Le surendettement vu par ceux qui le vivent - Cresus Île-de

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Le surendettement vu par ceux qui le vivent - Cresus Île-de
Mathilde Bricault
Paul Chalvin
Marion Davenas
Nicolas Perrot
Jean-Baptiste Vilain
Etudiants de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris
(IEP Paris)
En partenariat avec l’Association
Crésus Île-de-France Paris
Le surendettement, fait de société.
Décryptage par ceux qui le vivent
Rapport d’étude réalisé dans le cadre d’un projet collectif de Sciences Po
Supervision :
Jean Beaujouan, président de CIFP
Bénédicte Bertin-Mourot, sociologue et vice-présidente de CIFP
Pierre Félin, consultant et formateur, bénévole à CIFP
Novembre 2012
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Table des matières
INTRODUCTION __________________________________________________________ 4
Thème 1.
La diversité des profils __________________________________________ 6
LES CAUSES DU SURENDETTEMENT: QU'EN DISENT LES PERSONNES QUI
L'ONT VECU ? ____________________________________________________________ 6
Thème 2.
Thème 3.
Thème 4.
Thème 5.
La distribution excessive du crédit à la consommation _______________ 12
L’éducation budgétaire et la gestion de l’argent ____________________ 12
Culture et rapport à l’argent ____________________________________ 16
Les accidents de la vie__________________________________________ 17
LE VECU DES PERSONNES SURENDETTEES ______________________________ 19
Thème 6.
Thème 7.
Thème 8.
Thème 9.
La violence des difficultés matérielles au quotidien _________________ 19
Les conséquences du surendettement sur les relations sociales ________ 21
Le harcèlement par les établissements bancaires ___________________ 25
La souffrance psychologique ressentie par les personnes surendettées __ 26
SORTIR DU SURENDETTEMENT, UN CHEMINEMENT DIFFICILE
Thème 10.
Thème 11.
Thème 12.
De la fuite en avant à la prise de conscience ________________________ 29
L'utilité des groupes de parole___________________________________ 31
« L'après » ? _________________________________________________ 32
CONCLUSION ___________________________________________________________ 34
ANNEXES _______________________________________________________________ 36
Journal de bord de Mathilde Bricault _________________________________________ 36
Journal de bord de Jean-Baptiste Vilain_______________________________________ 40
3
INTRODUCTION
Nous sommes cinq étudiants en Affaires Publiques et en Affaires Internationales à
Sciences Po Paris. Ce projet collectif nous a été proposé par l’association Crésus Île-deFrance Paris (CIFP). Il consistait à conduire des entretiens individuels approfondis avec des
usagers de l’association qui vivent ou ont vécu une situation de surendettement, et à en faire
la synthèse. Ce travail a été pour nous l’occasion de découvrir le phénomène du
surendettement, ou d’en approfondir la connaissance. Nous remercions vivement les
personnes surendettées qui ont bien voulu témoigner de leur vécu et nous faire part de leurs
commentaires.
Le surendettement, fait de société
Être en situation de surendettement, c’est être dans « l’incapacité manifeste » de
rembourser des dettes non-professionnelles à partir de ses revenus réguliers. Le
surendettement n’est pas, ou pas seulement, un endettement excessif. Il résulte souvent d’une
insuffisance des revenus, qui ne permettent plus de faire face aux échéances de
remboursement.
Le recours croissant au crédit à la consommation, qui s’est démocratisé en France
pendant les années 1950 et 1960, a fait du surendettement un problème social que l’on ne peut
réduire à de simples « faillites » personnelles. Le recours au crédit est fondé sur l’hypothèse
que l’on continuera à disposer de revenus suffisants pour rembourser. Il induit donc un risque
pour les personnes, qui varie selon la stabilité de leur situation. Celle-ci est évaluée de
manière plus ou moins précise par les banques et les maisons de crédit.
Depuis 1989, la loi protège les personnes en situation de surendettement qui sont « de
bonne foi ». Installées dans chaque département, les commissions de surendettement, dont le
secrétariat est assuré par la Banque de France, traitent les dossiers déposés par les particuliers,
Dans la majorité des cas, elles proposent un plan conventionnel de redressement aux
créanciers et à la personne surendettée, afin que celle-ci puisse rembourser au moins une
partie de sa dette. Ce plan peut inclure un rééchelonnement de la dette, une diminution des
taux d’intérêt, un effacement partiel des dettes, ou un moratoire provisoire. Dans certains cas,
la commission peut engager une procédure de redressement personnel (PRP), inspirée des
faillites personnelles en vigueur en Alsace-Moselle. Cette procédure prévoit notamment la
liquidation des biens de la personne.
Le nombre de dossiers déposés chaque année est allé croissant au cours des dernières
années. En 2011, 232.493 dossiers ont ainsi été déposés (+6,6% par rapport à 2010). Les
explications le plus fréquemment avancées de ce phénomène sont la précarité croissante et les
pratiques nouvelles des établissements bancaires, notamment les offres de crédit renouvelable.
Ces crédits sont des réserves d'argent mises à la disposition des personnes par les banques ou
établissements de crédit spécialisés. Ces réserves d'argent sont également souvent rattachées à
des cartes de fidélité dans les enseignes de la grande distribution. Les taux pratiqués vont de
15 à 20%, bien qu'un taux promotionnel très faible (3 à 5%) soit souvent proposé en début de
période et pour une courte durée. La réforme Lagarde, votée en 2010, vise à mieux encadrer
ces crédits, en alignant notamment progressivement leurs taux sur les crédits dits « classiques
» (crédit auto, crédit travaux etc.)
Les accidents de la vie sont présentés comme la principale cause du surendettement.
La Banque de France distingue ainsi le surendettement « passif », dans lequel un tel accident
4
est en jeu (75% des dossiers), du surendettement « actif », pour lequel la responsabilité des
parties peut être reconnue. La Cour des comptes a critiqué dans un rapport récent le caractère
flou et aléatoire de cette distinction, qui tend à sous-estimer la responsabilité des personnes ou
des établissements bancaires. L'objectif de notre projet est de saisir plus finement la réalité du
vécu du surendettement par la conduite d'entretiens avec neuf personnes surendettées et trois
bénévoles de l'association1.
Le surendettement vu par ceux qui le vivent
Les travaux sur le phénomène du surendettement se limitent en effet principalement à
des enquêtes quantitatives, telle que celles réalisées régulièrement par la Banque de France2,
qui visent à saisir le profil sociodémographique des personnes surendettées. La Cour des
comptes s'est aussi saisie de ce problème3, mais adopte le point de vue particulier de
l'évaluation des politiques publiques. Le rapport de 2010 constate ainsi que l'on connaît bien
mal ce phénomène, la Banque de France n'étant pas armée pour suivre en détail la question ou
pour faire de la prévention. Dans la relative indifférence des pouvoirs publics, les banques se
« déchargent » ainsi sur la Banque de France, qui traite les dossiers qui lui parviennent.
Avec les personnes qui ont bien voulu se confier à nous, nous avons tenté de
comprendre des histoires de vie. Ce travail qualitatif ne peut pas remplacer les enquêtes
quantitatives, dans la mesure où les personnes que nous avons rencontrées ne sont pas
nécessairement des personnes représentatives de l'ensemble de la population concernée. Ces
témoignages anonymes – les prénoms des personnes interrogées ont été modifiés – montrent
la grande diversité des chemins qui mènent au surendettement et des marques qu'elles
impriment sur les personnes qui le vivent. Les entretiens que nous avons mené avec les
bénévoles de l'association ont aussi enrichi notre analyse.
Notre objectif est d'abord de permettre une meilleure compréhension de ce qu'est le
surendettement. Nous espérons plus largement que ce travail pourra contribuer au débat
public et à l'évolution des politiques ayant le surendettement pour objet. Sans rigorisme
académique, la présente synthèse valorise plutôt la spontanéité des témoignages. Nous avons
choisi simplement d’illustrer différentes facettes du surendettement. Cette approche permettra
peut-être à d'autres de mener un travail de recherche plus systématique sur le phénomène du
surendettement.
Nous présentons dans ce travail des extraits des entretiens réalisés. Nous avons
regroupé ces extraits par thèmes. Les témoignages que nous avons recueillis sont d'abord des
histoires de vie, qui montrent quelle peut être la diversité des situations (thème 1). Notre
synthèse est ensuite présentée en 3 temps.
Les témoignages des personnes que nous avons rencontrées permettent d'abord de
saisir les causes du surendettement. Celles-ci peuvent être multiples et cumulatives : recours
excessif au crédit à la consommation (thème 2), lacunes en matière de gestion budgétaire
(thème 3), influence de l'éducation sur le rapport à l'argent (thème 4). En outre, plus
1
Sur les 12 personnes que nous avons rencontrées, 11 nous ont donné leur autorisation pour en publier des extraits dans ce
rapport.
2
http://www.banquefrance.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/Mission/Protection_du_consommateur/enquete_typo2
010_surendettement.pdf
3
Cour des Comptes, rapport public annuel, 2010, “La lutte contre le surendettement des particuliers : une politique publique
incomplète et insuffisamment pilotée”
5
directement la cause immédiate du surendettement reste bien souvent un accident de la vie
(thème 5).
Le vécu des personnes surendettées est ensuite abordé. La violence des difficultés
budgétaires (6), les conséquences qu'elles ont sur les relations sociales (7), et le harcèlement
continu des banques (8) sont la cause d'une grande souffrance psychologique (9).
Sortir du surendettement est un cheminement difficile. La prise de conscience de la
situation dans laquelle on se situe est souvent précédée d'une phase de fuite en avant (10). Les
groupes de parole et le soutien apporté par l'association Crésus sont alors utiles pour aider les
personnes surendettées à relever la tête (11). Enfin, nous nous interrogerons sur « l'après » :
comment les personnes surendettées perçoivent-elles leur avenir ? (12).
Thème 1. La diversité des profils
Nos interlocuteurs nous racontent qui ils sont, comment ont commencé leurs
problèmes d’argent, comment ils sont entrés en contact avec Crésus.
Bentadia
« Je suis Bentadia. Je suis venue en France dans le cadre du regroupement
familial. (…) Je suis originaire du Sénégal mais je viens du Congo. Je suis née
à Brazza. (…) Je suis là depuis environ 40 années. J’ai eu mes enfants et puis
la vie continue… Au début, mon mari ne voulait pas que je travaille. Un beau
jour, les aléas de la vie ont fait que je me suis séparée de lui. Je me suis
retrouvée avec mes quatre gosses sur les bras. Je me suis battue pour les élever.
(...) J’ai commencé à travailler après que je me suis languie un peu de rester à
la maison à élever mes enfants…
Mes problèmes ont commencé en 2011. Avant, j’avais jamais eu de problème
d’argent, de difficulté financière. Mais j’ai été malade en janvier 2011, et les
problèmes ont commencé. Je suis souvent malade, je souffre du dos, toutes
mes vertèbres sont bousillées, écrasées… donc je suis souvent en arrêt
maladie, et j’ai arrêté le travail. J’ai eu beaucoup de harcèlement, ça a
beaucoup joué sur ma santé… J’étais encore en arrêt maladie et le médecin de
la Sécu n’a pas voulu que j’aille au chômage. Ils m’ont proposé un départ à
l’amiable. J’ai signé les papiers et je suis partie. Et puis après, au niveau de la
Sécu, ça a pris beaucoup de temps. Ça a pris presque huit mois, dix mois,
pendant lesquels je ne percevais rien du tout. Et puis l’indemnité qu’on m’a
donnée pour mon départ a été dilapidée pour le loyer, les courses… et quand
j’ai fini de payer mes loyers j’avais plus rien, je n’avais pas d’entrée d’argent.
Ça a duré dix mois je crois. J’ai été voir l’assistante sociale de mon quartier qui
m’a envoyée chez Crésus. J’avais même pas un rond ! Rester comme ça sans
un rond… Et j’avais les bâilleurs, les propriétaires de mon logement qui
réclamaient leur argent. J’avais aussi des crédits. J’avais contracté un crédit sur
huit ans et j’ai toujours payé.
(…) Je suis venue [chez Crésus] et ils m’ont écoutée et on a tout de suite fait la
demande à la Banque de France pour pouvoir soutenir mon dossier. Quand je
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suis venue, ils m’ont demandé tous les papiers, que j’ai été déposer le dossier à
la Banque de France et on a fait la prise en charge. On m’a dit d’attendre. J’ai
attendu. Je venais souvent aux réunions, aux groupes de parole. Après, petit à
petit, la Banque de France a accepté mon dossier, ils ont annulé tous mes
crédits. Longtemps après, la Sécu m’a versé l’argent, tout ce qu’elle me devait.
Ça a suivi son cours. »
Alice
« Je suis Alice L. Je suis mariée avec un homme qui a disparu de ma vie. Il a
monté sa société, en 2008, une entreprise qui n’a pas marché, et qui a fait
beaucoup de dettes, et il a disparu du jour au lendemain, ça fait deux ans. Il
m’a dit qu’il partait travailler à l’étranger, ce que j’ai cru, et puis il m’a dit
qu’il rentrerait tous les quinze jours à peu près, les week-ends, le temps qu’on
se re-stabilise… et je ne l’ai jamais revu. Je l’ai eu une fois au téléphone, et j’ai
compris qu’il ne reviendrait pas. (…)
En commun nous avions acheté une voiture, nous avions pris un prêt à la
banque que je rembourse au jour d’aujourd’hui. Il m’a laissée avec 31.000
euros de dettes. Aujourd’hui, il doit me rester 14.000 euros à rembourser. (…)
Je travaille en CDI depuis dix ou onze ans dans une société qui s’occupe de
services informatiques. (…) Dans ma situation, c’est le serpent qui se mord la
queue : pour entamer des procédures il faut un avocat, pour avoir un avocat il
faut payer un avocat, et quand on n’a pas d’argent on ne peut pas prendre un
avocat. Et moi je ne rentre dans aucune des grilles, c’est une des
problématiques que j’ai rencontrées. Ce qui est à mon sens absolument injuste
parce que ça fait vingt ans que je bosse, si on fait un petit calcul grosso modo à
la louche, j’ai payé presque 300 000 euros de charges en vingt ans, et je ne
rentre nulle part pour obtenir des aides parce que j’ai un niveau de
rémunération trop important. Alors effectivement le contrepoids c’est de se
dire : « Tu as un travail, c’est bien… », mais quand on travaille depuis
longtemps comme moi, c’est très dur de se retrouver avec un niveau de vie de
smicarde (…)
C’est ma vie qui a complètement basculé. Mes projets etc. Même au jour
d’aujourd’hui, même si je vais bien dans l’ensemble et que j’arrive à gérer ma
vie, ça n’empêche que ça laisse des marques indélébiles, je ne sais pas ce que
je vais en faire de ma vie après…(…) Il me reste un an à payer… »
Paul
« J’ai soixante et onze ans, je suis architecte. J’ai fait des études assez
pertinentes, je suis aussi urbaniste. J’ai eu une carrière passionnante et assez
positive pendant trente ans. J’ai été associé avec deux autres confrères et puis
j’ai continué seul. Ça s’est bien passé pendant longtemps, avec beaucoup de
concours gagnés, beaucoup de commandes directes, à une époque du reste plus
confortable pour les architectes que pour ceux d’aujourd’hui, qui ont beaucoup
plus de mal.
7
J’ai été porté par la vie de manière extrêmement positive, et si j’en suis arrivé
là, c’est parce que je m’y suis mal pris dans la gestion de mon agence et, de fil
en aiguille, je me suis ruiné. C'est-à-dire que j’ai eu plusieurs occasions de
toucher des sous, la vente de ma maison par exemple. Et à chaque fois, tout
passait dans les remboursements de mes frais professionnels. Donc j’ai fini par
devoir lâcher prise, j’ai commencé par déposer le bilan de ma SARL en 2008,
ça s’est bien passé, j’ai reçu les derniers documents récemment et cela est
liquidé. Il n’empêche qu’à partir de 68 ans je n’avais plus de dossiers à gérer,
plus de chantiers à terminer, je me suis retrouvé devant un mur, avec pas de
possibilité de travailler pour des confrères, chacun ayant ses préoccupations et
ses objectifs.
Aujourd’hui, je n’ai pour vivre que la retraite qui, avec celle de ma compagne,
se monte à 2.600 euros par mois, ce qui pour beaucoup est suffisant, mais
comme j’ai plus de mille euros de frais fixes par mois, sans compter le loyer,
j’ai beaucoup de mal à m’en sortir. (…) Et puis j’ai quatre prêts épouvantables,
dont trois prêts revolving odieux et un prêt bancaire. Les trois prêts revolving
totalisent trois fois 1.800 euros, presque 6.000 euros, donc ça fait des sorties
d’environ 80 euros par mois chacun. Plus un horrible prêt avec une mensualité
de 340 euros pour encore des années, de ma première banque, qui m’a piégée il
y a trois ans en m’accordant un joyeux prêt de 22.000 euros qui me plombe
complètement. (...) C’est effrayant. Donc je me retrouve avec près de 20.000
euros à devoir.
(…) Pendant un an j’ai hésité, mais au bout d’un an, début 2010, je me suis
décidé à me mettre en surendettement. Et puis ça allait de mal en pis, je ne
gérais toujours pas bien mes petits sous, j’étais tétanisé. Je parle d’il y a un an
surtout puisqu’en 2011, j’ai eu trois interdictions bancaires successives, la
dernière en septembre dernier. Je me rendais compte que ça ne pouvait plus
durer, qu’il fallait quand même que je prenne le taureau par les cornes, et j’ai
tapé à la porte de Crésus. »
Pablo
« Qui je suis, je ne sais plus… On peut commencer par le premier
surendettement, la fois où j’ai contracté la première dette. C’est loin, ça
remonte à 2001 ou 2002. Je travaillais à ce moment-là et je m’étais endetté
juste pour acheter des vêtements. Je travaillais au service clients d’une grosse
société française. (...) Je n’avais aucun souci sauf que la société Printemps m’a
convaincu d’ouvrir un compte et c’est là que j’ai commencé à avoir des dettes.
A me permettre de dépenser plus que mes besoins ou que ce que je pouvais
payer. C’était ça, mais c’était peu, je n’avais pas de vrai problème, pas de
souci. Ensuite, je suis tombé malade, j’ai perdu mon emploi en 2003 parce
qu’il y avait des changements dans la société et moi je n’étais pas d’accord. On
s’est fâchés et un jour j’ai pété les plombs. (…) Avant je n’avais pas de dettes
trop sérieuses, je ne m’étais pas endetté de façon dangereuse, comme quand tu
ne sais plus si tu peux payer ou pas, quand tu es sur le fil du rasoir.
Ensuite, j’ai eu une déprime grave. Jusqu’à maintenant, elle m’a empêché de
trouver des emplois. Après la première déprime, j’ai eu un infarctus. (...) J’ai
8
fait six mois d’hôpital pendant lesquels je ne touchais plus rien, plus de
chômage. Je vivais avec des dettes, avec l’assurance maladie. Je suis déclaré
travailleur handicapé, mais pas assez handicapé pour toucher la retraite. (...)
Après les six mois, j’ai retrouvé la santé, mais je suis toujours sous
médicaments.
A partir de là, j’ai fait des petits boulots, toujours précaires. Quand tu
commences, tu continues les boulots précaires... Je me suis endetté toujours
plus avec l’idée de sortir du problème. C’est-à-dire que je demandais des sous
parce que j’avais besoin de vivre. Je voulais avoir une vie presque normale
parce que sinon c’est une survie, ce n’est pas une vie... Aujourd’hui, depuis six
mois, je suis à 400 euros par mois, c’est-à-dire qu’on crève de faim. (…)
Avec tous les agios, les assurances, j’ai 38.000 euros de dettes. (…) J’ai fait un
dossier de surendettement, ils l’ont accepté. Ça fait 18 mois de moratoire. Au
bout des 18 mois, ils l’ont réaccepté. Ça allait se finir mais un des créanciers a
fait opposition et cela a tout bloqué. C’était le créancier auprès duquel j’avais
la plus faible dette, je ne lui dois presque rien... Les banques ont laissé tomber
mais ce créancier a fait opposition pour 1.700 euros et voilà je recommence
tout à zéro... »
Annie
« J’ai eu énormément de problèmes, je me suis retrouvée veuve très jeune, à 40
ans - mon mari avait 49 ans et notre fils 15 ans. Avant ce décès, nous avions
soutenu mes parents et mes beaux-parents. Mon fils a toujours eu une santé
fragile. (…) Je n'ai donc pas eu une carrière [professionnelle] vraiment
suivie… J’ai toujours pu me débrouiller dans les petits boulots, et puis en
faisant des études aussi.
Je n'arrivais à tourner que par des jeux de trésorerie entre trois crédits
revolving. Deux plutôt modestes de 2.500 euros environ chacun (contractés
pour des achats indispensables (machine à laver, réfrigérateur et ordinateur).
Le troisième auprès de ma banque d'un montant de 6.500 euros couvrant juste
des frais dentaires indispensables pour que je puisse travailler. Les trois
bénéficiaient deux fois par an d'un report de remboursement. J'étais
parfaitement à l'aise avec ce fonctionnement mais c'était une gestion à risque
en cas de difficulté imprévue (…).
Le dossier de surendettement, c’est très bien, mais quand vous êtes déjà en
situation précaire, vous n’avez plus la bouée de sauvetage que sont les crédits.
(...) Et moi je n’utilisais pas les crédits pour acheter mais réellement pour avoir
de la trésorerie. C’était vraiment du « crédit alimentaire ». Sans crédit je me
suis retrouvée très en difficulté. »
Françoise
« J’étais dans une phase difficile. [Avant] tout allait bien : j’avais un travail –
maintenant j’ai négocié un licenciement – et j’avais un logement à moi, je suis
propriétaire… Et puis on a été racheté par un grand groupe. J’étais dans une
9
société de bâtiment et, c’est bizarre, je ne sais pas comment vous expliquer : un
changement d’ambiance… de la pression, du harcèlement… Moi je l’ai très
mal vécu. (…) J’étais une des comptables, et on est devenues opératrices de
saisies, on saisissait les factures et c’est tout. (…) Et bêtement, je me suis
retrouvée seule dans ma vie à ce moment là, j’avais l’impression de ne plus
exister. Ça m’a vraiment cassée. J’ai pris beaucoup de kilos. (...) Je suis
tombée dans l’argent et dans la bouffe comme d’autres tombent dans l’alcool.
Moi ce n’était pas l’alcool car j’aime malgré tout voir ce qui se passe mais
c’est la même chose. C’est dangereux. C’est de la dépendance, les
gourmandises ça rassure et puis l’argent… Quand vous n’avez plus rien, pas de
sens à votre vie, ça fait du bien d’avoir des sous, de pouvoir s’acheter du
maquillage, des cochonneries à manger… et on a le sentiment d’exister. Ça
peut paraître ridicule mais c’est comme ça… Et puis deux euros par ci, deux
euros par là… et un jour, deux jours, trois jours… et après c’est la sensation
que c’est bien, on sait que l’on dépense en cachette, mais cela rassure… Je
vivais seule, (…) ma famille vivait aux États-Unis, je suis toute seule en
France, mes parents sont décédés, je n’ai pas de frères et sœurs. Il y a eu un
manque affectif horrible. (…) Quand vous rentrez chez vous et qu’il n’y a
personne pour partager peines, joies ou autres c’est très difficile, et à un
moment donné il y a un ras le bol et je me suis laissée couler, je me suis dit : «
Je m’en fous ». (…)
Mais quand vous tombez, ce n’est pas d’un seul coup, c’est par étapes. Et un
jour c’est vrai que j’avais envie de sortir, de m’acheter quelque chose, et là on
propose les prêts à la consommation : « En 48 heures vous avez de l’argent »,
plus que votre salaire, c’est extraordinaire ! (…) Vous vous embêtez dans votre
travail, vous n’êtes plus rien, vous ne faites que de la saisie. Vous ne pouvez
pas demander d’augmentation, ou d’évolution, on vous dit : « Les temps sont
durs, c’est la crise... ». Elle a bon dos, la crise… Donc là vous vous dites :
« C’est formidable ! ». Vous avez une liberté. Pour le premier crédit, ça va
vite… puis un deuxième crédit car vous remboursez 100 ou 120 euros, ce n’est
pas grand chose sauf que… (…) J’ai perdu beaucoup d’argent comme ça. (...)
Et puis après vous faites un troisième crédit pour rembourser les deux
premiers. C’était un engrenage. (…)
[J’avais] pas de problèmes auparavant... Il y a eu cet ennui au travail, et cet
ennui aussi de… je ne sais pas… parfois on se laisse couler comme ça... Et
puis, je ne sais pas, l’argent représente tout: ça représente la famille que vous
n’avez plus, l’amoureux que vous n’avez plus, ça représente tout... »
Les personnes que nous avons rencontrées dans le cadre de cette étude ne sont pas
représentatives des personnes surendettées dans leur ensemble. Ayant déjà été aidées par
l’association Crésus, étant parfois déjà passées par des procédures de rétablissement personnel
ou ayant participé à des groupes de parole sur l’argent, elles ont eu l’occasion d’analyser à
maintes reprises leur situation et font preuve par conséquent d’un recul particulier par rapport
à leurs problèmes financiers.
Leurs témoignages ci-dessus nous permettent néanmoins quelques observations
illustratives de la problématique du surendettement.
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Premièrement, force est de constater la grande diversité des personnes rencontrées au
travers de ces entretiens : Bentadia est issue du regroupement familial, Alice est cadre en CDI,
Paul est architecte-urbaniste et a gagné de nombreux prix, Annie a toujours vécu de petits
boulots... Ils sont issus de milieux différents, ont des modes de vie différents mais souffrent
pourtant d’une même fragilité financière. Le surendettement est donc un problème qui touche
potentiellement « tout le monde », même si, comme le rappelle Annie, les personnes en
situation précaire sont plus conduites à devoir utiliser la “bouée de sauvetage” que constitue le
crédit, et parfois seulement pour pouvoir se nourrir.
Deuxièmement, ces témoignages illustrent les causes les plus communes de l’entrée
dans le surendettement. Comme Bentadia, tombée malade, Alice, quittée subitement par son
mari, Françoise, qui n’a pas supporté le changement d’atmosphère dans son entreprise, ou
Pablo, qui a perdu son emploi, la grande majorité des personnes que nous avons interrogées
font état d’un « accident de la vie » qui a profondément déstabilisé leur vie et leur budget.
Quand cet événement soudain et inattendu intervient dans un contexte financier ou social
précaire, la chute est d’autant plus irrémédiable.
Le sentiment d’avoir été manipulé, mal informé ou d’être tombé dans le “piège” des
banques est lui aussi récurrent, comme en témoignent notamment Françoise et Paul. Ceci
souligne une cause souvent sous-estimée du surendettement : les excès commis par les
banques et les sociétés de crédit dans la distribution du crédit, et les dangers du crédit
renouvelable.
Le cas d’Annie est représentatif d’une autre cause du surendettement, celle de
l’absence chronique de revenus qui pousse à emprunter pour survivre ou « manger à crédit ».
La précarité financière des ménages est malheureusement une réalité sociale qui constitue un
terrain fertile au surendettement.
Enfin, on peut souligner également, dans le témoignage de Françoise, l’aspect
symbolique de l’argent qui, « comme l’alcool », devient un danger dès lors que l’équilibre
affectif ou psychique est ébranlé.
11
LES CAUSES DU SURENDETTEMENT : QU’EN DISENT LES PERSONNES QUI
L’ONT VECU ?
Thème 2. La distribution excessive du crédit à la consommation et le « piège » du crédit
renouvelable
Une des causes du surendettement est le recours excessif au crédit à la consommation,
en particulier renouvelable.
Paul
« J’ai quatre prêts épouvantables parce que, comme un crétin, je suis tombé
dans le panneau il y a deux ans (…) Pour les trois prêts revolving, j’ai
commencé par aller acheter un fer à repasser ou une photocopieuse, et je suis
rentré dans l’engrenage épouvantable, non pas de ces premiers achats que j’ai
remboursés facilement, mais ils m’ont envoyé des papiers du genre « vous
voulez emprunter 1.000 euros etc., vous êtes un fidèle client etc. ». et je suis
tombé dans le panneau : dans les trois cas j’ai emprunté à chaque fois mille à
deux milles euros, et puis c’est parti pour des années de prêt avec des intérêts
monstrueux… donc, pour chacun des prêts revolving, je suis intervenu comme
j’ai pu pour faire baisser les mensualités, mais faire baisser les mensualités
c’est augmenter le temps de remboursement et ça augmente les intérêts, donc
c’est épouvantable… »
Françoise
« Les taux… les taux… on voit : « Recevez 2.000€ en 48 h »… sauf qu’on ne
voit pas les 20 % écrits en tout petit… on voit juste que c’est 4% pour
commencer. Ça, ce n’est pas cher, sauf qu’en tout petit c’est marqué « pendant
3 mois » et après évidemment c’est très dur. (...) Maintenant les crédits disent:
« Il faut être sûr de pouvoir rembourser », sauf que c’est n’importe quoi. Ils
pourraient vous demander si vous travaillez, et combien vous gagnez, si vous
avez d’autres crédits, mais ça ils ne vont pas le chercher. Et vous pouvez alors
prendre le crédit. »
Marie (bénévole)
« Avec le banquier, on essaye de trouver une solution. Parfois on va chercher
ailleurs pour rassurer le banquier. Et là c’est fou, ça devient l’escalade. C’est
revolving sur revolving sur revolving et ça ne se rembourse jamais parce que
par principe dans un revolving il n’y a presque pas d’amortissement de capital
(…) Les gens ne se rendent pas compte. Le taux dans la publicité [pour les
crédits renouvelables] est pour les trois premiers mois seulement. Ça c’est du
classique. »
Isabelle (bénévole)
« Il existe bien un engrenage : une personne prend un nouveau crédit pour
rembourser le précédent. Avec un crédit avec un taux de l'ordre de 20%, c'est
évident que la personne ne peut pas tenir : dans une mensualité de crédit
revolving, la moitié est affectée au remboursement du capital, le reste de
12
l'échéance est composé des intérêts et de l'assurance. Les emprunteurs
remboursent pendant des années et ne voient pas la fin de leur revolving. Afin
de pouvoir faire face aux échéances du revolving, les personnes réempruntent»
Il faut ici distinguer les banques « classiques » des autres organismes de crédit
spécialisés dans le crédit à la consommation. Ces maisons de crédit proposent notamment des
crédits renouvelables (ou “revolving”). Ces crédits ne représentent pas la majeure partie de
leur chiffre d’affaires, mais les établissements qui les proposent dépendent de ces produits
pour faire des bénéfices. Avant d’accorder un prêt, les banques vérifient la solvabilité des
emprunteurs de manière plus systématique que les organismes de crédit qui proposent des
crédits renouvelables. Lorsque la ligne de crédit est rattachée à une carte de fidélité, comme
cela se pratique couramment dans la grande distribution, ou lorsque le crédit est de faible
montant, ils demandent rarement une pièce justificative. La publicité agressive est trompeuse
lorsque les taux d’intérêts affichés sont très faibles : il s’agit de taux promotionnels valables
pour une courte durée. Après 6 mois ou 1 an, les taux d’intérêt de ces crédits renouvelables
sont compris entre 15 et 20% (TEG, taux effectif global).
Semblables à un découvert bancaire, les crédits renouvelables sont conçus pour être
utilisées comme une réserve de trésorerie, en cas de dépense imprévue. La manière dont ils
sont souvent vendus par les banques et utilisés par certaines personnes les détournent de cette
fonction initiale, notamment lorsqu’ils sont rattachés à une carte de fidélité. Les personnes
ayant des difficultés à gérer l’argent sont particulièrement vulnérables face aux crédits
renouvelables4. L’explosion du nombre de dossiers de surendettement déposés auprès de la
Banque de France a incité le législateur à faire évoluer la réglementation du crédit à la
consommation, auparavant assurée par la loi Scrivener, qui datait de 1978. La loi sur le crédit
à la consommation et le traitement du surendettement du 1er juillet 2010, dite “loi Lagarde”,
vise à mieux encadrer la distribution du crédit à la consommation, principalement en faisant
respecter « l’impératif élémentaire consistant à s’assurer des capacités de remboursement de
tout futur emprunteur »5. Elle impose notamment aux établissements bancaires de fixer des
mensualités de remboursement d’un montant suffisant pour que le client rembourse le capital
emprunté, et non pas seulement les intérêts.
Souvent, quand ses problèmes financiers commencent, la personne endettée pratique
une sorte de fuite en avant : elle contracte un second crédit pour rembourser le premier puis
un troisième crédit pour rembourser le second en pensant régler le problème... Cela lui permet
de gagner un peu de temps mais aggrave considérablement sa situation financière globale,
particulièrement quand il s’agit de crédits renouvelables. Cette fuite en avant n'est pas sans
rapport avec les lacunes qu'on observe parfois en matière de gestion budgétaire et, de manière
générale, avec l'éducation des personnes, qui influence considérablement leur rapport à
l'argent.
Thème 3. L’éducation budgétaire et la gestion de l’argent
La gestion de l'argent est une chose qui s'apprend. Les personnes rencontrées sont
nombreuses à penser que l'éducation budgétaire devrait être assurée par l'école.
Julia
4
5
On s’intéressera aux difficultés à gérer l’argent dans la section suivante
Rapport d’activité CIFP 2010. S’y référer pour une description plus complète de la loi Lagarde (p.14).
13
« On ne nous apprend pas le budget quotidien, c’est censé être inné ! A l’école
on ne nous l’apprend pas, mes parents ne me l’ont pas appris. »
Pablo
« Je trouve que, déjà quand on est enfant, il faudrait commencer à parler
d’argent, apprendre à le gérer comme un comptable. Ça devrait être l’une des
matières principales. Parce que moi, je n’ai jamais eu personne qui m’a appris
à gérer l’argent, sauf maintenant. Je suis né dans un magasin d’alimentation. Il
y avait le tiroir avec l’argent et ma mère me disait : « Prends si tu as besoin ».
Alors c’était facile. (…) Après pendant toute ma vie, je n’ai jamais eu de
formation sur l’argent ; pour moi l’argent c’était quelque chose dans la poche.
C'est-à-dire que s’il y en a c’est que Dieu me l’a mis dans la poche pour le
dépenser.
Je n’ai jamais mis d’argent de côté de ma vie. Je trouvais que c’était du
gaspillage, je ne voyais pas à quoi ça servait. (…) J’ai exagéré parfois parce
que pour moi, l’argent c’était fait pour être utilisé et je ne me sentais pas
coupable de le dépenser. C’est à cause d’une absence de formation. Je n’ai
jamais pensé trop à l’argent. (…) Le vrai problème financier, il est dans la tête,
il est là depuis que je suis né : la mauvaise gestion de l’argent, l’incapacité
même à le gérer. J’ai beaucoup réfléchi à ça. »
Paul
« Si j’en suis arrivé là, c’est parce que je m’y suis mal pris dans la gestion de
mon agence. J’ai trop investi, je n’ai pas du tout bien calculé les entrées et
sorties, j’étais toujours plongé dans un concours, plongé dans un rendu de
projet, j’ai employé trop de monde. (…) Pendant des années ça se passait bien,
j’avais un compte professionnel et un compte personnel, et je jouais un petit
peu de l’un sur l’autre, j’ai triché comme ça pendant des années. (…) Je me
souviens même que, quand j’étais associé avec mes deux autres confrères je
m’endormais lors des longues réunions avec le comptable. »
Marie (bénévole)
« Je crois que le problème c’est avant tout une méconnaissance des
mécanismes de l’argent, ce qu’on appelle “l’illettrisme de l’argent”. Une
méconnaissance totale de ce qu’est un compte bancaire, de ce qu’est une
relation bancaire, de ce qu’est un budget etc. (…) Le problème c’est ça :
personne ne nous apprend à gérer un budget, sauf si on a des parents
gestionnaires, auquel cas ils vont transmettre cette sensibilité. Mais
globalement, ce n’est pas quelque chose de courant. Je crois qu’il y a d’abord
et avant tout cette question de méconnaissance de son budget. Au départ c’est
plutôt un problème de gestion. Et cela prend des tournures dramatiques lorsque
par-dessus cela, il y a des accidents de la vie. (…) A la fin de la formation
budgétaire, les participants nous disent souvent : « Mais pourquoi est-ce qu’on
ne nous a pas appris tout ça avant ? » Je pense que l’éducation budgétaire
14
devrait faire partie des enseignements de base, sous une formule à recréer. (…)
Pour beaucoup, les relevés de compte s’entassent, les enveloppes ne sont pas
ouvertes, rien n’est classé. »
Isabelle (bénévole)
« [Les surendettés] sont des personnes qui, au départ, ont mal étudié leurs
capacités de remboursement, ou se sont fait des illusions ou encore avaient des
achats indispensables à faire. Il y a aussi la catégorie des gens qui considèrent
que leur minimum vital est une donnée, et qu'il faut qu'ils se le procurent d'une
manière ou d'une autre. Et quand les revenus ne sont pas au rendez-vous, ils
s'endettent. Ils ne savent pas adapter leurs dépenses à leurs revenus. C'est un
problème de gestion budgétaire.
(…) C'est à l'école que l'on devrait apprendre la gestion budgétaire, la gestion
d'un compte bancaire, et le fonctionnement du système bancaire. Les gens ne
devraient pas se retrouver dans des situations qu’ils sont dans l'incapacité de
comprendre. Cela paraît effarant, aujourd'hui. Et puis c'est psychologiquement
très lourd à porter. »
Des problèmes de gestion de l’argent sont souvent à l’origine de difficultés financières,
voire d’une situation de surendettement. Un nombre significatif de personnes apparaissent «
gravement démunies de compétences en matière de manipulation de l’argent, de gestion de
leur budget et d’utilisation des services bancaires (…) [Elles] ne classent pas leurs documents
administratifs et financiers, ne connaissent pas ou connaissent mal le montant de leurs
ressources, de leurs dépenses, de leurs dettes, du solde de leur compte bancaire, elles ne
constituent pas d’épargne de précaution, n’anticipent pas leurs revenus et leurs dépenses à
venir6 ». Cette difficulté à gérer l’argent les rend plus vulnérables au risque de
surendettement.
Il y a plusieurs raisons pouvant expliquant ce phénomène, qualifié d « illettrisme de
l’argent ». Tout d’abord l’absence totale d’éducation budgétaire et bancaire au cours de la
scolarité, que l’on peut déplorer. La mise en place d’un enseignement de ce type permettrait à
tous de se familiariser très tôt avec la gestion de l’argent et d’être ainsi moins exposés à des
difficultés financières. Ensuite, le dialogue parfois insuffisant avec les banquiers. Enfin le
rapport de chacun à l’argent7 : on peut refuser de s’en occuper parce qu’on le méprise ou
parce qu’il nous dégoûte ou nous angoisse.
L’illettrisme de l’argent n’est qu’une des causes possibles menant au surendettement et
il est évidemment possible de se retrouver en situation de surendettement tout en gérant bien
son budget et en ayant une relation saine à l’argent. Ceci est particulièrement vrai pour les
catégories sociales les plus fragiles, pour lesquelles la bonne gestion d’un budget ne peut pas
constituer une solution suffisante au problème d’insuffisance de revenu.
6
Synthèse du rapport d’étude réalisée par des étudiants de l’IEP Paris : Promouvoir l’éducation budgétaire et
bancaire en France (2011)
7
cf. section suivante
15
Thème 4. Culture et rapport à l’argent
Le déficit d’éducation budgétaire qui ressort parfois des témoignages pose, d’un point
de vue plus largement culturel, la question de la perception de l’argent dans la société.
Paul
« Je suis de famille bourgeoise, j’ai été un enfant très gâté par la vie, j’ai fait
des études brillantes, quatre ans à l’étranger, une femme merveilleuse, des
enfants etc. (...) Tout pour bien vivre. Et je ne me consacrais au départ qu’aux
études, ensuite aux concours, et à réussir mon travail d’architecte, sans aucune
attention à l’argent. (...) [Chez moi,] on ne parlait pas d’argent à table, un
tabou bien sûr, une question d’éducation. (...) Non seulement [la gestion du
budget au quotidien était] une lacune, mais aussi une angoisse. C’était du non
dit, c’était comme de parler de sexe, c’était complètement secret. Donc c’était
caché au niveau sexuel, caché au niveau argent, on n’en parlait pas, c’était
exactement au même niveau. »
Pablo
« Pour moi, l’argent a toujours été tabou. (...) Quand je faisais mes études de
missionnaire catholique, ils m’ont mis dans la tête pendant cinq ans que
l’argent n’est pas important. Les prêtres catholiques t’apprennent à rester
pauvre, même si eux ils sont très riches. Peut-être que c’est à cause de ça que
je n’ai jamais donné d’importance à l’argent. Si j’ai un euro dans la poche et
que quelqu’un en a besoin, je le partage avec lui. »
Marie (bénévole)
« On a tous de la culpabilité par rapport à l’argent puisqu’on a baigné
culturellement là-dedans. Cela peut jouer dans la vie professionnelle, par
exemple la difficulté à demander à un patron une augmentation de salaire. »
Les entretiens que nous avons réalisés expriment une réalité qui est sans doute bien
trop souvent négligée par les institutions bancaires ou les administrations. Cette réalité, que
Crésus s’applique à prendre en compte au maximum, est la singularité du rapport que chaque
individu entretient avec l’argent. Loin d’être neutre, ce rapport est chargé de significations.
Cette charge symbolique, affective, qui entoure le rapport à l’argent, peut être un obstacle à
une gestion saine et raisonnée du budget d’un ménage au quotidien.
Ce rapport singulier à l’argent s’inscrit dans un cadre culturel plus global. En France,
l’argent reste encore souvent un sujet tabou, un sujet que l’on n’aborde pas à table comme le
rappelle Paul dans son entretien. Ce tabou a sans doute favorisé dans son cas une négligence,
un désintérêt pour les questions de gestion, qui ont contribué à créer les conditions de ses
difficultés financières. La culture chrétienne a pu participer à faire de l’argent ce sujet tabou,
rattaché à un sentiment de culpabilité, comme le dit Marie. Pablo souligne lui aussi les
contradictions d’une culture “hypocrite” qui minore la valeur de l’argent dans une société où
il occupe pourtant une place centrale.
16
L’existence et la persistance de ce substrat culturel n’ont qu’un impact limité sur les
situations de surendettement que nous avons rencontrées. Cependant, il nous a semblé
important de nous arrêter un moment sur certaines des racines profondes de notre culture qui
façonnent encore aujourd’hui le rapport à l’argent d’une partie de la population8.
Ce rapport à l’argent peut être une des causes profondes d’une “mauvaise” gestion de
l’argent au quotidien, même s’il en est rarement la cause unique. La majorité des dossiers de
surendettement sont déposés par des personnes en situation de précarité, ayant du mal à
« joindre les deux bouts » suite à un accident de la vie (par exemple un épisode de chômage,
consécutif ou non à une maladie, ou encore un divorce).
Thème 5. Les accidents de la vie
Elizabeth (bénévole)
« Est-ce qu’on peut être surendetté quand on a une relation très saine à l’argent
? » : c’est une bonne question. Oui. Je pense que, même si on a une relation
très saine à l’argent, quand on n’a pas de quoi vivre et qu’on ne peut pas
nourrir ses enfants, on va demander un prêt et puis on se dit qu’on arrivera bien
à le rembourser… et ça peut commencer comme ça. Moi je pense que oui. Je
suis sûre que oui. B., par exemple, elle a une relation très saine à l’argent. Mais
elle est obligée de faire tellement attention que, de temps en temps, elle a pris
un crédit. Quand vous avez un frigidaire qui pète en plein été et que vous avez
des gamins, qu’est-ce que vous faites ? »
Bentadia
« Pour moi, ce sont les circonstances extérieures. Je n’ai jamais eu de
problème pour gérer mon argent. Jamais. Je savais où je mettais l’argent, je
savais ce que je faisais. Si je n’avais pas eu cet ennui de santé qui m’a fait
perdre mon boulot, je crois que j’aurais assumé jusqu’au bout. »
Isabelle (bénévole)
« On a souvent des personnes tout à fait capables de gérer leur budget, à qui il
est arrivé un accident, et qui n'ont pas réagi tout de suite. C'est l'engrenage.
C'est le point commun à beaucoup de situations, quel que soit le type
d'accident, que ce soit divorce, chômage, maladie, retraite... Depuis que je
monte des dossiers de surendettement chez Crésus, j'ai vu très rarement des
personnes qui s'étaient endettées volontairement. D'ailleurs, c'est repéré très
vite par les créanciers, qui font un recours, et défendent cette position devant le
juge.
Les recours excessifs au crédit que j'ai vus étaient souvent liés à la dépression,
à la maladie. (…) C'est quand même l'accident de la vie qui est la cause
8
Cf. Beaujouan J., Relation à l'argent et surendettement (in Familles et surendettement, N° spécial de la revue
Réalités Familiales, de l'UNAF. 2010), et Notre relation à l’argent, une affaire complexe, série de conférences
réalisées en 2010 et 2011 pour la MAIF
17
essentielle des dépôts de dossiers de surendettement. Un accident de la vie, on
peut rarement l'anticiper. On le prévoit en faisant des économies, en étant
prudent dans les dépenses, mais quand le niveau de revenu est faible, la marge
de manœuvre est également faible. »
Pour les personnes dont les revenus sont faibles9, il est très difficile de constituer une
épargne de précaution afin de faire face aux imprévus. En effet, leurs rentrées d’argent
permettent tout juste de couvrir leurs frais fixes et leurs dépenses indispensables. Par
conséquent, lorsqu’elles se retrouvent confrontées à une dépense imprévue (voir l’exemple
cité du réfrigérateur qui tombe en panne) ou plus gravement à un accident de la vie (chômage,
divorce ou séparation, maladie, décès…), elles ne peuvent pas s’appuyer sur un matelas
financier leur permettant de tenir le temps de trouver une solution. Le recours excessif au
crédit les expose à des difficultés financières. Ces difficultés envahissent la vie quotidienne
des personnes en situation de surendettement.
9
En 2008, environ 8 millions de personnes, soit 13% de la population française, vivaient avec un revenu
inférieur au seuil de pauvreté fixé par l’UE (950 euros par mois et par personne)
18
LE VECU DES PERSONNES SURENDETTEES
Thème 6. La violence des difficultés matérielles au quotidien
La précarité matérielle dans laquelle les personnes évoluent au quotidien constitue sans
doute un dénominateur commun aux situations évoquées. Cette précarité est souvent
originelle, préalable à la situation d’endettement. Le recours au crédit a alors pu servir à la
tempérer. Dans tous les cas, et en particulier en aval de la procédure de surendettement,
l’ensemble des témoignages concordent pour illustrer les difficultés matérielles du quotidien,
d’autant plus criantes que les injonctions à la consommation sont nombreuses dans la société.
Marie (bénévole)
« Déposer un dossier de surendettement, c’est très important mais ce n’est
qu’une première étape. La deuxième étape, c’est que les personnes apprennent
à vivre avec ce qui leur reste. »
Elizabeth (bénévole)
« Le reste à vivre accordé aux personnes surendettées par la commission de
surendettement est relativement modeste. Elles doivent s’en contenter pendant
les cinq à huit ans que dure généralement le plan conventionnel de
redressement. Beaucoup ont du mal à le respecter sans jamais faire d’accroc »
Annie
« Autre astuce aussi : la consommation énergétique. Je supprime carrément ou
bien je n’utilise mon four qu’une fois par mois, une grosse tarte ou un gratin
qui dure trois fois. La nuit nous fermons les barrettes électriques. »
Pablo
« Je ne vis pas, je survis. Je vais manger le soir à Caritas près de la mairie.
C’est triste, c’est un peu dur.
Je contrôle beaucoup mieux maintenant. L’absurde, c’est qu’avec 3.000 euros
je n’arrivais pas à la fin du mois, alors qu’aujourd’hui avec 400 euros j’arrive à
la fin du mois. Mal, très mal (...) J’arrive à survivre très mal mais j’arrive à la
fin du mois avec le RSA. (…)
Pour moi, le restaurant c’est le plaisir de parler avec des copains. Les affaires
se font au restaurant, c’est une façon de vivre. Maintenant je n’y vais plus
depuis trois ou quatre ans. »
19
Paul
« Par exemple, voyager gratuitement je ne peux pas, parce que j’ai des impôts
tels que je n’ai pas droit aux transports gratuits. Ce qui fait que dans quelques
jours, je ne pourrai même plus prendre le métro, parce que je n’ai plus de
sous… »
Alice
« Les restrictions ? Principalement les loisirs, ceux des enfants entre autres.
J’économise sur tout : la nourriture, les habits… La vie est devenue très
restrictive en fait. (…)
Devoir dire à votre enfant : « Cette année on ne va pas aller en vacances parce
que je peux pas », c’est terrible... On est passé d’un contexte où on bougeait,
on sortait, on avait l’habitude de ne pas trop se priver, sans tomber dans
l’excès, mais on partait en vacances, on allait au cinéma, au musée… et
aujourd’hui, plus rien... C’est tous les projets réduits à néant... il n’y a plus de
projets. (…)
Par moments, j’ai le sentiment d’être en prison, même si je n’y suis pas
vraiment. J’ai du mal à voir l’avenir, il faut que je reconstruise toute ma
manière de penser, c’est très difficile de se reconstruire. Ce en quoi je croyais,
je n’y crois plus comme j’ai pu y croire. Le schéma des Bisounours, la petite
famille dans la prairie, ce n’est plus pour moi, c’est fini… »
Françoise
« L'assistante sociale me dit : « Est-ce qu’Internet c’est important pour vous...
? » Et à l’époque, je dis : « Non, à part les mails... ». Elle me dit : « Eh bien
vous pouvez arrêter quelque temps » … et elle a sucré donc les cigarettes, et
internet et je ne sais pas quoi, soit tant d’argent.
(...) Je fais hyper attention, je suis à 50 centimes près. (...) Il y a peu, je me suis
dit que dans quelques années, c’était à notre immeuble de faire le
ravalement… et que je n’allais jamais en sortir si je paie mon loyer et si je
continue à payer mes petits crédits… ça coûte cher un ravalement ! Je ne peux
pas mettre de sous de côté parce que je rembourse les crédits. »
Bentadia
« Mon cas avait quand même beaucoup frappé Crésus, parce que vivre de rien
comme ça… Je ne pouvais plus rien rembourser, ni manger ! Je n’avais rien
pour m’acheter à manger ! »
Elizabeth (bénévole)
« C’est terrible de dire aux gens : les 50 euros que vous avez dans votre
portefeuille, ça doit vous faire la semaine. Et puis de regarder avec les gens sur
20
quoi ils pourraient économiser. C’est comme un médecin qui dit à son patient :
“Il faut qu’on vous opère de ceci, ou de cela » alors qu’on n’a aucune envie
d’être opéré ! Etre continuellement obligé de penser à l’argent, c’est infernal !
»
Le parcours des personnes interrogées comporte une phase de remise en cause violente
de leur mode de consommation, qui dure souvent pendant plusieurs années. Financer les
besoins de première nécessité peut ainsi devenir une préoccupation permanente. Elles doivent
faire des coupes sombres sur la plupart des postes budgétaires, avec des conséquences très
lourdes sur le plan humain : restrictions alimentaires (Bentadia) ; précarité énergétique
(Annie) ; angoisse pour régler le loyer ; loisirs (Alice) ; transport et mobilité géographique
(Paul).
En parallèle, leur horizon temporel de vie est circonscrit au court terme, dans un
paradigme de survie. Leurs difficultés financières limitent gravement leur capacité à se
projeter dans le futur et leur simple capacité à vivre normalement jour après jour. Elles ont
des implications relationnelles, émotionnelles ou psychologiques très fortes et laissent parfois
surgir le spectre de la dépression et du désespoir, notamment lorsque la personne est
psychologiquement fragile ou entre dans un âge avancé.
Thème 7. Les conséquences du surendettement sur les relations sociales
Ces restrictions modifient profondément les relations sociales des personnes que nous
avons interrogées, dans un sens souvent négatif, mais parfois également positif.
Pablo
« Pour moi, c’est impossible d’en parler avec mes amis parce qu’ils ne
pourraient pas me croire. (…) Je trouve que c’est honteux. Quand le minimum
social est de 742 euros et que tu as 400 euros, c’est une honte. Comment tu fais
pour faire comprendre ça aux autres ? Ça ne sert à rien, ils ne te croient pas.
Dans ma vie, il y a vraiment un double : il y a le moi officiel et le moi de
l’autre côté. Je suis très souvent invité mais je n’y vais pas. Tu peux être invité
une fois, deux fois mais après c’est à toi de payer. Du coup je n’y vais pas, je
trouve des excuses. Qu’est-ce que tu veux faire dans ces moments-là ? Et petit
à petit, à force de refuser les invitations, les gens ne t’appellent plus et alors tu
deviens un exclu. A cause des problèmes d’argent. C’est un type particulier
d’exclusion. Tu ne peux rien faire avec 400 euros, tu es automatiquement
exclu. »
Bentadia
« Je n’ai pas d’amis avec qui je peux parler de ce genre de choses. Je suis la
confidente de beaucoup de personnes mais je ne me confie pas. Je suis toujours
à l’écoute pour les autres. J’aurais fait quelque chose pour quelqu'un qui venait
me voir pour ce genre de problème, je l’aurais accompagné, je l’aurais
soutenu. Mais moi personnellement, je n’ai personne pour me soutenir. Les
21
gens croient toujours que je suis sans problème. Ils viennent se confier à moi et
j’essaie de trouver des solutions à leurs problèmes. Ils n’ont jamais cru que je
pouvais avoir des problèmes. (…) Je n’ose pas raconter et puis il n’y a
personne avec qui je pouvais en parler.
Avant, j’envoyais toujours de l’argent à tout le monde. Même si c’est 30 euros
par-ci, 20 euros par-là, à chacun ou à quelques-uns, ou à ma tante ou à un
oncle malade, qui n’a pas de médicaments, pas d’argent, qui veut voir un
médecin, qui veut faire des radios… (…) A mes neveux qui sont en Afrique,
j’envoyais tous les mois à chacun peut-être 15 euros. Quand j’ai commencé à
dire : j’ai plus de boulot, je suis malade, je ne travaille plus, je n’ai pas de
moyen..., ils croyaient que je devais toujours leur envoyer de l’argent ! Il a
fallu que je leur dise qu’avant, j’assumais, mais qu’aujourd’hui je ne peux
plus.»
Paul
« Dans ma famille, tout le monde est au courant de ma situation. On est huit
frères et sœurs. Je n’ai pas demandé d’argent à tous bien sûr, j’ai demandé
principalement à deux d’entre eux qui sont architectes, qui comprennent mieux
ma situation, parce qu’ils se disent : « Pourvu qu’on n’en arrive pas là quand
on aura son âge ». Ils m’ont très généreusement aidé. Je n’ai pas demandé aux
autres parce qu’ils n’en ont pas les moyens, sauf un qui aurait largement les
moyens de le faire mais n’a jamais voulu, comme pas mal d’amis qui ont
refusé de m’aider... à juste titre parce que ça casse l’amitié évidemment quand
on ne peut pas rembourser.
Donc voilà pour mes frères et sœurs, et encore là en décembre, (...) j’ai
demandé à ma sœur qui a vingt ans de moins que moi, comme elle l’a fait déjà
deux fois, de me rembourser des frais professionnels, c'est-à-dire des frais de
métro, de taxi, de bureautique etc. (...) mais elle a refusé, et je n’ai pas
insisté…
J’ai perdu certains amis parce que je n’ai pas réussi à leur rembourser les mille
ou deux mille euros que j’avais empruntés… J’ai une amie merveilleuse, je lui
dois encore 500 euros, je ne peux pas les lui payer et c’est tendu… »
Julia
« La première fois que j’ai demandé de l’argent à mes parents, c’était difficile.
Il y a un aspect d’échec. (...) Mais aujourd’hui, c’est différent quand même.
Étant donné le chômage, aujourd’hui, les problèmes d’argent ça devient plus
commun, on en parle plus, c’est plus ouvert. Avant, c’était différent. Et puis, je
le cachais, je me disais : « C’est un échec ? Oui mais voilà, j’essaye fort donc
ça m’excuse ». Mais c’est aussi, je pense, par rapport à la notion : il faut
travailler dur pour avoir de l’argent. Ça c’est aussi quelque chose de familial.
Ne pas avoir de l’argent signifie ne pas travailler.
Quand il y a des décalages de revenus et que l’autre personne aime bien sortir
dans les beaux endroits, qu’est-ce qu’on fait ? Je trouve que c’est difficile à
22
Paris : comment on fait pour rencontrer l’autre quand il est un peu bourgeois ?
J’ai une copine que je ne vois plus parce qu’elle ne peut pas comprendre que
mettre 35€ pour aller au hammam, pour moi c’est trop cher... (...) Le fait
d’avoir moins d’argent, ça veut dire sortir différemment… (...) Et je peux
comprendre aussi comment, quand on a moins d’argent, on peut s’extraire du
monde. Il y a des gens avec qui je me sens mal, parce que je devrais oser leur
dire : « Non, je ne peux pas aller dans ce style de restaurant ! » Il y en a qui
n’ont même pas la finesse d’y penser : on va au resto, chacun prend ce qu’il
veut, et à la fin ils disent : « On n’a qu’à diviser tout par 5 ! » Avoir le courage
de dire : « Moi je n’ai pris que ça, je suis désolée mais… », c’est dur. (...)
Il y a des personnes que je ne vois plus. Mais il y en a d’autres avec qui je
n’osais pas en parler, mais maintenant on en parle. »
Alice
« Mes enfants savent. Ils ont vu déjà la situation se dégrader avec mon mari
parce que je voulais qu’il retravaille et lui ne voulait pas retravailler. Ils l’ont
vu partir, ils m’ont vue faible, très faible. Je pense que je ne pouvais pas leur
cacher de toute façon. Et puis, de mon point de vue, il n’est jamais très bon de
cacher les choses aux enfants. Après, il y a la manière de dire les choses, donc
je leur ai expliqué. Je leur ai expliqué que ça allait être difficile, que ça allait
être une mauvaise période... Ils l’acceptent bien... j’ai la chance d’avoir des
enfants qui ne sont pas trop exigeants. Ils ne demandent pas les dernières
marques, les derniers téléphones… J’ai cette chance là. (...)
Ils ne m’ont même pas trop questionnée, je pense qu’intuitivement ils devaient
savoir que je n’étais pas capable de leur répondre. Ils m’ont surtout épaulée en
me disant : « Ne t’inquiète pas maman, tu es forte, tu vas t’en sortir », à
essayer de se faire les plus discrets et les plus gentils possible... (...) Ils m’ont
beaucoup aidée à tenir. Parce qu’ils n’y étaient pour rien, parce qu’ils avaient
besoin de moi, ils m’ont aidée à me lever beaucoup de matins. (…)
L’autre jour, mon fils m’a dit: « Moi je suis très heureux comme ça », ce qui
m’a surprise. Il m’a sorti ça d’un seul coup, il m’a dit « Moi j’ai ce qu’il me
faut, j’ai des jeux vidéo, je vais à l’école, j’ai à manger, je suis bien dans ma
chambre, qu’est ce que tu veux que je demande de plus ? ». Je lui ai dit :
« Mais pourquoi tu me dis ça… ? » Et il m’a répondu : « Je te le dis parce qu’il
faut que tu le saches, je suis bien. »
Ce ne sont pas forcément les personnes à qui on pense qui vous aident, c’est
assez révélateur… (…) c’est peut-être rien mais j’ai une collègue, que je ne
connaissais pas bien à l’époque (…), qui m’a vue en pleine dépression, je
pleurais au bureau etc. Elle est venue me voir et elle m’a demandé ce qui se
passait donc je lui ai résumé grosso modo. D’abord elle m’a demandé : « Tu as
besoin de combien pour remplir ton frigidaire ? » Elle m’a fait un chèque, ce
qui était assez exceptionnel. Et tous les jours elle m’envoyait un mail positif en
me disant : « Les problèmes d’argent ça passe toujours, ne t’inquiètes pas, tu as
la santé, tu as tes enfants… » et elle me faisait des graphiques avec du rose du
gris, le baromètre du jour quoi... J’ai eu cette chance-là, j’ai été entourée.
23
(…) J’ai quelques amies d’enfances qui sont toujours là présentes autour de
moi, au moins pour m’épauler psychologiquement. Et puis le travail. Je pense
que si je n’avais pas eu mon boulot, je me serais peut-être laissé beaucoup plus
aller. Quand on a un boulot on est obligé d’assurer, on ne peut pas se mettre à
pleurer comme ça… En plus, je travaille dans les ressources humaines… Donc
ce n’était pas forcément très simple, mais effectivement ça m’a forcée à me
surpasser, quelque part.
(…) Je suis quelqu’un de très orgueilleux, je ne sais pas demander. C’est peutêtre un problème d’être comme ça, moi je ne sais pas demander. Exceptée cette
collègue qui m’a vue et qui a eu cette démarche… je lui ai dit : « Je ne peux
pas te rembourser maintenant, je ne sais pas quand je pourrai te rembourser »,
elle m’a dit : « Ce n’est pas grave … » J’ai quelques amies autour de moi, si
vraiment j’ai besoin qu’elles fassent les courses elles le feront, ce sont des
amies d’enfances, ça nous a rapprochées peut-être. »
Le témoignage d’Alice, sur ce thème, est plus positif que les autres. Elle nous parle du
soutien qu’elle a reçu de ses enfants, mais aussi celui de cette collègue dont elle n’était
pourtant pas amie, de la présence de ses amis d’enfance dont elle s’est rapprochée, de son
métier qui l’a aidée à tenir debout... et souligne ainsi l’importance de ses ressources
relationnelles pour surmonter les difficultés financières.
Mais les autres témoignages nous montrent que le surendettement a souvent des
conséquences dramatiques sur la capacité à rencontrer l’autre, à se confier, à soigner les
amitiés. Il crée un trouble dans la relation avec autrui.
Les problèmes d’argent sont, la plupart du temps, vécus avec un sentiment de honte et
d’échec. Ceux qui les subissent ont du mal à les assumer et à en parler librement avec leur
entourage. Bentadia et Alice nous parlent toutes deux de cette fierté qui les empêche parfois
de se confier aux autres ou de demander de l’aide. Bien qu’atténué, selon Julia, par le contexte
de crise financière, le tabou qui entoure les problèmes d’argent pousse les personnes en
situation de crise financière à s’isoler, par honte ou par peur de l’image qu’elles renverraient
si elles se confiaient à leur entourage.
Il est déjà difficile de demander de l’argent ou de l’aide à des proches à cause du
risque, évoqué par Paul, que cela fait encourir à ces relations.
Mais les relations à autrui des personnes en difficultés financières sont également
perturbées à cause de la place centrale que l’argent occupe dans l’espace social : la
consommation permet en effet de se forger une identité reconnue par les autres membres de la
société et aussi de rencontrer l’autre dans le cadre de la vie sociale.
Julia et Pablo expriment ces difficultés de façon saisissante : comment rencontrer
l’autre quand on ne peut pas aller au restaurant, au cinéma, au café, au hammam avec lui... ou
qu’on a trop honte ou trop peu de moyens pour l’inviter chez soi ? Comment conserver des
liens avec ceux qui ont un niveau de vie et des loisirs - y compris parfois les plus banals qu’on ne peut plus se permettre? Très vite, le manque d’argent conduit à l’exclusion sociale,
qui renforce le vécu douloureux du surendettement, et de la solitude qui l’accompagne.
24
Thème 8. Le harcèlement par les établissements bancaires
L’équilibre relationnel est souvent perturbé également à un second niveau par la
dégradation des rapports entretenus avec les créanciers. Quand leurs clients cessent de
rembourser, les banques essaient, parfois en utilisant tous les moyens à leur disposition, de
récupérer leurs créances.
Bentadia
« Courriers des huissiers… Tous les matins, je recevais 4-5 courriers : huissier,
huissier, huissier, huissier… Par rapport au loyer, par rapport au crédit, tout,
tout… Et la banque qui m’appelait tout le temps pour 1000 euros. Ils me
harcelaient tout le temps : « Madame, vous pouvez voir avec les copines pour
vous prêter 100 euros ? » J’ai dit : « Je n’ai pas un rond ! Un centime, je n’ai
pas. Je suis chez vous depuis 30 ans et je n’ai jamais eu de problème. J’ai eu
des ennuis de santé, j’ai perdu mon boulot, et vous m’appelez, vous me
harcelez pour 1000 euros ! (…) A 19 heures, elle m’appelait parfois, 19
heures… ! »
Alice
« On est plus que harcelés – entre autres par la société avec laquelle j’avais le
crédit pour la voiture, qui m’a proposé un rachat de crédit, m’a dit que j’étais
complètement stupide d’ouvrir un dossier à la Banque de France, que j’allais
en avoir pour des années (…). Des coups de téléphone, des courriers…
principalement les huissiers, ça s’est très vite calmé, puisque j’ai rouvert un
dossier de surendettement que je règle régulièrement. J’ai quand même été
convoquée quatre fois au tribunal. (…) C’est désagréable, ça veut dire du
stress, ça veut dire prendre des journées de RTT aussi… »
Paul
« Il y avait un double jeu chez les assistantes de la banque, dont la plus jeune
était prête à m’aider en me faisant miroiter un petit découvert, en me disant :
« On va y arriver ». Et l’autre, plus âgée disant : « Non, c’est terminé, on ne
vous accorde plus rien », et j’ai mis du temps à comprendre qu’elle avait
raison. (…) Tout ce qu’on a su me dire à la banque, à l’époque, c’était : « Vous
dépensez trop, mettez-vous en surendettement, au revoir Monsieur, je n’ai pas
de temps à perdre avec vous. » C’est tout ce qui m’a été dit. (…) Je ne
comprends pas qu’elles [les banques] ne soient pas capables d’avoir une
personne au moins qui fasse (...) ce que fait Crésus.
Les huissiers ont été ma vie quotidienne pendant mes dernières années de vie
professionnelle (…) c'est des courriers, des recommandés, des huissiers qui
passent et qui font la liste du matériel qu’ils vont vous enlever. (…) ça fait des
années que je vis en tension permanente, donc ça fragilise énormément
psychologiquement. »
25
Françoise
« On a l’impression que quand vous voulez vous en sortir, les sociétés de
crédit vous mettent des bâtons dans les roues. (…) Là, vous voulez tout arrêter
mais c’est sans fin... comment on vous parle, c’est affreux... Il n’y pas de
moralité (…) ils vous font dire que vous ne faites rien. Mais ce n’est pas que je
ne veux rien faire pour l’instant, c’est que je suis coincée... Ils disent : « Vous
n’avez rien fait ! ». « Mais attendez, je ne peux vous payer que 30 €, c’est
vous qui refusez les 30 € ». Parce qu’eux ils veulent 500 ou rien (…) pour vous
mettre dans la panade, et puis le mois suivant vous ne pourrez plus, parce
qu’en fait c’est sans fin, vous ne pourrez pas avoir une trésorerie saine. (…) et
puis si vous ne faites plus attention à vos comptes, vous ne vous en sortirez
jamais, ce n’est pas possible. »
Isabelle (bénévole)
« Concernant les relations avec les banques, les gens sont souvent passifs. Ils
prennent les événements comme ils se présentent. C'est la banque qui dicte les
règles (…) Quand ils arrivent [au centre social], ils sont complètement pris par
les événements et n'ont plus aucun moyen d'action. »
Thème 9. La souffrance psychique ressentie par les personnes surendettées
Le manque d’argent au quotidien, la difficulté à parler de ses problèmes et le
harcèlement par les banques ont une forte incidence sur le psychisme. Cette souffrance
psychique se manifeste de différentes façons selon les personnes.
Françoise
« Quand vous rentrez chez vous et qu’il n’y a personne pour partager peines
joies ou autres, c’est très difficile. A un moment donné, il y a un ras le bol, et
je me suis laissée couler, je me suis dit : « Je m’en fous ».
J’avais peur (…) j’étais mal, je pleurais pour un rien... j’étais tellement mal, je
me suis dit : « Je ne veux pas rester toute seule. Si je n’arrive pas à rencontrer
quelqu'un, c’est la fin de ma vie, j’avais peur de mourir toute seule. »
Pablo
« Après tout ça, j’ai eu une déprime grave. Jusqu’à maintenant elle m’a
empêché de trouver un emploi. Après la première déprime, j’ai eu un grave
infarctus. (…)
Je ne vis pas, je survis. Je vais manger le soir à Caritas près de la mairie. C’est
triste, c’est un peu dur. Tu trouves tous les types de personnes : des pauvres
gens qui viennent d’arriver de l’étranger, des fous. Moi je rentre là une demiheure : je rentre et je sors. Je ne parle à personne, je me méfie, l’ambiance est
26
un peu rude. Je n’aurais jamais imaginé en arriver là (…) le plus difficile, c’est
de te réveiller le matin et d’avoir une vie qui ne te plaît pas.
Avec la peur que j’ai, je n’arrive plus à travailler correctement. »
Bentadia
« Jusque-là, à chaque fois qu’il m’arrivait des problèmes, je rebondissais.
Toute ma vie c’était comme ça. J’ai eu beaucoup de problèmes dans ma vie…
(…) Et à chaque fois je rebondis. (…) A chaque fois, jusqu’en 2011 où là,
vraiment, ça m’a tuée. Je n’ai jamais été autant atteinte. Je n’ai pas eu la force
de rebondir. (…) Quand c’est arrivé d’un seul coup, tout en même temps, ça
faisait beaucoup. Je n’ai jamais été aussi atteinte moralement,
psychologiquement, mentalement. C’était trop, trop, trop.
Je devenais folle parce que j’avais la crainte d’être jetée dehors. Où j’allais
dormir avec mes enfants ? J’ai jamais eu ce genre de problème, jamais, c’était
la première fois que j’étais confrontée à de si gros problèmes : tout est venu en
même temps, c’est incroyable. J’étais malade ; j’ai eu un décès dans ma
famille ; j’ai perdu mon boulot, puis les créanciers, les bâilleurs… tout ce qui
me tombait dessus, c’était catastrophique.
Me retrouver dans la rue, c’était ma hantise, ma hantise ! Le problème de
crédit, ce n’était pas un problème pour moi. Qu’on vienne chercher le peu qu’il
y a à la maison, tant pis ! Qu’on m’entraîne au tribunal… (…) Même si je ne
mange pas, j’ai le toit sur moi quand même.
Ma fille me voyait dans un état où ça n’allait pas du tout, j’étais très triste,
malheureuse, je pleurais beaucoup dans ma chambre. Je ne voulais pas pleurer
devant eux parce que ça allait encore les détruire plus. »
Alice
« C’est une situation où (…) on ne sait pas ce qui va nous arriver (…) [on
apprend] à vivre au jour le jour, dans la précarité, en se disant : « J’ouvre ma
boîte aux lettres, qu’est-ce qu’il y a dedans ? »
Devoir affronter des problèmes d’argent (…) je ne savais pas ce que ça voulait
dire. J’ai toujours bossé, j’ai toujours payé ce que j’avais à payer. Donc passer
de l’autre côté… déjà, l’accepter, ce n’est pas facile (…) mais en plus (…) il y
a tous les créanciers qui vous le rappellent et qui vous traitent comme une
voleuse. (…) J’ai été au tribunal (…). On n’est pas forcément voleur parce
qu’on arrive plus à payer ses factures. Il y a un amalgame qui est fait quelque
part dans l’esprit collectif, et c’est très lourd à gérer. Et puis le doute de se dire
: « Est-ce que je vais pouvoir faire face ? Comment je vais m’en sortir, est-ce
que je vais être suffisamment costaud pour digérer la chose et continuer à
avancer ? »
A ce moment-là, j’ai ressenti de la colère, très honnêtement, même au jour
d’aujourd’hui. De la colère, oui ça c’est sûr, ça va plus loin en fait. Après, c’est
une réflexion générale sur le monde dans lequel on vit. »
27
Marie (bénévole)
« Des problèmes d’argent, ça vous empêche de vivre. Tant qu’il y a de la fuite
en avant, on ne voit pas encore totalement le problème. Mais quand on n’a plus
cette capacité de pouvoir payer, c’est l’enfer puisque toute la structure de base
est touchée. La sécurité dont on a besoin dans notre équilibre d’humain est
mise à mal. Ça peut mettre en question le logement et la nourriture. C’est bien
ça les besoins premiers de tout homme. Donc les problèmes d’argent remettent
ça en question. Donc c’est une dé-sécurisation. On se dé-sécurise, on se
déstabilise, on a peur d’en parler parce qu’on a sa fierté. »
Les difficultés financières pèsent quotidiennement sur les personnes qui le vivent, audelà de la simple nécessité de réduire les dépenses. Il y a d’abord la peur de ne pas pouvoir se
relever, celle de perdre son logement par exemple (Bentadia). Le sentiment de honte, et la
difficulté à parler de ses problèmes, peuvent conduire les personnes surendettées à s’isoler.
Lorsqu’on a un statut, ou lorsqu’on n’est pas censé se retrouver dans une telle situation - ce
sont les exemples de Paul, qui mène une « double vie », et de Françoise, qui est comptable - le
sentiment de honte est d’autant plus fort.
La souffrance est aussi liée à l’impression d’être en rupture avec les normes sociales.
Lorsque l’élément déclencheur des difficultés financières est un accident de la vie, on souffre
d’être perçu par les banques comme étant le seul responsable de sa propre situation. Quand on
est surendetté, on passe « de l’autre côté » (Alice) d’une barrière invisible. Sortir du
surendettement est alors un cheminement long et difficile.
28
SORTIR DU SURENDETTEMENT, UN CHEMINEMENT DIFFICILE
Thème 10. De la fuite en avant à la prise de conscience
Bentadia
« Je me disais : « Ça va se décanter, je vais leur donner leur argent et voilà (…)
Avec le peu que je gagne, je peux me débrouiller pour rembourser les crédits. »
Paul
« Même au début de l’année dernière, j’étais en interdit bancaire, ce n’est pas
pour autant que je me mettais à regarder les choses en face. Je ne me suis mis à
regarder que grâce en partie à Crésus au mois de septembre… Donc une
insouciance complète… J’ai fait l’autruche au sens le plus pur du terme. »
Pablo
« Je me suis toujours dit que j’allais récupérer la situation. »
Françoise
« J’avais peur de voir, je me mettais un voile devant les yeux... »
Marie (bénévole)
« Il y a un refus de voir et puis à un moment donné, il y a le banquier qui
devient trop insistant. »
Isabelle (bénévole)
« J'ai vu un usager, jeudi dernier, qui avait monté sa boîte de conseil en gestion
de fortune. Cela avait capoté. Il n'arrivait pas à réaliser qu'il était au RSA. Il
avait encore du chemin à faire. Il disait : « Je n'y crois pas » et « Je vais
retrouver du boulot, il n'y a pas de problème ». Pour la majorité des personnes,
c'est la situation dans laquelle elles sont qui est difficile à accepter et à vivre au
quotidien. »
Les personnes en difficulté financière ont souvent du mal à accepter leur situation et
mettent souvent en place un mécanisme de défense qui consiste à essayer de fermer les yeux,
de ne pas affronter leur situation. Quand elles prennent vraiment conscience que leur situation
est délicate, elles ont tendance à contracter de nouveaux crédits pour rembourser les crédits en
cours. Cette fuite en avant est une fausse solution qui ne fait que repousser et aggraver le
problème, particulièrement quand il s’agit de crédits renouvelables10.
10
Cf. infra, « La distribution excessive du crédit à la consommation et le « piège » du crédit renouvelable”
29
Mais à un moment donné, quand les personnes ne peuvent plus rembourser, elles sont
harcelées par leurs créanciers. Elles ne peuvent alors plus fuir le problème et doivent
nécessairement y faire face.
Annie
« Ce qui m’a poussé à chercher de l’accompagnement, c’est que je n'arrivais
plus à tourner que par des jeux de trésorerie entre trois crédits révolving. »
Françoise
« Vous montez, vous montez, et puis un jour vous vous dites : « Bon, il faut
que je fasse quelque chose, il faut que je m’en sorte. » (...) Je me suis dit :
« Maintenant, il faut que je m’occupe des crédits… Je vais essayer de repartir à
zéro, mais comment ? »
Paul
« Je me rendais compte que ça ne pouvait plus durer, qu’il fallait quand même
que je prenne les choses par les cornes. »
Alice
« Donc j’ai déposé le dossier, à partir du moment aussi où j’ai rencontré
d’autres personnes et où je me suis dit que je n’étais pas toute seule non plus,
parce que moi dans mon univers, je ne savais pas que ça peut toucher tout le
monde. Et certainement à force de dialogue, c’est peut-être rien mais c’est
beaucoup… c’est le petit truc qui fait qu’on se dit : « Bon, allez, ne serait-ce
que pour eux, tu ne dois pas flancher. »
Marie (bénévole)
« Ils acceptent à un moment donné, lorsqu’ils sont acculés parce que la
situation devient impossible à gérer. Contraints et forcés, ils font la démarche
d’aller faire un diagnostic. C’est le fait d’accepter. »
A partir d’un certain stade de surendettement, le harcèlement des créanciers et la peur
des huissiers conduit les personnes à faire face à leur situation et à réagir de façon radicale,
souvent en déposant un dossier de surendettement à la Banque de France11. C’est un moment
extrêmement difficile qui demande des efforts considérables. Certaines démarches
administratives paraissent insurmontables. Se décider à aller chercher un dossier de
surendettement à la Banque de France, première étape, peut prendre plusieurs mois. Cela
s’explique notamment par la souffrance psychologique et le sentiment de honte généralement
11
Précisons toutefois qu’un grand nombre de personnes en situation de surendettement ne déposent pas de
dossier de surendettement à la Banque de France.
30
rattachés au surendettement et par la croyance - fausse - qu’en étant surendetté, on ne peut
plus faire valoir ses droits. Parfois, le manque d’informations peut aussi être un frein pour
réagir rapidement.
Le poids des démarches administratives ne fait que s’alourdir lorsque les personnes
sont mal conseillées ou mal orientées. En outre, il leur faut souvent y consacrer un temps
assez important.
Thème 11. L'utilité des groupes de parole sur l’argent
L’organisation de groupes de parole par des associations telles que Crésus sont une
aide et un soutien précieux apportés aux « usagers ». Ils permettent de surmonter l’isolement,
parfois la honte, la difficulté ou l’impossibilité de parler du surendettement avec ses proches.
Comme on l’a déjà évoqué, au-delà de la multiplicité des profils des usagers, l’expérience du
surendettement ou des difficultés financières crée une solidarité de fait.
Les témoignages, les ressentis, les difficultés se font écho, se répondent, et donnent à
ceux qui sont autour de la table la possibilité de parler en confiance, de trouver des solutions à
leurs problèmes concrets, d’échanger, d’être entendus et compris.
Pour la plupart des usagers de Crésus, la participation aux groupes de parole est un
soutien non négligeable dans leur parcours. Témoigner et partager fait avancer, et les usagers
en sont tellement convaincus que plusieurs de ceux que nous avons interrogé envisagent, une
fois leurs difficultés surmontées, de devenir eux même bénévoles de l’association. Cette
trajectoire caractérise aussi certains des bénévoles que nous avons interrogés.
Paul
« Que m’a apporté Crésus ? Tout simplement pouvoir parler avec d’autres »
Bentadia
« Ce qui m’a beaucoup confortée, c’est que je pouvais parler de mes
problèmes. Quand je venais à la réunion, j’expliquais les choses, comment je
vivais. Ça a étonné beaucoup de gens de voir comment je tenais le coup avec
rien. »
Pablo
« J’ai fait toute la formation, et je viens régulièrement aux groupes de parole
(…). Ça fait du bien de parler de tes problèmes avec des gens dans la même
situation que toi. Je ne peux pas parler de ça avec mes copains, ils ne me
comprendraient pas. Par contre, à Crésus, comme on a les mêmes problèmes,
on se comprend mieux. »
Annie
« Avec Crésus, j’ai beaucoup apprécié les entretiens quand on parle d’argent...
C’est très intéressant d’un point de vue relationnel aussi, comment gérer un
budget pour une famille, pour une personne, avec une compagne… c’est
passionnant. (...) C’est bien, on se sent complètement sécurisés. »
31
Elizabeth (bénévole)
« J’aime animer les groupes de parole sur l’argent : les gens perdus, qui ne
parlent à personne, ça leur fait un effet étonnant, ils sont soulagés, ils ressortent
toujours avec un coup de bonne humeur. (...) Même s’ils sont dans la pire
difficulté, la manière dont ils remercient ceux qui les ont écoutés montre que
ça leur a fait du bien. Si je prends l’exemple de M. : je l’ai vu complètement
désespéré dans des groupes de parole, mais à la fin il disait : « Quand même,
ça fait du bien de le dire. ».
Marie (bénévole)
« Dans les groupes de parole, quand les gens s’aperçoivent qu’ils ne sont plus
seuls, quand ils entendent les témoignages des uns et des autres, ça a un effet
libérateur. Et ils vont entendre la même histoire ou des histoires encore plus
graves que la leur. Donc ça les amène à prendre un peu de recul. Et c’est à
partir de là qu’ils peuvent commencer à changer dans leur comportement. Le
groupe est très important. »
Thème 12.
« L'après » ?
Comment les personnes concernées par ces difficultés voient-elles leur avenir ?
Paul
« Ma perspective d’avenir aujourd’hui ? Il faut que j’arrive à m’en sortir avec
ma retraite, il faut que j’arrive à baisser mes mensualités, soit par une
procédure de surendettement soit autrement. C’est tout… pas d’autre espoir.
(...) Quels projets puis-je faire sans moyens, j’ai soixante et onze ans. (…) Mon
ange gardien est devenu un peu flemmard…»
Bentadia
« Pour l’avenir, je ne vois pas grand-chose. C’est pour ça que je me bats
beaucoup maintenant pour trouver du travail. J’ai 50 ans, si je peux travailler
jusqu’à 62 ans quand même… Un boulot pourrait augmenter ma retraite. C’est
pour ça que je me bats beaucoup. »
Pablo
« Moi je suis optimiste, j’espère toujours que ça va changer mais à soixante
ans, c’est difficile. »
Alice
32
« C’est ma vie qui a complètement basculé. Même si je vais bien dans
l’ensemble et que j’arrive à gérer ma vie, ça n’empêche que ça laisse des
marques indélébiles, je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie après…
Après, peut être je ferai d’autres projets. (...) L’ « après » me fait peur, c’est
dur de reconstruire tout à 44 ans, c’est beaucoup plus dur qu’à 20 ans, on a
moins envie, on a moins la pêche, ça c’est clair, on sait qu’il nous reste
beaucoup moins de temps aussi. Cette situation-là à 20 ans, pour moi ça
n’aurait pas été grave, ça n’aurait pas eu cette ampleur… et puis toute seule….
Ça me parait très long ces deux ans… Par moments, j’ai le sentiment d’être en
prison. J’ai du mal à voir l’avenir, il faut que je reconstruise toute ma manière
de penser, c’est très difficile de se reconstruire. Ce en quoi je croyais, je n’y
crois plus comme j’ai pu y croire. »
Françoise
« [La suite dépendra de mon emploi] pour commencer, et ensuite je réinvestis
tout de suite pour acheter quelque chose toujours sur Paris... Ce sera plus petit
mais je m’en fous… je vais réinvestir tout de suite. C’est différent, c’est
appréciable, vous savez que vous n’allez pas dans le mur (...). Voilà, comme
quoi... on fait attention… on projette. Moi j’ai eu de la chance, je peux me
récupérer. »
L’adage affirmant que « le temps c’est de l’argent » n’est pas démenti par la plupart
des personnes que nous avons pu interroger. Pour certains, c’est face au surendettement que le
temps prend une nouvelle réalité et s’incarne. Le fait d’avoir de l’argent ou non façonne notre
rapport au temps, et plus particulièrement notre rapport à l’avenir. Pour les personnes qui
connaissent un épisode de surendettement ou simplement des difficultés financières, se
projeter dans l’avenir est un exercice difficile, parfois presque impossible, comme cela semble
être le cas pour Alice. Pour elle, le temps semble s’être arrêté, et faire repartir l’aiguille
demande un effort colossal. L’argent est un moyen au service de fins, de projets, on comprend
aisément la difficulté de nos témoins à envisager l’avenir alors qu’ils sont privés de ce moyen.
L’avenir envisagé est un avenir immédiat et toujours conditionnel pour ceux d’entre
eux qui sont en situation de précarité en termes d’emploi notamment, comme c’est notamment
le cas de Bentadia et de Pablo.
33
CONCLUSION
En menant ces entretiens, nous avons été plongés au cœur de l’intimité de neuf usagers
de l’association Crésus ayant accepté de répondre à nos questions12. Neuf personnes en
situation de graves difficultés financières, d’endettement, voire de surendettement, dont le
quotidien est marqué par des questionnements perpétuels relatifs à l’argent : comment s’en
procurer ? De quelle façon mieux le dépenser ? Comment s’en sortir ?... Pourtant, loin d’en
rester à ces seules questions, les personnes que nous avons rencontrées nous ont plongés, bien
au-delà de leurs seules préoccupations financières, dans toute la complexité de leur histoire de
vie et de leurs difficultés présentes, nous offrant la preuve, s’il en fallait une, que « l’argent
touche à tout » ou, comme l’a formulé Julia : « Un dossier de surendettement, ce n’est pas
qu’un dossier, c’est toute une vie. »
Les problèmes d’argent affectent les relations sociales, les façons de se percevoir, la
conception du temps, de l’espace, les perspectives d’avenir... Ils enferment ceux qui les
subissent dans un sentiment d’insécurité permanent et les privent peu à peu de toute liberté.
Nombreuses sont les personnes que nous avons interrogées qui ont mentionné leur passage
par le désespoir, la dépression, voire l’envie d’« en finir ». La façon dont nos questions ont
poussé nos interlocuteurs à dévoiler leur questionnement et leur histoire de vie les plus
intimes est l’une des choses qui nous a particulièrement marqués au cours de ce travail.
Etudiants d’une « Grande Ecole », issus de milieux plutôt favorisés, nous nous
sommes souvent interrogés sur notre positionnement face à ces récits et aux problèmes que
nous confiaient les usagers. Quelle légitimité avions-nous pour leur poser des questions qui,
bien souvent, “remuaient le couteau dans la plaie” ? Comment réagir à l’écoute de tels récits,
quand nos existences nous paraissaient soudain aussi protégées et aussi privilégiées ?
La gentillesse et l’ouverture des personnes que nous avons interrogées nous ont
pourtant rapidement rassurés sur leur envie de répondre à nos questions sur ce sujet hautement
tabou qu’est l’argent. Ils nous ont toujours répondu avec une grande sincérité, sans aucun
regard critique sur notre condition d’étudiants de Sciences Po privilégiés. Quoiqu’il en soit,
nous sommes toujours sortis de ces entretiens émus, secoués et parfois même « sonnés »,
après avoir été placés face à des réalités que nous ne connaissions pas mais dont nous
pouvions, le temps d’un entretien, appréhender la complexité et les difficultés. Il est certain
que ces rencontres nous ont personnellement amenés à réfléchir à notre propre rapport à
l’argent et nous ont fait considérablement progresser dans ce domaine.
Nous tenons particulièrement à remercier les « usagers » et les bénévoles qui ont
accepté de nous rencontrer pour leurs témoignages, pour ce qu’ils nous ont appris, et aussi
pour les encouragements et pour les retours positifs dont ils nous ont fait part, par écrit ou de
vive voix, et qui nous ont aidé à mener ce projet à son terme.
Leurs retours:
« Bravo pour ce travail que vous avez fait. »
« Je vous remercie d'avoir retenu ce thème dans le cadre de vos études et
d'avoir pris du temps pour me rencontrer (...) J'ai été ravie de rencontrer des
étudiants qui contribuent à la construction d'un avenir meilleur et d'une société
plus équitable. »
12
Auxquels il convient d’ajouter les trois entretiens avec des bénévoles de CIFP.
34
« Encore merci pour votre accueil »
« Témoigner, c’est super important pour moi. Je suis sûre qu’il y en a d’autres
comme moi »
« Cela m’intéresse de travailler avec vous, cela m’intéresse de travailler avec
Crésus. Sinon on campe sur ses propres prismes, on regarde avec ses yeux. »
Nous remercions enfin l’association Crésus de nous avoir invités à mener ce travail et
nous avoir ainsi permis de « grandir » en maturité et en intelligence en dehors des sentiers
académiques.
35
ANNEXES
Journal de bord de Mathilde Bricault
Etudiante à Sciences Po depuis quelques semaines, vient le moment de s’engager, pour
ceux qui le désirent, dans un « projet collectif ». Présentés par Sciences Po comme un
« module d’initiation à la gestion de projet », il s’agit de projets proposés par des
commanditaires de tous ordres et destinés à être menés à bien par des étudiants volontaires de
l’école, appuyés et encadrés par l’administration et lesdits commanditaires. Pour participer à
ces projets, les élèves sont recrutés à partir de candidatures individuelles, sur la base d’un CV
et d’une lettre de motivation. Sont ainsi réunis des étudiants qui, tout comme dans le monde
du travail, ne se connaissent pas au départ mais doivent agir en équipe de 4 à 6 personnes.
La liste tombe, elle est longue, le choix est difficile. Un premier projet attire mon
attention, mais en y regardant de plus près, c’est un autre, celui de Crésus Île-de-France Paris,
qui la retient. L’intitulé est le suivant : « Le surendettement, fait de société ». Le descriptif
précise que des connaissances et quelques compétences sociologiques en matière d’entretien
seront les bienvenues. Le projet est taillé pour moi, je n’hésite pas une minute de plus, mon
choix est fait.
Pendant 4 ans, j’ai étudié la sociologie, d’abord en classe préparatoire, puis à
l’université Paris-Dauphine, et le hasard m’a amenée à travailler à la Banque de France du
Havre, ma ville natale, plus précisément à l’accueil du service en charge des dossiers de
surendettement des particuliers. Durant deux mois, j’ai chaque jour enregistré une dizaine de
dossiers en moyenne. Du côté de l’administration, j’ai appris sur le tas les différents types de
procédure, j’ai vu les agents à l’œuvre, leur manière de traiter les dossiers et d’accueillir ceux
que j’appellerai, comme le font les bénévoles de Crésus, « les usagers ». A l’accueil du
service, j’ai répondu aux appels de ces usagers, souvent des appels de détresse et j’ai lu
chaque matin lors de l’enregistrement des dossiers les « lettres de motivation » justifiant leur
demande d’aide. Participer à ce projet s’inscrivait dans le prolongement de cette expérience,
je savais où je mettais les pieds et je m’y suis engagée avec enthousiasme.
Le projet avait pour ambition de recueillir, de porter et de rendre audible la parole de
ces usagers, dont le nombre va croissant. La problématique est la suivante : le surendettement
est un fait de société parce qu’il touche toutes les classes sociales et toutes les classes d’âge,
parce que ses causes, loin de se réduire à une mauvaise gestion budgétaire, sont multiples et
dans bien des cas liées à des accidents de la vie.
Pourtant, cette réalité n’est pas prise en compte par la scène médiatique, difficilement
envisagée par le politique, et les représentations sociales qui entourent le surendettement sont
encore empreintes de préjugés et d’un moralisme qui freine la mise en place de mesures
d’accompagnement et de prévention du surendettement qui seraient véritablement efficaces.
Ce sont précisément là les missions que s’est fixé Crésus : accompagner les personnes
surendettées, à la fois psychologiquement et techniquement, prévenir le surendettement et
dialoguer avec les autorités publiques pour une meilleure prise en compte de ce problème de
société. Autant de missions qui pourraient être assurées, avec de plus grands moyens, par des
institutions déjà existantes, les banques, l’assistance sociale, la Banque de France.
Ce constat, nous avons pu le réaliser nous-mêmes, au fil d’entretiens que nous avons
menés, en binôme, avec neuf usagers et trois bénévoles de l’association Crésus. Faute de
temps et de moyens, nous nous sommes contentés de cet échantillon, limité et non
représentatif de la diversité des personnes touchées par le surendettement. Toutefois, cela
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n’enlève rien à la valeur des témoignages que nous avons recueillis, qui se répondent et font
écho, autant que mon expérience du Havre me permet d’en juger, à une expérience commune
du surendettement. Cela ne veut pas dire que le surendettement est vécu par tous de la même
façon mais qu’au-delà des clivages sociaux traditionnels – revenu, âge, groupe social, sexe,
etc. – se dégagent des problématiques communes, qui rassemblent les usagers de Crésus.
Les personnes qui ont accepté de témoigner sont pour la plupart des usagers qui ont
participé aux ateliers et aux groupes de parole mis en place par Crésus. Ils ont été « recrutés »
par Jean Beaujouan, le président de Crésus Île-de-France Paris, qui anime régulièrement ces
ateliers. Ces personnes ont accepté de témoigner parce qu’elles peuvent parler de leur
expérience avec un certain recul, parce que beaucoup d’entre elles ne sont plus tout-à-fait en
situation d’urgence. La simple démarche de venir aux groupes de parole fait d’elles des «
exceptions ». Pour nous, apprentis sociologues, il était aussi plus facile de conduire ces
entretiens avec des personnes déjà mises en confiance par les bénévoles, adhérant à notre
projet, et en mesure de s’exprimer sur leur situation.
Lorsque nous avons lancé la campagne d’entretiens, nous avions prévu d’interroger
également des « primo-arrivants », terme qui désigne les personnes qui se rendent chez
Crésus pour la première fois. Ils viennent pour chercher conseil et le plus souvent dans
l’urgence, quand le poids des dettes devient insupportable, quand la pression des banquiers,
des huissiers, des sociétés de recouvrement et de tous les autres créanciers devient trop forte.
Proposer un entretien à quelqu’un qui se trouve dans une telle situation et le réaliser dans de
bonnes conditions paraissait difficile, nous y avons donc renoncé faute de candidat et
d’expérience suffisante.
Avant de commencer les entretiens, nous avons tous assisté à au moins un groupe de
parole animé par Crésus à la Maison des associations du XVIIIème arrondissement. L’idée
était d’avoir un premier contact avec des usagers et des bénévoles de l’association, et de
savoir en quoi consistaient ces groupes de parole. L’expérience, simple au premier abord,
n’avait en réalité rien d’évident. La problématique du positionnement que nous devions
adopter s’est posée à tous. Devions-nous nous présenter directement comme des étudiants et
leur parler du projet, au risque de mettre l’assistance mal à l’aise, ou bien nous asseoir à la
table et nous contenter de donner notre prénom, comme les usagers le font ? Devions-nous
prendre la parole, en avions-nous seulement le droit, ou devions-nous rester en position de
retrait, d’observateur ? Les bénévoles qui animaient les ateliers eux-mêmes ont hésité sur la
manière de nous présenter.
Je me suis pour ma part présentée un mardi après-midi à un atelier, faisant aussi office
de groupe de parole, sur le thème de la gestion du budget familial. Nous étions huit autour de
la table, sans compter l’animateur. J’étais la première du groupe de projet à participer à un
groupe de parole, l’animateur à préféré me laisser me présenter comme les autres usagers,
sans en dire davantage. Je pense que la plupart des personnes présentes se doutaient que le
motif de ma venue n’était pas un problème d’argent, mais ils m’ont accueillie très
naturellement, et après quelques hésitations je me suis autorisée à participer à la discussion. Je
me suis rapidement sentie à l’aise, et j’ai trouvé l’atmosphère chaleureuse.
Les personnes présentes ne se connaissaient pas ou peu, pour s’être déjà croisées dans
d’autres groupes de parole, mais ce qui les rassemblait autour de cette table en faisait un
groupe solidaire. Les expériences de chacun, bien que différentes, se faisaient écho, autorisant
un dialogue riche et fort instructif pour tout le monde, moi y compris. A la fin de la séance,
mon voisin de droite, un retraité, que nous avons eu l’occasion de revoir dans le cadre d’un
entretien par la suite, m’a demandé ce qui m’amenait ici, car je n’avais pas exactement « le
profil » des usagers habituels. Je lui ai répondu avec franchise et lui ai rapidement expliqué le
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projet, nous avons discuté un peu, puis nous nous sommes dit au revoir en nous souhaitant
mutuellement bonne chance. Je suis restée un peu après le départ des autres pour parler du
projet avec Jean Beaujouan, que je rencontrais pour la première fois.
Après quelques réunions destinées à mieux définir le projet et préparer les entretiens,
Marion et Jean-Baptiste ont réalisé un premier entretien test, que nous avons repris tous
ensemble. Quand laisser la personne parler ? Comment amener les sujets délicats ? Quand et
jusqu’où approfondir les sujets douloureux ? Questions de sensibilité, de pudeur, d’écoute, de
distance et d’empathie, l’entretien est un exercice difficile s’il en est.
Progressivement, nous avons obtenu des contacts suite à un appel aux volontaires
lancé aux usagers. Nous sommes cinq dans l’équipe, nous nous étions fixés un objectif de
quatre entretiens par personne, tous les entretiens étant réalisés en binôme. Chacun s’est
chargé de contacté un ou deux usagers, afin que ceux-ci n’aient qu’un seul interlocuteur.
Le hasard a voulu que je prenne involontairement contact avec celui qui était mon
voisin de table lors du groupe sur la gestion familiale du budget, Paul, avec qui j’avais déjà
rapidement discuté, ce qui a permet d’établir une relation de confiance très rapidement lors de
l’entretien. Nous avons accueilli Paul dans les locaux de Sciences Po, où nous avions réservé
une salle. Sur le moment, il est difficile de trouver la distance adéquate. Nous commençons
par parler de la pluie et du beau temps, nous allons prendre un café à la machine. J’invite
Jean-Baptiste à payer la tournée, sous prétexte que je n’ai pas de monnaie, par peur de mettre
notre invité mal à l’aise, et ne sachant pas ce que peuvent représenter 50 centimes dans la
gestion du quotidien pour une personne surendettée.
L’entretien se déroule très bien, les questions viennent naturellement et les réponses,
que l’on sent préparées, aussi. Lorsqu’arrive la fin de l’entretien après une heure environ,
notre témoin a le sourire et nous aussi. J’ai ressenti une forme de soulagement, à me dire que
finalement cela c’était bien passé et que nous avions partagé un moment agréable en dépit du
sujet difficile. C’était un peu comme dans les groupes de parole de Crésus : les usagers y
amènent leurs problèmes mais y trouvent aussi un échange, de l’écoute et de la solidarité.
Nous nous quittons sur un revoir, avec la promesse de donner des nouvelles de l’avancement
du projet.
J’avais beaucoup d’appréhension avant ce premier entretien, la même appréhension
qu’avant chacun des entretiens qui ont suivi. Comme l’a justement dit une des personnes que
nous avons interrogées, déposer un dossier de surendettement ou décider de prendre ses
problèmes d’argent à bras le corps, ce n’est pas seulement prendre quelques mesures de «
redressement », c’est faire le bilan d’une vie. Avant chaque entretien la question qui se pose
est de savoir quel drame, quel accident, quelle rupture est, bien souvent, à l’origine de la
situation financière difficile de nos témoins et la rend d’autant plus douloureuse. Lorsque,
pendant l’entretien, arrive le moment d’aborder ces questions, l’angoisse est de ne pas savoir
comment réagir, comment affronter d’éventuelles larmes, quelle distance garder et comment.
Le deuxième entretien s’est déroulé quelques semaines plus tard, avec une dame âgée
ayant déjà déposé un dossier de surendettement auprès de la Banque de France. Avec Nicolas,
nous avions réservé, toujours à Sciences Po, une des salles de travail de la bibliothèque. Nous
avons retrouvé notre invitée près du stand où les journaux sont mis gratuitement à disposition,
elle prenait note des dates des prochaines conférences organisée dans l’école et de leur sujet.
Nous l’emmenons vers la bibliothèque en lui demandant si elle n’a pas eu de difficulté pour
venir, elle nous répond qu’elle connaît les lieux pour avoir déjà assisté à plusieurs
conférences. Une fois à la bibliothèque, elle nous fait une première remarque, disant qu’elle
passe beaucoup de temps dans ce genre de lieux, d’accès gratuit et chauffés, car en plus d’être
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des lieux de culture et de rencontre, ils lui permettent de réaliser des économies de chauffage.
Il s’agit d’une personne à la retraite cette fois aussi, mais pas inactive pour autant au vu de
son emploi du temps. Ses journées sont partagées entre son engagement associatif et ses
démarches de formation dans le même domaine.
Premier constat étonnant : alors que ses revenus - 1080 euros par mois environ, - sont
inférieurs à la moitié de ceux de notre premier interviewé, elle ne se définit pas comme pauvre
– il y a bien plus pauvres qu’elle, nous dit-elle – et ne semble pas souffrir de sa situation. Elle
n’a jamais touché de très hauts revenus, s’en sort comme elle peut, et a déposé un dossier de
surendettement par souci de sécurité et pour étaler un peu ses remboursements. Il émane
d’elle une force, une sérénité et une énergie surprenantes au regard de sa situation et de son
âge. Son témoignage et ses engagements forcent le respect et l’humilité.
Ce que nous apprennent, ou plutôt ce que nous confirment ces deux premiers
entretiens, c’est qu’il ne faut préjuger de rien en matière de surendettement. Nous avons eu
affaire à deux retraités qui, en dehors de ce statut, avaient peu de choses en commun. Deux
usagers qui illustrent la diversité de profils des personnes surendettées ou ayant des difficultés
financières. Ils nous rappellent également que la pauvreté est une affaire relative et subjective,
qu’elle se mesure autant en termes monétaires qu’à l’aune d’un parcours de vie.
Pour le troisième entretien, que je réalise avec Marion, nous avons affaire à une femme
active, de moins de 50 ans, Alice. La première impression est celle d’une femme soignée dans
son apparence, dynamique, souriante bien qu’un peu tendue par l’exercice à venir. Au cours
des cinq premières minutes de l’entretien, le décor est planté. Notre témoin rembourse des
dettes dans le cadre d’un plan conventionnel de redressement établi par la Banque de France,
dettes causées en partie par le départ de son mari, du jour en lendemain, après la faillite de la
société qu’il avait créée. Seule avec deux enfants d’un précédent mariage, elle aura fini de
rembourser en février 2013.
L’impression commune que nous retirons de cet entretien est celle d’une femme
volontaire et forte, mais en complète remise en question, désabusée par le fonctionnement de
l’Etat, le système de redistribution et les administrations. L’expérience a été – et reste –
pour elle un tel traumatisme que même si, comme elle le dit, « globalement ça va », il lui
semble impossible de tout recommencer et de voir la vie reprendre un cours normal à la fin
de février 2013. Nous nous sommes quittées avec chaleur, et avec le sourire. Un quart d’heure
à peine après son départ, j’ai reçu d’elle sur mon téléphone portable un message nous
remerciant de l’avoir écoutée et nous souhaitant bonne continuation. Pour reprendre une de
ses expressions durant l’entretien, « ce n’est peut-être rien, mais c’est beaucoup ». Ce
message nous a beaucoup touchées.
Ce témoignage illustre bien la dimension de « fait de société » du surendettement, au
sens où même les gens qui présentent a priori le moins de risques de connaître un tel épisode
de difficultés financières n’échappent pas à ce qu’on qualifiera d’« accident de la vie ». Ces
accidents donnent une dimension encore plus douloureuse au surendettement, dans la mesure
où ils peuvent toucher des gens qui n’ont auparavant jamais connu de problèmes d’argent, et
aussi parce que la restriction budgétaire au quotidien renvoie en permanence à cet accident,
qui est bien souvent un épisode traumatique.
Le dernier entretien que j’ai réalisé, encore avec Marion, était un peu particulier. La
personne que nous avons rencontrée, une femme active d’environ 50 ans, n’était pas en
situation de surendettement - elle n’avait pas de dettes - mais de précarité financière, avec
parfois des difficultés à joindre les deux bouts en fin de mois. Cette femme était très réticente
au départ. Après avoir accepté le rendez-vous avec nous, elle n’était pas sûre de venir, et
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quand nous l’avons rencontrée, nous avons dû la convaincre que l’enregistrement était
nécessaire pour notre travail. L’entretien s’est centré sur la question du rapport à l’argent, tant
le sien que, plus globalement, le rapport de notre société avec l’argent. Son rapport à l’argent
avait été façonné par plusieurs épisodes traumatiques, qui expliquaient sa réticence initiale à
venir témoigner. C’est en se tournant vers Crésus, en complément d’un travail thérapeutique
par ailleurs, qu’elle a pu faire un travail dessus. Ce travail lui permet aujourd’hui de se sentir
plus sereine, plus libre, moins angoissée, dans son rapport à l’argent et aux banques.
L’histoire peut paraître sans rapport immédiat avec la question du surendettement et
relativement anecdotique, mais elle ne l’est pas. Ce quatrième entretien a été le plus délicat à
conduire. L’émotion était palpable durant toute la durée de notre échange, qui a duré plus
longtemps que les autres, au moins une heure et demie. Au fil de l’entretien, nous avons
réussi à établir une relation de confiance et tout s’est finalement bien passé. Nous avons eu
par la suite un retour indirect selon lequel elle était très contente de la manière dont l’entretien
s’était déroulé. Marion et moi en avons été soulagées.
Dans ses groupes de parole et dans ses ateliers de formation portant sur la gestion du
budget, Crésus accorde avec juste raison une place importante à cette dimension du rapport à
l’argent, qui est loin de n’être qu’un rapport instrumental : il est toujours le fruit d’une
éducation, d’une histoire, d’une culture, il est toujours entouré et coloré de signification qui
varient selon sa provenance, son usage, son destinataire.
La manière dont on traite le surendettement en France aujourd’hui, la manière dont on
l’envisage, les représentations qui l’entourent, sont tributaires d’une « culture de l’argent »
propre à chacun, qui s’inscrit dans un cadre culturel commun. Pour mieux répondre aux
attentes des personnes surendettées, les accompagner, prévenir les situations de
surendettement quand cela est possible, il est nécessaire de chercher à explorer ce rapport, à le
clarifier, à mieux le comprendre, afin de le faire évoluer si cela semble nécessaire.
Journal de bord de Jean-Baptiste Vilain
Au mois d’octobre 2011, j’ai décidé de m’inscrire à ce projet collectif sur le
surendettement des ménages. Travailler sur une thématique sociale liée aux relations que nous
entretenons avec l’argent me séduisait. J’étais aussi très attiré par l’aspect « travail de terrain
» de l’étude proposée par Crésus Île-de-France Paris. Réaliser des entretiens avec des
personnes étant ou ayant été confrontées à des difficultés financières pour comprendre le
phénomène social du surendettement me semblait beaucoup plus attractif que de réaliser une
synthèse de travaux existants. Cela changeait de la plupart des travaux que nous devons
réaliser pour nos cours à Sciences Po.
Avant de travailler pour ce projet, je ne savais pas grand-chose du surendettement.
J’avais seulement été interpelé quelques années auparavant par la situation financière des
meilleurs amis de mes grands-parents, qui avaient été obligés de vendre leur maison et la
plupart de leurs actifs pour rembourser des crédits à la consommation. J’avais aussi été effaré
de la simplicité avec laquelle il était possible d’emprunter auprès de certains organismes de
crédit qui ne demandaient presque aucune garantie. Mais globalement, je plongeais dans un
sujet complètement nouveau. Je ne savais ni comment ni pourquoi de plus en plus de
personnes se retrouvent en situation de surendettement. Je n’imaginais pas non plus à quel
point les difficultés financières peuvent avoir des conséquences violentes sur l’ensemble de la
vie des personnes touchées.
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Lors de notre première réunion, Jean Beaujouan, président de Crésus Ile-de-France
Paris et l’un des commanditaires de l’étude, nous conseilla de participer à des groupes de
parole sur l’argent ou à des groupes de consultation sur l’argent organisés par Crésus. Cela
devait nous servir de première approche concernant la question des difficultés financières. Je
me souviens bien du mélange de hâte et d’appréhension que je ressentais juste avant de
participer à l’un de ces groupes avec Marion, une autre étudiante de l’équipe. Hâte parce que
nous commencions vraiment à ce moment-là notre travail, à « mettre la main à la pâte ».
Appréhension parce que j’avais l’impression de ne pas être légitime dans ce groupe : les
participants ne me connaissaient pas et je pensais qu’ils n’avaient pas forcément envie de
parler de leurs problèmes d’argent devant des inconnus, encore moins si ces derniers n’étaient
pas confrontés à une situation similaire à la leur. En outre, il s’agissait d’un groupe de
consultation : l’une des personnes exposait au groupe sa situation financière puis nous la
conseillions ensemble pour trouver des solutions.
Je trouvais ce principe très bon, j’avais des idées de conseils mais je ne me sentais pas
tout à fait légitime pour le faire. Dans ma tête, je me disais quelque chose du type : « Elle
pourrait faire ça, ça, ça, ce serait une bonne solution. Mais qui suis-je pour le lui dire ? Je suis
étudiant et je dépends financièrement encore en grande partie de mes parents, qui ne
rencontrent pas d’importantes difficultés financières. Est-ce que je suis vraiment apte à la
comprendre et à la conseiller ? ». Finalement, l’ambiance était bonne, et je me suis vite senti à
l’aise dans le groupe. Je me suis rendu compte que nos conseils étaient les bienvenus, malgré
notre statut « d’inconnus privilégiés ». En fait ce statut pouvait justement jouer en notre
faveur puisqu’il nous permettait d’avoir le recul et la distance nécessaires pour conseiller de
façon plutôt objective.
Avec Marion, nous avons ensuite réalisé le premier entretien avec Pablo. Nous
l’avions justement rencontré au groupe de consultation. Etant donné le côté sensible du sujet,
j’étais une fois encore un peu stressé avant l’entretien : que faire s’il refuse de parler de lui ?
Que faire s’il craque et éclate en sanglots pendant l’entretien ?… Nous avons retrouvé Pablo
et commencé l’entretien. De manière inattendue, il était beaucoup plus détendu que Marion et
moi, alors que c’est lui qui racontait son histoire. L’entretien s’est bien passé, de façon très
naturelle finalement.
J’ai réalisé ensuite trois autres entretiens, seul ou avec d’autres étudiants du groupe.
Mais je n’avais plus du tout la même appréhension, j’avais compris qu’il fallait simplement
être à l’écoute. Il fallait aussi trouver un certain équilibre : avoir de l’empathie sans tomber
dans le misérabilisme, être à l’écoute sans porter de jugement de quelque nature que ce soit.
Cela se faisait au final plutôt spontanément.
J’ai été extrêmement surpris de voir à quel point les personnes se livraient, nous
racontaient leur histoire de vie. Certes celles que nous avons rencontrées avaient au préalable
accepté de témoigner. Mais il n’empêche qu’à chaque fois, à la fin des entretiens, je réalisais
qu’elles s’étaient complètement ouvertes à nous. Je me suis parfois demandé pourquoi.
Sûrement l’envie qu’elles avaient de témoigner pour les autres, pour améliorer les choses.
Peut-être aussi parce que raconter, c’est un peu se libérer d’un poids. A ce titre, j’avais été
étonné et profondément touché lorsqu’à la fin de certains entretiens ou par retour de mail, les
personnes nous remerciaient de les avoir écoutées.
Nous sommes maintenant sur le point de terminer notre travail de synthèse. Ce projet
fut extrêmement enrichissant pour moi. Tout d’abord parce que ce fut une belle expérience
humaine, faite de belles rencontres. Ensuite parce que ce travail nous a permis de comprendre
un phénomène social complexe et dont on parle finalement assez peu, bien qu’il touche de
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plus en plus de monde. Enfin, à titre plus personnel, parce que je pense qu’il m’a permis
d’éclaircir, d’assainir ma propre relation à l’argent.
Au fil de notre étude, j’ai changé de regard sur le surendettement. J’ai réalisé que
même si une mauvaise gestion de l’argent pouvait être à l’origine d’une situation de
surendettement, elle ne pouvait pas s’y résumer. Je suis désormais convaincu que le
surendettement relève autant de la responsabilité collective que de la responsabilité
individuelle, et j’espère que notre travail permettra à d’autres personnes de changer elles-aussi
leur regard sur le surendettement et sur celles et ceux qui s’y retrouvent confrontés.
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