de la politique de la ville et
les pratiques qui sont venues la concrétiser apparaît criant. Que l’on adopte une conception
technocratique de l’évaluation, considérant que l’exercice vise à reconnaître les effets
propres d’une politique2 ou une conception plus démocratique conférant à l’évaluation la
charge de former un jugement collectif sur la valeur d’une politique3, tout se passe donc
comme si la politique de la ville n’avait pas été évaluée.
… mais des démarches utiles et constructives
Pour autant, les démarches d’évaluation mise en œuvre localement ne sont pas inutiles. A
défaut d’être parvenue à réaliser les objectifs qui lui sont impartis, l’évaluation a répondu à
une série de besoins locaux. Les démarches évaluatives ont ainsi permis d’instaurer des
espaces de débats techniques, au travers desquels les différentes logiques d’action et les
différents objectifs portés par les multiples acteurs impliqués dans les contrats de ville ont pu
2
DELEAU M., NIOCHE J.-P., PENZ P. et POINSARD R. (1986) Evaluer les politiques publiques, La
documentation française
3
VIVERET P. (1989) L'évaluation des politiques et des actions publiques, La documentation française
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 15 –
Atelier : L’évaluation au service du projet
s’exprimer. Ce faisant, l’évaluation a facilité le dialogue entre acteurs, la compréhension
mutuelle et in fine, l’engagement d’une dynamique d’apprentissage collectif nécessaire pour
l’action partenariale. C’est notamment le cas lorsque les débats ont conduit à un retour en
aval sur des questions laissées de côté en amont (lors de l’élaboration de la convention cadre
ou au stade de la mise en œuvre). La définition d’indicateurs nécessaires pour suivre les
effets et l’impact des actions menées a ainsi obligé les acteurs à revenir dans le débat sur les
objectifs poursuivis, au-delà des formulations générales des conventions initiales. En cela, les
évaluations intermédiaires ont pu être utiles pour poser des jalons en vue de la construction
de nouveaux projets et contrats, dans un contexte marqué par une exigence croissante de
mesure des résultats (logique promue par la LOLF).
L’enjeu invariable de l’évaluation : la mise en débat des stratégies et des
finalités des politiques de développement social et urbain
Ces avancées ne sont pas négligeables, mais ne sauraient occulter les limites mises au jour
dans l’atelier. Il apparaît en particulier que les évaluations peinent à faire émerger un débat
de fond, relatif aux orientations de la politique de la ville. Les démarches tendent au
contraire à se concentrer sur des questions techniques, relatives aux modes d’action de la
politique de la ville (fonctionnement du dispositif opérationnel, effet levier des crédits
spécifiques sur les politiques de droit commun, participation des habitants…), laissant de côté
la mise en débat des stratégies poursuivies, et donc des lectures sous-jacentes des
problèmes socio-urbains : faut-il s’inscrire dans une logique de discrimination positive pour
rétablir l’égalité entre des quartiers considérés sous l’angle du handicap et leur
environnement ? Faut-il plutôt privilégier la médiation et la valorisation des ressources des
quartiers populaires ? Alternativement, s’agit-il de transformer la gestion publique territoriale
par le rapprochement des services et la constitution d’entités politiques d’agglomération ?
Les difficultés rencontrées pour amorcer, au travers de l’évaluation, de tels débats sont
renforcées par le faible appétit des décideurs locaux pour l’évaluation d’une part, par la faible
disponibilité des acteurs, dont l’engagement dans des réflexions de longue haleine est
continuellement menacé par les urgences opérationnelles. Sur ces deux plans, les évolutions
nationales de la politique de la ville (conditions de mise en place du PNRU, lancement des
CUCS) ont pu déstabiliser les démarches évaluatives locales.
Quelle évaluation dans un contexte de rupture ?
En matière d’évaluation, le nouveau cadre national de la politique de la ville qui s’est ainsi
mis en place au cours des derniers mois soulève d’importantes questions pour l’avenir. Les
nouveaux
dispositifs (rénovation urbaine, CUCS) s’accompagnent une nouvelle fois d’une forte
insistance sur l’évaluation. Mais l’exigence d’évaluation doit désormais être prise en compte
dans le mode d’énonciation des projets, qui doivent être déclinés en programmes d’action
précisément définis, assortis d’indicateurs permettant d’en mesurer le degré de mise en
œuvre, les effets et l’impact. Il ne s’agit donc plus d’identifier les effets indirects de la
politique de la ville, c'est-à-dire ses effets de transformation des autres politiques publiques
et plus largement des modalités de la gestion territoriale, mais de mesurer précisément
effets directs des actions menées sur les quartiers prioritaires.
Cette inflexion a suscité d’importantes critiques dans l’atelier, les participants témoignant de
leur attachement à une politique de la ville chargée d’interpeller l’ensemble des politiques
publiques, et d’organiser —via l’évaluation— l’émergence d’un débat démocratique sur
l’action publique locale. Cette ambition peut sembler anachronique, mais là n’est pas le
problème. Plus sûrement, il convient de s’interroger sur la cohérence de ce discours, quand
les leçons des expériences évaluatives passées conduisent avant tout à souligner l’écart
gigantesque qui sépare la pratique de l’ambition affichée.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 16 –
Atelier : L’observation des territoires
ATELIER 2 : L’OBSERVATION DES TERRITOIRES
Intervenants :
•
•
•
Témoignages et expériences :
- Observatoire social et territorial du Boulonnais, Marion Tison et Frédéric
Scwarz
- Observatoire des évolutions sociales et urbaines, Agence de
Développement et d’urbanisme de Lille Métropole, Agnès Démotié
Expertise : Arnaud Degorre, INSEE
Animation : Frédéric Treca, IREV
Quels éléments d’observation disponibles et pertinents permettent
d’alimenter l’élaboration du projet ? Quels indicateurs pertinents pour un
suivi dans la durée ? Quelles sources et quelles méthodes de travail ?
Problématique de l’atelier
D’une observation de court terme…
L’observation des territoires connaît actuellement un regain d’intérêt, mesurable à l’aune du
succès de l’atelier consacré à ce thème. Cet engouement n’est pas sans liens avec l’actualité
de la politique de la ville. L’ANRU a plongé les collectivités dans l’urgence opérationnelle, en
organisant la mise en concurrence des territoires à l’échelle nationale ; la création de
l’ANCSEC aura vraisemblablement des effets similaires. Dans ce contexte, il ne s’agit plus
pour les collectivités d’élaborer des contrats globaux, mais de répondre à des appels à
projets ciblés. Ainsi, l’observation devient un enjeu opérationnel de taille pour qui veut
répondre correctement aux appels d’offre, et apporter les éléments déterminants pour
remplir les critères d’éligibilité.
La démarche d’observation des territoires est donc souvent soumise à une logique
opportuniste, dans la mesure où ce besoin d’observation est souvent lié au besoin de
s’adapter aux dispositifs de la politique de la ville. Loin d’être inutile ou critiquable, cette
démarche est toutefois une démarche de court terme.
…à une observation stratégique
Or, l’objet d’un observatoire local ne peut être déterminé uniquement par l’actualité des
dispositifs de la politique de la ville. Par définition, une démarche d’observation a une
vocation bien plus large, celle d’alimenter continuellement la réflexion et le débat et d’aider à
l’action publique.
En définissant des éléments d’observation pertinents, l’observation peut mettre en exergue
la situation d’un territoire et d’une population. D’autre part, un suivi dans la durée peut aider
à identifier les mécanismes et processus à l’œuvre dans l’évolution des quartiers. Au-delà
d’une photographie périodique des quartiers qui donne à voir, l’observation peut donc se
targuer d’une ambition plus large, celle de comprendre.
Cette ambition suppose évidemment une approche qui aille bien au-delà de la « technique »
statistique : l’enjeu est bien ici la capacité à croiser les données, et à les interpréter afin de
comprendre les spécificités et les processus à l’œuvre sur un territoire, pour, in fine, être en
mesure d’élaborer une stratégie de développement spécifique. La connaissance affinée des
territoires permise par l’observation constituera ainsi une base pour la décision publique, et
permettra des orientations et ajustements plus adaptés.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 17 –
Atelier : L’observation des territoires
Un double enjeu pour l’observation
L’enjeu central de l’observation est donc de combiner les deux logiques : être en mesure de
répondre aux exigences des appels à projet (réactivité face à la mise en concurrence des
territoires), et également être en mesure d’alimenter le débat et la décision publique sur le
long terme. La combinaison d’une logique opérationnelle de court terme avec une logique
plus stratégique pourrait servir de déclencheur pour l’action et l’élaboration de projets de
territoires. La construction d’une observation stratégique soulève cependant de nombreuses
questions. L’atelier s’est proposé d’en aborder quelques unes :
Quels éléments d’observation disponibles et pertinents permettent
d’alimenter l’élaboration du projet ?
Quels indicateurs pertinents pour un suivi dans la durée ?
Quelles sources et quelles méthodes de travail ?
Comment l’observation peut-elle aider à la définition d’un projet de
territoire ?
Expériences présentées lors de l’atelier
L’Observatoire social et territorial du Boulonnais
L’Observatoire social et territorial du Boulonnais a été mis en place en 2002, à la demande
des élus et acteurs locaux. Un bureau d’études a été chargé de travailler sur les partenariats
à mettre en place, les thèmes à observer, les indicateurs à utiliser.
Cet Observatoire est avant tout un outil partagé. Porté à la fois par la Communauté
d’Agglomération du Boulonnais et l’Agence d’urbanisme et de développement économique
Boulogne-sur-Mer Développement Côte d’Opale, il est néanmoins animé par l’ensemble des
acteurs locaux. Les huit thématiques abordées (Démographie-Mobilité, Logement, Petite
Enfance, Santé et Personnes Agées, Education-Formation, Emploi, Précarité et Ressources,
Sécurité et Prévention) ont chacune été bâties en partenariat avec un acteur local,
« spécialiste » de la thématique en question. D’autre part, l’analyse des informations
collectées se fait également collectivement.
Enfin, l’Observatoire a développé une politique de communication autour de son activité. Le
Magazine de l’Agglomération Boulonnaise en Chiffres est publié tous les ans. D’autre part, un
séminaire est organisé annuellement, réunissant les partenaires locaux, départementaux et
régionaux afin de débattre du travail de l’observatoire.
Pour que l’observatoire soit véritablement utilisé comme un outil d’aide à la décision, il aura
fallu du temps. Récemment, l’observatoire a pu servir à la mise en place de la délégation de
l’aide à la pierre en suivant l’offre et la demande de logement à partir des fichiers Filocom.
L’agglomération Boulonnaise a également pu déterminer sa position vis-à-vis de la
géographie prioritaire des CUCS grâce aux travaux de l’observatoire.
L’Observatoire des évolutions sociales et urbaines de Lille Métropole
(l’OESU)
L’idée de la création d’un Observatoire des évolutions sociales et urbaines pour la
Communauté Urbaine de Lille Métropole a émergé lors de la mise en œuvre du Contrat de
Plan 1992-1994. L’Etat, la Région et la LMCU ont alors demandé à l’Agence de
Développement et d’Urbanisme de mettre en place l’Observatoire.
Celui-ci a plusieurs missions :
Comprendre les phénomènes sociaux et urbains et leurs évolutions dans
l’arrondissement de Lille
Mesurer les écarts sociaux et urbains entre les « territoires »
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 18 –
Atelier : L’observation des territoires
-
Analyser et aider à la compréhension des dysfonctionnements
Permettre un ajustement des actions et donner aux partenaires les moyens
de faire leur propre évaluation.
Pour ce faire, l’Observatoire aborde de larges thématiques (Habitat, Pauvreté-Précarité,
Emploi-Chômage, Education, Délinquance, Santé) et réalise des comparaisons avec d’autres
agglomérations dans la région et en France.
Le choix des indicateurs est confié à des experts, travaillant à la source des données. Les
analyses sont validées par ces mêmes experts, puis l’information est diffusée à travers
plusieurs publications. L’OESU publie « Repères » tous les trois ans, et produit d’autres
documents en parallèle, notamment « Les chiffres de la Métropole » adressés aux élus.
L’OESU a également un rôle de rediffusion de ses travaux auprès des observatoires locaux et
des villes.
Les travaux de l’OESU ont le mérite d’avoir permis l’émergence d’une culture commune, d’un
diagnostic commun. En ce qui concerne les travaux relatifs à la santé dans la Métropole
Lilloise, il existe de multiples exemples de l’utilisation des travaux de l’OESU. Ce sont surtout
les acteurs de la santé (assurance maladie, programmes locaux de santé,..) qui s’en sont
saisi. Les travaux de l’Observatoire ont également eu un impact dans le domaine de
l’éducation, notamment en ce qui concerne la construction de nouveaux collèges dans
l’agglomération et la modification de la carte scolaire.
Enseignements des cas présentés et des débats
•
L’observation, un travail partagé
Le premier objectif de l’observation est d’alimenter l’action. L’observation doit donc avoir
avant tout une approche opérationnelle. Il est bien sûr important d’aborder les méthodes
d’étude, d’analyse statistique, mais plus encore, c’est une méthode de travail collectif qu’il
faut développer.
En effet, travailler seul à l’observation est illusoire, et conduit nécessairement l’observateur à
se couper de la réalité du territoire et des populations. L’observation doit donc s’appuyer sur
plusieurs points de vue, et croiser ces différents regards. Les experts, les habitants, les élus,
les associations regardent le territoire à travers leur propre prisme, et c’est en confrontant
ces diverses représentations que l’observation s’approchera au plus près de la réalité.
D’autre part, s’il est évidemment nécessaire de développer une approche quantitative et
donc statistique dans l’observation, cette première approche peut être enrichie par une
approche plus qualitative, qui permet aux observateurs de mieux appréhender la réalité
vécue par les habitants. L’observatoire de Boulogne a fait part de son expérience : une
cinquantaine d’habitants ont été convié à exprimer leur opinion sur leur quartier, sur les
actions qui y ont été menées, et sur les changements opérés. In fine, il s’agit de faire
dialoguer des indicateurs chiffrés avec des indicateurs de terrain.
Il a d’ailleurs beaucoup été question dans l’atelier de la mise en débat de l’observation,
notamment avec la population. De nombreux intervenants insistent sur la nécessité de
partager l’observation avec la population. Cela signifie non seulement que l’observation doit
pouvoir croiser les différentes visions d’un même territoire, mais aussi que la production de
l’observation doit être discutée, notamment au niveau de l’analyse. Peu d’observatoires
organisent aujourd’hui des débats publics autour de leur travail.
A l’opposé d’un travail solitaire et d’une présentation des résultats ex-post, la démarche
d’observation est donc idéalement un processus qui associe une grande pluralité d’acteurs
dans une logique de work in progress.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 19 –
Atelier : L’observation des territoires
•
La pertinence de la comparaison
Un autre point abordé dans le débat a concerné la comparaison des territoires. Il ressort de
la discussion qu’une comparaison des territoires est nécessaire non seulement localement
mais également au niveau régional et national. En effet, un quartier peut par exemple
apparaître comme un territoire « en bonne santé » par rapport aux autres quartiers de son
agglomération, mais il apparaîtra peut-être sous un visage différent en comparaison avec
des quartiers situés dans une agglomération voisine, ou dans une agglomération située dans
une autre région. Il est donc important de repositionner les territoires vis-à-vis de leur
environnement proche, mais aussi vis-à-vis de « l’extérieur ».
•
Observer des territoires, observer des populations
La nécessité de dissocier l’observation des populations et l’observation des territoires a été
soulignée lors de l’atelier. L’exemple développé partait de l’hypothèse a priori provocante
que l’existence de territoires pauvres peut être un bienfait. Des étudiants aux ressources
limitées pourront effectivement trouver à se loger dans ces quartiers, tandis qu’ils auraient
des difficultés à habiter dans des quartiers plus huppés, où le prix de l’immobilier est bien
plus élevé. Ainsi, l’existence d’un quartier pauvre n’est pas nécessairement un mal, si les
populations sont mobiles. Il faut donc non seulement observer l’urbain, mais aussi les
populations.
Sur cette question, l’Observatoire des Evolutions Sociales et Urbaines de Lille Métropole a
développé, en partenariat avec un cabinet d’étude, une approche intitulée
« Habitat/Habitants », qui met en rapport les populations et leur type d’habitation. Cette
approche est également un outil permettant un suivi des trajectoires résidentielles des
populations de la métropole, les données étant actualisées tous les deux ans.
•
L’utilité des indicateurs dynamiques
A propos de la pertinence des indicateurs, il a plusieurs fois été question d’indicateurs
dynamiques, en opposition à des indicateurs plus statiques.
L’observation dynamique peut par exemple consister dans l’observation de l’évolution d’une
situation dans le temps. A priori, cela paraît simple, mais les données actualisées
régulièrement, et permettant une observation dynamique fine et régulière sont plutôt rares.
D’autre part, certains indicateurs seront dynamiques dans la mesure où ils vont renseigner
sur des tendances et des processus. Par exemple, l’indicateur du RMI longue durée
permettra de localiser des territoires où les populations ont des difficultés à se réinsérer et
restent durablement dans cette situation. Un autre exemple est l’indicateur mesurant le taux
de personnes en années N-1 étant dans la même situation de bas revenu que dans l’année
N. Ces deux exemples d’indicateurs sont des indicateurs de mobilité dans la difficulté.
Un deuxième point important du débat autour des indicateurs a concerné les indicateurs
qualitatifs. De nombreux intervenants sont revenus sur la nécessité de développer de tels
indicateurs parallèlement aux indicateurs quantitatifs. Cette question rejoint la
problématique déjà abordée du partage de l’observation. Il s’agit plutôt ici d’évoquer le
problème des moyens et des méthodes liés à ce type d’indicateurs. En effet, si Boulogne
tente de développer des indicateurs qualitatifs, l’Observatoire de Lille Métropole fait part de
ses difficultés : comment serait-il possible de développer une observation qualitative sur un
territoire qui compte un peu plus d’un million d’habitants ?
Si la pertinence d’indicateurs qualitatifs ne fait donc pas réellement débat, ce sont plutôt la
méthode et les moyens à mettre en place pour utiliser de tels indicateurs qui sont discutés.
•
Quelle objectivité pour l’Observation ?
La question du rapport de l’observation au politique est particulièrement intéressante. En
effet, il paraît important que l’Observation ait des liens étroits avec le politique, sans lesquels
elle ne pourrait alimenter le débat sur l’action publique. Cependant, une utilité politique trop
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 20 –
Atelier : L’observation des territoires
forte peut se révéler incompatible avec une description neutre et parfaitement objective du
territoire. Arnaud Degorre donne l’exemple du département du Nord qui a commandé une
étude à l’INSEE, en ne demandant que des indicateurs liés aux compétences du
département. L’analyse commandée par le département développera nécessairement une
vision partielle et tronquée. D’autre part, une observation « trop politique » pose la question
de l’évaluation. En effet, l’observation a également pour vocation d’être une base de travail
pour l’évaluation des politiques : dans quelle mesure une observation non neutre peut-elle
nourrir une évaluation « honnête » et impartiale ? Dès lors se pose l’enjeu d’une observation
privée, de son indépendance et du rôle qu’elle pourrait jouer. Dans l’assistance était présent
M. Zouareg, membre d’une association (OPUS, Observatoire des Politiques Urbaines et
Sociales) qui développe sa propre observation sur certains quartiers de Lille.
Pour finir et pour nuancer le propos, il ne peut de toute façon exister d’observation purement
objective. En choisissant une liste d’indicateurs, les acteurs de l’observation, qu’ils aient des
liens étroits ou non avec le politique, proposent une certaine lecture d’un territoire.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 21 –
Atelier : Les modes de coopération et la mobilisation du droit commun
ATELIER 3 : LES MODES DE COOPERATION ET LA MOBILISATION DU DROIT COMMUN
•
•
Témoignages et expériences :
Le dispositif de réussite éducative de Valenciennes Métropole :
Françoise MASCOTO présidente de la commission politique de la ville et
Corinne MASSON, coordinatrice.
La démarche Santé de Communauté d’Agglomération de HéninCarvin : Sébastien LHOPITAL, chargé de mission
Animation, expertise : Daniel RIGAUD (Geste)
Quels sont les modes d’animation du travail collectif permettant la mise en œuvre
des coopérations inter institutionnelles à l’échelle d’un territoire ? Comment
identifier le droit commun des différentes institutions intervenant sur le territoire
qui permette de dégager les actions spécifiques prioritaires ?
Problématique de l’atelier
La construction d’un projet territorial de développement social et urbain suppose de placer
les acteurs dans une dynamique de coopération et de mobilisation de l’ensemble des
ressources du territoire. Le point de départ de tout projet de territoire consiste donc bien à
identifier les acteurs et les ressources. Cette étape d’état des lieux et de diagnostic préalable
passe par le repérage des acteurs clés du territoire (qui fait quoi ?), de leurs champs de
compétences respectifs et de leurs moyens (qui finance quoi et selon quelles modalités ?).
En raison de la multiplication des dispositifs, de l’enchevêtrement et la complexification des
politiques publiques (amplifiés par la décentralisation), cette mise à plat n’est pas toujours
évidente. La simple connaissance de l’existant est souvent une gageure, aussi est-il
particulièrement important de veiller à associer dès l’amont du projet les institutions
compétentes, qui seules connaissent leurs ressources et les clés pour les mobiliser.
Le premier enjeu de la construction de tout projet de territoire est donc de permettre la
transparence et la lisibilité de l’ensemble des politiques publiques de lutte contre les
processus de ségrégation urbaine et sociale. Enjeu d’autant plus prégnant que la période
récente se traduit par une raréfaction généralisée des moyens financiers, notamment de
l’Etat, tant sur le droit commun que sur le spécifique. La première forme de coopération à
mettre en place entre les acteurs du territoire est donc celle de l’identification des politiques
de droit commun mobilisables sur leur territoire. Cette identification est une occasion pour
repérer les manques et ainsi tenter de mobiliser les politiques spécifiques. Toutefois, cette
mobilisation du spécifique n’a de sens qu’après avoir vérifié que les politiques « ordinaires »
de droit commun ne sont pas en capacité d’apporter une réponse au problème identifié.
L’état des lieux des actions et du droit commun constitue une première démarche
partenariale qui permet de nouer des relations de confiance entre les acteurs et favorise la
co-construction du projet de territoire. Ce dernier permet ainsi d’agencer entre elles les
politiques de droit commun, de les mettre en cohérence, voire de les adapter ou de les
amplifier au service des objectifs de lutte contre la ségrégation urbaine et sociale. Plusieurs
questions sont dès lors posées : quelles sont les politiques de droit commun à mobiliser pour
lutter contre les phénomènes de ségrégation urbaine et sociale ? Qui sont les pilotes de ces
politiques : Etat, Région, Département, Intercommunalités, établissements publics, acteurs
privés (bailleurs, entreprises, associations, partenaires sociaux…), sans oublier l’Europe
(FEDER, FSE). Comment les mobiliser et selon quelles modalités de coopération ?
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 22 –
Atelier : Les modes de coopération et la mobilisation du droit commun
Les expériences présentées
•
La réussite éducative de l’agglomération de Valenciennes
Le dispositif de réussite éducative s’est construit à l’échelle de l’agglomération de
Valenciennes. Cette échelle a permis une réelle négociation avec l’Education nationale, au
départ surtout attirée par les possibilités financières du dispositif. Le partenariat
institutionnel s’est construit autour d’une démarche de diagnostic (santé, parentalité et
prévention des décrochages scolaires) et a pu s’élargir à l’ensemble des acteurs concernés
(CAF, Conseil général, CPAM, Education nationale et Agglomération). Trois instances ont été
créées, un comité de pilotage et un comité technique à l’échelle de l’arrondissement, et des
cellules de veille éducative à l’échelle communale, qui regroupent, aux côtés des
institutionnels déjà mobilisés, les CCAS. Un GIP a été créé entre l’agglomération et l’Etat. Les
cellules de veille sont les lieux de l’identification du droit commun et donc « en creux » des
actions spécifiques nécessaires. Elles permettent également d’apporter des réponses plus
rapides à certaines situations complexes dans la mesure où tous les interlocuteurs y sont
réunis. Le dispositif a également permis d’interpeller le droit commun sur des carences qui
ont ainsi pu être identifiées et rectifiées, comme la prise en charge par la sécurité sociale de
vacations d’orthophoniste ou de psychomotricien. De même, des relais ont été trouvés dans
le droit commun, par exemple pour le dépistage précoce (dès deux ans) des troubles du
langage dans les bilans de santé des PMI du Conseil général. Un cadre de travail commun a
été construit, notamment en matière de déontologie. La force d’un partenariat, adossé à une
réelle volonté politique et institutionnelle, permet de saisir des marges de manœuvre en
mobilisant du droit commun, par exemple sur des dispositifs relais.
•
La démarche Santé de l’agglomération d’Hénin-Carvin
La réflexion de l’agglomération en matière de santé a été déclenchée par les perspectives de
baisse des crédits « politique de la ville » lors de la préparation de la programmation 2005
du contrat de ville. Cela a été l’occasion pour l’agglomération de revisiter les diagnostics et
de fixer des priorités précises en matière de politique de santé publique. Pour la première
fois, l’agglomération se définissait une politique dans le domaine sanitaire. L’autre avantage
de la baisse des crédits a été de permettre une meilleure appropriation du droit commun.
Alors que l’agglomération avait surtout une culture du spécifique, le PTS (programme
territorial de santé) a permis de mobiliser du droit commun (comme des crédits de la
MILDT). Au plan de la méthode, les groupes d’appui ont réuni l’ensemble des porteurs de
projet, des financeurs, les délégués de l’Etat. Dans ce processus, la première difficulté a été,
pour l’agglomération, de repérer l’existant hors politique de la ville. Un travail plus ou moins
informel entre techniciens des différentes institutions a ainsi été mené qui a permis de lister
toutes les actions engagées sur le territoire en matière de santé. La prochaine étape est la
mise en place, en septembre 2006, d’un Atelier Santé Ville intercommunal qui permettra de
revoir les priorités déjà fixées, puis de réunir les financeurs autour de la programmation.
L’intérêt de la démarche tient en ce que les élus se sont clairement positionnés sur un projet
de territoire construit dans une logique ascendante. Il ne s’agit plus de subir des dispositifs
venant d’en haut, mais de définir un projet territorial de santé en identifiant collectivement
les priorités, en mutualisant les moyens disponibles et en évitant les redondances. La
question financière est donc venue dans un second temps, une fois la programmation
établie, les différents dispositifs constituant alors une « boite à outils budgétaires » au
service du projet.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 23 –
Atelier : Les modes de coopération et la mobilisation du droit commun
Enseignement des cas présentés et des débats
•
Echelle du projet et légitimité
Dans les deux exemples présentés, l’échelle du projet de territoire est celle de
l’agglomération. Manifestement, il semblerait que ce soit la bonne échelle pour être en
capacité de négocier avec des institutions complexes et multiples, comme peuvent l’être
celles de l’éducation ou de la santé. Sur ces deux champs, la compétence est avant tout
régalienne et les agglomérations y sont entrées par la « porte étroite » de leur compétence
« politique de la ville ». Elles ont su construire leur légitimité et interpeller les politiques
ordinaires de l’Etat et des collectivités. Dans les deux cas, une bonne articulation a été
trouvée entre le niveau communal et celui de l’agglomération. Toutefois, la question de la
définition de l’intérêt communautaire reste entière, ainsi que celle des moyens financiers
dans la mesure où la Dotation de Solidarité Urbaine est perçue à l’échelle des communes et
non de l’agglomération.
Certains estiment que, face à l’affaiblissement du rôle de l’Etat comme garant de la solidarité
et de l’égalité entre les territoires, cette responsabilité doit désormais être reprise par les
agglomérations, notamment au travers de leurs contractualisations avec le Département et
la Région. Or, les politiques de l’Etat semblent désormais privilégier assez systématiquement
l’échelle communale. De fait, les récentes orientations gouvernementales ont tendance à
placer le Maire au centre des politiques locales (par exemple de prévention de la
délinquance).
Pourtant, pour traiter globalement les racines des phénomènes de ségrégation et œuvrer à
une politique d’équité territoriale, il apparaît que l’agglomération dispose de la taille critique
nécessaire et du pouvoir de négociation indispensable à la construction d’un projet de
territoire cohérent. Cette échelle permet de nouer des partenariats aux bons niveaux de
décision (entre élus et décideurs publics) et de mise en œuvre opérationnelle (entre
techniciens). C’est donc à cette échelle que devraient se situer les instances de pilotage et de
coopération afin de mettre en cohérence politiques ordinaires et politiques spécifiques. La
première étape du projet de territoire est bien celle de la mobilisation des acteurs de
l’agglomération.
•
Portage politique et coopération entre acteurs
Dans les deux exemples présentés, la volonté politique des élus de l’agglomération constitue
un levier et une condition de réussite du projet. Au-delà de cet indispensable portage
politique, les modes de coopération entre acteurs (groupes de travail, GIP, cellules locales…)
permettent de croiser et d’articuler les différentes politiques publiques de l’Etat
(interministériel local), des collectivités territoriales (communes, agglomérations,
Département, Région), mais également des « forces vives » du territoire (associations,
bailleurs, entreprises, établissements d’enseignement, etc.). Ces modes de coopération et de
partenariat conditionnent et favorisent l’articulation des différentes politiques publiques. Ils
permettent, en premier lieu, d’identifier les moyens mobilisables et de les mettre en
cohérence. Ainsi, le premier intérêt du dispositif de réussite éducative est qu’il permet de
mobiliser l’existant. Certes, il ne saurait régler à lui seul l’ensemble des problèmes qui se
posent, notamment à l’Education nationale, mais il rend plus efficaces les moyens existants
grâce à la concertation et la mobilisation autour d’un projet. Sans être dupe, car la réduction
des moyens affecte autant le spécifique que le droit commun. L’enjeu est désormais celui de
l’efficience, à savoir, faire mieux avec moins. Or, les deux exemples démontrent la
pertinence des coopérations institutionnelles et entre acteurs opérationnels pour mobiliser la
totalité des ressources, parfois ignorées, du territoire, mais également pour interpeller le
droit commun.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 24 –
Atelier : Les modes de coopération et la mobilisation du droit commun
•
Ingénierie et mobilisation du droit commun
Dans cette capacité de mobilisation du droit commun, les territoires ne sont pas à égalité. En
région Nord-Pas-de-Calais, certains territoires sont moins armés que d’autres dans cette
« compétition ». Moins dotés en ressources en matière grise et en ingénierie, leur capacité à
mobiliser les crédits de droit commun est moindre. En effet, la mobilisation du droit commun
suppose une capacité d’ingénierie, une antériorité dans les partenariats, une habitude de
travailler en commun, toutes choses qui relèvent le plus souvent d’acquis de la politique de
la ville dont certains de ces territoires n’ont pas bénéficié (le cas du Cambrésis est cité). Pour
d’autres territoires, comme les ex-cités minières, les bénéfices de la politique de la ville ne
semblent pas suffisants pour faciliter cette mobilisation du droit commun. En ce sens,
certains évoquent le « mythe » du droit commun, dont la répartition sur les territoires est
loin d’être égalitaire et qui, sous les effets conjugués de la baisse des crédits de l’Etat et de
la décentralisation, repose de plus en plus sur les moyens des collectivités territoriales. Enfin,
il reste des domaines où il n’existe aucune prise en charge par le droit commun, comme celui
de l’accompagnement social lié au logement pour les publics les plus en difficulté dans les
opérations de renouvellement urbain.
•
Le temps nécessaire au projet
La construction d’une démarche de projet de territoire suppose du temps et un
investissement dans la durée pour réunir autour du projet l’ensemble des partenaires du
territoire. Or, le calendrier de préparation des contrats urbains de cohésion sociale (comme
également celui des contrats de projet 2007-2013) n’autorise pas cette durée. Certaines
agglomérations ont d’ores et déjà engagé des démarches de projet à l’échelle des quartiers
dans une optique d’évaluation du précédent contrat de ville et de préparation des CUSC.
Toutefois, elles craignent que le calendrier actuel et ses délais serrés ne permettent pas un
travail en profondeur, tout en soulignant qu’ils ne partent pas de rien et que la situation des
quartiers en cause est connue de longue date.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 25 –
Atelier : La place du monde associatif
ATELIER 4 : LA PLACE DU MONDE ASSOCIATIF
•
•
Témoignages et expérience:
Du festival « Tous au Sud » à l’implication des associations dans
l’élaboration du projet de Lille sud. Françoise Nicole, chef de projet politique
de la ville ; Samira El Ayachi, chargée de l’action culturelle, Aéronef ; Myriam
Louali, coordinatrice d eprojet culturel, Rencontres francophones.
Animation, expertise : Monique Crinon, ACT Consultants
Comment les associations peuvent-elles être partie prenantes de l’élaboration du
projet ? Comment tenir compte de leur place et de leurs spécificités dans les
méthodes de travail adoptées?
Problématique de l’atelier
•
La place des associations dans les projets de territoire
La politique de la Ville a parié sur le « secteur associatif » comme acteur de développement
social local. Cependant, accorder formellement une place aux associations au sein des
projets de développement social local ne suffit pas. Encore faut-il que les différents autres
acteurs de ce développement social territorialisé (élus locaux, techniciens des collectivités
locales et des services déconcentrés de l’Etat, experts divers) reconnaissent aux associations
une légitimité à participer de manière effective à la décision autre que purement formelle. Ce
n’est pas toujours le cas, beaucoup s’en faut. Et pourtant, les associations, notamment celles
qui sont directement ancrées dans la réalité du territoire, peuvent arguer du caractère
incontestable de leur légitimité.
Pour une série de raisons :
Elles sont porteuses de connaissances spécifiques, fondées sur l’expérience singulière
de ce qui se joue, se vit, au plan local. Cette connaissance est précieuse, en
particulier pour qui considère que concevoir un projet de développement social local
suppose de réaliser préalablement un diagnostic ad hoc précis de la situation locale.
Elles se situent à l’articulation entre les habitants et les acteurs institutionnels et
administratifs, et exercent une indispensable fonction de tiers et de médiateurs.
En prise directe avec les pratiques sociales, culturelles et sportives des habitants,
elles jouent le rôle, sous ce rapport, de véritables palpeurs sensitifs des besoins, des
contraintes, mais aussi des ressources des habitants.
Nombre d’entre elles sont précieuses pour la capacité qu’elles ont de traduire en
connaissance, en expertise du local, leurs savoirs empiriques.
Dès lors, on peut identifier trois légitimités : la légitimité élective issue du suffrage électoral,
qui se fonde sur le bien commun, la légitimité techniciste, fondée sur l’expertise, un savoir
complexe, acquis à la suite de nombreuses années d’études et/ ou d’expérience, la légitimité
associative, pour les motifs exposés plus haut.
Cependant, les associations souffrent d’un défaut de représentativité, dans l’acception
statistique de ce mot. En d’autres termes, stricto sensu, elles ne représentent que leurs
membres, (qui plus est pour ce qui relève de leurs seuls objets).
De plus, elles sont hétérogènes et précaires. L’hétérogénéité tient à la taille des associations,
à l’échelle de leurs interventions, aux projets qu’elles d’initient et conduisent (qu’on songe à
la différence entre une fédération d’éducation populaire et un collectif d’habitants, on saisira
de suite l’inégalité de position qui les distingue).
Cette hétérogénéité associative a un effet manifeste en termes de limitation de la
représentativité globale sur un territoire de l’acteur Association. Elle s’appréhende aussi au
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 26 –
Atelier : La place du monde associatif
travers de la multiplicité des discours, postures, stratégies des associations, ce qui en
émiette l’impact global sur les choix en matière de développement local.
La précarité, quant à elle, influe sur la relation associations/ autres acteurs du
développement à un double niveau :
Elle crée les conditions d’un rapport de sujétion (d’acteurs financeurs à acteurs
financés) peu propice à garantir la prise en compte des desiderata de l’acteur financé
(quand ce dernier souhaiterait faire valoir points de vue et demandes non
« alignés »).
En raison du caractère potentiellement instable de la participation des associations
récemment constituées, de petite taille, pourtant souvent dynamiques, et ouvertes
aux signaux faibles (possibles signaux forts à terme) émanant du territoire. Cette
précarité existentielle décrédibilise leurs positionnements, leurs propositions, privant
ainsi le système d’action local d’une plus-value de perception inédite et suggestive.
Les associations remettent fréquemment en question le langage et les méthodes
technocratiques, ne se situant alors pas dans un continuum par rapport aux autres acteurs
mais produisant des ruptures, des pas de côté, approches critiques positives de notre point
de vue, mais pas toujours appréciées (conflits de légitimité, conflits de culture de l’action)
des acteurs institutionnels et politiques.
Elles se font la voix des sans voix, les porte-paroles des populations discriminées, mais le
risque de simplification populiste est réel alors, qui ne facilite pas la triangulation entre les 3
types de légitimité mentionnés plus haut.
Enfin, et ce n’est pas l’écueil le moins sensible dans la dynamique du « partenariat » autour
des projets de développement social territorialisé, les associations font office de ralentisseur,
puisqu’elles obligent à une information, voire à une concertation, voire à une négociation
inter-acteurs, beaucoup plus longue. Ecueil amplifié par la différence de rythme qui
caractérise la vie des associations, au regard des rythmes qui s’imposent aux élus et aux
techniciens.
•
Enjeu et plus-value de la participation des associations
L’enjeu majeur réside dans cette intelligence des situations locales et dans ce regard
spécifique porté sur les territoires. Cette intelligence et ce regard s’alimentent à l’expérience
des situations, des besoins, mais aussi des usages singuliers, empiriques qui maillent (ou
défont) l’espace social, tissent (ou défont) les interrelations, et lui confèrent (ou non)
viabilité et sens. Prendre au sérieux cette expertise de proximité: devrait produire/ conduire
à une inflexion des projets urbains.
Mieux encore, à notre sens, cette connaissance empirique devrait être traduite en
perspective stratégique. Pour cela, des démarches relevant de l’éducation populaire
devraient être mises en œuvre. Afin d’assurer le passage de l’expression spontanée à la
configuration stratégique, avec des acteurs associatifs pleinement parties prenantes et non
pas simples témoins, ou simples opérateurs de proximité au service de stratégies à la
définition desquelles ils n’auront guère eu loisir de participer.
Expérience présentée lors de l’atelier
Le Festival « Tous au Sud »
Initié en 2001 dans le cadre du projet « L’Aéronef hors les murs » ayant pour objectif d’aller
au devant d’un public ne se déplaçant pas dans les lieux culturels, le projet de festival « Tous
au Sud » consistait à monter un festival de musique actuelle dans le quartier de Lille Sud.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 27 –
Atelier : La place du monde associatif
Situé au centre de ce quartier, qui ne bénéficie d’aucun espace culturel depuis plus de 20
ans, la plaine Lazare-Garreau retenue pour accueillir ce festival est un des terrains clefs dans
le projet lillois de renouvellement urbain sur le secteur Arras-Europe.
Le projet initié conjointement par l’équipe politique de la ville et L’Aéronef avait posé pour
principe la mobilisation des acteurs locaux, parmi ceux-ci les acteurs du quartier tant
professionnels qu’associatifs.
Les enjeux du projet étaient multiples :
-
relancer une dynamique culturelle sur le quartier,
la conduire de telle sorte que les habitants du quartier n’en soient pas exclus
reconquérir le « territoire » abandonné par les habitants
créer l’occasion qui pouvait donner goût aux habitants des autres quartiers de venir.
Les acteurs de ce projet ont témoigné des avancées qu’il a permis en soulignant les effets les
plus visibles :
-
-
dynamique de collaboration fructueuse dans le champ culturel avec des
professionnels de l’Aéronef,
production d’un programme de qualité et non élitiste
infléchissement du contrat de ville. Alors que traditionnellement la culture figure en
dernière place dans la hiérarchie des priorités de l’action de la politique de la ville, le
succès du projet « Tous au Sud » a fortement infléchi la programmation du contrat
de ville : la culture figure désormais en seconde position
mobilisation locale : création de commissions et de groupes de travail qui
s’autogérent,
processus de qualification des habitants mobilisés.
Les enseignements du cas présenté et des débats
Au final, la coproduction du projet avec les groupes et associations d’habitants a initié
l’apprentissage d’un travail collectif. L’expérimentation de cette dynamique a ouvert sur
d’autres perspectives, elle constitue un acquis pour le territoire.
En raison de la présence des habitants, les témoins soulignent que le projet a été investi
différemment de ce qui a cours généralement : plus de temps laissé au débat afin que le
projet réponde aux attentes des habitants, qu’il intègre leurs propres cultures. Evidemment,
ce détour ralentit les processus de décision, il représente donc une donnée à prendre en
compte dans le planning d’élaboration et de mise en œuvre du projet et un coût pour les
professionnels.
Il faut noter que le champ investi par ce projet, la culture, a joué un rôle fédérateur, il a
fortement contribué à changer l’image du quartier, et ce changement a facilité la mobilisation
des acteurs.
Enfin, la démarche du festival « Tous au Sud » a influencé le projet urbain : le projet de salle
polyvalente prévu dans le projet lillois de rénovation urbaine est désormais orienté vers la
création d’un équipement polyvalent à dominante culturelle
•
Eléments du débat
La question des légitimités, de leur articulation, et au fond, de la possibilité de mener une
réelle démarche de démocratie participative. En effet, la légitimité du monde associatif n’est
pas d’abord dans la représentativité des habitants, ce n’est pas sa vocation tout au plus
représente-t-il le groupe qui le constitue. Par contre, la capacité d’expertise qu’il a sur le
territoire doit être reconnue.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 28 –
Atelier : La place du monde associatif
Les associations et leur clientélisme éventuel par rapport aux municipalités et aux
institutions. Plusieurs participants soulignent que trop souvent les associations présentent
leurs actions dans le continuum de l’action des villes qui les financent. La liberté de parole
des associations et leur indépendance en pâtissent.
On ajoute que les techniciens de l’Etat et des collectivités connaissent très mal le secteur
associatif, ils perçoivent mal la plus value que représente le secteur associatif sur un
territoire. Cette méconnaissance les conduit à nourrir des représentations plutôt négatives
sur les associations. On envisage de développer des formations auprès des fonctionnaires qui
leur donneraient une lecture plus exacte des enjeux de l’activité associative.
La culture. Au même titre que le sport, elle serait un « os à ronger » donné aux habitants,
car dépourvue de véritable enjeu. Certains participants hésitent à y voir un véritable enjeu
susceptible de peser sur les questions centrales que sont les difficultés sociales et
économiques vécues par les habitants.
Souvent, les initiatives trouvent leur origine dans des collectifs informels, sans constitution
préalable d’associations.
Les centres sociaux, en tant que structures associatives peuvent accompagner une autoorganisation des habitants. Les associations ont un rôle important de tiers médiateur à jouer
entre les habitants, entre les habitants et les institutions, entre l’ensemble des acteurs,
organisés ou pas.
La prise de risque est un élément fort du projet. La participation des habitants accroît ce
risque là. Travailler avec les gens du quartier, c’est une prise de risque pour les décideurs,
mais c’est aussi une condition de la mise en œuvre des projets. Par exemple : monter un
projet musical, sans police, ni organisation classique de la sécurité, cela n’a pu se faire que
grâce à la participation active des habitants.
Par ailleurs, il faut avoir présent à l’esprit que plus les acteurs ont des ressources (de tous
ordres) limitées, plus leur prise de risque par l’engagement dans un projet collectif est forte
et mérite qu’on y prête attention.
Le dialogue entre les associations et professionnels est souvent complexe. Cet état de fait
pose le problème des compétences qu’ont développé les professionnels de la Politique de la
Ville, et corollairement, celui des exigences posées pour leur recrutement. D’aucuns
considèrent, en effet, que savoir dialoguer avec les associations, donc en connaître les
logiques, les contraintes, les valeurs doit impérativement faire partie du bagage des
professionnels de la Politique de la Ville.
Il faut accepter de prendre le temps de se connaître réciproquement. Le processus de
qualification fruit de la coopération, donc de l’expérience partagée, conduit
immanquablement à revisiter les représentations ainsi que les pratiques des uns et des
autres, à mieux comprendre les contraintes, mais aussi les valeurs des divers partenaires et,
in fine, à développer un savoir-faire collectif.
Trouver un objet fédérateur semble conditionner la réussite du projet, par exemple un projet
culturel à partir duquel on pourra développer une approche territoriale.
Une question demeure : le regard du « politique », à l’issue de cette action, vis-à-vis des
compétences des associations et vis-à-vis de la culture.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 29 –
La mise en œuvre des Contrats Urbains de Cohésion Sociale
LA MISE EN ŒUVRE DES CONTRATS URBAINS DE COHESION SOCIALE
Table
•
•
•
ronde en présence de
Fadéla BENRABIA, Directrice Régionale du FASILD,
Nicole KLEIN, Préfète à l’Egalité des Chances pour le département du Nord,
Florence NIIKOLIC, sous-préfète à la ville pour le département du Pas de Calais.
L’IREV a recueilli, au cours d’un travail collectif mené avec des acteurs engagés
dans la politique de la ville, un certain nombre de questionnements sur les contrats
urbains de cohésion sociale (CUCS). Le CUCS étant en cours d’élaboration, les
représentants de l’Etat n’étaient pas forcément en mesure de répondre à
l’ensemble de ces questions. Toutefois, elles méritaient toutefois d’être identifiées
afin que les réponses puissent être communiquées au fur et à mesure, un enjeu
important étant l’information des territoires.
Les questions posées se plaçaient délibérément du côté du projet et non du côté de
la procédure, l’enjeu du débat portant prioritairement sur cet aspect : que voulonsnous faire, quel est le sens du CUCS, et comment le mettre en œuvre malgré les
incertitudes ?
Les signataires des CUCS
La politique de la ville est une compétence qui a été conservée par de nombreuses
communes, et les intercommunalités ont des compétences obligatoires très proches telles
l’habitat, le logement et le développement économique.
Alors que la circulaire du 24 mai plaçait les maires au premier plan, en tant que signataires
du contrat avec le préfet, Nicole Klein précise que la Ministre déléguée à la Cohésion sociale
a désormais évolué sur ce point en reconnaissant l’importance de l’intercommunalité. La
Délégation Interministérielle à la Ville souhaite donc désormais favoriser une signature des
Contrats par les intercommunalités.
Cette évolution comporte des risques de conflits d’intérêt dans la mesure où de nombreux
Maires ont déjà fait part de leur souhait de se dégager de l’intercommunalité et de signer en
direct avec le Préfet. Cependant, la volonté affichée par la ministre de la Cohésion Sociale
d’éviter la multiplication des Contrats justifie que l’on travaille à l’échelle intercommunale.
D’autant que si l’intercommunalité s’est dotée de la compétence politique de la ville, c’est
bien au détriment des compétences communales.
•
Peut-on obliger les maires à laisser la place à l’intercommunalité ?
A ce stade, l’Etat encourage fortement les territoires à travailler à l’échelle intercommunale.
A terme, le problème se posera en termes juridiques. Ainsi, selon Nicole Klein, si la
compétence politique de la ville a été acquise par l’intercommunalité, le signataire devrait
légalement être le président de l’intercommunalité.
•
La position des autres partenaires de la politique de la ville
Lors d’une réunion en Communauté Urbaine de Dunkerque les élus du Conseil Général du
Nord et du Conseil Régional ont précisé leurs positions quant aux CUCS : ils ne souhaitent
pas signer à côté de l’Etat. Par conséquent, ils s’engageront directement en signant avec les
communes ou intercommunalités, sur des engagements précis. A quelques mois des
élections, même si chacun a le sens de l’intérêt général, il existe également des postions
politiques dont on ne peut pas faire fi.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 30 –
La mise en œuvre des Contrats Urbains de Cohésion Sociale
La géographie prioritaire
•
Méthodes et délais
La Délégation Interministérielle à la Ville a mené, avec l’INSEE, un travail de fond sur de
multiples indicateurs lui permettant de faire des premières propositions. Transmises aux élus
locaux par le préfet, ces propositions sont actuellement débattues avec eux.
Arnaud DEGORRE de l’INSEE précise les méthodes utilisées. Les éléments transmis par
l’INSEE au niveau national ne sont pas des quartiers précisément définis. La méthode utilisée
a simplement essayé de pointer, de façon assez floue, des zones visiblement plus en
difficulté que le reste de la commune ou de l’aire urbaine, mais il n’y a pas une liste préétablie sur les seuls indicateurs INSEE ou les seuls indicateurs de l’Education Nationale. Le
guide statistique ainsi proposé a été ensuite confronté avec ce que l’on pense être des
territoires porteurs de projets, et c’est à partir de là qu’on définit les CUCS.
Dans le département du Nord, conformément à la circulaire du 24 mai, Nicole Klein précise
que la concertation est menée actuellement avec les Maires, auxquels ont été transmis les
propositions de quartiers prioritaires formulées par la DIV et précisant les trois niveaux de
priorité, assorties de certaines propositions de modification émanant de la préfecture.
Dans le département du Pas-de-Calais, Florence NIKOLIC présente la manière dont les CUCS
se préparent. Les services de l’Etat ont été sollicités dès le mois d’avril pour travailler sur
l’évaluation des contrats de ville au cours de comités de pilotage organisés par les différentes
agglomérations. Ce travail sur l’évaluation impliquait nécessairement une réflexion sur la
géographie prioritaire puisque l’évaluation de ce qui a été fait sur une certaine période,
amène également à réfléchir sur la situation du territoire, ce qu’il faut modifier, ce qu’il faut
améliorer, etc.
Parallèlement, les chefs de projets des agglomérations se réunissent mensuellement en
préfecture en présence des services de l’Etat. Ces échanges ont permis de faire à la fois de
faire remonter des interrogations au niveau national et de constater que le travail
d’évaluation à mi-parcours avait été globalement réalisé par les différentes agglomérations.
Ainsi, selon la sous-préfète, si la déclinaison d’un projet de territoire restait à faire, les
agglomérations avaient déjà bien avancé dans le travail préparatoire.
A la réception de la circulaire fin mai, celle-ci a été transmise avec un courrier du préfet
invitant les élus à une réflexion sur la géographie prioritaire. Grâce à la présence dans le
département du Pas de Calais de délégués de l’Etat dans les différents arrondissements, qui
font le lien entre le sous-préfet ville, les agglomérations, les services de l’Etat, de
nombreuses réunions techniques se sont tenues au sein des agglomérations. Ces réunions
ont permis sur Calais, Boulogne, Béthune et Arras, d’avoir une évaluation assez complète du
contrat de ville et de faire émerger des propositions accompagnées d’un argumentaire sur la
situation socio-économique.
Parallèlement les services de l’Etat ont mené leur propre évaluation et ont fait une liste de
propositions. Toutefois, pour la majorité des agglomérations, le travail d’évaluation et de
proposition de quartiers a été conjoint. S’il reste des désaccords çà et là sur la classification
en catégorie 1, 2 ou 3, le diagnostic et la géographie prioritaire de manière globale, font
l’objet d’un accord.
Après la remontée de ces propositions argumentées à la DIV, auxquelles l’ensemble des
indicateurs disponibles contribuent, dont ceux de l’INSEE, la DIV renverra la géographie
retenue fin juillet.
Les indicateurs utilisés, ainsi que les cartes, seront publics et disponibles sur le site de la
DIV.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 31 –
La mise en œuvre des Contrats Urbains de Cohésion Sociale
•
Catégories
Trois niveaux ont été définis par la circulaire du 24 mai 2006. Le niveau 1 correspond au très
prioritaire, le niveau 2 aux crédits politique de la ville – crédits de droit commun, et le niveau
3 correspond aux seuls crédits de droit commun.
Les Zones Urbaines Sensibles ne sont pas modifiées. Par ailleurs, tous les quartiers ANRU ont
été intégrés automatiquement dans la géographie prioritaire CUCS. Avec toutefois une
disparité dans leur classement entre catégories 1 et 2, suivant les critères socioéconomiques des territoires. Ceci étant, dans le Pas-de-Calais, la catégorie 1 a
majoritairement été proposée pour les dossiers ANRU, même si des ajustements restent à
faire. La sous-préfète rappelle également que « le but n’est pas de gonfler telle ou telle
catégorie mais d’assurer une cohérence entre ces catégories » de manière à éviter des
erreurs manifestes d’appréciation. Elle précise aussi que la catégorie 2 ne sera pas
dépourvue de moyens, quand bien même il s’agit également aujourd’hui de chercher des
solutions en dehors des crédits politique de la ville.
L’inscription en catégorie 3 permettra de donner une visibilité aux crédits de droit commun
mobilisés par l’Etat sur ces territoires. En complément, les quartiers retenus en catégorie 3
auront la possibilité de mobiliser des crédits spécifiques par le biais par exemple des
dispositifs de réussite éducative.
•
Quels indicateurs prendre en compte ?
Si tous les critères peuvent être utilisés, le temps est toutefois compté rappelle Nicole Klein.
Les indicateurs statistiques apparaissent selon elle souvent assez pertinents pour rendre
compte des processus de dégradation sociale du territoire. La prise en compte d’autres
critères comme la capacité à faire des territoires n’est donc pas, pour le moment, à l’ordre
du jour.
La comparaison avec l’aire urbaine
Face au risque que les indicateurs proposés, constitués à l’échelle de l’aire urbaine,
pourraient défavoriser les territoires qui sont homogènement pauvres (mesure les écarts
entre un micro-territoire et la moyenne de l’aire urbaine), Nicole Klein précise que, malgré
parfois un défaut de finesse, les propositions ne laissent pas apparaître d’aberration absolue.
Les quelques zones qui sont apparues indûment ou sont absentes se situent à la marge des
propositions, et pourront faire l’objet de réajustements.
Arnaud DEGORRE de l’INSEE précise que si les indicateurs utilisés correspondent plutôt à des
photographies et ne permettent donc pas de faire apparaître des dynamiques
d’appauvrissement ou de redéveloppement, la méthode utilisée présente toutefois l’avantage
de s’affranchir des découpages préexistants en mobilisant des informations ne correspondant
pas aux IRIS, ou aux îlots. En effet, par une technique de carroyage (découpage de chaque
ville en carrés) les territoires les plus pauvres ou les plus en difficulté ont été redéfini sans a
priori, indépendamment des ZUS préexistantes. Toutefois, l’INSEE n’a pas voulu aller trop
loin et, sur de simples chiffres, indiquer la nécessité de l’intervention au détriment d’autres
zones. C’est pour cela qu’a été dessiné un contour flou afin de laisser une marge de
manœuvre au regard de l’expertise locale.
Les éléments issus d’études ou d’observation
Face au risque que certains territoires apparaissent mieux armés que d’autres pour faire
l’analyse nécessaire à leur classement, la préfète déléguée à l’égalité des chances reprécise
que les données utilisées ne sont pas celles produites par les territoires mais celles de
l’INSEE et de l’Education Nationale, garantissant une égalité de traitement des territoires.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 32 –
La mise en œuvre des Contrats Urbains de Cohésion Sociale
Les territoires non urbains
Le travail effectué sur la géographie prioritaire a permis au Préfet de proposer l’entrée de
territoires spécifiques, à savoir des territoires non urbains mais qui sont en situation de
grosses difficultés. Ainsi, pour le département du Nord ont été proposés les arrondissements
du Cateau- Cambrésis et Caudry en catégorie 2. Pour le Pas-de-Calais, certains quartiers des
arrondissements de Montreuil et St Omer ont été proposés.
•
Enveloppe régionale
La circulaire fait référence à une enveloppe régionale, dont le montant le même que sur le
contrat de plan précédent, à savoir 14,6 millions d’euros pour les deux départements.
Les CUCS : finalités et mise en œuvre concrète
•
Le CUCS : droit commun ou politique spécifique ?
Le droit commun de l’Etat recouvre « l’ensemble des politiques publiques, c’est-à-dire
l’emploi, le logement, l’égalité des chances… ». Toutefois les acteurs locaux ont des
difficultés à identifier la manière dont ces crédits sont mobilisés sur les territoires, en premier
lieu afin de vérifier si les territoires bénéficient de toutes les actions publiques à équité, c’està-dire en fonction de leurs difficultés et, dans un second temps, de déterminer les crédits
additionnels à mobiliser. Et pour cause, ces crédits de droit commun se sont souvent
éloignés des quartiers politique de la ville. La préfète à l’égalité des chances rappelle que la
volonté de l’Etat est désormais d’aboutir à une effectivité réelle de l’application des politiques
publiques sur l’ensemble des territoires, en évitant que le retrait des crédits de droit commun
ne soit compensé par des crédits politique de la ville limités.
En 2006 pour le département Nord ces crédits politique de la ville ont été abondés à hauteur
de 5 millions d’euros suite aux émeutes de novembre 2005.
Toutefois, pour Nicole Klein la priorité doit être donnée à l’élaboration du projet, au-delà de
la manière dont il pourra être financé. Par ailleurs le temps imparti pour aboutir à une
contractualisation d’ici janvier 2007 ne permettra pas, compte tenu de la multiplicité des
politiques publiques, d’identifier au préalable la manière dont chacune est mobilisée sur les
territoires. Cependant, le CUCS devrait permettre, à terme, de donner une visibilité aux
crédits de droit commun, de l’Etat notamment.
•
CUCS/Contrat de ville
Si les deux contrats sont très proches, excepté la durée réduite à trois ans pour les CUCS, la
plus-value des CUCS pourrait résider, selon Nicole Klein dans la volonté de mieux mobiliser
le droit commun et d’améliorer la lisibilité de ces moyens sur les territoires.
L’élaboration de ces nouveaux contrats doit aussi être selon elle l’occasion pour chacun des
acteurs de remettre à plat ses pratiques, Etat mais aussi associations, villes ou EPCI,
notamment quant aux modalités de collaboration, les obligations de rendu compte etc.
Le maintien des crédits sans augmentation oblige à se soucier de l’utilité et l’efficacité de ce
qui est mis en œuvre. « Sur la politique de la ville j’entends souvent un discours très négatif
du style « ça ne sert à rien », mais moi je suis convaincue que ça serait pire si elle n’existait
pas. Mais en tout cas on peut essayer de faire mieux. »
•
Rôle et plus-value de l’Agence Nationale de Cohésion sociale et pour
l’égalité des Chances
Un outil qui se met en place
L’agence Nationale de Cohésion sociale et pour l’égalité des Chances est en cours de
création. Fadéla Benrabia, directrice régionale du FASILD, précise les 4 missions qui lui sont
confiées:
la mission intégration et lutte contre les discriminations menée par le FASILD
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 33 –
La mise en œuvre des Contrats Urbains de Cohésion Sociale
-
les missions de l’illettrisme à coordonner avec l’ANLCI
la gestion des dispositifs liés à la mise en œuvre du service civil volontaire
et une des missions auparavant dévolue à la DIV : la politique de la ville et le
financement des CUCS. La question du portage n’étant pas encore réglée.
Fadéla Benrabia participe actuellement avec Nicole KLEIN, trois autres préfets et des
collègues du FASILD, à des réunions interministérielles visant à définir les modalités
organisationnelles et opérationnelles, les niveaux d’intervention régionale et
départementale.
De ce qu’il ressort de ces travaux, les CUCS resteront au niveau des départements. Par
contre, si les fonds passeront par l’agence, l’organisation, le circuit, et les modalités de
redistribution ne sont pas encore définis. De la même façon, les attributions du niveau
régional de l’agence ne sont pas encore stabilisées.
Plus globalement Fadéla Benrabia estime que la mise en place de ce nouvel outil des
politiques publiques doit interroger quant à la transformation des pratiques qu’elle induit. Elle
rebondit ainsi sur le propos conclusif de Renaud EPSTEIN : il y a selon elle nécessité à
prendre acte des évaluations et observations menées, et « utiliser ces outils pour maintenir
des acquis, améliorer des situations, relire les enjeux de la ville ». Florence Nikolic nuance ce
propos sur l’évaluation, qu’elle conçoit comme un outil politique et de gestion permettant
d’aider à la décision. Les évaluations menées par des agglomérations dans le Pas-de-Calais
sont « sans langue de bois et pointent de manière très précise les dysfonctionnements »
qu’ils relèvent de l’Etat, de l’organisation de la collectivité ou des équipes locales. Sa crainte
est cependant que ce travail préparé par les chefs de projet d’agglomération et les élus,
pourtant assorti de propositions ne soit pas utilisé.
Une vocation d’opérateur
Les missions de l’agence ont vocation à ne plus être des missions spécifiques comme
l’étaient celles du FASILD (doté de fonds spécifiques avec pour vocation la mobilisation du
droit commun). Même si elle gère des fonds de la politique de la ville, la vocation de l’agence
est bien de s’inscrire dans le paysage des politiques publiques, dans le droit commun.
Elle ajoute que l’agence est aujourd’hui pensée « comme un opérateur s’adressant en
priorité aux élus. Elle n’est pas faite pour prendre en compte les difficultés portées par les
associations ». Cela ne sera cependant pas pour autant systématiquement le cas, si tant est
que les acteurs de l’Etat aient la marge de manœuvre suffisante pour réguler cette situation.
Quelle prise en compte du travail collectif dans la définition des politiques publiques ?
Fadéla Benrabia rappelle que l’agence a vocation à s’installer dans le temps. Elle devra
prendre la mesure de la situation des territoires et créer les espaces nécessaires à
l’émergence de contributions collectives, pour ne rien enlever aux associations ou aux
acteurs locaux. Pour autant sa vocation définitive va se construire dans la durée
Prenant l’exemple de la question des discriminations, Fadéla Benrabia rappelle qu’il sera
impossible de faire « comme si on recommençait à zéro. Des choses ont été réalisées, la
question des discriminations est apparue dans l’agenda politique ». Cependant force est de
constater « les écarts entre les ambitions et la réalité des pratiques » elle interpelle sur le
risque que cette politique publique ne soit jamais mise en œuvre de manière concrète par
l’absence d’un certain nombre de données mais aussi de conditions de mises en œuvre qui
restent à créer.
Aussi, pour la directrice régionale du FASILD, « si l’agence peut contribuer à réfléchir et
proposer d’autres modalités, elle pourra faire en sorte que l’on sorte de l’effet d’annonce de
cette politique publique ». De la même façon, « si elle se dote de marges de manœuvre,
notamment au niveau territorial, les enjeux liés aux territoires pourront être mieux pris en
compte ». Cependant, elle rappelle que sa vocation première, pour l’instant, est d’être un
opérateur, le guichet unique.
Florence NIKOLIC précise que, selon elle, l’efficacité de la future agence repose sur la
capacité de l’ensemble des acteurs à travailler collectivement pour remédier à ce que chacun
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 34 –
La mise en œuvre des Contrats Urbains de Cohésion Sociale
pointe de négatif dans la politique de la ville. « Quand on décline un projet sur un territoire
en bon partenariat avec l’Etat et avec toutes les collectivités partenaires et qu’on en tient
une évaluation, on a des chances de réussir » ajoute-t-elle.
Débat avec la salle
Annie DORCHIES, Vice-présidente de l’agglomération Maubeuge – Val de Sambre
Le territoire de l’agglomération bénéficiait des crédits du Fonds Social Européen, notamment
par l’inscription du territoire en Objectif 1. La sortie du territoire de cette mesure induit une
perte conséquente de crédits et donc une diminution des moyens en dehors de la politique
de la ville. Ces éléments seront-ils pris en compte au niveau de la répartition des crédits des
CUCS ?
Nicole KLEIN
Concernant les fonds européens, il n’’y a pas encore de certitude mais effectivement de
fortes inquiétudes. Si les difficultés des territoires seront prises en compte, en particulier de
l’Avesnois, il n’y aura cependant pas d’augmentation des crédits dans le cadre de l’enveloppe
attribuée par région. Cela se jouera donc sur le nombre de quartiers retenus comme
territoires d’intervention.
Jean-Marie MARCHAND, Directeur de la MJC centre social de Mons en Baroeul
J’ai l’impression d’être dans un débat un peu surréaliste. J’ai l’impression qu’il y a huit mois il
ne s’est rien passé dans nos quartiers. Au mois de novembre la France était à feu et à sang
et on est à nouveau dans nos dispositifs, l’Etat ronronne comme d’habitude, les associations
vont peut-être ronronner elles aussi… J’ai l’impression qu’on est à nouveau dans des
dispositifs où on a défini des grandes lignes et que l’écoute du territoire, ce qui se passe, ce
que disent les jeunes, c’est accessoire.
Florence NIKOLIC
Ce n’est pas qu’on s’agite d’un seul coup après avoir ronronné tranquillement mais c’est qu’il
y a un contrat qui arrive à échéance donc il faut le préparer. La Cour des Comptes a
également pointé un certain nombre de choses concernant la politique de la ville. La création
de cette agence participe de la recherche de solutions. Je n’ai pas le sentiment que les
associations ou les services d’Etat ronronnent, et encore moins les collectivités locales. Mais
l’Etat ne peut pas tout faire ! L’Etat, collectivement, c’est nous tous. A la vue des moyens
déployées et de la mobilisation sur le territoire, j’ai quand même l’impression qu’on est à
l’écoute, mais on ne peut pas tout exiger de l’Etat.
Nicole KLEIN
Un des éléments marquants émergeant de mes visites de terrain est le désarroi des
associations, des MJC, donc de gens qui sont habitués à vivre dans ces quartiers et qui
disent : « On ne comprend pas, on ne sait pas quoi faire ». Toutefois je me méfie des
discours systématiques. J’ai rencontré une association qui m’a dit : « Financez-nous parce
qu’on occupe les jeunes le soir comme ça ils ne brûleront pas de voitures ». Mais aucun
d’entre nous n’a d’explication parfaitement claire sur ce phénomène. Si certains jeunes
brûlent des voitures en sachant pourquoi d’autres les brûlent sans savoir pourquoi. La Coupe
du Monde de Football, la France gagne, et qu’est-ce qu’on fait : on brûle des voitures !
Ce discours négatif, ce constat d’impuissance est assez démoralisant. L’administration
s’explique toujours dans ses procédures, mais je rappelle que la procédure est aussi
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 35 –
La mise en œuvre des Contrats Urbains de Cohésion Sociale
protectrice de droits. La forme est aussi protectrice d’égalité. Ce n’est pas parce qu’on rentre
dans les procédures qu’on rentre dans le ronronnement, même si je pense qu’on a aussi
besoin d’être remis en question.
Fadéla BENRABIA
A mon sens les émeutes de novembre 2005 sont le résultat des écarts énoncés ce matin,
écarts que nous co-produisons. Nous Etat, nous institutions, nous administration, et les
autres. Ce sont les écarts entre les ambitions affichées et la réalité, et nous ne pouvons pas
faire comme s’ils ne produisaient rien. Oui ils sont ressentis, et j’entends aussi parfaitement
la légitimité exprimée par Nicole KLEIN et Florence NIKOLIC. Mais cette légitimité a aussi
besoin, à un moment donné, pour reconnaître les autres, d’accepter les constats. Quand on
dit « On ne change rien » ou « Ça ne marche pas et on continue», c’est mettre le doigt sur
ces écarts. La question est de savoir comment réduire ces écarts ? J’entends souvent moi
aussi des gens me dire : « Vous FASILD, voilà ce que vous produisez, alors qu’il y a une
attente énorme sur la question des discriminations et que les discriminations sont criantes ».
Ces écarts ne sont pas sans effets, on peut y travailler, mais encore faut-il en prendre acte.
Chacun d’entre nous est légitime dans la mise en œuvre de ses actions, dans l’exercice de
ses missions, mais ce que nous produisons peut générer un certain nombre de
mécontentements, notamment de ceux qui sont aussi au front.
Frédéric TRECA
Cela renvoie à ce que disait Renaud EPSTEIN sur la question de l’évaluation qui doit pouvoir
ouvrir du débat. Le problème se situe peut-être dans la capacité collective à ouvrir ce débat
sur le fond, dans le calendrier de la procédure qui va être très contraint pour tout le monde.
Gilles TAVEAU, Ville de Dunkerque
On parle d’échec de la politique de la ville mais, s’il y en a un, ça a été son incapacité à
mobiliser les politiques de droit commun. Est-ce la politique de la ville qui est à remettre en
cause, je ne le pense pas. La question pour l’avenir est de savoir si les nouveaux dispositifs
ANRU et ANCSEC seront capables de mobiliser mieux les politiques publiques. A priori je ne
le pense pas, et d’autant moins que ce n’est pas dans leurs missions puisque ce seront des
opérateurs. Mais alors qui, au niveau de l’Etat, va interpeller les politiques de droit commun
sur les grands axes stratégiques de la construction de villes égalitaires ? Qui va le faire ?
Nicole KLEIN
Une des différences majeures entre l’ANRU et l’ANCSEC est que l’ANRU a regroupé des
financements offrant ainsi une surface financière très importante et inédite et donc une plusvalue malgré la lourdeur des procédures. L’ANCSEC, pour l’instant, ne représente que des
financements Etat.
L’objectif est donc bien que l’ANCSEC ne ressemble pas à l’ANRU dans son aspect
technocratique et que le préfet de département continue à avoir son mot à dire. Le pire de
tout c’est quand vous n’avez aucun intermédiaire entre l’Etat central et les collectivités
locales.
Alors que pour l’ANRU l’Etat local est malheureusement plutôt dans une position de
transmetteur d’informations, il importe pour l’ANCSEC que le rôle de l’Etat local soit
sauvegardé sur le mode de la coproduction
Frédéric TRECA
Donc il va y avoir un chantier à ouvrir sur les modalités de co-production…
Nicole KLEIN
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 36 –
La mise en œuvre des Contrats Urbains de Cohésion Sociale
Moi je ne vois pas de modification profonde pour l’instant. J’envisage de travailler avec les
chefs de projets, les GIP quand il y en a, les associations, et je n’ai pas reçu d’instructions
qui me disent de faire différemment.
Monique CRINON
Cette manière récurrente de tirer d’une phrase l’échec de la politique de la ville me dérange.
D’abord c’est se prendre tous pour des imbéciles que de dire que depuis 20 ans on essaie de
faire quelque chose et que c’est un gigantesque échec. Je ne crois pas que l’on puisse dire
ça. On a des difficultés à évaluer parce que c’est très complexe et on ne peut pas imaginer
ce qui se serait passé sans la politique de la ville, mais j’observe quand même avec le recul
que les méthodes de travail sont nées également de la politique de la ville. Des espaces se
sont créés, que je ne souhaite pas, pour ma part, voir disparaître.
La période actuelle est synonyme de repositionnements, de tentatives de changement qui
nous tendent tous vu la logique d’urgence qui nous tombe dessus, sans que je sache
d’ailleurs sur quoi elle repose. Toutefois les mouvements actuels s’opèrent parfois à mon
sens de façon inquiétante. La tendance actuelle à développer auprès des jeunes et de leurs
parents, dans les quartiers populaires, L’approche au cas par cas, au mérite, approche qui
me semble désastreuse. etc. Moi je plaide pour les acquis de l’approche territoriale qui me
semble tout à fait intéressante et je me battrai pour qu’on ne retombe pas dans les ornières
de mise en catégories de populations, d’extraction de catégories qu’on va mettre dans la
réussite et d’autres dans je ne sais quoi, de criminalisation, de mise sous tutelle des familles,
etc.
Donc ça bouge avec des éléments qui sont intéressants et d’autres qui sont inquiétants, c’est
une situation qui va durer encore quelques mois pendant lesquels il faut rester très investi et
très présent, mais pas sur une logique d’échec de ce que nous avons fait depuis 20 ans avec
plus ou moins de bonheur c’est vrai, mais avec quand même des acquis je pense.
Florence NIKOLIC
Ce n’est pas véritablement un échec, mais on peut tous collectivement considérer que les
actions qui ont été réalisées ne sont peut-être pas à la hauteur des besoins. Il y a eu des
choses positives, je suis d’accord avec vous, mais on ne peut pas parler de réussite. Quand
on va dans les quartiers et qu’on voit la situation sociale et la détresse de certaines
personnes, je crois qu’on peut se dire que, par rapport aux moyens qui ont été mobilisés, ce
n’est pas acceptable. Aujourd’hui on a tous envie de mieux faire.
Frédéric TRECA
Ce qui me parait évident est que tous les territoires n’ont pas la même chance et que les
enjeux d’intervention d’un territoire à l’autre ne sont pas les mêmes. Or la question de
l’évaluation par l’action obstrue complètement l’approche de l’action publique sur ces
territoires, qui peuvent être des micro-territoires. Aussi, comment rompre avec la logique
uniformisante de la procédure pour produire de l’évaluation en rapport avec les enjeux des
différents territoires, tenant compte de la diversité des situations ?
Nous allons être contraints par un calendrier, vous avez dit qu’on était sur un système en
construction et vous nous appelez en co-construction de ce système, donc concrètement,
comment peut-on mettre de la plus-value par rapport à ce qui se faisait et comment se
donne-t-on des garanties pour apporter des réponses qui soient en cohérence avec les
enjeux ? Qu’est-ce que vous préconisez ?
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 37 –
La mise en œuvre des Contrats Urbains de Cohésion Sociale
Pierre WOLKOWINSKI, Territoires Identités et Développements
Ancien de la politique de la ville il y a 15 ans, on identifiait des quartiers, on géographiait des
choses. Aujourd’hui je travaille beaucoup sur les problématiques du voisin : qui est celui-là
qui habite à côté ? Moi j’habite à côté de mon voisin et mon voisin habite à côté de moi, et je
me crée mon identité et la vie que je produis en fonction de mon entourage.
Or je ne ressens absolument pas cette problématique dans ce qui est présenté en termes de
mesures ou de législation. Même si les identifications de l’INSEE sont plus précises qu’à
l’époque, a-t-on mesuré la capacité du quartier voisin et de la ville voisine à faire ce qu’il faut
faire vis-à-vis du quartier concerné ? Comment prend-on en compte cette notion de
voisinage et va-t-on pouvoir aller stratégiquement vers « tirer ensemble » plutôt que de
stigmatiser ? On a fait un peu, à mon avis, la même chose vis-à-vis de certains de nos
concitoyens qui ne sont peut-être pas français d’origine.
Nicole KLEIN
Là vous parlez d’un projet global de territoire. Mais j’aimerais bien entendre la salle parce
que depuis tout à l’heure vous nous interrogez, mais l’objectif c’est aussi qu’il y ait un
échange. Ce travail de projet de territoire doit à mon sens être co-produit.
Frédéric TRECA
Il va cependant falloir revenir sur les modalités de travail par la suite parce qu’il y a un
calendrier et des règles qui sont fixées par l’Etat et que vous subissez aussi sans doute, mais
la question est de savoir comment on arrive à tirer le meilleur parti des choses en fonction
de ces contraintes.
Nicole KLEIN
Je compte réunir les chefs de projets en leur demandant ce qu’ils ont fait, comment pensentils pouvoir faire différemment, parce qu’on est incapable de répondre seul à la question. Il y
a des politiques régaliennes où l’Etat décide tout seul mais celle-là est partagée, donc moi je
suis preneuse de toutes les idées. On part tous de l’idée que l’Etat doit avoir des réponses
donc on essaie d’en avoir, mais dites-nous ! Moi je m’engage, pour l’arrondissement de Lille,
à demander aux chefs de projets comment ils voient les choses.
Florence NIKOLIC
Comme vous l’avez dit, nous subissons aussi ce délai, donc la proposition que je fais est déjà
d’être modeste sur l’évaluation et de se fixer des priorités. Sur les contrats de ville qui sont
encore en cours, aujourd’hui on balaie tous les thèmes et on voit bien qu’on part dans tous
les sens. Moi je pense que sur un territoire donné, sachant que ces contrats sont conclus
pour trois ans avec la possibilité, à l’issue de ces trois ans, de faire un point et
éventuellement de modifier le fond des contrats, on peut se fixer des priorités et en étant
modeste, y compris quand on évalue. Il est inutile de chercher à cocher toutes les cases
mais il faut plutôt regarder ce qui va le plus mal sur un quartier donné. Quand on est pris
dans une telle procédure et quand l’ampleur des problèmes est telle, il ne faut pas se
disperser.
Fatima KOROGHLI, Chef de projet sur les quartiers Nord de Roubaix
Pour aller dans ce sens, sur Roubaix nous avons une expérience de projet de territoire
partagé sur lequel on retravaille et on s’est engagé à revoir l’ensemble des acteurs qui
avaient travaillé sur le projet à l’origine pour recentrer un peu les choses dans un contexte
d’enveloppe resserrée et pour vraiment reprioriser et trouver les effets levier pour changer la
donne.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
- 38 –
La mise en œuvre des Contrats Urbains de Cohésion Sociale
Question de la salle
Je souhaiterais donner un exemple des problématiques que l’on rencontre. Les dispositifs de
réussite éducative vont cibler un certain nombre d’enfants en difficulté qu’on va réunir,
tandis qu’on laissera les autres enfants du quartier parce qu’ils sont à peu près « normaux ».
On va donc créer un ghetto plutôt que de créer une socialisation. Comment va-t-on faire
pour socialiser ces enfants sans prendre les autres et sans créer une communauté dans le
quartier ?
Fadéla BENRABIA
Je me souviens de Jeudi de la Ville du 9 mars où nous avons aussi expérimenté une
situation. Finalement s’opère quelque chose de l’ordre d’un glissement où les élus présents
ne parlent plus politique, où l’Etat est amené à parler légitimement de ses dispositifs, où la
salle montre sa diversité de positionnement avec des situations extrêmement techniques
obligeant l’Etat à n’être que technique là où il aimerait parfois dire de la parole publique,
ramenant les élus aussi à du technique en se gardant bien d’être dans les enjeux politiques.
Donc on assiste à un glissement total des postures des uns et des autres et c’est quelque
chose qui devrait attirer notre attention.
Deuxième élément, je pense que notre manière de faire de la politique publique est très
« franco-française ». Renaud EPSTEIN nous interpellait tout à l’heure sur notre voisinage,
comme dit Pierre Wolkowinski. Nous avons un voisinage belge et anglais et, même si les
valeurs sont différentes, rien ne nous empêche d’échanger, de travailler ensemble, et d’avoir
la possibilité, sur des enjeux aussi complexes que ceux de la ville, d’apprendre et d’accepter
de se décaler un petit peu pour peut-être envisager les choses autrement.
Troisième point, c’est la question des priorités. Comment lire les priorités ? On en est encore
là aujourd’hui. On ne sait toujours pas lire un territoire et ses enjeux, c’est-à-dire qu’on va
mobiliser des dispositifs pour fabriquer quelque chose qui n’aura pas vraiment de sens. Donc
il faut lire les territoires ensemble, quels sont les enjeux du territoire… Une ville comme
Maubeuge, ce n’est pas la même chose que la ville de Lille ! Avoir 18 ans à Lille ce n’est pas
avoir 18 ans à Calais, à Béthune ou dans le bassin minier ! Et ces éléments-là, on ne les
entend jamais ! Je pense que cette lecture du territoire pourrait être un premier exercice que
nous pourrions faire ensemble, et voir ensuite comment nous mobilisons l’ensemble de nos
moyens au service de ces enjeux-là et pas des autres.
Florence NIKOLIC
Juste un mot sur les priorités. Je ne veux pas faire de provocation mais j’ai quand même le
sentiment que la tâche n’est pas si difficile que cela pour définir les priorités. Ce qu’il nous
faut surtout, à mon sens, c’est du courage.
Jeudi de la Ville du 6 juillet 2006
« Elaborer collectivement un projet de développement social et urbain »
Institut Régional de la Ville
Centre de Ressources Politique de la Ville
Région Nord Pas-de-Calais
23 avenue Roger Salengro BP 318
59336 TOURCOING Cédex
Les membres de l'IREV
POUR EN SAVOIR PLUS...
Liste des participants
- Dossiers documentaires
- Bibliographie...
Sur notre site www.irev.fr
Rédaction : IREV en collaboration avec les animateurs experts des Ateliers