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PARLONS DE NOS VIES AU CENTRE SOCIAL NOGUES
mercredi 24 novembre 2010
THEMATIQUE
Les maladies ou handicaps dont on ne parle jamais.
Le CENTRE SOCIAL NOGUES du 14ème invitait ce soir-là le public de
PARLONS DE NOS VIES à rencontrer 3 invités porteurs de maladies rares ou
handicaps peu connus ;
ils étaient interviewés par notre modérateur, Olivier Schétrit.
Invités :
Stéphane SOLER : secrétaire médical
Emmanuel SALAT : auteur-interprète, compositeur, dessinateur
Alexandre FAURE : animateur et professeur de langue des signes
Introduction de la soirée, Olivier Schétrit, BàBDP :
«Bonsoir à tous, pour commencer je souhaite remercier le CENTRE SOCIAL
NOGUES de s'associer à BàBDP pour cette soirée PARLONS DE NOS VIES.
Nous sommes ici ce soir pour la thématique concernant les maladies dont on
ne parle jamais ; les gens porteurs de ces affections ont souvent du mal à
s'exprimer sur le sujet, leur maladie est souvent cachée, et justement ce
soir nous sommes là pour échanger autour de ça.
Quelques chiffres :
Sur l'ensemble des maladies, 1 sur 2000 est considérée comme maladie
rare.
Les médecins cherchent des traitements sur ces maladies mais souvent c'est
très difficile à trouver ; cela concerne par exemple des maladies
neuromusculaires, auto-immunes, ou encore des cancers rares. Sur 30 000
maladies rares répertoriées, on n'a trouvé des traitements que pour 7000
d'entre elles.
Question Olivier Schétrit (BàBDP) à Alexandre FAURE : Peux-tu expliquer
ton parcours, ton enfance ?
Alexandre : je suis né sourd dans une famille d'entendants ; mes parents
ont été choqué en apprenant ma surdité. Puis 9 ans plus tard, il y a eu la
naissance de mon frère, qui est également sourd. Mes parents ont attendu
longtemps avant d'avoir un 2ème enfant car ils appréhendaient qu'il soit
encore sourd. Ma mère et moi, on a beaucoup pleuré en apprenant que mon
petit frère était sourd.
J'ai été dans une école spécialisée à Metz pour apprendre l'oral ; ma famille
faisait une grande fixation sur le fait que j'apprenne à oraliser.
Je ne pratiquais pas du tout la langue des signes à l'époque : j'utilisais une
sorte de code avec des gestes et du mime pour communiquer avec mon
frère, ça nous permettait de rester en lien tous les deux.
On m'emmenait 3 ou 4 fois par semaine chez un orthophoniste, et je ne
comprenais pas pourquoi, on me mettait des trucs dans la bouche pour me
forcer à oraliser. On me disait qu'il fallait parler pour m'intégrer plus tard
dans le monde des entendants. J'avais un refus de toutes ces méthodes à
l'époque, et mes parents trouvaient que j'avais un vrai comportement
sauvage. Mon frère par contre, était beaucoup plus sage.
En 6ème je suis allé à Saint Jacques, mais je ne suis resté qu'une semaine.
Là-bas pour moi ça a été très perturbant car tous les jeunes signaient, or
moi j'avais grandi exclusivement dans la méthode oraliste. Les jeunes me
voyaient oraliser, et ça engendrait des bagarres, parce que eux signaient.
Donc mes parents m'ont changé d'école et je suis allé à l'école Morvan, qui
propose un enseignement par l'oral, ce qui m'était plus adapté à l'époque.
J'y suis resté de la 6ème à la 3ème, et c'est là que j'ai appris la langue des
signes. Au début, je n'étais pas très attiré par la LSF ; j'avais une identité
entendante, je vivais dans un monde d'entendants. J'étais dans l'erreur
uniquement parce que je n'avais jamais rencontré la communauté sourde.
Donc à Morvan, petit à petit, j'ai appris la langue des signes au contact des
autres sourds, et vers 18, 20 ans, j'ai vraiment acquis la LSF.
Après l'école Morvan je suis allé au Lycée François Truffaut, à République,
et je n'ai pas eu le choix, on m'a dit : tu feras comptabilité. Ce que j'ai fait
pendant 5 ans.
A l'issu de cette formation j'ai travaillé en tant que comptable avec des
entendants, mais bien que j'étais content de pouvoir travailler, je sentais
qu'il y avait quelque chose qui me manquait, quelque chose qui n'allait pas.
A l'extérieur j'avais régulièrement des contacts avec des personnes sourdes,
le soir ou le week-end, mais avec ma famille, il n'y avait pas vraiment de
communication.
Ils se sont beaucoup occupé de moi, ils m'ont aidé financièrement, mais il
me manquait la communication.
Par la suite, comme je me cognais beaucoup et que je ne voyais pas bien
quand quelqu'un me faisait signe sur le côté, mes parents m'ont emmené
chez l'ophtalmologue car on pensait que j'étais myope. Et c'est là qu'on s'est
rendu compte que j'avais le syndrome de Uscher.
A l'époque je n'ai pas pu communiquer avec le médecin donc je n'ai pas bien
compris ce que j'avais, juste que cette maladie entraînait une réduction du
champ visuel.
Question d'Olivier Schétrit à Emmanuel SALAT : A ton tour, peux-tu te
présenter et raconter ce qui te semble nécessaire sur toi, sur ton enfance ?
Emmanuel : j'ai effectivement une maladie, qui s'appelle l'hémophilie et
qui est assez rare ; elle n'est pas complètement méconnue, mais elle ne
touche que 5000 personnes en France. Cette maladie entraîne des
hémorragies internes, dans le muscle ou les articulations. Vu notre grande
fragilité, ça arrive assez facilement si on se cogne ou que l'on fait des
mouvements brusques, ce qui empêche donc de faire du sport.
Pour moi, on a découvert que j'étais hémophile dans mes premiers jours de
vie. C'est une maladie qui est très bien soignée et bien prise en charge dans
les pays riches, mais dans les pays pauvres ça n'est vraiment pas le cas ; il y
a une grande disparité, et personnellement j'estime que j'ai beaucoup de
chance d'être bien soigné.
Depuis l'âge de 12 ans je me fais moi-même des piqûres en intraveineuse ;
cela permet de gagner en autonomie, parce que les symptômes de la
maladie arrivent sans prévenir. Parfois on ne fait rien de particulier et
pourtant on sent que ça va arriver, donc il faut faire ces piqûres pour
stopper l'hémorragie. Je sais donc me piquer sans problème à la maison,
dans un bus, sous une tente ! En gros, je peux dire que je vis bien avec
cette maladie.
Après, il y a eu d'autres problèmes qui sont venus se greffer : vous avez dû
entendre parler de l'affaire du sang contaminé, qui remonte aux années 80 –
90. Il y a donc eu du sang transfusé à des personnes hémophiles qui était
contaminé par le VIH et par l'hépatite C.
Ce fut mon cas, je suis touché par les deux depuis 25 ans. Je fais d'ailleurs
partie des vétérans car depuis 25 ans j'ai vu beaucoup de personnes autour
de moi en mourir, donc je peux dire que j'ai la chance de contrôler le virus,
mon corps résiste et la maladie ne se développe pas. Je suis confiant, je
suis sûr que ça continuera comme ça encore longtemps !
Pour terminer sur l'hémophilie, les hémorragies provoquent des séquelles,
elles abîment les articulations, et moi par exemple j'en ai perdu mon genou
: j'ai la jambe raide, ce qui me gêne pour marcher. Les problèmes sont
donc surtout moteurs.
Question d Olivier Schétrit à Stéphane SOLER : A ton tour, Stéphane,
peux-tu nous parler de ton enfance ?
Stéphane : je suis né sourd en 1960, de parents entendants. Je suis né à la
campagne, dans un tout petit village du 88. Je suis né prématuré, à un mois
du terme, ce qui a entraîné des malformations, et j'ai donc des problèmes
moteurs. De 3 ans à 13 ans je suis resté à Paris : j'étais dans une école
privée, près de la Concorde, qui enseignait l'oralisme. Je ne comprenais pas
toujours ce qui se passait autour de moi, j'étais assez agité, j'avais du mal à
me concentrer, ma mère se posait des questions. Cinq ans après ma
naissance elle est tombée enceinte d'une petite soeur, mais la grossesse
s'est mal passé et elle a perdu le bébé.
Avant l'école, je fréquentais un service des enfants malades à l'hôpital, à
Duroc. À cette époque, j'ai surtout vu plein de gens, des jeunes, des moins
jeunes, mais tous habillés en blanc, qui m'entouraient dans un
amphithéâtre ; ma maman était là, il y avait aussi des orthophonistes. Tous
ces gens parlaient entre eux, et ils essayaient de me faire parler avec des
choses qu'ils me mettaient dans la bouche. On y allait 3 ou 4 fois par
semaine, avec toujours ces gens en blouse blanche autour de moi. Ma mère
à cette époque s'est arrêté de travailler pour s'occuper de moi.
De la 6ème à la 3ème j'ai été scolarisé à Morvan où j'ai obtenu mon BEPC ;
tout se passait à l'oral. Ce n'est donc pas à cette époque que j'ai pris
conscience de mon identité sourde. J'étais avec 5 ou 6 autres élèves sourds
en classe, et on allait régulièrement à Asnières pour les cours professionnels
comme la comptabilité. Et c'est là-bas, à Asnières, que j'ai découvert la
langue des signes. Au début ça m'a fait peur, parce que j'avais peur qu'on se
moque de moi. J'ai obtenu mon CAP en bureautique en 2 ans, et peu à peu
j'ai pris conscience de mon identité sourde.
C'est à cette époque-là que j'ai intégré l'IVT. J'étais jeune, je devais avoir à
peu près 24 ans. Tous les lundis soirs, je prenais des cours de langue des
signes avec des entendants, j'ai aussi participé à un atelier d'identité
sourde.
Ensuite, en 1991, j'ai pris un rendez-vous avec un dermatologue pour un
contrôle, et il m'a proposé une prise de sang ; la semaine suivante quand je
suis venu chercher les résultats, j'ai appris que j'étais séropositif. J'étais
déprimé, évidemment, on m'a donné des adresses d'hôpitaux, par exemple
l'hôpital Bichat. J'avais bien sûr un interprète professionnel avec moi, j'avais
des rendez-vous tous les trois mois, un suivi régulier, des explications sur
les traitements, je voyais aussi un psychologue deux fois par semaine. Il m'a
donné des conseils, et m'a proposé d'aller voir l'association AIDES. J'y suis
donc allé dès 1991, et j'ai rencontré le Groupe Sourds, les bénévoles, qui
m'ont présenté les différentes activités. Il y avait Bruno (Moncelle), et
beaucoup d'autres, dont j'ai oublié le nom. J'ai suivi la formation pour être
bénévole, et je continue toujours à y aller, un peu moins maintenant, mais
j'y suis toujours bénévole.
Question d’Olivier Schétrit à Alexandre : merci à tous les trois pour vos
présentations. Maintenant, Alexandre, tu as dit que tu étais sourd et qu'en
plus tu avais le syndrome de Uscher. Est-ce que tu peux expliquer les
situations difficiles, les obstacles auxquels tu dois faire face, notamment
au niveau social ? Qu'est-ce qui te gêne le plus ? La surdité ou le syndrome
de Uscher ?
Alexandre : j'ai donc appris à 20 ans que j'avais le syndrome de Uscher. Par
rapport aux autres sourds, qui sont plutôt doués par rapport à tout ce qui
est repères visuels, je me rendais compte que j'étais un peu en retard, et
ça me déprimait. Quant au monde entendant, c'était difficile pour moi, il
fallait travailler et communiquer en permanence à l'oral avec les gens
autour de moi. J'étais concentré sur mon travail mais je regardais quand
même ce qui se passait autour de moi ; je me sentais très exclu, je ne me
racontais pas : je ne parlais jamais de l'identité sourde, de la langue des
signes, du syndrome de Uscher. Donc je souffrais de cet isolement. Je me
rappellerai toujours, un jour j'étais très concentré sur mon travail, et les
entendants essayaient de m'appeler en me faisant signe. Au bout d'un
moment je lève la tête et je les vois tous autour de moi qui attendaient que
je les voies. En fait, je n'avais pas envie de leur expliquer le problème de
ma maladie, pour moi c'est très lourd à porter. C'est différent dans le
monde des sourds, là je peux en parler et ça se passe très bien. Il y en a à
qui je le cache et d'autres, mes amis, les gens proches de moi, qui le savent
et qui s'adaptent très bien. J'ai la chance d'avoir un syndrome assez léger,
donc je ne suis pas toujours obligé de le signaler aux gens, ça dépend des
situations.
On m'a proposé d'aller voir l'association Les Signes Bleus, où il y a des
personnes atteintes du syndrome qui se rencontrent. J'y suis allé, j'ai assisté
à des réunions, mais j'ai l'impression que la problématique n'est pas la
même : ils ont un niveau de la maladie vraiment différent. Certains ont de
gros problèmes visuels, des problèmes d'équilibres, certains ne peuvent pas
lire. Ils m'ont dont apporté des informations utiles, mais c'est tout, le
niveau est très différent.
Question d'Olivier Schétrit à Emmanuel : tu nous a donc parlé de tes
différents problèmes physiques : tu es hémophile, séropositif, et tu as un
problème à la jambe. Peux-tu nous expliquer les liens qu'il y a entre ces
trois affections ?
Emmanuel : en fait la cause première, c'est l'hémophilie. Mon corps ne
produit pas certains éléments nécessaires à la coagulation, donc on va le
chercher dans le sang d'autres personnes pour ensuite le transfuser. Or il y a
eu une époque où tous les produits sanguins, mais aussi les produits dérivés
du sang, ont été contaminés. Pour transfuser une dose de sang, il faut
l'équivalent de 8 donneurs, c'est pour ça que ça coûte si cher, et que l'on
prend un risque énorme si le sang de chacun des donneurs n'est pas
correctement analysé. J'ai d'ailleurs depuis rencontré un ancien taulard, qui
m'a raconté que les prisonniers étaient sollicités pour donner leur sang à
l'époque, tellement il y avait de besoin. J'ai reçu du sang contaminé, j'ai
donc l'hépatite C et le VIH, ce qui est une conséquence malheureuse de
mon hémophilie. Ensuite le genou, c'est lié aussi à la maladie : comme les
hémorragies abîment les articulations et à terme, détruisent le cartilage,
très vite on a des articulations de vieux. A 30 ans j'ai eu une prothèse du
genou, ce qui fait que j'ai la jambe raide aujourd'hui.
Question d'Olivier Schétrit à Stéphane : les obstacles que tu rencontres,
ils sont plus liés à ta surdité, ou à ton problème physique, moteur ?
Stéphane : personnellement, je pense que c'est plus mon problème moteur.
Avant les élèves se moquaient de moi, et je ne comprenais pas pourquoi.
On me disait « tu boîtes, tu marches mal ! » A l'époque je me demandais si
c'était parce que j'étais sourd ou parce que j'étais handicapé qu'ils se
moquaient de moi ?
Après dans la vie professionnelle, j'ai travaillé dans une mutuelle, puis aux
PTT, puis dans un ministère, où je fais du secrétariat-comptabilité. Donc je
suis assis toute la journée, derrière mon ordinateur. Les gens passent,
parlent, et repartent, mais moi je suis concentré sur mon clavier, et je ne
les vois pas forcément. Parfois les téléphones sonnent autour de moi, et un
jour, tout à coup, une personne vient me voir et se met très en colère en
me criant : « le téléphone sonne ! » Moi je réponds que c'est pas la peine de
s'énerver, je suis sourd. Et là, la personne est gênée, elle dit ''oups'' et elle
s'en va.
Un samedi soir aussi, j'avais envie de me balader et d'aller en boîte. J'arrive
à la discothèque, il y avait déjà la queue, et tout à coup les deux videurs
m'appellent et me disent que je ne peux pas rentrer, que c'est interdit. Je
sors ma carte d'handicapé, et malgré tout, ils me disent que je suis bourré,
et que je n'ai pas le droit d'entrer. Je suis rentré chez moi, j'ai beaucoup
pleuré, ça m'avait vraiment déprimé !
Ça m'est arrivé une fois, deux fois, trois fois, ça m'est arrivé plusieurs fois
ce genre de choses. C'est vrai que je n'ai pas pensé à porter plainte ; en fait
j'étais seul et je n'y ai pas pensé.
Question d' Olivier Schétrit à Alexandre : tu as donc commencé ta vie
professionnelle en tant que comptable, or ça n'était pas une orientation
choisie pour toi, tu sentais que ça n'était pas adapté à ce que tu avais
envie de faire. Donc maintenant tu travailles dans une MAS et là aussi le
directeur s'est rendu compte que tu pouvais faire autre chose que de la
comptabilité : on t'a proposé de faire de l'animation en langue des signes.
Peux-tu nous en parler ?
Alexandre : avant de travailler à la MAS, j'ai été pendant 2 ans comptable à
la Fédération des Sourds de France, c'était la première fois que je pouvais
travailler et communiquer en langue des signes, donc je m'y suis vraiment
épanoui. Ensuite je suis rentrée à la MAS : c'est une Maison d'accueil
spécialisée pour personnes handicapées (aveugles, sourdes, handicapés
mentaux). J'ai intégré la MAS au début en tant que comptable. On y
pratique la langue des signes, parce que des éducateurs ont appris la langue
pour s'adapter aux sourds signants qui fréquentent la MAS. Il y avait aussi un
prof de LSF qui y travaillait.
Je faisais mon travail de comptable, mais en parallèle, j'allais toujours
communiquer avec les personnes sourdes, parfois handicapées mentales
et/ou aveugles, et un jour, ma hiérarchie m'a contacté et m'a proposé de
faire de l'enseignement en langue des signes à la MAS. J'ai réfléchi, j'en ai
parlé à ma femme qui m'a dit de foncer, et quand je suis revenu j'ai
finalement accepté. J'ai suivi une formation de 1 an en Licence 3 à
l'université Paris VIII, et depuis j'enseigne la langue des signes et je me sens
extrêmement valorisé car je leur apporte quelque chose. Certes, ils ont des
handicaps, certes ils ont des situations difficiles, ils ont un déficit en langue
des signes, mais moi justement, je suis là pour leur apporter l'identité, la
culture de la langue des signes. J'ai subi une transformation en passant de
l'oralisme à la LSF, et je suis content de participer à mon tour à leur
transformation ; je forme aussi les entendants qui travaillent dans
l'établissement, et j'ai pu parler à certains d'entre eux de mon syndrome de
Uscher.
Question d' Olivier Schétrit à Alexandre : dans la MAS où tu travailles il y
a beaucoup de sourds qui ont des handicaps associés, toi-même tu es sourd
avec le syndrome de Uscher, est-ce que tu as eu des stagiaires à qui tu as
enseigné la langue des signes tactile ? Est-ce que tu peux en parler ?
Alexandre : ça fait maintenant 10 ans que je suis à la MAS : 5 ans en tant
que comptable, puis 5 ans comme enseignant en langue des signes auprès
de l'équipe des professeurs entendants, avec les éducateurs, les psys, les
paramédicaux, les infirmiers. J'enseigne à ce personnel, ainsi qu'aux
handicapés qui fréquentent la MAS. Au début ça a été un peu difficile avec
ces derniers car certains ont des handicaps très lourds, certains sont
défigurés, etc..
En les fréquentant, progressivement je me suis habitué, et maintenant je
me sens plus à l'aise, c'est un vrai échange, car ils ont énormément de
choses à apporter ; j'apprends beaucoup à leur contact, et je communique
avec la langue des signes tactiles avec certains d'entre eux. Un jour, la
direction m'a proposé de m'occuper d'un stagiaire sourd, je devais être une
sorte de tuteur pour lui. Il n'était pas très à l'aise au contact de toutes ces
personnes lourdement handicapées physiquement ; dans un premier temps
il observait mes cours, et quand je lui ai proposé de me relayer, d'essayer
un jour de prendre en charge une petite séance de cours, il a refusé en
disant qu'il ne saurait pas, qu'ils étaient trop différents ! Moi justement,
cette différence m'a appris à m'adapter à tous les niveaux, à toutes les
différences, c'est extrêmement riche ! Ça demande un énorme travail de
réflexion, de pédagogie, mais moi je suis très fier de tout ce travail que
j'exerce auprès d'eux.
Question d'Olivier Schétrit à Stéphane : tu nous a donc parlé de ton
handicap physique, de ta séropositivité. J'ai l'impression que je t'ai
d'avantage vu t'investir auprès d'associations comme AIDES ou comme
ACGLSF (Association Culturelle des Gays et Lesbiennes Sourds de France),
pourquoi ne t'es-tu pas plus tourné vers les personnes qui ont des
difficultés motrices. Pourquoi n'as-tu pas eu envie de donner un coup de
main à ce type d'association ?
Stéphane : dans mon travail maintenant, ça va. On est fonctionnaires, il y a
des souffrances dans les bureaux comme partout ailleurs, mais dans
l'ensemble, ça va. Je vais maintenant parler un peu plus de l'ACGLSF : elle a
20 ans d'existence, elle propose différentes activités, différents secteurs :
un secteur santé, et un secteur d'animations. J'étais hyper motivé pour
m'investir dans ce type d'association, je ne ressens pas forcément mon
handicap physique en travaillant avec eux. L'ACGLSF s'intéresse aux sourds
bien sûr, mais c'est vrai que j'aimerais qu'elle s'ouvre plus aux sourds avec
des handicaps ; j'ai été aussi très actif au sein de l'académie, dans le
secteur vidéo, à IVT aussi. J'avais une vingtaine d'année, et je participais à
l'atelier théâtre qui avait lieu tous les lundis soirs, et on enseignait aussi la
LSF avec des personnes entendantes.
À l'époque il y avait une personne qui s'appelait Alfredo Corrado qui était
venu des Etats Unis, et qui nous enseignait le théâtre avec deux autres
personnes : Ralph Robbin et Bill Moody. Cela a duré un an, et à la fin de
cette année, je me suis fait éjecter. On m'a dit que l'année d'après je
devais refaire le même atelier, que je ne pouvais pas avancer. Je ne sais
pas quelle était la vraie raison, j'ai juste entendu des rumeurs autour de
moi, mais je n'ai jamais compris pourquoi on m'a éjecté comme ça. Bref, je
suis revenu plusieurs années après, et là j'ai repris des cours de théâtre.
C'est vrai que je suis sourd, mais je ressens plus mon handicap au niveau
des jambes, parce que ça m'empêche parfois de faire certains mouvement,
et puis ça se voit. Il y a certaines personnes qui s'en fichent, mais il y en a
d'autres qui le voient, qui me regardent et du coup c'est difficile de ne pas
y penser. C'est vrai qu'en tout ça fait trois problèmes : je suis sourd, je suis
séropositif, plus mes problèmes moteurs. Je fais énormément d'efforts, que
ça soit avec la langue des signes, avec le théâtre, etc. Par contre il y un
endroit où je ne ressens plus du tout le problème de mes jambes, c'est dans
l'eau : elles bougent tout à fait normalement, donc c'est un milieu où je suis
très à l'aise.
Question d'Olivier Schétrit à Emmanuel : il ne faut pas oublier que tu es
artiste, ainsi que comédien, et à ce propos, j'aimerais que tu nous parles
de ta peinture, de ta manière de présenter l'hémophilie. Tu as participé à
un festival, Vice &Versa, à Valence, c'est d'ailleurs là que nous nous
sommes rencontrés : je jouais mes contes et toi tu exposais tes peintures.
J'ai été épaté par tes peintures, est-ce que tu es d'accord pour nous en
parler ?
Emmanuel : j'ai eu aussi une expérience avec Chandanse des Sourds, mais
là, ce dont parle Olivier c'est autre chose : j'ai effectivement écrit une
pièce de théâtre qui s'appelle Une histoire avec le sang, parce que je me
suis plongé dans le monde précolombien, les Aztèques, et là j'ai été fasciné
par leur rapport au sang, je me suis rendu compte que ça me racontait une
autre histoire du sang. Il y a donc d'un côté l'histoire du sang d'un point de
vue médical, et une autre histoire, symbolique et poétique. C'est une
matière corporelle qui m'attire énormément, et j'ai réalisé que je pouvais
récrire ma propre histoire à travers ce travail autour du sang. J'ai donc écrit
cette pièce qui met en scène deux personnages : un Aztèque à l'époque de
la conquête espagnole, il y a 500 ans, et un autre personnage moderne, qui
a une maladie que l'on n'appelle pas hémophilie, mais à qui j'ai donné le
terme grec : Hémos Philos qui veut dire l'ami du sang. J'ai beaucoup
réfléchi à travers ce travail, à ce que représentent le sang, la vie, la
maladie, et ça m'a fait beaucoup avancer. Quand je me faisais des piqûres,
j'observais mon sang avec un nouveau regard, jusqu'au moment où je
trouvai cette matière absolument extraordinaire, pour moi c'est comme si il
y avait un mystère dans le sang.
Il y a des gens qui sont très impressionnés à la vue du sang, qui ont peur.
Moi ça ne m'impressionne pas, j'ai tellement l'habitude de me piquer ; et à
un moment donné, j'ai simplement eu l'idée, avec mon doigt, de recueillir
quelques gouttes, et de dessiner. J'ai vu tout de suite que dans ces dessins
il y avait quelque chose de très fort. Personnellement je ne suis pas prêtre,
je ne pratique pas de religion, mais là tout à coup je découvrais tout un
univers, je laissais une trace avec mon propre corps, et c'était vraiment
incroyable. J'ai donc commencé à me piquer pour des questions de santé,
et à la fin ça s'est terminé par une création : la piqûre aide à guérir de la
maladie physique, mais ça ne guérit pas la maladie symbolique, or en
faisant ça (en dessinant), ça permettait d'aller beaucoup plus loin. Donc
chez moi j'ai toute une série de toiles sur lesquelles je fais des traces avec
les doigts, un peu dans un style de calligraphie ; j'essaie de créer des
mouvements, des gestes, des tracés, qui soient harmonieux. J'ai ensuite fait
une exposition de ces toiles. Je sens que quand j'en parle, il y a des gens
que cela met mal à l'aise, il y a beaucoup de tabous autour du sang, et
surtout beaucoup d' a priori négatifs : souvent le sang signifie violence,
guerre, meurtre, maladie, drogue, etc.. Alors qu'en fait le sang c'est avant
tout le liquide vital, c'est la vie qui coule dedans. Donc pour moi qui suis
porteur d'une maladie du sang, j'ai envie de montrer cette partie vitale,
propre, toute la vie qu'il y a dans mon sang, et non pas la violence. Mais
malgré tout, je me heurte régulièrement à cette image négative que le
sang a dans notre société.
Question d'Olivier Schétrit à Stéphane : est-ce que tu es en lien avec
d'autres personnes dans la même situation que toi, c'est-à-dire séropositif
ou handicapé moteur ? Est-ce qu'il y a des groupes de parole ? Est-ce que
c'est tabou et caché ? Toi tu participes à des associations comme AIDES, qui
te permettent d'échanger, mais en général comment ça se passe ? Est-ce
que les gens ''s'ouvrent ?''
Stéphane : ici beaucoup de personnes me connaissent, parce que je suis
déjà passé à la télé, il y a 20 ans à peu près dans le journal de 20h, et puis
récemment dans l'émission ''L'oeil et la main''. À AIDES, un jour une
personne vient me voir car elle voulait que je l'informe et qu'on discute ;
donc on se met dans un coin tranquille pour échanger, puis on revient avec
les autres et hop, voilà qu'une autre personne m'appelle, et on s'éloigne à
nouveau pour discuter. En fait j'ai remarqué que les gens n'osent pas dire
les choses : qu'ils sont sourds et en plus séropositifs, donc ça crée des murs.
Heureusement, une association comme AIDES permet d'aider ces personneslà.
Elle organise des interventions en province, des conférences, on est allé
par exemple à Bordeaux, à Marseille, et là ce sont les gens qui
m'interpellent à part, mais pas en groupe.
Les sourds m'appellent souvent pour discuter sur la séropositivité ou le
handicap, mais moins sur la surdité elle-même.
Question d' Olivier Schétrit à Alexandre : tu fréquente donc la
communauté sourde, mais également des personnes atteintes du syndrome
de Uscher, notamment à travers l'association Les Signes Bleus. Où est-ce
que tu te places exactement ? Que veux-tu dire précisément par le fait
d'être ''légèrement'' atteint par la maladie de Uscher ?
Alexandre : je vous ai expliqué tout à l'heure que je suis allé voir
l'association Les Signes Bleus parce qu'on partage le même syndrome, et
effectivement on a pu échanger, mais les situations vécues sont différentes
: la plupart ont des problèmes par rapport à la lecture, à la luminosité, ils
ont besoin d'accompagnement, notamment d'interprètes. Je pense que j'ai
la chance d'être plus autonome ; c'est vrai que je suis très maladroit, mais
je me débrouille quand même largement. Les autres sourds remarquent
souvent qu'il y a problème, quand ils signent vers le bas par exemple, je ne
vois pas leurs mains, mon axe de champs visuel est rétréci. Les gens qui me
connaissent bien s'adaptent, et pour les autres, c'est tellement léger que je
ne le précise pas à chaque fois, c'est presque invisible. Personnellement je
peux donc passer du monde des gens atteints de Uscher au monde des
sourds ''valides'' sans aucun problème. Mais pour certaines personnes
atteintes du syndrome c'est vraiment visible, c'est évident qu'ils ont ce
problème. D'ailleurs quand je suis allé aux Signes Bleus ils m'ont dit ''tu n'es
pas Uscher, toi !''; ils ne voulaient pas me croire tellement c'est léger
comparé à eux.
Moi au niveau de mon travail dans la MAS, je suis souvent en contact avec
des sourds qui sont très exclus, et moi ça me rappelle mon enfance et j'ai
donc envie de les aider. Qu'ils soient sourds ou sourds et aveugles, il y a une
aide à apporter, et je sens que j'ai ma place auprès d'eux. Dans la MAS, il y
a quatre points très importants : la communication, l'aspect social, la
qualité de vie, et l'autonomie, et ces quatre éléments sont mis en valeurs à
la MAS.
Or les sourds aveugles quand ils sortent, c'est extrêmement durs pour eux :
le monde n'est pas adapté.
Question d'Olivier Schétrit à Emmanuel : en tant qu'artiste, musicien,
comédien, qu'est-ce que tu penses des autres personnes hémophiles ? C'està-dire est-ce que vous avez des façons d'être différentes, des façons de
vous montrer différentes ? Également, qu'est-ce que les autres personnes
hémophiles pensent de ta démarche ?
Emmanuel : je connais bien la communauté hémophile, notamment parce
que j'ai été actif dans l'Association Française des Hémophiles (AFH) pendant
plus de 10 ans. J'y ai rencontré très très peu d'artistes, et quand j'ai
commencé ce travail sur le sang j'en ai parlé à un ami hémophile qui a
trouvé ça très intéressant. J'avais envie de le montrer justement pour
pouvoir dire qu'on pouvait regarder notre histoire autrement. Quelques
rares hémophiles seulement sont venus voir, et j'ai senti que c'était pas
évident pour eux de voir autrement leur histoire. Beaucoup de gens que
j'avais invités ne sont pas venus, par exemple le responsable de l'AFH. Et là
je parle de la poésie, parce qu'en ce qui concerne la peinture, c'est encore
pire. Quand je l'ai annoncé à un ami, il a eu un mouvement de dégoût, il a
failli en tomber de sa chaise, ça lui semblait invraisemblable de faire ça.
Moi j'essaie de mettre des brèches ; il y a beaucoup de choses qui me font
souffrir, et pour retrouver une certaine joie de vivre, il faut sortir soi-même
de ses propres obsessions.
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Les interventions du public :
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Personne 1 : bonjour, je suis moi-même sourd, je voulais remercier les
trois invités, et ma question est la suivante : est-ce que le fait de faire
du théâtre, ou de la peinture, vous aide psychologiquement, est-ce que
ça vous permet de ressentir les choses plus positivement ? Comparé à
d'autres qui souffrent des mêmes handicaps ou maladies que vous, mais
qui ne pratiquent pas d'activité artistique, que ressentez-vous ?
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Emmanuel : tout le monde ne peut pas être artiste. Ce qui est sûr, c'est
que l'art est un langage, ce qui permet de sortir de soi quelque chose,
mais aussi de se détacher, d'alléger le poids de certaines choses. C'est
une manière déviée d'alléger certaines souffrances. Ça ne résout pas
tout, mais ça libère énormément, et ça permet de partager aussi avec
les autres. Pour compléter, je dirais aussi que ça permet de voir
autrement.
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Annie MAKO : merci à tous les trois pour vos témoignages. Je voudrais
vous demander quelle place a pris votre relation avec le corps médical
dans votre vie ? Quelle place ça a pris dans votre vie et aujourd'hui
encore ? Est-ce que vous avez des connaissances précises par rapport aux
recherches sur votre maladie, qui vous permettraient de faire des
comparaisons entre ce que vous avez vécu tout petit et aujourd'hui : estce qu'il y a des changements, des améliorations, une recherche qui
avance ?
Alexandre : les sourds représentent une minorité, les aveugles
représentent également une autre minorité, comparés aux entendants
qui représentent la majorité. Quand il y a une grossesse, on rêve
toujours de l'enfant idéal, il y a toujours une représentation très
positive, et quand l'enfant naît différent, c'est toujours une mauvaise
nouvelle. Pour un enfant sourd par exemple, la première réaction des
médecins va être qu'il faut que l'enfant apprenne à parler, il faut qu'il
soit appareillé, on lui apporte des ''outils''. La recherche médicale tourne
beaucoup autour de ça, les ''outils''. Quand l'enfant naît sourd et aveugle,
c'est un véritable choc pour les parents. Le problème c'est qu'on oriente
souvent ces enfants dans des structures psychiatriques, où ils seront
d'avantage enfermés qu'autre chose. Alors c'est vrai que c'était surtout le
cas autrefois et qu'il y a eu une certaine évolution dans le corps médical,
mais malgré tout, ça n'est pas fini : il y a par exemple le problème du
diagnostic précoce. Où est l'humain dans tout ça ? Les médecins ne
pensent pas du tout à la langue des signes, ils renseignent tout de suite
les parents en leur disant qu'il pourra apprendre à parler, qu'il faut
l'appareiller ou l'implanter. De même pour les sourds aveugles il y a la
langue des signes tactiles, mais souvent les médecins pensent en terme
d'outils, de technique, de mécanique, de médicaments, mais ils ne
réfléchissent pas aux possibilités humaines. Il faut communiquer avec ces
gens-là par tous les moyens, il faut les nourrir humainement ! Ils se
réveillent et s'épanouissent beaucoup mieux qu'avec des médicaments !
Stéphane : par rapport au médical, moi j'ai des dossiers différents un
peu partout : un pour mes jambes, un pour mes appareils auditifs, un
chez l'orthophoniste, etc.. Quand j'étais petit, ça a commencé par les
médecins qui cherchaient des solutions pour mes jambes. J'ai été opéré
au pied droit, ensuite à gauche, mais ce n'était que des essais. Le groupe
des médecins a ensuite proposé une pédagogie adaptée pour la
rééducation via la gymnastique et les massages. J'ai réussi à marcher,
mais j'ai quand même un problème psychomoteur. Plus tard, on m'a
proposé une opération pour me faire grandir, mais j'ai refusé.
Ensuite, en ce qui concerne ma surdité, on nous a proposé l'implant
cochléaire ; ma mère a refusé.
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Emmanuel : pour répondre à cette question sur mon rapport au médical,
c'est vrai que l'affaire du sang contaminé a permis de faire évoluer la
relation avec les médecins puisque certains d'entre eux ont été mis en
cause, donc il y a eu des moments de rapports très tendus, très froids
entre les patients et les médecins. Ensuite, comme on était obligé, par
les faits, de travailler ensemble, il a fallu tisser un dialogue ; moi
personnellement ça m'a déterminé à être très acteur dans la relation.
Quand je vois un médecin, je pose toujours beaucoup de questions
précises, j'essaie de vraiment comprendre ce que j'ai : « pourquoi vous
faites ça ? Et si vous faisiez ça ? ». Il y a quelques temps, je discutais
avec un généraliste qui me disait que dans les études de médecine, on
n'apprend pas aux étudiants qu'une part essentielle de leur travail c'est
justement la relation établie avec les patients : pour leur expliquer, pour
les rassurer, pour discuter avec la famille, etc...
Il y en a qui le font spontanément, d'autres qui ne veulent pas, et pour
moi le patient doit être acteur de la relation et demander cette attitude
de la part du médecin.
Olivier Schétrit : je voudrais également intervenir sur le sujet.
Emmanuel, tu m'avais raconté une expérience par rapport à ta
séropositivité qui pourrait se déclarer ; au sujet de l'AZT, toi-même tu
n'es pas médecin mais tu l'avais déconseillé à quelqu'un.
Emmanuel : en fait l'AZT a été le premier remède qu'on a trouvé pour
ralentir le sida, mais c'était au départ un remède très violent, qui parfois
tuait plus les gens que s'ils ne l'avaient pas pris. J'ai discuté avec
plusieurs médecins à l'époque, dont un, qui lui-même était hémophile,
séropositif, rhumatologue et acupuncteur. Il m'avait dit : surtout, ne
prends pas l'AZT, c'est vraiment pas bon. A trois reprises on m'a proposé
d'en prendre, et à chaque fois j'ai refusé ; je sentais qu'il ne fallait pas le
faire, mon ami médecin me disait de ne pas le faire, et j'ai donc attendu
15 ans avant de prendre des traitements, et du coup quand j'ai
commencé ils étaient bien meilleurs. Quand on est face à un médecin,
on est conditionné ; le médecin tient notre vie entre ses mains, mais moi
je sens quelque chose, sans doute quelque chose de très archaïque, qui
me dit qu'ils détiennent un pouvoir et que certains jouent de cette
situation. Moi en tant que patient j'ai envie de me libérer de ça, j'ai
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besoin de dire que certes, le médecin a un pouvoir, il a des
connaissances que je n'ai pas, mais par contre c'est de ma vie dont il
s'agit, donc on en discute, et j'ai le droit de dire si je ne suis pas
d'accord.
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Personne 3 : Emmanuel, tout à l'heure tu nous a expliqué que quand tu
as annoncé à tes amis que tu faisais de l'art avec du sang, certains ont
été choqués ; moi je voulais savoir précisément ce que tu leur as dit :
que tu faisais de la peinture avec ton sang ? Ou tu as parlé de ton livre ?
Comment tu as présenté les choses ?
Emmanuel : c'est très simple, j'en ai parlé en premier à un ami qui est
aussi hémophile, je lui ai dit que quand je me piquais, je recueillais
quelques gouttes et qu'en trempant mon doigt dedans j'ai fait des essais
de tracés. Au début j'ai vraiment fait ça comme un enfant : on a tous,
petits, mis nos doigts dans la terre, dans la boue, pour faire des dessins.
Pour moi c'était pareil, mais très vite je me suis dit que j'avais
transgressé, franchi une barrière. Vous parlez d'un livre, actuellement je
n'en ai pas encore écrit, j'aimerais bien, mais ça n'est pas encore fait.
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Personne 4 : vous avez parlé tout à l'heure de votre expérience avec
Chandanse des Sourds, vous pouvez nous en parler ?
Emmanuel : on a créé des chansons avec ma femme ; elle-même a eu un
accident de la route traumatisant, après lequel elle a dû se
reconstruire, et nous avons donc pas mal d'actions dans le monde
médical. Il y a quelques années on avait organisé des étapes et débats
qui rassemblaient plein de gens de divers horizons, dont Chandanse des
Sourds. L'idée était qu'il y ait plusieurs artistes différents chaque soir, et
on a eu envie de faire quelque chose ensemble ; moi je chantais et eux
signaient. Il y avait Philippe Luilyer et Celine Guibert. Ma femme et moi
nous ne signons pas donc on a communiqué par mime, sans interprète.
On a fait deux chansons ensemble, on a même réussi à faire participer le
public, en chantant et en signant. C’était une expérience formidable.
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