L`entrepreneur, ce personnage méconnu

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L`entrepreneur, ce personnage méconnu
L’entrepreneur, ce personnage méconnu
Un consensus semble se dégager du débat actuel pour penser que le développement de
l’entrepreneuriat est une bonne solution pour sortir de la crise économique. Pourtant, le profil
de l’entrepreneur demeure énigmatique. La personnalité et l’histoire qui a pu conduire
certains au succès est souvent fantasmée. Par exemple, les entrepreneurs disposeraient
d’une capacité naturelle inscrite dans leurs gênes. A en croire ce postulat, certains naîtraient
entrepreneurs et d’autres pas. Pourtant, personne ne dirait d’un médecin qu’il est né
médecin ou d’un musicien qu’il est né musicien. Quelle que soit la qualité du médecin ou du
musicien, il est évident que l’on ne devient médecin qu’en apprenant la médecine et que
Bach a certainement appris le solfège avant de devenir le compositeur célèbre que l’on
connaît. Ce qui est évident ne semble pas l’être pour un entrepreneur.
Le terme entrepreneur recouvre différentes significations et l'usage courant l'assimile
souvent à un chef d'entreprise. Personnellement, je préfère la définition de Schumpeter qui
le qualifie d’innovateur. En effet, cette définition se justifie par le fait qu’’entreprendre à
l’identique, ce qui existe déjà, n’a pas grand intérêt.
Parmi ceux qui considèrent que devenir entrepreneur peut s’apprendre, nombreux sont ceux
qui pensent qu’il suffit d’apprendre le management pour ensuite devenir un entrepreneur.
Wikipédia définit le management comme le pilotage de l'action collective au sein d'une
organisation. Il comprend l'ensemble des techniques (notamment de planification,
d’organisation, de direction et de contrôle) mises en œuvre dans une organisation afin qu'elle
atteigne ses objectifs.
A observer l’offre des programmes proposés par les principaux acteurs de l’éducation, l’offre
de formation des futurs entrepreneurs est bâtie sur ce postulat. C’est ainsi qu’après deux ans
de formation aux fondamentaux du management, il deviendra possible aux postulants
d’acquérir les connaissances nécessaires pour devenir un entrepreneur et de valider un
Master. Il faudrait donc 2 ans voire 3 ans pour former un manager alors qu’un an semble
suffire pour acquérir les connaissances nécessaires à l’entrepreneur. Transformer un
manager en entrepreneur ne devrait donc poser aucun problème. En sommes-nous si
certains ?
Les travaux récents de la recherche en entrepreneuriat donnent des explications
intéressantes sur les différences entre un manager et un entrepreneur. Ces différences
tiennent essentiellement à des manières de penser spécifiques. Parmi celles-ci, deux
méritent d’être considérées pour envisager la formation des entrepreneurs. La première
porte sur l’espace de résolution d’un problème donné. Il est fixe pour le manager et variable
pour l’entrepreneur. La deuxième concerne la logique de l’un et de l’autre.
Le périmètre du marché des activités d’une entreprise établie est en général la référence du
manager. Il ne lui appartient pas de le remettre en cause. Il lui est demandé de travailler à
maximiser la performance de l’entreprise, que celle-ci-soit à la recherche de réduction des
coûts ou d’augmentation du chiffre d’affaires, voire des deux à la fois. Par exemple, l’objectif
de tous les acteurs travaillant pour le compte d’un constructeur automobile est de proposer
au marché les meilleures voitures possibles, du point de vue de ses clients, mais aussi de
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son propre point de vue. Par exemple, l’entreprise fera en sorte que les véhicules ne soient
pas trop difficiles à fabriquer. Que la motorisation soit électrique, thermique ou hybride, la
raison d’être du constructeur est de proposer au marché des voitures. L’entrepreneur est
celui qui s’autorise à questionner le périmètre des activités. La voiture n’est-elle pas un
moyen au service de la mobilité ? Que peut-on faire de mieux pour favoriser la mobilité des
individus ? Ces questions ne sont pas celles d’un manager. Ils ne sont pas payés pour cela.
Certaines entreprises établies peuvent avoir pour dirigeant un entrepreneur, mais pas
toujours. Par exemple, personne n’osera affirmer que Steve Jobs n’était pas un
entrepreneur. L’observation rétrospective de sa manière de penser et d’agir laisse peu de
place au doute. Son marché n’était pas celui des équipements informatiques individuels mais
celui des interfaces de ces équipements. Qu’il s’agisse de téléphonie ou de musique, tant
qu’il y a des équipements et des hommes pour les utiliser, la volonté de Steve Jobs était d’en
simplifier l’usage. Pendant ce temps, l’entreprise Nokia avait pour seule raison d’être de
proposer les Smartphones les plus adaptés au marché.
Une deuxième différence tient à la logique. Le manager poursuit des objectifs. Pour cela, il a
besoins de buts précis. Toutes ses réflexions et ses actions sont en chainage arrière, à partir
de ce but. Il lui faut penser avant d’agir. Sa réflexion et son action visent un « faire pour ».
L’entrepreneur se distingue de cette logique dite prédictive ou causale par le fait qu’il ne se
situe pas dans la perspective d’un « faire pour » mais d’un « faire avec ». Pour cela sa
pensée s’organise en chainage avant à partir des moyens dont il dispose à la recherche
d’effets qui lui sont atteignables. Ainsi, l’entrepreneur ne sépare pas la pensée de l’action. Il
est celui qui pense en agissant ou agit en pensant. Cette logique s’appelle « effectuale ».
Elle est reconnue comme étant la logique des entrepreneurs expérimentés qui ont connu le
succès1.
L’enseignement de l’entrepreneuriat à des étudiants fraîchement formés au management
révèle l’immense difficulté qu’ils rencontrent pour penser en chaînage avant et remettre en
cause un périmètre d’activités donné. Il n’y a pas vraiment de quoi s’étonner quand on sait
que l’éducation qu’ils ont reçue est basée principalement sur la logique causale. Il semblerait
qu’un an de spécialisation en entrepreneuriat soit insuffisant pour penser comme un
entrepreneur. Il y a de quoi s’interroger sur les conséquences d’un tel constat. Les derniers
travaux sur la cognition entrepreneuriale peuvent vraiment aider à comprendre ce qu’un
entrepreneur a dans la tête. Ces nouvelles connaissances permettent de quitter le fantasme
pour s’atteler à des façons de pensée très concrètes et envisager le futur de l’enseignement
de l’entrepreneuriat. SKEMA Business School a souhaité s’emparer de ce problème pour
proposer des parcours, à l’avenir, qui intègrent ces dernières connaissances.
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Sarasvathy (2001)
Tribune proposée par Dominique Vian
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