08-09 - S - Séquence E - mise en scène de la pensée
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08-09 - S - Séquence E - mise en scène de la pensée
08/09 A. Académie de Reims Lycée Pierre Bayen > Première S5 Cours de Lettres > Pascal Vey Séquence E « L’épanouissement de la pensée scientifique sous les Lumières. » Objet(s) d’étude I. II. III. IV. V. VI. VII. A. B. C. D. Le roman et ses personnages : visions de l'homme et du monde. La poésie. Le théâtre : texte et représentation. L'argumentation : convaincre, persuader et délibérer. Un mouvement littéraire et culturel. L'autobiographie. Les réécritures. Pierre Bayle [1647-1706], Pensées sur la comète – 1682 Fontenelle [1657-1757], Entretiens sur la pluralité des mondes – Second Soir – 1686 Voltaire [1694-1778] - Petite digression – 1766 Marmontel [1723-1799], Les Incas ou la Destruction de l'empire au Pérou – Chap. XXXV – 1777 Texte A - Pierre Bayle [1647-1706] - Pensées sur la comète – 1682 3 6 9 12 15 18 21 24 Si les Comètes étaient le présage de quelques malheurs, ce serait ou parce qu'elles sont la cause efficiente de ces malheurs, ou parce qu'elles sont un signe de ces malheurs. On ne doit point nier cela. Or ce n'est ni parce qu'elles sont la cause efficiente de ces malheurs, ni parce qu'elles sont un signe de ces malheurs. La conclusion sera facile à tirer, pourvu que je prouve les deux parties de cette proposition. Pour le plus1, tout ce qu'on peut prouver par l'expérience se réduit à ceci ; c'est que toutes les fois qu'il a paru des Comètes on a vu arriver de grands malheurs dans le monde : ce qui est si éloigné de prouver que les Comètes ont été la cause de ces malheurs qu'on prouverait tout aussitôt que la sortie d'un homme hors de sa maison est la cause pourquoi tant de gens ont passé dans la rue toute la journée. En un mot, c'est raisonner pitoyablement que de conclure que deux choses sont l'effet l'une de l'autre de ce qu'elles se suivent constamment l'une l’autre. Mais il y a plus, c'est que l'expérience ne prouve pas qu'on ait vu plus de malheurs après l'apparition des Comètes qu'en un autre temps. Si les Comètes2 étaient un signe de quelques malheurs, différant des signes naturels et des signes d'institution3, il faudrait que Dieu leur imprimât certains caractères tout particuliers qui les rendissent significatifs, au défaut d'une révélation expresse ; qui justifiassent le jugement de ceux qui soutiennent que ce sont de mauvais présages ; et qui rendissent inexcusables ceux qui n'en croient rien. Or c'est ce que Dieu n'a point fait. Au contraire, il les a tellement dépouillées des véritables marques d'un prodige4 significatif qu'il semble qu'il ait voulu prévenir notre crédulité naturelle. Il les a soumises à la juridiction du Soleil qui dispose de la situation de leur queue comme il ferait du moindre nuage, et à celle des brouillards ou des nues qui nous en dérobent la connaissance la moitié du temps. Il leur donne quelquefois un mouvement qui les conduit d'abord auprès du Soleil, où elles deviennent invisibles. Il leur donne aussi quelquefois ou si peu de grandeur, ou une si grande élévation qu'elles ne sont vues de personne, si ce n'est peut-être de quelque astronome, qui se morfond toutes les nuits à contempler les étoiles avec un bon télescope. 1 La Première partie comporte quatre arguments : ii s'agit ici du troisième. Début de la Deuxième partie. 3 Des phénomènes habituels, obéissant à des lois fixes. 4 Prodige : miracle. 2 Texte B – Fontenelle [1657-1757] - Entretiens sur la pluralité des mondes (1686). Second Soir. 3 6 9 12 15 18 21 24 27 30 33 36 Ces gens de la lune, reprit-elle, on ne les connaîtra jamais, cela est désespérant. – Si je vous répondais sérieusement, répliquai-je, qu'on ne sait ce qui arrivera, vous vous moqueriez de moi, et je le mériterais sans doute. Cependant je me défendrais assez bien, si je le voulais. J'ai une pensée très ridicule, qui a un air de vraisemblance qui me surprend; je ne sais pas où elle peut l'avoir pris, étant aussi impertinente1 qu'elle est. Je gage que je vais vous réduire à avouer, contre toute raison, qu'il pourra y avoir un jour du commerce entre la terre et la lune. Remettez-vous dans l'esprit l'état où était l'Amérique avant qu'elle eût été découverte par Christophe Colomb. Ses habitants vivaient dans une ignorance extrême. Loin de connaître les sciences, ils ne connaissaient pas les arts2 les plus simples et les plus nécessaires. Ils allaient nus, ils n'avaient point d'autres armes que l'arc; ils n'avaient jamais conçu que des hommes pussent être portés par des animaux; ils regardaient la mer comme un grand espace défendu aux hommes, qui se joignait au ciel, et au-delà duquel il n'y avait rien. Cependant voilà un beau jour le spectacle du monde le plus étrange et le moins attendu qui se présente à eux. De grands corps énormes qui paraissent avoir des ailes blanches, qui volent sur la mer, qui vomissent le feu de toutes parts, et qui viennent jeter sur le rivage des gens inconnus, tout écaillés de fer, disposant comme ils veulent des monstres qui courent sous eux3, et tenant en leur main des foudres dont ils terrassent tout ce qui leur résiste. D'où sont-ils venus ? Qui a pu les amener par-dessus les mers ? Qui a mis le feu en leur disposition ? Sont-ce les enfants du Soleil ? Car assurément ce ne sont pas des hommes. Je ne sais, Madame, si vous entrez comme moi dans la surprise des Américains ; mais jamais il ne peut y en avoir eu une pareille dans le monde. Après cela, je ne veux plus jurer qu'il ne puisse y avoir commerce4 quelque jour entre la lune et la terre. Les Américains eussent-ils cru qu'il eût dû y en avoir entre l'Amérique et l'Europe qu'ils ne connaissaient seulement pas ? Il est vrai qu'il faudra traverser ce grand espace d'air et de ciel qui est entre la terre et la lune. Mais ces grandes mers paraissaient-elles aux Américains plus propres à être traversées ? – En vérité, dit la Marquise en me regardant, vous êtes fou. - Qui vous dit le contraire ? Répondis-je. – Mais je veux vous le prouver, reprit-elle ; je ne me contente pas de l'aveu que vous en faites. Les Américains étaient si ignorants, qu'ils n'avaient garde de soupçonner qu'on pût se faire des chemins au travers des mers si vastes ; mais nous qui avons tant de connaissances, nous nous figurerions bien qu'on pût aller par les airs, si l'on pouvait effectivement y aller. – On fait plus que se figurer la chose possible, répliquai-je, on commence déjà à voler un peu; plusieurs personnes différentes ont trouvé le secret de s'ajuster des ailes qui les soutiennent en l'air, de leur donner du mouvement, et de passer par-dessus des rivières. À la vérité, ce n'a pas été un vol d'aigle et il en a quelquefois coûté à ces nouveaux oiseaux un bras ou une jambe mais enfin cela ne représente encore que les premières planches que l'on a mises sur l'eau, et qui ont été le commencement de la navigation. De ces planches-là, il y avait bien loin jusqu'à de gros navires. L'art de voler ne fait encore que de naître ; il se perfectionnera, et quelque jour on ira jusqu'à la lune. Prétendons-nous avoir découvert toutes choses, ou les avoir mises à un point qu'on n'y puisse rien ajouter ? Eh ! de grâce, consentons qu'il y ait encore quelque chose à faire pour les siècles à venir. 1 Peu raisonnable. Techniques. 3 Des chevaux. 4 Relation. 2 Texte C – Voltaire [1694-1778] - Petite digression1 – 1766 3 6 9 12 15 18 21 Dans les commencements de la fondation des Quinze-Vingts, on sait qu’ils étaient tous égaux, et que leurs petites affaires se décidaient à la pluralité des voix. Ils distinguaient parfaitement au toucher la monnaie de cuivre de celle d’argent ; aucun d’eux ne prit jamais du vin de Brie pour du vin de Bourgogne. Leur odorat était plus fin que celui de leurs voisins qui avaient deux yeux. Ils raisonnèrent parfaitement sur les quatre sens, c’est-à-dire qu’ils en connurent tout ce qu’il est permis d’en savoir ; et ils vécurent paisibles et fortunés autant que les Quinze-Vingts peuvent l’être. Malheureusement un de leurs professeurs prétendit avoir des notions claires sur le sens de la vue ; il se fit écouter, il intrigua, il forma des enthousiastes : enfin on le reconnut pour le chef de la communauté. Il se mit à juger souverainement des couleurs, et tout fut perdu. Ce premier dictateur des Quinze-Vingts se forma d’abord un petit conseil, avec lequel il se rendit le maître de toutes les aumônes. Par ce moyen personne n’osa lui résister. Il décida que tous les habits des Quinze-Vingts étaient blancs : les aveugles le crurent ; ils ne parlaient que de leurs beaux habits blancs, quoiqu’il n’y en eût pas un seul de cette couleur. Tout le monde se moqua d’eux, ils allèrent se plaindre au dictateur, qui les reçut fort mal ; il les traita de novateurs, d’esprits forts, de rebelles, qui se laissaient séduire par les opinions erronées de ceux qui avaient des yeux, et qui osaient douter de l’infaillibilité de leur maître. Cette querelle forma deux partis. Le dictateur, pour les apaiser, rendit un arrêt par lequel tous leurs habits étaient rouges. Il n’y avait pas un habit rouge aux Quinze-Vingts. On se moqua d’eux plus que jamais. Nouvelles plaintes de la part de la communauté. Le dictateur entra en fureur, les autres aveugles aussi : on se battit longtemps, et la concorde ne fut rétablie que lorsqu’il fut permis à tous les Quinze-Vingts de suspendre leur jugement sur la couleur de leurs habits. Un sourd, en lisant cette petite histoire, avoua que les aveugles avaient eu tort de juger des couleurs ; mais, il resta ferme dans l’opinion qu’il n’appartient qu’aux sourds de juger de la musique. 1 Texte intégral. Texte D – Marmontel [1723-1799] - Les Incas ou la Destruction de l'empire au Pérou - Chap. XXXV (1777) 3 6 9 12 15 18 21 24 27 30 33 36 39 42 45 Tandis qu'Ataliba, pour retourner à Cannare, traversait les champs de Loxa, la révolte des Cannarins venait d'éclater. Tout un peuple environnait la citadelle, et menaçait de couper les canaux des fontaines qui l'abreuvaient. L'extrémité était pressante. Pour forcer ce peuple aguerri à lever le siège, il fallait sortir des murs, et l'attaquer, au risque d'être enveloppé, et d'être accablé sous le nombre. Alors parut le plus étonnant des phénomènes de la nature. L'astre adoré dans ces climats s'obscurcit tout àcoup, au milieu d'un ciel sans nuage. Une nuit soudaine et profonde investit la terre. L'ombre ne venait point de l'orient; elle tomba du haut des cieux, et enveloppa l'horizon. Un froid humide a saisi l'atmosphère. Les animaux, subitement privés de la chaleur qui les anime, de la lumière qui les conduit, dans une immobilité morne, semblent se demander la cause de cette nuit inopinée. Leur instinct, qui compte les heures, leur dit que ce n'est pas encore celle de leur repos. Dans les bois, ils s'appellent d'une voix frémissante, étonnés de ne pas se voir ; dans les vallons, ils se rassemblent et se pressent en frissonnant. Les oiseaux, qui, sur la foi du jour, ont pris leur essor dans les airs, surpris par les ténèbres, ne savent où voler. La tourterelle se précipite au-devant du vautour, qui s'épouvante à sa rencontre. Tout ce qui respire est saisi d'effroi. Les végétaux eux-mêmes se ressentent de cette crise universelle. On dirait que l'âme du monde va se dissiper ou s'éteindre ; et dans ses rameaux infinis, le fleuve immense de la vie semble avoir ralenti son cours. Et l'homme! Aveugle et curieux, il se fait des fantômes de tout ce qu'il ne conçoit1 pas, et se remplit de noirs présages, aimant mieux craindre qu'ignorer. Heureux, dans ce moment, les peuples à qui des sages ont révélé les mystères de la nature ! Ils ont vu sans inquiétude l'astre du jour, à son midi, dérober sa lumière au monde; sans inquiétude ils attendent l'instant marqué où notre globe sortira de l'obscurité. Mais comment exprimer la terreur, l'épouvante dont ce phénomène a frappé les adorateurs du soleil ! Dam une pleine sérénité, au moment où leur dieu, dans toute sa splendeur, s'élève au plus haut de sa sphère, il s'évanouit ! Et la cause de ce prodige, et sa durée ils l'ignorent profondément. La ville de Quito, la ville du soleil, Cusco, les camps des deux Incas, tout gémit, tout est consterné. À Cannare, une horreur subite avait glacé tous les esprits. Les assiégés, les assiégeants avaient le front dans la poussière. Alonzo, tranquille au milieu de ces Indiens éperdus, observait avec un étonnement mêlé de compassion, ce que peuvent sur l'homme l'ignorance et la peur. Il voyait pâlir et trembler les guerriers les plus intrépides. « Amis, dit-il, écoutez-moi. Le temps presse. Il est important que votre erreur soit dissipée. Ce qui se passe dans le ciel n'est point un prodige funeste. Rien de plus naturel: vous l'allez concevoir ; vous allez cesser de le craindre. » Les Indiens, que ce langage commence à rassurer, prêtent une oreille attentive; et Alonzo poursuit. «Lorsqu'à l'ombre d'une montagne, vous ne voyez point le Soleil ; sans vous en effrayer, vous dites : la montagne me le dérobe; ce n'est pas lui, c'est moi qui suis dans l'ombre; il est le même dans Je ciel. Eh bien, au lieu d'une montagne, c'est un globe épais et solide, un monde semblable à la terre, qui dans ce moment passe au-dessous du soleil; mais ce monde, qui suit sa route dans l'espace, va s'éloigner, et le soleil va reparaître plus radieux que jamais. N'ayez donc plus de peur d'une ombre passagère, et profitez de l'épouvante dont vos ennemis sont frappés. » Le caractère de l'erreur, chez les peuples du Nouveau-Monde, est de n'avoir point de racines. Elle tient si peu aux esprits, que le premier souffle de la vérité l'en détache. Ils l'ont prise sans examen, ils l'abandonnent sans résistance. Alonzo, par le seul moyen d'une image claire et sensible, a détrompé tous les esprits, et a ranimé tous les cœurs. On vit en effet le soleil, qui, comme un cercle d'or, brillant au bord de l'ombre, commençait à se dégager. « Quoi ! Ce n'est donc ni défaillance, ni colère dans notre dieu ? s'écrièrent-ils. » À ces mots, Corambé achevant de dissiper leur crainte: « Soldats, dit-il, j'ai déjà vu arriver ce qu'il nous annonce. Il est plus éclairé que nous. Hâtez-vous donc, prenez vos armes, sortons et chassons ces rebelles que la frayeur a déjà vaincus. » Aux cris des assiégés, qui, dès le crépuscule du jour renaissant, s'élançaient hors des murs de la citadelle, les Cannarins s'abandonnèrent à une terreur insensée. On fit main basse sur leur camp, un instant le mit en déroute ; et le soleil éclairant ces campagnes, les vit jonchées de mourants et de morts. 1 Comprend.